B.3 Activités et publications.
Une fois les tracts et les affiches tirés, ils
faisaient l'objet d'une distribution méthodique. Pour ce faire, le CCRM
contactait les bourgmestres et agences de publicité pour avoir une
autorisation d'affichage. Nous pouvons avoir une idée de cette
méthode par ce plan de distribution élaboré par Louise
Lacharon189:
Communes
|
Affichage
|
Bruxelles-Villes
|
60 panneaux d'affichage
|
Anderlecht
|
40 panneaux d'affichage
|
Auderghem
|
10 panneaux d'affichage
|
Berchem-Sainte-Agathe
|
10 panneaux d'affichage
|
Etterbeek
|
10 panneaux d'affichage
|
Forest
|
15 panneaux d'affichage
|
Ixelles
|
5 panneaux d'affichage
|
Saint-Gilles
|
5 panneaux d'affichage
|
Saint-Josse-Ten-Noode
|
14 panneaux d'affichage
|
Schaerbeek
|
20 panneaux d'affichage
|
Uccle
|
20 panneaux d'affichage
|
Molenbeek
|
20 panneaux d'affichage
|
Watermael-Boitsfort
|
9 panneaux d'affichage
|
189 Archives Personnelles de Louise Lacharon, Documents
relatifs à la gestion interne du CCRM de Bruxelles : Plan
d'affichage public, daté de 1982.
59
Woluwe Saint-Lambert
|
10 panneaux d'affichage
|
Woluwe Saint-Pierre
|
5 panneaux d'affichage
|
Cependant, il n'était pas rare que certaines agences se
plaignent auprès duCCRM à cause des « affichages
intempestifs ». L'exemple d'une plainte émise par la RTT contre le
CCRM de Bruxelles le 28 septembre 1981 était, à cet égard,
significatif190. La première affiche éditée par
le CCRM de Belgique apparaît sur les murs de Bruxelles, de Charleroi et
de Liège. Elle oppose le Maroc coloré et ensoleillé des
touristes au Maroc des Marocains qui ne se rangent pas parmi les
bénéficiaires du régime marocain. Elle n'est pas seulement
destinée à faire méditer ceux qui y vont valoriser leurs
devises fortes, mais à faire savoir aux autorités marocaines que
le Comité de Bruxelles existe et qu'il serait maladroit de leur part de
s'attaquer, comme ce fut le cas des années précédentes,
aux travailleurs qui profitent des vacances pour rentrer au pays et visiter
leur famille.
Exemple d'une demande d'autorisation d'affichage du
30 octobre 1979191
190 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Plainte de la RTT
datée du 28 septembre 1981.
191 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°385, CCRM - Appel et campagne d'adhésion : d'une demande
d'autorisation d'affichage du 30 octobre 1979.
60
Première affiche du Maroc des touristes et de
la répression éditée par le CCRM de Bruxelles entre
1978-1979192
Une fois les affiches posées et l'appel lancé,
les manifestations partaient de la commune de Saint-Josse (zone nord) pour
culminer à la Place Rogier et aboutir près de la Gare du Midi.
Cette trajectoire sera toujours empruntée en raison de la
proximité du CCRM avec les locaux des syndicats belges et des mouvements
associatifs marocains. Par ailleurs, l'implication des bourgmestres de
Bruxelles-Ville et de Saint-Josse dans les activités du Comité
bruxellois facilitèrent le bon déroulement de la mobilisation
organisée.
b.3.1 Du second rapport de Paris aux premières
coordinations européennes : 1977-1979.
Tandis que le CCRM de Bruxelles commençait
sérieusement à s'impliquer dans la contestation contre les abus
du régime marocain, les Comités de France publiaient un second
rapport sur la situation des détenus et sur les procès politiques
envers les mouvements des gauches marocaines. L'année 1977 a
192 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°385, CCRM - Appel et campagne d'adhésion : Affiche « Le
Maroc des Touristes et de la Répression datée de 1978.
61
marqué un coup dur contre les mouvements
d'extrême gauche marocains, la plupart des cadres d'Ilal Amam et
du Mouvement 23 Mars ont été arrêtés. A la suite de
ce large coup de filet, les Comités de France et de Belgique ont
participé à une nouvelle mission juridique193.
Cette mission juridique était composée des :
Maîtres Henri Leclerc, Alain Martinet et Margaut du Barreau
de Paris.
Maître Yves Baudelot envoyé par l'Association
Internationale des Juristes Démocrates.
Maître Hoss mandaté par Amnesty International.
Maître Majdalani, avocat de l'Organisation pour la
Libération Palestinienne.
Maître Pascal envoyé par la Fédération
des Juristes Démocrates Français.
Maître Vandrockenbruck envoyé par la
Fédération des Juristes Démocrates Belges.
Maître Franceline Lepany avocate au Barreau de Paris
Docteur Jean-Paul Vernant, Chef de Clinique-Assistant.
Les avocats de la Défense ont été
dépêchés pour le célèbre procès des
frontistes du 3 au 19 janvier 1977 à Casablanca. Pour 105 détenus
libérés à la suite d'un non-lieu dans la semaine
précédente, il restait 178 inculpés avec 39 condamnations
par contumace. Les 178 inculpés représentait le groupe « 77
». La mission juridique dresse son rapport sur base des constats
suivants194:
Les violations de la défense :
les avocats constatent que si les inculpés sont informés au
hasard des interrogatoires des chefs d'inculpation retenus contre eux, l'acte
d'accusation lui-même ne sera jamais lu, de sorte que ni les
accusés, ni leurs défenseurs ne savent véritablement de
quoi on les accuse. L'ordre des interrogatoires n'est pas donné, tous
les avocats doivent rester présents en permanence s'ils ne veulent pas
manquer l'interrogatoire de leur client. Les avocats se voient interdire de
poser des questions à un inculpé qui ne serait pas celui dont ils
assurent la défense.
L'atmosphère du procès
: elle est tendue et violente dès les premières heures, du fait
du président de la Cour d'Appel, qui n'admet pas que les inculpés
s'expriment et, en particulier, qu'ils assurent leur défense politique.
Coupant la parole, frappant violemment sur la table, renvoyant les
inculpés sur le moindre prétexte, il est responsable des
incidents qui vont très vite éclater et devenir de plus en plus
dramatiques.
Les principaux incidents ont été
: la minute de silence demandée à la mémoire
d'Abdellatif Zeroual* par un détenu et observée par tous les
détenus, les avocats et les familles. Le président évacue
la salle et interrompt la séance. Avec l'évacuation de la salle,
les inculpés ont affirmé le droit à
l'autodétermination du Peuple sahraoui et décident alors de
prendre en main leur propre lutte dans la salle en entreprenant une
grève de la faim illimitée, en refusant de répondre aux
interrogatoires et en demandant à leurs avocats de se taire. Tout cela
vise à de dénoncer la mascarade du procès et à
démolir la façade démocratique que le pouvoir
prétend maintenir par cette parodie de justice. Les inculpés
adoptaient diverses attitudes envers le juge
193 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM
section Bruxelles, mars-avril, 1980, pp. 2-5.
194 A. MARTINET et al., Mission juridique
internationale : Rapport sur la situation des Frontistes, Casablanca,
janvier 1977, pp. 4-12.
62
par l'ironie, par la violence ou le mépris. A cet
égard, l'opposant frontiste Abdellah Zaâzaâ, victime de la
falaqa, se déchausse brusquement et montre son pied
mutilé affreusement par les tortures subies deux ans plus tôt.
D'autres inculpés lancent des mots d'ordre contre le régime
« qui exploite le Peuple marocain » et pour « la
république démocratique et populaire marocaine ». Enfin,
trois des inculpés sont intervenus pour affirmer leur accord sur le
principe de la marocanité du Sahara, tout en dénonçant les
accords de Madrid qui prévoyaient le partage entre la Mauritanie et le
Maroc.
Les relations des détenus avec leur famille
: les familles se sont vues refuser toute possibilité de
visiter les détenus grévistes qu'ils soient détenus
à la prison ou à l'hôpital. Inquiètes sur la
situation des leurs, elles ont fait le siège des prisons et
hôpitaux en espérant que l'administration adoucirait sa position.
Elles ont également été réclamé indulgence
et informations au Ministère de la Justice, mais en vain. Les familles
se sont alors réunies à la mosquée de Rabat d'où
elles ont été expulsées à deux reprises par la
police qui les a gardées plusieurs heures dans ses locaux.
Le verdict : il a été
rendu « à la sauvette » dans la nuit du 14 au 15
février, après 9 heures de lecture des attendus, les avocats
ayant été prévenus au dernier moment par
téléphone. Les inculpés, qui avaient attendu toute la
nuit, ont accueilli les peines par des chants révolutionnaires,
jusqu'à ce qu'on les ramène en prison. Les sentences
prononcées lors du verdict portaient sur 44 condamnations à la
détention perpétuelle dont 39 par contumace, 21 condamnations
à 30 ans de prison, 44 condamnations à 20 ans de prison, 45
condamnations à 10 ans de prison, 19 condamnations à 5 ans de
prison et 3 condamnations à 5 ans avec sursis.
Pendant le déroulement du procès, les premiers
témoignages directs sur les conditions de détention des
détenus d'opinion commencèrent à être portés
à la connaissance des Comités. Ces premiers témoignages
ont révélé la brutalité de la vie carcérale
au Maroc, comme le montre « Rahal ». Durant le procès des
Frontistes, « Rahal » confirmait la présence d'une BS dans une
pièce proche du Tribunal. Cette BS suivait minute par minute le
procès et torturait les inculpés que le juge
envoyait...195
Le récit carcéral a été rendu
public par les Comités de Lutte contre la Répression de Belgique
et des Pays-Bas. Les dessins de « Rahal » sont sortis feuille par
feuille de la prison de Kénitra pour arriver, non sans
péripéties, au Comité de Paris. Ce dernier a
contacté les bureaux de Charleroi et de Bruxelles pour la traduction la
bande dessinée : « Dans les entrailles de ma patrie ».
Après que les Comités contre la Répression aient
regroupé tous les dessins de « Rahal », les comités
belges ont traduit la bande dessinée en arabe et en français. Ces
tâches ont été respectivement
déléguées aux bureaux carolorégien et
bruxellois196.
195 RAHAL, Dans les entrailles de ma patrie : A propos de
la détention politique au Maroc, Paris-Bruxelles-Amsterdam, les
CLCRM de Paris-Bruxelles-Amsterdam, 1980, p. 28
196 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : PV de la coordination des
CLCRM à Rouen : traduction de la bande dessinée par les CCRM de
Bruxelles et Charleroi, daté du 29 mars 1981.
63
Couverture de la bande dessinée «Dans
les entrailles de ma patrie »197
Ce témoignage inédit nous fournit plusieurs
renseignements sur la vie quotidienne dans le centre de détention de
Derb Moulay Chérif à Casablanca et à la prison de
Kénitra, parmi lesquels: « A l'intérieur de
l'étroite cellule, 4 à 5 détenus sont installés.
Deux vieilles couvertures en guise de lit, une troisième pour se
couvrir. Ils doivent demeurer dans cet état, les mains attachées,
couchés en permanence sur ce lit infect, grouillant de vermine : poux,
puces, punaises et ce durant tout le temps qu'ils passeront dans le lieu secret
de détention (des années parfois) à l'exception de l'heure
des repas et quand on leur permet de se rendre aux toilettes. Le « Hadj
» (surnom que les gardiens se donnent pour ne pas être
reconnus) : sa mission surveiller les détenus et à leur
interdire le moindre mouvement. Parler est considéré ici comme un
crime et son auteur est flagellé par le Hadj. (...). Une autre
mission du Hadj consiste également à provoquer les
détenus, à leur mener la vie dure pour que règne une
atmosphère de malaise et de terreur psychologique, ceci en plus des cris
de tortures qui retentissent dans les coins du quartier et à
cause
197 Couverture de la bande dessinée RAHAL, Dans les
entrailles de ma patrie : A propos de la détention politique au Maroc,
Paris-Bruxelles-Amsterdam, les CLCRM de Paris-Bruxelles-Amsterdam,
1980.
64
desquels il devient impossible de s'endormir ou de se
reposer. On en arrive à désirer être torturé
plutôt que d'entendre quelqu'un d'autre subir la
torture198 ».
Pour exercer une pression supplémentaire sur les
détenus, leurs familles faisaient souvent l'objet d'une perquisition
brutale, d'intimidation, d'interrogatoires musclés sinon d'arrestation
avec les détenus.
« Rahal » poursuit : « (...) Et lorsque la
méthode de la terreur combinée aux opérations de charme ne
réussit pas à faire parler le militant, vient alors le rôle
de la torture avec ses différents formes et ses différents
degrés... une serpillère sur le nez et la bouche, trempée
dans du savon, du grésyl, de l'urine et des excréments.
Bastonnade sur la plante des pieds. Electrochocs, mégots allumés
écrasés sur le mamelon...Deuxième degré de torture
connu sous le nom de « perchoir à perroquet ». La
séance de torture peut se poursuivre pendant des heures, jusqu'à
la perte de conscience totale. Après cela, on passe à un
degré supérieur. D'autres genres de tortures...il faut
reconnaître en toute objectivité que la réaction marocaine
fait preuve d'inventivité au moins dans ce domaine : la victime est
enroulée dans une couverture de la tête jusqu'aux pieds de
manière à ne laisser aucun interstice pour qu'elle puisse
respirer. Elle est solidement attachée à un banc. Les
tortionnaires la rouent de coups. Le procédé est une des formes
de tortures les plus dures. On peut facilement étouffer ainsi. Les deux
pieds meurtris à cause des coups sont plongés dans une baignoire
remplie d'eau salée et très chaude. Le chien dressé qui
lacère avec ses crocs et ses griffes le dos endoloris de la
victime...Après cela, le prisonnier est transporté au local de
détention gardé par des policiers qui se font appeler « Hadj
» afin que le détenu ne connaisse pas leur véritable
identité (...)199».
Parallèlement à la publication de la bande
dessinée, les CLCRM de France et de Belgique ont réuni les textes
et poésies de la militante Saïda Menebhi* morte des suites d'une
grève de la faim le 11 décembre 1977. L'oeuvre a
été publiée en décembre 1978 dans le cadre du
premier anniversaire de la mort de l'auteure200. Le CLCRM
d'Amsterdam a travaillé à la traduction en néerlandais de
cet ouvrage deux ans plus tard201.
Un rapport médical publié entre 1979 et 1980 par
les CCRM de Paris, Charleroi et Bruxelles, a pu mettre en exergue la
précarité matérielle et sanitaire dans laquelle sont
maintenus les détenus. Le rapport parle de l'hygiène des
détenus dans différentes prisons marocaines: « Les
prisonniers sont entassés comme des sardines : six mètres sur
trois suffisent à caser une centaine de personnes. Chacune d'elles a,
pour s'allonger, à peu près 1,70 mètre de long sur 25 cm
de large. Un tel espace l'oblige à dormir sur le côté, et
à ne pas bouger de la nuit (...). A Laâlou (Rabat),
étant donnée la faiblesse du moteur de la pompe et la petite
capacité du réservoir de retenue, le premier étage est
seulement pourvu en eau de 22 h à 6 h. A Fès, la prison est
alimentée par des citernes, alors que l'eau de l'Atlas coule à
flots dans toute la ville. D'autre
198 RAHAL, cit., pp. 8-10.
199 RAHAL, cit., pp. 4-8.
200 S. MENEBHI, Poèmes-lettres-écrits de
prison, Paris-Bruxelles, les CLCRM de Paris et Bruxelles, décembre
1978.
201 S. MENEBHI, Gedichten en brieven uit de gevangenis en
een opstel over de prostituées in Marokko, Rotterdam, CLCRM
d'Amsterdam, 1980.
65
part, la « douche » est si mal entretenue et si
peu équipée, qu'on ne peut s'empêcher de penser à
celles d'Auschwitz : trois prisonniers s'y relaient alors qu'une poire lance un
mince filet d'eau tiède. La petite salle de 4 mètres de
côté, renferme jusqu'à 30 prisonniers. De même, les
chambres sont très rarement lavées, le plus souvent une fois par
mois ou à l'annonce de la visite d'une commission d'inspection, mais
surtout lors d'une délégation comprenant un visiteur
étranger. Quant au service public d'hygiène, il est persona non
grata (...). Tel fut le triste exemple d'aout 1979 ; lors d'une
épidémie de choléra à Meknès : 4 malades
furent transportés à l'hôpital, mais vu le retard de la
mesure, 2 d'entre eux succombèrent faute d'avoir
bénéficié de soins assez tôt (...). De plus, rien
n'est prévu pour chasser l'éternelle colonie de rats dont le
nombre atteint parfois le double de celui des prisonniers. Ces bestioles
manifestent constamment leur présence de sorte que chacun doit leur
donner une part de sa gamelle afin d'éviter que la nuit, ils descendent
de leurs gouttières et viennent fouiller et se servir eux-mêmes
dans les paniers des prisonniers. Il existe d'autres bestioles, en effet les
poux et les punaises cohabitent avec les détenus.»
Des maladies en tous genres apparaissaient dont : «
les maladies de la peau très répandues,
particulièrement la galle ainsi que diverses sortes de champignons
épidermiques. Dans la prison de Casablanca, les galleux sont mis en
quarantaine durant la période de détention ou de la maladie. Or,
les galleux vivant ensemble et les désinfectants étant rares, le
germe de la galle demeure. Par ailleurs, il est rare qu'un prisonnier quitte la
citadelle sans s'être fait arracher quelques dents, à cause de
caries ou de maladies des gencives. Ici, le mal de dent n'est jamais
soigné, on se contente de les arracher dès la première
plainte à l'infirmier ou au chef du quartier. La séance
d'extraction des dents ayant eu lieu une fois par semaine, on peut observer une
file d'attente devant le dentiste (souvent simple mécanicien-dentiste).
