Quelle grille d'indicateurs pour un label « entreprise sociale » ?par Sophie Desruelle IESEG School of management - Master of management 2013 |
RESUMEDans un contexte de crise économique et financière, nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'une nouvelle philosophie : celle « d'entreprendre autrement ». Ancrée dans l'économie sociale et solidaire, les entreprises sociales aspirent à répondre à un besoin social tout en ayant une orientation entrepreneuriale. Cette façon d'entreprendre est relativement nouvelle, il se pose donc la question de la visibilité des entreprises sociales sur le marché. Il est en effet difficile aujourd'hui de déterminer concrètement quelle entreprise est sociale ou non. Plusieurs organisations ont alors pensé à un label « entreprise sociale » en France dans le but d'améliorer leur visibilité et leur reconnaissance. Nous allons ici voir si la définition de l'entreprise sociale est suffisamment homogène et acceptée par les acteurs du secteur, pour permettre d'arrêter une liste de critères minimum définissant l'entreprise sociale et y associer des indicateurs explicites pour rendre ce label fonctionnel. Après avoir analysé et comparé les différentes définitions de l'entreprise sociale, nous avons trouvé quels critères pourraient être acceptés à la majorité pour caractériser l'entreprise sociale. Nous avons alors établi une liste d'indicateurs spécifiques évaluant ceux-ci, en se basant sur des indicateurs déjà existants. Certains d'entre eux sont assez spécifiques pour permettre une évaluation objective des critères, d'autres relèvent cependant d'un jugement plus qualitatif et demandent donc une évaluation plus subjective. Nous avons ici cherché à obtenir une grille d'indicateurs qui peut potentiellement être opérationnelle pour l'élaboration d'un label « entreprise sociale » en France. 7 IntroductionL'économie sociale et solidaire, née au XIXème siècle afin de guider la production de biens et services à partir des besoins de tous et non de l'intérêt individuel, tient notamment à sa philosophie « d'entreprendre autrement » via des valeurs de liberté, de démocratie et de solidarité. Plus que la recherche de profit, les organisations de l'ESS, qui sont des associations, des mutuelles, des coopératives, des fondations, aspirent à un but social. Se pose alors la question des entreprises traditionnelles qui elles-aussi aspirent à répondre à un besoin social, tout en aspirant à faire des profits. La combinaison de ces deux objectifs économiques et sociaux donne naissance à l'entrepreneuriat social. Sans remplacer les organisations de l'ESS, les entreprises sociales répondent à des besoins non-satisfaits par les pouvoirs privés et publics tout en ayant une activité économique plus traditionnelle. L'entrepreneur social est la personne au centre de ce processus : il est porteur d'un projet innovant ou d'une méthode innovante répondant à un objectif social ou sociétal, permettant d'apporter un changement dans la société tout en étant économiquement actif sur le marché. Cependant, sur le terrain, comment différencier une entreprise sociale d'une entreprise qui ne l'est pas ? Où est la limite et comment peut-on évaluer celle-ci ? Cela implique une réflexion sur la définition de l'entreprise sociale : existe-t-il une définition homogène et acceptée par tous les acteurs ? Ce problème de définition engendre des conséquences pour ces entreprises : manque de visibilité du public et des investisseurs, manque d'accompagnement de la part des pouvoirs publics et doutes des consommateurs potentiels par rapport à la nature de l'activité. Plusieurs entités ont alors mis en avant l'idée d'un label « entreprise sociale », notamment le Mouves en coopération avec les organisations de l'ESS, les gouvernements français successifs ou encore la commission Européenne. La définition de l'entreprise sociale est-elle assez homogène ? Est-elle acceptée par tous les acteurs? Est-il possible d'arrêter un liste de critères minimum acceptés par tous définissant l'entreprise sociale ? Et est-il possible, à partir de ces critères, d'associer une série d'indicateurs suffisamment explicites pour rendre fonctionnel un label « entreprise sociale » en France? 8 Par ce mémoire, nous allons étudier la problématique suivante : Dans le cadre de l'élaboration d'un label « entreprise sociale » en France, la définition actuelle de l'entreprise sociale est-elle assez homogène et acceptée par tous pour arrêter un ensemble de critères minimum la définissant et y associer une série d'indicateurs suffisamment spécifiques pour rendre ce label fonctionnel ? Pour cela, nous étudierons les hypothèses suivantes :
Avec ce travail, nous pourrons ainsi déterminer avec plus de précision comment un label « entreprise sociale » permettrait de différencier les entreprises sociales du reste de l'ESS et des entreprises traditionnelles: où se situent-elles l'une par rapport à l'autre, quels critères permettent de les différencier, et enfin par quels indicateurs. Il paraît important de préciser que nous nous situons dans un contexte français, bien qu'un label européen soit aussi envisagé. En effet, les modèles économiques ne sont pas les mêmes selon chaque pays, ce qui implique que notre référentiel soit français pour des raisons pratiques. Pour répondre à notre problématique, nous allons tout d'abord, dans la revue de littérature, étudier les définitions et les concepts qui définissent l'économie sociale et solidaire, puis ceux qui définissent l'entreprise sociale. Nous verrons ensuite la méthodologie à adopter. Après avoir posé ce contexte, nous étudierons les différences et les similitudes entre l'économie sociale et solidaire et l'entreprise sociale afin de les situer l'une par rapport à l'autre. Pour cela nous travaillerons sur les critères présents dans les définitions vues dans la revue de littérature : nous établirons une liste commune de critères et verrons lesquels s'appliquent uniquement à l'économie sociale et solidaire, uniquement à l'entreprise sociale ou encore au deux. Nous obtiendrons à la fin de ce travail une liste de critères. Nous chercherons ensuite à établir une liste d'indicateurs explicites qui pourraient rendre un label « entreprise sociale » opérationnel. Cette recherche compte plusieurs limites : les limites par rapport aux données disponibles, les limites par rapport à la méthodologie et des limites par rapport au sujet en lui-même. En effet, concernant les limites du sujet et des données, il y a aujourd'hui un engouement pour l'économie sociale et solidaire et l'entreprise sociale, notamment en provenance des pouvoirs publics nationaux et européen. On trouve donc des rapports d'activité provenant de ces organismes qui sont complets sans être très spécifiques. En effet, 9 les différents projets de labellisation ont généré très peu d'informations spécifiques, notamment par rapport au processus d'élaboration de ces labels et par rapport aux critères. Il existe encore peu de recherches scientifiques sur l'entreprise sociale, et celles qui existent s'appliquent souvent à un secteur particulier et non pas à une vision globale de l'entreprise sociale. Cette limite des données disponibles est aussi à l'origine de notre démarche : rassembler les informations présentes pour pouvoir aboutir à une grille d'indicateurs. Ainsi, les données que nous avons récoltées peuvent être incomplètes. Concernant les limites de la méthodologie, nous avons ici des données théoriques et non pas empiriques. Nous cherchons ici à étudier quelle grille d'indicateurs pourrait rendre un label « entreprise sociale » fonctionnel, pour cela il nous faut étudier des données théoriques. Comme nous nous sommes focalisés sur celles-ci, nous obtenons une proposition de grille d'indicateurs, mais nous ne testons pas la pertinence de cette grille. 