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La construction et la diffusion de l'identité culinaire en France et aux Etats-Unis.

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par Olivia ROTONDO
ISIT (Institut Supérieur de Management et de Communication Interculturels) - Master 2 2016
  

Disponible en mode multipage

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    N° ID 379993 ANNÉE 2015-2016

    4MI

    MÉMOIRE DE TRADUCTION APPLIQUÉ - ANALYSE INTERCULTURELLE

    LA CONSTRUCTION ET LA DIFFUSION DE

    L'IDENTITÉ CULINAIRE EN FRANCE ET

    AUX ÉTATS-UNIS

    TABLE DES MATIERES

    Préface

    Introduction Pages 1-2

    I/ Un rapport particulier à l'alimentation, les assiettes des Français et des Américains d'hier et d'aujourd'hui

    i) Semence et enracinement des comportements alimentaire en France

    et aux États-Unis Pages 3-6

    ii) Spécificités et divergences des habitudes alimentaires : la culture

    donne le ton Pages 6-12

    II/ La recette des marques pour se plier aux exigences culturelles - la culture comme réaffirmation de soi face à l'homogénéisation culinaire

    i) Communication : vecteur des valeurs culturelles dans la stratégie commerciale des marques françaises et

    américaines Pages 13-19

    ii) La mondialisation, porteuse d'une potentielle uniformisation des

    pratiques alimentaires - résistances et limites Pages 19-22

    Conclusion Pages 23-24

    Bibliographie Pages 25-27

    Préface

    Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement mes professeurs Mme Gyapay, et Mr Clouet pour leur soutien et leur aide qui m'ont été précieux, ainsi que pour leurs conseils dans l'orientation de ma problématique et par conséquent de l'élaboration de ce mémoire.

    Je voudrais également remercier les professeurs encadrants à l'ISIT et notamment Mme Lorrain, Mr Dalonneau et Mme de Graeve qui m'ont conféré des savoir-faire interculturels indispensables à la rédaction de ce mémoire tout au long de cette quatrième année.

    Je tenais à remercier les nombreux professionnels de l'interculturel et de l'agroalimentaire m'ayant apporté leur soutien lors de la rédaction de mon mémoire : David Gould, Xavier Larroque, Gilles Asselin, Julien Luong, Ruth Mastron, Ned Groth, Pete Bassett, et tout particulièrement Michel Sauquet ; tous ont accepté de m'accorder un peu de leur temps pour enrichir mon travail.

    Enfin, je tiens à remercier mes proches, et notamment ma mère, qui m'ont prodigué des conseils avisés et qui m'ont soutenu vivement tout au long de mes études et particulièrement pendant la rédaction de ce mémoire.

    REMARQUE SUR LA FORME

    Ce travail vient compléter ma réflexion suite à mon mémoire de traduction du premier semestre portant sur le secteur de l'agriculture biologique. Par souci de cohérence, j'ai choisi de rester dans la même lignée en abordant le sujet de l'alimentation de façon à me donner des bases solides pour la construction et l'affinage de mon projet professionnel. Tout au long de ce mémoire, je me suis efforcée dans mon approche analytique de traiter les questions abordées en portant un regard critique sur les aprioris et les idées préconçues, à l'exception bien entendu de la partie historique qui, par définition, ne se prête pas à une analyse personnelle.

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    Introduction

    Si nous recherchons la définition du mot « alimentation », nous pourrions nous arrêter sur celle proposée par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales qui le définit comme : « l'action de fournir à un être-vivant ou de se procurer soi-même les éléments nécessaires à la croissance, à la conservation. ». Ou bien se fier au dictionnaire Larousse qui le présente comme : « l'action d'alimenter, de s'alimenter, la manière de s'alimenter ». Constatons donc que ces définitions ont une connotation plutôt biologique et qu'elles occultent toute référence culturelle ou sociale du sens caché du mot « alimentation ». De façon générale, l'acte de manger ne se résume pas à une simple satisfaction d'un besoin biologique ; c'est la rencontre de nos émotions, de notre culture et des règles de notre société. Selon les pays, les cultures et même les religions, l'alimentation varie en fonction de l'histoire culinaire ainsi que de la signification intrinsèque qui l'accompagne et évolue avec le temps. Avant tout, l'alimentation est un facteur de distinction sociale et d'identité nationale.

    Lors de mes voyages et de mes rencontres, j'ai toujours cherché à connaître l'opinion de personnes d'autres nationalités au sujet de la gastronomie. J'ai pu remarquer que les Français véhiculent une image très positive de la gastronomie, qu'ils sont considérés de bons cuisiniers qui utilisent des produits sains et nobles et qu'ils accordent une grande importance à leur santé physique, ce qui pourrait expliquer le faible taux d'obésité en France. Quant aux États-Unis, l'image de l'Américain en surpoids, déambulant dans la rue un verre de soda démesuré dans une main et un hamburger dans l'autre, est souvent évoquée.

    Mais qu'en-est-il vraiment ? Ces représentations ne seraient-elles que de simples stéréotypes, des images ou des caractéristiques simplifiées de toute une population ? D'après le psychologue J.P Leyens, ce sont des « croyances partagées concernant les caractéristiques personnelles d'un groupe de personnes ». Ou encore une « sur-simplification de l'image mentale de certaines catégories de personnes, institutions ou évènements, partagée par un grand nombre de personnes » selon The Fontana Dictionary of Modern Thought. Étymologiquement, le terme de stéréotype provient du monde de l'imprimerie : c'est la juxtaposition des termes grecs « steros » qui signifie « solide » et « tupos » qui signifie « empreinte ». Le stéréotype correspond donc à une plaque métallique d'imprimerie, inchangeable une fois moulée.

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    Bien que les stéréotypes cités ne soient que des caractéristiques schématiques d'un groupe, ils présentent tout de même un angle d'étude intéressant dans le domaine de l'interculturel. Toutefois, il convient de se poser une simple question, à savoir comment la France et les États-Unis se sont vu attribuer de tels stéréotypes et si ceux-ci reflètent la réalité. Une analyse plus poussée s'impose pour déterminer leurs comportements alimentaires respectifs, car se limiter à de tels aprioris ne pourrait faire l'objet d'une étude interculturelle sérieuse.

    Pour une étudiante à la fois de culture française et anglo-saxonne, étudier en profondeur le rapport à l'alimentation de ces deux populations, qui font partie intégrante de moi-même, me semblait une démarche tout à fait intéressante. Certes, ces deux pays partagent des valeurs communes, telles que les droits de l'homme ou la liberté d'expression, mais ils sont aux antipodes lorsqu'il s'agit de leurs habitudes alimentaires. Étant donné que mon mémoire de traduction porte sur le secteur de l'agriculture biologique et ses enjeux interculturels, j'ai souhaité rester dans la même veine et explorer le rapport à l'alimentation des Français et des Américains, ceci étant en lien direct avec l'une de mes passions, la gastronomie. De plus, ce sujet de mémoire s'inscrit parfaitement dans le Master Management Interculturel, ainsi que dans mon projet professionnel qui s'oriente vers le secteur de l'agroalimentaire.

    Ainsi, mes interrogations sont multiples : sommes-nous le simple produit de notre passé et de notre culture, ou, au contraire, sommes-nous influencés par les cultures du monde, à tel point que nous oublions nos propres racines ? Notre identité culinaire peut-elle être ébranlée au nom de la mondialisation et de l'homogénéisation alimentaire, ou saura-t-elle se pérenniser ? Les nouvelles tendances alimentaires seront-elles les ingrédients de notre avenir ? Nous tâcherons de répondre à ces problématiques en s'intéressant tout d'abord à l'origine des patrimoines culinaires et aux spécificités et divergences des comportements alimentaires des populations françaises et américaines. Ensuite, nous analyserons quelques publicités alimentaires et le rôle déterminant joué par la communication dans la transmission des valeurs culturelles intrinsèques à chaque pays, tout en portant un regard critique sur la menace d'une potentielle uniformisation de la culture culinaire et en considérant ses limites et la résistance qui en découle.

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    I/ Un rapport particulier à l'alimentation, les assiettes des Français et des Américains d'hier et d'aujourd'hui

    i) Semence et enracinement des comportements alimentaires en France

    et aux États-Unis

    Tenter de comprendre les comportements alimentaires actuels dans les deux pays à l'étude nécessite, dans un premier temps, un retour en arrière. En effet, toute nation possède son patrimoine et ses traditions culinaires propres, qui forment l'une des pierres angulaires de son édifice culturel. Comment se sont construites les identités culinaires de ces deux pays ? De quelles manières le passé culinaire est-il révélateur de nos comportements alimentaires actuels ?