Toute opération médicale est réduite à un simple
travail à la chaîne : l'infirmier, lors des injections, passe de
patient à patient sans prendre la peine de changer d'aiguille.(...) La
nourriture joue un rôle important dans l'apparition des maladies
dentaires mais aussi et surtout dans les maladies de l'estomac, des intestins
et du rectum (très répandues dans les prisons marocaines) et
touchant en premier lieu les prisonniers condamnés à de lourdes
peines. »
Outre les maladies et des conditions d'hygiène quasi
inexistantes, le rapport dénonçait aussi la qualité
médiocre de l'alimentation destinée aux détenus. Qui plus
est, les moyens de traiter les maladies étaient dérisoires :
« Féculents et riz mal cuits se relayent jour après
jour. A chaque marmite, quelques kilos de légumes bouillis
accompagnés d'une ou deux louchées d'huile, viennent cacher le
« bêton de pitance » qu'ils surmontent (...). Lorsque
le prisonnier s'est plaint à plusieurs reprises au chef du quartier, il
est entassé avec ses camarades pour être présenté
à l'infirmer qui lui donnera du charbon de bois, s'il se plaint de
spasme ou de colique, c'est bien une forte purge. Dans un deuxième
stade, malgré plusieurs prises de ces médicaments, le patient
peut être transporté à l'hôpital ou à
l'infirmerie en état de crise. Dans ce cas, on lui administre une
injection de baraljine qui a pour effet presque immédiat d'arrêter
les douleurs, lesquelles ne tardent pas à revenir quelques heures plus
tard. Dans un troisième stade, on attend que la victime ait subi
plusieurs crises pour l'inscrire enfin sur une liste qui lui permettra
66
d'être conduit à la consultation hebdomadaire
du médecin. On peut s'étonner de l'existence d'une liste
d'attente puisque, grosso modo, il n'y a qu'un médecin pour 1500
prisonniers (notamment à Casablanca, Rabat et Kénitra),en regard
de la moyenne nationale d'un médecin pour 1000 patients
(...)202. »
Avec l'accroissement des informations relatives à la
répression au Maroc, les Comités de Lutte contre la
Répression vont chercher à mieux structurer leurs travaux. Ils
feront connaître des bilans d'activités durant les coordinations.
Ces coordinations annuelles avaient pour objectif de dresser un bilan des
activités de tous les Comités, tous pays confondus, tout en
décidant des futurs plans d'actions.
b.3.2 Les premières activités du
Comité de Lutte contre la Répression de Bruxelles : 1977-1983
Les années comprises entre 1977 et 1983 ont
représenté, pour le CCRM, une première période
d'intense activité. Né d'un terreau syndical extrêmement
fertile, le CCRM de Bruxelles a bénéficié d'une
conjoncture relativement favorable au sein de la classe politique belge.
Mobilisation, interpellation parlementaire et association de
référence sur la répression au Maroc, le CCRM commence
à multiplier ses participations aux missions juridiques et
médicales au moment où la répression politique connait une
croissance spectaculaire au Maroc. Cependant, cette séquence
chronologique a été aussi agitée que difficile pour le
CCRM, en effet, les Comités devaient, véritablement, jouer le
rôle d'une presse sur les événements politiques au
Maroc.
Depuis décembre 1977203, le CCRM de
Bruxelles a dressé son premier bilan sur les événements
politiques au Maroc. Le CCRM disposait déjà de 450 sympathisants.
Face à un nombre croissant d'adhérents, le CCRM de Bruxelles et
le CCRM de Charleroi cherchèrent, dès lors, à provoquer
des sursauts de conscience parmi leurs membres adhérents en
lançant un premier bulletin d'information. Jusqu'au début de
l'année 1978, les CCRM belges avertissaient de leurs actions par des
communiqués. Les CCRM de Belgique relayaient les bulletins d'information
du CLCRM de Paris intitulés « Maroc Répression ». Le
contenu de « Maroc Répression » était réparti en
trois chapitres : une chronologie reprenant les dates les plus marquantes de la
vie politique au Maroc (accords diplomatiques entre le Maroc et les pays
étrangers, les procès politiques et rafles), les actions
auxquelles le CLCRM a participé (renseignements obtenus sur la
répression politique, correspondances avec les familles des
détenus, et parfois la correspondance entretenue avec des
représentants politiques belges et marocains), ainsi qu'une annexe qui
reprend des témoignages des détenus politiques et des
observateurs internationaux.
Dans un souci d'une meilleure efficacité, la
première édition du bulletin d'information des CCRM de Bruxelles
et de Charleroi va regrouper sous forme de compte rendu les actions
passées des deux comités. Les bulletins d'information des CCRM de
Belgique reprenaient dans l'intégralité le contenu du CLCRM de
Paris en l'augmentant de ses propres activités. Avec le bilan des
premières missions juridiques
202 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°392, Activités depuis le meeting de la Madeleine, Mission
CCRM : Rapport médical sur la description de la vie carcérale au
Maroc daté de 1980, pp. 2-8.
203 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°402, ASCLCRM - Communiqués : Assemblée
générale du CCRM de Bruxelles datée du 24 janvier
1978.
67
émis par Paris, le premier bulletin publié par
le CCRM de Bruxelles a relevé trois actions: la campagne de «
séduction » entamée par les autorités marocaines en
direction des responsables belges en vue d'accréditer un prétendu
cours nouveau vers la démocratisation ; la menace d'extradition qui
pesait sur le ressortissant marocain Ben Ayich ; la nécessité
d'ouvrir sur certaines réalités du régime marocain, les
yeux des touristes qui se ruent vers le soleil d'Afrique du Nord.
Premier bulletin des CCRM de Belgique : «
Réalités Marocaines » paru en mars-avril
1978204
Le CCRM de Bruxelles fut informé sur la question de la
campagne de « séduction » des autorités marocaines par
une lettre revêtue de la mention « personnelle » et
adressée par Ernest Davister, alors Président de la FGTB de
Charleroi, au ministre de l'Emploi et du Travail, Guy Spitaels (PSB). Cette
lettre faisait allusion à une tentative d'approche des autorités
marocaines auprès de certains opposants marocains via Guy Spitaels. Le
régime marocain cherchait, en plus, à faire les yeux doux
à ses ressortissants en Belgique. Un extrait de cette lettre est fort
révélateur à cet égard: « Le responsable
de ce groupe (de militants marocains) me dit avoir rencontré
l'Ambassadeur du Maroc qui lui a confirmé cette tendance, en attirant
son attention sur la nécessité pour les immigrés acquis
aux conceptions démocratiques, de rentrer chez eux, afin
d'accélérer le processus de démocratisation en cours. Il
se fait que cet Ambassadeur a cité votre nom (celui de Guy
Spitaels) en évoquant les bonnes relations qu'il entretient avec
vous et la haute estime en laquelle il vous tient. Dès lors, et voici ma
demande, ne vous serait-il pas possible de provoquer
204 Couverture du premier bulletin du CCRM de Bruxelles, in
Maroc Répression : Bulletin d'information de Bruxelles, organe
bimestriel, mars-avril 1978.
68
une entrevue avec l'Ambassadeur, si courte soit-elle,
à laquelle vous participeriez, ainsi que moi-même,
accompagné de deux représentants du groupe d'immigrés
précité ? 205».
Après l'échec du régime marocain qui n'a
pas réussi à obliger ses ressortissants à renouveler leur
passeport au Maroc entre 1978 et 1980 - grâce à une mobilisation
commune des CCRM bruxellois et carolorégien, du RDM, de la FGTB et de la
CSC - et dans le but de redorer son image auprès du monde politique
européen dans le contexte du conflit saharien, le régime marocain
cherchait par tous les moyens à gagner l'opinion internationale en sa
faveur206.
Le rapprochement inopiné, par exemple, de l'ancien
premier ministre Edmond Leburton (PSB, Gouvernement du 26 janvier 1973 au 19
janvier 1974), avec le régime marocain n'avait pas échappé
à l'attention du CCRM. Edmond Leburton affirmait à l'issue d'un
voyage au Maroc : « Que ce pays était entré dans la voie
de la démocratie et que sa monarchie « constitutionnelle »
présentait beaucoup d'analogies avec la monarchie
belge207». Ces propos, appuyés par le
Président du Sénat Robert Vanderkerckhove, visaient en outre, au
resserrement des liens de coopération entre les deux pays. Conjointement
à ce voyage diplomatique, le ministre marocain du Travail, Mohamed
Bouamoud, effectua une visite en catimini en Belgique208. Ce voyage
est significatif car, rappelons-le, la présidence officielle des
Amicales est assurée par le ministre du Travail et de l'Emploi
Professionnel. Alerté par le CCRM de Charleroi, Ernest Glinne* a
posé une question écrite aux ministres du Travail et des Affaires
Etrangères sur l'objet de l'entretien que le ministre marocain a eu avec
son homologue belge, à savoir, sur la raison du caractère
mystérieux de cette visite et sur un éventuel voyage du monarque
chérifien en Belgique...
A Bruxelles, le CCRM respectait sa devise dans sa lutte contre
les Amicales et prêtait main forte aux mouvements d'opposition marocains.
En 1980, éclatait l'affaire Abdallah Dougna. Cet assistant social
était engagé par la commune de Bruxelles-Ville, via l'ASBL «
Aide aux familles bruxelloises »209. Abdallah Dougna avait
été choisi comme assistant social traducteur entre les familles
d'immigrés marocains et les autorités communales. Selon la CGSP
secteur Enseignement210, Abdallah Dougna aurait été le
traducteur principal auprès de plusieurs familles d'immigrés
marocains en même temps qu'il fournissait des informations sur ces
familles aux polices belge et...marocaine. Méfiant sur la
présence policière marocaine en Belgique, Hervé Brouhon,
sympathisant du CCRM - qui deviendra bourgmestre de la ville de Bruxelles entre
1983 et 1993 - avertit le CCRM de Bruxelles qui fit ébruiter cette
affaire en
205 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM
section Bruxelles, cit., p. 4.
206 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°340, RDM-Regroupement Démocratique Marocain,
RDM-Communiqués et notes internes : Communiqué du Regroupement
Démocratique Marocain daté du 16 mars 1980.
207 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°388, CCRM-Communiqués de presse : Communiqué du CCRM
dénonçant les propos d'Edmond Leburton et de Robert
Vanderkerckhove daté du 2 mai 1978.
208 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°72, Correspondance générale pour l'année 1978 :
Lettre d'Ernest Glinne au CCRM de Bruxelles relative à la visite
mystérieuse du ministre du Travail marocain, datée du 1er juin
1978.
209 Le Soir du 1er février 1980.
210 La Dernière Heure du 20 janvier 1980.
69
démontrant que l'assistant social n'était en
réalité qu'un agent travaillant pour le compte des polices belge
et marocaine. Face au tapage médiatique provoqué par le CCRM, et
malgré la réponse du « Conseil Consultatif des Bruxellois
n'ayant pas la Nationalité Belge », lequel affirmait que le
rôle de Monsieur Dougna se situait au seul niveau de collaborateur de la
police belge, l'assistant social a dû démissionner de son
poste211.
b.3.3 La mission juridique André Tremblay et les
émeutes du 21 juin 1981.
À partir de 1977, le régime marocain a
changé ses priorités économiques internationales en
s'ouvrant au libre-échange. Ce libre-échange s'est
essentiellement construit sur une importante exportation des produits nationaux
vers l'Europe et les Etats-Unis.
Toutefois, aucune disposition politique ne fut prise pour
permettre aux classes sociales désoeuvrées de pouvoir suivre ce
nouveau programme économique. Le 28 mai 1981, le Gouvernement marocain a
ordonné l'augmentation subite des prix des denrées de base (dont
certains allaient jusqu'à augmenter de 75%). Les premiers
résultats provoquèrent la colère de la population. Entre
le 8 et le 17 juin 1981, l'UMT et la CDT ont lancé un ultimatum au
Gouvernement en vue de réduire les prix des denrées de base. Le
résultat fut partiellement obtenu, le Gouvernement a diminué de
50 % les augmentations des produits. Conjointement, des émeutes ont
déjà éclaté et le CCRM de Bruxelles a pris
connaissance de l'arrestation de 668 militants de la CDT, surtout dans les
campagnes et chez les mineurs dont ceux des mines de charbon de
Jerrada212. Le brasier a sérieusement été
déclenché lorsque l'UNEM, le Syndicat National des Moyens et
Petits Commerçants et les Syndicats Nationaux des Enseignements
Secondaire et Supérieur avaient rejoint l'appel à la grève
générale de l'UMT et la CDT. Le régime faisait face
à une forte opposition syndicale. Les garnisons locales de la
Gendarmerie Royale et des Forces Auxiliaires débordées, Hassan
II* a dû démobiliser une partie des FAR du Sahara pour
écraser la fronde sociale.
Cette répression militaire était
accompagnée de plusieurs arrestations et condamnations. Cette sanction
royale a culminé lors des émeutes du 21 juin à Casablanca.
Informés de ces événements, les CLCRM de France et de
Belgique ont voulu marquer leur solidarité envers les
grévistes.
Au mois de juillet 1981, les CCRM de Belgique, par
l'intermédiaire de l'Association des Juristes Belges Démocrates
(AJBD), ont participé à la mission juridique Tremblay. Cette
mission fit suite à la mission juridique des Frontistes vue plus haut.
Maître André Tremblay est professeur à la Faculté de
Droit de l'Université de Montréal et avocat au Barreau de la
même ville. À son initiative, soutenue par les CLCRM et par
Amnesty International, notamment, maître André Tremblay s'est
rendu au Maroc durant l'été 1981. La mission juridique a
duré du 1er juillet au 16 juillet 1981. Celle-ci permit le
constat de plusieurs arrestations des membres de l'USFP et d'un regain
répressif à l'encontre des partis de l'extrême
211 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°346, Contrôle des opposants marocains en Belgique, Un
assistant social à Bruxelles : Communiqué de presse du Conseil
Consultatif des Bruxellois n'ayant pas la Nationalité Belge, daté
du 8 février 1980.
212 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°351, Association Belge des Juristes Démocrate :
Communiqué du CCRM de Bruxelles à l'AJBD sur les arrestations des
membres de la CDT, non daté.
70
gauche (Ilal Amam et 23 mars)213. Le bulletin
mensuel de CLCRM de Paris de décembre 1978 publiait déjà
une lettre aux congressistes de l'USFP dénonçant les arrestations
à l'égard de ce dernier : « Au moment où votre
troisième congrès s'ouvre à Rabat, nous tenons à
vous faire parvenir le texte de l'appel lancé par tous les
Comités de Lutte contre la Répression au Maroc pour la
libération de tous les prisonniers politiques marocains. (...) Ces
droits sont bafoués, dans les locaux de la police, dans les prisons,
où les condamnés des procès de 1973, ceux de Casablanca de
1977 ont été particulièrement maltraités, où
Abraham Serfaty est maintenu dans l'isolement depuis plus de 4 ans. La
nécessité et l'urgence d'une campagne en leur faveur ne font
point de doute. Une telle campagne atteindra d'autant mieux son objectif
qu'elle sera répercutée de l'intérieur même du
Maroc. Dans sa situation politique actuelle, vous pouvez, à la fois,
être entendus, voire écoutés des autorités
gouvernementales, et en appeler à l'opinion du peuple
marocain214 (...) ». Maître André
Tremblay s'est rendu comme observateur au procès de Rabat intenté
contre 81 membres actifs de l'USFP et de la CDT. Sur les 81 inculpés par
la Chambre Criminelle de la Cour d'appel de Rabat, 21 personnes du parti et du
syndicat ont été condamnées à 18 mois
d'emprisonnement ferme et 26 autres personnes à 4 mois de
détention. 13 personnes ont été condamnées à
6 mois avec sursis et 21 personnes ont été acquittées.
Alors que Maître Tremblay se rendait à
Casablanca, il fut rejoint par deux avocats français, Maître
Jean-Pierre Mignard et Maître Yves Kleniec. Maître Mignard, avocat
à la Cour d'Appel de Paris, fut mandaté par l'Association
Internationale des Juristes Démocrates (cette dernière en
relation avec le CCRM de Bruxelles). Maître Kleniec, avocat à la
Cour d'Aix-en-Provence, fut aussi mandaté par l'Association
Internationale des Juristes Démocrates mais également par la
CGT.
Ensemble, les trois avocats prirent connaissance du nombre des
victimes et des vastes coups de filet. Les avocats ont mené leur
enquête auprès de l'USFP, de la CDT et des autorités
officielles. Parmi les personnes arrêtées, plusieurs personnes
faisaient parties de l'USFP, de la CDT mais aussi de plusieurs syndicats locaux
tel le Syndicat National des Petits Commerçants dont le
secrétaire général Moustaghafi Abdallah a
été considéré, avec Noubir Amaoui*, par les
autorités marocaines comme l'un des responsables de l'appel à la
grève générale dans tout le Maroc. Les rafles
étaient impressionnantes, les avocats ont signalé entre 6000 et
8000 arrestations dans tout le pays215. Certains journaux
étaient proscrits dont : Al Moharrir (« Libération
» journal de l'USFP) et Al Bayane (« Communiqué
» journal du PPS) et Al Dimouqratiya Al Oummaliya (« La
Démocratie ouvrière » journal de la CDT).13 personnes sur 66
membres de la Commission administrative nationale de l'USFP ont
été arrêtées216.
Les avocats ont cependant noté que le chiffre des
victimes de la rafle était considérablement revu à la
baisse par le premier ministre et ministre de la Justice, Maâti Bouabid*
(UC du 29 mars 1979 au 30 novembre 1983). Celui-ci annonçait, en effet,
qu'il n'y avait pas plus de 2000 détenus politiques dans tout
213 A. TREMBLAY, Rapport sur les arrestations et
condamnations depuis le 21 juin 1981, Casablanca, juillet 1981, pp.
15-23.
214 Maroc Répression, Bulletin mensuel du CLCRM
de Paris, N°8 bis, décembre 1978, p. 14.
215 J-P. MIGNARD, Rapport sur les arrestations et
condamnations depuis le 21 juin 1981, Casablanca, 9 juillet 1981, p. 3.
