Analyse de l'accord de partenariat economique (APE) intérimaire dans la coopération multilatérale Cameroun-Union Européenne (UE)( Télécharger le fichier original )par Hermann NDADJO MBA Université de Yaoundé2-Soa/IRIC - Master en Relations Internationales, Option: Intégration Regionale et Management des Institutions Communautaires (IRMIC) 2013 |
Section2 : Etat des Lieux des APE au Cameroun.Après sa signature en 2000, le processus de négociation des APE au sein des enceintes régionales va s'enclencher à partir d'octobre 2003 à Brazzaville afin d'établir« un partenariat véritable, stratégique et renforcé » entre le groupe des pays ACP et l'UE. Ces négociations vont s'avérer particulièrement difficiles en dépit de la volonté de poursuivre les relations commerciales entre l'Afrique Centrale et l'UE. A cause de la persistance des divergences entre les parties, l'Afrique Centrale et l'UE ne vont pas conclure un accord régional en décembre 2007 comme prévu dans la feuille de route des négociations. Au contraire, pour éviter d'être reversé dans le Système des Préférences Généralisées (SPG), le Cameroun et l'Union Européenne vont parapher un APE intérimaire qui sera confirmé par une signature officielle le 15 Janvier 2009. Ce dernier est ratifié le 22 juillet 2014 et il est entré en vigueur le 04 août de la même année. Cette démarche solitaire du Cameroun répondait à des mobiles qui sont aussi bien d'ordre économiques que stratégiques. Au plan économique, il était question pour le Cameroun non seulement de préserver ses intérêts économiques vitaux, mais aussi de se conformer aux prescriptions nouvelles qui sont celles de l'OMC qui demande que les échanges soient libéralisés et accélérés.129(*) Pour ce dernier, via cet accord il entend maintenir ses intérêts commerciaux majeurs vis-à-vis de l'UE et d'éviter une brusque imposition des taxes douanières sur ses exportations vers le marché européen comme l'affirme l'UE relativement aux pays qui n'ont pas signé un APE avant la date butoir du 31 décembre 2007.130(*) A ce sujet, le Ministre de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du Territoire (MINEPAT) de l'époque a affirmé que : « il se fait simplement que nous avons un certain nombre d'exigences qui n'ont pas encore trouvé de réponses. Mais comme dans le même temps le Cameroun en tant que pays a aussi ses préoccupations que je peux qualifier de nationales, parce que nous avons une économie qui n'est pas forcement celle de tous les autres pays. Nous avons un certain nombre de produits d'exportations qui risquaient d'être frappés, c'est-à-dire de ne pas pouvoir entrer dans le marché de l'UE dans les conditions que nous connaissons. C'est la raison pour laquelle il était bon que le Cameroun négocie un accord intérimaire parce qu'il devrait nous mener vers un accord régional complet que nous négocions avec l'Union Européenne ». Une telle motivation, quoique officielle, affiche une impertinence notoire dans la mesure où le Cameroun, comme la majorité des PVD, produit peu, ne transforme pas assez localement et, pis encore, exporte principalement des produits bruts (banane, cacao, café, coton, aluminium, pétrole brut, etc.) qui ne recèlent aucune valeur ajoutée comparativement aux produits manufacturés et industriels de marque européenne. L'effet multiplicateur du développement réside davantage dans la capacité d'un Etat à transformer ses produits localement afin d'y inclure de la valeur ajoutée. De même, un Etat qui entend tirer profit de l'échange international doit s'arranger à exporter plus qu'il n'importe, ce qui ne semble pas être le cas des pays ACP en général et du Cameroun en particulier. L'UE reste à ce jour le principal partenaire commercial du Cameroun avec un volume des échanges estimé à 2294,4 milliards de FCFA en 2012, soit plus de 67% du total des échanges.131(*) En revanche, la part du Cameroun reste marginale dans les échanges extérieures de l'UE, soit 0,4%. La structure des exportations met en exergue une concentration autour d'un nombre réduit de produits qui sont pour la plupart soit des produits primaires, soit