    En France, la gastronomie, fruit d'un héritage séculaire, est unique de par la synergie entre son passé, la richesse de son terroir et le talent des hommes qui l'ont façonnée et qui continuent à la diffuser avec fierté aujourd'hui. C'est aux Gaulois, un peuple considéré comme pionnier de la gastronomie française, que nous devons notre patrimoine gastronomique, car ils ont su développer le culte du « bien manger » et du « bien boire » qui s'est vivement développé et enrichi au fil des siècles. « En Gaule, la bonne chère est inséparable de la vie politique et sociale. », nous dit le professeur et géographe Jean-Robert Pitte1 dans son ouvrage Gastronomie française : histoire et géographie d'une passion. L'époque du Moyen-Âge reste également très représentative de la genèse de la gastronomie française, lors de laquelle d'innombrables banquets et festins étaient organisés, l'occasion pour la noblesse de réaffirmer son rang et son prestige en proposant de nombreux mets riches et variés.

    Mais c'est sous le règne du Roi Soleil que la cuisine française a atteint son apogée pour acquérir une symbolique particulière. Le repas s'est transformé en une véritable représentation théâtrale, pendant lequel le service était particulièrement travaillé et les mets reflétaient très justement la hiérarchie sociale du XVIIème siècle. D'ailleurs, nous tirons le traditionnel « entrée, plat, fromage et dessert » de cette époque. Un grand nom du temps de Louis XIV, François Vatel, instaure la « nouvelle cuisine française » et sera, par la suite, considéré comme le précurseur de la gastronomie française ; une grande école d'hôtellerie parisienne est d'ailleurs aujourd'hui honorée en son nom. À partir du XVIIIème siècle, le dîner bourgeois s'impose dans les assiettes des

    1 PITTE Jean-Robert. Gastronomie française : histoire et géographie d'une passion

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    plus fortunés ; c'est également à cette époque que naît l'engouement pour les restaurants et que se développe le travail des alchimistes-cuisiniers ainsi que la littérature culinaire qui participe à la transmission d'un savoir-faire gastronomique à un public plus large. Notons que le rayonnement culinaire français est allé de pair avec la diffusion des valeurs culturelles, linguistiques et politiques du pays, lui permettant ainsi d'étendre davantage son influence gastronomique. Puis, c'est au tour des grands chefs Escoffier, Bocuse, Chapel et Ducasse de s'approprier et de retranscrire, chacun à sa façon, notre cuisine à travers le monde et de conférer à notre gastronomie une dimension intemporelle.

    La diffusion de la pensée française a donc joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de son art culinaire et a sans doute contribué au développement et à la renommée de sa cuisine aujourd'hui. Ainsi, la notion de cuisine identitaire est essentielle dans la constitution de l'identité française et forme partie intégrante de la représentation de sa civilisation. Cependant, si aujourd'hui le modèle alimentaire traditionnel français continue à réguler nos repas, notamment lors de fêtes ou d'évènements marquants, depuis les années 1970, nous assistons à des changements importants dans nos habitudes de prises de repas, sans pour autant que les fondations soient ébranlées.

    Quant au passé culinaire américain il a, lui aussi, connu des bouleversements majeurs qui ont déterminé les habitudes alimentaires de sa population. La compilation de manuscrits rares rassemblés dans un ouvrage intitulé Not by Bread Alone - America's Culinary Heritage2 est particulièrement enrichissant sur ce point puisqu'il retrace l'impact de la colonisation sur les habitudes alimentaires du continent depuis 400 ans. Qu'il s'agisse des méthodes agricoles des Amérindiens, des vagues successives d'esclaves et d'immigrés à partir du XVIIème siècle, ou encore de la révolution agricole et industrielle du XIXème siècle, tous ont contribué au façonnage d'un héritage culinaire complexe aux États-Unis.

    À l'arrivée des premiers colons européens au XVIIème siècle, majoritairement d'origine britannique, le peuple autochtone, les Amérindiens, possédaient déjà leurs propres traditions culinaires et un savoir-faire agricole, notamment la culture de maïs, qui est devenue aujourd'hui une industrie clé du pays. Cependant, colonisation rime souvent avec monopole et importation : les colons ont donc apporté avec eux leurs

    2 Site de la bibliothèque Carl A. Kroch de l'Université de Cornell. Not By Bread Alone: America's Culinary Heritage

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    traditions gastronomiques et se sont efforcés de les implanter sur leur nouveau territoire. En fonction de la nationalité des colons et les produits qu'ils y ont trouvés, des spécialités se sont développées dans les différents États indépendamment les unes des autres. La diffusion d'une culture alimentaire à l'image du pays dans sa globalité a donc été difficile, étant donné non seulement l'ampleur du territoire américain, mais aussi l'absence de régime monarchique qui, traditionnellement, exigeait une certaine richesse culinaire, comme c'était le cas en France par exemple. D'autre part, l'influence des puritains au XVIIème siècle n'ont pas encouragé le développement positif des arts, et encore moins l'art de la cuisine. Benjamin Franklin, élevé dans cet univers, est d'ailleurs connu pour avoir repris le dicton « Eat to live, not live to eat » (« Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger »).

    L'art culinaire américain tel qu'on le connaît aujourd'hui ne s'est développé qu'à partir du XVIIIème siècle, lorsque le Nouveau Monde a commencé à étendre ses propres traditions culinaires et politiques, influencées de près ou de loin par la gastronomie française, synonyme d'élégance et de finesse. Puis, l'arrivée massive d'immigrés du monde entier a, à son tour, renforcé la diversité culinaire américaine : irlandais, chinois, mexicains, allemands ou italiens, tous ont apporté leur culture gastronomique, leurs produits typiques, transformant ainsi le pays en un véritable salad bowl culinaire.

    À partir des années 1950, de nouveaux modes de consommation ont vu le jour sur le continent, menant à la fois à une abondance de nourriture et à une surconsommation et incitant la population à manger des quantités bien plus élevées que la moyenne préconisée, ce qui expliquerait en partie le taux d'obésité élevé enregistré dans le pays aujourd'hui. Ce sujet préoccupant est abordé dans un ouvrage du psychologue et culinologue Christian Boudan3, dans lequel il s'intéresse à la source des problèmes d'obésité touchant les États-Unis.

    Ainsi, il va sans dire que l'histoire culinaire complexe américaine, entre colonisation, puritanisme, esclavage et immigrations, explique la relation singulière qu'entretient la population à son alimentation aujourd'hui. La cuisine américaine d'aujourd'hui se caractérise principalement comme étant l'assemblage de toutes les cuisines du monde, ce qui la rend difficilement définissable. Néanmoins, selon Frédérique Martel, auteur de l'ouvrage De la culture en Amérique4, certaines recettes traditionnelles des Amérindiens, protégées par un patrimoine culturel, persistent aujourd'hui. Il est

    3 BOUDAN Christian. Géopolitique du goût. La guerre culinaire

    4 MARTEL Frédéric. De la culture en Amérique

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    intéressant de noter que, à l'inverse de la France, qui jouit d'une histoire culinaire bien établie à travers les siècles, les États-Unis ne possèdent pas de culture culinaire fixe, et ont, de ce fait, adopté des traditions culinaires d'ailleurs pour en faire les leurs. En témoigne le symbole le plus représentatif de sa cuisine, le hamburger, qui puise son origine dans la communauté des immigrés allemands.

    Dans quelle mesure ces deux riches passés culinaires sont-ils à l'origine de nos comportements alimentaires contemporains ?

    ii) Spécificités et divergences des habitudes alimentaires - la culture

    donne le ton

    Manger français rime avec convivialité, plaisir et qualité

    « Le repas gastronomique des Français est une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes, tels que naissances, mariages, anniversaires, succès et retrouvailles. Il s'agit d'un repas festif dont les convives pratiquent, pour cette occasion, l'art du « bien manger » et du « bien boire ». Le repas gastronomique met l'accent sur le fait d'être bien ensemble, le plaisir du goût, l'harmonie entre l'être humain et les productions de la nature [...]5. » Tel l'affirme l'UNESCO le 16 novembre 2010, lorsque l'organisme inscrit la gastronomie française sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

    Dans un dossier de presse6, le sociologue français Claude Fischler, spécialiste de l'alimentation humaine, aborde, lui aussi, la question de la singularité de la cuisine française : « Nul part la notion d'exception culturelle n'aurait autant d'arguments à faire valoir que dans le domaine de l'alimentation », affirme-t-il. Ainsi, en France, il existe depuis des siècles une vision traditionnelle, culturelle et sociale de l'alimentation. Le repas gastronomique est perçu comme une pratique sociale et met particulièrement l'accent sur le moment de partage et le plaisir du goût. Au-delà d'un simple moment de plaisir, la gastronomie est devenue une véritable institution et incarne l'un des symboles les plus représentatifs de la France, reconnu mondialement.

    Le modèle alimentaire typique des Français se caractérise principalement par une rythmicité importante des repas, ainsi qu'une synchronisation stable des prises alimentaires journalières. Dans son cahier de recherche, le Centre de Recherche pour

    5 Site de l'UNESCO. Le repas gastronomique des Français

    6 Dossier de presse du colloque du Fonds Français Alimentation & Santé. Le modèle alimentaire français : adaptation ou disparition ?

