B/ Le problème de la souveraineté des
Etats membres de la CEMAC
Il est incroyable de constater à quel point la doctrine
s`est intéressée à la notion de
souveraineté131. Il est désormais unanime parmi Ces
auteurs que la caractéristique
128 Ibid.
129 NABLI (B), « L'union des Etats et les Etats de
l'union », op cit P 117.
130 NGUYEN QUOC DINH, DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU (M),
Droit international public, op cit, p 661.
131 La souveraineté est entendu premièrement
comme le caractère d`une puissance (summa protestas) qui n`est
soumise à aucune autre à l`instar de la souveraineté de
l`Etat, de la loi (puissance suprême et inconditionnée dans
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MENGUE Arsène Silvère 45
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propre de l`Etat c`est d`être souverain. La
souveraineté est le critérium, le trait distinctif de l`Etat, car
seul l`Etat peut être souverain132. Mais la notion de
souveraineté est polysémique. « Rien que dans le domaine
juridique, la souveraineté revêt une dizaine de significations
différentes, ce qui fait qu'il y a autant de théories de la
souveraineté que de disciplines et cela sans compter la diversité
qui existe à ce sujet dans chaque branche du droit
»133. Tout compte fait, il est impératif de
présenter la conception de la souveraineté selon le droit
international(1) avant de démontrer l`exercice de la
souveraineté pour l`Etat membre de la CEMAC au sein de la
communauté(2).
1) La conception de la souveraineté en droit
international.
Il faut dire au préalable que le principe de
souveraineté éclaire la distinction entre la sphère
intérieure de l`Etat et celle des relations internationales. Dans ce
sens, l`on distingue dans l`appréhension de la souveraineté, une
conception interne de la souveraineté134 et
externe135. La souveraineté désigne le
caractère suprême d`une puissance pleinement indépendante.
Elle désigne également la position qu`occupe dans l`Etat le
titulaire suprême de la puissance étatique et ici la
souveraineté est encore appelé souveraineté dans
l`Etat136 , à ce sujet, Jean BODIN affirmera que «
la souveraineté est ce pouvoir de commander et de contraindre sans
être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la terre
»137. La souveraineté arbore dans ce sens une
idée négative, dans la mesure où la souveraineté
devient la négation de toute entrave ou subordination. Sur le plan
interne la souveraineté de l`Etat fut
laquelle l`ordre international reconnait un attribut essentiel
de l`Etat mais qui est aussi reconnue, par exception, à certaines
entités). Deuxièmement c`est le caractère d`un organe qui
n`est soumis au contrôle d`aucun autre et se trouve investi des
compétences les plus élevées (la souveraineté dans
l`Etat). Voir CORNU (G), Vocabulaire juridique, PUF, dernière
édition mise à jour, 2006, p 121.
132 CARRE DE MALBERG (R), Contribution à la
théorie générale de l'Etat, librairie de la
société du recueil Sirey, tome premier, 1920, P 73.
133 Lider BAL, « Le mythe de la souveraineté
en droit international, la souveraineté des Etats à
l'épreuve des mutations de l'ordre juridique international »,
thèse de doctorat en droit international, université de
Strasbourg, 2012, p 20.
134 Ici la notion de souveraineté désigne non
pas une puissance mais bien une qualité une certaine façon
d`être, un certain degré de puissance. La souveraineté est
le caractère suprême d`un pouvoir : suprême en ce sens que
le pouvoir n`en admet aucun autre ni au dessus de lui ni en concurrence avec
lui. Quand donc on dit que l`Etat est souverain il faut entendre par la que
dans la sphère ou son auto détermination est appelé
à s`exercer, il détient une puissance qui ne relève
d`aucun autre pouvoir et qui ne peut être égalée par aucun
autre pouvoir. Voir CARRE DE MALBERG (R), Contribution à la
théorie générale de l'Etat, op cit p 70.
135 La souveraineté externe se manifeste dans les
rapports internationaux des Etats elle implique pour l`Etat souverain
l`exclusion de toute subordination, de toute dépendance vis-à-vis
des Etats étrangers. Dire les Etats sont souverains dans leurs relations
réciproques, cela signifie aussi qu`ils sont respectivement égaux
les uns aux autres, sans qu`aucun d`eux puisse prétendre juridiquement
à une supériorité ou autorité quelconque sur aucun
autre Etat. Voir CARRE DE MALBERG (R), Contribution à la
théorie générale de l'Etat, op cit, p 71.
