2. OSWIECIM ET LA PATRIMONIALISATION
2.1. Genèse du patrimoine
« Le patrimoine...
Une notion qui attire et provoque à la fois.
Le patrimoine est notre bien commun, mais il
apparaît aussi comme le reflet d'une élite de connaisseurs ou de
possédants. Le patrimoine est une part de nos rêves et en
même temps la marque d'un passé, parfois rejeté.
Une notion profondément paradoxale en somme, et ce
paradoxe n'a cessé de croître jusqu'à
l'ambiguïté : quand tout devient patrimoine, quel sens
précis,
profond, faut-il donner à ce mot ? »22
Le concept de patrimoine est une notion qui a connu une
certaine évolution, tout d'abord de manière juridique mais aussi
de façon plus générale et dans de nombreux domaines tel
que le patrimoine culturel, économique, biologique, médicinal ou
encore dans la nature comme par exemple le patrimoine géologique.
Aujourd'hui, le patrimoine tend vers une dimension du « tout patrimonial
» où le moindre objet ancien est considéré comme
patrimoine. C'est donc cette explosion de la notion, où certains y
voient plutôt une inflation23, qui en fait un concept
difficile à cerner et à définir qui s'applique ainsi
à des situations en tout genre. Il est donc important de tenter de
définir et de préciser sa signification.
En remontant à ses sources étymologiques, le
patrimoine, qui vient du mot latin Patrimonium concept
dérivé de pater et traduit littéralement «
celui qui vient du père », désigne, dans cette
première définition, le bien d'héritage qui descend,
suivant la loi, des pères et des mères.24 CHOAY et
MERLIN poussent la définition en disant que « sous la double
poussée de l'historicisme et surtout la prise de conscience des dangers
et menaces engendrés par l'industrialisation, l'urbanisation
22 Dominique AUDRERIE, La notion et la protection du
patrimoine, Presses Universitaires de France, Paris, 1997, Page 2.
23 Alain CHENEVEZ, « La demande sociale de patrimoine
», Patrimoine culturel et collectivités territoriales,
sous la direction de Patrick Le Louarn, Presses Universitaires de Rennes,
Rennes, 2010, Page 79.
24 Pierre LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du
XIXème siècle, Paris, Volume 12, 1877, Page 408.
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et les nuisances qui en sont solidaires, ce terme en est venu
à désigner la totalité des biens hérités du
passé. »25 Cette vision du patrimoine est celle qui est
appliquée par les sociétés traditionnelles où la
famille est au centre de la vie sociale. D'après Krzysztof
Pomian26, la naissance de la notion de monuments historiques nous
vient de l'Italie vers 1420 et plus particulièrement de Rome. A cette
époque de la Renaissance, un nouveau groupe d'intellectuels, les
humanistes, se créé autour de leur passion des ruines antiques
disparues. Ce serait donc grâce à eux que cette notion existe.
Jean-Pierre Babelon et André Chastel ont une autre explication quant
à l'origine de cette notion qui viendrait du « fait religieux
» et du « fait monarchique ».27 Pour eux, elle
tirerait son origine du Moyen-Age, où, à cette époque des
réflexions se développent déjà sur la sauvegarde et
la préservation de certains objets de valeurs tels que les reliques des
saints, les archives religieuses et royales, les édifices anciens ou
encore le contenu des bibliothèques royales et
religieuses.28
Le patrimoine historique quant à lui est plutôt
récent dans la langue française. Effectivement, il apparaît
en 1789, après la Révolution Française durant laquelle de
nombreux bâtiments ont été détruits de
manière aveugle. Le peuple s'indigne et rentre dans une réaction
que l'on pourrait caractériser de pédagogique et sociale. Le
conseil des bâtiments civils est alors créé et, grâce
à ce conseil, des bâtiments anciens commencent à être
classés. Mais ce n'est qu'à partir de 1837 où la
Commission des monuments historiques commence à donner des avis et des
orientations sur les interventions à faire sur les monuments de
l'État ou ceux qui sont classés.29 C'est donc à
ce moment là que va se mettre en place le processus de
patrimonialisation.
25 Françoise CHOAY et Pierre MERLIN, Dictionnaire
de l'urbanisme et de l'aménagement, Presses Universitaires de
France, Paris, 1988, Pages 471/472.