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    l'Étude et l'Observation des Conditions de Vie (CREDOC)7 met d'ailleurs en exergue ces mêmes caractéristiques : « Cette synchronisation est le fruit de l'association entre la nourriture et la convivialité : le fait de manger à plusieurs nécessite que l'on s'accorde sur le moment, le lieu, ainsi que sur un minimum de convenance favorisant la sociabilité. La souveraineté du modèle alimentaire français se traduit par cette synchronisation et le maintien de la convivialité aux repas.». Le document de travail du Ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche rédigé par Céline Laisney viendrait appuyer ce point de vue. En effet, lorsque l'on suggère le moment du repas, une grande majorité des Français évoquent instinctivement deux notions principales : celle de plaisir et de convivialité. D'ailleurs, pour 67% des familles françaises, se retrouver ensemble autour d'un repas est « l'élément le plus important lors du dîner à domicile ». Ceci explique en partie le temps passé à table particulièrement élevé en France, qui s'élève à 135 minutes par jour en moyenne (INSEE).

    Pour tenter de comprendre ce « style alimentaire » (Fischler), nous pouvons nous référer à Fons Trompenaars8, consultant spécialiste des questions interculturelles, qui, dans une interview, nous explique que les Français ne sont pas individualistes comme le voudrait leur réputation, mais sont très axés sur le groupe et la communauté. Un autre expert dans le domaine, Gilles Asselin, auteur du livre Au Contraire !9 a accepté d'échanger avec moi sur le sujet. Il m'a expliqué qu'en France, notre tradition philosophique s'exprime par l'appartenance à un corps social, duquel nous ne souhaitons pas nous détacher, et que cette pensée commune se traduirait implicitement dans nos comportements alimentaires. Notons que le catholicisme latin, régulé par l'expérience collective et un certain degré d'hétéronomie, a largement influencé la conduite alimentaire française. Ainsi, la population entretient une relation très singulière avec la nourriture, notamment en termes d'affiliation et d'appartenance à un groupe. S'alimenter est majoritairement perçu comme un moyen de bâtir des relations solides et comme une action collective.

    D'autre part, la qualité et les valeurs nutritionnelles des aliments relèvent d'une grande importance pour les Français. Notons que Claude Fischler a mis en avant que : « Dans l'esprit des Français, « bien manger » c'est manger varié et équilibré, des produits frais, en restant raisonnable sur le gras, le sucre et le sel. La santé découle naturellement de la qualité des aliments et d'une certaine modération. » Ainsi, pour qu'un produit soit

    7 Cahier de recherche du CREDOC, Comparaisons des modèles alimentaires français et étasuniens

    8 Interview de Fons Trompenaars : The French in a nutshell. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=qs-VyZgdDGk

    9 ASSELIN Gilles, MASTRON Ruth. Au contraire ! Figuring out the French

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    considéré « de qualité », il doit posséder à la fois des caractéristiques gustatives et nutritionnelles, mais le consommer en trop grande quantité pourrait, à terme, entraîner des problèmes de santé. En outre, des historiens spécialisés dans la gastronomie tels que Jean-Louis Flandrin, Peter Stearns, ou Stephen Mennell, observent unanimement un contraste marqué entre les modes de consommation française et anglo-saxonne, surtout l'attrait moindre des Français pour le sucré et les aliments gras. Ainsi, pour les Français, la corrélation entre valeur santé et valeur nutritionnelle est un facteur clé de leur alimentation. Cependant, nous pouvons déceler un paradoxe : les Français et les Américains ont sensiblement le même apport calorique journalier (CREDOC), ce qui pourrait remettre en cause nos idées préconçues.

    Les enjeux sanitaires et agricoles sont eux aussi au coeur des préoccupations des Français. Ainsi, 71% d'entre eux sont conscients que les OGM présentent un risque conséquent pour leur santé et 62% se soucient de la composition des produits qu'ils achètent, selon l'étude du CREDOC. Cette préoccupation a d'ailleurs été nourrie par les nombreux scandales alimentaires, telles que la crise de la vache folle, qui ont secoué l'industrie agroalimentaire et qui ont créé un véritable climat de méfiance envers l'agriculture intensive (comme la ferme des 1 000 vaches dans le Nord). Dans son ouvrage Pourquoi cette peur au ventre ?b0, Patrick Denoux, professeur de psychologie interculturelle spécialiste en alimentation, s'interroge sur la défiance des Français vis-à-vis des peurs alimentaires. « La défiance est désormais la règle ; la confiance, l'exception », écrit-t-il. Il convient que rappeler que les Français sont devenus les « champions du monde de la défiance » (enquête Ipsos 2015). Pour apaiser ce climat de méfiance, la marque Fleury Michon a lancé en 2014 la campagne « Venez vérifier » permettant au consommateur de suivre le processus de fabrication de son surimi dans son usine en Vendée, un produit trop souvent perçu d'un mauvais oeil, dans le but de réinstaurer une relation de confiance avec son public.

    De fervents défenseurs des causes agricoles, les Français entretiennent depuis toujours un rapport privilégié avec leur terroir et leur agriculture, qui se traduit par une nette préférence à consommer des produits locaux Made in France, plus rassurants, qui contribueraient à pérenniser l'économie locale. L'omniprésence du patriotisme économique dans la société française prend tout son sens aujourd'hui. En effet, l'engouement pour les produits 100% français bat son plein et s'inscrit dans une démarche de soutien des conditions sociales et économiques. Le locavorisme, l'action

    10 DENOUX Patrick. Pourquoi cette peur au ventre ?

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    de consommer des produits locaux, permet ainsi aux Français de renouer avec leur patrimoine agricole et de contrôler la qualité et la provenance de leur nourriture.

    Cet attachement repose sur des raisons historiques et culturelles. Pour les Français, l'agriculture fait partie intégrante de leur identité nationale dont les racines sont rurales et paysannes. Dans un contexte d'insécurité culturelle, provoquée par une mondialisation qui prend de plus en plus d'ampleur, certains affichent un soutien sentimental pour le métier d'agriculteur, perçu comme oeuvrant pour le bien commun.

    Pour résumer les principales caractéristiques du modèle alimentaire français, le traditionnel « trois repas par jour » pris à des heures fixes et communes à tous en serait l'élément le plus représentatif, ce qui répond au besoin de convivialité imposé par la culture groupale au sein de la société. Pourrait s'y ajouter un temps de préparation et une durée des repas relativement longs, des repas bien structurés et dégustés dans un ordre précis ainsi qu'une importance toute particulière accordée à la qualité des aliments et à la cause agricole.

    Et si la gastronomie française était en voie de disparition ? Nous pouvons constater une pléthore de restaurants type fast-food (Chipotle, Planet Sushi, Domino's...), des rayons entiers consacrés aux plats préparés dans les supermarchés et un taux d'obésité en hausse dû à un écart de plus en plus prononcé entre les classes sociales. En effet, à la lecture du livre de Michael Steinberger, critique gastronomique américain, intitulé Au Revoir to All That : the Rise and Fall of French Cuisine11, j'ai pu m'interroger sur un potentiel repli identitaire de la cuisine française face à la mondialisation et sur le déclin de l'empire gastronomique français au profit de nouvelles tendances alimentaires. D'autre part, certains spécialistes s'inquiètent d'un éventuel appauvrissement du modèle alimentaire français, notamment vis-à-vis des jeunes, de plus en plus envahis par la propagation de produits alimentaires venus d'ailleurs. L'avenir nous dira si la gastronomie française saura faire face à ces menaces.

    Pragmatisme, individualisme, capitalisme... et si les comportements américains venaient à changer ?

    De l'autre côté de l'Atlantique, aux États-Unis, le rapport à l'alimentation est diamétralement opposé à celui des Français. En effet, les Américains possèdent une vision centrée principalement sur l'aspect nutritionnel et scientifique de l'alimentation.

    11 STEINBERGER Michael, Au Revoir to All That : the Rise and Fall of French Cuisine

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    C'est ce que nous explique Claude Fischler12 : « Pour eux, bien manger implique de comptabiliser les apports en protéines, glucides, lipides et calories. Ils font du repas une affaire individuelle et ne parlent pas du tout de plaisir. Manger est presque dangereux, ils n'y consacrent que 74 minutes par jour », affirme-t-il. D'ailleurs, d'après Carolina Werle et Olivier Trendel13, professeurs à l'Université de Grenoble, pour les Américains les aliments « savoureux » ou « ayant du goût » seraient davantage associés à de la nourriture « mauvaise pour la santé ». Notons donc que la population américaine perçoit la nourriture comme une tentation, quelque chose de « généreux » mais pas forcément bénéfique nutritionnellement.