216 Y. KLENIEC, Rapport sur les arrestations et condamnations
depuis le 21 juin 1981, Casablanca, 15 juillet 1981, pp. 5-7
71
le pays, dont 930 auraient été
relâchés faute de preuve. Entre le 10 et le 15 juillet 1981, les
avocats recoupèrent leurs informations et constatèrent que si le
Gouvernement ne dénombrait que 67 morts, les syndicats et partis de
l'opposition comptaient 641 morts217. Les cadavres n'étaient
pas rendus aux familles, et furent transportés par la police et les
militaires dans un lieu inconnu. Tous obsèques publics étaient
interdits, les autorités évitèrent le plus possible
l'organisation des funérailles susceptibles de
dégénérer en manifestation218.
Alors que le Gouvernement marocain affirmait ne pas avoir
utilisé l'armée, l'opposition confirmait que l'armée avait
ouvert le feu sur les manifestants. En outre, l e s a v o c a t s m a n d a t
é s o n t d r e s s é une impressionnante liste, dressée
par les avocats, faisait état du nombre des arrestations et des
condamnations. Ces peines étaient principalement infligées aux
membres de la CDT et de l'USFP. A la suite des événements
découlant des mouvements de grèves, le CCRM de Bruxelles avec
l'aide de la Ligue Belge des Droits de l'Homme, a organisé une
manifestation le 27 novembre 1981 pour dénoncer les procès
expéditifs au Maroc, dont celui des ouvriers et mineurs grévistes
arrêtés depuis le 21 juin 1981.
Tract distribué : Appel à manifester
pour le 27 novembre 1981219
Après avoir pris connaissance du deuxième
rapport de Paris et au lendemain de la mystérieusedisparition
d'Abderrahim Charahbili Harouchi, étudiant marocain domicilié
à Mons220, le
217 Y. KLENIEC, cit., p. 8.
218 AFP du 24 juin 1981 à 15h38.
219 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°361, Mission Tremblay - juillet 1981 : Appel à la
manifestation du 27 novembre 1981.
72
Comité de Bruxelles informa par lettre les
députés liégeois Claude Dejardin*(PSB) et Joseph
Fiévez* (RW) quant à la situation politique au Maroc. Vers 1980,
ces députés avaient mis sur pied à Liège, un
Comité contre la Répression. Le CCRM de Liège
complète le noyau d'un CCRM établit à Anvers quelques mois
plus tôt221.
A cet effet et prévenu de la féroce
répression, Claude Dejardin* a interpellé le ministre du Commerce
Extérieur d'alors, Robert Urbain (PSB), sur le transport de «
mystérieuses pièces de rechange pour divers appareils » dans
divers pays du Tiers-Monde dont le Maroc222. En décembre de
la même année, Henri Simonet (PRL), alors bourgmestre d'Anderlecht
et ministre d'Etat, a promis d'écrire à son homologue marocain
M'hammed Boucetta (secrétaire général du PI).
Déjà averti par le CCRM sur la situation des frontistes
condamnés, Henri Simonet multiplia les promesses d'intervention en
faveur de ces derniers, mais ce fut sans succès. Henri Simonet feignit
alors d'oublier que le pouvoir de grâce ne relève pas du premier
ministre au Maroc223. Un an plus tard, les CCRM de Bruxelles et de
Liège s'étaient directement adressés au premier ministre
Maâti Bouabid*en c qui concerne sur la situation du détenu Ahmed
Herzenni, mais sans succès224.
Alors que les informations sur les détenus politiques
affluaient à Paris pour être ensuite retransmises vers les bureaux
des Comités de Bruxelles et de Charleroi, le cas d'un détenu
retint, sur le moment, une attention toute particulière des deux
Comités belges. Il s'agissait d'Abdellatif Derkaoui. Abdellatif Derkaoui
était un enseignant à Rabat et fut condamné dans la prison
de Kénitra à une peine de 30 années en 1972. Ce
détenu a raconté son séjour carcéral par des
dessins. Profitant d'une rare occasion de démontrer les conditions de
détention iconographiquement, une exposition des oeuvres d'Abdellatif
Derkaoui a été décidée par les CLCRM initialement
au cours de l'année 1982 à Marseille. Après un premier
succès dans le Midi de la France, les CCRM de Belgique ont
organisé l'exposition des oeuvres de Derkaoui entre janvier et mars
1983. Cette exposition s'est tenue dans le cadre d'un colloque intitulé
« Poésie et Libertés »225.
L'événement a eu lieu le 27 janvier 1983 dans les locaux du
Centre Socio-culturel des Immigrés à Bruxelles226.
L'exposition de Charleroi a réuni 400 personnes le dernier
jour227. Enfin, du 16 au 25 mars à Liège dans les
locaux de la FGTB où la régionale UBDP, la commission «
Immigrés de la FGTB et l'association « Solidarité arabe
» participèrent à l'organisation235. Des dessins,
ainsi que des poésies d'autres détenus, relatent la vie
quotidienne dans les prisons marocaines et plus particulièrement
220 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre de Serge D'agostino
à Pierre Le Grève relative sur la détention d'Abderrahim
Charahbili Harouchi datée du 14 juillet 1980.
221 Interview de Mimoune Sastane le 3 avril 2014.
222 Annales Parlementaires de Belgique, Session ordinaire
1980-1981, Séance du mercredi 19 novembre 1980 : Interpellation de
Claude Dejardin relative à l'exportation des armes belges, pp.
289-290.
223 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre d'Henri Simonet
à M'hammed Boucetta datée du 8 janvier 1980.
224 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettre de Claude Dejardin
à Maâti Bouabid sur le cas d'Ahmed Herzenni datée du 28
avril 1982.
225 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Communiqué relatif
au colloque « Poésie et Libertés » daté du 13
décembre 1980.
226 La Cité du 20 janvier 1983. Le Drapeau
Rouge du 20 janvier 1983.
227 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°407, les CLCRM - Comptes rendus et documents internes : Bilans des
activités du CCRM de Charleroi datés du 19 et 20 mars
1983.
73
l'expérience carcérale d'Abdellatif Derkaoui. Le
coût total de cette exposition en Belgique s'est élevé au
montant de 48.318 FB228.
Quelques dessins d'Abdellatif
Derkaoui229
La fin du quatrième Gouvernement de Léo
Tindemans* a marqué l'enchaînement de plusieurs Gouvernements en
Belgique. Du deuxième Gouvernement Van Den Boeynants (PSC du 20 octobre
au 18 décembre 1978) aux neufs Gouvernements Martens* (CVP du 3 avril
1979 au 25 novembre 1991), un nouveau clivage va être pris par le CCRM.
Cette politique portée à l'encontre des immigrées en
général et
228 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°316, les oeuvres d'Abdellatif Derkaoui : Lettre du CCRM de Bruxelles
adressée à la Régionale UBDP de Liège, la
Commission « Immigrés » FGTB et Solidarité Arabe,
datée du 4 mars 1983.
229 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°406, les CLCRM - Liste et organigrammes : Bilan financier de
l'organisation de l'exposition Abdellatif Derkaoui de mars 1983.
74
des Marocains plus particulièrement, s'est traduite par
un nouveau durcissement quant à la politique de la naturalisation.
Parallèlement aux mesures Stoléru-Bonnet en
France230, le gouvernement néerlandais231
définit, au début des années 1980, une politique
migratoire en deux volets : une politique restrictive d'immigration,
accompagnée d'une politique d'intégration qui présentait
les immigrés comme des « populations à problèmes
». Ces orientations politiques dans le contexte économique
difficile, ont poussé le KMAN a adopter une position défensive en
traitant au mieux les thèmes tels que la montée du racisme, la
défense des Droits de l'Homme au Maroc, la politique d'éducation
et la défense des droits socio-économiques, politiques et
légaux des immigrés.
En Belgique, certaines communes bruxelloises agissaient
même de façon totalement autonome dans l'acceptation ou non des
élèves marocains dans leurs écoles. A cet égard, la
politique de l'ancien Bourgmestre FDF de Schaerbeek, Roger Nols* et de son
homologue libéral d'Anderlecht Henri Simonet vis-à-vis des
résidents marocains de leur commune reste significative. Ces deux
bourgmestres ont délibérément arrêté les
inscriptions dans leur commune de certains ressortissants étrangers dont
les ressortissants turcs et marocains. Ainsi, le RDM condamnait dans un
communiqué232 la décision brutale de Roger Nols* de
supprimer 10 écoles primaires dès le 1er septembre
1983. Ces écoles étaient majoritairement
fréquentées par des enfants marocains et turcs. Le comportement
politique de Roger Nols* fut même à l'origine d'une scission
interne où l'aile gauche du parti - principalement
représenté par Serge Moureaux* et François Martou
(vice-président national du MOC) - prit ses distances vis-à-vis
du Bourgmestre233.
Très peu porté sur les travaux du CCRM, Jean
Gol* (PRL devenu MR et participation aux Gouvernements Martens* du 17
décembre 1981 au 14 octobre 1985) refusa plusieurs fois
d'intercéder en faveur des détenus politiques au Maroc. Il alla
même jusqu'à supprimer, non sans la passiveté de
l'Ambassadeur marocain de Bruxelles, le droit aux étudiants marocains
d'obtenir leur bourse. En effet, le Gouvernement marocain a adopté la
décision de faire interdire une bourse d'étude aux
étudiants marocains à l'étranger participant à des
grèves, depuis le 18 février 1980234. Qui plus est,
Jean Gol* a favorisé l'expulsion de certains ressortissants marocains
résidant sur le territoire belge235.
230 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°316, les oeuvres d'Abdellatif Derkaoui : Dessins d'Abdellatif Derkaoui,
non datés.
231 La loi dite Stoléru, du nom du Secrétaire
d'État chargé de l'immigration Lionel Stoléru (1978-1981),
était un projet de loi qui encourageait le retour des immigrés
dans leurs pays d'origine et diminuer de moitié leur nombre en France.
La loi Bonnet du10 janvier 1980, du nom du ministre de l'Intérieur
Christian Bonnet (30 mars 1977 au 22 mai1981), réprimera l'immigration
clandestine et rendra plus difficiles l'entrée et le séjour des
étrangers en France. I. VAN DER VALK, in N. OUALI (dir.), op.
cit., p. 347.
232 Archives Personnelles de Mohamed El Baroudi, Documents
relatifs à la gestion interne du RDM : Communiqué du RDM
daté du 13 février 1983.
233 P. WYNANTS, Bruxellois d'origine
extra-européenne. Représentation politique au FDF
(1964-2014), in La Revue Nouvelle, novembre 2013, p. 70.
234 Archives Personnelles de Mohamed El Baroudi, Documents
relatifs à la gestion interne de l'UNEM section Bruxelles :
Communiqué de presse de l'UNEM sections Bruxelles-Liège-Mons
daté du 4 mars 1980.
235 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°398, Correspondances diverses 1977-1994 : Lettres du CCRM de
Bruxelles à Jean Gol relatives à l'expulsion du ressortissant
marocain Koub Saïd datées des 25 mai et 4 juin 1982.
75
Ce nouveau tournant politique déçut fortement
les membres du CCRM, si bien que Jacques Moins* adressa une longue
réponse relative à cette politique sécuritaire aux
différents présidents des partis politiques. Dans cette
réponse, Jacques Moins* voulait attirer l'attention sur le fait que:
« (...) le quart de la population est composé d'immigrés
et un enfant sur deux qui naît dans la région bruxelloise est non
belge. Les différences culturelles, les traditions et le mode de vie
divers engendrent souvent l'incompréhension, parfois l'hostilité
et même la haine (...). Bruxelles est appelé à devenir une
ville pluriculturelle. Si le Mammouth de Jean Gol a accouché d'une
souris, les opérations « coup de poing » accompagnées
de contrôle d'identité et d'interrogatoires contribuent le plus
souvent à augmenter le sentiment d'insécurité et
d'inquiétude. (...) Rétablir la sécurité, c'est
avant tout assurer un bon environnement, un aménagement urbain qui
tienne compte des exigences de la vie en ville (...)236.
»
L'avènement du Gouvernement Martens-Gol* a aussi
coïncidé avec l'enseignement du culte islamique -
déjà reconnu depuis 1974 - mais rendu effectif à partir de
1983. Ce nouveau phénomène sera observé non sans
intérêt par le Comité bruxellois à travers la CGSP
secteur Enseignement. L'enseignement du culte islamique relevait d'une grande
part de la responsabilité des pays d'origine, ainsi, le Maroc
fournissait ses propres professeurs de religion islamique dans les
établissements scolaires bruxellois.
Une première alerte a été donnée
le 25 février 1983. Une circulaire publiée par la CGSP secteur
Enseignement, annonçait la visite de l'ancien premier ministre marocain
Dr. Azzedine Laraki (premier ministre du 8 octobre 1969 au 12 octobre 1970),
devenu par après ministre de l'Education Nationale du 12 octobre 1977 au
30 septembre 1986. Cette circulaire stipulait : « Qu'un accord serait
intervenu afin de permettre aux élèves marocains de nos
écoles d'apprendre l'arabe dans les établissements d'enseignement
primaire, les cours étant prodigués par des professeurs de
Rabat237. »
Le 7 juin, inquiet d'une absence d'encadrement de ces
professeurs, Claude Dejardin* posa la question suivante au ministre de
l'Education André Bertouille (MR): « La presse a fait
récemment état d'un accord intervenu entre le gouverneur marocain
et votre ministère concernant un échange d'enseignants. De quoi
s'agit-il exactement et quels sont les termes exacts, notamment en ce qui
concerne la scolarisation des enfants immigrés d'origine marocaine
résidant en Belgique. Serait-il exact que ces enfants auraient à
choisir, à Bruxelles, entre les cours d'arabe et de néerlandais ?
Quelles seraient alors les conséquences légales d'un tel choix en
matière d'homologation du diplôme, par exemple ? A cette occasion,
ne pensez-vous pas qu'il soit délicat de favoriser l'intrusion dans nos
écoles d'enseignants désignés par un régime peu
respectueux des droits de l'homme et que les nationaux concernés
considèrent le plus souvent comme des policiers déguisés
en professeurs ? ». A cette large question conjuguant scolarisation
des enfants marocains et cours dispensés par des professeurs venus du
Maroc, le ministre ne s'en tiendra qu'à l'aspect formel de l'accord
entre les deux pays en insistant sur le fait que : « le
236 CARCOB, Archives Communistes de Bruxelles, Fonds Jacques
Moins, Boîte N°2, Liasse n°6, Dossier
sécurité Belgique : Communiqué relatif à la
montée de l'insécurité sociale à Bruxelles
daté de 1982.
237 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°46, Enseignement de la religion islamique - circulaires : Circulaire
de la CGSP Enseignement datée du 25 février 1983.
76
Gouvernement du Maroc a souhaité que les jeunes
Marocains vivant en Belgique ne soient pas coupés définitivement
de leur pays d'origine et que l'on puisse organiser à leur
bénéfice, dans nos écoles et pour ceux qui le
désirent, certaines activités culturelles spécifiques :
cours de langue arabe et de culture islamique238».
Cependant, si le ministre souligna les dispositions expérimentales sur
les cours de langue arabe et de culture islamique, il évita
soigneusement de se prononcer sur l'homologation des élèves qui
auraient éventuellement à choisir entre le néerlandais et
l'arabe, ni sur le possible « déguisement des policiers en
professeurs venus du Maroc ».
A la question désormais ouverte sur l'enseignement du
culte islamique, la RTBF annonçait quelques mois plus tard une
information qui allait mobiliser des nouveaux efforts du CCRM. Le mardi 18
octobre 1983 à 7h20, la RTBF annonçait dans son point de
l'actualité u n e visite prochaine d'Hassan II* en Europe. «
(...) Avec une certaine discrétion (c'est une visite de travail),
les Européens reçoivent, mine de rien, un hôte de marque :
le roi Hassan II du Maroc. Il arrive cet après-midi. Il rencontrera ses
hôtes belges : le roi, le premier ministre, le ministre des relations
extérieures. Mais l'essentiel de son séjour sera consacré
à des discussions économiques avec des représentants de la
Communauté européenne239. »
N'ayant pu venir visiter les Institutions Européennes
en Belgique déjà depuis la Marche Verte de 1975, et, compte t e n
u d' une vive opposition exprimée par les mouvements associatifs
marocains en Europe, la visite éclair du ministre Bouamoud de 1978 avait
bien pour objectif de renseigner le monarque chérifien sur l'état
des lieux politique et de mesurer les forces syndicales belges et marocaines.
Qui plus est, le monarque chérifien voulait être
l'intermédiaire exclusif entre les ressortissants marocains à
l'étranger et les autorités des pays d'accueil. Les motifs de la
visite d'Hassan II* étaient justifiés par trois points : des
préférences commerciales pour les produits industriels
méditerranéens sur les marchés européens et
diverses concessions dans le domaine agricole, un volet financier sous forme de
dons et de prêts de la banque européenne d'investissement, ainsi
qu'un volet social accordant certaines garanties aux travailleurs
méditerranéens établis en Europe. Toutefois, le journal
Le Soir rappelait que le pouvoir législatif continuait à
être exercé par Hassan II*240.
Pour le reste, le déficit de la balance commerciale du
Maroc dans ses échanges avec l'Europe se montait, au début des
années 1980, à 518 millions de dollars. La situation
financière du pays n'a cessé de s'aggraver depuis plusieurs
années. Depuis le réajustement structurel ordonné par le
Fonds Monétaire International (FMI), le Maroc a dû augmenter de
près de 70 % ses importations de céréales.
Dans un contexte de démographie galopante, l'Etat doit
entretenir en permanence une armée de
238 Annales Parlementaires de Belgique, Session ordinaire
1982-1983, Bulletin des questions et réponses n°36 du 12 juillet
1983, Question orale posée par Claude Dejardin à André
Bertouille.
239 RTBF Edition du mardi 18 octobre 1983 à
7h20.
240 Le Soir du 18 octobre 1983.
77
200.000 hommes dévorant 40 % du budget
national241. On conçoit dès lors que les dossiers
économiques sont assez importants pour qu'Hassan II* se fasse le commis
voyageur de marque. D'autant que sa visite suit l'axe de ses principaux
partenaires : Washington, Paris et Bruxelles. Entre-temps, le roi du Maroc a
pris en charge tous les pouvoirs législatifs du Parlement. Des
élections étaient prévues mais Hassan II* annonçait
un report pour cause d'un référendum établissant si le
Sahara occidental devait être marocain ou indépendant. Le dossier
du Sahara était bloqué depuis le sommet de Nairobi réuni
en 1981 et les élections marocaines n'eurent pas lieu non plus.