136 Ibid. p78.
137 BODIN (J), Les six livres de la république
1583, version numérique, les classiques des sciences sociales, la
bibliothèque Paul-Emile-Boulet de l`université du Québec
à Chicoutimi, 1993, p 76.
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considérée pendant longtemps comme absolue,
beaucoup se refusant même de reconnaître l`hypothèse de
l`existence d`une souveraineté au plan international. LE FUR l`affirmera
lorsqu`il dit qu` « il n'existe pas à proprement parler de
souveraineté extérieure138». Pourtant
DESPAGNET relativisera en disant que le terme souveraineté devrait
être réservé pour l`intérieur et remplacé
à l`extérieur par celui d`indépendance. La
souveraineté interne c`est une autorité suprême parce
qu`elle ne possède pas une puissance inférieure au sein de
l`Etat. Ici la souveraineté exprime la puissance étatique la plus
haute existant à l`intérieur de l`Etat : elle est une summa
potesta139. Dans ce cas on verra très mal une
coexistence pacifique entre les Etats. Pourtant dans l`ordre juridique
international la souveraineté dite externe n`est que la
résultante de la souveraineté interne. En d`autres termes la
souveraineté externe est l`expression de l`existence de l`Etat.
Réciproquement la souveraineté interne n`est pas possible sans la
souveraineté externe140. De toute évidence, l`Etat est
le principal sujet du droit international parce qu`il est souverain. «
L'Etat sans souveraineté c'est la situation d'un Etat dont les
compétences internationales sont exercées par un autre Etat
»141 . Pour le droit international, la souveraineté
appartient à l`Etat et caractérise sa personnalité
juridique internationale142 et la nature de son pouvoir. La
souveraineté externe en droit international signifie
indépendance. Le Professeur DUPUY dira même que « si
l'indépendance est le critère de la souveraineté, la
souveraineté est le garant de l'indépendance
»143, la souveraineté, dans l`ordre juridique
international équivaut à la plénitude des
compétences susceptibles d`être dévolues à un sujet
de droit international. La souveraineté de l`Etat, à la
différence de la souveraineté dans l`Etat, dégage une
idée positive. D`une part, à l`intérieur, la
prérogative pour l`Etat d`édicter et d`imposer tout ce qu`il juge
utile, d`autre part, puissance extérieure de faire les actes qui
répondent à l`intérêt national144 . On
peut aussi relever deux caractéristiques fondamentales de la
souveraineté de l`Etat à savoir
138 LE FUR (L), Etat fédéral et
confédération d'Etats, 1896, réédition,
éditions panthéon amas, 2000, XVII-839P, cité par Lider
BAL, « le mythe de la souveraineté en droit international, la
souveraineté des Etats à l'épreuve des mutations de
l'ordre juridique international », op cit, p 22.
139 CARRE DE MALBERG (R), contribution à la
théorie générale de l'Etat, op cit p 72.
140 CHAUMONT (C), « recherche du contenu
irréductible du concept de souveraineté internationale de l'Etat
», p 13, cité par Lider BAL, « le mythe de la
souveraineté en droit international », op cit p
21.
141 Ibid. p 72.
142 Les attributions juridiques sont attachées à
la possession de la personnalité juridique : capacité de produire
des actes juridiques, de se voir imputer des faits illicites internationaux ;de
devenir membre et de participer pleinement à la vie des organisations
internationales ; d`ester en justice devant les juridictions et tribunaux
arbitraux internationaux ; d`exercer la généralité des
compétences territoriales et la plénitude des compétences
personnelles ; d`apprécier librement ( mais de bonne foi) l`existence,
le sens et la portée des droits et des obligations dont il est
titulaire. Voir DUPUY (PM), « l'unité de l'ordre juridique
international », op cit p 100.
143 Ibid. p 95.
144 CARRE DE MALBERG (R), contribution à la
théorie de l'Etat, op cit p 80.