    À l'inverse de la France où il est coutume de partager le repas autour d'une table, y compris à la demi-journée, les Américains ont souvent tendance à déjeuner rapidement « sur le pouce » et respectent beaucoup moins la synchronisation bien établie des repas. Ils ne seraient guère en quête de convivialité ou de partage, mais chercheraient davantage des produits pratiques et fonctionnels qui réduiraient la durée de leurs repas. La création du concept de livraison à domicile « Amazon Fresh » témoigne de cette recherche de pragmatisme alimentaire. Grâce à une étude menée par l'IFIC14, nous apprenons que la majorité des Américains consacrent en moyenne trente minutes par jour à la préparation des repas et que 20% y passent seulement quinze minutes. D'ailleurs, lorsqu'ils achètent des plats préparés, plus de la moitié d'entre eux avouent y chercher avant tout la facilité de préparation, suivis de la durée de conservation et du prix, qui doit rester accessible. De cette façon, nous comprenons que dans le pays de l'Oncle Sam, l'alimentation est surtout perçue comme une nécessité, ce qui l'éloigne des concepts de partage et de convivialité, facteurs les plus représentatifs du « bien manger ». D'autre part, l'entreprise américaine Nieslen dans son rapport Health & Wellness in America15 précise que de plus en plus d'Américains ont tendance à réduire la prise de repas équilibrés et à heure fixe et à combler cette insuffisance en grignotant entre les repas, une coutume qui s'est largement répandue à travers le pays. L'approche américaine serait donc plus individualiste. Elle donne lieu à des comportements autonomes, permettant à l'individu de se libérer de toute discipline. Autrement dit, l'Américain aura davantage tendance à grignoter, à manger ce qu'il veut, quand il veut.

    12 FISCHLER Claude, MASSON Estelle. Manger : Français, Européens et Américains face à l'alimentation

    13 WERLE Carolina, TRENDEL Olivier. Unhealthy Food is Not Tastier for Everybody: The Healthy=Tasty French Intuition

    14 Etude de l'International Food Information Council. Food & Health Survey: Consumer Attitudes towards food safety, Nutrition and Health

    15 Rapport de l'entreprise Nielsen. Health & Wellness in America: The Consumer Perspective 2014

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    Certaines recherches16 menées par l'anthropologue américain Edward Hall semblent corroborer ces observations. Il met en évidence la distinction entre le rapport au temps de différentes cultures : d'une part les cultures polychroniques, qui rassemblent la France et le sud de l'Europe et d'autre part les cultures monochroniques, qui regroupent les pays anglo-saxons et les pays d'Europe du Nord. Au sein des cultures polychroniques, le temps paraît illimité et élastique et il est rarement perçu comme « perdu ». En revanche, les cultures monochroniques riment souvent avec « culture de la rapidité », puisque le temps y est calculé minutieusement et planifié à l'avance. Pour venir appuyer ces propos, nous pouvons nous référer à un rapport17 du professeur américain Gary R Weaver. Il explique comment cette perception du temps est le reflet de l'individualisme prédominant au sein de la société américaine aujourd'hui, qui trouve ses racines dans le calvinisme qui prônait au XVIème siècle « l'égalité de chaque individu devant Dieu ». Cette « culture de l'individu », diffusée par la suite par le courant de pensée des puritains qui défendaient l'esprit d'indépendance, s'oppose donc instinctivement à la culture groupale qui règne en France. Selon la pensée américaine, le groupe est globalement porteur de contraintes. Jean-Paul Sartre a d'ailleurs analysé ce comportement dans un article paru dans Le Figaro en février 1945 : « Ainsi l'individualisme en Amérique, dans la lutte pour la vie, est surtout l'aspiration passionnée de chacun vers l'état d'individu. » En outre, l'étude de Hofstede menée auprès des employés de l'entreprise IBM dans son ouvrage Vivre dans un monde multiculturel révèle que les États-Unis possèdent l'indice d'individualisme le plus élevé au monde, de l'ordre de 91. Nous pouvons donc en conclure que l'individualisme américain et le modèle alimentaire de son peuple sont étroitement liés.

    D'autre part, contrairement à l'Hexagone où la population est bien informée des risques alimentaires et sanitaires et tend à respecter les apports journaliers recommandés, la plupart des consommateurs américains ne prêtent que très peu d'attention aux quantités qu'ils consomment quotidiennement. Toutefois, selon David Gould, représentant nord-américain de l'International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM) qui a accepté de répondre à un questionnaire que je lui ai adressé, il existe une préoccupation naissante d'adopter un régime plus sain et équilibré, notamment grâce à la sensibilisation aux effets néfastes de l'obésité. Les Américains commencent à se tourner vers une nourriture plus simple, surtout dans les grandes villes. À titre d'exemple, l'urban farming, ces fermes et jardins urbains sur les toits de New York ou de Detroit, attesteraient d'un profond changement de mentalités. D'après

    16 HALL Edward. Le langage silencieux

    17 WEAVER Gary. American Cultural Values

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    l'étude menée par l'IFIC mentionnée plus haut, une très grande majorité d'Américains se préoccupent de près ou de loin de leur activité physique et 67% affirment avoir réduit leur consommation de produits gras et sucrés. L'étude témoignerait donc de cette nouvelle volonté des habitants de s'éloigner de l'image négative que véhicule leur pays.

    Dans ce pays où le capitalisme est roi, nous découvrons, d'après cette même étude de l'IFIC, que 61% des Américains investiraient ou garderaient un surplus d'argent plutôt que de le dépenser dans la nourriture. Il est intéressant de souligner ici que les États-Unis se positionne comme le pays où la population consacre le moins d'argent aux dépenses alimentaires, deux fois moins que les ménages français, selon Dorothy Gambrell, dessinatrice de presse pour le magasine Business Week. Le rapport décomplexé et singulier à l'argent des Américains expliquerait en partie cette attitude, puisque l'argent constitue un pilier majeur du mode de vie aux États-Unis et représente l'aboutissement de la réussite, le succès financier n'ayant aucune connotation négative. Ainsi, le fameux dicton « Time is money » de Benjamin Franklin garde tout son sens aujourd'hui.

    Faiblement préoccupé par les questions sanitaires et nutritionnelles, toujours en quête de rapidité et de facilité et peu enclin à la convivialité, motivé par l'individualisme, le consommateur américain se distingue radicalement de son homologue français. Se dessine tout de même un début de prise de conscience des méfaits d'une mauvaise alimentation. Aujourd'hui, étant donné que les grandes chaînes sont souvent jugées responsables du problème de l'obésité aux États-Unis, de plus en plus de fast-foods se voient obligés de proposer des choix plus équilibrés pour répondre à une tendance naissante de manger plus sainement. Les consommateurs sont invités à se tourner vers des produits meilleurs pour la santé, tels que les produits sans OGM ou biologiques : en témoigne le développement fulgurant de la chaîne de magasins biologiques Whole Foods Market. Malgré la campagne de sensibilisation contre l'obésité infantile menée par la Première Dame des États-Unis Michelle Obama « Let's move », la route est encore longue pour les 90 millions d'obèses dans le pays.

    Nous allons maintenant étudier la différence entre la stratégie de communication française et américaine de quelques grandes marques alimentaires afin d'identifier la présence de valeurs culturelles au sein des messages publicitaires et d'analyser leur influence sur le public ciblé. Nous verrons enfin dans quelle mesure l'alimentation est sujette à une potentielle uniformisation sous l'influence grandissante de la mondialisation et nous tâcherons de démontrer le mouvement de résistance qui en découle.

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    II/ La recette des marques pour se plier aux exigences culturelles - la culture comme réaffirmation de soi face à l'homogénéisation culinaire

    i) Communication : vecteur des valeurs culturelles dans la stratégie commerciale des marques françaises et américaines

    De façon général, la publicité, comme l'ont défini Ladmiral et Lipiansky, est « un arrière-plan de représentations, de valeurs, de codes, de styles de vie, de modes de penser propres à chaque culture18 ». Le langage publicitaire peut être qualifié de « langage subalterne » selon le linguiste De Mauro, c'est-à-dire « soumis au triple lien avec l'expression visuelle, les usages linguistiques déjà consolidés et les phénomènes structuraux de la société ». Il s'agit d'une forme de communication de masse dont l'objectif consiste à atteindre un public cible afin de l'inciter à adopter un comportement souhaité. Autrefois, l'utilisation de spécificités culturelles dans la publicité se résumait souvent à la représentation de stéréotypes très facilement identifiables pour les consommateurs, tels que le majordome anglais dans la publicité pour le chocolat After Eight. Aujourd'hui, la diversité culturelle est omniprésente dans toutes les strates de notre société, et tout particulièrement dans le domaine culinaire. Les publicitaires doivent tenir compte de cette évolution sociétale et veiller à intégrer dans leurs campagnes les représentations culturelles des uns et des autres. Bien souvent, la publicité constitue l'élément décisif à l'achat car nous évaluons la qualité d'un produit d'après l'image qui nous en est faite. Pour qu'elle soit efficace, le message publicitaire doit être adapté en fonction des codes, des moeurs et des valeurs culturelles spécifiques de la société ciblée.

