La rationalité comme fondement du bonheur( Télécharger le fichier original )par Pasteur MUGISHO Philosophat Isidore Bakanja (Bukavu) R.D.Congo - Graduat en Philosophie et Sciences Humaines 2016 |
III.2.2. La voie rationnelle dans sa dimension théorétiqueNous venons de montrer dans le point précédent que la partie pratique de la vie rationnelle est complexe, et si nous nous en tenons à Aristote seulement, aucune partie de cette complexité ne se suffit à soi-même, ni ne suffit elle-même à procurer un bonheur parfait. Et, c'est pour cela que la dimension pratique doit aussi être complétée par la dimension théorétique ou contemplative (champs de prédilection d'Aristote lorsqu'il parle du bonheur). Ayant déjà parlé de la contemplation partiellement dans le premier chapitre, en la situant par rapport aux biens que recherche l'homme, il reste seulement d'indiquer certaines manières concrètes d'appliquer cette voie, c'est-à-dire la manière de l'utiliser comme voie du bonheur. La contemplation étant une activité théorétique, il importe avant tout de faire le choix de la raison comme directrice en mettant, bien sûr, en jeu les principes d'une telle activité tels que relevés dans notre deuxième chapitre76(*). Bien que l'exercice de la raison est présenté par Aristote et beaucoup d'autres philosophes comme la condition de la satisfaction et de la plénitude77(*), il reste que l'homme est cet animal raisonnable, dont la rationalité est précisément de l'ordre de la tâche, de la conquête et non du fait de la donnée immédiate. L'homme n'est pas tant raisonnable mais doit le devenir par un choix décisif. C'est dans sa partie d'irrationalité qu'il arrive à s'égarer. Disons, en bref, que la raison est bien la voie du bonheur, et sa condition de possibilité, mais encore faut-il que l'homme fasse choix de la raison pour accéder au bonheur. Un tel choix fait au préalable, ouvre le champ de l'esprit et emporte l'homme dans son intellection la plus pure, lui permettant « d'avoir l'intelligence des choses vraiment belles et divines »78(*). L'objet d'une telle activité est de découvrir "ce qu'est" la chose désirée c'est-à-dire son essence. C'est ce que Saint Thomas appelle la vision de l'essence des choses79(*). Cette activité, étant la plus parfaite des activités de l'homme, elle vise aussi la vision de l'essence la plus haute : celle de Dieu, car permanente, et ramène à la perfection les essences individuelles80(*). L'importance de l'activité contemplative s'observe dans le fait que l'homme qui s'y donne devient de plus en plus sage, et de mieux à mieux encore il s'y consacre et s'y abandonne comme étant le lieu de son être profond81(*). C'est l'essence parfaite ou l'"essence divine" qui perfectionne l'essence individuelle et la réalise. C'est là, s'il faut se répéter, la communion spirituelle avec Dieu. Car il ne s'agit pas d'une possession inopinée du sujet mais la participation libre à la vie divine pour que ce qu'il y a de plus divin en l'homme puisse être perfectionné82(*). Un autre aspect de l'activité théorétique est la permanence. L'exercice de l'activité théorétique est celle qui produit les plaisirs les plus charmants, qui plaisent à l'esprit à cause de leur pureté et de leur certitude, nous dit Aristote. Ce qui fait que l'admiration de tels plaisirs doit être permanente. Sans cette permanence, ils perdraient leur estime des plaisirs supérieurs. Aristote insiste sur la permanence dans cette activité comme dernière condition de possibilité car, selon lui, toutes les autres conditions83(*) qu'on attribue d'ordinaire au bonheur se trouvent déjà dans cette activité. Ce qui fera d'elle un bonheur réellement parfait, c'est cette dernière condition : « qu'elle remplisse l'étendue entière de la vie de l'homme ; car aucune des conditions qui se rattachent au bonheur ne peut être incomplète »84(*). Ces conditions du bonheur dans la vie contemplative nous ramène à dire encore, comme nous l'avons dit dans le point précédent, que le bonheur aristotélicien est intégral car il n'obéit à aucune structure incomplète. Mais la contemplation, telle que décrite par Aristote, est-elle réellement possible dans les limites des forces et des capacités humaines ? Justement, Aristote répond lui-même à cette inquiétude. L'homme, dit-il, est capable d'une telle activité « non seulement en tant qu'il est homme mais surtout en tant qu'il a en lui quelque chose de divin »85(*). Ce "quelque chose de divin" est l'intellect ; il donne à l'homme sa nature en le distinguant des animaux mais aussi il porte l'homme à une puissance supérieure à son humanité. Ainsi donc, pour Aristote, « si l'intellect est quelque chose de divin par rapport au reste de l'homme, la vie selon l'intellect est une vie divine par rapport à la vie ordinaire de l'humanité »86(*). L'autre réponse à cette inquiétude est une invitation à lever toute naïveté, toute peur, tout pessimisme qui ferait croire que l'homme ne peut songer qu'à des choses humaines, que l'être mortel ne peut songer qu'à des choses mortelles comme lui. Il faut plutôt que « l'homme s'immortalise autant que possible ; il faut qu'il fasse tout pour vivre selon le principe le plus noble de tous ceux qui le composent »87(*) c'est-à-dire l'intellect. La vie la plus heureuse que l'homme puisse mener reste donc la vie contemplative. * 76 Il s'agit des principes fondamentaux de l'activité rationnelle qui sont la volonté, la liberté, la norme morale et la conscience personnelle. * 77 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p.57. Nous considérons ici, la définition selon laquelle le bonheur est l'activité de l'âme conforme à la raison. * 78 Idem, p.146. * 79 Saint Thomas, Somme théologique, op. cit., ( Ia, IIae, Q3, art. 8, réponse), p.41. * 80 Idem. * 81 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p.417. * 82Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p. 146. Le bonheur ainsi accessible, peut être par analogie la béatitude absolument parfaite dont nous savons, par la révélation, qu'elle est notre seule vocation première. Car le Christianisme, nous expliquant l'histoire du salut, nous présente l'homme comme ayant un désir naturel de Dieu, mais ce dernier se révèle à lui et le réalise. * 83 Les deux premières conditions des du bonheur sont : la suffisance à soi et la production d'un plaisir supérieur. * 84 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p.419. * 85 Idem. * 86Ibidem. * 87 Aristote, Ethique à Nicomaque, op.cit., p.420. |
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