La sécurité juridique en droit administratif sénégalais( Télécharger le fichier original )par Abdou Ka Université Gaston berger de saint Louis - DEA droit public 2015 |
Paragraphe 2 : La nature tentaculaire de la notion de sécurité juridiqueLa sécurité juridique apparaît comme une notion très vague. Elle renvoie à des éléments disparates et parfois même étrangers les uns des autres. Pour S. BOISSARD, la sécurité juridique est « unconcept si général que l'on peut lui faire dire ce que l'on veut »159(*). En effet, la notion de sécurité juridique ne présente pas une unité conceptuelle évidente. Toute approche essentialiste visant à appréhender la notion de sécurité juridique serait vouée à l'échec. Ce caractère vague de la notion de sécurité juridique conduit souvent à des excès tant du point de vue de sa définition que dans la mise en oeuvre des exigences qui en découlent. D'abord, la notion de sécurité juridique est une notion flexible, adaptable aux évolutions du monde juridique. Le contenu de la notion de sécurité juridique n'est pas figé. Il évolue en fonction de l'idéologie dominante. Il est évident que prévaudra une approche plus objective dans un contexte où l'intérêt général prédomine et une approche plus subjective dans un contexte où règne l'individualisme juridique. En Allemagne, le principe de sécurité juridique implique largement le respect de la bonne foi tandis qu'en France, il persiste encore une certaine réticence vis-à-vis du versant subjectif de la sécurité juridique. Tout compte fait, la tendance est à l'élargissement du champ conceptuel de la notion de sécurité juridique. La sécurité juridique constitue désormais un creuset vers lequel beaucoup de concepts, parfois même sans lien évident avec elle, sont aspirés. Les contours de la notion de sécurité juridique en deviennent très confus. C'est ainsi qu'à propos de la sécurité juridique, D. SOULAS de RUSSEL et P. RAIMBAULT affirment qu'« une sorte de contagion épistémologique se propage et attaque la notion remède du mal qu'elle est censée combattre »160(*). Dans cette perspective, définir la sécurité juridique s'avère aujourd'hui d'une difficulté évidente. Variant dans sa conception en fonction du contexte juridique et intégrant de plus en plus d'aspects nouveaux, la notion de sécurité juridique devient flou et, partant, incompréhensible. En effet, la sécurité juridique est une notion fourre-tout. C'est semble-t-il ce qui fait dire à B. PACTEAU que « la notion de sécurité juridique a pour premier et apparent défaut de ne pas constituer une catégorie juridique aux frontières, ni donc aux conséquences, ni aux contours, ni au contenu, parfaitement bien délimités »161(*). Elle est loin d'être une catégorie juridique homogène. De ce fait, la notion de sécurité juridique porte en elle un paradoxe évident. Comme remède à la crise du droit, elle devait être d'une clarté suffisante afin de remplir pleinement et efficacement sa fonction de régulation du système juridique, mais voilà qu'elle s'avère d'une imprécision déroutante. Certes, « il est a priori plus facile de comprendre la notion que de la définir »162(*), mais la tendance est à la clarification du champ conceptuel de la sécurité juridique. C'est ce qui fait dire à A. LEVADE que la sécurité juridique « est un principe aux contours flous mais dont,paradoxalement le contenu semble de plus en plusprécis »163(*). Toutefois, il reste que la notion de sécurité juridique est une notion plus fonctionnelle que conceptuelle. Elle n'est définie que par rapport à la fonction qu'elle remplit dans l'ordre juridique considéré, ce qui rend vaine toute tentative de conceptualisation. Ensuite, les exigences qui résultent du principe de sécurité juridique se diversifient et gagnent en normativité. Pour L. AZOULAI, le principe de sécurité juridique est un « schème deprincipe »164(*). Ainsi, dans son application, le principe de sécurité juridique apparaît souple. Il renferme des éléments très variés. Le principe de sécurité juridique se manifeste en droit positif à travers d'autres principes qui lui donnent sens. Il en est ainsi du principe de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la règle juridique. Aussi, dans