Les observateurs les plus positivement neutres parlent de
démocratie contrôlée, alors que les CCRM et certaines ONG
comme Amnesty International et la Ligue des Droits de l'Homme rappellent les
morts survenus depuis les manifestations du 23 mars 1965 et les récentes
condamnations expéditives depuis les procès à l'encontre
de l'ALM, des partis de gauche de l'UNFP, du PCM (PLS) et de la future USFP
entre 1968 et 1974, en passant par le procès des Frontistes de 1977 et
les rafles à l'encontre des grévistes depuis le 21 juin 1981.
L'épineux dossier des Droits de l'Homme au Maroc a
surtout, donc, été épinglé par les CCRM, et
lorsqu'Hassan II* est venu en Belgique pour rencontrer les
ministres Wilfried Martens* et Jean Gol* au sein de la Commission
européenne, il ira jusqu'à affirmer, dans le cadre de la
politique en matière de lutte contre la clandestinité en
général et contre l'arrivée des travailleurs marocains en
Belgique plus particulièrement, que: « Ceux-là (les
travailleurs marocains), s'ils se sont bien conduits ou s'ils ont bien
travaillé, s'ils ont fait ce qu'ils ont fait, devraient à mon
avis être confirmés dans leur travail et dans leur situation. Il
ne faudrait plus les appeler des clandestins. Disons que ce sont des gens qui
ne sont pas à jour par rapport à la législation communale
et non par rapport à la législation entre
Etats242».
Mais entretemps, un texte communiqué à la presse le
jour même de la visite du roi à la Commission
mentionnait: « qu'un petit groupe de fonctionnaires
de la Communauté européenne, mis au courant par les rapports des
ONG et des CCRM et conscient de la grave situation des Droits de l'Homme au
Maroc, a tenu à faire connaître au monarque, en brandissant sur
son passage une pancarte exigeant la liberté pour tous les prisonniers
politiques, sa profonde réprobation. Les prisonniers politiques, qui
ont, pour beaucoup, connu la torture, sont détenus, parfois depuis plus
de 10 ans, pour avoir seulement exercé leur droit à la
liberté d'expression et d'association qui est garanti par la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, à laquelle le
Maroc, Etat membre de l'ONU, souscrit en principe243».
Un geste symbolique venait directement d'être
posé à l'encontre du roi Hassan II* dans une Institution
Européenne. Néanmoins, cette action visant à une
sensibilisation quant à la situation politique au
241 Syndicats, organe de presse de la FGTB,
N°43, le 22 octobre 1983. Interview d'Abderrahmane Cherradi par Anne
Quinet, RTBF Edition du mercredi 19 octobre 1983 à 19h00.
La Dernière Heure du 20 octobre 1983. La Libre
Belgique du 20 octobre 1983. Le Monde du 26 octobre 1983.
242 Interview d'Hassan II par Jean-Charles Dekeyser,
RTL-TV Edition du 19 octobre 1983 à 19h15.
243 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°422, Roi Hassan II - Visite en Belgique : Texte communiqué
à la presse le 19 octobre 1983.
78
Maroc n'aurait pu aboutir s'il n'y avait pas eu
préalablement plusieurs réunions de coordination entre les
Comités de toute l'Europe.
b.3.4 Les relations entre les CLCRM en Europe:
coordinations et bilans d'activités 1977-1983.
Depuis la première coordination proposée par le
Comité de Paris le 17 octobre 1977, les comités, bien
qu'autonomes les uns par rapport aux autres, doivent proposer une
méthode de synchronisation de leurs travaux une fois par
an244. Lors de cette première coordination, le Comité
de Paris a proposé le déroulement de la réunion
extraordinaire, entre le samedi 15 et le dimanche 16 octobre, en vue
d'échanger les informations sur les activités des comités,
les informations sur le Maroc avec un compte rendu des relations avec les
organisations marocaines (entendons les associations des Droits de l'Homme au
Maroc, mais surtout les mouvements associatifs marocains en Europe plus
impliqués dans la lutte contre la répression au Maroc). Les
coordinations étaient au début, et suivant la
disponibilité des membres des CLCRM, tantôt annuelles,
tantôt semestrielles voire même trimestrielles. Lors des
coordinations, les CLCRM formaient pour l'occasion l'Association des
Comités de Lutte contre la Répression au Maroc. Suite à
cette première réunion de coordination, les comités ont
décidé que chaque projet devait être suivi d'une commission
de travail. Selon la disponibilité des membres des différents
comités, une confirmation devait être faite par lettre. De la
deuxième coordination du 5 février 1978 à la coordination
du 17-18 mars 1979, cinq CLCRM venus de France et de Belgique ont
dénoncé auprès de l'opinion publique l'intervention du
Gouvernement Giscard aux côtés du régime marocain, dans sa
politique de répression, d'impérialisme au Maroc et dans toute
l'Afrique245.
Nous avions vu aussi que les CCRM ont marqué leur
solidarité par la participation d'une mission juridique d'envergure pour
les grévistes de la faim arrêtés depuis octobre 1977. En ce
sens, les CCRM soutenaient l'initiative des grévistes qui maintenaient
leur action vis-à-vis du régime en réclamant un statut
écrit pour les détenus politiques. C'était mettre Hassan
II* au pied du mur, car s'il acceptait d'octroyer le statut de détenus
politiques, ce serait tacitement reconnaître le délit d'opinion.
Or, selon le monarque, il n'existait pas de détenu d'opinion mais
seulement des hors-la-loi: « Pour ce qui est des prisonniers
politiques, il n'y en a pas chez nous. Il y a des prisonniers d'éthique.
(...) Un homme qui sort de la loi n'est plus un prisonnier politique. (...)
Mais ceux-là ne sont pas des prisonniers, ils sont des
hors-la-loi246.»
244 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan de la
coordination du 15 au 17 octobre 1977.
245 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilans de la
coordination des CLCRM daté du 14 octobre 1979.
246 Interview d'Hassan II sur Europe 1 du 21 novembre
1976.
79
Organigramme des CLCRM en
Europe247
Amsterdam
Dusseldörf
Toulouse
Bruxelles
Besançon
Lausanne
Limoges
Amiens
Angers
Marseille
Aix-En-Provence
Liège
Lillle
Dijon
Lyon
Nice
Les CLCRM d'Europe se contactaient par lettre, mais
prévenaient directement Paris dès lors qu'ils voulaient publier
des informations. Durant l e s bilans des coordinations, chaque comité
était tenu d'envoyer un rapport à Paris. Les informations sur les
activités varient selon chaque comité. Ainsi, nous pouvons
retracer la trajectoire de plusieurs comités en Europe suivant leurs
activités. Bien que le Comité de Paris représente le
comité central, la Belgique, les Pays-Bas, la RFA structuraient leur
CCRM autour d'un Comité intermédiaire avec Paris. L'abondante
correspondance entre les comités permet de dégager cinq
comités intermédiaires entre Paris et les sections locales :
Charleroi, Nîmes, Rouen, Grenoble et Avignon.
247CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936,
Liasse n°406, Les CLCRM : Listes et organigrammes : Les sections des
CLCRM en Europe. Organigramme daté de 1980.
80
A partir de 1982, chaque comité en Europe se dotera
d'un numéro de téléphone d'urgence qui devait strictement
rester confidentiel.
Entre décembre 1978 et février 1979, le
Comité de Dijon248 a tenu régulièrement
à organiser le dépôt de la presse du comité dans
deux librairies dijonnaises. Ce comité a participé au Collectif
SOS-REFOULEMENT local et est rentré en contact avec l'Association des
Marocains de France (AMF) pour décider des axes de travail entre les
deux associations. Étroitement lié aussi à l'UNEM, le
Comité de Dijon a organisé le 12 décembre 1978 une
soirée de projection-débat sur l'oppression de la femme au
Maghreb. Une centaine de personnes y ont participé, dont quelques femmes
immigrées qui prirent la parole. En janvier 1979, le Comité de
Dijon a marqué sa solidarité avec l'UNEM, dans laquelle un
meeting fut organisé pour exiger la légalité effective de
l'UNEM et de ses responsables militants.
Cette solidarité s'est concrétisée par le
lancement d'une campagne pour la libération des détenus
politiques via l'envoi de 150 lettres à des sympathisants et
personnalités de la région. Le mois suivant, le CCRM de Dijon
s'est joint au Comité contre la Répression en Amérique
Latine et à l'Association Médicale Franco-Palestinienne dans le
cadre d'un colloque intitulé « 10 jours contre
l'impérialisme ». Durant tout le colloque, se sont tenues une table
de presse et l'exposition d'une série de panneaux sur le travail des
petites filles dans les fabriques de tapis, sur l'exploitation touristique et
les implantations d'entreprises françaises au Maroc. S'en sont suivies
une projection d'un film sur la lutte du peuple sahraoui et la tenue d'un
débat sur le rôle du gouvernement français dans la
région, puis l'organisation d'une soirée ayant pour thème
« la Coopération au Maroc ». Ces derniers
événements ont constitué les deux interventions
spécifiques du Comité dijonnais. Des enseignants et des
étudiants marocains ont débattu sur les implications aux niveaux
culturels et techniques et sur la finalité réelle de la
coopération.
A Besançon249, le Comité a
participé à la création d'un comité de
défense des étudiants étrangers : dix étudiants
étrangers - dont six marocains - étaient menacés
d'expulsion après le refus de leur inscription en faculté. Le
CCRM de Besançon a informé Paris et a soutenu l'inscription de
ces 6 étudiants marocains au Centre Linguistique Appliqué. Le
CCRM de Besançon s'investissait dans l'organisation d'un travail en
rapport avec l'enfance immigrée, dont les enfants des ouvriers
marocains. Le Comité de Besançon a participé à un
débat sur la répression que subissent les travailleurs marocains
sur une Radio libre locale.
Le Comité d'Angers a tenu, pour sa part, une
réunion toutes les trois semaines. Durant ces réunions
tenues avec la section locale de l'UNEM, il eut quelques
nouveaux participants et chaque membre versa une cotisation de 10
FF250. Durant le mois de novembre 1978, les membres du CCRM d'
Angers ont exposé des panneaux sur la « situation actuelle au Maroc
» dans les restaurants universitaires. En décembre, le
Comité a organisé le premier anniversaire de la mort de
Saïda Menebehi*et a proposé une table ronde sur
248 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Dijon entre fin 1978 et début 1979.
249 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Besançon entre novembre 1978 et
février 1979.
250 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM d'Angers entre novembre 1978 et janvier 1979.
81
la situation des femmes au Maroc. Entre temps, un
étudiant marocain nouvellement arrivé mais inscrit tardivement en
droit s'est vu refuser sa carte de séjour. Le Comité et l'UNEM
ont été à l'initiative d'un collectif local contre
l'expulsion regroupant les organisations étudiantes, humanitaires,
syndicales et politiques. Une délégation au rectorat conduite par
le vice-président du bureau des Etudiants de l'Université
d'Angers a obtenu une dérogation permettant à l'étudiant
marocain d'avoir sa carte de séjour. Le 24 janvier 1979, le
Comité a distribué publiquement des tracts et une pétition
pour la libération des détenus politiques en particulier celle
des responsables et militants de l'UNEM. Parallèlement, le CCRM d'Angers
déplore des pratiques « peu démocratiques » au sein de
l'UNEM. Le Comité signale aussi la lenteur des informations
diffusées par les bulletins du Comité de Paris.
A Lausanne, le Comité Suisse contre la
Répression au Maroc s'est constitué dès le 15 avril
1978251. Ce Comité constitue une caisse de résonnance
supplémentaire pour les CLCRM de France, de Belgique et des Pays-Bas.
Malgré une faible présence marocaine en Suisse, le Comité
lausannois est surtout composé de professeurs d'université et de
citoyens suisses. Ces derniers proviennent de Lausanne même,
Genève, Neuchâtel et Zürich. Appuyé par des avocats,
le CCRM de Lausanne se consacrera à dénoncer la répression
politique au Maroc, à informer sur les revendications populaires au
Maroc et à saisir les organisations internationales siégeant
à Genève. Le Comité de Lausanne était en
étroite relation avec le Comité de Grenoble. Il participera
activement à la coordination des CLCRM de Strasbourg en 1985 comme nous
le verrons plus loin.
D'octobre 1978 à mars 1979, le Comité lillois a
mené une campagne en faveur du Comité de Défense des
Etudiants Etrangers252. Ce comité avait décidé
de bloquer les inscriptions à l'Université de Lille pour
protester contre les arrêtés d'expulsion. Le CCRM de Lille a aussi
dressé une commission qui étudie les conditions de vie et de
recrutement des mineurs marocains travaillant dans les charbonnages du Nord.
Des contacts réguliers se maintiennent avec la section lilloise de
l'UNEM et ce dernier prend 10 abonnements au bulletin du Comité.
Contrairement à Angers, les membres du CCRM de Lille ne parvenaient pas
à se réunir régulièrement. Le Comité
rapportait, accessoirement, une anecdote selon laquelle la chienne d'Hassan II*
malade avait été transportée par avion à Nice pour
y être opérée. L'animal était escorté d'un
colonel...
Durant la troisième coordination des CLCRM qui s'est
tenue les 25 et 26 octobre 1980 à Charleroi253, le
Comité carolorégien a participé avec Paris, Lille et Dijon
à une collecte avec le soutien supplémentaire d'une organisation
néerlandaise « la Campagne épiscopale de Carême
». La recette était déposée sur un compte ouvert
depuis 1976, et destinée uniquement à la solidarité
financière à l'égard des prisonniers et de leurs familles.
A cette occasion, les sommes reçues sont destinées : aux
bibliothèques des
251 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Lausanne daté du 19 avril 1978.
252 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Lilles d'octobre 1978 à mars 1979.
253 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Rapport de la
coordination de l'ASCLCRM des 25 et 26 octobre 1980.
82
prisonniers politiques, pour un montant de 11.500 florins,
soit 24.381 FF. La coordination des Comités a demandé à
l'AMDH (censurée au Maroc) de fixer l'inventaire des besoins en revues,
ouvrages, matériel
pédagogique, appareils audio-visuels et cours par
correspondance, destinés aux prisonniers politiques et à leurs
familles, pour un montant de 33.000 florins, soit 69.381 FF. La coordination
des CLCRM a décidé d'envoyer 100 FF par mois, pendant douze mois
à 50 prisonniers que les CLCRM estimaient être les plus
démunis.
Entre septembre 1981 et janvier 1982, le Comité lillois
a organisé, en association avec l'UNEM, la Ligue des Droits de l'Homme
et le Collectif Français-Immigrés de Villeneuve-d'Ascq, une
conférence sur la situation économique, sociale et politique au
Maroc. Cette conférence à laquelle ont assisté près
de 110 personnes a été suivie de l'envoi de cartes postales au
Consulat du Maroc pour réclamer la libération des détenus
politiques254. Par ailleurs, une manifestation organisée par
l'UNEM le 16 décembre 1981 a abouti à l'occupation des locaux du
Consulat pendant trois heures. Cette manifestation faisait suite à
l'occupation de l'ambassade du Maroc par une septantaine d'étudiants de
l'UNEM, laquelle eut lieu à Bruxelles le 6 mars 1980255.
A Grenoble256, le CCRM a présenté aux
représentants du comité de Paris ses actions pour l'année
1978 jusqu'au mois de juin 1979. Parmi les activités accomplies, le CCRM
grenoblois a participé à un meeting de soutien aux
insurgés de Gafsa (ville située au Sud de la Tunisie). Le
Comité a participé à une table de presse sur le campus
universitaire, aux distributions d'un tract dénonçant le
caractère « gaussé » d'une exposition sur le Haut Atlas
au Musée de la ville. Le Comité de Grenoble s'est associé
au Comité de Dijon à propos d'un colloque sur
l'impérialisme, au cours duquel le CCRM grenoblois a
présenté un exposé sur l'impérialisme exercé
par la France sur les pays du Tiers-Monde. Néanmoins, le Comité a
cherché à créer le débat lors d'une
conférence à propos du poète militant Abdellatif
Laâbi*. Ce débat devait permettre une confrontation entre les
Marocains toutes tendances politiques confondues, mais ne fut pas un
succès. Alors que le Comité cherchait à réunir les
différents points de vue des Marocains, il signalait un ralentissement
voire une cassure du travail à cause de la majorité des partisans
communistes du PPS, de l'UNEM et de l'USFP à propos de l'affaire du
Sahara, d'une part, et, d'autre part, à cause des sympathisants
d'Ilal Amam et du 23 Mars qui n'auraient pas encouragé la bonne
marche du débat. Ailleurs qu'à Bruxelles aussi, les tensions
entre les différentes tendances politiques marocaines étaient
perceptibles ; en outre, le CCRM de Grenoble redoutait fortement les membres
« passagers » en son sein et doublait sa vigilance à
l'égard des auditeurs marocains.
254 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Lille entre septembre 1981 et janvier
1982.
255 Le Drapeau rouge du 7 mars 1980.
256 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Grenoble des 17 et 18 mars 1979.
83
En mars 1981, le CCRM de Rouen participe à la
réalisation de la BD de « Rahal » en organisant une collecte
de fonds257. Cette collecte devait aussi permettre, quatre mois plus
tard, l'impression d'une brochure intitulée « Casablanca juin 1981
» en collaboration avec Paris. Déjà, deux ans plus
tôt, le Comité de Rouen a émis le constat suivant : «
le travail doit se développer avec la participation du plus grand
nombre de Marocains258». En outre, le Comité de
Rouen a participé activement au moussem qu'organisent les
associations des travailleurs marocains en Europe en mai 1981.
Un appel à une coordination des CLCRM pour le
28 et 29 mars 1981. Appel proposé par le Comité de
Rouen259
257 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Compte-rendu de
la coordination des CLCRM passée à Rouen les 28 et 29 mars
1981.
258 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Rouen en mars 1979.
259 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Appel d'une
coordination proposé par le CLCRM de Rouen daté du 11
février 1981.