26Krzystof POMIAN, « Musée et patrimoine »,
Patrimoines en folie, Éditions de la Maison des sciences de
l'homme, Paris, 1990, Page 180. Krzystof Pomian est un philosophe, historien et
essayiste franco-polonais. Il est également chercheur au CNRS depuis
1980.
27Jean-Pierre BABELON et André CHASTEL, La notion
du patrimoine, Éditions L.Lévi, Paris, 1994, Pages 13
à 26. Tout deux historien français spécialisés dans
la Renaissance italienne.
28 Ibid., Pages 27 à 48.
29 Les monuments historiques, Monuments historiques et sites
patrimoniaux remarquables, [En ligne],
https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiques-Sites-patrimoniaux-remarquables/Presentation/Les-monuments-historiques,
(Page consultée le 08/01/20).
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Suite à ces grands changements, plusieurs lois, labels
et chartes furent mis en place pour protéger le patrimoine à
travers le monde. Les chartes du XXème siècle sont les plus
importantes et il est donc nécessaire de faire un rapide point dessus
:
· La Charte d'Athènes pour la Restauration des
Monuments Historiques vit le jour en octobre 1931. Cette charte fut
adoptée lors du premier conseil international des architectes et
techniciens des monuments historiques. Il ressort de ce conseil sept
résolutions, qui sont, je cite :
« 1. Des organisations internationales prodiguant des
conseils et agissant à un niveau opérationnel dans le domaine de
la restauration des monuments historiques doivent être
créées.
2. Les projets de restaurations doivent être soumis
à une critique éclairée pour éviter les erreurs
entraînant la perte du caractère et des valeurs historiques des
monuments.
3. Dans chaque État, les problèmes relatifs
à la conservation des sites historiques doivent être
résolus par une législation nationale.
4. Les sites archéologiques excavés ne
faisant pas l'objet d'une restauration immédiate devraient être
enfouis de nouveau pour assurer leur protection.
5. Les techniques et matériaux modernes peuvent
être utilisés pour les travaux de restauration.
6. Les sites historiques doivent être
protégés par un système de gardiennage strict.
7. La protection du voisinage des sites historiques
devrait faire l'objet d'un attention particulière. »30
· La charte de Venise, crée en 1965, est tout
simplement la continuité de la Charte d'Athènes. De nombreux
pays, majoritairement européens, se sont réunis afin de revoir et
d'approfondir les principaux axes de la Charte d'Athènes. La Charte de
Venise permet d'étendre la notion de patrimoine aux sites urbains et
ruraux et ainsi de permettre la sauvegarde de sites vernaculaires. Elle
s'intéresse également à la sauvegarde et à la
restauration
30 La Charte d'Athènes pour la Restauration des Monuments
Historiques - 1931, ICOMOS conseil international des monuments et des
sites, [En ligne], h ttps://
www.icomos.org/fr/chartes-et-normes/179-articles-en-francais/ressources/charters-and-standards/425-la-charte-dathenes-pour-la-restauration-des-monuments-historiques-1931,
(Page consultée le 08/01/20).
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des objets artistiques que peut contenir un édifice.
Elle portera tout particulièrement son attention sur les sites
monumentaux où elle dit : « Les sites monumentaux doivent faire
l'objet de soins spéciaux afin de sauvegarder leur
intégrité et d'assurer leur assainissement, leur
aménagement et leur mise en valeur. Les travaux de conservation et de
restauration qui y sont exécutés doivent s'inspirer des principes
énoncés aux articles précédents. »31
· La Charte de Cracovie est la dernière et la
plus complète des trois, elle fut créée en l'an 2000. Elle
porte son intérêt sur tous les types de bâtis comme les
monuments historiques, les sculptures, les objets, la décoration
architecturale ou encore les villes/villages et les paysages. Elle dit
également que les types d'interventions, sur ces bâtiments,
peuvent être variés et comprennent l'entretien, la
réparation, la restauration, la rénovation et la
réhabilitation mais qu'il est avant tout important de garder leur
intégrité et leur authenticité. La Charte de Cracovie
autorise les nouveaux matériaux et les nouvelles technologies si ceux-ci
sont utilisés par des personnes qualifiées et testés avant
utilisation.32
En Pologne, le patrimoine est géré par le
« Programme national de protection et d'entretien des monuments
»33, il est mis en oeuvre par l'Inspecteur
général des monuments qui est sous la direction du
Ministère de la Culture et du Patrimoine National. Ce programme dirige
plusieurs domaines tels que la conservation des monuments, l'accès au
patrimoine, l'évaluation du potentiel de valorisation des ressources
ainsi que l'analyse SWOT.34 Il décide des objectifs, des
actions, des calendriers et des plans de financement à adopter pour la
gestion du patrimoine et également des organismes qui seront
responsables de chaque action. En Pologne, ce sont les autorités
administratives qui sont en charge de la protection des monuments
31Charte internationale sur la conservation et la restauration
des monuments et des sites - Charte de Venise 1964, ICOMOS conseil
international des monuments et des sites, [En ligne],
file:///C:/Users/UtilisateurPC/Downloads/Charte de Venise (1965).pdf,
(Page consultée le 08/01/20).