ce sens, il est possible d'évoquer le principe de non rétroactivité, le principe d'intangibilité des droits acquis et le principe de confiance légitime. D'autres principes comme celui de l'autorité de la chose jugée et celui de la bonne foi, mais également le mécanisme des délais de recours et celui de la prescription peuvent légitimement être rapportés à l'exigence de sécurité juridique. Par ailleurs, les exigences liées à la sécurité juridique n'ont pas la même force normative. Certaines ont valeur constitutionnelle, d'autres revêtent une force normative moindre. Selon les systèmes juridiques, certaines exigences dérivées de la sécurité juridique sont privilégiées tandis que d'autres sont reléguées au second plan. Dans tous les cas, la tendance est à la constitutionnalisation de la sécurité juridique en ses applications essentielles. C'est ce qui a poussé B. MATHIEU à affirmer que le principe de sécurité juridique est déjà constitutionnalisé puisque « le juge a, de fait, reconnu valeur constitutionnelle aux exigencesqui en constituent la substance »165(*). L'exigence de sécurité juridique devient dès lors incontournable en ce sens qu'elle est désormais garantie par la norme suprême. La garantie constitutionnelle dont dispose l'exigence de sécurité juridique lui assure une certaine effectivité dans l'ordre juridique. Aucune norme qu'elle soit d'origine législative ou règlementaire ne saurait se dédouaner du respect dû à l'impératif de sécurité juridique tant sa force normative s'est vue renforcée au sein du système juridique. De même, beaucoup de principes pouvant être rattachés à l'exigence de sécurité juridique et qui jusque-là étaient ignorées du droit positif selon la tradition française font leur entrée dans la scène juridique avec vigueur. Il en est ainsi de l'exigence de délai raisonnable aussi bien dans le procès administratif que dans l'exercice du pouvoir réglementaire. Il est également possible d'évoquer le principe de loyauté contractuelle qui a été récemment consacré par le juge administratif français166(*). Ces principes du fait qu'ils découlent de notions parfois imprécises sont de nature à renforcer le pouvoir du juge de l'administration en ce que, dans leur mise en oeuvre, ils appellent une certaine liberté d'interprétation. La notion de sécurité juridique en ce qu'elle est imprécise et flexible ne présente aucune autonomie conceptuelle. Logiquement, le principe de sécurité juridique renvoie à des réalités juridiques très variées et qui évoluent au gré de l'évolution de l'idéologie dominante. Tout cela fait que la sécurité juridique gagne en normativité et est en passe de devenir une référence majeure du contrôle de l'action administrative. La sécurité juridique en ce qu'elle est omniprésente et tentaculaire a acquis une place essentielle dans l'ordre juridique. Elle fédère diverses exigences et fondent beaucoup d'actions contentieuses. En cela elle constitue désormais une exigence essentielle du droit sénégalais. Cependant, ces avancées de la sécurité juridique doivent être encadrées afin de ne pas bouleverser l'équilibre global du système juridique. * 159 S. BOISSARD, « Comment garantir la stabilité des situations juridiques individuelles sans priver l'autorité administrative de tous les moyens d'action et sans transiger sur le respect du principe de légalité ? Le difficile dilemme du juge administratif », Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001, p.70-81 * 160 D. SOULAS de RUSSEL et P. RAIMBAULT, « Nature et Racines du principe de sécurité juridique : une mise au point », Op. cit * 161 B. PACTEAU, « La sécurité juridique, un principe qui nous manque », op. cit * 162 A. CRISTAU, « L'exigence de sécurité juridique », Op. cit * 163 A. LEVADE, « Propos introductifs : la sécurité juridique »,Op.cit * 164 L. AZOULAI, « La valeur normative de la sécurité juridique », sécurité juridique et droit économique, sous la coordination de L. BOY, J. B. RACINE, F. SIIRIAINEN, Larcier, Bruxelles, 2008, p.27 * 165 B. MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », Op. cit * 166 CE, 28 Décembre 2009, Commune de Béziers, Op. cit |
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