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Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
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- L`identique souveraineté ou l`égalité
souveraine comme fiction juridique145. Le principe de
l`égalité souveraine signifie que tous les Etats ont les
mêmes obligations au sein de l`ordre juridique international. Il exprime
également, le fait que les Etats, quelque soit leur situation naturelle,
doivent recevoir de la part de cet ordre juridique, un traitement juridiquement
identique, il s`agit bel et bien d`une fiction, cependant d`une fiction
juridique c`est-à-dire un « procédé de technique
juridique consistant à supposer un fait ou une situation
différente de la réalité pour en déduire des
conséquences juridiques »146
- La souveraineté donne à l`Etat la
plénitude de la personnalité juridique dans l`ordre juridique
international147. L`Etat dispose d`un ensemble de
prérogatives inhérentes à sa qualité
d`entité juridique souveraine. Il faut cependant signifier que l`on
reconnaît à certaines organisations internationales la
personnalité juridique internationale. Mais il s`agit d`une
personnalité juridique fonctionnelle inhérente au principe de
spécialité qui est reconnue à toute organisation
internationale148.
Toutefois, la conception de la souveraineté dans
l`ordre juridique international devient problématique lorsque l`Etat est
obligé de la limiter, ou bien de la transférer pour coexister au
niveau international. La véritable question est celle de savoir si
l`Etat reste souverain après avoir contracté ou
transféré des compétences souveraines à une
entité juridiquement créée par lui et ses pairs?
Les solutions sont nuancées, dans la mesure où
deux grandes thèses s`affrontent : la première affirme que l`on
ne peut plus parler de souveraineté quand elle est limitée dans
son exercice. Et la deuxième thèse voit dans la limitation de la
souveraineté une manifestation de l`exercice du pouvoir souverain. Avant
de présenter les différentes thèses, il nous est
obligé de constater à quel point dans la littérature de
droit public, il existe une confusion entre la limitation de la
souveraineté et celle de l`exercice de la souveraineté ou plus
exactement celle de l`exercice des compétences souveraines. Et ce niveau
se joue l`opposition entre les deux thèses.
La Professeure CHALTIEL, tout au long de son étude
portant spécifiquement sur le statut de l`Etat membre de l`union
européenne, défend clairement l`idée selon laquelle un
transfert
145 DUPUY (PM), « l'unité de l'ordre juridique
international », op cit p 98.
146 Les présomptions et les fictions en droit,
études publiées par ch. PERELMAN et P. FORIENS, Bruxelles,
bruylant, 1974, notamment P.FORIENS, « présomptions et fictions
», p 8 ss. Cité par DUPUY (PM), « l'unité de
l'ordre juridique international », op cit p 98.
147 Ibid. p 100.
148 Voir à ce sujet l`arrêt de la C.I.J, Avis du
11 avril 1949, réparations des dommages subis au service des nations
unies, Rec., p 178.
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définitif de certaines compétences
étatiques signifie une limitation de la souveraineté de
l`Etat149. Elle affirmera, qu`un Etat qui devient membre d`une
organisation internationale comme l`Union Européenne et qui lui
cède irréversiblement l`exercice de certaines compétences
souveraines, ne peut plus être considéré comme un Etat
souverain traditionnel150. C`est dans le même ordre
d`idées, que le Professeur PELLET affirmera qu`une entité
politique est souveraine ou elle ne l`est pas, mais en tout état de
cause, elle ne peut pas l`être « un peu », «
beaucoup » ou « en partie »151. Allant
également dans le même sens, KRANZ affirmera que « parler
à propos d'un Etat de l'abandon partiel de la souveraineté, du
transfert de la souveraineté, de la souveraineté limitée
ou de la nécessite de recouvrer la pleine souveraineté
témoigne d'une fausse conception de la notion de souveraineté
»152. Il est clair pour ces quelques auteurs que la
limitation, le transfert de souveraineté, revient à un abandon
par l`Etat de sa souveraineté. Sans doute, la thèse épouse
les idées absolutistes des conceptions internistes de la
souveraineté. Par conséquent proclament l`existence d`Etat sans
souveraineté du seul fait de leur adhésion à des
organisations supranationales telles que la CEMAC ou l`UEMOA.
