1.1.2 Evolution de la
transformation structurelle
L'étude des transformations structurelles a
été au fondement des tous premiers travaux d'économie
du développement, qu'il s'agisse des conditions de transfert du surplus
de main d'oeuvre d'un secteur traditionnel vers un secteur moderne (Lewis,
1954) ou des déterminants spécifiques des trajectoires
d'industrialisation et de modernisation économique de long terme dans
les pays en retard de développement (Chenery et Taylor, 1968 ; Kuznets,
1966). La question du changement de la structure productive de pays alors
qualifiés de « sous-développées », puis celle
des conditions institutionnelles et des politiques publiques qui peuvent
l'accompagner, sont constitutives des premières controverses
scientifiques et politiques à propos du développement
économique des pays pauvres et anciennement colonisés.
1.1.2.1. Transformation
structurelle Selon les structuralistes
Durant la seconde moitié du vingtième
siècle, le changement structurel est donc devenu une thématique
majeure de l'économie du développement. Des auteurs tels que
Lewis (1954), Myrdal (1957), Hirschman (1958), Rostow (1959), Gerschenkron
(1962), Kuznets (1966) Kaldor (1967) et Chenery et Taylor (1968) proposent des
approches analytiques diversifiées du développement
économique conçu comme un processus de changement structurel. Ces
économistes ont étudié les mécanismes permettant
aux économies traditionnelles essentiellement agricoles de se
transformer en économies modernes industrialisées. Le
développement économique y est fondamentalement
appréhendé comme un processus de modernisation économique
entraîné par la réallocation des facteurs de production
d'un secteur à faible productivité (secteur traditionnel
agricole) utilisant une technologie traditionnelle à rendement
décroissant, vers un secteur à forte productivité et
à rendement croissant, l'industrie moderne.
D'après Kuznets (1955), cette transformation s'effectue
de façon séquentielle par, dans un premier temps, une migration
des ressources de l'agriculture vers l'industrie et les services et, dans une
seconde phase, une migration des ressources des secteurs de l'agriculture et de
l'industrie vers les services. Dans ce contexte intellectuel, ce sont les
modèles de Lewis (1954) et de Chenery et Taylor (1968), postulant
l'hétérogénéité structurelle des
économies pauvres, qui vont s'imposer dans les années 1950-1960.
Dans le modèle bi-sectoriel de Lewis (1954), la différence de
productivité de la main-d'oeuvre entre les secteurs traditionnel et
moderne est le principal moteur de la réallocation des ressources. Cette
migration de la main-d'oeuvre du secteur traditionnel vers le secteur moderne
est dépendante du niveau d'investissement et de l'accumulation de
capital.
Dans le modèle fondateur de Lewis, la transformation
structurelle consiste en une augmentation de la part du secteur industriel dans
la valeur ajoutée et l'emploi domestiques et par une diminution
simultanée de la part du secteur agricole traditionnel. La migration
intersectorielle de la main-d'oeuvre et du capital entraînent donc le
développement économique. Hollis Chenery (1961), autre auteur
central de cette littérature pionnière, adopte une
démarche plus empirique que théorique puisqu'il liste les
différentes modifications socio-économiques que les pays
connaissent avec leur développement économique ainsi que les
facteurs expliquant les différences de trajectoires de
développement. Il s'intéresse enparticulier au « processus
séquentiel » durant lequel la structure économique
industrielle et institutionnelle se transforme pour permettre à
l'industrie de se substituer à l'agriculture traditionnelle comme moteur
de croissance.
Dans ce processus, l'accumulation de capital physique est une
condition nécessaire, mais non suffisante, du développement
économique. Hollis Chenery identifie une série de modifications
de la demande intérieure, des échanges et des avantages
comparatifs du fait de l'accumulation de capital humain et physique, communs
à toutes les économies au-delà de leurs divergences
initiales, qui conditionnent le rythme de la transformation structurelle et de
la croissance du secteur industriel.
Il existe diverses utilisations du concept de «changement
structurel» en économie. Toutefois, l'utilisation la plus courante
se réfère aux transformations persistantes de long terme de la
composition de variables agrégées. En économie du
développement et en histoire économique, le changement structurel
se réfère à l'importance relative des secteurs de
l'économie, aux changements dans la localisation des activités.
