Partie 3 : Limites et carences de la politique actuelle
d'achats publics responsables
Si l'achat responsable et durable répond à un
véritable mouvement de société, ce n'est pas chose
aisée que de trouver le bon équilibre entre introduction d'un
critère devenu réglementaire et sa mise en pratique. A date, la
commande publique durable semble toutefois " patiner " et avoir du mal à
décoller, signe de certains dysfonctionnements ou, tout du moins, d'un
fonctionnement à deux vitesses. Focus sur les écueils du
système.
La législation sur les marchés publics
présente en matière de développement durable
des limites intrinsèques et révèle des
incertitudes, notamment quant à la compatibilité légale et
la faisabilité opérationnelle d'insérer de tels
critères. En effet, un marché public doit pouvoir être
exécuté par tout type de soumissionnaire, sans discrimination -
notamment géographique. Or, certaines conditions
d'exécution63 durables peuvent entraîner une forme de
préférence locale, si l'on tient compte - par exemple - des
réductions d'émissions occasionnées (un soumissionnaire
dont le centre de distribution est situé à proximité de
l'établissement de santé-adjudicateur sera naturellement
favorisé). Dans quelle mesure l'acheteur public ne se trouve-t-il pas
face à des injonctions contradictoires ? D'un côté, les
politiques publiques ne doivent pas être l'outil d'un protectionnisme
« vert » ou « bleu » et, de l'autre, l'intégration
de conditions d'exécution à visée sociale et/ou
environnementale pourrait constituer un moyen efficace de garantir la
performance durable d'un soumissionnaire, sur le long terme64.
Individuellement, chaque pouvoir adjudicateur doit aujourd'hui trancher ce
débat et relever le défi d'une évaluation
équitable, à l'équilibre entre respect des principes
fondamentaux de la commande publique, incitation à l'innovation
responsable et éthique de l'acheteur.
Dans les faits, l'acheteur public manque
cruellement de soutien politique et administratif. En
2011, l'étude menée par l'Observatoire Economique de l'Achat
Public révélait qu'un peu plus d'1/3 des acheteurs était
en mesure d'identifier une personne portant la démarche
développement durable au sein de son organisation. D'après le
Baromètre « Santé durable » 2015, 2
établissements de santé sur 3 identifieraient aujourd'hui au
moins une personne chargée de ces questions...mais son positionnement
dans les services recouvre des réalités très
différentes, d'un établissement à l'autre65.
Devant l'ampleur du chantier, ces chiffres sont malheureusement trop faibles.
D'autant plus quand on sait la place que les achats responsables et durables
occupent dans le nouveau Plan National d'Action pour les Achats Publics
Durables 2015-2020 (2ème chantier prioritaire). Il
conviendrait donc d'inciter les
63 Article 14 du Code des Marchés Publics
64 Proposition n° 5 du Rapport fait au nom de la
commande publique, par Philippe Bonnecarrère et Martial Bourquin
65 SQUAREMETRIC, 8ème édition
du Baromètre Santé durable (2015).
24
|
« L'achat public responsable a-t-il vocation à
soutenir
la performance globale du système de santé ?
» | MBA MARPO 2014-2015
|
décideurs à repenser le positionnement du
processus achat dans leur organisation et, d'une certaine façon, les
encourager à " se donner les moyens de leurs ambitions ".
Par ailleurs, l'acheteur public manque temps.
Si elle est nécessaire, l'évaluation de la performance durable
d'un soumissionnaire est un processus chronophage, tant pour le pouvoir
adjudicateur que les candidats. Dans un contexte déjà
extrêmement contraint, où il dispose de peu de ressources
(financières et humaines), difficile pour un acheteur de nier cette
sensation de saturation et de dispersion dans des tâches qui semblent si
éloignées de l'acte d'achat, tel qu'il lui a été
enseigné. Certains pourront également avoir l'impression d'un
ratio temps passé-bénéfice dégagé peu
efficace, consacrant ainsi du temps à des questions " accessoires " sur
des marchés dont l'impact environnemental ou social reste minime.