Pourtant aucune limitation, ou transfert de
souveraineté n`est faite sans « l'animus contrahendi »
c'est-à-dire sans la volonté claire de l`Etat. Par
conséquent, il agit moins d`une limitation, ou d`un abandon de
souveraineté, mais au contraire, de l`exercice de compétences
souveraines reconnues à l`Etat. La jurisprudence de la Cour Permanente
de Justice Internationale, sur ce point soutient clairement dans l`affaire
Vapeur Wimbledon que la cour « se refuse à voir dans
la conclusion d'un traité quelconque dans lequel l'Etat s'engage
à faire ou à ne pas faire quelque chose, un abandon de sa
souveraineté » et elle continue en disant que « sans
doute, toute convention engendrant une obligation de ce genre, apporte une
restriction à l'exercice des droits souverains de l'Etat, en ce sens
qu'elle imprime à cet exercice une direction déterminée.
Mais la faculté de contracter des engagements internationaux est
précisément un attribut de la souveraineté de l'Etat
»153. La doctrine volontariste incarnée par cet
arrêt a trouvé des adeptes à la personne d`ANZILOTTI qui
dit : « les limitations de la liberté d'un Etat qu'elles
viennent du droit international commun
149 CHALTIEL (F), la souveraineté de l'Etat et
l'union européenne, l'exemple français. Recherche sur la
souveraineté de l'Etat membre, LGDJ, 2000, p 96.
150 CHALTIEL (F), « contribution à la
théorie juridique du statut de l`Etat membre de l`union
européenne : l`exemple français » in démarche
communautaire et construction européenne, F. HERVOUET (sous dir.),
vol 1 : dynamique des objectifs, la documentation française,
2000, pp 163-178, spec. p 170.
151 PELLET (A), « cours général : le
droit international entre souveraineté et communauté
internationale », annuaro brasileiro de directo international, 2007,
vol 2, p 28.
152 KRANZ (J), « notion de souveraineté et le
droit international », archiv des völkerrechts, n° 30,
1992, p 440.
153 Arrêt Navire à vapeur de Wimbledon, 17 aout
1923, CPJI, série A n° 1, p 25.
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Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale
ou d'engagements contractés n'affectent aucunement
en tant que telles son indépendance »154, synonyme
en droit international de souveraineté. Il devient évident qu`au
niveau international, l`Etat est une entité exceptionnelle «
relevant du droit international »155. A la
différence des organisations internationales, ils sont dotés de
la souveraineté, faculté qui leur confère la
capacité d`être titulaire direct des droits et obligations en
vertu du droit international156. Cependant le système
communautaire, qualifié de contraignant et d`autoritaire de par les
principes fondamentaux qui le structurent, pose un problème particulier
concernant la souveraineté. La communauté bénéficie
des Etats lors de leur adhésion, d`un transfert de compétences
souveraines dans le but d`atteindre un certain nombre d`objectifs. Peut- on
dire à la suite de ce transfert de compétences que la
souveraineté des Etats n`est pas limitée ?
2) La souveraineté des Etats membres de la
CEMAC : adéquation entre exercice de la souveraineté et transfert
des compétences souveraines.
Il est nécessaire pour mieux cerner la
problématique de cette partie de présenter d`abord la notion de
compétences, car elle est au centre du problème de la
souveraineté en droit communautaire. Il faut dire que la
compétence est une notion de droit public interne. Elle désigne
en droit communautaire, un ensemble de prérogatives anciennes
exercées par les Etats et confiées, grâce l`acte
d`adhésion, à la communauté pour une coordination et une
harmonisation des activités nationales pour un objectif commun.
L`apparition de la notion de compétences juridiques dans son sens actuel
est probablement liée au phénomène d`institutionnalisation
du pouvoir politique. Au sens de Max WEBER, il s`agit d`un type de
légitimité du pouvoir157. Autrement dit, la
compétence relève de la légitimité légale
rationnelle du pouvoir. C`est une constitutionnalisation du pouvoir,
véritablement la naissance de la notion juridique de compétence.