des produits à très faible valeur ajoutée.132(*) Les défis qui se présentent aujourd'hui sont à la dimension du nouvel accord de Cotonou où le pays est tenu de s'acclimater très vite des exigences de la mondialisation. Au plan stratégique, le Cameroun qui est le pôle intégrateur133(*) de la CEMAC entendait, par la signature de l'APE intérimaire, dissuader et amener ses homologues à signer un accord global engageant l'ensemble des pays de l'Afrique Centrale. Cette manoeuvre transparait dans cette déclaration du ministre camerounais de l'économie : « si le gouvernement camerounais a décidé de parapher seul cet accord d'étape, il espère bien que d'autres Etats de l'Afrique Centrale se joindront à lui au moment de la signature définitive ».134(*) Cette assertion est corroborée par celle du Directeur General du Développement à la Commission européenne qui affirmait pouvoir « compter sur le Cameroun en tant que locomotive économique dans la région pour impulser et alimenter une dynamique de négociation en Afrique Centrale [...] le présent accord d'étape signé entre le Cameroun et l'UE est sans doute une étape essentielle vers la conclusion d'un Accord de Partenariat Economique régional avec l'Afrique Centrale. ».135(*) Dans cette section, nous examinerons de façon plus profonde l'APE intérimaire en vigueur au Cameroun (P1) avant de revisiter l'étendue des domaines couverts par l'APE intérimaire (P.2) p1. L'APE intérimaire et le Cameroun. · Spécificités de l'APE Intérimaire signé par le Cameroun Le document juridique est dénommé « accord d'étape vers un accord de partenariat économique entre la Communauté européenne et les Etats de l'Afrique central ». Juridiquement, la revue des parties et des dispositions du document montre que cet APE dit intérimaire est précisément un accord commercial régional. Sauf qu'il n'a été signé du côté « Afrique centrale » que par la République du Cameroun sans aucun accord préalable des autres parties : les sept autres pays des deux communautés régionales (CEMAC et CEEAC). De fortes réticences ont toujours été exprimées dès le départ de ce projet tant par les sociétés civiles que les Etats. Ces réticences sont justifiées notamment par la crainte sur leurs marchés de la concurrence des produits agricoles européens largement subventionnés, la perte potentielle de recettes douanières essentielles aux budgets des Etats et l'absence de nouveaux avantages à l'entrée sur le sol européen. Dès lors, au regard de ses intérêts bien maîtrisés, l'Union Européenne a déployé des mesures d'intelligence économique destinées à stimuler les pays à participer aux négociations tout en fragilisant fondamentalement l'intégrité du processus et le leadership desdits pays. C'est dans ce contexte désavantageux que se situe l'approche de préparation et de négociation du gouvernement camerounais. La signature de l'APEI entre le Cameroun et l'UE fait suite non seulement à la difficulté de conclure un APE régional à l'échéance initiale, mais aussi à la volonté du Cameroun de protéger certains secteurs de son économie. En effet, lorsqu'il est apparu qu'un APE régional ne pouvait pas être conclu en Afrique Centrale, et compte tenu des difficultés relatives à la conclusion d'un accord couvrant un grand nombre de pays, l'UE a proposé la conclusion d'un accord intérimaire ayant vocation à s'appliquer avant qu'un accord complet puisse entrer en vigueur. Ainsi, 20 pays ont signé ledit accord à ce jour parmi lesquels le Cameroun. A la lumière de son contenu, L'APEI est essentiellement tourné sur le commerce des marchandises, mais prévoit la poursuite des négociations sur les volets du développement et des services. Le Cameroun est la principale économie en Afrique centrale et le principal partenaire de l'UE avec plus de 66% de ses échanges extérieures. Sous les conventions de Lomé, le Cameroun a exporté en franchise douanière de nombreux produits sur le marché européen, dont la banane qui bénéficiait d'un système de quotas.136(*) A l'absence d'un accord avec l'UE, le régime commercial applicable aux exportations de banane du Cameroun (soit 06% des importations de banane du Cameroun) allait être celui du SPG qui est un régime moins favorable pour un certain nombre de produits comme l'illustre le tableau suivant : Tableau1 : Droits de Douanes applicables aux produits exportés vers l'UE sans et avec APE, pour les non PMA, depuis le 1er janvier 2008 à nos jours.
