Chapitre I : L'inclusion de clauses environnementales et
sociales dans les marchés publics : naissance, évolution et
perspectives en matière d'achats publics responsables
Partie 1 : L'inclusion de clauses environnementales et
sociales dans les marchés publics
1. a. Historique et contexte
Impulsée par l'Agenda 21,
adopté à l'issue du Sommet de la Terre, l'idée d'une
politique nationale d'achats publics durables remonte au début des
années 90 : « les gouvernements eux-mêmes jouent (...) un
rôle dans la consommation, notamment dans les pays où le secteur
public représente une part importante de l'économie, et peuvent
avoir une influence considérable tant sur les décisions des
entreprises que sur les perceptions du public. Ils devraient donc
réexaminer les politiques d'achat de fournitures de leurs organismes et
départements afin d'améliorer si possible l'élément
environnemental de leurs procédures d'acquisition, sans préjudice
des principes du commerce international » 6 . Certaines
collectivités françaises adoptent alors un Agenda 21
local au sein duquel les marchés publics sont perçus
comme un moyen de faire évoluer les comportements d'achat et de donner
une nouvelle direction à l'économie. Les effets de ces politiques
éparses dites « de verdissement » de l'administration,
où le prix ne serait plus le seul critère de choix,
s'avèrent cependant très limités.
Il faudra attendre près d'une décennie pour que
la Commission européenne fixe les conditions d'intégration des
considérations environnementales dans les procédures de passation
des marchés publics7. Une année supplémentaire
pour que les chefs d'Etat, lors du Sommet mondial pour le
développement durable de Johannesburg (2002) et forts d'une
prise de conscience des dangers engendrés par l'activité
économique mondiale, évoquent à leur tour
l'opportunité de « marchés publics écologiques
».
Le 3 juin 2003, à travers sa Stratégie
Nationale de Développement Durable, la France propose une
vision plus exhaustive et adopte un programme d'actions " Vers un Etat
exemplaire ", reflet d'une volonté d'éco-responsabilité de
l'Etat. Il est fait référence à « l'achat public
durable » en tant qu'un ensemble d'exigences, spécifications
et critères en faveur de la protection et de la mise en valeur de
l'environnement, du progrès social et favorisant le développement
économique, notamment par la recherche de l'efficacité,
d'amélioration de la qualité des prestations et d'optimisation
complète des coûts.
L'année suivante, alors que le Parlement
européen et le Conseil de l'UE complètent et renforcent le cadre
juridique existant, en appuyant fortement l'intégration des
critères
6 Paragraphe 4.23, inscrit au chapitre 4 «
Modification des modes de consommation ».
7 Communication interprétative de la Commission
du 4 juillet 2001 sur le droit communautaire applicable aux marchés
publics et les possibilités d'intégrer des considérations
environnementales dans lesdits marchés.
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environnementaux8, le Code des
Marchés Publics français rend enfin possible
l'intégration de critères environnementaux et sociaux aux
différents stades de la passation d'un marché public. En 2006, la
notion de « développement durable » est quant à elle
explicitement intégrée au CMP9.
Dès 2004, l'acheteur public français est donc
tenu de prendre en compte les objectifs du développement durable, lors
de la définition des besoins (article 5 du CMP) et dans les
conditions d'exécution d'un marché ou d'un accord-cadre
(article 14 du CMP). Afin de l'accompagner dans cette démarche,
l'article 132 du CMP prévoit la possibilité de créer des
groupes d'étude des marchés (dits « GEM »). Le Groupe
d'étude des marchés Développement durable-Environnement
(ou GEM-DDEN) voit ainsi le jour, avec pour mission d'élaborer des
documents pratiques, juridiquement sûrs, destinés à aider
l'acheteur public à intégrer ces enjeux - essentiellement
environnementaux - dans ses marchés. Concernant le volet social, le Code
des Marchés Publics reprend en 2006 les dispositions introduites par la
Loi de Programmation pour la Cohésion sociale, dite « Loi Borloo
»10, et offre au pouvoir adjudicateur la possibilité de
faire prévaloir les questions d'insertion professionnelle lors de
l'évaluation des offres.
Cette même année, la France adopte son
1er Plan National d'Action pour des Achats Publics
Durables11, réaffirmant sa volonté d'inscrire
le développement durable au sein de la commande publique.
Deux ans plus tard, à travers l'adoption du
Grenelle de l'environnement12, le gouvernement
français élargit le débat écologique et responsable
à l'ensemble de la société. Le sujet se
démocratise, en quelque sorte.
Plusieurs Conventions d'engagement mutuel volontaire
voient le jour, co-signées par le Ministère de
l'Ecologie, du Développement et de l'Aménagement durables, et des
représentants sectoriels. En octobre 2009, la Fédération
Hospitalière de France - aux côtés de la
Fédération des cliniques et hôpitaux privés de
France (FHP), de la Fédération des établissements
hospitaliers et d'aide à la personne (FEHAP) et du groupe Unicancer -
s'engage ainsi dans une démarche volontaire pour promouvoir le
développement durable au
8 « Les pouvoirs adjudicateurs peuvent contribuer
à la protection de l'environnement et à la promotion du
développement durable tout en leur garantissant la possibilité
d'obtenir pour leurs marchés le meilleur rapport qualité/prix
» (Directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du
31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des
marchés publics de travaux, de fournitures et de services ; et Directive
204/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant
coordination des procédures de passation de marchés dans les
secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services
postaux).
9 Directive n°2006-975 du 1er août 2006 portant Code
des Marchés Publics, JO 4 août 2006.