    D'après ces éléments, nous allons maintenant analyser plusieurs publicités télévisées pour des produits alimentaires destinées aux consommateurs français et américains. Lors de mes recherches sur diverses marques grand public, j'ai observé des différences flagrantes entre les stratégies de vente des deux pays. Nous verrons que, plutôt que de baser leurs messages sur les caractéristiques des habitudes alimentaires étudiées dans la première partie de ce rapport, les publicitaires font appel à des stéréotypes et des valeurs culturelles pour transmettre leurs messages.

    18 LADMIRAL Jean-René, LIPIANSKY Edmond Marc. La communication interculturelle

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    Débutons cette analyse par l'étude d'une publicité de la marque Kellogg's Corn Flakes19 diffusée aux États-Unis en 2010. Elle met en scène deux jeunes qui, à l'aube, arrivent en catimini pour dresser une table de banquet pour le petit-déjeuner au beau milieu de la route. Notons l'utilisation de nappes à carreaux rouges qui renvoie à l'authenticité et à la tradition. Au fur et à mesure que les réveils sonnent, les résidents des maisons avoisinantes, issus de familles traditionnelles ou plus modernes, accourent pour déguster les céréales Corn Flakes, sous les rayons de soleil du matin. Afin de promouvoir son produit phare, Kellogg's suggère que toutes les catégories de la population, jeune comme âgée, homme d'affaires ou jeune maman, peuvent prendre plaisir à manger ce petit-déjeuner et que la marque Kellogg's est en mesure de leur procurer ce moment de joie. En représentant des personnes d'ethnies, d'âges et de classes sociales différents, le sourire aux lèvres, la publicité prône l'égalité, l'importance de la famille et la diversité du peuple américain. En effet, aucune discrimination n'est faite autour de la table, tous sont invités à partager ce moment ensemble, peu importe leur origine ou la couleur de leur peau, plaçant l'interculturalité au coeur de la publicité. De cette façon, Kellogg's met en avant les avantages à consommer son produit, le tout véhiculé par une musique de fond douce, accompagnée d'un visuel apaisant. La marque mise donc sur des valeurs culturelles bien identifiables par la société américaine pour sensibiliser son public.

    Passons maintenant au géant Coca-Cola et à sa publicité20 phare (notamment diffusée lors du Super Bowl) où la splendeur des États-Unis est véritablement mise à l'honneur. Historiquement, le leader du marché des sodas a utilisé comme message le rassemblement des peuples autour de sa boisson, comme en atteste la publicité de 1971 « We'd like to teach the world to sing ». À l'époque, la multinationale avait choisi de mettre en scène un groupe de personnes d'ethnies différentes réunies en « parfaite harmonie », mais quarante-cinq ans plus tard, la marque se doit d'évoluer avec son temps. En l'espace d'une minute, Coca-Cola a réussi son pari en évoquant tous les symboles et les valeurs fortes qui représentent le pays aujourd'hui. Des stéréotypes tels que le cowboy dans le Far West ou le sportif, en passant par le trader newyorkais figurent en même temps que des produits alimentaires faisant la réputation du pays, comme le pop-corn, le chewing-gum, les pancakes ou encore le

    19 Kellogg's: Big Breakfast : https://www.youtube.com/watch?v=MtC7ZLjp89w

    20 America the Beautiful : https://www.youtube.com/watch?v=vUGDQo2Pb6g

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    traditionnel hot dog. Ainsi, Coca-Cola s'impose comme vecteur de moments heureux pour tous : une famille partageant un repas ensemble, des amis pratiquant le surf au coucher du soleil ou des jeunes faisant du hip hop dans la rue. Ici, la composition du produit est abandonnée au profit des valeurs culturelles de la population américaine. La marque sous-entend qu'en buvant du Coca-Cola, le consommateur, quel que soit son origine, peut réussir dans la vie et accomplir ses rêves. C'est donc l'idéalisation de l'Amérique qui prédomine. Le choix de la chanson « America The Beautiful » chantée en sept langues n'est pas anodin, car il témoigne non seulement du patriotisme et de la fierté d'être Américain, mais souligne également le fait que tous les citoyens américains, de tous les horizons, peuvent s'identifier avec ces valeurs. Le spot publicitaire est le symbole même de la diversité des États-Unis, dans ses ethnies, ses religions et ses paysages majestueux.

    Étudions enfin le spot publicitaire de la marque de biscottes et de céréales Honey Maid21 où la valeur prédominante est bel et bien la famille sous toutes ses formes. Nous y retrouvons des structures familiales très variées. Du couple homosexuel qui a eu recours à l'adoption, à la famille traditionnelle, en passant par des couples mixtes, la publicité fait l'apogée de la tolérance et de l'acceptation de soi. De plus, elle fait référence à l'éducation des plus jeunes par le biais d'images représentant la vie familiale au quotidien : des parents donnant le biberon à leur bébé, un père aidant son fils à s'habiller avant d'aller à l'école ou encore une promenade en famille. Tous ces symboles illustrent un mode de vie auquel les Américains peuvent aspirer et s'identifier. La publicité, mais aussi le slogan de la marque « This is wholesome » (« C'est ça l'équilibre ») se montrent rassurants en affirmant que, même si certaines choses changent au cours de la vie, d'autres restent immuables. Cette métaphore sous-entend que l'amour de la famille et les bons produits sains et équilibrés wholesome de la marque contribueront à la stabilité de la vie familiale. Ainsi Honey Maid propose un éventail de valeurs culturelles auxquelles les Américains peuvent s'identifier, parmi elles l'importance de la famille et des relations intergénérationnelles, la tolérance et la diversité.

    À l'inverse de leurs homologues américains, les publicitaires français utilisent un tout autre angle d'approche pour communiquer avec son public, en plaçant la provenance des produits alimentaires au coeur du message. Gros plans sur les fruits et légumes fraîchement récoltés dans les champs, des agriculteurs labourant leurs terres

    21 Honey Maid - This is wholesome : https://www.youtube.com/watch?v=2xeanX6xnRU

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    ou des animaux profitant de leur liberté en plein air.L'association de tous ces éléments aide à renforcer l'image de pureté et de fraîcheur des produits pour répondre aux attentes du consommateur français d'aujourd'hui.

    La marque Knorr22, pour vendre sa sauce béchamel, nous emmène à la découverte de la nature afin de remonter à la source du produit. Knorr choisit de valoriser la relation entre l'éleveur et sa vache Géraldine et ainsi rassure le consommateur quant aux propriétés nutritionnelles de sa sauce. Le fait d'avoir attribué un prénom à la vache, dont le lait est l'ingrédient principal de la recette, est gage de confiance. Pour renforcer son message, le publicitaire fait appel à un chef cuisinier, Sébastien, chargé de réaliser la sauce béchamel destinée à l'assiette du consommateur. À l'image des grands chefs, le cuisinier n'utilise que des produits de haute qualité. Remarquons tout de même que le produit emballé que l'on trouve dans les supermarchés est réservé pour les derniers clichés. Ainsi, la gastronomie, fleuron du patrimoine français, tout comme les valeurs du terroir et de l'agriculture traditionnelle, occupent une place centrale. La marque suggère au consommateur qu'en achetant de la béchamel de la marque, il contribue à maintenir en vie une activité noble, celle de l'agriculture, et à porter haut les coutumes de son pays. Nous pouvons donc supposer que, grâce à l'association de tous ces éléments, la marque fait preuve de transparence et d'honnêteté vis-à-vis du consommateur. En France, un tel engagement sera certainement récompensé, l'authenticité et la qualité de la nourriture étant des facteurs d'achat déterminants.

    Dans le même esprit que Knorr, pour son camembert le Rustique23, la marque Bongrain mise tout sur le retour à la nature, un thème qui a très bonne presse actuellement. Le fromage s'éclipse pour laisser place à la terre, la pluie, le soleil, les plantes... autant d'éléments qui rappellent en toute simplicité l'origine des ingrédients du produit proposé. Ainsi, le consommateur français renoue avec ses racines et peut se féliciter d'acheter un produit noble qui lui permettra de protéger son patrimoine agricole. La voix-off nous raconte l'histoire de la terre, en employant des mots tels que, « riche », « généreuse », « délicate » ou « de caractère » pour la qualifier, des termes qui s'appliquent aussi bien au camembert, décrit comme « authentique ». Le terroir, une des valeurs clé de la culture française, donne naissance à des ingrédients de qualité et le consommateur y associe tout naturellement le fromage

    22 Knorr(c) sauce béchamel : https://www.youtube.com/watch?v=jtq1uTTT Cs

    23 Camembert le Rustique : https://www.youtube.com/watch?v=FMQ7mLsJrd4

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    le Rustique. Les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs (orage, chaleur, pluie) ne font que rendre le produit plus fort en caractère. Le téléspectateur peut donc faire le lien entre le caractère du produit et la force de caractère de l'agriculteur car il exerce un métier rude, mais le fait par choix et par amour de la nature. Dans la publicité, l'agriculteur est fier de son produit. Il le déguste seul dans son champ juste pour le plaisir ce qui atteste de ses qualités gustatives. Le produit confère ainsi à celui qui l'achète la possibilité de rester authentique et de renouer avec les pratiques d'antan.