Source : Agritrade, APE Afrique Centrale-UE, note de synthèse, 2015, p.26. A la lecture du tableau précédent il est évident que, sans APE, les importations de bananes du Cameroun allaient être taxées au même titre que celles des pays latino-américains, à leur entrée sur le marché européen, d'un droit de douane de 176 euros/tonne. Pour éviter la concurrence avec les pays latino-américains, le gouvernement camerounais a opté de signer un APEI destiné à régir ses relations commerciales avec l'UE en attendant qu'un APE régional soit conclu. L'accord intermédiaire a été approuvé par le parlement européen le 13 juin 2013 et ratifié par le parlement camerounais le 22 juillet de l'année suivante, et depuis son entrée en vigueur (le 04 août 2014), le Cameroun a désormais la latitude d'exporter ses produits vers l'UE en toute franchise des droits de douanes et sans contingents. · Contours et objectifs de l'APEI L'accord provisoire Cameroun-UE ouvert à tous les pays de la sous-région Afrique centrale a été paraphé par le Cameroun pour éviter la perturbation de ses exportations vers l'UE après la date butoir du 31 décembre 2007, date qui marquait la fin des dispositions commerciales de l'accord de Cotonou.137(*) Ainsi, en l'absence d'un APE régional avec tous les pays de l'Afrique Centrale, l'APE d'étape codifie les relations commerciales entre l'UE et le Cameroun en attendant que les négociations sur la signature d'un accord régional global aboutissent. Ledit accord a pour objectif de « contribuer à la réduction et à l'éradication ultérieure de la pauvreté par l'établissement d'un partenariat commercial cohérent avec l'objectif de développement durable et les objectifs du développement du millénaire, et de promouvoir une économie régionale en Afrique centrale plus compétitive et plus diversifiée, et une croissance plus soutenue ».138(*) Sans attendre son processus de ratification et en vertu du règlement 1528/2007 d'accès au marché de l'UE, le Cameroun a bénéficié de façon anticipée des avantages de l'accord intérimaire dès le 01er janvier 2008. Ces avantages lui ont garanti en particulier un accès libre et sans précédent au marché de l'UE pour ses produits d'exportation tels que la banane, l'aluminium, les produits transformés du cacao, les contreplaqués et d'autres produits agricoles frais ou transformés.139(*) Par contre, le Cameroun n'a pas encore mis en oeuvre la réciprocité deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord. Ce dernier manifeste une certaine prudence dans le processus de libéralisation de son marché avec l'UE et l'ouverture l'effective de son marché est censée intervenir à la fin de cette année 2016. De plus, cet accord a induit une conformité des relations commerciales entre le Cameroun et l'UE aux règles de l'OMC tout en assurant la sécurité aux exportateurs camerounais sur le marché européen. Mais, en contrepartie de l'ouverture des barrières tarifaires et non tarifaires aux exportations du Cameroun en direction du marché européen, l'accord dispose que le Cameroun doit à son tour libéraliser 80% de ses importations en provenance de l'UE sur une période de quinze (15) ans compte tenu de l'asymétrie des économies en présence. Ce dernier a consenti d'ouvrir son marché progressivement de façon à atteindre 80% d'ici à 2023. De par son caractère transitoire, il vise à donner plus de temps aux négociateurs de la sous-région pour parvevenir à un accord régional plus global ; car l'accord régional complet, qui devrait remplacer à terme l'accord intérimaire, est plus bénéfique dans la mesure où il va permettre aux Etats de l'Afrique centrale de tirer avantage de l'APE tout en sauvegardant les acquis de la construction communautaire, notamment en ce qui concerne la mise sur pied d'un marché