32The Charter of Krakow 2000 - Principles for conservation
and restoration of built heritage, SmartHeritage, [En ligne],
http://smartheritage.com/wp-content/uploads/2015/03/KRAKOV-CHARTER-2000.pdf
, (Page consultée le 08/01/20).
33Pologne, Le système HEREIN, Conseil de
l'Europe, [En ligne],
https://www.coe.int/fr/web/herein-system/poland,
(Page consultée le 27/01/20).
34SWOT (méthode d'analyse), Wikipédia,
[En ligne],
https://fr.wikipedia.org/wiki/SWOT
(m%C3%A9thode d %27analyse ) , (Page consultée le 27/01/20). SWOT
est l'acronyme de « Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats
». C'est un outil de stratégie qui traite les options
d'activités stratégiques permettant de déterminer les
facteurs favorables ou défavorables.
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mais ce sont les propriétaires et/ou gestionnaires qui
s'occupent de leur entretien. Ces derniers ont pour obligation de
réaliser des recherches scientifiques et de documentation afin
d'apporter les techniques les plus appropriées pour la conservation ou
la restauration du monument. Au niveau juridique, le programme comprend
plusieurs moyens de protection : « inscription au registre des monuments;
classement comme monument historique (par décret présidentiel);
établissement d'un parc culturel (protection des paysages culturels);
dispositions sur la protection des monuments dans le cadre d'un plan
d'aménagement local ou d'une décision concernant le choix d'un
site d'investissement public, un plan d'occupation des sols, l'octroi d'un
permis d'implantation d'une route, d'une voie ferrée ou d'un
aéroport; inventaire des monuments (identification des sites historiques
et base de données pour les objets). »35 Le financement
des monuments s'effectue par un système de cofinancement. D'abord par
l'État, et plus spécifiquement par le ministère de la
Culture et du Patrimoine national, qui met en place plusieurs programmes
efficaces puis par l'Union Européenne avec le programme «
Infrastructures et environnement »36 puis par l'Espace
Économique Européen37.
Fig.10 : Tableau explicatif de la politique du patrimoine
polonais
35Pologne, Le système HEREIN, Conseil de
l'Europe, [En ligne],
https://www.coe.int/fr/web/herein-system/poland,
(Page consultée le 27/01/20).
36Programme opérationnel « Infrastructure et
environnement », Commission Européenne, [En ligne],
https://ec.europa.eu/regional
policy/fr/atlas/programmes/2007-2013/poland/operational-pro
gramme-infrastructure-and-environment, (Page consultée le
27/01/20).
37L'Espace économique européen (EEE), la
Suisse et le Nord, Parlement européen, [En ligne],
https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/169/l-espace-economique-europeen-eee-la-suisse-et-le-nord,
(Page consultée le 27/01/20).
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Plusieurs programmes nationaux existent mais il y a aussi des
programmes opérationnels régionaux. Les programmes nationaux sont
dirigés par l'Inspecteur général des monuments qui a la
responsabilité d'élaborer le programme de protection des
monuments, doit maintenir le registre des biens volés et celui des
monuments nationaux, doit également faire respecter la loi sur la
protection du patrimoine mais aussi veiller à la protection des
monuments liés à l'histoire de la Pologne qui sont en dehors du
pays. Ensuite, dans chaque voïvodie38, un inspecteur est
validé par l'Inspecteur général des monuments. Cet
inspecteur a sensiblement la même tâche que l'inspecteur
général mais au niveau de sa voïvodie. Néanmoins
c'est à lui que revient l'élaboration des projets de protection,
en cas de conflit armé, dans sa voïvodie.
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