Les changements institutionnels mis en avant par Nelson (2005) sont
nécessaires dans une économie pour une exploitation
réussie des nouvelles technologies qui représentent le principal
facteur moteur de la croissance économique et des transformations
structurelles. Ces transformations institutionnelles s'opèrent, dans la
plupart des pays développés et émergents, à travers
les universités, les laboratoires et centres de recherche, les agences
gouvernementales, les entreprises, les marchés, la technologie, mais
aussi les interrelations entre entreprises, institutions et technologies.
Les premiers modèles de croissance économique
ont ignoré les transformations structurelles, car axés sur un
seul secteur de production. Cependant, des modèles proposés au
cours de la dernière décennie ont tenté de
répliquer les transformations structurelles observées, en
modifiant des hypothèses des modèles standards de croissance
(Acemoglu, 2008, Syrquin, 2010, Jiang, 2011). L'hypothèse selon laquelle
les transformations structurelles représentent une source importante de
la croissance économique a été initialement
développée par Lewis (1954). L'effet du changement structurel et
de l'allocation des facteurs de production en économie du
développement a été analysé dans les travaux de
Chenery, Robinson et Syrquin (1986) et Syrquin (1995). Ces auteurs montrent que
les transformations structurelles sont un facteur important expliquant les
performances économiques des pays. La plupart des études
récentes parvient à montrer que les effets des changements
technologiques et de l'allocation des facteurs de production sur la performance
économique sont significatifs (Akkemik, 2005 ; Berthelemy, 2001 ; Nelson
et Pack, 1999 ; Ngai et Pissarides, 2007)
De récents travaux mettent l'accent sur le rôle
des changements structurels dans la croissance de la productivité dans
les secteurs non-agricole et manufacturier dans les pays
développés et émergents. Par exemple, Timmer et Szirmai
(2000) aboutissent à un effet positif de l'allocation des facteurs entre
secteurs sur la croissance industrielle dans quatre pays industrialisés
et émergents d'Asie, à savoir la Corée du Sud,
Taïwan, l'Inde et l'Indonésie
Dans le cas spécifique de la Chine, l'évolution
de l'économie de marché de l'ancien système
centralisé a nécessité de profonds changements structurels
tant au niveau de l'emploi que de la valeur ajoutée, comme le notent
Chen, Jefferson et Zhang (2011). Par exemple, la part de l'emploi dans le
secteur primaire a baissé de façon substantielle de 83,5% en 1952
à 39,6% en 2008 tandis que celle du secteur tertiaire a connu une hausse
régulière .La baisse de la part de l'emploi dans le secteur
primaire s'explique par la réduction de la productivité du
travail dans ce secteur relativement à la moyenne nationale, passant de
60% en 1957 à 27% en 2010 (Yao, 2014). Cette baisse s'explique par le
système de recensement des ménages a favorisé des flux
importants de travailleurs des zones rurales vers le milieu urbain. En outre,
la baisse de la productivité du travail dans le secteur primaire
explique par un nombre important, dans ce secteur, de travailleurs à
temps partiel.
Le secteur tertiaire a employé beaucoup plus de
travailleurs que le secteur secondaire depuis le milieu des années 1990.
Cependant, la part de l'emploi du secteur tertiaire reste inférieure
à celle du secteur primaire en 2010. En effet, la contribution de Dekle
et Vandenbroucke (2012) utilise une décomposition de l'activité
économique en Chine en trois secteurs : le secteur privé
agricole, le secteur privé non-agricole et le secteur public
non-agricole. Les ressources sont réallouées au détriment
du secteur agricole, mais vers les secteurs non agricoles. Ces auteurs
parviennent à la conclusion que la productivité du secteur
agricole qui explique 47% de la réallocation du travail, est le
principal moteur de la transformation structurelle de la Chine.
Selon McMillan et Rodrik (2011), la transformation
structurelle comporte deux éléments:
(i) La montée en puissance de nouvelles
activités plus productives et
(ii) Le transfert des ressources des activités
traditionnelles en direction de ces activités nouvelles, ce qui
relève la productivité globale.
En l'absence du premier élément, les moyens de
décollage de l'économie sont insuffisants. En l'absence du
second, les gains de productivité des secteurs porteurs ne se diffusent
pas au reste de l'économie. Il en ressort que les principaux vecteurs de
la transformation structurelle sont l'innovation et la réallocation des
facteurs en faveur des secteurs à forte valeur ajoutée.
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