PREMIERE PARTIE : LES FONDEMENTS
SOCIOLOGIQUES, JURIDIQUES ET POLITIQUES DE L'ACTION DES ORGANISATIONS
INTERNATIONALES NON GOUVERNEMENTALES DANS LA REGION CENTRE
DU CAMEROUN
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La solidarité humaine est aussi vielle que le monde.
Elle a toujours existé aussi bien sous des formes peu organisées
que structurées. La première a été à la base
de l'assistance apportée aux membres d'une communauté, d'un corps
professionnel, lorsque ceux-ci étaient frappés de malheur
(guerres, catastrophes, famines ...). Elle évolua pour dépasser
ce cadre restreint et prend une dimension nationale, voire transnationale.
La fin des années 1950 marque l'indépendance de
nombreux pays du Sud, dont le Cameroun, qui entrent dans la scène
internationale. Ces jeunes Etats, certes indépendants, ont des multiples
besoins socio-économiques à satisfaire et interpellent à
cet effet les pays du Nord par rapport à leur faible niveau de
développement. Les Nations Unies réagissent en créant des
programmes et organisations visant à combler ce déficit. Les pays
du Nord réagissent en mettant en place des agences de coopération
au bilatérale en vue d'apporter leur assistance au développement
de ces Etats. Parallèlement, la société civile du Nord
manifeste un élan de solidarité à l'égard des
populations vulnérables du Sud et les organisations non gouvernementales
d'origine occidentale s'installent progressivement en Afrique en vue de venir
en aide aux populations défavorisées. Les premières
s'installent au Cameroun dans les années 1960 et y mènent
jusqu'à nos jours de nombreuses actions d'intérêt
général.
Aujourd'hui, les ONG internationales représentent des
acteurs de grande importance du processus de développement au Cameroun.
Alors, l'on est en droit de questionner le soubassement de cette oeuvre
humanitaire.
Dans cette première partie de notre travail, nous
examinerons les fondements sociologiques (Chapitre 1) ainsi que les fondements
juridiques et politiques (Chapitre 2) qui constituent la base de l'intervention
des ONG internationales au Cameroun.
![](tat-des-lieux-de-l-oeuvre-des-ONG-internationales-dans-la-region-centre-du-Cameroun-de-1960--2017.png)
CHAPITRE I : LES FONDEMENTS SOCIOLOGIQUES DE
L'OEUVRE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES NON GOUVERNEMENTALES DANS LA
REGION DU CENTRE DU CAMEROUN
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INTRODUCTION
L'histoire de la solidarité internationale a
montré une évolution singulière de la conception et
même des pratiques liées à cette activité. Ceci a
permis de voir émerger une multitude de sources allant des
considérations historiques à celles plus contemporaines qui
mettent en exergue entre autres la religion, la philanthropie, la philosophie,
la sociologie, le droit international et l'exigence de coopération
internationale. Une étude pertinente de cette solidarité
internationale suppose une organisation logique et cohérente de ces
divers fondements. D'un point de vue sociologique, l'oeuvre des ONG
internationales au Cameroun et notamment dans la région du Centre,
serait fondée d'une part sur une nouvelle conception qu'ont les
occidentaux de la solidarité humaine (I) et d'autre part sur
l'émergence de la notion de « communauté internationale
» (II).
Section I) L'évolution de la solidarité
humaine
Basée à l'origine sur des convictions
religieuses et donc perçue comme l'obéissance à une
prescription divine, la solidarité humaine fait l'objet d'une autre
conception à partir d'une certaine époque. Alors que
l'industrialisation et l'urbanisation s'accéléraient en Occident,
convaincue de la supériorité de sa civilisation, l'Europe du
XIXe siècle chercha à exporter les bienfaits de
l'éducation, du progrès technologique et de la science, mettant
en place de grands programmes de développement dans les pays du Sud.