10 I/ REVUE DE LITTÉRATURE1. Mise en contexte : l'économie sociale et solidaire Nous allons nous intéresser à l'économie sociale et solidaire (ESS). C'est en effet dans le contexte que se place l'entreprise sociale. C'est pour cette raison que nous allons voir ce qu'est l'ESS pour, dans notre analyse, essayer de placer l'entreprise sociale dans ce contexte : quelles sont leur différence, quels sont leurs critères communs et par lesquels peuvent-elles être différenciés. Nous allons tout d'abord voir quelle est la place de l'ESS dans notre société, puis nous allons voir comment celle-ci est née et quels sont ses principes fondateurs, nous verrons ensuite comment les différents acteurs du secteur la définissent, quels sont ses défis et enfin quels sont ses outils d'évaluation actuels. 1. Chiffres de l'économie sociale et solidaire En 2011, la commission européenne nous donne dans son rapport1 l'état de l'économie sociale et solidaire (ESS). Celle-ci emploie plus de 11 millions de salariés au sein de l'Union Européenne, ce qui représente 6% de l'emploi total. Les entités faisant partie de l'ESS ont un statut juridique particulier : ce sont des coopératives, des associations, des mutuelles, des fondations, mais on trouve aussi beaucoup d'entreprises sociales ayant ces statuts ou ayant un statut plus classique de société anonyme traditionnelle ou de société privée et qui se revendiquent acteurs à part-entière de l'économie sociale et solidaire. Le rapport Vercamer nous donne une situation de l `ESS en France. Celle-ci représenterait 7 à 8% du PIB, dont 3% seraient des associations et fondations. Il est expliqué dans le rapport que cette mesure est difficile à établir, notamment à cause de la reconnaissance des entreprises sociales : « ce qui n'est pas connu, n'est pas reconnu ». Cette difficulté commence aujourd'hui à diminuer avec l'Atlas de l'économie sociale et solidaire du CNCRES2. Cela reste cependant un problème de définition majeur qui est au centre de notre problématique, et nous l'aborderons dans une prochaine partie. 1 http://www.eco.public.lu/attributions/economie_solidaire/EU_doc.pdf 2 www.cncres.org/ 11 Selon l'Insee, l'économie sociale représenterait en 2012 environ 10% de l'emploi national et 8% des salaires. On observe un taux de croissance annuel des emplois sur la période 2001-2006 de +2,6%, ce qui est sensiblement supérieur dans ce secteur en comparaison aux entreprises traditionnelles du secteur privé qui elles ont un taux de +1,1%. On peut aussi ajouter que l'ESS représente 10% à 65% dans six domaines d'activités : la santé (10,5%), l'éducation (19,8%), les sports et les loisirs (21,4%), les activités financières (34,6%) et le social (64,6%). Nous pouvons voir ci-dessous avec la figure 1.1 la croissance de l'emploi dans l'économie sociale et dans le secteur privé entre 2000 et 2010. Cela nous confirme que l'ESS a une croissance supérieure au secteur privé, et alors même qu'en 2008 la croissance est négative pour le privé, l'ESS continue sa croissance d'une manière stable. Figure 1 : croissance de l'emploi dans l'économie sociale et le secteur privé 2000 -20103 2. Histoire et principes fondateurs L'économie sociale et solidaire est née de l'économie alternative avec l'Aldea (agence de liaison pour le développement de l'économie alternative) en 1981, puis avec le REAS (réseau pour une économie alternative et solidaire). Vers la fin des années 1970, l'existence d'un troisième secteur qui serait différent du secteur public et du secteur marchand est apparue. Ce secteur est décrit comme étant composé de coopératives et d'associations et pouvant apporter des solutions tout en ayant une vision nouvelle du travail. (J.Forrière, 2003). 3 Source ACOSS/URSSAF L'économie sociale depuis le XIXème siècle et jusqu'aujourd'hui revendique qu'il est possible de changer la façon de produire de consommer et de répartir les biens et services tout en gardant notre modèle sociétal (J.Prades, 2000) L'économie sociale et solidaire est définie par des principes fondateurs que nous rappellent la charte de l'économie sociale du CEGES4 et d'autres rapports dont celui d'Alain Lipietz (2001), qui définissent l'économie sociale et solidaire selon plusieurs principes qui font aujourd'hui consensus : libre adhésion, gestion démocratique et participative, utilité sociale ou collective, lucrativité limitée et mixité des financements entre ressources privées et publiques. Nous allons voir dans le tableau 1.1 quels sont ces principes. Figure 2 : Principes de l'ESS
Gestion démocratique et participative
Cela est corrélé au principe « une personne, une voix ». Chaque membre compte pour une voix, peu importe ses apports (en temps ou capital). Les impacts qui ont une valeur ajoutée sur les dimensions sociales Ce principe n'empêche pas les excédents financiers mais empêche dans une certaine mesure l'appropriation individuelle. Dans les associations, cette règle est absolue : aucun dividende ne peut être versé aux membres. Les organisations de l'ESS peuvent êtres réparties entre privées (coopératives et mutuelles) ou mixtes (associations), celles-ci étant indépendantes du secteur public mais pouvant être aidées par des subventions et avantages fiscaux. 12 4 http://www.ceges.org/index.php/ceges/presentation/leconomie-sociale-et-solidaire 3. Définition L'économie sociale et solidaire en France est généralement définie par le décret du 15 décembre 2012 pour désigner : « les coopératives, les mutuelles et celles des associations dont les activités de production les assimilent à ces organismes. » (C.Vienney, 1999). Il faut préciser que les mutuelles sont des groupements à but non lucratif. On voit donc ici que le critère juridique est le critère principal pour identifier les acteurs de l'ESS. En dehors de cette définition par statut juridique, on trouve de nombreux critères qui définissent l'économie sociale et solidaire. Différents organismes nous donnent des définitions de l'ESS selon ceux-ci : Figure 3: Définition de l'ESS
