Le juge de l'excès de pouvoir au Congo( Télécharger le fichier original )par Edson Wencelah TONI KOUMBA Ecole Nationale dà¢â‚¬â„¢Administration et de Magistrature - Diplôme de là¢â‚¬â„¢ENAM (Option Magistrature, cycle Supérieur) 2011 |
Paragraphe2 : L'étendue et les limites des pouvoirs du juge administratif suprême en matière d'excès de pouvoir.
Max Stirner affirmait : « Une administration trop puissante ne poursuit qu'un but : borner, limiter, enchainer, assujettir l'individu, le subordonner à une quelconque généralité »77(*). Au Congo comme dans tout autre pays d'Afrique noire, l'administration est souvent perçue comme une construction extérieure et ses représentants comme des éléments imposés auxquels il faut accepter de se soumettre. Dans cette « vision pathologique et arbitraire »78(*) de l'administration, le législateur a d'une part conféré au juge administratif suprême des pouvoirs (A) et d'autre part, il a fixé des limites à ces pouvoirs (B). A)- L'étendue des pouvoirs du juge de l'excès de pouvoir.Le caractère exécutoire des actes administratifs constitue « une règle fondamentale de droit public »79(*). Dans de nombreux pays, cette règle a favorisé l'émergence du dogme de l'infaillibilité des autorités administratives dans la prise de leurs actes. Pour protéger les droits des citoyens contre les actes illégaux et leur permettre de demander l'adoption des mesures temporaires dans l'attente d'une décision au fond, la loi a doté le juge d'un pouvoir d'annuler les actes administratifs avec effet erga omnes (article 412 et 414 du CPCCAF) et celui de faire surseoir l'acte querellé avant le prononcé de la décision au fond (articles 411 du CPCCAF). 1-Le pouvoir d'ordonner un sursis à exécution. Au Congo, dans son ancienne loi (article 89 de la loi du 20 janvier 1962), le législateur avait prévu le sursis à exécution. Il reprend cette disposition dans la loi n° 51-83 du 21 avril 1983 portant code de procédure civile, commerciale, administrative et financière en son article 411 : « Sur demande expresse du requérant, la Cour Suprême peut, exceptionnellement, ordonner le sursis à exécution de la décision attaquée si les moyens invoqués paraissent sérieux et si le préjudice encouru par le requérant est irréparable. ». L'analyse de cet article révèle deux conditions quant à la recevabilité d'une demande de sursis à exécution Ó Ø S'agissant de la première condition : (si les moyens invoqués paraissent sérieux)80(*). Celle-ci peut soulever un problème délicat dans la mesure où, le juge de l'excès de pouvoir examinant le caractère sérieux des moyens invoqués peut être tenté de se prononcer en avance sur le fond du litige. Ø S'agissant de la seconde condition : « si le préjudice encouru par le requérant est irréparable »81(*). Cette condition laisse une grande place à l'intime conviction du juge de l'excès de pouvoir. Son appréciation subjective entraine une inconstance de sa jurisprudence puisqu'il procède par une étude au cas par cas. En réalité, ces deux conditions ne sont que la transposition d'une jurisprudence antérieure du Conseil d'Etat (C.E. 12 novembre 1938, Chambre syndicale des constructeurs de moteurs d'avion) qui affirmait que le sursis ne peut être ordonné que : « si l'exécution de la décision attaquée risque d'entrainer des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée ». C'est ainsi que dans la connaissance du sursis à exécution, la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour Suprême peut faire l'objet de plusieurs observations tant sur le fond que sur la forme Ó Sur le fond, le juge astreint le demandeur du sursis à exécution de démontrer par son argumentation le caractère sérieux ou irréparable du préjudice causé. Cette démonstration constitue la preuve susceptible d'emporter l'intime conviction du juge. En ce sens, il affirme dans l'espèce BAZE Maurice82(*) Ó « Qu'ainsi, le requérant ne démontrant ni le caractère évidemment sérieux de son argumentation sur l'irrégularité juridique de la décision réglementaire contestée, ni de l'existence du préjudice que lui a causé cette décision ni a fortiori son caractère irréparable, il convient de rejeter la demande de sursis à exécution ».