84
Retour sur le Comité de Dijon. En effet, alors que le
colloque sur l'impérialisme avait été un succès, le
CCRM dijonnais a pris connaissance du fait qu'une Foire Gastronomique allait se
tenir dans la ville260. Au même moment éclatait les
émeutes à Casablanca et le Comité n'a pas manqué
d'envoyer un télégramme au ministre des Affaires
Extérieures Claude Cheysson261. Cette foire était
organisée par les instances officielles marocaines, et, par deux fois, a
été annulée. La première avait eu lieu à
Caen et la seconde à Rouen. Ces deux villes disposaient d'une section
locale du CCRM, mais l'ambassadeur marocain cherchait à avoir le soutien
de la mairie et des commerçants locaux pour l'organisation de la foire.
Qui plus est, l'ambassadeur cherchait à jumeler la ville avec
Meknès. Alerté, le CCRM dijonnais a lancé un appel qui fut
rejoint entre autres par : l'AMF, Artisans du Monde, Libre Pensée, le
Parti Communiste Français (PCF), le Parti Socialiste Français, le
Parti Socialiste Unifié (PSU), l'UNEM et le Club Solidarité
Carnot. Ce collectif a organisé derechef un meeting auquel
participèrent un membre d'une délégation de
l'Internationale Socialiste au Maroc et Christine Jouvin Daure-Serfaty*. Le
bilan de ce meeting sensibilisa le public et la Foire Gastronomique ne put se
tenir.
A Brest262, le Comité a participé
entre avril et septembre 1982 à la présentation d'un montage
d'une interview d'Hassan II*. Le CCRM a organisé une soirée avec
projection du film « l'Attentat » et essayait de tenir une table de
presse hebdomadaire régulière.
Le Comité strasbourgeois a tenu un programme
d'activités intense entre janvier et juin 1982263. Du 14 au
25 janvier, le Comité a distribué un dépliant
intitulé « le Maroc touristique » à l'occasion de la
projection du film « L'envoûtement du Sud marocain ». Le
1er février, le Comité organise une rencontre avec
l'Association Catholique pour l'Abolition de la Torture (ACAT) et envoie un
communiqué à trois journaux alsaciens264
dénonçant la visite d'Hassan II* en France. Le 12 février,
le Comité organise une soirée culturelle où sont
invités des chanteurs marocains et turcs. Le 23 février, le
Comité fut convié à exposer la situation du Maroc dans le
cadre de la semaine panafricaine qui traitait du thème des Droits de
l'Homme en Afrique. Le 2 mars, le Comité a participé à un
meeting avec des représentants de l'USFP à propos de
l'arrestation du secrétaire général du parti Abderrahim
Bouabid*. Une table de vente a été aménagée et le
CCRM a fait une intervention sur les derniers évènements en
rapport avec la répression. Du 4 avril au 22 juin, le Comité a
organisé un concert pour le groupe marocain Nass El
Ghiwane265 et a distribué des tracts avec la section locale
de l'UNEM. Le CCRM a exposé plusieurs panneaux et a procuré des
informations dans le cadre d'une interview donnée à une
étudiante en journalisme à l'Institut
260 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes :
Communiqué : Foire gastronomique de Dijon - Une action unitaire
réussie du 21 novembre 1981.
261 Claude Cheysson (1920-2012) fut un haut fonctionnaire et
homme politique français. Il a été commissaire
européen chargé des relations avec les pays en voie de
développement (1973-1981) et ministre des Relations extérieures
(1981-1984).
262 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Brest daté de 1982-1983.
263 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du CLCRM de Strasbourg daté du 22 juin 1982.
264 Ces journaux sont : Les Dernières Nouvelles
d'Alsace, Le Nouvel Alsacien, L'Alsace.
265 Nass El Ghiwane fut l'un des groupes musicaux les plus
importants au Maroc. Ce groupe musicale est né à la fin des
années 1960 et puisait dans les répertoires populaires avec un
intérêt de l'actualité sociale et politique marocaine.
85
Universitaire Technologique de la ville sur la situation
politique au Maroc. Enfin, une fois par semaine, un membre du Comité a
diffusé sur Radio Bienvenue (radio libre de Strasbourg) les
dernières informations en rapport avec la répression au Maroc.
A Amsterdam, le Comité local et le KMAN étaient
intimement liés. Entre le 21 juin 1980 et le 6 janvier
1982266, les deux associations ont fait des communiqués de
presse concernant les événements de Casablanca. Le 25 juin, le
Comité a organisé une manifestation de protestation devant
l'ambassade marocaine à La Haye et a remis à l'ambassadeur une
pétition appuyée par la Fédération des Syndicats
Hollandais (FNV) et les Syndicats Nationaux Chrétiens (CNV). Trois jours
plus tard, une nouvelle manifestation a été organisée et a
réuni 900 personnes. Fort de ce succès, le CCRM d'Amsterdam a
réuni plusieurs représentants des organisations syndicales,
politiques et ecclésiastiques de tout le pays. Au niveau local, le CCRM
d'Amsterdam collabore avec la section locale du KMAN d'Eindhoven et
l'association humanitaire Emmaüs. Ensemble, ils dénoncent les
activités des Amicales à Maastricht, notamment l'agression au
couteau commise par leur président et ses collaborateurs à
l'égard de certains militants du KMAN. Les organisations syndicales
néerlandaises proches du CCRM d'Amsterdam, ont organisé à
Rotterdam une soirée suivie d'une table ronde avec des
représentants d'Amnesty International.
Les CLCRM en Europe cherchent le plus possible à
investir l'espace public, s'agissant de la répression politique au
Maroc. Cet investissement se caractérise par des distributions publiques
de tracts, ainsi que par une implication dans l'enceinte universitaire
où, d'une part, les CLCRM défendent les droits des
étudiants étrangers et, d'autre part, ils sensibilisent les
étudiants du campus sur la vie politique au Maroc sous une perspective
d'une solidarité internationale. Par ailleurs, les CLCRM distribuent
leur bulletin d'information dans des librairies et travaillent à gagner
l'opinion publique en leur faveur par des interventions radiophoniques sur la
répression politique au Maroc. L'examen de ces premières
coordinations permet d'affirmer que les CLCRM ont parfois maille à
partir avec les problèmes internes des mouvements associatifs
marocains.
La coordination des CLCRM organisée à Rouen
établissait une meilleure disposition des travaux des sections locales,
dressait les premières recettes et harmonisait le plus possible le
fonctionnement entre les CLCRM. A l'issue des activités portées
par les CLCRM en Europe, une nouvelle association née des CLCRM voyait
le jour en France durant les deux premières coordinations
européennes267: l'Association des Parents et Amis des
Disparus au Maroc (APADM). Cette association va compléter le travail des
CLCRM en dressant des listes des victimes collatérales de la
répression au Maroc, tout en centralisant davantage les listes des
détenus dressées par les CLCRM. Ainsi, l'APADM publiait un
premier communiqué daté d'août 1983. Ce communiqué
fut signé par 97 détenus politiques de la prison centrale de
Kénitra. Ces détenus du groupe « 83 » étaient
pour la plupart des juges, des avocats, des journalistes dont certains
appartenaient à l'USFP et l'AMDH. Ce communiqué : «
appelle l'ensemble des
266 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Bilan des
activités du KMAN et du CLCRM d'Amsterdam du 7 janvier 1982.
267 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°378, APADM - Communiqués : Communiqué de l'APADM du 15
mai 1983.
86
organisations démocratiques et l'opinion publique
humanitaire à exprimer sa solidarité et son soutien à ces
familles pour obtenir des éclaircissements sur le sort
réservé à leurs enfants disparus depuis plus de six mois
et obtenir leur délivrance des lieux de détention secrète,
à savoir les griffes de la répression et des contraintes
inhumaines268. »
Pendant la coordination des 24 et 25 octobre 1982 qui s'est
déroulée à Paris269, le comité central
a
demandé à chaque comité actif de lui
fournir une liste de personnes susceptibles de s'abonner. Le Comité de
Paris signale la condamnation de 21 détenus en janvier 1982. Une
libération est signalée, celle d'Hakima Nagi (détenue
alors enceinte) contrairement au détenu Seghir qui aurait dû
sortir avec un groupe de détenus de la prison de Meknès mais qui
a finalement été transféré à la prison de
Kénitra. Par contre, au pénitencier de Settat, les lycéens
déclenchent une grève de la faim. Le CLCRM de Paris prend
connaissance, entre temps, d'un voyage du Président François
Mitterrand* au Maroc270. Les informations sur les détenus
filtrent au compte- goutte271. La date du voyage est encore
imprécise et laisse espérer une campagne de libération des
détenus politiques. Paris propose plusieurs actions parmi lesquelles :
une demande d'entrevue d'une délégation des avocats qui sont
allés au Maroc dans le cadre des deux missions juridiques
organisées en 1979 et 1981, le lancement d'une pétition, que
chaque comité enverrait le plus rapidement possible à
l'Elysée et à l'Ambassadeur du Maroc en France. La
priorité, pour cette pétition, sera de rechercher des signatures
de personnes connues.
Le 22 mai 1982272, le Comité de Paris prend
conscience des problèmes de communication existant entre les
différentes sections des CLCRM dans le reste de l'Europe. Paris
envisage, dès lors, d'adresser une « Lettre du Comité de
Paris aux autres comités » chaque mois avec l'envoi du bulletin
d'information. La circulation des informations se fait alors par trois moyens :
par l'utilisation exceptionnelle d'un numéro de téléphone
en utilisant l'organigramme « d'urgence » que le Comité
lillois a envoyé à chaque comité et qui permet ainsi une
liaison rapide ; ensuite, par l'utilisation plus habituelle du
répondeur-enregistreur. Ce système permet de recevoir les
dernières nouvelles sur la répression au Maroc, de
connaître les activités des comités et d'enregistrer les
messages relevés deux fois par jour. Le troisième moyen
réside dans les informations échangées entre les
différents comités qui complètent le service
répondeur-enregistreur.
Depuis 1979, les comités de Lille, Paris, Dijon, Rouen,
Caen et Angers ont suivi les grandes lignes de la politique marocaine en
observant : les accords de Paix intervenus le 5 août 1979, entre la
Mauritanie et le POLISARIO, la visite d'une commission sénatoriale
américaine dans les territoires occupés par le Maroc au Sahara
occidental et le bilan politique de la gauche marocaine où le PPS est de
plus en plus isolé devant l'USFP qui se présente comme la seule
alternative gouvernementale au Maroc. Quant à
268 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°378, APADM - Communiqués : Communiqué des 97
détenus politiques de la prison centrale de Kénitra daté
d'août 1983.
269 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Pétition
proposé par le CLCRM de Paris lors de la coordination de Paris des 24 et
25 octobre 1982.
270 Idem
271 Cette situation empêcha le CCRM de Bruxelles de pouvoir
publier son bulletin d'information.
272 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°408, Les CLCRM - Coordinations européennes : Proposition de
Paris aux sections locales des CLCRM d'amélioration de la communication
des informations datée du 22 mai 1982.
87
l'UNEM, elle tenait son XVIe Congrès entre le 31
août et le 5 septembre 1979 et peinait à se relever des troubles
internes. Ainsi, les CLCRM et quelques partis de la gauche marocaine (USFP,
Ilal Amam, 23 Mars et l'UNEM) ont convenu de maintenir la
collaboration mutuelle là où les comités
représentent un lieu de rencontre entre toutes les organisations
marocaines. Les CLCRM ne font pas d'exclusivité dans leur soutien aux
organisations politiques marocaines d'opposition. Les comités
maintiennent la nécessité d'élargir le soutien à la
lutte du peuple marocain, à toutes les forces progressistes dans le
monde, et le besoin d'une alliance de toutes les forces marocaines d'opposition
contre la répression.
Les différents bilans des CLCRM envoyés à
Paris ont permis une synthèse des travaux des comités reprise
dans une commission interne aux CLCRM. Cette commission établit les
conditions pour être agréé CLCRM. Les conditions sont les
suivantes273:
- Avoir accepté la plateforme des CLCRM ;
- Avoir engagé des activités localement
;
- Avoir reçu la visite ou la caution morale
d'un CLCRM déjà existant ;
- Verser une cotisation annuelle d'un minimum de
100 Frs ;
- Chaque membre doit verser une cotisation au
comité local d'un montant à définir par chaque
comité.
|
Les conditions d'adhésion aux CLCRM exigent, en plus,
un maintien des activités locales, un versement de la cotisation et une
présence au moins à une coordination dans l'année. Les
conditions de participation à une coordination établissent qu'un
membre doit faire partie d'un comité reconnu et que, s'il vient pour la
première fois à une coordination, le membre doit être
mandaté par écrit par son comité. La participation
à une première coordination se fait à titre d'observateur
; par la suite, la participation est plénière.
La commission du travail était suivie d'une commission
matérielle. Cette commission faisait état de la vente de la BD de
« Rahal », des bulletins d'information et des tirages des brochures.
Au début de l'année 1983, les comités de Bruxelles, de
Charleroi, de Lille, de Rouen, d'Amsterdam et de Paris ont rendu compte de leur
recette274:
Bruxelles 24648
Charleroi 9148
273 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°402, ASCLCRM - Communiqués : Synthèse du travail des
CLCRM. La commission de fonctionnement datée de 1982-1983.
274 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°402, ASCLCRM - Communiqués : Synthèse du travail des
CLCRM. La commission matérielle datée de 1982-1983.
Lille
|
3542
|
Rouen
|
1473
|
Hollande
|
7457
|
Paris
|
7000
|
Total 53268 Fr
88
Cette recette va servir, en partie, à financer la mission
médicale Brutsaert partie de Belgique au Maroc durant le mois de
septembre 1984.
b.3.5 La mission médicale Brutsaert-Moulaert et le
Groupe « 84 » de Marrakech : 1984
Après les émeutes du 21 juin 1981, le Maroc va
être secoué par de nouveaux mouvements de grève
d'étudiants dans tout le pays. Ces grèves, suivies d'importantes
manifestations dans tout le Nord du pays, témoignent d'un
désespoir grandissant au sein de la jeunesse marocaine qui souffre d'un
taux de chômage énorme.
Depuis la visite du président François
Mitterrand* le 29 janvier 1983, le phénomène des «
diplômés chômeurs » ne cesse de prendre une allure
inquiétante275. Ces universitaires sans emploi grossissent le
rang des désoeuvrés sociaux et organisent chaque année une
manifestation exigeant un travail digne de leur qualification. Par ailleurs,
cette fracture systématique entre les secteurs de l'enseignement et
l'emploi est symptomatique de la nature même du système politique
marocain. En effet, les meilleurs postes sont réservés aux
familles makhzéniennes les plus influentes du pays276.
Le régime cherche à casser le mouvement
étudiant et ira même jusqu'à interdire certains cursus
universitaires comme en témoigne l'exemple de la fermeture de la
Faculté de Sociologie d'Abdelkébir Khatibi et Paul Pascon depuis
1968277. La répression à l'encontre des
étudiants se traduit par la mise en place d'une police spéciale
chargée de surveiller les activités de ces derniers : les «
AWAKS ». Cette police des universités patrouillait
régulièrement dans les enceintes universitaires et allait
même jusqu'à investir les auditoires dans le but de surveiller le
contenu des cours dispensés278.
Les années 1980 marquent aussi, au Maroc, l'apparition
des mouvements islamistes dans l'espace public. Le phénomène
islamiste puisera progressivement sa légitimité parmi les
catégories sociales les plus démunies, au moment où la
gauche marocaine sonne son ralliement à la monarchie. Si ce
ralliement
275 M. BADIMON EMPERADOR, Diplômés
chômeurs au Maroc : dynamiques de pérennisation d'une action
collective plurielle, in L'Année du Maghreb, N°3, 2007, pp.
297-311.
276 P. VERMEREN, De quels ingénieurs parle-t-on ?
Situation et trajectoires des ingénieurs des grandes écoles. Le
cas du Maroc, in Revue des Mondes Musulmans et de la
Méditerranée, N°101-102, 2003, pp. 247-264.
277 P. VERMEREN, Histoire du Maroc depuis l'indépendance,
op. cit., p. 62.
278 UNEM section Bruxelles-Charleroi, Dossier Syndical,
op. cit., p. 30.
89
pouvait se caractériser par l'adhésion au «
consensus national » qui oblige l'acceptation inconditionnelle des statuts
sacrés de la monarchie, de l'Islam comme religion d'Etat et de la
marocanité du Sahara occidental, il n'était pas rare non plus que
des opposants et des détenus politiques adressent et signent une
lettre-type au roi demandant sa grâce. Ces lettres d'amnistie
étaient parfois reproduites telles quelles par la presse
marocaine279.
« Majesté, que Dieu perpétue Votre
règne et le glorifie. Nous adressons notre présente lettre
à l'Auguste Personne de Votre Majesté dans l'espoir de
bénéficier de Sa généreuse grâce, Sa
magnanimité et Sa bienveillance paternelle.(...) Depuis le jour
où le combat de la Glorieuse Famille Royale Alaouite a été
couronné par l'indépendance du pays, Mohamed V, que Dieu l'ait
dans Sa Sainte Miséricorde, a opté pour le régime de la
monarchie constitutionnelle. Votre Majesté a suivi ce chemin et a eu le
mérite de concrétiser une conception philosophique,
déterminer le cadre constitutionnel pour l'instauration de la
démocratie dans la société marocaine et de veiller sur sa
continuité et sa stabilité. (...) Lorsque furent réunies
les conditions historiques pour la récupération du Sahara, le
génie politique de Votre Majesté s'est manifesté par
l'idée de la Marche Verte, resteront liées à l'Auguste
Personne de Votre Majesté dans la mémoire de toutes les
générations de Votre peuple et témoigneront à
jamais de Votre génie. »
L'année 1984 marque une montée vertigineuse des
grèves de la faim. Ces événements sociaux sont
essentiellement dus aux contrecoups de la politique libérale
entamée depuis 1977. La jeunesse ne cesse de manifester son
mécontentement au régime à Marrakech, à
Tétouan, à Nador et dans tout le Rif entre le 4 et le 19 janvier
1984. Les CLCRM de France ont relevé près de 2000 arrestations
entre le 19 et le 21 janvier. Les arrestations ont principalement visé
des avocats, des lycéens et des enseignants. Ces arrestations sont
signalées dans les villes suivantes280:
Marrakech
|
900 arrestations
|
Nador
|
500 arrestations
|
Fès
|
300 arrestations
|
Agadir
|
250 arrestations
|
Beni Mellal
|
100 arrestations
|
279 G. PERRAULT, op. cit., pp. 318-319.
280Maroc Répression, Bulletin
bimestriel du CCRM section Bruxelles, janvier-février, 1984, p. 6.