Pourtant, il est indispensable non seulement de prendre le temps de cette
évaluation, mais aussi de piloter la démarche d'achats publics
responsables et durables. Car seuls la mesure, le suivi et le pilotage
permettront de mesurer les gains liés à l'inclusion de clauses
sociales et environnementales à la commande publique. A date, selon les
résultats de la 8ème édition du
Baromètre « Santé durable », seul 1
établissement de santé sur 3 calcule le retour sur investissement
de ses actions de développement durable66. C'est dire si la
démarche est confrontée à une réalité forte
de scepticisme !
Mais le bilan économique net de l'insertion des clauses
environnementales et sociales est également complexe à
établir, parce que l'achat responsable et durable est encore
vécu comme un surcoût. Plus de démarches, plus de
temps, plus de budget...pour un marché finalement réduit, voire
une qualité douteuse : les clichés ont la peau dure. Pour
beaucoup, minimiser le coût d'acquisition et réduire l'impact
environnemental et/ou social d'un bien ou service acquis sont deux objectifs
antagonistes, entre lesquels l'acheteur public doit arbitrer67. Or,
le défaut d'informations quant au prix de revient réel de ce bien
ou service (i.e. son coût global, tout au long du cycle de vie) ne permet
pas fondamentalement à l'acheteur d'effectuer son choix en
considérant l'ensemble des éléments... Un autre aspect da
la problématique est que, pour réfléchir en coût
complet, il faut pouvoir rendre compte les gains réalisés sur une
base pluriannuelle ; mais les établissements de santé ont un
cadre comptable et budgétaire calé sur un rythme annuel. Enfin,
en ces temps caractérisés par de fortes tensions
budgétaires, tout surcoût à court-terme - même s'il
garantit des économies globales sur le moyen ou le long-terme - reste
controversé.
La plupart des acheteurs publics continuent d'être
considérés comme de seuls opérateurs économiques. A
ce jour, ce ne sont des experts ni en environnement ni en pratiques socialement
responsables. Et les agents techniques en charge de ces questions ou encore
les
66 SQUAREMETRIC, 8ème édition
du Baromètre Santé durable (2015).
67 MARTY Frédéric, « Les
clauses environnementales dans les marchés publics : perspectives
économiques » (working paper, 2012) faisant
référence à une étude d'Appoloni et al., (2011).
25
|
« L'achat public responsable a-t-il vocation à
soutenir
la performance globale du système de santé ?
» | MBA MARPO 2014-2015
|
directions juridiques des établissements de
santé n'ont, quant à eux, pas de réelle vision globale des
implications d'une démarche d'achats responsables sur l'ensemble de
l'organisation. En d'autres termes, un déficit de connaissances
et de formation caractérise la commande publique durable. Au vu
du cadre rigoureux de l'achat public, en l'absence de formation initiale ou de
" mode d'emploi unique " pour les achats responsables, nul ne saurait reprocher
aux représentants du pouvoir adjudicateur une certaine
modération, voire un attentisme sur le sujet. Pour autant, cela ne doit
pas être un prétexte à l'inaction. Et à l'image du
guide élaboré par le GEM-PS, des supports pédagogiques
existent déjà, présentant des exemples concrets et le
droit en vigueur. « L'achat durable va bien au-delà de l'impact
positif sur les plans environnemental et social. Il valorise le travail de
l'acheteur et représente une vraie source de motivation
supplémentaire pour [contribuer à la performance globale de
l'organisation].68 »
Ce qu'il faut retenir
Il ne suffit pas d'inscrire le développement durable
dans le droit de la commande publique pour que les établissements de
santé du territoire pratiquent, du jour au lendemain, les achats
responsables. Face à un tel changement de paradigme, il est
indispensable d'accompagner les acheteurs publics (cycles de formation continue
et intégration au cursus initial), de procéder à une mise
en cohérence des intentions et de la politique d'allocation des
ressources (temps, Homme, cycles de formation), et de fixer des objectifs
opérationnels, par familles de produits de santé.
68 (voir réf. ci-dessus)
26
|
« L'achat public responsable a-t-il vocation à
soutenir
la performance globale du système de santé ?
» | MBA MARPO 2014-2015
|
|