C'est ainsi que l'opinion publique occidentale construite par le « fardeau
de l'homme blanc » du poète et écrivain britannique
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Rudyard KIPLING22 aurait contribué de
manière significative à l'émergence des OING et à
leur déploiement au-delà des frontières de leurs pays
d'origine. L'action humanitaire des métropoles occidentales, si elle
aboutît à une soumission politique et culturelle, se
prévalut d'un réel progrès sanitaire par un travail
médical important. L'oeuvre des ONG internationales au Cameroun
trouverait ainsi son soubassement sur l'approche traditionnelle de la
solidarité (A) et l'opinion publique occidentale (B).
Paragraphe A) L'approche traditionnelle de la
solidarité
Historiquement, face aux malheurs que sont famines,
épidémies, guerres et catastrophes, l'aide s'exerça avant
tout dans le cadre de la famille élargie ou patriarcale. Cette
assistance, primordiale dès l'organisation des premières
sociétés, a progressivement échappé au regard
scientifique des historiens dont la curiosité s'était de plus en
plus focalisée sur d'autres formes d'assistance plus visibles, car plus
organisées et institutionnalisées. En effet, dès
l'antiquité, la première assistance « étatique »
est instaurée par l'Empire romain. Au Moyen âge, dans les villes,
émergea une sociabilité professionnelle basée sur le
principe d'entraide entre les membres d'un même corps de métiers.
Progressivement, cette sociabilité s'est étendue au delà
du cadre professionnel pour s'intéresser aux membres de familles des
collègues, puis aux pauvres de la cité. Bien qu'exceptionnel, ce
lien entre assistance mutuelle et statut professionnel fut le support essentiel
de l'actuel système de solidarité sociale.
Toutefois, c'est avant tout l'Eglise qui développa et
expérimenta les premiers dispositifs d'assistance. Et, au Moyen
âge, si l'Eglise prit en charge la souffrance humaine, c'est non
seulement parce qu'elle resta jusque là la seule organisation unitaire
après la chute de Rome, mais aussi parce que la charité est l'une
des vertus essentielles prônées par la religion
chrétienne.
Par ailleurs, à cause de sa complexité,
l'histoire de l'humanité n'est pas rectiligne. Plusieurs facteurs ont
contribué - au cours de diverses périodes - à une
modification de la structure internationale. Comme nous l'avons dit plus haut,
les philosophes des Lumières, qui fondent leur réflexion sur la
raison plus que sur la religion, dotent l'homme du devoir de lutter contre les
inégalités sociales et de défendre la solidarité et
le progrès. Il ne s'agit plus seulement de soulager les souffrances des
démunis, mais de contester l'ordre établi, de refuser les
injustices
22 KIPLING Rudyard, The white
man's burden: the United States and the Philippine Islands, in McClure's
Magazine, vol. 12, no 4, 1899, p. 290.
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du monde. L'obligation d'assister les pauvres n'a plus de
fondement exclusivement religieux, mais puise également son origine dans
l'humanisme et la philanthropie. Au XVIIIe siècle, la
pauvreté n'est désormais plus perçue comme un vice
individuel, mais comme une faille du « contrat social »
rousseauiste.23 Fort de cette nouvelle orientation, durant le
XIXe siècle, des mouvements mutualistes instituèrent
la solidarité et la prévoyance avec pour principes, de distribuer
une aide aux plus démunis et d'apprendre à la population à
prévoir les aléas de la vie.
Le président Harry Truman, s'adressant au
Congrès américain le 20 janvier 1949 reconnaît que
l'hémisphère Nord de la planète est le siège du
progrès technologique, tandis que l'hémisphère Sud est
sous-développé, incapable d'améliorer la production
conformément à l'idée d'une croissance illimitée et
irrépressible. Par ailleurs, il affirma qu'il était temps
d'entamer un ambitieux programme mondial en vue de l'exploitation des avantages
du progrès technologique occidental, afin d'éliminer les
souffrances de nombreux peuples qualifiés de
sous-développés. Ce fut également le début de
l'ère de la coopération internationale au
développement.24 C'est ce besoin de transposer les fruits de
leur développement technologique aux pays pauvres qui fit naître
chez les occidentaux le sentiment du devoir de contribuer à
l'émergence des pays du Sud.
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