De la gratuité sur internet. Etude de cas de Google inc.( Télécharger le fichier original )par Clara Pillet CELSA - Master 2 2015 |
3. Google Inc., une entreprise qui vous veut du bien73 « L'ambivalence de ces technologies, c'est que tout en effrayant par leur potentialité, elles permettent un niveau de confort et de services qui sont à la fois source de sécurité et de tranquillité »112 En effet, pour que son modèle économique biface fonctionne, Google Inc. doit imposer son mode de fonctionnement, notamment en ce qui concerne l'utilisation des données personnelles de ses utilisateurs. Or, comme évoqué dans la deuxième partie de mon argumentaire, plus de la moitié des utilisateurs des services de l'entreprise sont dérangés par cette pratique. Ainsi, le sixième point des principes de Google Inc. concerne le modèle d'affaires de l'entreprise et est intitulé « Il est possible de gagner de l'argent sans vendre son âme au diable ». En anglais, « vendre son âme au diable » est exprimé par les termes « doing evil » et fait directement référence au slogan de Google Inc. « Don't be evil ». Google Inc. explique ici sa charte de déontologie des affaires, et explique que « Google est une entreprise » et que la société gagne de l'argent. En effet, Google Inc. proposant des services entièrement gratuits pour les utilisateurs, il doit rappeler son statut d'entreprise, et le fait qu'il gagne de l'argent, ce qui pourrait ne pas être admis par tous, dans la mesure où il ne propose pas de services payants à ses utilisateurs. L'énoncé du principe peut être interprété comme une manière pour Google Inc. de se dédouaner, comme si le fait de gagner de l'argent était forcément relié à une activité malveillante envers les consommateurs. Ainsi, l'entreprise doit expliquer les bénéfices qu'elle fait, alors que son modèle économique est basé sur la gratuité, et donc écarter tout soupçon de vente directe des données personnelles à des tierces parties. Dans ses Réponses relatives à la confidentialité et à la sécurité, Google Inc. consacre tout un paragraphe destiné à rassurer les utilisateurs sur l'exploitation de leurs données et affirme : « Sachez que nous ne vendons pas vos informations personnelles ». Il est intéressant de relever l'emploi de l'impératif : l'emploi de ce mode de conjugaison permet de donner un ordre aux utilisateurs, et d'insister sur l'affirmation que fait Google Inc. De même, il est intéressant de commenter la dernière phrase « Et que vous contrôlez le type d'informations que nous collectons et utilisons ». En commençant le segment par la conjonction de coordination, un effet d'emphase est ajouté à la phrase, et par la position finale 112 KESSOUS E., « La traçabilité généralisée : un nouveau paradigme de la consommation instrumenté par les objets communicants ? », Consommation et sociétés, 2006 74 de cette phrase dans ce paragraphe, Google Inc. veut insister sur le fait que les utilisateurs ont tout le pouvoir sur leurs informations, et non l'entreprise. Ainsi, Google Inc., l'entreprise qui ne vend pas son âme, ni ses utilisateurs au diable a donc mis en place des stratégies de discours pour rassurer les utilisateurs sur les pratiques de collecte et d'exploitation des données personnelles afin d'instaurer une relation de confiance. - Google Inc. au service de l'internaute Afin de rassurer les utilisateurs sur la finalité de ses pratiques concernant leurs données personnelles, Google Inc. se place comme étant au service de l'internaute, avec des services utiles et respectueux de l'individu. Le premier principe de la philosophie de Google Inc. concerne l'utilisateur : Google Inc. veut proposer « la meilleure expérience utilisateur » et des services centrés sur l'utilisateur. « Lorsque nous concevons un nouveau navigateur Internet, c'est votre confort que nous cherchons à satisfaire et non un quelconque objectif interne, ni les exigences de résultats de la société » Google Inc. laisse sous-entendre que la création et l'amélioration de produits et services ne se font uniquement que pour les utilisateurs, et leur confort et satisfaction. Google Inc. nie que si les utilisateurs sont satisfaits des services, ils continuent de les utiliser ce qui améliore la rentabilité de l'entreprise. Le troisième principe concerne la rapidité de ses services. Déjà énoncé dans le premier principe (« Les pages se chargent instantanément »), la vitesse d'exécution de ses services est une priorité pour la société : « Google est probablement la seule société au monde dont l'objectif avoué est de faire en sorte que ses visiteurs quittent son site aussi rapidement que possible. » Google Inc. met en avant sa position disruptive par rapport à toutes les autres sociétés du monde : cette phrase laisse entendre que son fonctionnement est unique, que Google Inc. est unique. De plus, Google Inc. annonce qu'il ne veut surtout pas retenir ses utilisateurs, et 75 n'être qu'un site « de passage ». Cet argument est cependant à nuancer : Google Inc. a développé de nombreux services autres que son moteur de recherche et développe des offres dans le « cloud computing »113. En effet, la tendance est aujourd'hui à un basculement massif vers une offre tout en ligne, et mobile qui permet à Google Inc. de garder ses utilisateurs grâce à ses différents services et son système d'exploitation mobile, Android. Google Inc. a crée un écosystème complet qui permet aux utilisateurs de ne jamais quitter les services de Google Inc. Le quatrième principe s'intitule « La démocratie sur le web existe encore ». Dans ce paragraphe, Google Inc. fait référence au fonctionnement de son algorithme, qui est basé sur le nombre de rétro-liens édités par les internautes. « Sa technologie [NDLR : la technologie du moteur de recherche Google] fait confiance aux millions d'internautes qui ajoutent des liens sur leur site Web pour déterminer la valeur du contenu d'autres sites ». Ainsi, l'algorithme du moteur de recherche de Google PageRank considère qu'un lien est un vote, qui indique la popularité et la pertinence d'un site Internet. L'algorithme se base sur le nombre de liens qui pointent vers un site, pour déterminer « les site `élus' comme les meilleures sources d'information via d'autres pages Web. Chaque nouveau site constitue un nouveau point d'information et un nouveau vote à comptabiliser ». Google Inc. expose le fonctionnement de son moteur de recherche et l'entreprise semble se désolidariser complètement de son algorithme et des résultats de requêtes. C'est la technologie du moteur de recherche qui fait confiance aux internautes, c'est l'algorithme qui élie les sites. La technologie semble avoir été crée ex nihilo, sans intervention de l'homme, et c'est elle qui décide de tout, et organise l'information. Ainsi, la démocratie de Google Inc. est un système où les internautes votent pour des sites, et ces votes sont pris en compte par une technologie objective et juste, qui fait fi de la subjectivité et des jugements humains. Cette idée renvoie à la conception de Simondon114 : la technologie de Google Inc. est pensée et présentée comme 113 « Le cloud comuting est un modèle pour permettre un accès omniprésent, pratique et à la demande, à un réseau de ressources informatiques configurés (réseaux, serveurs, stockage, applications et services) qui peuvent être rapidement approvisionné et livré avec un effort de gestion minimum. ». The NIST definition of cloud computing, September 2011, http://csrc.nist.gov/publications/nistpubs/800-145/SP800-145.pdf On peut parler d'informatique en nuage pour tous les services qui étaient habituellement réalisé sur le disque dur d'un ordinateur, et qui sont désormais réalisé en ligne, comme Google Docs, Gmail, etc. 114 SIMONDON Gilbert, Sur la technique, PUF, 2014. étant « un objet technique ne contenant aucune réalité humaine ». Or, toute technologie est construite et évolue avec et grâce à l'humain, qui pense la technologie. « C'est de l'humain cristallisé ». Il est intéressant de noter que Google présente sa technologie comme étant autonome de l'humain, alors même que cette technologie « fait confiance » aux internautes, pour savoir ce qu'il est juste de faire. Il convient alors d'interroger la notion de confiance entre l'entreprise et ses utilisateurs et quelle est la valeur symbolique que lui accorde Google Inc. - La confiance : le Saint Graal de Google Ainsi, Google Inc. explique avoir confiance dans les choix des internautes pour constituer son algorithme de recherche et de classement de résultats. Google Inc. assure également que ses « utilisateurs font confiance à l'objectivité de Google et rien pourrait justifier la remise en cause de cette confiance », dans sa philosophie. Ainsi, alors que Google Inc. affirme les liens de confiance qui existe entre l'entreprise et l'utilisateur comme étant une vérité générale, il convient de les interroger. La confiance réfère à « la croyance en la valeur morale d'une autre entité, qui fait que l'on est incapable d'imaginer de sa part une tromperie ou d'une trahison. »115. Elle est l'élément principal de la coopération entre l'entreprise et ses utilisateurs, afin que ces derniers acceptent de collaborer au niveau économique, en autorisant la collecte et l'exploitation de leurs données. Ainsi, la confiance des utilisateurs dans les services de Google Inc. est une des conditions principales relatives à son existence et à sa rentabilité, et l'entreprise nécessite cette confiance pour faire fonctionner ses services. Si l'entreprise affirme dans ses conditions d'utilisation « Lorsque vous utilisez nos services, vous nous faîtes confiance pour le traitement de vos données. », cette confiance doit pouvoir être justifiée par l'entreprise. Google Inc. a donc mis en ligne toute une catégorie concernant la confidentialité et la sécurité des informations personnelles de ses utilisateurs, intitulé Réponses relatives à la confidentialité et à la sécurité, déjà évoquées plus haut. 76 115 Trésor de la Langue Française Informatisé 77 Figure 2. Règles de confidentialité et de sécurité Le haut de la page présente une image, avec trois boucliers, qui symbolisent la protection contre des attaques. Au centre de ces boucliers, des curseurs qui font référence aux paramètres de sécurité et de confidentialité que l'utilisateur peut modifier, un cadenas qui fait référence à la sécurité des données. Au centre, le plus gros bouclier a en son centre la représentation d'une personne, et ce logo est utilisé pour représenter le compte Google des utilisateurs. Ces logos ont un sens admis par tous et sont des symboles, dont la représentation est fondée sur une convention que les utilisateurs de services de Google Inc. connaissent. À noter la couleur bleue des pictogrammes, couleur utilisée dans le domaine de la sécurité informatique, car représentant le calme et la sérénité. Dès que l'utilisateur arrive sur cette page web, les logos permettent de lui signaler que Google Inc. met tout en oeuvre pour les protéger d'une utilisation frauduleuse de leurs données personnelles, et qu'ils sont protégés. De plus, dans le discours, Google Inc. insiste sur le fait que les données collectées permettent de protéger l'utilisateur d'intrusions malveillantes, d'oubli de mots de passes et d'utilisation frauduleuse. « Nous pouvons également analyser les tendances pour vous protéger des logiciels malveillants, du hameçonnage et d'autres activités suspectes [É] Vous êtes protégé par l'une des infrastructures les plus avancées au monde en matière de sécurité lorsque vous utilisez nos services ». 78 Ainsi, selon Google Inc., la confiance est de mise car l'entreprise met en place des stratégies de protection des données personnelles de ses utilisateurs. Google Inc., par ses différents discours sur la sécurité et la confidentialité des données de ses utilisateurs, fabrique donc des espaces potentiels de confiance, en créant et maintenant une illusion bienveillante, dans lesquels le réel ne semble pas intervenir116. Cependant, ces notions de sécurité et de confidentialité sont à questionner, puisque Daniel Kaplan, délégué général de la Fing explique que « dans l'industrie numérique, quand on parle de confiance, on parle essentiellement de sécurité. Or, la confiance, dans la vie, c'est justement l'inverse : c'est quand on ne prend pas de mesures de sécurité... justement parce que quelque chose d'autre les remplace : une relation de confiance. »117 Ainsi, la sécurité est un substitut à la confiance, et les contrats qui lient Google Inc. et ses utilisateurs, s'opposent à cette notion de confiance. En effet, si la confiance désigne le fait de prendre un risque en s'en remettant à un autre, la sécurité a pour fonction d'annuler ce risque et donc de rendre la confiance non nécessaire118. À noter qu'il n'existe qu'un seul contrat qui établit les règles de modalités entre les utilisateurs et l'entreprise, qui sont les conditions d'utilisation des services de Google Inc., qui sont acceptées de manière implicite par les utilisateurs. « L'utilisation de nos Services implique votre acceptation des présentes Conditions d'Utilisation. » Google Inc. suppose que dès qu'un internaute utilise ses produits et services, il accepte les conditions d'utilisation énoncées par l'entreprise. La régulation de cette collecte de données passe par un principe d'opt-out (l'autorisation de l'utilisation est obtenue par défaut, l'individu doit intervenir a posteriori pour demander la suppression de ses données). De plus, ces conditions d'utilisation sont d'ordre général et certains services peuvent bénéficier de « conditions additionnelles ou particulières ». Ainsi, les conditions d'utilisation qui 116 BELIN Emmanuel, « De la bienveillance positive » (Extrait de sa thèse de sociologie, choisi et présenté par Philippe Charlier et Hugues Peeters), Hermès 25, 1999. Disponible : http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/14992/HERMES 1999 25 245.pdf?sequence=1&isAllowed=y (Consulté le 17 août 2015) 117 « Le Big Data fait-il l'inverse de ce qu'il promet ? », InternetActu.net, le 18 décembre 2013 Disponible : http://www.internetactu.net/2013/12/18/le-big-data-fait-il-linverse-de-ce-quil-promet/ (Consulté le 17 août 2015) 118 « L'autre confiance », InternetActu.net, le 10 mars 2011. Disponible : http://www.internetactu.net/2011/03/10/lautre-confiance/ (Consulté le 17 août 2015) 79 concernent tous les services de Google Inc. ne sont pas centralisées sur une seule page web et l'utilisateur doit les chercher. Ainsi, cette absence d'acceptation du seul contrat qui définit les modalités d'utilisation des services de Google Inc. démontre que l'entreprise veut inciter une relation de confiance de la part des utilisateurs, par omission. En effet, selon Eric Brousseau, la confiance sert à diminuer les coûts de transaction associés à la négociation, l'établissement et la vérification de contrats : plus il y a de confiance, moins on a besoin de formaliser. Or, moins il y a besoin de formaliser une relation économique par des contrats, plus la confiance s'installe facilement.119 Par son absence, les Conditions d'Utilisation permettent de mettre en confiance l'utilisateur des services de Google Inc. Ainsi, Google Inc., grâce à différents discours, cherche à rassurer de manière continue l'utilisateur quant à l'utilisation de ses données personnelles, afin d'acquérir sa confiance, élément principal de son entreprise. Ainsi, l'on peut conclure en affirmant que les discours de Google Inc. présentent une idéologie basée sur des mythes littéraires associées à l'infini et au savoir, comme la bibliothèque de Babel et le Xanadu. Cette idéologie permet de légitimer le fonctionnement de Google Inc., et l'utilisation des données personnelles des internautes utilisateurs de ses différents services, tout en euphémisant les relations d'échanges économiques qui lient les utilisateurs à l'entreprise. En effet, si Google Inc. a pour obligation légale de mentionner la collecte et l'utilisation des données qui sont réalisées, les différents discours euphémisent la place de l'utilisateur comme produit et producteur au sein de l'entreprise. La mission de Google Inc. qui est d'organiser toute l'information du monde, interprétée comme une action bénéfique par les individus, permet de ne pas mentionner le rôle de l'utilisateur et sa mise en information également opérée par l'entreprise. De plus, cette mission d'ordre humanitaire et presque religieuse permet également de montrer Google Inc. comme une entreprise humaniste et soucieuse du bien-être de l'internaute avant tout, alors les discours qui mettent en forme cette mission ont également pour but de rechercher la confiance de l'utilisateur, condition sine qua non au bon fonctionnement de l'entreprise. Si la donnée est abondance, la confiance est 119 « Faire confiance », InternetActu.net, Le 05 mai 2010. Disponible : http://www.internetactu.net/2010/05/05/faire-confiance/ (consulté le 17 août 2015) 80 un bien rare, qui possède à la fois une valeur symbolique et monétaire au coeur de l'écosystème de Google Inc. 81 |
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