Développement des espaces géographiques. Exemple du terroir d'Assomé dans la basse vallée du Zio.( Télécharger le fichier original )par KOUAMI DODJI ADJAHO Université de Lomé - Maà®trise en géographie 2010 |
5.2. Les limitesLes limites constituent les caractéristiques essentielles d'un terroir. En effet, un terroir se définit par rapport à un espace géographique circonscrit par des limites tangibles sur la base de cadres administratif et juridique clairement établis. La mise en place de tels cadres à l'échelle des entités territoriales administratives (villages, cantons, communes, préfectures et régions) est un outil indispensable au service de la politique de développement d'une nation. Elle vise une meilleure évaluation statistique des potentialités et des besoins des communautés à la base en vue de l'élaboration de programmes de développement efficaces. Au Togo, sur le plan purement administratif, il est prévu des dispositions légales en ce qui concerne la création des régions, des préfectures et des cantons. Cependant, l'application de ces dispositions se fait très souvent à des fins politiques, qui n'impliquent pas une réelle délimitation territoriale des entités administratives de bases que sont les villages, ni ne tiennent compte de leurs réalités socioculturelles. Ainsi, la fixation des limites territoriales prend un caractère flou issu du vide juridique relatif au domaine foncier. En effet, c'est le principe ancestral de " vivre sur la terre et la terre occupée " qui demeure le mode d'appropriation de la terre. Les terres de cultures et les terres de parcours de chasse étaient considérées comme occupées par la communauté qui la mettait en valeur, donc approprié par elle. Même si de nos jours, la terre s'acquiert par achat, ce principe reste toujours en vigueur. Les limites foncières s'arrêtent là où commençaient celles des communautés voisines (E.Tchakei, Wacaf 11, document non publié, in Houédakor 1997).Or l'appropriation des terres dans l'espace est diffuse et discontinue ce qui ne permet pas de bien situer les "frontières" des domaines fonciers villageois. Par conséquent, il arrive que de vastes portions de terres soient réclamées à la fois par deux ou trois communautés. Cette instabilité des limites territoriales crée beaucoup de litiges fonciers entre des terroirs voisins que même la justice moderne n'arrive pas à résoudre. Ces litiges entre individus sont souvent ramenés au niveau des clans et des communautés qui nourrissent quelques fois de la haine les uns contre les autres. Etant donné que la terre appartient aux collectivités et aux particuliers et non à l'Etat, ce dernier n'a donc pas la maîtrise de ce secteurdans lequel il joue le rôle d'agent foncier. L'on se confronte alors à une absence totale de disposition légale sur le plan administratif pour déterminer les limites des domaines fonciers villageois. L'exemple du terroir d'Assomé est significatif de cette réalité. Le terroir d'Assomé regroupe autour du village d'Assomé, les fermes de Golowou, Tékpo, Epou-Kopé et Apédomomé-Kopé. Sur le plan administratif, il dépend du canton de Davié dans la préfecture du Zio. Il est limité à l'Est et au Sud-Est par le terroir de Davié, celui de Wli et Ziovonou au Nord-Est alors que ceux de Kovié et de Mission-Tové le cernent respectivement à l'Ouest et au Sud-Ouest. Tenu par l'objectif principal assigné à cette étude qui se base sur l'analyse des dysfonctionnementsde la situation de référence pour enproposer des orientations de développement global et intégré et d'amélioration des conditions de sa population, il fallait bien circonscrire l'étendue du terroir d'Assomé afin de faire un travail objectif. Pour ce faire, il fut organisé une campagne de géoréférencement qui a permis de déterminer, sous la base de la synthèse des informations recueillies, les différentes limites de ce terroir et par là la valeur de son étendue. Au vu des coordonnées issues de ce géoréférencement, le terroir d'Assomé est délimité par le contour décrit par les repères figurant dans le tableau 6. Tableau 6 : Coordonnées géographiques des limites du terroir d'Assomé
Sur la base de ces coordonnées géographiques relevées, une carte précisant les limites du terroir d'Assomé a été établie (carte 5).
80 : Terroir d'Assomé Cette carte présente explicitement les limites du terroir d'Assomé. Cependant, la réalité sur le terrain est tout autre. En effet, à la lumière de ce qui est dit plus haut, ces limites territoriales sont plus généralement jalonnées par des pourtours flous que marquées par des frontières précises. Seul le lit du Zio constitue son unique limite tangible, les autres sont imprécises et varient dans l'espace selon que celui qui les fixe, maîtrise ou non l'étendue du domaine foncier villageois. Le caractère imprécis des limites est la source de litiges fonciers entre les propriétaires des terres se trouvant de part et d'autres de ces limites que d'ailleurs on n'arrive pas à bien déterminer. Dans les zones d'extraction, du fait de l'enjeu économique, ces litiges fonciers s'exacerbent et se transforment parfois en conflits et en affrontements. Le cas de la situation conflictuelle qui prévaut aujourd'hui, entre le clan AGBALETI d'Assomé et la communauté deDavié-Djogbé à propos des terres de carrières de gravier limitrophes des deux terroirs dans le sud-est d'Assomé, en est révélateur. Malgré la décision de justice en défaveur du clan Agbaléti d'Assomé celui-ci n'est pas prêt à obtempérer vis-à-vis des terres qu'il conçoit comme appartenant à ses ancêtres. Ce qui a instauré un climat méfiance de la communauté de Davié-Djogbé à l'égard de la population d'Assomé. Outre ces litiges fonciers frontaliers, on rencontre à l'intérieur même du terroir d'Assomé beaucoup de litiges fonciers au sein des différents clans suite à la désorganisation des modes ancestrales de gestion du patrimoine foncier. En effet, le droit foncier coutumier en vigueur conférait à tous les membres d'une collectivité le droit d'usufruit sur les parcelles de cette collectivité.La propriété était alors perçue comme un patrimoine commun qu'il faut défendre contre d'éventuels usurpateurs.Aussi la gestion de l'exploitation de la terre se faisait-elle à travers un système parcellaire traditionnel. Les limites des parcelles sont matérialisées par une espèce d'arbre appelée « agnati ou lipoti »4(*). Cependant, la vulgarisation de la rente foncière rurale, l'émergence de l'esprit individualiste induit par « l'économie capitaliste », l'essor de l'extraction de gravier etles intérêts économiques et financiers qu'elle représente,viendront mettre fin à cette gestion collective de la terre. Désormais, c'est la course à l'appropriation individuelle des terres. Dans ces conditions, certains responsables ou membres des collectivités vendent clandestinement, à l'insu des autres membres, des portions du patrimoine commun à des exploitants de gravier ou des étrangers. Ce qui engendre souvent des litiges fonciers fratricides. Cette situation a amené à la parcellisation des terres au nombre de familles qui composent les collectivités. Désormais chaque père de famille a la responsabilité de ses terres qu'il lègue à ses enfants par héritage. Le constat met ainsi à jour un quadrillage administratif imprécis, dû au laxisme des structures de l'Etat notamment la Direction de la Cartographie Nationale et du Cadastre (DCNC) qui ne possède pas les capacités juridiques et les compétences adéquats pour déterminer les limites des entités villageoises à l'instar d'Assomé et pour gérer les patrimoines fonciers relevant de leurs autorités. * 4 Lipoti : se compose de « lipo » qui veut dire limite et « ati » qui désigne un arbre. |
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