De même, dans l'espèce Koffi AMEGA83(*), le juge a affirmé que : « Mais attendu que les moyens exposés par M. Louis Koffi AMEGA ne répondent pas aux stipulations de l'article 89 de la loi du 20 janvier 1962, en ce qu'il ne rapporte pas la preuve du caractère irréparable du préjudice allégué ». Sur la forme, la demande de sursis à exécution doit être présentée sous forme d'une requête introduite à titre accessoire et séparée de la requête principale, le législateur établit ainsi une similitude entre l'article 411 du CPCCAF sur le sursis en matière administrative et l'article 113 du CPCCAF en matière civile et commerciale. Pour s'en convaincre, la juge administratif l'a affirmé dans sa jurisprudence. En effet, dans son arrêt n° 014/GCS-2002 du 13 septembre 2002 GANGA, née NZAMA-MBAYA Jacqueline et autre, il pose Ó «Attendu qu'accessoirement au recours en annulation, les requérants ont introduit une requête aux fins de sursis à exécution de la note de service querellée en application de l'article 411 du CPCCAF ». De même dans l'arrêt LASCONY Jean Frédéric84(*), elle pose : « Attendu que le recours en annulation et la requête aux fins de sursis à exécution ont été notifiés à la partie adverse ; que cette dernière a déposé son mémoire en réponse (...) qu'en définitive, le recours en annulation est recevable en la forme ; qu'il en est de même de la requête en surséance son accessoire ». Apparemment, la chambre administrative de la Cour Suprême s'inscrit dans la même optique que celle adoptée par le Conseil d'Etat qui affirmait dans son arrêt de 1976 (CE, ass. 13 février 1976, Assoc. De sauvegarde du quartier Notre-Dame à Versailles) : « même lorsque les conditions sont remplies, il appartient au juge administratif d'apprécier dans chacun des cas qui lui sont soumis s'il y a lieu d'ordonner le sursis à l'exécution de la décision attaquée ».
Il ne peut en être autrement car, au regard de l'article 411 du CPCCAF, la décision d'ordonner un sursis à exécution relève du pouvoir discrétionnaire que la loi attribue au juge. Il ne suffit donc pas pour le requérant d'apporter la preuve du caractère sérieux ou de la crainte d'un préjudice irréparable mais, encore faut-il que cette preuve emporte la conviction du juge.
A titre principal, le juge de l'excès de pouvoir est compétent pour annuler l'acte administratif. Il tient du législateur un pourvoir d'annulation totale ou partielle. 2-Le pouvoir d'annulation avec effet erga omnes. L'article 412 du CPCCAF qui dispose que : « Si elle estime que le recours est fondé, la Cour Suprême annule l'acte attaqué, pour la totalité ou pour partie », pose une règle suivant laquelle Ó Le juge administratif suprême tient de la loi un pouvoir d'annuler la décision réglementaire ou individuelle de toute autorité administrative. Il peut donc arrêter l'administration dans son action. Cette annulation peut être totale (l'acte cesse alors d'exister dans l'ordonnancement juridique) ou partielle (certains effets de l'acte disparaissent dans l'ordonnancement juridique). De plus, l'annulation est ordonnée erga omnes, c'est-à-dire qu'elle produit ses effets à l'égard de tous (article 414), l'acte est donc considéré comme n'ayant jamais existé.