régional viable. Au plan communautaire, les pays de l'Afrique centrale sont en majorité des PMA140(*) à l'exception du Cameroun, du Congo Brazzaville et du Gabon. Pour cela, ils bénéficient depuis mars 2001 du libre accès au marché de l'UE au titre de l'initiative TSA. Ces derniers ne sont donc pas concernés dans les négociations pour un APE avec l'UE dans la mesure où le traitement préférentiel de Lomé leur est garanti sous forme de TSD. L'UE ayant révisé récemment son SPG141(*) pour le recentrer sur les pays qui ont le plus besoin des préférences, les pays classés à « revenu moyen supérieur » ne peuvent plus en bénéficier depuis le 01er janvier 2008. Seul un APE permettra au Gabon et au Congo Brazzaville de bénéficier comme le Cameroun, du libre accès au marché européen grâce à la conclusion d'un partenariat avec l'UE. p2. L'étendue des domaines couverts par l'APE intérimaire au Cameroun. · L'entrée en vigueur effective de l'APEI : la démarche prudente du Cameroun La ratification de l'APEI a été faite par décret du Président de la République du Cameroun le 22 juillet 2014. Ces décisions sont postérieures aux actions initiées par l'UE. En effet, l'APE, après approbation par l'OMC et le Parlement Européen était appliqué de façon unilatérale par l'UE sans attendre l'entrée en vigueur définitive de l'APE du côté camerounais. Au Cameroun par contre, c'est après sa ratification le 22 juillet 2014 que l'APE intérimaire devrait être appliqué provisoirement par chacune des parties, dix jours après réception par la Communauté Européenne de la notification de la ratification. C'est fort de cela que l'application provisoire de l'APE intérimaire est seulement effective au Cameroun depuis le 04 août 2014. Etant donné que l'article 21 de l'APE intérimaire stipulait que le démantèlement tarifaire du marché camerounais devait démarrer deux ans après l'entrée en vigueur projetée en début 2010, il se trouve donc que cette ratification survenue le 04 août 2014 entraînera le début de la libéralisation du marché camerounais le 04 août 2016. Cela commencera par la suppression des droits de douane sur la première catégorie des lignes tarifaires (1726 au total) pour 25%. Le tableau ci-après fait le point sur le niveau de liberalisation par noyau d'importation des produits du Cameroun. Tableau2: Niveau de liberalisation du marché camerounais par noyau d'importation de produits.
Source142(*): Edoa, 2014. L'accès libre au marché de l'UE pour les exportations du Cameroun sonne à la fois comme une motivation de ce pays à signer l'APE intérimaire et comme un enjeu de cette signature. L'accord consacre également les engagements de l'UE et de ses Etats membres d'aider les exportateurs du Cameroun à satisfaire les normes de l'UE afin de ne pas faire face aux barrières non tarifaires. Enfin, cet accord porte sur des filières stratégiques pour lesquelles le Cameroun a voulu privilégier son accès préférentiel sur le marché européen. Il s'agit, à titre illustratif des filières telles : banane, aluminium, cacao transformé, fruits frais, etc. Pour le ministre camerounais de l'économie, la ratification par le Cameroun d'un APE intérimaire avec l'UE doit être perçue comme « une approche stratégique qui traduit l'ambition du Cameroun de conquérir des parts de marchés sur la scène internationale, et surtout de préserver l'accès préférentiel de ses produits d'exportation sur le marché européen ».143(*) Cet APE intérimaire est un accord qui couvre essentiellement le commerce des marchandises. Il a permis au Cameroun de garder un accès préférentiel de ses exportations sur le marché de l'UE depuis le 01er janvier 2008. Dans cet accord, il convient de noter que le démantèlement tarifaire va s'opérer de manière progressive.144(*) Le tableau suivant fait le point sur le groupe de produits ainsi que le calendrier de démantèlement tarifaire de l'offre du Cameroun. Tableau3 : Groupe de produits et calendrier de démantèlement tarifaire de l'offre du Cameroun