    La France, référence gastronomique par excellence, est réputée pour sa cuisine au beurre. Quelle meilleure façon d'attribuer à ce produit de tous les jours une touche d'élégance que de le confier à Eric Fréchon, chef décoré de trois étoiles au Guide Michelin ? Entre ses mains, le beurre gastronomique Président24, couplé à un oeuf à la coque préparé minute, devient quelque chose de raffiné. Nous rejoignons le chef dans sa cuisine où il paraît quelque peu débordé lors d'un service chargé. Il est vêtu d'une veste de cuisine décorée au col du drapeau tricolore du Meilleur Ouvrier de France, ce qui symbolise le patriotisme et l'excellence gastronomique. Il nous confie que, lorsque l'on est stressé, il est primordial de prendre du plaisir et de déguster un bon plat simple, élaboré avec des produits de qualité. Notons que le slogan de la marque est d'ailleurs « Prenons la vie côté plaisir ». Eric Fréchon devient l'ambassadeur du beurre gastronomique Président. Grâce à son expertise culinaire, le consommateur n'hésitera pas à lui faire confiance et, de ce fait, ne doutera pas de l'authenticité et de la qualité du produit. L'image de la gastronomie « à la française » est omniprésente, ce patrimoine étant l'une des fiertés de la population et une valeur qui lui a permis de recevoir les éloges du monde entier.

    Grâce à ces exemples, nous avons pu démontrer l'approche diamétralement opposée des publicitaires français et américains dans leur stratégie de communication. Ainsi, pour persuader le grand public d'acheter leurs produits, les marques s'appuient sur la transmission et la diffusion des valeurs culturelles propres à leur pays. Il est évident que nous ne pouvons pas généraliser, en déduire que toutes les publicités françaises sont axées sur le terroir et que toutes les publicités américaines sont centrées sur la famille ou la diversité culturelle, mais les publicités choisies pour illustrer mon propos restent très révélatrices.

    Toutefois, certaines campagnes publicitaires peuvent engendrer des réactions négatives et totalement contraires à celles espérées. Prenons l'exemple du spot Coca-

    24 Beurre gastronomique Président : https://www.youtube.com/watch?v=KBaaAgcRRlY

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    Cola analysé ci-dessus. La publicité a été vivement pointée du doigt par un grand nombre d'Américains qui n'ont pas su s'identifier avec les valeurs véhiculées. Est-ce parce que Coca-Cola a voulu aller trop loin dans l'idéalisation de son pays ? Une telle concentration de valeurs pourrait-elle être perçue comme « donneuse de leçons » et provoquer un sentiment d'infériorité ? En effet, bien que la diversité culturelle soit le fondement même de la société américaine, la publicité a tout de même entraîné une forte opposition, notamment chez les plus conservateurs. L'auteur américain Michael Patrick Leahy a d'ailleurs critiqué le fait que : « Un hymne patriotique profondément chrétien, dont le thème est l'unité, soit chanté en plusieurs langues étrangères » et que « le spot présente de manière évidente un couple gay. »

    De même, en France, une publicité pour la marque Perrier25 a suscité de vives critiques à cause de sa connotation sexuelle. Intitulée « Une nouvelle forme de plaisir », la publicité met en scène un groupe de femmes enchaînant les sous-entendus sexuels pour finalement ne parler que d'une nouvelle forme de canette Perrier, la « slim can ». Cette gamme de produit a donc connu un échec, puisqu'elle a été à l'encontre des principes d'égalité et de parité, très chers aux Français ; la publicité est a donc été jugée sexiste. Perrier, en utilisant une touche d'humour, a fait le choix de s'éloigner des valeurs culturelles habituelles. C'était un risque qui ne lui a pas réussi, ce qui prouve que la communication doit obéir à certaines règles pour être acceptée de tous.

    Mais que se passe-t-il lorsque les frontières de la publicité s'effacent ? La mondialisation publicitaire gagne de plus en plus de terrain, notamment depuis l'envahissement des chaînes alimentaires américaines telles que McDonald's ou Starbucks sur le continent européen. La nécessité d'adapter la publicité est donc devenue incontournable aujourd'hui. La publicité pour le sandwich McBaguette26 incarne parfaitement ce besoin. Pour promouvoir un sandwich conçu spécialement pour le marché français, McDonald's s'est écarté des valeurs culturelles américaines pour mettre sur le devant de la scène la qualité et la fraîcheur des ingrédients qui le composent. Conscient de l'importance que les Français accordent à la qualité de leur alimentation, le géant du fast-food se devait d'adapter sa communication autour de ce produit pour se donner toutes les chances

    25 Perrier Slim Can : https://www.youtube.com/watch?v=iUJmWEJ9ttY

    26 McDonald's McBaguette : https://www.youtube.com/watch?v=fURbmHdMF2E

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    de réussir. Les Français se sentent ainsi rassurés et en confiance car McDonald's joue la carte de la transparence, un critère essentiel à leurs yeux.

    Nous l'avons démontré dans notre analyse : la publicité est le reflet des valeurs culturelles et sociétales d'un pays. Par conséquent, à travers ces messages publicitaires se dessine l'identité même des populations ciblées, qui aspirent à des valeurs culturelles bien différentes. Le discours se voit ainsi fondé à la fois sur la valeur fonctionnelle du produit et sur la promesse aux consommateurs d'accéder à des valeurs culturelles symboliques en achetant ledit produit. Cependant, aller à l'encontre des valeurs d'un pays donné ou ne pas suffisamment s'adapter au marché local pourrait s'avérer risqué.

    ii) La mondialisation, porteuse d'une potentielle uniformisation des pratiques alimentaires - résistances et limites

    Depuis environ cinquante ans, les frontières entre les pays ainsi que les distances se sont effacées pour laisser place à un champ de découvertes en termes de culture, de langues et de traditions, mûr à la récolte. La mondialisation occupe désormais une place prépondérante au sein de la société, apportant avec elle des opportunités d'échanges, non seulement commerciales, mais aussi interculturelles et culinaires. Il va de soi que ce phénomène a largement modifié nos comportements alimentaires et que l'américanisation de notre alimentation est devenue une réalité planétaire. Aujourd'hui, dans toutes les grandes villes du monde, ce modèle alimentaire dominant est principalement symbolisé par le hamburger. Mais nous pourrions alors nous interroger : cette « McDonaldisation » ne renvoie-t-elle pas davantage à une recherche de praticité et de rapidité, plutôt qu'à une uniformisation des goûts alimentaires ? Le succès des aliments mondialisés et standardisés repose surtout sur leur utilité face aux attentes des consommateurs urbains et le mode de vie exigé par notre société actuelle. Il est vrai que d'autres cuisines sont tout aussi omniprésentes, parmi elles les sushis, les pizzas ou les kebabs, et sont autant d'outils qui influencent les coutumes locales.

    Comme nous l'avons vu précédemment, bien que les deux pays à l'étude divergent dans leur rapport à l'alimentation, force est de constater que les deux cuisines s'exportent mutuellement. Depuis les années 1980, la France a vu arriver en masse sur son territoire des chaînes de restauration américaines et a été confronté à l'influence grandissante du mode de vie étasunien, à la fois politique, culturelle, linguistique et notamment culinaire. Ainsi, dans une même rue parisienne se côtoient des bistrots typiquement français dont les cartes proposent des mets purement traditionnels, et quelques numéros plus loin, un diner américain servant hamburgers,

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    milkshakes et hot-dogs, ou encore l'un des 1 300 restaurants McDonald's installés sur le sol français. Cette américanisation culinaire est d'ailleurs très bien accueillie en France, accompagnée par un désir d'adopter ce mode de vie de plus en plus en vogue. Selon Anne-Claire Paré, directrice du cabinet de tendances et marketing Bento : « Les produits US se portent très bien, car ils allient la redécouverte de traditions culinaires - souvent européennes - avec une grande modernité d'usage. Ils sont et créent la tendance ». Désormais, les industriels français suivent cet effet de mode pour répondre à une demande toujours plus croissante de mets américanisés, en multipliant les lancements de produits typiques du pays, agrémentés d'une touche française. À titre d'exemple, les ventes de pains à hamburger ne cessent d'augmenter d'année en année (+15% en 2013), incitant l'entreprise Jacquet à proposer de nouveaux pains nommés Brasserie Burger. De plus, l'adaptation des recettes McDonald's en France, comme nous l'avons évoqué plus haut, devient monnaie courante. L'apparition de hamburgers garnis de fromage de chèvre ou de fromage bleu témoigne du besoin d'adapter ces recettes au marché français et aux systèmes de goûts existants. L'ouvrage de l'enseignant chercheur Gilles Fumey27 a été particulièrement enrichissant sur ce point. Il explique que, même si les aliments circulent librement entre les pays, chacun va les réinterpréter pour qu'ils correspondent aux goûts locaux, une étape nécessaire pour contrer l'échec d'une adoption éventuelle par les populations. Mais cela ne sera pas suffisant. Du fait de l'ancrage des systèmes culinaires et alimentaires dans les cultures, c'est une question de temps lorsqu'il s'agit de changer les habitudes. À titre indicatif, la cuisine ne changera au sein des familles d'immigrés qu'au bout de trois générations.

