La chefferie traditionnelle Bene a l'ère de la libéralisation politique au Cameroun et de ses ressorts: le cas de l'arrondissement de Nkol-Metet( Télécharger le fichier original )par Sylvain Charles AMOUGOU MVENG Université Yaoundé II SOA - DEA Sciences politiques 2009 |
Section II : La fragilisation de la grâce des ChefsA l'ère de la libéralisation politique, l'attention autour de la Chefferie traditionnelle s'est redoublée. L'exercice du pouvoir traditionnel est sous contrôle des forces politiques présentes dans la sphère territoriale de la Chefferie traditionnelle. Autrement dit, les logiques purement héréditaires et la dimension sacrée du pouvoir sont relativement escamotées. De plus en plus, la légitimité des Chefs traditionnels est remise en question ; aussi note-t-on un certain désamour de certaines autorités traditionnelles par des élites et des populations, ce qui transforme du coup les trônes des Chefs traditionnels en sièges éjectables. Ce constat est souvent renchéri par l'inanité de certains Chefs traditionnels en matière de développement socio économique et même socio politique. A Nkol-Metet, ces faits sont visibles ; et pour mieux les saisir, il nous échoit dans un premier paragraphe d'élucider la controverse autour de la légitimité des Chefferies traditionnelles, mieux des Chefs traditionnels. Dans le cas d'espèce, nous ferons essentiellement allusion aux Chefferies de Groupement nouvellement fonctionnelles à Nkol-Metet. Ensuite, dans un second paragraphe nous essayerons un tant soit peu d'élucider sur des causes du désamour des Chefs traditionnels à Nkol-Metet. Paragraphe 1 : De la légitimité controversée de la Chefferie traditionnelle à Nkol-MetetLa légitimité au-delà de la conformité au droit suppose de plus l'acceptation et la reconnaissance du droit de commander du pouvoir en place, par les membres d'une communauté (Ferrero et Aron cités par Grawitz, 2004 : 252-253). A Nkol-Metet, cette reconnaissance de commander est souvent quelque peu contestée. Cela se fait davantage ressentir au niveau des Chefferies de groupement qui, depuis leur fonctionnalisation, ont du mal à s'imposer dans le paysage socio administratif et socioculturel de Nkol-Metet. Les clivages politico ethniques sont souvent évoqués ; de même les critères ayant présidé à la désignation des Chefs de groupement à Nkol-Metet. A- Les ressorts ethniques de la controverse de la légitimité des Chefs A Nkol-Metet, la vie socio politique et socioculturelle s'appuie fondamentalement sur les appartenances ethniques. Bien que pratiquement, presque tous sont issus d'un ancêtre commun, certains clans Bene se veulent hégémoniques au point de mépriser les autres. C'est cet état esprit qui a animé les détracteurs de Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé dans la Chefferie Bene-Sud-Est. En effet, dans cette Chefferie de groupement, l'ethnie Mvog Essissima, qui est l'ethnie de Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé, est une minorité ethnique démographique 74(*) (voir tableau ci-dessus). La désignation de ce dernier a fait l'objet d'une contestation par ses pairs, et a même bloqué la procédure d'homologation de sa désignation. En ce sens que ses pairs détracteurs ont engagé auprès de l'Administration des recours, afin de lui barrer la route. Bien que ces recours ont quelque peu retardé son homologation75(*) Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé sera finalement confirmée Chef de groupement. Cependant, ce qui a favorisé la victoire d'Ondoua Menyié Paul Aimé, c'est sa grande activité au sein de L'ACTRAN, mais dans un cadre conjoncturel, la désorganisation de l'ethnie Mvog Zambo à travers ses candidatures multiples a considérablement joué en sa faveur. En effet, ce scrutin était constitué d'un électorat de 14 personnes qui étaient tous des Chefs traditionnels, parmi eux, il y'avait cinq Chefs traditionnels candidats à cette élection. Tableau 7:Candidats en lice
Source : enquêtes En d'autres termes, sur les cinq candidats en lice, trois étaient issus de l'ethnie Mvog Zambo, un de l'ethnie Mvog Essissima et un de l'ethnie Yembäe. Faute d'ententes entre les Mvog-Zambo, les résultats des urnes se présentaient ainsi qu'il suit : Tableau 8: Résultats du scrutin