CRESS6 Après-GE27 Conseil Wallon de l'économie sociale8 « L'ensemble des coopératives, mutuelles, associations et fondations dont les activités de production de biens et de services ne visent pas l'enrichissement individuel mais le partage et la solidarité au bénéfice de l'homme. » « Economie privée à but non lucratif ou à lucrativité limitée, s'inscrivant dans des formes juridiques variées, l'économie sociale et solidaire (ESS) regroupe une multitude d'initiatives économiques locales, qui participent à la construction d'une nouvelle façon de vivre et de penser l'économie : elle respecte des critères éthiques, sociaux et écologiques et place la personne avant le profit. » "L'économie sociale regroupe les activités économiques exercées par des sociétés, principalement coopératives, des mutualités et des associations, dont l'éthique se caractérise par la finalité de service aux membres ou à la collectivité plutôt que de profit, l'autonomie de gestion, le processus de décision démocratique et la primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des revenus." 13 5 OIT Guide 2010 « Économie sociale et solidaire : construire une base de compréhension commune» p vi. 6 http://www.apres-vd.ch/index.php/less/definition-de-less?showall=1&limitstart= 7 http://www.apres-vd.ch/index.php/less/definition-de-less 8 http://atlas.wallonie.be/lexique/economie-sociale/ 14 Concernant la place de l'économie sociale et solidaire par rapport aux autres acteurs du marché, celle-ci est distinguée de l'économie capitaliste et de l'économie publique pour certains auteurs (M.J Bouchard, 2008 ; N. Richez-Battesti, 2008). En effet, son rôle peut être vu comme un comblement des services ou biens qui ne sont pas donnés par le secteur privé et par le secteur public. Il peut au contraire être considéré comme celui d'une entité intermédiaire entre les deux sphères privées et publiques. L'ESS est aussi appelée tiers-secteur pour cette raison. 4. Défis de l'ESS Les organisations de l'ESS ont une activité pertinente, surtout en temps de crise économique depuis 2008. D'autant plus pertinente que ces activités ont dans l'ensemble mieux résisté à la crise que les secteurs de l'économie classique. Le secteur de l'ESS considère donc constituer un modèle alternatif capable de surmonter la crise et pouvant être une référence pour un nouveau modèle de développement, notamment pour sa capacité à répondre aux besoins émergents (Vercamer, 2010 ; M.J Bouchard, 2008). La vision à long terme des entreprises de l'ESS fait qu'elles participent à une croissance intelligente et durable, une croissance par la cohésion sociale, notion qu'elles mettent au coeur de leurs projets. Leur raison d'être est, pour la commission Européenne, le coeur des transformations économiques et sociales qui contribueront à atteindre les objectifs de la Stratégie Europe 2020. Aussi, les organisations de l'ESS ont un certain ancrage territorial, qui est cohérent avec leurs activités. Une force de l'ESS est de savoir rapprocher une demande et une offre, ce qui fait que les emplois créés sont moins délocalisables (Vercamer, 2010). De nombreux objectifs sont posés pour l'ESS, cette économie étant une économie d'avenir, ce que nous avons pu voir précédemment. Ainsi, nous allons ici citer différentes propositions concernant l'économie sociale et solidaire. Le gouvernement en place a dans la feuille de route du ministre Benoît Hamon9, ministre en charge de l'Économie sociale et solidaire, sept thématiques principales : - Donner un cadre législatif à l'ESS - Mettre en place la Banque publique d'investissement. Celle-ci consacrera 500 millions d'euros au secteur - Renforcer l'insertion par l'activité économique - Développer la place des acteurs de l'ESS dans le dialogue social 15 - Faciliter l'accès des structures à la commande publique - Assurer la reconnaissance de l'ESS à l'échelle européenne - Rénover les conditions de transmission et de reprise des entreprises par leurs salariés. Un projet de loi est prévu pour le premier semestre 2013 et prévoit les dispositions suivantes10 : - une reconnaissance légale de l'ESS, ainsi qu'une reconnaissance de ses acteurs, de leurs finalités et de leur apport à l'économie nationale - Mise en place d'un dispositif de labellisation qui conditionnerait les aides de l'état - Moderniser la loi régissant la statut des coopératives et les règles concernant l'activité des mutuelles et le financement des associations - Reprise plus facile des SCOP par leurs salariés - Encouragement de l'innovation Le 05 septembre 2012, Benoit Hamon a présenté en conseil des ministres une communication concernant ce projet de loi, celui-ci étant actuellement approfondi par les différents acteurs du secteur, notamment avec le conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire. Le projet devrait être présenté au parlement en avril 2013. A.Lipietz a lui aussi travaillé sur l'idée d'un label d'utilité sociale qui permettrait d'identifier les entreprises d'utilité sociale au sein de l'économie sociale et solidaire. Ce label s'appliquerait aux entreprises dont la finalité est sociale et la gouvernance démocratique. Ce label fut pensé dans le but d'être accordé aux acteurs de l'ESS et aux entreprises privées et permettrait des avantages fiscaux. Une grille permettant d'évaluer l'utilité sociale a été crée par Lipietz, celle-ci croise les statuts de l'entité (association, entreprise) au type de l'activité sociale (insertion, culturelle, écologique, etc.) Ce label n'a cependant pas été accepté par le monde associatif, qui considère que ce label pourrait entrainer des clivages entre les associations labélisées et non labélisées et qui pourrait aussi entrainer une course au label, ce qui pourrait stériliser l'invention associative. Le conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, en vue de l'élaboration d'un label regroupant les différents acteurs de l'ESS a mis en avant quatre critères principaux : 16 Figure 4 : Critère de CSESS pour un label Critères Indicateurs
a. Utilité sociale La notion d'utilité sociale est fortement liée au tiers secteur et a fait l'objet de plusieurs définitions. Dans un premier temps, Euillet (2002, p.216) défini l'utilité sociale comme tout service répondant à des « besoins peu ou pas pris en compte par l'état ou le marché ». L'utilité sociale n'existe donc pas si le marché ou l'état s'empare du service concerné, et répond évidemment à une demande présente sur le marché. Cela fait écho à la vision du tiers secteur répondant à des besoins non satisfaits par le marché ou les pouvoirs publics (Noguès, 2003). Les différents acteurs s'accordent sur le fait que l'ESS possède une identité propre, possiblement incarnée par la notion d'utilité sociale (D.Rodet, 2008). Nous allons maintenant voir quels critères sont utilisés pour déterminer l'utilité sociale. 17 En 1996, le conseil national de la vie associative définit cinq critères qui sont11 : Figure 5 : critères de l'ESS selon le conseil de la vie associative La prééminence du projet sur l'activité
Le fonctionnement démocratique
L'apport social. Le rapport Lipietz lui, en envisage deux (Lipietz, 2000) : Figure 6 : Critère de l'ESS selon Lipietz Le public concerné (issu de l'insertion professionnelle) Le « halo sociétal » qui sont les effets positifs en terme de cohésion et de lien social que l'activité a engendré. Jean Gadrey (2004) proposa suite à ses travaux cinq dimensions de l'utilité sociale. Figure 7 : Cinq dimensions de l'utilité sociale selon J.Gadrey (2004) Critères économiques : moindre coût collectif, contribution au taux d'activité. Lutte contre les inégalités et l'exclusion et pour le développement humain. Lien social de proximité et la démocratie participative. Pour de nombreux acteurs, cette dimension est celle qui se rapproche le plus des missions de l'économie sociale et solidaire.