90
Ces chiffres des CLCRM contrastent fortement avec ceux
donnés par certains partis politiques marocains tels : l'USFP qui
annonce une centaine d'arrestations parmi les lycéens de la jeunesse
USFP, le PPS qui annonce des dizaines d'arrestations dont deux membres de son
comité central et l'OADP qui annonce seulement 24 arrestations dans ses
rangs281.
Dans son discours du 22 janvier 1984, Hassan II* prend un ton
particulièrement ferme envers les manifestants en leur imputant
l'entière responsabilité des troubles sociaux : « En
vérité, il y a lieu d'imputer cet état des choses soit aux
enfants, soit à un ramassis de truands. Ceux-ci se trouvent à
Nador, à Al Hoceima, à Tétouan, à Ksar
Kébir. Ces truands désoeuvrés qui vivent de la contrebande
et du pillage et qui ont utilisé à Marrakech, comme c'est le cas
pour tous les perturbateurs, les enfants qu'ils ont placés au- devant
des manifestations sachant qu'il est difficile pour la police de s'attaquer
à eux. On peut vous annoncer que ces truands ont été
emprisonnés. De leur côté, les enfants, étudiants et
élèves doivent savoir que c'est à cause d'eux que le
coût de la vie a augmenté. (...) Je m'adresse à ces jeunes
enfants qui sont manipulés par les autres pour leur dire qu'ils cessent
de se livrer au petit jeu. D'ailleurs, l'ordre a été donné
pour qu'ils soient sanctionnés au même titre que les adultes. Je
dis également aux enseignants qu'ils sont connus et que ce sont eux qui
entendent déclencher la grève et manifester dans la rue. Parmi
les professeurs nombreux sont ceux qui ont été renvoyés et
ont ensuite réintégré leurs postes. Certains d'entre eux
ont regagné leur poste en dépit des peines de prison qu'ils ont
regretté leurs actes, nous avons décidé alors leur
réintégration. Les enseignants doivent savoir qu'à
l'avenir, ils seront sanctionnés selon les dispositions de la loi en
vigueur sous le Protectorat et reconduites à l'Indépendance.
Quiconque répandrait des rumeurs mensongères ou commettrait des
actions de nature à troubler l'ordre public sera
sévèrement sanctionné282».
La révolte sociale enflamme le pays, au moment
où Roland Dumas283, alors chargé des relations
européennes, s'est rendu en visite officielle au Maroc les 10 et 11
août 1984, afin de confirmer au monarque que la France défendrait
les intérêts du Maroc au sein de la CEE dans le cas de
l'élargissement de la communauté à l'Espagne et au
Portugal. Deux jours plus tard, Hassan II* et le Colonel Mouammar Kadhafi
signent le traité d'Oujda qui préconise une union
approuvée à « 99,7 % par le peuple marocain et à
l'unanimité par le Congrès du peuple libyen». Cependant, les
détenus politiques de la prison centrale de Kénitra
dénonçaient leurs conditions et marquaient leurs
solidarités envers 300 étudiants arrêtés à
Oujda284.
Le CCRM de Bruxelles a pris, entre-temps, connaissance de
plusieurs groupes de jeunes détenus dans les prisons de Marrakech, Safi
et Essaouira : il s'agit du groupe « 84 ». A l'inverse des groupes
précédents de détenu, ce groupe relevait d'une
particularité dans la mesure où tous ses membres étaient
âgés, au moment des faits, de 20 à 29 ans. Le groupe «
84 » ne comprenait pas, en son sein, d'éléments
281 Maroc Répression, cit, p. 4.
282 Jeune Afrique du 1er février 1984.
283 Roland Dumas (né en 1922), est un avocat et homme
politique français. Proche de François Mitterrand, il a
été notamment ministre des Relations extérieures de 1984
à 1986 et des Affaires étrangères de 1988 à 1993.
Il a ensuite présidé le Conseil constitutionnel de 1995 à
2000.
284 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM
section Bruxelles, juillet-août, 1984, pp. 3-10.
91
ayant déjà un important passé politique
ou syndical. Le 1er mai 1984 marquait le soutien d'un rare courage des
mères des détenus du groupe « 84 » qui sont sorties
manifester pour exiger la libération de leurs enfants à
Marrakech.
Le bulletin du CLCRM de septembre 1984 publiait aussi le
verdict des premiers procès contre 71 islamistes, dont le fameux
procès dit des « islamiques » qui eut lieu entre le 30 et le
31 juillet 1984 : 13 peines capitales (dont 7 par contumace), 34 peines
à perpétuité (dont 13 par contumace), 8 peines de 20 ans
de prison, 9 peines de 10 ans de prison et 7 peines de 4 ans de prison. Suivant
le verdict de ce procès, les CLCRM signalaient de nombreux licenciements
dans les secteurs privé et public.
Ainsi, depuis le 7 mai 1984285, 460 ouvriers de
l'usine Berliet-Maroc ont été licenciés. Les travailleurs
accusaient la direction d'avoir monté de faux dossiers pour
accréditer la thèse de la fermeture de l'usine et d'avoir mis les
460 ouvriers au chômage sans préavis, ni indemnités. 120
ouvriers de la Société Chérifienne d'Electricité
à Casablanca ont été expulsés alors que 140
ouvriers de l'Africaine de
Construction Métallique réclamaient la
réouverture de l'usine fermée depuis le 1er juillet
1983. A Tétouan, la Société de Textile TICSNOR a
expulsé 120 ouvriers et a fermé ses portes le 12 avril 1984.
Cette mesure a provoqué la colère des travailleurs qui ont
occupé l'usine, mais très vite ils en furent
délogés par les forces de l'ordre. Le 31 mai, les employés
du grand Hôtel Nfis à Marrakech ont mené une journée
de grève de solidarité avec une employée expulsée
arbitrairement. En guise de réponse à leur revendication, le
patron de l'établissement a renvoyé 55 travailleurs.
Plus tard, le 2 août 1984286, 133
travailleurs ont été licenciés à la suite de la
fermeture de la société coopérative agricole SECAM
à Kénitra. 137 ouvriers de l'usine d'emballage A.B.C. d'Agadir
ont été licenciés, sans préavis, ni
indemnités, alors que le personnel de l'Office Chérifien des
Exportations a dénoncé la décision de mettre le secteur de
la conserverie entre les mains de sociétés privées. 1700
infirmières de la Santé Publique n'ont pas été
rémunérées depuis juillet 1983 alors que 2000 autres ont
été licenciées. Les droits syndicaux sont de plus en plus
grignotés comme en témoigne le cas des ouvriers des boulangeries
à Nador qui travaillent jusqu'à 16 heures par jour. Comme en
1977, le monarque organise des élections législatives le 14
septembre 1984. Ces élections se déroulent alors que le pays est
économiquement au bord de la faillite et est socialement très
agité. Ilal Amam, principal mouvement de la gauche
opposé à Hassan II*, signalait 2000 prisonniers politiques dans
tout le Maroc287. Alors que le Comité bruxellois relayait ces
chiffres de licenciement établis par Paris, un communiqué de
presse qui avait appelé à une manifestation de solidarité
organisée à Bruxelles le 29 janvier 1984 : « Suite
à la répression sanglante du mouvement social au Maroc, la
manifestation organisée en quatre jours par le Comité Contre la
Répression au Maroc a réuni ce 29 janvier dans le centre de
Bruxelles de 3000
285 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM
section Bruxelles, septembre, mars-avril, 1985, pp. 2-5.
286 Maroc Répression, cit., p. 6.
287 Archives Personnelles de Mohamed El Baroudi, Documents
relatifs à la gestion interne de l'UNEM section Bruxelles :
Communiqué de l'organisation Ilal Amam à propos des derniers
développements dans les prisons au Maroc, daté du 7 septembre
1984.
92
à 4000 travailleurs marocains de toutes opinions,
soutenus par des Belges. La manifestation a prouvé que l'immense
majorité de l'opinion marocaine en Belgique est foncièrement
hostile au régime dictatorial et sanguinaire qui sévit au Maroc.
Le C.C.R.M. rappelle que si les manifestations populaires ont cessé, la
répression continue selon les méthodes habituelles -
enlèvements, tortures, procès expéditifs - d'autant plus
furieusement que l'information internationale est
empêchée288».
Manifestation organisée par le CCRM de
Bruxelles. Bruxelles, le 29 janvier 1984289
Le 30 août 1984, le président du PCB-KPB Louis
Van Geyt*, appuyé par le président de la FGTB André Van
den Broucke* et le sénateur Yves de Wasseige*, avait envoyé une
lettre à Léo Tindemans* devenu ministre des Affaires
Etrangères après sa primature ministérielle.
Au-delà de leur appartenance commune au CCRM de Bruxelles, le
président du PCB met le ministre devant ses responsabilités :
« La mort de deux étudiants qui faisaient la grève de la
faim depuis le 4 juillet avec plusieurs dizaines d'autres détenus
politiques emprisonnés au Maroc suscite une émotion d'autant plus
vive que de nouveaux décès sont à craindre. Les relations
que notre pays entretient avec le Maroc et les liens créés par la
présence d'une importante communauté marocaine en Belgique
m'amènent à vous demander d'intervenir auprès du
288 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°77, Correspondance générale pour l'année 1984 :
Communiqué du CCRM de Bruxelles daté du 29 janvier 1984.
289 Photo de la manifestation organisée par le CCRM de
Bruxelles en faveur des victimes des arrestations au Maroc, in Maroc : un
trône qui tremble sur ses bases, Publication de la Ligue
Anti-Impérialiste, Bruxelles, février 1986, p. 27.
93
gouvernement de Rabat pour que l'on reconnaisse à
ces jeunes gens arrêtés à la suite des émeutes de la
faim de janvier dernier le statut et les droits généralement
reconnus aux prisonniers politiques et qu'ils puissent ainsi mettre fin
à leur mouvement290. » Léo Tindemans*
répondait qu'il continuait à « suivre avec une
très grande attention l'évolution de cette affaire » et
d'ajouter : « Notre Ambassade à Rabat a du reste
été chargée de me tenir régulièrement
informé des développements de celle-ci291.
»
Au Maroc, les principales revendications des jeunes du groupe
« 84 » étaient292: l'amélioration des
conditions de détention par l'arrêt des tortures et l'apport de
soins aux détenus torturés ou malades. Un droit pour les
étudiants incarcérés de poursuivre leurs études et
de passer leurs examens avec un droit d'accès aux journaux et aux
livres, et une suppression des restrictions au droit de visite accordé
aux familles des détenus.
Pendant les préparatifs de la mission médicale,
le CCRM de Bruxelles a contacté plusieurs communes bruxelloise en vue
d'organiser une collecte publique en faveur du groupe « 84 ». Cette
collecte devait compléter les recettes obtenues depuis 1983. Seules les
communes de Bruxelles-Ville, Saint-Josse- Ten-Noode et Etterbeek ont
donné une suite favorable à la demande du CCRM de Bruxelles. Les
communes d'Anderlecht et de Molenbeek ont refusé d'accorder une
autorisation au CCRM en raison de la foire annuelle et du «
caractère nettement politique de l'activité projetée
», voire du risque « de distribution d'imprimés contenant des
offenses envers la personne d'un Souverain étranger
»293. La collecte a eu lieu les 15 et 16 septembre et a permis
au Comité de récolter un supplément de 15.100 FB de divers
souscripteurs, dont 10.000 FB de la CGSP secteur Enseignement de Bruxelles.
2400 FB ont directement été envoyés à 28
grévistes de la faim du groupe « 84 »294.
Les CLCRM de France ont de leur côté fait
écho au cas de ce groupe, ainsi, le journal Libération
du 3 septembre 1984 a consacré une page entière aux jeunes
du groupe « 84 ».
290 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°77, Correspondance générale pour l'année 1984 :
Lettre de Louis Van Geyt adressée à Léo Tindemans
datée du 30 août 1984.
291 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°77, Correspondance générale pour l'année 1984 :
Lettre de Léo Tindemans adressée à Pierre Le Grève
datée de septembre 1984.
292 L'UNEM : Dossier Syndical, Organe de presse de
l'UNEM section Bruxelles, Bruxelles, 26 septembre 1984, pp. 1-2.
293 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°77, Correspondance générale pour l'année 1984 :
Communiqué interne du CCRM de Bruxelles daté du 15 septembre
1984.
294 Idem
Les détenus du « groupe » 84. Les
deux principaux portraits représentent, de gauche à droite,
Moustapha Belhouari et Boubkeur Moulay Douraïdi tous deux morts d'une
grève de la faim les 28 et 29 août
1984295
94
295 Libération du 3 septembre 1984.
95
Demande d'une autorisation et recettes obtenues du
CCRM de Bruxelles d'une collecte publique en faveur
du groupe « 84 »296
La mission médicale a fait l'objet d'une minutieuse
préparation297. Les Docteurs Moulaert*et Brutsaert ont
introduit auprès de l'Ambassade du Maroc en Belgique une demande
officielle de visa avec comme demande : Mission professionnelle -
médicale et humanitaire. Une fois les visas accordés, les deux
médecins ont contacté la Ligue Belge pour la Défense des
Droits de l'Homme. Cette dernière a adressé quatre
télégrammes : le premier à l'Ambassade de Belgique, le
second au Ministère de la Justice, le troisième au
Ministère de la Santé et le quatrième au Ministère
de l'Intérieur à Rabat.
Il s'agit donc d'informer officiellement deux médecins
belges. La mission médicale a duré une semaine, du 12 au 19
septembre 1984. Une fois sur place, les deux médecins ont dressé
un plan de travail qui consiste à rencontrer les détenus et
grévistes de la faim dont treize personnes à l'Hôpital La
Mamounia à Marrakech, six à l'Hôpital Mohamed V à
Safi et neuf à l'Hôpital Sidi Mohamed Ben Abdallah à
296 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°77, Correspondance générale pour l'année 1984 :
Demande d'une autorisation suive des recettes du CCRM de Bruxelles d'une
collecte publique en faveur du groupe « 84 » datée du 18
septembre 1984.
297 L'UNEM : Dossier Syndical, Organe de presse de
l'UNEM section Bruxelles, Bruxelles, 26 septembre 1984, pp. 2-3.
96
Essaouira. Ensuite, les médecins belges ont
rencontré les médecins marocains responsables et
réanimateurs des trois hôpitaux mentionnés. Puis, une
rencontre avec les avocats des détenus et l'AMDH a été
effectuée pour, finalement, rencontrer les familles des
détenus.
Cependant, les médecins belges furent obligés de
rencontrer préalablement le pacha de Marrakech, le Gouverneur
(amil) de la région et le ministre de la Justice Moulay
Mustapha Belarbi Alaoui. Les médecins belges décrivaient leur
méthode de travail dans le rapport. Ainsi, ils confirmaient qu'ils
avaient retranscrit le plus fidèlement possible les actions et
conversations tenues avec les médecins marocains, les membres de l'AMDH
et les parents des détenus du groupe « 84 ». C'est suivant ce
plan de travail que les Docteurs Brutsaert et Moulaert* ont essayé de
réaliser leur mission ; néanmoins plusieurs obstacles ont
été signalés parmi lesquels298:
- L'impossibilité sur place d'obtenir
les autorisations officielles ;
- Des difficultés constantes à
établir des communications téléphoniques ou télex
avec l'Ambassade de Belgique ou les autorités marocaines
compétentes ;
- Une surveillance et des filatures
policières constantes dès l'arrivée des
médecins au Maroc ;
- Une priorité absolue de ne
compromettre qui que ce soit par la mission.
Dès le premier jour, le 12 septembre, les
médecins belges signalent des difficultés à obtenir les
autorisations officielles pour rencontrer les détenus dans les
hôpitaux, ainsi que des difficultés à obtenir des
communications avec l'ambassade et les autorités locales. Le lendemain
à 12h30, les médecins belges ont téléphoné
au Docteur (chirurgien-pédiatrique) El Kabach exerçant à
l'Hôpital La Mamounia. Un rendezvous fut fixé à 15h00, le
Docteur El Kabach reçut les deux médecins belges et leur
recommanda vivement de ne rien dire par téléphone et de ne pas
parler avec la Ligue des Droits de l'Homme. Bien que le Docteur El Kabach ait
cherché à rassurer les médecins belges, ces derniers ont
rappelé au médecin marocain que sur les 36 détenus
grévistes répartis dans les trois hôpitaux, deux
étaient morts des suites de cette grève de la faim. En plus, les
détenus étaient enchaînés sur leur lit
d'hôpital par des menottes et des liens aux pieds et qu'ils portaient des
trous de brûlures sur le corps. Ce dernier point a été
confirmé par les avocats des détenus. Après avoir entendu
ces informations, le Docteur El Kabach adopta un ton plus prudent : «
Je dépends du Ministère de la Santé. J'ai une double
responsabilité. Je suis médecin et fonctionnaire. Je ne veux pas
d'histoires ni avec la police, ni avec La Ligue des Droits de l'Homme.
(...)299».
Le vendredi 14 septembre300, les médecins
belges se sont rendus à l'Hôpital Mohamed V dans la ville de Safi
où étaient détenus neuf grévistes. C'est dans cet
hôpital qu'est décédé le 29 août 1984 un des
jeunes du groupe « 84 » : Mustapha Belhouari. Arrivés à
15h00, les médecins belges rencontrent le médecin responsable le
Docteur Chakib. Le Docteur Chakib cherche à dissuader les
médecins belges de se rendre à Essaouira, qui est l'ultime
destination de l'équipe médicale belge. Enfin, au grand
étonnement des
298 P. BRUTSAERT et C. MOULAERT, Rapport médical
sur les grévistes du groupe « 84 », Bruxelles, 19
septembre 1984, pp. 45. Interview de Colette Moulaert le 3 mai 2014.
