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De la gratuité sur internet. Etude de cas de Google inc.

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par Clara Pillet
CELSA - Master 2 2015
  

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I. De la gratuité : la donnée personnelle comme objet de toutes les

convoitises dans un système de surveillance généralisée

Google Inc., créé en 1998, a toujours été un service gratuit pour les internautes : personne n'a jamais payé pour utiliser les différents services que l'entreprise propose. Cependant, on peut observer un certain paradoxe : des services gratuits permettent à l'entreprise d'avoir un chiffre d'affaire supérieur à 45 000 dollars en 2014. En effet, le modèle d'affaires est basé sur un échange monétaire entre Google Inc. et les publicitaires qui se servent des plateformes de Google Inc. pour y afficher leurs produits. Cependant, pour que ces publicités soient mises en place et soient rentables pour les deux parties, la présence de l'utilisateur des différents services de Google Inc., qui est la cible de ces publicités, est absolument nécessaire.

J'émets l'hypothèse que Google Inc. propose des services gratuits car l'utilisateur paye l'utilisation de ces services avec ses données personnelles. L'utilisateur est alors le produit de la richesse de Google Inc. Il convient alors d'interroger la relation économique de Google Inc. avec ses utilisateurs, pour comprendre quels sont les mécanismes qui sont mis en place par l'entreprise pour être rentable en proposant des services gratuits.

Dans un premier temps, il convient de définir les données personnelles pour comprendre quelle peut être leur valeur. Ensuite, le fonctionnement et le modèle d'affaire de Google Inc. doivent être expliqués afin d'évaluer la place de l'utilisateur au sein d'un système économique complexe.

1. Les données personnelles

La donnée personnelle est le fondement de l'économie numérique, et notamment du modèle d'affaires de Google Inc. Sa définition est complexe, et son statut économique et juridique reste encore à déterminer.

Premièrement, la donnée est « ce qui est connu et admis, le point sur lequel on fonde un raisonnement, qui, étant indiscutable ou indiscuté, sert de base à une recherche, un examen quelconque ». La donnée réfère également à « une représentation conventionnelle d'une

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information en vue de son traitement informatique »15. La donnée informatique est donc le plus petit élément composant une information numérique. Les données représentent donc l'ensemble des éléments connus et admis qui doivent être traités de manière informatique pour donner du sens.

À cette définition de la donnée informatique, s'ajoute la définition juridique de la donnée personnelle. L'article 2 de la directive européenne 95/46 du 24 octobre 1995 ainsi que l'article 2 de la loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 définissent les « données à caractère personnel » comme « toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable ; est réputée indentifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à une numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale. » Cette définition concerne aussi bien les données directement nominatives que celles qui le sont indirectement comme une adresse, un numéro de téléphone, une adresse IP, les traces des données de connexion - tout ce qui permet de remonter indirectement à un individu.

Ainsi, les données à caractère personnel qui font l'objet de collecte et de traitement dans un environnement numérique sont très diverses ; elles peuvent être transactionnelles, collaboratives, issues de système de gestion, de registres officiels, de médias sociaux, de capteurs d'objets connectés. Les données structurées, comme les fiches clients ou les bases de données, différentes des données non structurées, comme les requêtes des utilisateurs d'un moteur de recherche, qui permettent d'analyser leurs discours et leurs comportements. De plus, contrairement aux bases de données statiques, elles se présentent sous forme de flux, sont constamment mises à jour, et se renouvellent en permanence16.

- La donnée personnelle comme trace

Ainsi, les données personnelles peuvent également être automatiquement produites à l'occasion d'un calcul, d'une connexion, sans que le sujet en soit conscient. À chaque fois que

15Trésor de la Langue Française Informatisé

16 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », 2015.

l'internaute effectue une recherche sur Google, il crée des traces, des empreintes de connexion, et laisse derrière lui des informations à son sujet. Nous pouvons alors reprendre le premier des cinq axiomes de la communication développés par Watzlawick, Bavelas et Beavin17 : « on ne peut pas ne pas communiquer ». Tout comportement porte un message, et même un non comportement a un sens dans une situation d'interaction. Ainsi, on peut dire qu'en matière de comportement numérique, on ne peut pas ne pas laisser de traces et de données personnelles dans un environnement numérique.

