Le juge de l'excès de pouvoir au Congo( Télécharger le fichier original )par Edson Wencelah TONI KOUMBA Ecole Nationale dà¢â‚¬â„¢Administration et de Magistrature - Diplôme de là¢â‚¬â„¢ENAM (Option Magistrature, cycle Supérieur) 2011 |
CHAPITRE II : LES JUGES DE L'EXCES DE POUVOIR PAR DEROGATION A LA LOI.Au Congo, l'interventionnisme accru de l'Etat (sans nul doute avatar de l'Etat-providence) se caractérise par une omniprésence de l'administration dans tous les secteurs de la vie sociale. Cette situation n'est pas atypique à réalité congolaise, dans le cas de la France, A. De TOCQUEVILLE remarquait déjà en son temps : « De quelque côté qu'il se tourne, l'administré rencontre presque toujours l'Administration, la puissante machine administrative avec ses importantes prérogatives. Dès lors, le risque de l'arbitraire est bien grand. Ce n'est même pas un risque, c'est une réalité, sauf que l'arbitraire administratif est plus caché et vécu de façon plus individuelle »99(*).
Puisque le Congo vise à s'arrimer aux exigences d'un Etat de droit, alors le domaine de protection des droits et libertés des citoyens a été élargi et pour cela, l'action administrative doit être encadrée par la règle de droit. C'est ainsi que, le bloc de légalité a été renforcé par un bloc de constitutionnalité. Au-delà de cet aspect, on dénote des mutations considérables du droit de l'administration sous l'effet des normes communautaires, on parle ainsi du « bloc de la légalité communautaire »100(*). Aussi, dans cette quête vers l'édification d'un Etat de droit, deux juges interviennent de façon exceptionnelle dans la protection des administrés face à l'arbitraire administratif. Il s'agit du juge constitutionnel d'une part (Section1) et du juge communautaire d'autre part (Section2). Ce sont des juges de l'excès de pouvoir par dérogation au principe posé par la loi. SECTION IÓ LA COUR CONSTITUTIONNELLE, JUGE EXCEPTIONNEL DE L'EXCES DE POUVOIR.
Depuis le retour du multipartisme au Congo (issu de la conférence nationale de 1991), la justice constitutionnelle a pris un nouveau sens avec la volonté affirmée des constituants de faire respecter les droits fondamentaux. Aussi, le juge constitutionnel s'est vu attribuer de nouvelles fonctions administratives contentieuses. Désormais, il est appelé à intervenir dans des domaines où les décisions administratives sont en cause. Cette consécration, si elle est clairement exprimée par les textes en ce qui concerne l'annulation des actes se rapportant aux élections -à titre exceptionnel- (§2), elle n'est quasiment pas affirmée pour l'annulation des actes administratifs contraires à la constitution et sur ce domaine il faut se référer au modèle gabonais et béninois (§1). Paragraphe1 : Le juge constitutionnel et l'annulation des actes non conformes à la constitution : le contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs.A l'image des grandes démocraties occidentales déjà accoutumées à la culture constitutionnelle, le juge constitutionnel dans les Etats d'Afrique noire francophone est parvenu à occuper une place centrale et à jouer un rôle d'acteur à part entière au sein des institutions de la République. Il est donc passé d'un simple « canon braqué sur le parlement »101(*) à celui d'un garant de l'Etat de droit et d'un gardien des libertés fondamentales. C'est en ce sens que les constituants gabonais et béninois de la fin des années 1990 ont attribué compétence au juge constitutionnel dans l'annulation des actes administratifs, lorsqu'ils portent directement atteinte à la constitution et qu'aucune loi ne s'interpose entre les deux (A). Au Congo cependant, bien que la constitution du 15 mars 1992 reconnaissait cette compétence au Conseil Constitutionnel dans son préambule, celle du 20 janvier 2002 a quant à elle optée pour un rôle indirecte de ce juge en instituant un recours en inconstitutionnalité (B). A)- Le contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs au Gabon et au Benin.La justice constitutionnelle au Gabon tout comme au Benin a dépassé le simple rôle de juge de la conformité de la loi à la constitution qui lui était attribuée auparavant pour se mêler désormais des droits et libertés fondamentaux.
Le professeur Francis DELPEREE a su expliquer ce nouveau phénomène de protection des droits des citoyens contre l'arbitraire administratif par le juge constitutionnel en ces termes : « C'est le contentieux de l'excès de pouvoir, bien connu des habitués du contentieux administratif, qui se trouve transposé dans le domaine constitutionnel. C'est, pour reprendre une expression connue, le procès fait à un acte : C'est cet acte qui est au coeur du débat constitutionnel. C'est lui qui risque de disparaître de l'ordre juridique si les prétentions d'inconstitutionnalité se trouvent vérifiées. Il ne s'agit pas pour le juge constitutionnel de reconnaître que le requérant est titulaire d'un droit à l'encontre de l'administration mais de décider du sort de la décision contre laquelle le recours est dirigé »102(*).
Pour mieux cerner cette transposition dans les systèmes gabonais et béninois, il conviendra d'en examiner les fondements (1) et les applications jurisprudentielles (2). 1-Les fondements de ce contentieux en Droit gabonais et béninois. Grâce aux dispositions des textes constitutionnels du 26 mars 1991 au Gabon et du 11 décembre 1990 au Benin, le juge constitutionnel devient le gardien des valeurs fondamentales proclamées par le peuple souverain dans la constitution. Il est donc révolu le temps où le contrôle de constitutionnalité des actes administratifs ne pouvait être exercé au Gabon et au Benin que par les seuls juges ordinaires (judiciaires et administratifs), le juge constitutionnel étant désormais également compétent dans la protection des droits fondamentaux contre les atteintes émanant des actes de l'administration. En cela, les constituants béninois et gabonais se sont fortement inspirés de leurs homologues allemand et autrichien. Cette dévolution de compétence résulte, pour le cas du Gabon des articles 84 et 85 de la constitution du 26 mars 1991 qui disposent : -Article 84 Ó « La Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques » ; - Article 85 : « (...) peuvent être déférés à la Cour constitutionnelle (...) par tout citoyen ou toute personne lésée par l'acte attaqué ». La constitution béninoise est allée plus loin que celle du Gabon. Aux termes de son article 3 alinéa 3, elle dispose : « toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraire à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a le droit de se pourvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présumés inconstitutionnels ». Cet article doit être combiné avec l'article 117 alinéa 3 qui précise que la Cour constitutionnelle statue obligatoirement sur « la constitutionnalité des actes réglementaires censés porter atteintes aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, sur les droits de la personne humaine » et l'alinéa 2 de l'article 121 qui prévoit : « qu' elle se prononce d'office sur la constitutionnalité de tout texte réglementaire censé porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques. Elle statue plus généralement sur les violations des droits de la personne humaine ».
Le juge constitutionnel est donc appelé à jouer un rôle de plus en plus important dans le contrôle juridictionnel de l'administration. Il est même dans certaines situations considéré comme un juge administratif spécial. 2-Les applications jurisprudentielles. Les juges constitutionnels béninois et gabonais à la suite de plusieurs recours dont-ils ont été saisi, ont fait application des dispositions constitutionnelles rapportées au paragraphe précédent et édifié une jurisprudence abondante. Au Benin, dans une décision relative à la liberté d'association, la Cour constitutionnelle a estimé que les conditions et les modalités d'exercice de cette liberté, décidées par arrêté du ministre de l'intérieur, devraient se conformer aux prescriptions de la constitution. Elle a, dès lors, déclaré contraire à la constitution cet arrêté édictant, par rapport à la loi en vigueur des restrictions supplémentaires (DCC 16-94 du 27 mai 1994, Moïse Bossou). Cette jurisprudence sera confirmée par le juge constitutionnel dans une autre décision (DCC 33-94 du 24 novembre 1994) rendue à l'issue du contrôle d'un décret interdisant à Mme ou MM. les Conseillers à la Cour l'appartenance ou l'adhésion à un parti politique, pendant la durée de leur fonctions. Dans le cas du Gabon, comme l'a si bien souligné le professeur Mengue : « Dans les domaines de droits de l'homme, la Cour constitutionnelle a rendu quelques décisions dignes d'intérêt »103(*), deux exemples particulièrement explicites suffisent pour illustrer le propos. Le 29 juin 2001, la Cour constitutionnelle a fait droit à la requête de la Confédération syndicale gabonaise (COSYGA) qui sollicitait d'elle la sanction de la violation du principe constitutionnel de la hiérarchie des normes par l'article 26 de l'arrêté du 26 avril 2001 réglementant l'institution des délégués du personnel. De même, saisie d'une requête en date du 11 septembre 2002, par laquelle le Sieur Benoît HOUSSOU et consorts demandent à la Haute juridiction de déclarer contraire à la constitution, les opérations de démolition, de déguerpissement et de remise en cause des lotissements du quartier Enango. Le juge constitutionnel rappelant les principes constitutionnels relatifs au droit de propriété et les conditions de l'expropriation pour cause d'utilité publique a annulé l'acte autorisant lesdites opérations pour inconstitutionnalité. * 99 BOKEL (A), Réflexions sur le contrôle juridictionnel de l'administration dans les pays en voie de développement d'Afrique francophone, Dakar 1996 p.2 * 100 LANDER (F), L'Etat et l'intégration communautaire, in Rev. de la diplomatie européenne p.27 * 101 OULD BOUBOUT (A.S), Le juge constitutionnel face aux enjeux de la démocratie dans les pays arabes p.4 * 102 FAVOREU (L), Les cahiers du Conseil constitutionnel, RFD novembre 1997, p.5 * 103 KEUTCHA TCHAPNGA (C), Le juge constitutionnel, juge administratif au Benin et au Gabon éd. Rév.Adm.de Droit public 2003 p.15 |
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