Pour A. LEVADE la notion de compétence d`une autorité publique
n`acquiert sa pleine signification que dans l`optique d`une séparation
fonctionnelle des autorités et prend concrètement un sens lorsque
l`autorité politique se trouve limitée par un texte
constitutionnel158. A cet effet, on peut appréhender la
compétence dans une distinction avec le pouvoir comme « le
titre juridique qui fonde un
154 Opinion dissidente d`ANZILOTTI dans l`affaire du
régime douanier Austro-allemand, CPJI, série A/B, N°41, p 57
cité par DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU (M), droit
international public, op cit, p 467.
155 C.I.J dans son avis sur la réparation des dommages
subis au service des Nations Unies, op cit
156 DAILLIER (P), PELLET (A) et FORTEAU (M), Droit
international public, op cit p 468.
157 WEBER (M), in winckelman (HRS9), wirtchaft und
Gesellshaft, grundrissdes verstehenden soziologie, 1964, Kiepenheurer&
witsch, p 157.
158 LEVADE (A), « souveraineté et
compétences des Etats », thèse de doctorat, Paris XV,
1997, p 12.
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Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
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individu à exercer un pouvoir et donc indirectement
une action »159. Dans la mesure où, « le
pouvoir(ZUSTÄNDIGKEIT) est le droit ou le devoir d'exercer une action,
tandis que la compétence(KOMPETENZ) est « le droit à ce
pouvoir ». On pourrait dire que « la compétence est
donc le titre du pouvoir, tandis que le pouvoir est l'attribution ou la somme
d'attributions autorisées par le droit de la compétence
»160. Cependant, il est difficilement envisageable de
rencontrer dans les traités instituant les communautés
d`intégration, des dispositions relatives aux compétences
(transfert, modes d`exercice et consistance des compétences
transférées). Toutefois, une étude plus minutieuse permet
de manière implicite de soulever une grille de compétences au
niveau communautaire. Si l`on prend en compte le fait que la communauté
est mise en place pour exercer et instituer certaines politiques communes,
mesures ou politiques d`intégration, afin d`atteindre les objectifs
visés par les Etats fondateurs. Il est aussi clair que les Etats
fondateurs mettront à la disposition de la communauté des
compétences fonctionnelles. Il importe avant tout de remarquer à
la lumière de ce qui suit que « les communautés [...]
n'ont pas été établies selon la logique de l'attribution,
répartition des compétences qui a prévalu dans la
formation de la plupart des Etats fédéraux, mais selon une
logique différente, celle de l'énonciation des objectifs à
atteindre ». De plus, « les communautés n'ont pas
été fondées sur une constitution adoptée selon les
exigences du droit public interne, mais sur un traité international
conclu conformément aux règles du droit international et
ratifié selon les dispositions constitutionnelles pertinentes de chaque
Etat partie »161. L`on ne peut trouver dans aucun
traité constitutif des dispositions expresses mettant en exergue les
compétences souveraines nationales transférées à la
communauté. Serait-ce véritablement question des
compétences souveraines ? La réponse à cette question ne
peut qu`être qu`affirmative ; dans la mesure où, parmi les
compétences à reconnaître à la souveraineté
sans distinction d`appréhension de cette notion, les auteurs s`accordent
à dire que certaines sont qualifiées de
«régaliennes » ou de « souveraines »
pour exprimer le fait qu`elles concernent de près l`existence
même et les missions les plus fondamentales de l`Etat162.
Cependant lorsque « certaines des compétences étatiques
les plus importantes ont été dévolues à l'union
-comme c'est le cas du fait des dispositions concernant l'union
économique et monétaire- se pose alors, dans cette
159 CONTANTINESCO (V) et MICHEL (V), «
compétences de l'Union Européenne »,
Répertoire communautaire, Dalloz, juin 2011, p 7.
160 Ibid. p7
161 Ibid. p 8. Cependant la cour de justice de la
communauté européenne a eu à qualifier les traités
constitutifs de « charte constitutionnelle d'une communauté de
droit » Voir à cet effet CJCE 23 avril 1986, les verts c/
parlement, Aff. 294/83, Rec. 1339-Avis de la cour N°1/91, 14
décembre 1991, Rec. I. 6079.
162 Ibid. p 12.
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Recherches sur l'Etat membre de la Communauté
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conception « quantitative » de la
souveraineté, la question du maintien de la souveraineté des
Etats membres et donc celle de la persistance de la qualité d'Etat
»163, au sens du droit international. En d`autres termes,
Peut-on encore parler de souveraineté de l`Etat membre de la CEMAC,
suite à l`exercice de compétences souveraines des Etats par la
communauté ?
Tout transfert de compétence à une entité
quelconque constitue vraisemblablement une limitation de la souveraineté
de l`Etat. Cependant au sein de la CEMAC la situation est tout autre. Certes
les Etats membres ont dévolu certaines compétences importantes
(économiques et monétaires) à la communauté, mais
ils n`ont pas limité ou abandonné leurs compétences
souveraines, tout au contraire, ils restent maîtres et souverains de
leurs compétences transférées. On peut appeler cela un
transfert « rédhibitoire »164. C`est à dire
que les compétences transférées à la
communauté pour son fonctionnement, sont récupérées
et exercées au niveau de la communauté par ces Etats membres au
sein des organes de la communauté par conséquent le transfert de
compétence est rendu presque néant. Au sein de la CEMAC, la
communauté est soumise au diktat et aux caprices des Etats membres. De
ce fait, toute compétence nationale transférée par les
Etats membres de la CEMAC est encore exercée par ceux-ci. Par
conséquent, le transfert de compétences est une fiction juridique
parce qu`en somme il s`agit d`un exercice partagé des compétences
entre l`Etat et la communauté.
Selon la conception « qualitative », la
souveraineté ne s`exprime pas dans une énumération
additive des compétences, mais elle est quelque chose d`autre, ou d`une
autre nature, d`une autre substance, ou d`une autre
qualité165. A ce niveau la souveraineté est la source
des compétences de l`Etat et non leur somme. Autrement dit, un Etat
souverain jouit de ses compétences, et ce n`est pas parce qu`il
détient un ensemble non dénombrable de compétences qu`il
est souverain166. La souveraineté apparaît comme le
titre ou la qualité qui permet à un Etat de définir
l`étendue de sa propre compétence. Par conséquent la
souveraineté peut être définie comme la compétence
de la compétence167. Dès lors, les Etats membres
sont
163 Ibid. p 12. « La mission essentielle de
la communauté est de promouvoir la paix et le développement
harmonieux des Etats membres, dans le cadre de l'institution de deux Unions :
une Union économique et une union monétaire... ». Voir
l`article 2 du traité révisé CEMAC signé le 25 juin
2008 à Yaoundé et le préambule de la convention
régissant l`union économique de l`Afrique centrale «
convaincus que l'intégration des Etat membres en une
communauté économique et monétaire exige la mise en commun
partielle et progressive de leur souveraineté nationale au profit de la
communauté dans le cadre d'une volonté politique collective
»
164 Voir OWONA (J), « l'essor du
constitutionnalisme rédhibitoire en Afrique noire : études de
quelques « constitutions Janus », op cit, p 235.
165 Vlat CONSTANTINESCO et Valérie MICHEL, «
compétences de l'union européenne », op cit
p 10.
166 Ibid.
167 Ibid. p 11.
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Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale
libres, de conférer ou de transférer certaines
de leurs compétences à l`ordre juridique communautaire par eux
créé, sans pour autant compromettre ou renoncer à leur
souveraineté, laquelle constitue précisément leur titre
à pouvoir le faire. Par analogie, l`Etat membre de la CEMAC, bien
qu`ayant transféré quelques compétences à la
communauté, n`a pas pour autant renoncé, perdu, ou
abandonné sa souveraineté. De plus il ne faudrait pas oublier que
« les compétences de l'union se développent à
l'intérieur du champ d'application défini et donc limité,
d'un point de vue territorial, personnel, matériel et fonctionnel,
tandis que, puisque la souveraineté ne définit pas les
compétences, elle ne peut donc pas être quantifiable, et demeure
nécessairement indéterminé »168.
Au demeurant, on peut dire comme l`ont affirmé Vlad
CONSTANTINESCO et Valérie MICHEL que « la souveraineté
se présente aujourd'hui, dans le cadre [communautaire], sous une forme
double : issue des gouvernements nationaux et exprimant la compétence de
la compétence selon le droit international. Elle se combinerait avec
celle des peuples des Etats membres, en tant que titulaires d'une
souveraineté d'ordre interne et d'origine constitutionnelle
»169.
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