Les données personnelles des internautes peuvent être considérées comme des traces, « construite[s] ou retrouvée[s], d'une communication en même temps qu'un élément de systèmes identitaires. »18 En effet, la trace est ce qui subsiste de quelque chose, d'un passage, d'une action réalisée dans le passé. Dispositif de mémoire, elle agit comme un témoignage qui doit être analysé pour créer du sens. La trace n'est pas un message, et doit être combinée à d'autres pour faire sens. Les données produites par les individus sont des données chiffrées, des bits, des logs et non des informations. Alexandre Serres19 distingue deux types de traces : celles qui résultent d'une « interaction homme/machines » et celles qui réfèrent à une suite d'événements ordonnés. On peut distinguer les traces « profilaires », liées au support technique utilisé (adresse IP, cookie), les traces déclaratives (les données nominatives ou démographiques volontairement inscrites), les traces navigationnelles (les requêtes effectuées sur Google, les achats effectués en ligne ; toute action prise sur un site web), et les traces comportementales (l'historique de navigation). La trace assigne une signature invisible à un comportement informationnel. Ces données personnelles sont reliées à une énonciation incertaine, différée, et sans marqueurs corporels. Les données personnelles sont des déictiques qui signalent une identité, de manière contextuelle, en reliant l'activité d'un individu à son identité, mais elles sont dissociables de leur production, car ce sont des « unités solvables, agençables et calculables »20. Les données personnelles ne dépendent donc d'aucun support matériel et ne font pas l'objet d'un droit de propriété au niveau juridique. Ainsi, les données de tous types, y compris celles à caractère personnel sont très malléables, et transformables à

17 WATZLAWICK, JACKSON & BEAVIN, Pragmatics of Human Communication, W. W. Norton & Company, 2011. Disponible : https://books.google.fr/books?id=Ob9UAgAAQBAJ&pg=PA29&source=gbs toc r&cad=4#v=onepage&q&f=false, p. 29

18 PEDAUQUE T. Roger, La redocumentarisation du monde, Editions Cépaduès, 2007.

19 SERRES Alexandre, « Quelle(s) problématique(s) de la trace ? », Texte d'une communication prononcée lors du séminaire du CERCOR (actuellement CERSIC), le 13 décembre 2002. Disponible : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic 00001397/document (Consulté le 12 janvier 2015)

20 PEDAUQUE T. Roger, La redocumentarisation du monde, Editions Cépaduès, 2007.

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l'infini21 et elles doivent être exploitées et transformées pour devenir une information : les données personnelles ne prennent de sens que quand elles sont collectées en masse et exploitées, transformées pour y extraire de la valeur marchande.

- La valeur de la donnée22

Il convient alors d'interroger la valeur de la donnée personnelle. En effet, l'essor d'Internet et l'explosion de ses usages ont fait croître de manière importante le nombre de données produites par les internautes. Dans ce cadre, les entreprises se sont intéressées à ces données reliées à des individus dans un but commercial. En effet, les données personnelles permettent d'identifier des consommateurs de manière ultra précise pour leur proposer des produits adaptés, garantissant ainsi l'acte d'achat. Un prix, soit une somme d'argent, est attribué aux données personnelles qui acquièrent alors une valeur marchande dans un environnement numérique. Il convient alors d'interroger le statut économique de ces données personnelles et de déterminer comment un prix correspondant à ces données peut être appliqué.

La donnée est un bien non rival, public et de non exclusion car sa consommation ne prive pas les autres agents de son usage ; elle peut être faîte simultanément par plusieurs agents économiques sans que ses caractéristiques soient affectées ; et son usage ne peut être exclu sans dispositifs techniques spécifiques ou droits de propriété. D. Quah précise en plus que la donnée est « reproductible à l'infini, a-spatiale, indivisible et recomposable »23. La donnée personnelle est un « capital circulant » dont la valeur, loin d'être détruite, s'accroît au cours des transmissions entre les différents agents24. Ainsi, elle est un bien d'abondance, car non destructible et reproductible. Les données sont des biens informationnels et intangibles (comme les services) mais qui peuvent être stockées (comme les produits), d'où son statut économique hybride.