    Qu'en est-il de l'autre côté de l'Atlantique ? Certes la gastronomie française s'est bien exportée sur le sol américain, mais dans une moindre mesure. Grâce à son image véhiculant une cuisine saine et raffinée, notre gastronomie attire désormais de plus en plus d'adeptes et encourage des restaurateurs américains à s'approprier notre cuisine. C'est le cas notamment à San Francisco où se sont implantés, à partir de 1998, une quinzaine de restaurants français haut de gamme. L'article des Échos intitulé États-Unis : le grand retour de la cuisine française - San Francisco donne le ton. Le business prend le relais28 met en avant le désir naissant de certains Américains de découvrir la bonne cuisine à la française. Selon Erica Gruen, présidente de la chaîne de télévision Food Network : « La nourriture n'est plus simplement quelque chose qui se mange, c'est aussi devenu une source de divertissement et d'enrichissement

    27 FUMEY Gilles, La mondialisation de l'alimentation

    28 Boulet Marie-Dominique, États-Unis : le grand retour de la cuisine française

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    culturel. » Grâce au tourisme, les Américains accumulent toujours plus d'expériences culinaires et se montrent plus attentifs au contenu de leurs assiettes. La chef américaine renommée des années 1960 Julia Child dans son livre de recette Mastering the Art of French Cooking avait d'ailleurs joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de la cuisine française à travers le pays. Grâce à Child, cette cuisine, jusque-là réservée à l'élite, s'est démocratisée et est devenue accessible à la classe moyenne. Aujourd'hui, de plus en plus de chefs français viennent poser leurs casseroles outre-Atlantique pour faire connaître et partager leur savoir-faire gastronomique, de New York à Los Angeles en passant par Chicago ou Seattle. Malgré une « fracture alimentaire » apparente entre les deux populations, chacune possédant un contexte historique culinaire propre, des recettes de chaque pays garnissent désormais les assiettes de part et d'autre de l'Atlantique et parviennent à se faire une place à table ensemble.

    Cependant, il convient de s'interroger : cette propagation de cuisines venues d'ailleurs, si elle devient trop envahissante, pourrait-elle à terme contribuer à homogénéiser nos goûts alimentaires ? « Le monde semble s'homogénéiser au fur et à mesure que les processus de globalisation assurent son unité. Passe encore que les marchés des biens et des capitaux connaissent une intégration croissante. Mais est-il acceptable que celle-ci concerne également ce qu'il est convenu de nommer la `culture', au risque de compromettre son `authenticité' ? » s'interroge Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS dans son ouvrage Vers un monde unique ? Comme nous l'avons déjà mentionné, les voyages et les occasions de goûter à des produits non autochtones ont élargi notre horizon culinaire, mais jusqu'à quel point ? En réalité, l'uniformisation alimentaire, au niveau mondial, semble très improbable, simplement du fait de la disparité économique entre les pays et l'accessibilité à une gamme infinie de produits rendue difficile par la situation géographique et ou par le manque de ressources locales. Ce que nous appelons ici uniformisation alimentaire ne peut s'appliquer qu'à des nations possédant une culture assez proche et un niveau de vie similaire. Dans ce contexte, la standardisation de nos pratiques alimentaires semble envisageable, dans la mesure où elle pourrait, à terme, remplacer partiellement nos plats traditionnels et homogénéiser nos goûts.

    Mais qu'en est-il vraiment ? Pourquoi la majorité des Américains continuent-ils à s'alimenter de façon peu équilibrée ? Pourquoi a-t-on tendance en France à résister à cette vague envahissante de restaurants de type fast-food ? Selon l'historien des pratiques culinaires Patrick Rambourg29, nul ne peut ignorer le monde uniformisé dans

    29 Entretien avec Patrick Rambourg par l'IRIS. Géopolitique de la cuisine, 16 octobre 2015

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    lequel nous vivons, notamment depuis la diffusion et l'exportation mondiale de produits alimentaires identiques. Toutefois, des différences entre les pays se font encore ressentir. En France par exemple, la population garde un repas très codifié alors qu'ailleurs, c'est tout autre chose. De cette façon, nous assistons à la fois à une uniformisation des produits alimentaires standardisés et à une certaine forme de résistance des cultures alimentaire. L'identité culinaire reste donc un marqueur important pour la reconnaissance de l'identité culturelle.

    Aujourd'hui, nous observons que dans l'Hexagone, plus que jamais, les cuisines régionales tentent de se démarquer de façon à conserver leur singularité. Ces cuisines traditionnelles agissent comme une garantie d'authenticité et restent des repères sociaux et identitaires. Depuis 2003, l'UNESCO a créé la notion de patrimoine culturel immatériel, où les cultures alimentaires nationales et régionales occupent une place légitime, l'objectif étant de conserver et de sauvegarder les traditions héritées de nos ancêtres. La France, pourtant en proie à l'américanisation, défend de plus en plus son patrimoine gastronomique. En atteste la création de l'Institut National de l'Origine et de la Qualité en 1935 qui protège les appellations d'origine (AOC, AOP et IGP) et le signe national du Label Rouge dans le but de valoriser les produits régionaux et de protéger la qualité de leur production. Aujourd'hui, ces produits labélisés sont de plus en plus plébiscités par les consomm'acteurs et s'inscrivent dans un mouvement de protection du terroir français. Cette forme de résistance existe dans une certaine mesure aux États-Unis, avec quelques produits d'origine protégée tels que le Tennessee Whiskey ou le jus d'orange de Floride, mais les labels restent tout de même nettement moins répandus qu'en France.

    Pour conclure, même si la standardisation semble gagner de plus en plus de terrain, elle ne représente pas forcément une menace. En effet, nous assistons à un double mouvement, celui de la « délocalisation et de la relocalisation de l'alimentation », comme le défini Jean-Pierre Poulain30. La délocalisation se caractérise par l'apparition de produits transnationaux et transculturels, tels que les sodas ou les hamburgers. Mais, face à cet envahissement se manifeste une attitude de compensation par le biais de laquelle nous revendiquons des produits très fortement marqués par une origine géographique ou culturelle, afin de renouer avec une tradition qui unit les hommes à un terroir ou à un milieu.

    30 POULAIN Jean-Pierre. Sociologie de l'alimentation - les mangeurs de l'espace social alimentaire

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    V/ Conclusion

    À travers notre analyse, nous avons mis en lumière la façon dont la gastronomie française s'est imposée comme un des éléments constitutifs de son identité culturelle au fil des siècles, pour devenir aujourd'hui une source de fierté nationale. La cuisine américaine, quant à elle, tire ses origines des Amérindiens, des esclaves et des vagues d'immigrés qui se sont installés depuis des siècles sur le continent, apportant avec eux des pratiques alimentaires qui font dorénavant partie intégrante du patrimoine culturel du pays. Nous avons également établi que même si les comportements alimentaires des deux pays diffèrent en de nombreux points car façonnés par l'histoire, la religion, l'économie ou la politique, le fait de rester objectif nous a permis d'aller au-delà des idées préconçues pour identifier quelques décalages de perception ainsi que des mutations réciproques dans les habitudes.

    Cependant, depuis de nombreuses années, nous assistons à une uniformisation incontestable des pratiques alimentaires des deux côtés de l'Atlantique avec, d'une part, l'arrivée massive de mets américains sur le marché français et, d'autre part, l'introduction timide de la gastronomie française dans quelques grandes villes américaines. Au sens large, la mondialisation alimentaire peut être perçue à la fois comme une menace envers les usages traditionnels, comme la réponse à un besoin exprimé par la société moderne, comme une façon de découvrir de nouvelles expériences culinaires, ou encore comme un moyen de renouer avec son patrimoine culinaire, exprimé par le rejet de ladite mondialisation ou par l'adaptation de ces nouveaux produits aux goûts locaux.

    Face à ces préoccupations, les agences de communication ont tout intérêt à incorporer les valeurs culturelles ancrées au sein de chaque pays dans l'élaboration de leurs stratégies de vente, en veillant à éviter d'aller à l'encontre des sensibilités de leurs cibles. Force est de constater qu'à l'heure de la mondialisation, plus que jamais, la publicité doit impérativement respecter les identités sociales et culturelles propres à chaque marché et s'adapter à l'évolution de la pensée commune, ainsi qu'aux attentes des consommateurs.

    Aujourd'hui, dans les quatre coins du monde, de nouveaux phénomènes culinaires font leur apparition dans les supermarchés et restaurants. Cosmétofood, régimes sans gluten, sans lactose, végétalien ou crudivore, ces nouvelles façons de se nourrir gagnent toujours plus d'assiettes et pourraient bel et bien changer la donne quant à nos comportements alimentaires à l'avenir et contribuer à élargir davantage la standardisation culinaire dans le monde.