Source : MINEPAT, la lettre économique du Cameroun, no 0025, août 2014, p.5. Au vu de ce qui précède, il en ressort que le Cameroun adopte une démarche prudente dans la mise en oeuvre de l'APE intérimaire. Dans cet accord, il a accepté d'ouvrir son marché à hauteur de 80% aux importations de l'UE. Cette libéralisation s'étalera sur quinze (15) ans avec une période moratoire de deux ans et se fera par groupe de produits. Trois groupes de produits145(*) à libéraliser ont été identifiés en fonction de la nature des biens concernés. Le premier groupe de produits comprend les biens de première nécessité destinés à la consommation des ménages afin de pallier le problème de la pauvreté. Ce sont les matières premières ainsi que certains biens d'équipements pouvant permettre aux entreprises de limiter leurs coûts de production. Le deuxième groupe concerne les machines et autres produits d'équipements, les machines, les demi-produits et autres matières premières destinées à soutenir l'industrie locale. La libéralisation de ce domaine vise à soutenir l'investissement en permettant aux entreprises de mettre à niveau leurs équipements et d'être plus compétitives. Le troisième groupe enfin concerne les produits à tarifs élevés à l'instar des demi-produits, des produits finis non fabriqués localement, ainsi que les matières premières et autres biens d'équipements qui contribuent fortement aux recettes douanières. L'objectif escompté de cette libéralisation tardive est de permettre l'émergence d'un tissu industriel dans les secteurs concernés. · Critères et modèle de viabilité économique de l'APE intérimaire Cameroun-UE. Dans un article fort instructif d'Assen SLIM146(*), les critères objectifs pour mesurer la viabilité d'un accord de libre-échange sont clairement exposés. Quatre critères peuvent être utilisés pour évaluer la viabilité économique de l'APE intérimaire: - il doit rassembler les pays à niveau de développement comparable; - les pays doivent avoir des économies à fort degré de concurrence et de spécialisation; - les pays doivent avoir un commerce mutuel important entre les membres et une forte complémentarité; - l'accord doit être en adéquation avec le contexte économique mondial en vigueur et prévisible. Or, sur le terrain, la réalité est toute autre. Les importations du Cameroun en provenance de l'UE sont plus diversifiées et concernent essentiellement des produits manufacturés tels que les machines et les appareils mécaniques, les machines et les appareils électriques, les véhicules automobiles et les tracteurs ainsi que les produits pharmaceutiques. Selon la logique des échanges en zone de libre-échange, le Cameroun aura tendance à se spécialiser dans la production des matières premières et produits de base alors que l'UE le sera dans les produits manufacturés ou transformés. Cette configuration est défavorable pour l'avenir et les perspectives de l'économie du Cameroun. De plus, l'APE n'est pas en adéquation avec le contexte économique mondial marqué par une dynamique forte à l'intégration régionale qui se traduit par un taux élevé du commerce intra-régional dans chacun des différents continents à l'exception de l'Afrique. Relevons que le commerce intra-régional se situe à 60% en Europe, 40% en Amérique, 30% en Asie contre seulement 12% en Afrique.147(*) L'Afrique doit opérer une transformation dans ce sens pour rattraper ce retard, et pour le Cameroun et les pays d'Afrique Centrale, l'APE n'est pas une réponse pertinente. En outre, l'évolution du leadership économique mondial vers l'Asie à l'horizon 2030 et encore plus en 2060 caractérisée par un bouleversement radical de la structure de la production et des échanges de l'Occident vers l'Asie et établie dans un rapport récent de l'OCDE n'est pas prise en compte par l'APE.148(*) Au stade actuel, l'APE est un accord incomplet car il ne comporte pas de volet développement et reste ambigu sur la question du financement des mécanismes d'ajustement. Pour les pouvoirs publics camerounais, il n'est ni porteur de croissance, ni de développement durable qui constitue l'un des objectifs poursuivis par l'APE tel qu'il ressort de l'esprit de l'Accord de Cotonou. Pour qu'il puisse atteindre l'objectif précité, il y a lieu d'engager des concertations en vue de négocier les questions en suspens et d'identifier de manière consensuelle les mécanismes d'ajustement ou les besoins d'assistance de l'UE au Cameroun149(*). Il convient à cet égard de noter que les seuls engagements contraignants et opposables entre les parties seront ceux contenus dans un accord. 