21 MERZEAU Louise, « Du signe à la trace, l'information sur mesure », Hermès, N° 53, Traçabilité et réseaux, CNRS éditions, 2009. Disponible : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00483292 (Consulté le 12 janvier 2015)

22 CHIGNARD Sinon & BENYAYER Louis-David, Datanomics, Les nouveaux business models des données, Editions FYP, Collection « Entreprendre - Développement professionnel », 2015.

23 Cité par BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, Sociétés de l'information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L'Harmattan, Paris, 2006, p. 35

24 Sous la direction de BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, Sociétés de l'information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L'Harmattan, Paris, 2006. p.16

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Il est intéressant de noter que la donnée peut avoir plusieurs valeurs, selon le temps, le lieu, les personnes interrogées, et le contexte. En effet, la valeur de la donnée est changeante, et dépend notamment de la finalité et de l'objectif que la donnée permet d'atteindre. Elle a une valeur immédiate : la donnée d'aujourd'hui a plus de valeur que celle d'hier. En effet, le volume et la vitesse de croissance de ces données personnelles les rendent obsolètes dans le temps, car changeantes et instables. Cependant, la somme des données passées acquiert de la valeur dans la mesure où elle permet de définir les algorithmes des moteurs de recherche par exemple, ou de définir le profil d'un individu. La donnée possède une valeur d'option, soit une valeur attribuée à un usage potentiel futur.

Simon Chinard explique que « la première valeur d'une donnée n'est pas monétaire. C'est d'abord et avant tout une valeur de levier : l'usage qui va en être fait et qui va permettre de changer les processus de décisions ou de produire différemment certains services. C'est donc la capacité de relier une donnée à une autre, de la croiser, qui va faire sa valeur »25. Ainsi, les données personnelles brutes, ne valent pas tant pour ce qu'elles sont, mais plutôt pour ce qu'elles permettent de faire ; c'est un bien d'expérience, dont la qualité ne se révèle qu'à l'usage.

En effet, la valeur de la donnée se co-construit avec d'autres données. En reprenant les termes de la loi de Metcalfe, la valeur d'une donnée est proportionnelle au carré du nombre de données auxquelles elle est associée26. Ainsi, la donnée ne prend de la valeur que quand elle est utilisée et transformée pour donner du sens. La donnée est collectée à l'état brut par une entreprise et elle doit subir une transformation et être croisée avec d'autres données pour la rendre propre à l'échange et à l'utilisation. La loi « Informatique et Libertés » du 6 janvier 1978 définit le traitement des données à caractère personnel comme « toute opération de collecte de traitement de la donnée » (art.2). De plus, le responsable du traitement des données réfère « à toute personne physique ou morale qui détermine les finalités et les

25 Simon Chignard, dans « Les données personnelles, une denrée sous-utilisées par les collectivités », la Gazette des Communes, publié le 2 juillet 2015, par Claire Chevrier. Disponible : http://www.lagazettedescommunes.com/374186/la-capacite-a-croiser-une-donnee-a-une-autre-fait-sa-valeur/# (consulté le 3 juillet 2015)

26 La loi de Metcalfe, énoncée par Robert Metcalfe, un ingénieur américain à l'origine du protocole Ethernet, annonce que « la valeur d'un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs ». Cette loi annonce que plus il y a d'utilisateurs de réseau, plus ce réseau a de la valeur. Ainsi, plus il y a d'utilisateurs de Google Inc., plus les services de l'entreprise ont de la valeur d'utilité pour les utilisateurs, et de la valeur économique. Citée dans Sociétés de l'information : enjeux économiques et juridiques, Ed. L'Harmattan, 2006, Paris, sous la direction de BARBET Philippe & LIOTARD Isabelle, p.42

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moyens du traitement » (art.3) et réfère à la personne ou l`entreprise qui engage sa responsabilité en mettant en place un fichier de collecte et des outils de traitements des données à caractère personnel.

Dans le cas de Google Inc., la donnée personnelle acquiert une valeur car elle permet d'établir le profil des utilisateurs pour leur proposer les publicités adéquates. Ainsi, « l'information, c'est-à-dire, la décision que permet l'analyse de données a une valeur d'utilité plus forte que la donnée elle-même »27. Il convient alors d'interroger le modèle économique de Google Inc. et de comprendre la place de la donnée personnelle au sein de ce modèle.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo