§2. Personnes visées par l'incrimination de
l'agression
Depuis les précédents de la deuxième
Guerre Mondiale, il avait existé une célèbre formule du
Tribunal de Nuremberg selon laquelle « les infractions en droit
international sont commises par des hommes et non par des entités
abstraites»209. De surcroit, le tribunal soutenait
aussitôt que « ce n'est qu'en punissant les auteurs de ces
infractions que l'on peut donner effet aux dispositions du droit international
»210.
Le texte adopté à Kampala en juin 2010 est venu
confirmer cette tendance qui s'était déjà imposée.
La responsabilité pénale individuelle pour crime d'agression,
selon les articles 8 bis et 25 paragraphe 3 bis du Statut de
Rome, n'incombe qu'aux personnes effectivement en mesure de contrôler ou
de diriger l'action politique ou militaire d'un État.
Quid alors de l'agent d'exécution de l'agression qui
est tenu, selon la loi interne de plusieurs Etats, au devoir de ne pas
exécuter un ordre manifestement illégale ? Est-ce là une
consécration du système de l'obéissance passive, encore
appelée baïonnette aveugle, qui demeure favorable aux
exécutants en ce qu'ils ne font qu'obéir aux ordres du
supérieur hiérarchique ?
208 H. ASCENSIO, E. DECAUX, A. PELLET, Op. cit., p.
237.
209Jug. de Nuremberg du
1er octobre 1946. Cité par P. TSHITEYA D., Op., cit.,
p. 67. 210Ibidem.
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Il semblerait que la réponse à cette
dernière question demeure positive dans la mesure où le crime
d'agression est lié à l'acte de l'Etat et ne prend en compte que,
selon les articles 8 bis et 25 paragraphe 3 bis211
du Statut de Rome, seule la responsabilité des dirigeants (1) ou hautes
personnalités de l'État, et particulièrement la
responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs
hiérarchiques (2).
a. Les dirigeants
Se référant aux documents des travaux du Groupe
de Travail Spécial sur le Crime d'Agression (GTSCA), les notions de
« dirigeant ou organisateur » sont utilisées pour
désigner la catégorie des personnes dans laquelle il faut
rechercher les auteurs du crime d'agression ; on n'y trouve cependant aucune
définition de ces termes212.
Le texte adopté à Kampala qui porte
définition du crime d'agression laisse clairement entendre que le crime
d'agression ne peut être planifié, préparé,
lancé ou exécuté que par « une personne effectivement
en mesure de contrôler ou de diriger l'action politique ou militaire d'un
État »213. Ces dispositions laissent bien
évidemment penser une fois encore qu'il s'agit bien de « dirigeant
».
Que faut-il entendre cependant par « dirigeant »
?
Le Statut du TMI de Nuremberg utilisait l'expression de «
dirigeant » sans la définir. C'est tout de même à
travers les jugements de Nuremberg qu'on peut dégager le sens de ce
terme. Dans ces jugements, les organisateurs ou dirigeants étaient
perçus comme ceux qui, appartenant au milieu politique, militaire ou des
affaires, y détenaient une « haute fonction » et «
jouaient un rôle particulièrement important » dans la
préparation et la commission du crime contre la paix214.
Ce faisant, par dirigeant, serait désignée toute
personne qui détient une part importante de pouvoir, une haute position
ou un niveau élevé dans les milieux (politique, militaire ou
financier), position qui leur permet d'organiser et de commettre un crime
d'agression215.
211Cet article empêche qu'une personne puisse
être poursuivie pour incitation, complicité ou autre forme de
participation en vertu des dispositions générales de l'article 25
si elle n'était pas «effectivement en mesure de contrôler ou
de diriger l'action politique ou militaire d'un Etat».
212 Voir sur ce sujet ICC-ASP/6/SWGCA/2, précité,
p. 3.
213 Article 8 bis du Statut de Rome in Résolution
RC/Res.6., Amendements au Statut de Rome de la Cour pénale
internationale relatifs au crime d'agression, Kampala, 11 juin 2010.
Déjà cité. 214Jug. Nur. 1er octobre
1946. Cité par V. M. METANGMO, Op. cit., p. 377. 215 V. M.
METANGMO, Op. cit., p. 378.
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Mais alors, la résolution de Kampala se limite à
la direction de l'action politique ou militaire d'un Etat.
A en croire A. Borghi, par dirigeants politiques, il est
couramment fait référence aux personnalités telles : le
chef de l'État, le chef de gouvernement, les ministres et, dans une
certaine mesure, les diplomates216. Dans la pratique, poursuit cet
auteur, lorsqu'on parle des dirigeants politiques d'un État, on pense
communément aux chefs d'État, chefs de gouvernement, ministres
des affaires étrangères et toutes autres personnalités de
rang élevé. Par personnalités de rang élevé,
on entend par exemple la plupart des ministres, des secrétaires
d'État, des présidents des hautes assemblées
(Assemblée nationale et Sénat), des
ambassadeurs217.
S'agissant du fondement de la responsabilité des
dirigeants pour crime d'agression, les TMI affirmaient déjà que
« le droit international condamne ceux qui, par leur pouvoir réel
d'élaborer et d'influencer la politique de leur nation, préparent
leur pays et l'entraînent vers une guerre
d'agression»218. Le crime individuel d'agression reste en
effet, nous l'avons dit, strictement relié à l'acte de
l'État dans la mesure où il vise à réprimer un
phénomène étatique, le recours à la guerre,
directement ordonné et planifié par les hautes autorités
politiques et militaires de l'État.
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