L'utilité sociale « interne », du mode d'organisation. Cette cinquième dimension fait débat. 11 http://www.ciriec.uqam.ca/pdf/numeros_parus_articles/3901/ES-3901-11.pdf , p5 18 De ces dimensions, Gadrey (2006a, p278) tire une définition synthétique : Est d'utilité sociale l'activité d'un organisme d'économie sociale et solidaire qui a pour résultat et objectif « de contribuer : à la réduction des inégalités économiques et sociales, y compris par l'affirmation de nouveaux droits, à la solidarité (nationale, internationale ou locale) et à la sociabilité, à l'amélioration des conditions collectives du développement humain durable (dont font partie l'éducation, la santé, la culture, l'environnement et la démocratie) ». Il existe en France deux utilisations officielles de l'utilité sociale. L'assujettissement d'une partie ou de la totalité de l'activité des associations aux impôts commerciaux (impôts sur les sociétés, TVA et taxe professionnelle). Pour juger si une association exerce son activité pareillement qu'une entreprise traditionnelle et doit donc être soumise aux impôts commerciaux, le ministère de l'économie et des finances (1999) les soumet à plusieurs étapes (instruction fiscale du 15/09/1998) : Première étape : La gestion est-elle désintéressée ? Deuxième étape : Y a t-il concurrence avec une entreprise ? Troisième étape : L'activité de l'association est-elle exercée dans des conditions similaires à celles d'une entreprise ? Ceci est jugé grâce à la règle des quatre P : public, produit, prix, publicité. Le produit et le public sont les critères principaux pour juger de l'utilité sociale d'une association. Le produit ou l'activité doivent répondre à un besoin non satisfait par le marché. L'activité de l'association doit répondre à un public qui peut juger d'avantages particuliers au vu de leur situation sociale, économique et humaine. L'évaluation de l'utilité sociale peut se faire à trois niveaux : - elle peut être un contrôle : voir si les règles sont respectées - elle peut se faire en continu : vérifier les objectifs et faire évoluer le dispositif - elle est être complète à un moment T : analyser l'impact et la valeur ajoutée de l'activité par rapport à ses objectifs. Pour certains auteurs, l'évaluation de l'utilité sociale doit être réalisée par des critères qualitatifs et non monétaires car donner un prix c'est participer « à la marchandisation de la société » (P.Viveret, 2001, P16). Or l'ESS a pour objectif la création de plus value sociale et non pas financière. 19 Pour d'autres tel que J.Gadrey, une évaluation en termes monétaires permettrait une comparaison avec l'économie classique sur les externalités positives et donnerait donc une même échelle de mesure. Social Return on Investiment (SROI) Une autre mesure de méthode a été établie : le SROI : « social return on investment » (retour social sur investissement) qui consiste à « identifier, mesurer puis valoriser monétairement les impacts significatifs générés par un projet ou une organisation à finalité sociale pour ses principales parties prenantes et à établir un ratio de la somme de ces impacts sur la somme des ressources qui ont été mobilisées pour les générer. » (IIES, 2012, p. 6). Nous allons ici voir plus en détail comment fonctionne le SROI. Le SROI est élaboré en six étapes : Figure 8 : Les six étapes du SROI
Il est important de noter que le SROI n'inclut que ce qui est matériel, ce qui peut être considéré comme une limite de cette méthode. De même, en attribuant la valeur de chaque variable, il est possible que cette valeur soit surévaluée ou sous-évaluée. Nous avons maintenant une vue d'ensemble de ce que représente l'ESS, nous pouvons alors nous intéresser à l'entreprise sociale. 20 2. Entreprise sociale Nous allons maintenant nous intéresser à notre sujet principal : l'entreprise sociale. Nous allons ici voir comment ce concept est né, puis nous allons voir comment les différents acteurs définissent l'entreprise sociale, les formes statutaires existantes, et enfin nous allons voir quelle est l'utilité d'un label « entreprise sociale ».
