III.2 La motivation : de la
force qui pousse à l'objectif qui aspire
Avec la théorie de l'expectation-valence (Vroom, 1964),
on passe en effet d'une motivation fondée sur des
antécédents (besoins ou sanctions) à une motivation
provoquée par une anticipation en direction d'un but souhaité. On
retrouve ici les processus étudiés par Lewin en terme de niveau
d'aspiration (1959). C'est la recherche d'un objectif valorisé et le
fait de s'en approcher qui motivent et augmentent le niveau d'activité.
Dans ce cas, ce n'est plus la sanction mais la seule perception d'une
finalité prochaine qui joue.
On rejoint par là des recherches liées à
la croyance ou au souhait relatif à un but possible. L'effet Pygmalion
(Rosenthal, 1966) en est un exemple étudié à la fois dans
la relation expérimentateur sujet et dans le domaine de l'apprentissage.
Il souligne notamment que l'individu attend un événement proche
ou probable et agit en conséquence pour l'atteindre. Depuis, la
psychologie cognitive a confirmé l'importance de la perception du but
visé, recherché ou valorisé. Résultats relatifs
à un système de production (Nuttin, 1968, Leplat, 1970). Mais
l'activité dirigée vers un but reste toutefois un processus
distinct de l'information sur le niveau de réussite par rapport à
ce but, même si les deux portent à élever la motivation
à agir.
Locke & al. (1990) ont développé une
théorie des buts, correspondant au fait d'avoir des objectifs clairs,
comme facteurs de performance dans la tâche. Avoir le sentiment de
progresser vers le but stimule l'activité.
Sur le plan de la gestion du travail dans les entreprises, le
système par objectifs entre bien dans le cadre d'une direction qui
s'appuie moins sur la contrainte directe et davantage sur l'évaluation
qui revient à mesurer l'écart entre le résultat, final ou
intermédiaire, et le but à atteindre. L'instauration de mesures
systématiques du travail crée un système de contrôle
qui oblige à réaliser le travail prévu sous peine de
sanction ou de déconsidération. La crainte d'une
évaluation négative relève alors d'un processus cognitif
fondé sur l'anticipation et la représentation des
conséquences possibles et assure une forme nouvelle de commandement plus
indirect. Mais, comme on y reviendra plus loin, l'évaluation suscite
aussi de l'insatisfaction en créant un climat de compétition qui
risque de détériorer les relations de coopération et de
réduire l'entraide.
Elle motive donc moins qu'on le croit, même si elle
instaure une influence plus raffinée.
Dans un sens opposé, la construction d'un projet
professionnel avec définition d'un objectif précis, en cours de
réalisation d'un bilan de compétences, peut être compris
comme une source de motivation dans le cadre de la théorie
d'expectation-valence
(François, 1998). La construction d'un projet personnel
ou professionnel et le repérage de ses compétences aident
sensiblement à structurer une orientation d'action, à dynamiser
l'activité (Gaudron
& Bernaud, 1997 ; Gaudron, Bernaud & Lemoine, 2001) et
à augmenter le niveau de connaissance de soi (Lemoine, 1997 ; Camus,
1997). La distinction principale avec un système
d'évaluation des résultats repose sur la place de
l'intéressé : dans un contrôle de l'atteinte des objectifs,
il subit des mesures, ce qui accroît sa dépendance, tandis qu'il
est davantage maître du jeu lorsqu'il construit son projet et se donne
lui-même des objectifs, à partir de méthodes de mesure
mises à sa disposition.
Mais l'utilisation sociale de l'attente peut aussi prendre
d'autres formes, moins favorables aux intéressés. Ainsi la
perception que l'on se trouve en période de crise économique,
où le risque de licenciements augmente, tend à réduire les
revendications salariales, tandis que des temps plus prospères
conduisent à des problèmes de distribution des gains et motivent
des revendications. Là encore on se trouve à l'opposé
d'une théorie des besoins, qui ne sont pas préexistants mais
apparaissent selon la conjoncture. C'est le revers de la motivation par
objectif : il faut bien que les promesses finissent par se réaliser,
sous peine de provoquer un mouvement inverse fort, avec crise de confiance,
démobilisation et sentiment d'insatisfaction profond, voire d'injustice.
Ne peut citer à ce sujet Le Ny, qui dès 1967, à l'aube de
la psychologie cognitive, mentionnait que le renforcement dit secondaire ou
mental n'était pas obtenu par une stimulation directe mais par l'image
mentale du résultat qui allait se produire. Il suffit dès lors
d'agiter la seule possibilité de la sanction pour obtenir un effet par
anticipation. Ce n'est plus la récompense ou la punition mais l'attente
ou la crainte qui est efficace, étant donné que le sujet anticipe
le résultat et se conduit en fonction. Il est à ce titre
intéressant de noter qu'une voie actuelle de la psychologie a
redécouvert des phénomènes étudiés
antérieurement sous d'autres formes.
Les retombées de cette activation anticipatrice qui
marque l'activité du sujet sont nombreuses dans le domaine du travail.
On peut citer le maintien de la vigilance en fonction de la connaissance des
résultats relatifs à un système de production.
Dans le domaine du travail, le risque du chômage,
renforcé encore par le raffinement cognitif qui produit du stress par
anticipation à partir de menaces sur le pouvoir d'achat ou sur une
exclusion sociale par licenciement, conduit à tenir davantage à
son travail et s' appliquer, du moins tant que l'espoir de relever le
défi n'est pas supprimé par des effets d'annonce. C'est dans ce
cas aussi que des conditions de travail difficiles sont acceptées, ou
même que des situations de stress ou de harcèlement moral sont
supportées.
Cependant, même après une mise au chômage,
ou avec un emploi précaire, on constate que la centralité du
travail reste importante, voire augmente en terme de représentation et
d'attente (Moutou, 1997), même s'il faut modérer ces avis par le
fait qu'ils se changent en insatisfaction des conditions de travail chez ceux
qui en ont. La place donnée à la valeur travail, le sentiment de
compétence ou d'efficacité que l'on a en travaillant, ou la
croyance qu'il est possible de réussir et de «s'en sortir»
constituent une motivation forte et mobilisent les énergies (Bandura,
1986).
Ainsi la motivation devient-elle un processus qui fait appel
à la fois à une activité sociocognitive par anticipation
des finalités perçues ou envisagées et à une
référence à des valeurs recherchées. Elle se
rapproche en cela de la notion d'implication. Elle s'appuie sur
l'élaboration d'un sens donné au travail (Morin, 1996, p. 141),
ce qui conduit à nous intéresser aux valeurs liées au
travail en lui-même.
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