299 P. BRUTSAERT et C. MOULAERT, cit., p. 7.
300 Idem
97
médecins belges, le Docteur Chakib nie le fait que
Mustapha Belhouari et Boubker Moulay Douraïdi soient morts d'une
grève de la faim.
Le samedi 15 septembre 1984, les médecins belges se
rendent à l'Hôpital Sidi Mohamed Ben Abdallah dans la ville
d'Essaouira après 4 heures de voyage en bus. A leur arrivée
à 10h00, une infirmière invite les médecins à
revenir le lundi car le médecin-directeur n'était pas là.
Les médecins belges se rendent alors au standard pour
téléphoner au médecin-chef. La réponse est
immédiate. Durant l'entretien téléphonique, le Docteur
Colette Moulaert* demande au médecin-chef de l'hôpital une
entrevue. Ce dernier refuse en prétextant qu'il n'a pas d'autorisation.
Une minute plus tard, le médecin-chef rappelle le standard, revient sur
sa décision et désire rencontrer les médecins belges. Ces
derniers rencontrent le médecin-chef inquiet, sinon paniqué. Se
voulant être rassurant, le médecin-chef affirme que « les
prisonniers vont très bien ». Le Docteur Colette Moulaert* demande
des explications sur les symptômes de diabète que
présentait un détenu. En effet, Jamal Benyoub avait un taux de
glycémie dépassant 200mg / %. Le Docteur marocain répond
qu'il ne s'agit pas de diabète mais « d'acétone de jeune !
». Le bref entretien se termine par la question cruciale sur les
circonstances du décès de Boubker Moulay Douraïdi et
Mustapha Belhouari. La réponse fut pareille à celles des deux
précédents médecins marocains : « Nous ne savons pas
! 301».
Entre le 18 et le 19 septembre 1984302, les
médecins belges ont rencontré un membre de
L'Association Marocaine des Droits de l'Homme (qui a
demandé qu'on ne cite pas son nom). Pendant cette rencontre, les
médecins belges ont appris que les deux morts des suites de la
grève de la faim ont refusé de manger, de prendre des
médicaments. Pour les détenus du groupe « 84 » qui ont
cessé la grève, ils recouvrent leur santé avec beaucoup de
difficultés, des séquelles, des paralysies des membres et des
troubles de la vue. Les médecins belges ont
téléphoné aux familles du groupe « 84 ».
Contrairement au cas des médecin-chefs des hôpitaux, un
rendez-vous est immédiatement obtenu. Les informations que les familles
des détenus ont fournies aux médecins belges contrastent
fortement avec les maigres renseignements obtenus des médecins
marocains.
Tout d'abord, les médecins belges ont appris que
l'Hôpital Sidi Mohamed Ben Abdallah à Essaouira ne dispose pas
d'un équipement sanitaire adéquat : la nourriture est très
mal adaptée et on ne prend pas la température des patients. Les
autorités ont, de plus, expulsé un médecin français
qui voulait s'occuper des grévistes. Ensuite, les Docteurs Brutsaert et
Moulaert*ont appris avec effroi que le Docteur Chakib, médecin-chef de
l'Hôpital Mohamed V à Safi, était aussi agent de la DST. Il
n'a donné aucun traitement avant le premier décès,
cependant qu'une équipe médicale comprenant le Docteur
Réda et le Docteur Moutawakil était venue de Casablanca et Rabat
pour donner des soins et transférer les détenus les plus faibles
vers Marrakech. Dans cette dernière ville, il apparait que le Docteur El
Kabach a maintenu une situation plus calme dans l'hôpital. Le
médecin restait en contact avec les détenus et les
301 P. BRUTSAERT et C. MOULAERT, cit., pp. 9-10.
302 P. BRUTSAERT et C. MOULAERT, cit., pp. 10-14.
98
familles. Dans l'hôpital, les policiers ne rentraient
pas dans les chambres mais demeuraient dans les couloirs et devant les
fenêtres.
Les médecins belges ont rencontré les parents
des deux grévistes morts. Le père de Mustapha Belhouari
témoigne des motifs et des sévices subis par son fils. Mustapha
Belhouari était président de l'UNEM, section Marrakech, et
recherché depuis 1981. Une dizaine de policiers font irruption dans le
foyer familial après les émeutes de janvier 1984. Après
avoir fouillé toute la maison, les policiers arrêtent le
frère de Mustapha, Abdallah, le torturent pour qu'il avoue où
s'était caché Mustapha. Le 23 janvier 1984, la police a
arrêté le père et la mère de Mustapha Belhouari ; il
a dû se rendre sous la menace de torturer ses parents. Entre le 23
janvier et le 29 mai 1984, Mustapha Belhouari a été
transféré au centre de détention Derb Moulay Cherif. Au
Derb Moulay Cherif, Mustapha a subi, pendant près de deux mois,
plusieurs tortures dont : les punaises dans les lèvres, les
électrodes dans les oreilles, l'anus et les testicules. Les
pièces seront ensuite chauffées à blanc. La suspension des
pieds de la victime en l'air sera suivie d'un viol par des animaux
entraînés à cet effet. La rencontre des médecins
belges avec les grévistes de la faim du groupe « 84 » de la
prison civile de Marrakech avait permis au CCRM de Bruxelles de dresser une
liste reprenant les noms, les professions et les condamnations des
grévistes303.
Après cette mission médicale, le CCRM de
Bruxelles avec l'aide de son réseau de s olidarité, publiera en
février 1986 un dossier complet dédié aux grèves
survenues en 1984. Ce dossier a été publié dans le
quatrième numéro de la Ligue Anti-Impérialiste ; il
reprend des extraits du rapport médical Brutsaert-Moulaert suivi des
témoignages et extraits de lettres des familles des détenus du
groupe « 84 »304. Hassan II* vivait sa
vingt-quatrième année de règne, la répression
politique aussi. A l'heure où le monarque organisait le mariage fastueux
de sa fille, la princesse Meriem, à Fès, le régime des
tortures s'intensifiait envers les détenus. Les procédures
restent forts similaires : rechercher le suspect, faire pression sur ce dernier
à travers ses proches, incarcérer le suspect qui devient
accusé et le torturer suivant son degré d'implication dans la
politique.
b.3.6 Du colloque des CLCRM organisé à Paris,
à l'affaire Albert Raes : 1985-1989
Le succès de la mission médicale
Brutsaert-Moulaert a permis la tenue d'une coordination entre le 6 et le 7
octobre 1984 à Amsterdam305. Cette coordination faisait le
point sur les informations relatives à la situation au Maroc et à
la situation interne des comités. Ainsi, le Comité parisien a
réitéré sa volonté de centraliser les informations
des comités locaux en vue de les diffuser dans la presse. Cependant, les
CLCRM signalaient la difficulté grandissante quant à la collecte
des informations au Maroc et à leur vérification. Dans un souci
d'efficacité, les CLCRM devaient envoyer une fiche supplémentaire
de renseignements à Paris. Cette fiche devait indiquer si une initiative
locale était prise par un CLCRM. Cette initiative relevait souvent d'un
projet de réunion, de meeting ou du lancement d'une pétition. Le
succès
303 Voir les annexes.
304 Voir les annexes.
305 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°405, les CLCRM - Communiqués de presse : Bilan de la
coordination des CLCRM tenue à Amsterdam daté du 8 octobre
1984.
99
des activités des CLCRM de la France, de Belgique et
des Pays-Bas a été aussi à l'origine de la création
d'un nouveau mouvement citoyen pour la défense des Droits de l'Homme. Il
s'agit de l'Association de Défense des Droits de l'Homme au Maroc
(ASHDOM)306. L'ASHDOM a été créée en
France durant l'année 1984 par des militants marocains en exil. Comme
l'APADM, elle publiait des rapports sur les atteintes aux droits de l'Homme au
Maroc et donnait ponctuellement toute information qui lui parvenait sur les
différentes formes de répression dont le régime marocain
était responsable. De son côté, le CCRM de Bruxelles
publiait dans « Maroc Répression » de janvier 1985 l'ensemble
des licenciements intervenus en 1984 en énonçant les conditions
déplorables subies par les ouvriers agricoles de la région de
Beni Mellal307. Ces derniers percevaient 300 dirhams (à peu
près 30 euros) par mois, travaillaient jusqu'à 10 heures par
jour, pouvaient être expulsés s'ils revendiquaient leurs droits et
étaient dirigés par un contremaître usant parfois de la
violence physique. Des grèves sont entamées par les
détenus de la prison civile de Tanger entre le 28 décembre 1984
et le 5 janvier 1985 pour protester contre leurs mauvaises conditions de
détention. Entre le 11 et le 18 janvier, 25 prisonniers politiques de la
prison de Laâlou à Rabat ont protesté contre les mesures
inhumaines subies dans les hôpitaux. Ces derniers ont été
menacés d'être privés de soins.
Parallèlement à ces faits, le bulletin
annonçait des rafles et enlèvements à l'encontre des
étudiants. Parmi ceux-ci, il y avait : Mustapha Trachli, instituteur
stagiaire, Anouar Jouhari, étudiant à la Faculté des
Lettres de Rabat, et Haydour Mellali qui était aussi étudiant
à la même faculté universitaire. Ces trois personnes furent
arrêtées le 14 janvier 1984. Le militant Sebbar est
condamné, à la suite des événements de janvier
1984, à 10 mois de prison. Sa peine purgée, il a subi de nouveaux
interrogatoires et a été présenté au Tribunal de
Tétouan le 12 décembre 1984. Sebbar a été
condamné à 30 ans d'emprisonnement par contumace alors qu'il
était détenu. Par ailleurs, le CCRM dénonçait
l'enlèvement de Mohamed Rafik depuis juin 1981. Ce dernier était
étudiant à Montpellier et responsable de la section locale de
l'UNEM. Sa soudaine libération révélait ses tortures
subies. Toutes ses dents sont cassées et il souffre de troubles de
mémoire dus à une blessure profonde à la tête.
D'autres libérations soudaines sont signalées, ainsi Lahbib
Ballouk et Fouad Abdelmoumni sont soudainement réapparus. Le premier,
disparu depuis 1973 et le second en 1976. Les CLCRM de France et de Bruxelles,
avec la collaboration de l'APADM, ont publié une lettre ouverte
écrite par la mère d'un étudiant marocain porté
disparu depuis le 2 février 1983 : « Monsieur le Ministre
(marocain de la Justice) J'ai l'honneur de vous rappeler que mon fils
NHILI Abderrazak, enlevé depuis le 2 février 1983, alors qu'il
n'était âgé que de 17 ans, est toujours disparu. Ainsi il
totalise 3 années de disparition. Je vous rappelle que nous
étions en contact avec lui pendant les premiers mois de sa
détention, alors qu'il était gardé à vue au
commissariat de police de Maarif à Casablanca, et nous avons appris
qu'il avait été conduit plus tard dans un autre centre de
détention secrète. Depuis lors, on est coupé
306 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°383, ASHDOM-CLCRM - Coordination : Rapport des activités des
CLCRM daté d'octobre et novembre 1984.
307 Maroc Répression, Bulletin bimestriel du CCRM
section Bruxelles, novembre-décembre, 1985, pp. 2-6.
100
de toute nouvelle le concernant, à part les rumeurs
qui laissent entendre qu'il est séquestré au centre de
détention secrète de Derb Moulay Cherif dans un état
inhumain308. »
Le 22 janvier 1986, la question de l'enseignement du culte
islamique est de nouveau l'objet d'une interpellation parlementaire en
Belgique. Jean-François Vaes (ECOLO) pose la question suivante à
André Damseaux (MR) alors ministre de l'Education Nationale sous le
sixième Gouvernement Martens (du 28 novembre 1985 au 19 octobre 1987) :
« (...) Le journal La Cité nous apprend dans son édition
du 15 novembre 1985 que « le bureau exécutif du Centre islamique et
culturel de Belgique (est) composé des ambassadeurs d'Arabie Saoudite,
du Niger, du Maroc et de l'Iran » et que « dans les nominations (de
professeurs de religion musulmane), dans l'organisation de l'enseignement et
dans les programmes, l'intégrisme transparait très largement.
(...) Cette situation prête à l'inquiétude, car des cours
de religion islamique ainsi conçus ne favorisent aucunement
l'intégration en Belgique des jeunes étrangers qui souvent sont
nés chez nous (...). De plus, ces cours mettent à mal tout le
travail d'intégration et de respect mutuel proposé par des
associations socioculturelles (et ceci dans le respect mutuel des cultures,
celle d'accueil et celle d'origine) qui travaillent dans les milieux
immigrés. (...) Enfin, l'honorable ministre peut-il me faire savoir si
la mise sur pied d'une cellule visant à la sélection des
professeurs de religion islamique au sein de son administration n'apporterait
pas une première solution à ce problème important, et pour
la nomination des professeurs et pour l'organisation et les programmes de cet
enseignement ?309(...) ». André Damseaux,
contrairement à son prédécesseur André Bertouille,
reconnait un flou juridique en la matière et propose une gestion du
culte islamique à travers une instance interlocutrice : « (...)
L'arrêté royal du 3 mai 1978 « portant organisation des
comités chargés de la gestion du temporel des communautés
islamiques reconnues » n'a pas été suivi des mesures
d'exécution prévues en son article 18. Un interlocuteur
étant indispensable pour les désignations des professeurs de
religion, le directeur du Centre islamique et culturel de
Belgique310(...). »
A partir de 1984, les comités d'Europe ont
changé de stratégie en termes d'interpellation de l'opinion
publique sur la répression au Maroc. En plus d'informer par la presse,
les manifestations publiques et la constitution des dossiers, les CLCRM ont
convenu, lors de la coordination du 8 au 10 mars 1985 à
Paris311, qu'il fallait désormais régulièrement
interpeller les Institutions Européennes quant à la situation
politique au Maroc. Le choix était porté sur Strasbourg. A cet
effet, les CLCRM, l'APADM et l'ASDHOM ont organisé une conférence
dans le Parlement Européen le 12 novembre 1986312. Cette
conférence d'information intitulée « Le Maroc Etat de Non
Droit » a été l'objet d'une préparation
308 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°377, APADM - Appel : Communiqué des parents des
détenus du groupe « 83 » publié par l'APADM et les
CLCRM daté d'août 1983.
309 Annales Parlementaires de Belgique, Sénat
séance du 22 janvier 1986, Bulletin des questions et réponses
n°30 du 6 mai 1986, Question posée par Jean-François
Vaes à André Damseaux sur la nomination des professeurs de cours
de religion islamique, pp. 977-978.
310 Idem
311 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°405, les CLCRM - Communiqués de presse : Rapport de la
coordination des CLCRM du 8 au 10 mars 1985.
312 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°382, ASHDOM-APADM-CLCRM - Notes sur la répression : Note sur
la présentation de conférence tenue à Strasbourg le 12
novembre 1986.
101
conséquente qui a nécessité trois
rencontres avec les parlementaires européens des groupes communistes et
Arc-en-Ciel entre mars et juillet 1986. C'est l'Organisation
néerlandaise pour la Coopération Internationale de
Développement (NOVIB) qui a apporté son concours. Parmi les
associations marocaines, il y avait l'ATMF, le KMAN et l'UNEM. Enfin,
étaient présents les CLCRM de Paris, de Strasbourg, d e Brest, de
Grenoble, de Nancy et d'Amsterdam. Le bureau bruxellois ne pouvant assister
à cette rencontre, ce furent les CCRM de Charleroi et de Liège
qui représentèrent la Belgique. La conférence s'est
déroulée en trois temps313:
- L'audition des témoins de la
répression au Maroc : qui réunissait des victimes
de la répression, des proches des disparus et des observateurs
judiciaires et médicaux. A cet effet, un message du professeur
Minkowski* a été lu aux parlementaires. Le contenu de cette
dépêche dénonçait les conditions déplorables
des grévistes de la faim arrêtés depuis 1984, reprenant une
grève en août 1985.
- L'exposition de diverses analyses :
qui regroupaient les arguments émis par l'Amiral Antoine Sanguinetti*,
membre du Comité central de la Ligue Française des Droits de
l'Homme, une analyse minutieuse des textes législatifs de la
Constitution marocaine par un ancien président de l'ASDHOM :
Maître Driss Anwar et la présentation d'Alain Moreau, membre du
CCRM de Liège, quant aux atteintes aux Droits de l'Homme au Maroc et aux
pressions des Amicales exercées à l'encontre des travailleurs
marocains émigrés en Europe. Le dossier constitué par le
CCRM de Liège faisait état de 300 à 400 disparus au
Maroc314.
- Le bilan de la conférence :
où plusieurs décisions ont été prises parmi
lesquelles : une diffusion des notes de synthèse à tous les
parlementaires, une publication des « actes » de la conférence
et la constitution d'un intergroupe sur le problème des Droits de
l'Homme au Maroc.
Mises au courant de cette activité, les Amicales
intentèrent plusieurs agressions physiques contre des militants
marocains du KMAN. Ainsi, un communiqué de l'ASHDOM daté du 14
mars 1987 dénonçait les attaques à coups de barres de fer
et de couteaux commis par les Amicales envers le président et envers un
membre du KMAN sept jours plus tôt315.
La réussite de cette conférence a obligé
Hassan II à annuler sa visite officielle prévue le mois suivant.
Le succès de cette rencontre a permis aux CLCRM d'organiser une nouvelle
réunion dans la ville même le 9 avril 1987316. Durant
ce second colloque, les CLCRM ont décidé de faire connaître
publiquement l'existence du bagne secret de Tazmamart. Les CLCRM avaient
déjà pris connaissance de l'existence de ce bagne sept ans plus
tôt comme en témoignait cette lettre d'un détenu anonyme
parvenue
313 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°410, ASCLCRM - Rapport de la conférence de Strasbourg :
Compte rendu de la conférence tenue à Strasbourg le 12 novembre
1986.