Nous allons maintenant voir quelles sont les différentes définitions de l'entreprise sociale. Il faut préciser ici que nous prenons aussi en compte des définitions étrangères, certains pays ayant déjà établi leur propre définition de l'entreprise sociale. Nous jugerons ensuite si ces définitions sont applicables dans notre étude, étant donné que nous nous situons sur un label « entreprise sociale » en France. a. P.Hewitt, Social Enterprise En 2002 dans le document « Social Enterprise : A Strategy for Success »12, P.Hewitt, secrétaire au commerce et à l'industrie, propose cette définition : Figure 9 : Définition de l'entreprise sociale selon P.Hewitt « une entreprise sociale est une activité commerciale (business) ayant essentiellement des objectifs sociaux et dont les surplus sont principalement réinvestis en fonction de ces finalités dans cette activité ou dans la communauté, plutôt que d'être guidés par le besoin de maximiser les profits pour des actionnaires ou des propriétaires ». Pour apporter plus de précision à leur modèle d'entreprise sociale, de nombreuses études se sont développées, notamment pour analyser la façon dont ces entreprises fonctionnent opérationnellement. A la suite de ces travaux, il fut estimé que certains indicateurs et caractéristiques pouvaient être utilisés pour inventorier les entreprises sociales du Royaume-Uni. Ces indicateurs se positionnent sur trois segments: l'orientation entrepreneuriale, les objectifs sociaux et la propriété sociale des activités observées (ECOTER, 2003). b. Réseau EMES Depuis 1996, le réseau EMES a tenté de définir des critères communs pour définir les entreprises sociales en se basant sur les quinze pays de l'Union Européenne. Une « working definition » a donc été construite depuis une hypothèse de travail. Cette approche révèle deux séries d'indicateurs : économique et social. Il faut préciser que ces indicateurs ne représentent pas l'ensemble des conditions pour qu'une entreprise puisse être qualifiée de sociale, ils ne constituent pas des indicateurs normatifs, mais plutôt un « idéal-type ». 21 12 http://www.seeewiki.co.uk/~wiki/images/5/5a/SE_Strategy_for_success.pdf 22 Les voici tels quels : Figure 10: Critères proposés par le réseau EMES pour définir les entreprise sociales
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c. Bacchiega et Borzaga Bacchiega et Borzaga (2001) parlent de l'entreprise sociale comme une nouvelle forme d'entrepreneuriat qui se distinguerait du tiers secteur. Ce qui la caractérise principalement est son activité de production de biens et/ou de services. Cette activité de production doit évidemment être au service d'un objectif social qui a pour but de servir la communauté ou un groupe particulier de personne ou encore de promouvoir la responsabilité sociale à un niveau local. Cette activité est mise en oeuvre notamment par le biais de l'innovation, caractéristique d'une entreprise sociale. Les entreprises sociales devraient suivre un critère de non-lucrativité, bien que, pour Bacchiega et Borzaga (2001), les organisations du tiers secteur ont une contrainte de non-redistribution des profits beaucoup plus stricte. 24 Une des forces de l'entreprise sociale doit être de mobiliser, et notamment de mobiliser son capital social, soit les ressources que la communauté peut lui offrir. Evers, Laville et Nyssens (2001) ont aussi insisté sur cette notion de capital social qui pourrait être un critère d'idéal-type de l'entreprise sociale. L'entreprise doit aussi engendrer des relations de confiance au sein de son entité et autour de celle-ci. Un des critères pour aider à cette relation est d'avoir une gestion démocratique, une dynamique participative qui peut aussi impliquer des bénévoles.
Le Mouves propose la définition suivante de l'entreprise sociale15 : Figure 12 : Définition de l'entreprise sociale selon le Mouves « Entreprises avec un objectif social, environnemental ou sociétal et à lucrativité limitée. Elles cherchent à associer leurs parties prenantes à leur gouvernance. » Les critères que le Mouves juge indispensables sont ceux ci : - L'entreprise sociale doit avoir une finalité sociale, sociétale ou environnementale ou territoriale inscrite dans ses statuts et doit créer des emplois. 14 http://www.eco.public.lu/attributions/economie_solidaire/EU_doc.pdf 25 - Son activité doit être une initiative privée et doit impliquer plusieurs parties prenantes dans la gouvernance. - L'entreprise doit avoir une rémunération
limitée des apports en fonds propres - Le Mouves recommande aussi l'innovation sociale et l'ancrage
territorial
Enfin, Ashoka parle de l'entrepreneur social17 : Figure 14 : Définition de l'entrepreneur social selon Ashoka « Les entrepreneurs sociaux sont des individus qui proposent des solutions innovantes aux problèmes sociaux les plus cruciaux de notre société. Ils sont ambitieux, persévérants, s'attaquent à des questions sociales majeures et proposent des idées neuves capables de provoquer des changements à grande échelle. » et sont « au service d'une organisation où la finalité première est sociétale, dotée d'un modèle économique pérenne et viable. » Actuellement, Ashoka accompagne plusieurs entrepreneurs sociaux et les sélectionne selon plusieurs critères : L'innovation : La solution ou l'approche de l'entrepreneur social doit être nouvelle et capable d'apporter un changement radical aux pratiques du domaine dans lequel son activité 16 http://www.entrepreneur-social-npdc.org/spip.php?article27 17 http://www.entrepreneur-social-npdc.org/spip.php?article27 26 prend place. L'entrepreneur doit aussi être capable de se développer au niveau national, voir au-delà. La créativité : L'entrepreneur social doit savoir imaginer des solutions pour les problèmes quotidiens ainsi qu'avoir une vision à long terme. Les qualités entrepreneuriales : La persévérance, la ténacité, le pragmatisme, le sens pratique, le goût du risque. La fibre éthique : L'entrepreneur doit avoir un sens éthique irréprochable L'impact social : Nous allons voir ci-dessous comment se réalise l'évaluation de l'impact. La méthode utilisée est un calcul du différentiel entre l'argent public investi et l'argent collecté ou les coûts évités pour la collectivité. Ce calcul se base sur les revenus et les économies liés à l'activité de l'entreprise, tandis que les bénéfices sociaux indirects sont seulement qualifiés. L'impact est considéré social si le retour sur investissement de l'argent public est positif (et donc engendre des économies à la collectivité ou des revenus) et si l'impact économique potentiel est important (l'activité génère des emplois durables et équitablement répartis sur le territoire). Cependant, cette méthode ne permet pas de chiffrer les bénéfices qualitatifs comme par exemple une amélioration de l'état de santé des moins favorisés, un apaisement social, une intégration des personnes issues de la diversité, une protection de l'environnement ou encore une amélioration de la qualité de vie. 3. Formes statutaires existantesLa définition la plus souvent retenue est celle du statut juridique (notamment par l'INSEE et dans de nombreux textes législatifs), dont nous avons vu l'importance par rapport à l'économie sociale et solidaire, mais cette définition est incomplète (Thierry Sibieude, 2011) car certaines entreprises pourraient être exclues. Nous allons ici voir quels sont les statuts juridiques qui déterminent les entreprises sociales, en France et à l'étranger. a. Les Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectifs (SCIC) Au niveau des statuts juridiques, une loi de 200118 (art.36 de la loi 2001-624 du 17/07/2001 et art.19 de la loi 47-1775 du 10/09/1947) lance un nouveau statut : Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif (SCIC). Ces sociétés sont en fait de SA ou SARL dont le but 18 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000684004&categorieLien=cid 27 est la production de biens ou de services ayant un caractère d'utilité sociale, qui est un critère d'évaluation de l'ESS comme nous l'avons vu précédemment. Pour l'ancien secrétaire d'état à l'économie sociale et solidaire sous le gouvernement Jospin, « la SCIC doit être comprise comme le chaînon manquant entre l'association et la coopérative avec la possibilité d'intégrer de nouveaux partenaires » (F.Morin, conseiller technique du cabinet de G.Hascoët).19
En 2000 le statut de coopérative sociale est créé en Italie. Leur but est l'intérêt général de la communauté avec pour objectifs l'intégration sociale des citoyens et la promotion humaine. Ces coopératives sont divisées en deux groupes. Les coopératives de type A s'occupent des services éducatifs, sanitaires et sociaux. Les coopératives de type B s'occupent 19 http://www.avise.org/IMG/mediatheque/2004-01-06_Biblio_raisonnee_EUS.pdf p9 20 http://www.les-scop.coop/sites/fr/les-scop/qu-est-ce-qu-une-scop.html 21 http://www.belgium.be/fr/economie/economie_sociale/statut_juridique/societes_a_finalite_sociale 28 d'autres activités dont le but est l'insertion des personnes défavorisées (handicapés, patients en psychiatrie, détenus en semi-liberté, marginaux adultes). e. Community Interest Companies, Royaume Uni Les Community Interest Companies (CIC)22 sont des nouveaux types d'entreprises que le gouvernement anglais a créé en 2005. Ce sont des entreprises traditionnelles (limited companies) qui ont des traits supplémentaires : leur activité doit apporter des bénéfices à la communauté et ne doit pas être créée pour un bénéfice privé. Pour cela, les entreprises voulant acquérir ce statut doivent passer deux tests : le community interest test et le asset lock test. Une personne, appelée un régulateur, juge la finalité de l'entreprise, et si celle-ci est en faveur de l'intérêt d'une communauté et seulement à ce moment, l'entreprise peut obtenir le statut. De plus, l'entreprise n'est pas seulement censée satisfaire le test avant, mais aussi après l'obtention du statut, sous peine de se voir retirer celui-ci. Ce test ne demande pas que chaque activité soit orientée en faveur de la communauté, mais que l'activité globale de l'entreprise soit orientée dans ce sens. Nous pouvons aussi préciser que deux types d'entreprises qui en temps normal pourraient présenter un bénéfice, ne peuvent pas acquérir ce statut. Il s'agit des entreprises politiques : campagne politique, activités supportant un certain parti, etc. ; et des entreprises qui entraineraient des bénéfices uniquement pour les membres d'une organisation ou d'une certaine entreprise. Concernant le deuxième critère, « Asset Lock » est un terme général qui désigne en fait l'utilisation limitée des actifs de l'entreprise, donc une lucrativité limitée. Deux ou trois informations complémentaires paraissent intéressantes à retenir. Le gouvernement précise qu'une personne demandera le statut de CIC plutôt que celui d'association pour son entreprise s'il est entrepreneur. Aussi, il est possible pour une association caritative de changer son statut en une CIC. 4. Pourquoi un label ? Nous nous demandons dans cette partie comment les entreprises sociales sont aptes à se différencier des entreprises traditionnelles sachant qu'il n'y a aujourd'hui pas de moyen reconnu pour le faire. C'est pour cela que nous nous intéressons au label : il permettrait de le faire. 22 http://www.bis.gov.uk/cicregulator 29 László Andor, commissaire en charge de l'emploi, des affaires sociales et de l'inclusion, a déclaré23: «les entreprises socialement responsables ont pour origine la prise de conscience que la crise n'est pas seulement économique et financière mais aussi éthique. Des valeurs telles que la solidarité, la durabilité, l'inclusion et l'intégrité ne sont pas toujours respectées par les entreprises et je crois que nos économies en ont souffert. C'est pourquoi l'entreprise sociale et la RSE peuvent avoir un impact décisif et ainsi contribuer aux objectifs que s'est fixé l'Europe de 2020, à savoir plus d'emplois et plus de croissance.» En 2010, le gouvernement lance l'idée d'un label des entreprises sociales (Rapport Vercamer et Conseil Supérieur de l'économie Sociale et Solidaire). L'Union Européenne s'interroge de même sur cette reconnaissance des entreprises sociales. Le Mouves a lui aussi développé cette idée. A côté de cette problématique du label, une grande majorité des acteurs se rejoignent par rapport au fait d'établir un bilan sociétal, qui permettrait de mesurer les apports sociaux des entreprises en prenant compte de différentes variables telles que l'éthique, l'environnement ou encore l'utilité sociale. Cependant, la mise en place d'un label est parfois difficile comme le témoignent les précédentes labellisations telles que le label commerce équitable ou encore le label agriculture biologique. Le Conseil Supérieur de l'économie sociale et solidaire a lui aussi expérimenté des doutes sur l'élaboration d'un label unique et envisage des labels sectoriels. Alors est-ce possible d'établir un label « entreprise sociale » connaissant la diversité de ce secteur ? Nous allons dans un premier temps voir les raisons qui poussent ces différentes entités à proposer un label. a. Utilité d'un label C'est tout d'abord une question de visibilité des entreprises sociales. En effet, même en ayant une définition théorique de celle-ci, en pratique : comment les différencier ? Il n'y a aujourd'hui pas de modèle proposé pour résoudre ce problème et il est donc difficile de juger si on entreprise est sociale ou non, ce qui entraine évidemment un manque de visibilité pour celles-ci. Cette problématique de visibilité des entreprises sociales entraine principalement la question des financements. Comment une entreprise sociale peut-elle trouver des financements quand elle n'est pas remarquée ? Or, il s'avère que les difficultés à trouver ses financements posent un véritable problème. Les besoins de ces entreprises sont nombreux et présents à différents stades de développement : soutien à l'idée, développement du projet ou encore développement à l'extension. 