Chapitre V
Catégorisation de sexe et exclusion
Les processus de catégorisation se retrouvent
constamment dans notre société inégalitaire, les rapports
sociaux étant soutenus par l'enfermement des personnes minoritaires dans
des catégories servant à justifier, à posteriori les
inégalités. Les catégorisations présentes à
Epitech sont principalement celles de sexe. A Epitech, 93 à 98% des
élèves (selon les promotions) sont des garçons, les rares
filles qui entrent et restent à Epitech doivent faire avec une culture
d'exclusion des femmes, qui se met en place à travers divers
mécanismes passant par l'humour, le harcèlement
stratégique, jusqu'à l'exclusion institutionnelle. Une
catégorisation racisante s'opère aussi à Epitech, bien
qu'elle soit plus subtile et que les exemples dans les entretiens soient moins
nombreux.
1. Mécanismes d'exclusion des femmes
« Il y en a certains qui refuseront de travailler
avec toi parce que tu es une fille. C'est comme ça ils vont sortir des
excuses bidons. Mais je l'ai entendu. Une fois il y avait deux garçons
qui étaient derrière moi et qui font « ouai on se met avec
elle ? », et l'autre fait « non c'est une fille » Anissa
1.1 Le soupçon d'incompétence
Les étudiantes que l'on retrouve à Epitech sont
celles qui ont été relativement épargnées par la
prophétie autoréalisatrice de K. Merton (1949), dans le sens
où elles sont la minorité dans un domaine et dans une
école considérées comme masculines et qu'elles ont
été amenées à dépasser le
stéréotype des femmes comme étant mauvaises en
informatique ainsi que le tabou de l'accès des femmes aux outils et
à la technologie (Tabet, 1998). Il y a donc de grandes chances pour que
la majorité des filles d'Epitech ait un niveau scolaire supérieur
à celui de la majorité des garçons car les
dominé.e.s n'ont pas le sentiment de légitimité des
dominant.e.s et doivent donc dépasser les stéréotypes
intégrés qui les mèneraient à l'autocensure.
Malgré tout,
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lors des entretiens, apparaissent des comportements typiques
de catégorisation de sexe, les filles étant automatiquement
soupçonnées d'incompétence. Comme le rapporte
Amélie, qui était à Epitech Paris :
« En tout cas les deux premières années
ils partaient toujours du principe que je n'y connaissais rien. Même si
j'avais pu faire plus de choses que certains. Ils partaient juste du principe
que je ne connaissais rien et qu'ils étaient forcément meilleurs
que moi. Je ne dis pas, il y en a plein qui étaient sûrement
meilleurs que moi, mais pas tous. Sauf que du coup, il y a eu des rumeurs,
comme j'ai rencontré Anthony au début de l'école, mais
vraiment au tout début pendant la première semaine de cours, et
pendant genre six mois, il y a eu une rumeur comme quoi je sortais avec lui
parce que comme il avait fini l'école il connaissait tous les projets et
qu'il allait m'aider. »
Deux autres filles de promo et de villes différentes
disent avoir vécu la même chose, comme Julie, qui a
commencé Epitech à Bordeaux : « Avec le recul je le
déconseille aux filles, j'ai un peu l'impression d'être
l'élément débile, mon directeur m'a dit
"t'inquiètes pas, vu que t'es une fille j'en attends moins de toi que
des autres". » Julie est cependant la seule à avoir clairement
rapporté un tel discours de la part d'un adulte de l'administration,
toutes les deux filles n'ont parlé que des autres élèves,
ou des astek. C'est ce qui est arrivé pour Anissa, en deuxième
année à Paris : « en fait il faut que tu prouves quand
t'es une fille, vu qu'on est peu de filles il faut prouver qu'on sait faire
quelque chose. Parce que la plupart du temps il pense qu'une fille va charmer,
jouer sur son petit côté fille devant les gens. » Pour
elle, la difficulté était double car ses propres ami.e.s
étaient persuadé.e.s qu'elle ne tiendrait jamais à Epitech
: « Et finalement, là tu as tous les amis qui pensaient qu'au
bout de trois semaines j'allais partir, ils font mais Anissa t'as cassé
un ordinateur juste parce que l'écran était éteint et tu
n'as pas vu qu'il était éteint. Il faut que tu partes. Et comme
on ne croyait pas que j'allais réussir je me suis dit de toute
façon j'ai rien à perdre à rester j'ai tout à
gagner. Parce que j'avais aucune connaissance en informatique. » Il
est bien sûr faux de considérer que tous les garçons
à Epitech étaient passionnés d'informatique avant d'y
entrer, certains sont dans la même situation qu'Anissa mais ne rapportent
pas de problème de légitimité dans leur entourage.
Les garçons enquêtés rapportent cependant
les mêmes stéréotypes, comme David, pour qui quand on est
une fille « les gens ont plus tendance à venir t'aider parce
que tu sembles faible etc. C'est un avantage et un inconvénient tout le
monde est sympa avec toi mais tu t'exposes à avoir par exemple une
réputation qui peut partir en cacahuètes on va mettre en doute
plus que les autres tes capacités c'est sûr et certain que quand
tu vas avoir une bonne note il y a toujours au moins dix mecs qui vont dire tu
es sûre que c'est ton code, je suis sûr que c'est pas toi.
» Louis, qui n'est pas le seul astek (assistant professeur) que j'ai
interrogé, est le seul à dire qu'il aide plus les filles : «
c'est vrai que sans te mentir c'est vrai que déjà j'aime bien
les femmes, j'aime les filles dans un sens où je suis très gentil
avec les filles, avec tout le monde d'ailleurs mais bon j'ai tendance à
plus donner aux filles. J'ai plus tendance à plus donner aux filles s'il
faut je pense qu'elles ont besoin. Pas
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parce que je les sous-estime mais c'est pour l'amour que
je porte à ma mère en fait. C'est ça que je transpose en
fait aux femmes. »
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