Source : enquêtes Au demeurant, Sa Majesté Ondoua Menyié Paul Aimé, comme dans une dialectique des intelligents, a transformé la minorité ethnique démographique en groupe ethnique dominant. Et avec beaucoup d'arrogance et crânement affirme : « Essissima Nkoa, l'ancêtre des Mvog Essissima, était le fils aîné de MbarTsogo or, chez les Béti, le pouvoir traditionnel revient aux aînés. La loi du nombre est un principe démocratique certes, mais non un principe traditionnel76(*) ». B- La controverse de la légitimité liée aux critères de désignation des Chefs traditionnels L'avènement des Chefferies de groupement à Nkol-Metet, a posé un problème de critère de désignation des Chefs devant les incarner. Au départ le Préfet du Nyong et So'o de cette époque, Monsieur Ndongo James, lors d'une réunion de concertation avec les forces vives de l'Arrondissement de Nkol-Metet au mois de mai 2005, proposa que c'est au sein des Chefs de 3e degré qu'émerge les nouveaux Chefs de groupement. Ce dernier va se raviser lorsque des élites politico-administratives du terroir, lui feront savoir que ces Chefferies devraient être ouvertes à tous et pour tous77(*). Saisissant la balle au bond monsieur Mbala Zangana Benjamin brigua le trône de la Chefferie de groupement Bene-Nord-Est. Au moment où sa candidature à la désignation a été contestée par une certaine clique de Chefs traditionnels, qui évoquaient avec hargne qu'il n'avait pas la légitimité traditionnelle78(*), monsieur Mbala Zangana Benjamin s'est maintenu mordicus. En effet, contrairement à la désignation du Chef de groupement dans la Chefferie Bene-Sud-Est où l'électorat n'était constitué que des Chefs traditionnels, dans la Chefferie Bene-Nord-Est, Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin était le seul candidat non Chef de ce corps électoral, et sa victoire n'a tenu qu'à un fil, mais reste tout de même une victoire.79(*) Tableau 9 : Candidats en lice au départ
Tableau 10: Résultats du premier tour
Sources : Enquêtes Tableau 11: Résultats du tour final
Sources : Enquêtes La conséquence de l'âpreté de la désignation de ce dernier, à la tête de la Chefferie de groupement donne lieu à une gestion mitigée de cette Chefferie. En effet, Le spectre de la défaite aux élections de Sa Majesté Mbala Messi pèse grandement sur la gestion de la Chefferie de Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin. En effet, la clique des Chefs ayant pour figure de proue Sa Majesté Mbala Messi n'a jamais voulu lui faire des allégeances quelconques. La preuve en est que Sa Majesté Mbala Messi Manfred a boycotté la cérémonie d'intronisation de Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin alors qu'il était présent chez lui à Metet-Centre le jour de cette cérémonie officielle. Or, la symbolique même de celle-ci, a pour but d'adouber le nouveau Chef et pour les Chefs de catégories inférieures, de faire allégeance au nouveau Chef, par mimétisme ou flagornerie, qu'importe. La conséquence de cet état de choses est que Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin collabore essentiellement avec les Chefs reconnaissant son autorité, ce qui l'empêche de mener sereinement son action. Le secrétaire de la Chefferie de groupement et représentant du Chef d'Obout, Amougou Ada Albert80(*) le confirme en ces mots : « Le problème de notre groupement se trouve dans le fait que notre Chef travaille uniquement avec les Chefs qui l'ont élu, pourtant, une fois élu, il doit coopérer avec tout le monde ». Cet état de chose astreint Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin à s'appuyer fortement sur les Autorités Administratives, d'où l'émergence de velléités d'imposition dans la direction de la Chefferie de groupement. En principe, le Chef de groupement n'a aucune imposition à adresser aux Chefs de 3e degré, ces derniers ne doivent que répercuter les directives venant de l'Administration, notamment, celles émanant des Sous Préfets. Mais ce dernier peut procéder par trafic d'influences, surtout lorsque le Chef de groupement entretient de bonnes relations avec le Sous Préfet qui, selon les articles 28 et 29 du décret de 1977, ont compétence d'apprécier positivement ou négativement les activités des Chefs traditionnels. Au demeurant, le Chef de groupement dans une localité, est le collaborateur le plus proche du Sous Préfet. Madame le Sous Préfet de Nkol-Metet, Lombo Marthe nous le confirme au regard de sa collaboration avec les deux Chefs de groupement de Nkol-Metet. Elle affirme : « Notre travail serait harassant si on n'avait pas la présence des Chefs de groupement. Ils jouent le rôle d'éclaireur et balisent la voie du bon déroulement de nos tournées administratives »81(*). Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin s'appuie grandement sur cette Autorité pour poser des actions. Par exemple, pour se rendre aux obsèques de Sa Majesté Mbala Messi Manfred82(*) son adversaire politique, Monsieur E, nous fait savoir qu'il a d'abord pris avis chez Madame le Sous Préfet, qui lui assigna même de la représenter dans les différentes phases des obsèques de ce dernier. Le rapprochement quasi systématique de Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin auprès de sa hiérarchie est perçu de façon variable par les populations de son groupement. D'aucuns pensent qu'il n'a pas le charisme personnel pour anéantir les clivages nocifs qui gangrènent son action. Pour d'autres, il a plutôt pris des postures d'imposition. Un de ses proches collaborateurs nous l'affirme en ces termes : « Notre Chef de groupement se comporte comme un Sous -Préfet, il nous donne les directives sans nous consulter. Nous l'avons encore constaté lorsque nous devions recevoir Madame le Sous Préfet lors de sa tournée de prise de contact avec les populations de notre village. Au lieu de nous demander comment nous nous sommes préparés à cette cérémonie, ce dernier nous a plutôt imposé un certain nombre de choses (...) si c'est cela le groupement, je pense qu'à Nkol-Metet, vaudrait mieux le supprimer et conserver tout simplement les rapports Sous Préfets Chefs de village ». A nous référer au commentaire de Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin, il dément quelque peu ce commentaire, même s'il admet les velléités d'imposition sous l'actif d'une déformation professionnelle il affirme : « ce que je sais, c'est que je suis rompu au style administratif ». * 74Les minorités ethniques sont des groupes d'individus possédant un trait culturel ethnique commun (culture, langage, origine), sur lequel repose la distinction avec un groupe représentant la culture dominante et qui conduit à stigmatiser leur position sociale par rapport au groupe dominant (Alpe, 2005 : 162). En science politique, la minorité désigne un groupe occupant une position d'infériorité (numérique, ethnique, politique, économique, culturelle ou linguistique) par rapport aux groupes dominants, qui plus ou moins volontairement les excluent de la participation entière à la vie sociale (Grawitz, 2004 : 276). * 75Confère Arrêté n° 00135/A/MINATD/DOT/SDOA/SCT du 29/05/2009 homologation de désignation de M. Ondoua Menyié Paul Aimé en qualité de Chef de 2e degré Bane Sud Est,district de Nkol-Metet Arrondissement de Mbalmayo Département Nyong et So'o Région du Centre. * 76Source : Sa Majesté Ondoua MenyiéPaul Aimé, entretien du 01/02/2012 àMbalmayo. * 77 Source : Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin, entretien du 10/02/2012 à Metet-Centre. * 78Le père de Mbala Zangana Benjamin, Owono Mbala David a été sous Chef à la Chefferie de Mbala Messolo Offele. Ceci revient à dire qu'il n'est pas totalement extérieur aux valeurs de la Chefferie traditionnelle. * 79La victoire de Mbala Zangana Benjamin tient sur une combinaison de plusieurs capitaux. Les plus déterminants sont son capital symbolique et son capital économique. Du point de vue du capital symbolique, Sa Majesté Mbala Zangana Benjamin, bénéficie d'une certaine respectabilité et d'une honorabilité. De même, le fait d'avoir été plusieurs fois Sous Préfet-Maire lui confère une réputation de compétence. A le comparer à un Mbala Messi Manfred à Metet-Centre, il a construit la maison la plus spacieuse de ce village. Or, son adversaire jusqu'à sa mort se servait d'un entrepôt, comme lieu d'habitation et entrainait comme conséquence une absence à la Chefferie de structures d'accueils en cas d'éventuelle arrivée d'Autorités Administratives à Metet- Centre. Toujours est-il que dans ce registre du capital symbolique, Sa Majesté Mbala Messi bien qu'intellectuellement nanti de parchemins académiques était un disciple de "Bacchus" et l'affichait ostentatoirement, ce qui a quelque peu décrédibilisé sa candidature. Car malgré son charisme, son absence d'habitat digne de l'auguste Majesté doublée de sa passion pour les boissons alcooliques a considérablement entaché sa respectabilité et surtout sa réputation.S'agissant du capital économique de Sa majesté Mbala Zangana Benjamin, c'est celui là qui lui a permis d'améliorer sa stature symbolique. Sa Majesté a beaucoup investi dans l'immobilier : des villas à Mbalmayo et à Yaoundé. Il possède aussi plusieurs véhicules et entretient dans sa concession beaucoup d'enfants, par alliance et par la consanguinité. Enfin,il fait partie de la haute classe des Big-men ; mieux, de l'aristocratie de Nkol-Metet. Dans un cadre restrictif, à Metet-Centre, il demeure le seul jusqu'à présent à avoir eu une carrière de Chef de Terre. * 80 Source : entretien réaliser le 04/06/2011 à Obout. * 81Source : entretien réalisé avec Madame le Sous Préfet le 06/07/11. A la sous préfecture de Nkol-Metet. * 82Sa Majesté Mballa Messi est mort le 02 février 2012 et ses funérailles ont eu lieu du 08 au 09 février à Metet- Centre. |
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