10 Loi de Programmation pour la Cohésion
sociale du 18 janvier 2005.
11 Adopté le 1er août 2006.
12 La Loi Grenelle I prévoit un recours
croissant, dans les marchés publics des administrations, aux
critères environnementaux et aux variantes environnementales, ainsi
qu'un certain nombre d'objectifs par familles d'achats.
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sein des établissements de santé et
médico-sociaux, en tant que composante de leur management et de leurs
relations avec leurs parties prenantes.
Une partie de ces acteurs n'en est pas à ses
débuts, puisqu'à travers la création du
Baromètre du développement durable en
santé13, les fédérations
hospitalières offrent aux établissements de santé et
médico-sociaux la possibilité de mesurer gratuitement, via une
autoévaluation annuelle, leur performance en matière de pratiques
responsables. Et ce, à travers neuf grands thèmes : le pilotage
de leur démarche DD ; leur communication ; leur responsabilité
sociale ; leur politique d'achats ; la construction et la rénovation des
bâtiments ; leur gestion de l'eau et de l'énergie ; l'informatique
verte ; leur gestion des déchets ; les transports et
déplacements.
Le véritable tournant dans l'évolution et la
structuration des pratiques des établissements de santé
français n'a lieu qu'en 2010, lorsque la Haute Autorité de
Santé (HAS) décide d'intégrer une série
d'injonctions vers des pratiques dites « responsables » dans son
Manuel de certification - V2010. Dans le cadre de
l'évaluation externe des établissements de santé publics
et privés14, ces derniers doivent soumettre leurs pratiques
à un audit portant sur le niveau des prestations et soins
délivrés aux patients, ainsi que sur la dynamique
d'amélioration de la qualité et de la sécurité des
soins mise en oeuvre.
Largement inspirée du contexte réglementaire
européen et national et afin que la procédure de certification
puisse attester l'existence de pratiques efficientes et pérennes, la HAS
inscrit le développement durable dans huit critères du Chapitre 1
- « Management de l'établissement ».
Références
|
Critères
|
Dénomination
|
Référence 1
|
Stratégie de l'établissement
|
Critère 1b
|
Engagement dans le développement durable
|
Référence 3
|
La gestion des ressources humaines
|
Critère 3d
|
Qualité de vie au travail
|
Référence 6
|
La gestion des fonctions logistiques et des
infrastructures
|
Critère 6f
|
Achats éco-responsables et approvisionnements
|
Référence 7
|
La qualité et la sécurité de
l'environnement
|
Critère 7a
|
Gestion de l'eau
|
Critère 7b
|
Gestion de l'air
|
Critère 7c
|
Gestion de l'énergie
|
Critère 7d
|
Hygiène des locaux
|
Critère 7e
|
Gestion des déchets
|
Tableau récapitulatif des injonctions responsables
dans le Manuel de certification V2010 de la HAS
13 Le Baromètre du développement durable
en santé - aujourd'hui « Baromètre Santé durable
» - a été créé en 2007 par la FHF, la FEHAP,
l'EHESP et la société PG Promotion.
14 La certification des établissements de santé
étant pratiquée depuis 1999.
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la performance globale du système de santé ?
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En octobre 2011, pour porter la dynamique nécessaire
à l'essor et à la structuration de la fonction achats au sein des
établissements de santé et médico-sociaux en France, un
programme national est lancé par la Direction Générale de
l'Offre de Soin (DGOS). Baptisé " Performance
hospitalière pour des achats responsables " (PHARE), ce
programme a pour objectif de dégager des « économies
intelligentes », c'est-à-dire mieux acheter pour donner des
marges de manoeuvre supplémentaires aux hôpitaux, dans un contexte
général de réduction budgétaire. Tout cela, en
conservant bien entendu le niveau de qualité de prise en charge des
patients et de sécurité des soins.
Parce qu'ils ne sont pas contradictoires avec la performance
économique et partagent au contraire le même
objectif15, les achats éco-responsables ont toute leur place
dans ce programme et sont même aujourd'hui au coeur de la
5ème vague du projet Armen, lancée en octobre
201516. Ils sont également l'enjeu clé du
Guide pour les achats durables appliqués aux produits de
santé, qui compte parmi les principaux
référentiels en matière d'intégration du
développement durable dans les marchés publics et qui a
été rédigé par le Groupe d'Etude des Marchés
de Produits de Santé (GEM-PS)17.
Ce qu'il faut retenir
Si l'Europe et la France se sont engagées en faveur de
l'intégration du développement durable dans la commande publique,
ces efforts ont été dispersés sur une vingtaine
d'années, avec une accélération notable sur cette
dernière décennie.
Quant à la confusion récurrente entre ambitions
d'achats dits « environnementaux » et injonctions à
réaliser des achats « responsables et durables », force est de
constater que les autorités manquent de clarté voire
d'objectivité sur leurs intentions et les moyens qu'elles sont
réellement prêtes à allouer à l'atteinte de ces
objectifs.
15 DirectHopital, « Achats hospitaliers :
la performance économique et les critères sociaux et
environnementaux ne sont pas "contradictoires » (article par Morgan
Bourven, 15 octobre 2015)
16 Le projet Armen consiste, dans le cadre du
programme PHARE, à identifier des opportunités de gains, par
vagues de 10 domaines sur une durée de 3 mois.
17 La version 1.0 du Guide GEM-PS a
été publiée en juillet 2011. La dernière version de
ce référentiel (3.0) a été publiée en mars
2013.
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