314 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°382, ASHDOM-APADM-CLCRM - Notes sur la répression : Rapport
sur les disparus présenté par le CCRM de Liège lors de la
conférence de Strasbourg daté du 12 novembre 1986.
315 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°381, ASHDOM-APADM-CLCRM - Communiqué de presse :
Communiqué de l'ASHDOM relatif aux activités des Amicales
daté du 14 mars 1987.
316 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°384, ASHDOM-APADM-CLCRM - A propos de la journée des disparus au
Maroc. Notes et correspondance 1987 : Rapport sur la « journée des
disparus au Maroc » tenue à Strasbourg le 9 avril 1987.
102
au CLCRM de Paris le 12 juillet 1980 : « Je ne trouve
pas de mots, ni d'expression pour décrire la situation de quelques
misérables souffrant parmi les humains. Car depuis la venue d'Adam sur
terre, on a vu de rares exemples. Une mort horrible que nous ingurgitons goutte
à goutte. Depuis notre entrée dans un trou noir, nous ne sommes
pas sortis un seul jour au soleil...La faim, l'obscurité, la
saleté,...la solitude...les maladies...le manque de soins ; la routine,
le manque d'air, le désespoir ? Résultat, presque le quart de nos
camarades sont morts dans les pires conditions. Le prisonnier gémit en
solitaire, puis s'éteint petit à petit, sans trouver quelqu'un
pour lui porter un verre d'eau, dans un amas de détritus
(...)317. »
Aucune forme de vie ne devait sortir de ce sinistre lieu. Les
détenus du bagne étaient, comme le dira plus tard Gilles
Perrault* dans « Notre Ami le Roi » : « des « Anihommes
» un peu plus que des rats, un peu moins que des
hommes318». Rien n'était mis à disposition
pour les prisonniers. La « vie en caverne » prenait tout son sens
à Tazmamart. A cet égard, un second témoignage nous donne
un éclairage sur les conditions de détention du bagne à
travers ces quelques lignes d'une lettre écrite le 5 août 1980 :
« (...) Ce sont des cellules de 4m2 sans air et sans
lumière : elles sont nauséabondes : les toilettes mal
conçues et sans chasse d'eau se trouvent dans un coin. Il n'y a pas de
fenêtre. Un trou dans le plafond laisse filtrer une lumière
blafarde : pauvre reflet ! Il y a un double plafond en tôles
ondulées, qui nous permet de distinguer dans la morne continuité
la nuit et le jour. Véritables fournaises en été, elles se
transforment en chambres froides l'hiver (8mois). L'ameublement se
réduit à un broc, une assiette et un pot déformés
en plastic. Deux couvertures rongées par les mites,
étalées sur un « sommier » de pierres constituent la
literie du prisonnier que partagent les punaises et les cafards, maîtres
incontestés des lieux. Les scorpions prolifèrent. Les serpents
viennent quelquefois chasser les rats dans le couloir au grand amusement des
geôliers (...). La nourriture se compte invariablement d'un verre de
café noir, fade et froid et d'un demi-pain souvent rassis, sinon pourri
(ration journalière) pour le petit déjeuner. En guise de
déjeuner ils distribuent au petit bonheur la chance et en vitesse
(l'odeur les irrite) de l'eau de vaisselle qu'ils appellent potage dans
laquelle nagent quelques légumineuses. Même
cérémonie le soir, un bol de pâtes alimentaires
mélangées au reste de repas de midi. (...) L'eau est insuffisante
et rationnée : un broc de 5 litres par jour. (...) Toute conversation
est presque impossible : la disposition des cachots l'interdit et le brouhaha
des autres voix transforme le bâtiment en véritable foire. Le seul
refuge qui lui reste est la prière et la prostration. Le Coran fut d'un
grand soutien tout au long de notre séjour. Le prisonnier est
habillé en haillons, les pieds nus ; ses cheveux et sa barbe qui n'ont
pas vu le coiffeur depuis plusieurs années lui donnent l'aspect non
rassurant d'un clochard authentique. Les pluies de l'automne transforment la
plupart des cellules en mare, puis en marécages. (...) Un camarade qui
avait une excellente santé nous informe qu'il saignait abondamment du
nez ; plus tard, il nous fit savoir que ses jambes commencent à ne plus
le supporter. Livré à lui-même, il ne pouvait plus venir
prendre sa nourriture à la porte et faisait ses besoins
317 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936,
Liasse n°310, Les détenus de la prison de Tazmamart :
Lettre d'un détenu de Tazmamart datée du 12 juillet 1980.
318 G. PERRAULT, op. cit., p. 277.
103
dans ses haillons. (...) La paralysie partielle
commença et devint totale : plus tard, le délire du camarade nous
fit partager avec lui des nuits cauchemardesques. (...) Un transfert
inopiné de quelques camarades à l'autre bâtiment nous
apprit qu'à cette date ils avaient déjà 6
morts319(...). »
En 1987, une nouvelle affaire a été
étudiée par les CLCRM : la famille Oufkir. La famille du
général Mohamed Oufkir* a dû payer la félonie de ce
dernier lors du deuxième coup d'Etat intenté contre Hassan II*.
Depuis fin décembre 1972 jusqu'en 1987, la femme et les enfants de
l'ancien général ont été successivement
internés dans plusieurs résidences isolées situées
dans le sud-est marocain320. En avril 1987, la famille Oufkir a pu
prendre contact avec les avocats Georges Kiejman* et Bernard Dartevelle. Ces
deux avocats vont, à partir du 15 janvier 1988, plaider le cas de la
famille Oufkir auprès de l'opinion internationale321.
Les collectes organisées par le CCRM de Bruxelles au
profit des détenus politiques permettent des résultats concrets
tels l'exemple de cette lettre écrite par le détenu de la prison
civile de Tanger, Saïd Karaoui, au CCRM de Bruxelles, datée du 24
août 1987: « Cher ami : j'ai appris aujourd'hui que vous m'avez
envoyé une somme d'argent, il y a à peu près deux mois.
J'étais pendant ce moment à la prison civile de Tétouan
où je passe régulièrement mes examens. Je me suis inscris
à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines à
Tétouan. Après mon retour, l'administration ne m'a pas
informé. C'est seulement aujourd'hui, et par hasard, que j'ai fait
connaissance de votre nom. Je suis allé à la cantine avec un de
mes camarades qui voulait demander certaines choses...Lorsque le cantinier
ouvrit le registre pour inscrire les demandes, je découvris que j'avais
moi aussi un compte que j'ignorais. J'ai demandé alors le nom de
l'envoyeur et ainsi j'ai obtenu votre adresse. Cher ami : j'apprécie
votre geste de solidarité et de sympathie envers ma personne, je vous
dois reconnaissance et respect, je vous salue de tout mon
coeur322. » « Maroc Répression »
d'octobre 1988 a dressé un récapitulatif des principales
grèves au Maroc. Pour éviter les scénarii de 1981 et 1984,
le régime marocain cherchait le plus possible à atomiser les
mouvements de grèves.
319 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°310, Les détenus de la prison de Tazmamart : Lettre d'un
détenu datée du 5 août 1980.
320 M. OUFKIR et M. FITOUSSI, La Prisonnière,
Paris, Grasset, 1999, pp. 121-227.
321 A. KIEJMAN et B. DARTEVELLE, Le Livre blanc sur les
Droits de l'Homme au Maroc, Paris, Publication de la Ligue des Droits de
l'Homme, 1989.
322 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°307, Les détenus de la prison de Tanger : Lettre de Saïd
Karaoui adressée au CCRM de Bruxelles datée du 24 août
1987.
104
Quelques revendications ouvrières
menées entre le 1er mai 1987 et le
1er mai 1988323
Usine ou
entrepris
|
Ville
|
Nature de la lutte menée
|
Dates ou périodes
|
Causes et
revendications
|
e SOGIER
|
Casablanca
|
72h de grève renouvelables
|
12, 13 et 14 mai 1987
|
Réintégration des
travailleurs licenciés.
Versement des salaires.
|
PUITS DE TOUIT
|
Casablanca
|
Grève illimitée
|
A partir du 10 mai 1987
|
Mettre un terme aux
agissements et aux sanctions arbitraires de la direction.
Titularisation des ouvriers qui exercent depuis 6 ou 7 ans.
Augmentation de la
prime de l'Aïd Al
Adha. Octroi de chaussures de sécurité 4 fois
par an.
|
ICOM
|
Salé
|
Grève illimitée
|
A partir de mai 1987
|
Réduction de l'horaire de travail.
|
AJOUR ATLAS (fabrique de briques)
|
Azrou (Atlas)
|
Grève illimitée
|
A partir du 19 juin 1987
|
Protestation contre les
pratiques répressives de la Direction
|
MOULINS NAJAH
|
Rachidia
|
Manifestation des ouvriers
|
28 juin 1987
|
Versement des salaires des 3 derniers mois.
|
SOFAQUIS
|
-
|
Grève illimitée
|
A partir du 3 juillet 1987
|
Respect des libertés syndicales.
Réintégration des
salariés licenciés.
Installation d'une
infirmerie. Versement des congés payés.
|
TEMSA
|
Tétouan
|
Grève en guise d'avertissement
|
25 août 1987
renouvelable du 3 au 10 septembre 1987
|
Pour la sauvegarde des
acquis suivants :
ancienneté, prime de
panier, heures
supplémentaires,
protection sociale, indemnisation des fêtes
nationales et religieuses.
|
Lors des deux conférences de l'ASCLCRM
organisées à Strasbourg, une réunion de coordination est
décidée à Genève le 15 et 16 octobre
1988324. Les CLCRM de Paris, Grenoble, Strasbourg, Limoges,
Amsterdam et de Belgique ont saisi la Commission des Droits de
l'Homme de l'ONU sur la question des grévistes de la faim au Maroc.
Durant cette coordination, le CLCRM de Paris proposait aux autres
comités présents de réunir tous les CLCRM d'Europe en vue
de les organiser en une ONG. Par conséquent, devenir une ONG permettrait
aux CLCRM de faire partie de plusieurs réseaux humanitaires. Cette
idée était
323 Maroc Répression, Bulletin mensuel du
CLCRM de Paris, N°31, septembre-octobre 1988, pp. 3-4. Maroc
Répression, Bulletin bimestriel du CCRM de Bruxelles, avril-mai,
1989, pp. 5-7.
324 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°382, ASHDOM-APADM-CLCRM - Notes sur la répression au Maroc :
Rapport de la coordination de Genève daté du 15 et 16 octobre
1988
105
soutenue par SOS - Torture, qui, fort d'un soutien de
plusieurs milliers d'ONG, a proposé aux CLCRM d'établir une
collaboration commune pour le cas du Maroc. La proposition est restée
lettre morte car transformer les CLCRM en une ONG aurait demandé du
temps et de l'argent.
Parallèlement à la coordination de
Genève, le Parlement Européen de Strasbourg a voté une
résolution sur le non-respect des Droits de l'Homme au Maroc, laquelle
exprima325 :
- Une inquiétude de la
permanence du non-respect des droits des prisonniers politiques dans
les prisons marocaines et des atteintes à leur
intégrité physique ;
- Une demande au gouvernement marocain et au roi
Hassan II de renoncer à appliquer la peine de mort et de
prononcer l'abolition de la peine capitale ;
- L'obligation pour le gouvernement
marocain d'accéder aux demandes, justifiées sur
le plan des droits de l'Homme, visant à améliorer les
conditions de détention en reconnaissant aux prisonniers le droit de
recevoir la visite de leur famille, le droit de se consacrer à
l'étude et à la lecture des journaux ;
- La demande au Président du Parlement
européen et à la Commission de faire
connaître aux autorités marocaines ses préoccupations et
son souci de voir le Maroc mettre en pratique ses engagements en matière
des droits de l'Homme ;
- La demande aux Ministres des Affaires
étrangères réunis dans le cadre de la
coopération politique d'effectuer une démarche humanitaire
d'urgence en faveur des grévistes de la faim de Marrakech ;
- La mission confiée à son Président de
transmettre la résolution au Conseil, à la Commission et
au Gouvernement marocain.
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Entre le 13 le 18 janvier 1989, le CCRM de Bruxelles
participait à l'organisation de sa dernière mission juridique.
Cette mission a été conduite par Me Monique Weyl, avocate au
barreau de Paris et impliquée dans la situation des mineurs
grévistes au Maroc326. Cette mission juridique s'est
déroulée dans la mine charbonnière de Jerada. Jerada est
une ville située au Maroc oriental et est l'une des villes
minières les plus importantes du pays. Les conditions de travail n'en
sont pas moins déplorables : absence de sécurité,
dépoussiérage et climatisation inexistantes. En outre, les
mineurs doivent payer leur équipement sans bénéficier de
logements salubres : absence de douches au puits et promiscuité
favorisant la tuberculose et la pneumonie. Les licenciements et arrestations
abusifs dans les rangs des mineurs ont poussé ces derniers à
émettre plusieurs revendications parmi lesquelles327:
- Une amélioration des salaires, du
matériel et de la sécurité ;
- Une indemnisation des maladies professionnelles et
des accidents de travail ;
325 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°357, Parlement Européen - Documents de séances
1987-1989 : Résolution adoptée par le Parlement Européen
de Strasbourg relative aux violations des Droits de l'Homme au Maroc d'octobre
1988.
326 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°362, Mission du Centre International des Droits Syndicaux - Mission
juridique Monique Weyl du 13 au 18 janvier 1989 au Maroc.
327 M. WEYL, Rapport sur la situation des mineurs
gréviste de Jerrada, Oujda, 18 janvier 1989, pp. 18-24.
106
- Le respect de leur dignité et le droit aux
logements décents ;
Bien que le régime se montre sourd à ces
réclamations, les mineurs ont déclenché une
première grève d'avertissement de trois jours. Trois
délégués à la sécurité ont
été frappés d'une mesure de suspension de trois mois parce
qu'ils avaient participé à la grève. Cette mesure de
suspension a été à l'origine d'une deuxième
grève d'avertissement fixée du 7 au 12 décembre 1988.
Cependant, la reprise du travail le 26 décembre a amené une
escalade de violence à l'encontre des mineurs où dix d'entre eux
ont été poursuivis pour agression envers la maîtrise et
quatre autres mineurs poursuivis pour distributions de tracts.
En novembre 1988, le CCRM de Bruxelles publiait un
communiqué sur la condamnation à mort de certains détenus
islamistes arrêtés depuis le procès « des islamiques
» en juillet 1984328. Ce communiqué signalait les
incarcérations d'Ahmed Chaib, 24 ans, lycéen, et d'Ahmed Chahid,
37 ans, employé municipal, dans la prison de Laâlou. Les deux
condamnés furent pendant plusieurs mois isolés dans des cachots,
ligotés à un anneau fixé au mur, et quotidiennement battus
et flagellés. Quelques mois plus tard, le régime essoufflait
l'UNEM par une série d'arrestation dont celle d'Abdelhak Chbada.
Abdelhak Chbada était étudiant et militant de
l'UNEM329. Arrêté une première fois en 1983, il
fut de nouveau recherché en 1984 et incarcéré une
deuxième fois en octobre 1988 à Casablanca pour « avoir
incité à troubler l'ordre public ». Durant son
incarcération, il a entamé une grève de la faim. Il
succomba le 19 août 1989, au bout de son soixante-quatrième jour
de grève dans la prison de Laâlou à Rabat.
Le journal officiel marocain Le Matin du Sahara
annonçait dans son édition du 4 mars 1989 la
décoration de l'administrateur général de la
Sûreté de l'Etat belge d'alors, Albert Raes, des mains d'Hassan
II*330. Cette décoration faisait suite à la Fête
du Trône, anniversaire de l'intronisation du monarque, et était le
grand Solidarité du Ouissam Alaouite. Cette décoration
représente la distinction la plus élevée dans la
hiérarchie militaire marocaine et est octroyée pour service rendu
au roi du Maroc. Sitôt informé, le CCRM de Bruxelles a
contacté Serge Moureaux*, Willy Burgeon*, Léo Tindemans* et
José Daras* pour clarifier les motifs de cette
décoration331.
José Daras* (ECOLO) s'est saisi de cette affaire et a
posé une question orale à Melchior (père) Wathelet (PSC),
vice-Premier ministre et ministre de la Justice et des Classes moyennes, le 21
avril 1989 :« A la lecture du journal marocain Le Matin du Sahara du 4
mars 1989, je découvre que l'administrateur général de la
Sûreté de l'Etat a été décoré du grand
Solidarité du Ouissam Alaouite. Il s'agit d'une décoration
extrêmement importante et généralement octroyée pour
services rendus. Le ministre peut-il me
328 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°388, CCRM - Communiqué de presse : Communiqué du CCRM
de Bruxelles faisant le bilan des détenus politiques au Maroc
daté de novembre 1988.
329 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°411, ASCLCRM - Notes diverses : Compte rendu consacré au
détenu Abdelhak Chbada daté de septembre 1989.
330 Le Matin du Sahara du 4 mars 1989.
331 CEGES, Fonds Pierre Le Grève, AA 1936, Liasse
n°421, Quelques dossiers particuliers - Affaire Raes-Administrateur
Général de la Sûreté belge-Dossier constitué
par le CCRM de Bruxelles : Lettres de Pierre Le Grève envoyées
à Serge Moureaux, Willy Burgeon, Léo Tindemans et José
Daras relatives à la décoration d'Albert Raes datées du 16
au 31 mars 1989.
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dire pour quels services rendus par notre
Sûreté ce haut fonctionnaire a été
décoré ?332». Ce à quoi le
ministre répond : « Il est exact, comme l'a découvert
l'honorable membre dans le journal Le Matin du Sahara du 4 mars 1989, que
l'administrateur-directeur général de la Sûreté
publique a été honoré d'une distinction marocaine.
Celle-ci lui a été remise, en présence notamment de Son
Excellence l'Ambassadeur de Belgique, par Sa Majesté le Roi Hassan II
sans que les raisons qui avaient motivé sa décision ne soient
exprimées. Il n'a pas été question de services
rendus333. » Dans ses mémoires, Hassan II* a
avoué qu'il traitait directement avec les patrons des services de
renseignements des états étrangers et qu'il les recevait chaque
année lors de la Fête du Trône334.
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