23 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-11-1238_fr.htm?locale=fr 30 Les investisseurs ne sont pas à blâmer car eux-mêmes ont un manque de visibilité du marché. Ce phénomène est accentué par la faible reconnaissance de l'entreprise sociale et aussi par la multiplicité des définitions. Il s'agit donc ici de créer un langage commun entre l'investisseur et le bénéficiaire. Cette visibilité ne concerne pas seulement les investisseurs, mais aussi les consommateurs et acheteurs et autres entités. Par autres entités, nous parlons des pouvoirs publics et notamment l'Union Européenne. Les citoyens et clients seraient également plus en mesure de juger le poids et l'impact de ces entreprises. L'absence d'indicateurs fragilise non seulement les entreprises sociales, mais aussi le positionnement de l'économie sociale et solidaire, les gouvernements l'évaluant principalement en terme d'emplois créés. La visibilité des entreprises sociales serait améliorée grâce au choix d'un périmètre du secteur. C'est là ce que le label cherche à établir. En effet, aujourd'hui seuls les statuts permettent de définir si une entreprise appartient ou non à l'ESS, mais cela pose un problème par rapport aux entreprises possédant un statut plus traditionnel et pouvant pourtant être sociales. Ce label permettrait donc d'englober des sociétés de capitaux plus traditionnelles combinant une démarche entrepreneuriale et une démarche à finalité sociale. La labellisation est, selon Larceneux (2004), une stratégie marketing qui communique la qualité des produits auprès des consommateurs/acheteurs potentiels. C'est en fait un signe de reconnaissance pour les consommateurs. Officiellement, il existe quatre labels (label rouge, label AB, AOC et VBF). Toutes les autres formes de labels sont en fait des outils commerciaux. Selon le dictionnaire, le label est « une étiquette ou marque spéciale créée par un syndicat professionnel ou un organisme parapublic et apposée sur un produit destiné à la vente, pour en certifier l'origine, la qualité et les conditions de fabrication en conformité avec des normes préétablies. »24 (Larousse). Il est donc possible d'avoir des labels définis par des organismes extérieurs et non reconnus par les pouvoirs publics. Les labels officiels des pouvoirs publics permettent d'améliorer l'efficience des marchés qui sont caractérisés par des asymétries d'information (Hadden, 1986). C'est ici le cas comme nous l'avons vu juste avant. Pour une entreprise, l'enjeu est la communication : « Pour une entreprise, la labellisation est une des nombreuses options publicitaires et toute décision de labellisation pour être examinée comme n'importe quelle décision de stratégie publicitaire » (Golan, Kuchler et Mitchell, 2000, 7). Le label est une information qui rassemble plusieurs dimensions de la qualité du produit et est plus crédible qu'une seule information commerciale. 24 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/label/45761 Au niveau théorique, l'étude de l'influence des labels n'est pas encore très développée. b. Propositions de label Maintenant que nous avons établi l'utilité du label, nous allons voir plus concrètement quelles différences sont les propositions ou les réflexions en cours sur ce label.
La commission européenne propose la création d'un label « Fonds d'entrepreneuriat social européen » dont le but est de permettre aux investisseurs d'identifier des fonds d'investissement dont l'objet est d'investir dans des entreprises sociales. Les fonds qui utilisent ce label auront le devoir d'investir au moins 70% de l'argent reçu des investisseurs dans des entreprises sociales. Le but recherché est de soutenir le marché des entreprises sociales en collectant les fonds de manière plus efficace. Selon les estimations de J.P. Morgan (2011), ce marché pourrait dépasser les 100 milliards d'euros grâce à une forte croissance. 31 25 Rapport d'activité du CSESS, p36 32 iii. Rapport Vercamer26 : Figure 16 : Proposition n°4, 5 et 39 du rapport Vercamer Proposition n° 4 : « encourager la pratique du bilan sociétal, outil d'auto-évaluation, dans le but de renforcer les pratiques sociales des entités de l'ESS » Proposition n° 5 : « engager une démarche de création de labels qui dépasse la seule approche statutaire pour mieux reconnaître l'appartenance à l'ESS » Proposition n° 3927 : « favoriser l'accès des entreprises sociales labellisées à de nouveaux marchés et à de nouveaux clients » Vercamer précise que deux types de labels sont envisagés : un label pour « l'entrepreneuriat social » et un label à « finalité sociale et solidaire » Ces deux labels peuvent intéresser tous les acteurs de l'ESS, le premier s'adressant particulièrement aux entreprises « classiques » souhaitant être reconnues dans l'ESS. Le deuxième s'adresse à tous et peut intéresser les entités appartenant à l'ESS au niveau statutaire mais qui veulent renouveler et confirmer leur valeur dans ce secteur. Notre rappelons ici que notre problématique concerne un label « entreprise sociale ». Nous n'avons pas encore vu quelles conditions sont nécessaires pour l'obtention de ce label, nous ne pouvons pas donc nous avancer ici quant à la nature des organisations pouvant postuler à ce label. Nous ne pouvons donc pas pour l'instant rattacher notre problématique à un des deux labels. c. Évaluation Avant de parler des critères, nous allons tout d'abord rappeler ce qu'est une évaluation. Pour choisir nos indicateurs, il faut déjà savoir quel type d'indicateurs nous pouvons utiliser. Selon le Larousse, évaluer est « déterminer, fixer, apprécier la valeur, le prix de quelque chose, d'un bien, etc.»28. On peut évaluer grâce à des instruments de mesure Ð toujours à référer à un contexte - permettant de fixer la valeur que l'on cherche à mesurer. Ce processus permet de hiérarchiser les modes de reconnaissance. Concernant les méthodes d'évaluation, elles sont multiples : comptabilité nationale (macro), fonctionnement organisationnel (micro), portrait régional, portrait sectoriel, analyse des objectifs et des impacts. 