Mais comment le juge apprécie t-il le caractère bien ou mal fondé du recours ? Autrement dit, sur quelles bases s'appuie t-il pour apprécier la légalité d'un acte administratif soumis à son examen ? Il peut exercer un contrôle classique en se fondant sur l'un des quatre cas d'ouvertures invoqués par le demandeur en annulation, dans ce cas, il procède par la vérification des moyens invoqués. Mais aujourd'hui, il est établi que le juge peut exercer un contrôle sur les motifs de l'acte attaqué, ce contrôle s'exerce sur les éléments de droit ou de faits antérieurs à l'acte, qui ont conduit l'administration à agir. En ce sens, A. De LAUBADERE écrit : « alors que les illégalités concernant les autres cas d'ouvertures du recours doivent entraîner l'annulation de l'acte attaqué de façon automatique, l'illégalité relative aux motifs n'entraine pas nécessairement un tel résultat »85(*). En effet, en cas de pluralité de motifs, le juge distingue entre motifs déterminants et motifs surabondants. Les motifs illégaux n'entrainent l'annulation que s'ils sont déterminants. Mais la recherche du motif déterminant conduit le juge à se demander si l'autorité administrative aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les motifs légitimes.
A ce titre, la chambre administrative de la Cour Suprême s'est inscrite sur la droite ligne du Conseil d'Etat qui dès 1914 avait étendu les pouvoirs du juge administratif dans l'exercice du contrôle des actes de l'administration. Dans les arrêts Gomel (CE 4 avril 1914) et Camino (CE 14 janvier 1916), le juge pose : « Le contrôle de la qualification juridique des faits porte sur la question de savoir si les faits, tels qu'ils existent, présentent les caractéristiques permettant de prendre la décision, s'ils sont de nature à justifier celle-ci »86(*).
Faisant bon emprunt de ces jurisprudences, la chambre administrative de la Cour Suprême les a appliquées dans plusieurs domaines. Ainsi, dans le domaine de la répression administrative, la chambre administrative suivant en cela le Conseil d'Etat a reconnu que les faits évoqués par l'administration à l'appui de sa décision de révocation de Monsieur NZONZA René avaient une existence matérielle. En effet, NZONZA René sous-brigadier de police était mis à la retraite d'office avec droit à pension aux motifs « qu'il a été trouvé endormi en période d'alerte générale et que n'ayant pas assuré comme il se devait son service, il s'est en outre permis d'apostropher son gradé à haute voix, allant même jusqu'à le menacer de coups». Dans cette affaire, la Cour a statué en ces termes Ó « Considérant qu'il est de règle qu'un fonctionnaire demeure responsable de ses actes et commet une faute grave de nature à justifier une sanction disciplinaire lorsque les actes ainsi accomplis sont d'une gravité certaine et que l'agent ignore les circonstances exceptionnelles de l'heure -en l'espèce l'état d'alerte générale- qui ne pouvait tolérer un relâchement dans la vigilance ; qu'il s'ensuit que ne peut être retenu le moyen tiré par le requérant de ce que la sanction de mise à la retraite d'office est fortement disproportionnée par rapport aux griefs retenus ; qu'est donc justifiée la sanction disciplinaire prise à l'encontre de NZONZA René »87(*). Mais, si le juge administratif ne cesse par sa jurisprudence de perfectionner ses techniques de contrôle de la légalité, il va sans dire que le législateur a fixé des limites aux pouvoirs reconnus au juge. * 77 BANZOUZI (P), Sujets traités au baccalauréat de philosophie, Brazzaville, 1995 à 2005 p.58 * 78 TIDJANI BA (A), Droit du contentieux administratif Burkinabé. Collection Précis de Droit Burkinabé p.3 * 79 C.E. Ass. 2 mars 1980, Christian Huglo et autres in Rec. Lebon p.231 * 80 BOUMAKANI (B), op cit p.71 * 81 BOUMAKANI (B), op.cit p.71 * 82 C.S. Adm 17 décembre 1976 * 83 CS. Adm.26 avril 1965, Koffi AMEGA in Rec. commenté de la jurisprudence administrative de la CS (R.P du Congo) 1962?1984 Imprérie Nationale Brazzaville 1986 p.13 * 84 CS. Adm. 13 juillet 2001, Lascony * 85 DE LAUBADERE (A), Traité de contentieux administratif ed. LGDJ, p. 58 * 86 C.E 14 juillet 1916, Camino G.A.J.A. op cit * 87 C.S. Adm, 22 décembre 1971, NZONZA René op cit |
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