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    Mais le marché alimentaire le plus porteur actuellement est sans conteste celui des produits biologiques. En effet, les produits bio ont envahi les rues et ne cessent de gagner du terrain. Cet enthousiasme se fait d'ailleurs ressentir des deux côtés de l'Atlantique, les États-Unis et la France se retrouvant respectivement en première et troisième position dans le classement mondial des pays les plus consommateurs de produits biologiques (données statistiques du FiBL et de l'IFOAM). Désormais, le secteur du bio ne se contente plus de l'image traditionnelle d'un agriculteur isolé labourant ses champs pour cueillir des fruits et légumes, mais se transforme en une industrie de grande envergure qui se diversifie pour conquérir toujours de nouvelles cibles, parmi elles, l'alimentation infantile, la nourriture pour animaux ou encore les produits cosmétiques ou d'entretien. Pour de nombreux spécialistes, ce marché a toutes ses chances de prospérer, car il est en mesure de dépasser les barrières culturelles culinaires, en proposant des spécialités qui s'adaptent à chaque pays, telles que des hamburgers, des cassoulets ou des sushis bio. Au-delà d'une homogénéisation alimentaire, nous assistons à un rassemblement autour d'une seule et unique pensée, celle du rejet de l'industrie intensive, trop souvent impliquée dans des scandales alimentaires qui érodent, petit à petit, la confiance des consommateurs. Le bio devient donc une philosophie de vie.

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    VI/ Bibliographie

    ü Ouvrages

    v 1PITTE Jean-Robert, La gastronomie française : histoire et géographie d'une passion. Éditions Librairie Artheme Fayard, 1991, 261p.

    v 3BOUDAN Christian, Géopolitique du goût. La guerre culinaire. Éditions PUF, 2004, 453p.

    v 4MARTEL Frédéric, De la culture en Amérique. Éditions Gallimard, 2006, 640p.

    v 9ASSELIN Gilles, MASTRON Ruth, Au Contraire ! Figuring out the French. Intercultural Press Inc., 2001, 304p.

    v 10DENOUX Patrick. Pourquoi cette peur au ventre ? Édition JC Lattès, 2014, 245p.

    v 11STEINBERGER Michael, Au Revoir to All That: the Rise and Fall of French Cuisine. Editions Bloomsbury Publishing PLC, 2010, 256p.

    v 12FISCHLER Claude, Manger : Français, Européens et Américains face à l'alimentation. Éditions Odile Jacob, 2008, 336p.

    v 16HALL Edward, Le langage silencieux. Éditions Seuil, 1984, 237p.

    v 18LADMIRAL Jean-René, LIPIANSKY Edmond Marc, La communication interculturelle. Éditions Armand Colin, 1990, 318p.

    v 27FUMEY Gilles, La mondialisation de l'alimentation. Éditions Armand Colin, 2007, 98p.

    v 29POULAIN Jean Pierre, Sociologie de l'alimentation - les mangeurs de l'espace social alimentaire. Éditions PUF, 2002, 293p.

    v VIELAJUS Martin, SAUQUET Michel, L'intelligence interculturelle. Éditions Charles Leopold Mayer, 2014, 408p.

    v HOFSTEDE Geerte, Vivre dans un monde multiculturel. Éditions d'Organisation, 1984, 336p.

    v O'CONNELL Libby, The American Plate: A culinary History in 100 Bites. Editions Unabridged, 2014, 352p.

    ü Articles, revues et sites web

    v 2Bibliothèque Carl A. Kroch de l'Université de Cornell. Not By Bread Alone: America's Culinary Heritage. In : Site de la bibliothèque de l'Université de Cornell. [en ligne]. Disponible sur : < http://rmc.library.cornell.edu/food/default.htm>. (Consulté le 15 février 2016).

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    v 6Colloque du Fonds Français pour l'Alimentation. Dossier de presse : Le modèle alimentaire français : adaptation ou disparition ? 19 novembre 2001, 20p. In : Site

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    alimentation-santé.org [en ligne]. Disponible sur : < http://alimentation-sante.org/wp-content/uploads/2013/11/DP colloque19112013.pdf.> (Consulté le 8 février 2016).

    + 7Cahier de recherche du Centre de Recherche pour l'Étude et l'Observation des Conditions de vie (CREDOC). Comparaisons des modèles alimentaires français et étasuniens. Décembre 2011. In : Site du CREDOC [en ligne]. Disponible sur : < http://www.credoc.fr/pdf/Rech/83.pdf> (Consulté le 8 février 2016).

    + 11Sial Innovation. Dossier de presse : le bonheur est-il dans l'assiette ? In : Site de Sial Innovation Paris [en ligne]. Disponible sur : < http://www.tns-sofres.com/sites/default/files/sial2014 dossierpresse.pdf>. (Consulté le 8 février 2016).

    + 13WERLE Carolina, TRENDEL Olivier. Unhealthy Food is Not Tastier for Everybody: The Healthy=Tasty French Intuition. In: Site ResearchGate.net [en ligne]. Disponible sur : https://www.researchgate.net/publication/257390419 Unhealthy food is not t astier for everybody The healthy tasty French intuition.> (Consulté le 15 février 2016).

    + 14Site de Food Insight. 2012 Food & Health Survey: Consumer Attitudes towards food safety, Nutrition and Health. In: Site du International Food Information Council [en ligne]. Disponible sur :

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    + 17WEAVER Gary. American Cultural Values. In: Site de Transatlantic Trends [en ligne]. Disponible sur : < http://trends.gmfus.org/doc/mmf/American%20Cultural%20Values.pdf> (Consulté le 29 février 2016).

    30BOULET Marie-Dominique. États-Unis : le grand retour de la cuisine française - San Francisco donne le ton. Le business prend le relai. In : Site des Échos [en ligne]. Disponible sur : < http://www.lesechos.fr/03/04/1998/LesEchos/17620-137-ECH etats-unis---le-grand-retour-de-la-cuisine-francaise-san-francisco-donne-le-ton--le-business-prend-le-relais.htm>. (Consulté le 5 mars 2016).

    + LAISNEY Céline, Document de travail centre d'études et de prospective, L'Évolution de l'alimentation en France. In : Site du Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt. [en ligne], n°5, janvier 2012. Disponible sur : < http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/doctravail50112.pdf >. (Consulté le 5 févier 2016).

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    + Site de LSA. États-Unis : Focus sur des comportements alimentaires des Américains. In : Site officiel du magazine hebdomadaire LSA. [en ligne]. Disponible sur : < http://www.lsa-conso.fr/etats-unis-focus-sur-les-comportements-alimentaires-des-americains,189334> (Consulté le 10 février 2016)

    + ADT Valérie. Le rapport des Français à l'alimentation, un rôle protecteur envisageable contre le surpoids et l'obésité, 2011. In : Site de cairninfo.com [en ligne]. Disponible sur : < https://www.cairn.info/revue-recherche-en-soins-infirmiers-2011-3-page-16.htm>. (Consulté le 10 février 2016)

    + Site officiel du Sénat. La culture : quelles sont les conditions du maintien d'une identité alimentaire. In : Site officielle du Sénat [en ligne]. Disponible sur :

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    + LEBRAT Astrid, LECOQ Ségolène. Géopolitique de la cuisine. In : Site de Classe Internationale [en ligne]. Disponible sur : < https://classe-internationale.com/2014/03/22/geopolitique-de-la-cuisine/>. (Consulté le 29 février 2016)

    + ROLLO Alessandra. Enjeux et modalité des transferts culturels dans la publicité internationale. In : Site de la revue Signes, Discours et Sociétés [en ligne]. Disponible sur : http://www.revue-signes.info/document.php?id=3119&format=print (Consulté le 2 mars 2016)

    y' Vidéos

    + 8Interview de Fons TROMPENAARS par Business Value Exchange. The French in a nutshell [enregistrement vidéo]. [en ligne]. Diffusée le 10 décembre 2014.

    Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?time continue=1&v=qs-
    VyZgdDGk>. (Consulté le 10 février 2016).

    + 29Interview de Patrick RAMBOURG par l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques. Géopolitique de la cuisine. [enregistrement vidéo] [en ligne]. Diffusée le 16 octobre 2015. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=j83SXu4Lt6w>. (Consulté le 10 mars 2016)

    y' Témoignages et enquêtes

    + ASSELIN Gilles, fondateur de SoCoCo Intercultural, entretien le 30 janvier 2016

    + LUONG Julien, chargé d'études géomarketing chez Biocoop, entretien réalisé par email le 30 janvier 2016

    + SAUQUET Michel, auteur spécialisé dans les questions interculturelles, entretien réalisé par email le 5 février 2016

    + GOULD David, représentant nord-américain de l'IFOAM, entretien réalisé par Skype le 2 mars 2016






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