26 Rapport Vercamer, p39 27 Rapport Vercamer, p103 28 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/évaluer/31795 33 L'évaluation peut de même se baser sur des aspects quantitatifs ou qualitatifs, ou encore combiner les deux. L'évaluation peut aussi être réalisée de manière participative négociée entre l'évaluateur externe et les acteurs concernés (Bouchard et Oumais, 2001; Rondot et Bouchard, 2003). Une des caractéristiques de l'ESS et des entreprises sociales, d'après différentes définitions vues ci-dessus, est d'avoir une dynamique collective et participative. C'est une raison pour laquelle chaque avancée dans ce milieu est principalement réfléchie avec les acteurs du secteur. On a pu le voir avec le projet de loi de Benoit Hamon, qui demande une réflexion collective avant de présenter son projet de loi. C'est donc un aspect très important ici : faire participer les acteurs de l'ESS et des entreprises sociales à la mise en place de l'évaluation. Nous verrons suite à la sélection de nos critères, qu'il est probable que nous ayons besoin d'aspects quantitatifs et qualitatifs. Certaines notions faisant appel à la solidarité, à la finalité sociale ou encore à la fibre éthique peuvent être difficiles à rattacher à un indicateur quantitatif. L.Fraise (2001) propose certaines politiques pour accompagner la recherche de méthodes d'évaluation de l'ESS. Tout d'abord, l'évaluation de l'ESS doit permettre le dialogue entre les différents acteurs de l'ESS. Il faut aussi qu'une politique de recensement et de transfert de méthodes et outils d'évaluation doit être mise en place à échelle européenne ainsi qu'une politique de reconnaissance de l'utilité sociale et une réflexion sur qui attribue les labels (le secteur public, les pairs). Plusieurs méthode d'évaluation sont proposées dans le guide AVISE. Pour Celavar (2001), pour évaluer, il faut définit le but d'une action, les finalités et les objectifs. A partir de cela, trois axes peuvent être définis autour de l'efficience (le rendement des ressources), l'efficacité (l'objectif est-il atteint ?) et la cohérence. Selon le guide Muscade (Contrechamp, 2002), il faut faire des distinctions entre les réalisations, les résultats, les impacts, les critères et les indicateurs. Les réalisations correspondent aux actions menées, celles-ci entrainent des résultats. Les impacts sont quant à eux les effets globaux du projet et les critères sont les éléments qui sont mis en place pour évaluer ces éléments. Enfin, les indicateurs sont des instruments qui servent à mettre une valeur sur un critère. Nous pouvons appliquer ce raisonnement lors de notre analyse de données : nous utiliserons des indicateurs, servant à évaluer des critères qui eux-mêmes sont liés aux réalisations, résultats et impacts de l'entreprise sociale. Concernant l'évaluation des impacts, on peut les diviser en deux catégories : impacts directs et impacts indirects. 34 Les impacts directs comprennent les impacts économiques et sociétaux. J.Gadrey (2002) défini que l'impact économique peut être vu de deux façon : selon l'usager et selon la collectivité. J.C.Gosset (2002) défini un impact pour le salarié, défini par la création d'emplois durables. Concernant les impacts sociétaux, il définit ceux-ci comme une réponse à des besoins non satisfaits, par une co-construction de l'offre et de la demande et par le développement d'innovation. Les impacts indirects peuvent être économiques, socio-économique 1. Impact indirect Comme pour les impacts directs, on peut tout d'abord parler des impacts économiques et d'impacts sociaux-économiques. Les entreprises de l'ESS doivent contribuer à la réduction de coûts économiques publics et privés (J.Gadret, 2002) ou créer de la valeur ajoutée (J.C.Gosset, 2002) au sein de la collectivité. Elles doivent aussi contribuer au dynamisme socio-économique des territoires et doivent avoir un impact au niveau de la cohésion sociale et de la réduction d'inégalités. Au regard des observations, l'évaluation de l'ESS s'inscrit dans trois registres : institutionnel, identitaire et axiologique. Par rapport aux indicateurs, on peut baser l'évaluation sur trois catégories : la dimension d'utilité sociale, la dimension organisationnelle et la dimension institutionnelle (Bouchard, 2004). La dimension organisationnelle est en fait la performance des entreprises en terme d'efficacité, de productivité, de qualité, etc. Nous entendons par utilité sociale les impacts qui ont une valeur ajoutée sur les dimensions sociales, comme précisé au dessus. Nous pouvons par exemple citer la réduction des inégalités, les effets de redistribution, etc. (Gadrey, 2004; Nogues, 2003). Quand à la dernière catégorie : la dimension institutionnelle, elle fait référence aux innovations, à la gouvernance, au règles du jeu, etc. Le référent normatif est pour d'autres basé autour de trois fonctions : solidaire, productive et démocratique (b.Enjolras, 2001). La fonction solidaire implique les intérêts communs et les valeurs communes des individus associés. La fonction démocratique fait référence au mode de gouvernance, où la démocratie participative et l'auto-gouvernance sont mises en avant. Enfin, la fonction productive est une fonction qui diffère et qui complète celle des secteurs privés et publics. Dans le Rapport Bruntland, 198729, on considère que l'évaluation de l'ESS s'inscrit dans le monde du développement durable et vise à repenser les indicateurs de richesse d'un point de vue macroéconomique (Lipietz, 2001 ; Viveret, 2001). La question de l'évaluation renvoie donc ici à la double fonction de l'ESS : socioéconomique et sociopolitique : être productrice de biens et services tout en participant à l'intérêt général. 29 http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/rapport_brundtland.pdf 35 En résumé : Nous avons ici vu que l'économie sociale et solidaire est une économie montante et en pleine croissance. L'ESS est composée d'associations, de coopératives, de mutuelles, ou encore d'entreprises plus traditionnelles. Ce sont justement ces entreprises qui nous intéressent. Le concept d'entreprise sociale est né dans les années 1990, c'est donc un concept récent qui amène encore beaucoup de questionnements. En effet, si l'entreprise sociale se positionne dans l'ESS, où se positionne t'elle exactement ? Nous avons pu voir que beaucoup de définitions étaient proposées, nous essayerons d'en tirer des critères communs acceptés par la majorité des acteurs. Deux statuts ont été créés en France, la SCOP et la SCIC. Ce statut suffit-il pour dire qu'une entreprise est sociale ? Les entreprises ayant un statut plus traditionnel ne peuvent-elles pas être considérée comme sociales ? Nous avons vu qu'il y a actuellement un problème de visibilité et qu'un label « entreprise sociale » aiderait à résoudre celui-ci. Des propositions de label ont d'ailleurs été soumises par différentes organisations. Benoit Hamon propose un label économie sociale et solidaire, A. Lipietz un label d'utilité sociale, le CSESS un label éthique et environnemental, la commission européenne un label fonds d'entrepreneuriat social européen, le rapport Vercamer un label pour « l'entrepreneuriat sociale » et un label « à finalité sociale » et le Mouves un label « entreprise sociale ». Nous avons ensuite vu comment l'évaluation ou l'identification de la labellisation pourrait être mise en place. Dans notre travail d'analyse, nous utiliserons des indicateurs, servant à évaluer des critères qui eux-mêmes sont liés aux réalisations, résultats et impacts de l'entreprise sociale. 36 |
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