2ème Partie : L'APE INTERIMAIRE ET SES ENJEUX POUR LE CAMEROUN : RISQUE ECONOMIQUE OU AMBITION REALISTE POUR SON DEVELOPPEMENT ? Le débat sur la pertinence des APE aujourd'hui est aussi vieux que la coopération UE-ACP elle-même. Aussi, le choix du Cameroun, à la différence des autres pays d'Afrique Centrale, de conclure un APE bilatéral avec l'UE connait une appréciation variée qui oppose les acteurs optimistes aux analystes pessimistes. Pour les optimistes, c'est en s'ouvrant aux autres qu'on est à même de décoller économiquement ; car, le libre échange est porteur de concurrence et de compétitivité qui sont des leviers d'innovation et de croissance. De plus, l'on se découvre et se réhabilite lorsqu'il se confronte à l'obstacle. Selon ce schéma, le choix opéré par le Cameroun est tout simplement stratégique et correspond aux impératifs internes de restructuration et de reconfiguration de son économie dans la perspective de son émergence à l'horizon 2035. Cette lecture est largement défendue par les pouvoirs publics camerounais,150(*) même si l'on peut questionner la nature et le niveau de compétitivité des produits du Cameroun sur le marché international en général et celui de l'UE en particulier. Pour les pessimistes, 151(*)en revanche, l'ouverture à l'UE sans mesures d'accompagnement adéquates va plutôt perpétuer l'asymétrie économique qui prévaut déjà entre les parties en présence, notamment du fait des indicateurs macroéconomiques qui restent médiocres au Cameroun. Autrement dit, ce nouvel accord qui va modifier fondamentalement les relations commerciales entre le Cameroun et l'UE va être un plomb dans l'aile de l'économie camerounaise qui est incontestablement jeune, fragile, désarticulée et inapte à affronter avec faste une compétition de grande envergure et de niveau international. Des voies favorables et défavorables s'élèvent ici et là sans véritablement mettre en lumière leur dynamique de fond. Ces voies n'ont pas seulement en commun un positionnement corporatiste en deçà des défis collectifs de développement que posent les APE, mais aussi une médiocrité analytique dans l'étayement et l'explicitation des grands défis des APE par rapport au développement de l'Afrique. Au lieu de mettre en exergue une analyse multi variée et un regard de long terme, les avocats lorgnent sur une extension possible de leur clientèle inhérente au nouvel essor probable du droit des affaires, les hommes d'affaires pondèrent plus les possibles joint-ventures que les effets sociétaux, et les politiciens regardent plus du côté des dividendes politiques sous formes de financement de l'UE que vers la dynamique globale d'une société africaine dans une économie mondialisée. Au-delà de ces controverses, les APE ne doivent pas être exaltés ou diabolisés a priori.152(*) Ils apparaissent comme un levier de développement qu'il convient de capitaliser en minimisant au maximum les risques de déviation que cet accord offre.153(*) Pour ce faire, cette seconde partie va s'articuler autour de deux (02) axes majeurs à savoir : l'Impact de l'APE intérimaire sur le Cameroun (Chapitre3) et les Perspectives pour une Redynamisation de l'APE intérimaire dans la Coopération Cameroun-UE (Chapitre4). * 129 Jeanine FANKAM, « ouverture des marchés : les engagements pris par le Cameroun et l'UE », in Cameroon Tribune du lundi 19 janvier 2009, p.5. * 130 Pour plus de détails à ce sujet, lire Jeanine FANKAM, « ouverture des marchés : les engagements pris par.... », op. cit. Voir aussi Raymond EBALE, « Accord de Partenariat Economique (APE). Pourquoi et Comment le Cameroun a signé ? », in Le Jour, No 95 du jeudi 07 février 2008, pp. 8-9. * 131 MINEPAT, op cit. p.9. * 132 Ibid. * 133 Pour plus de détails, voir Daniel ABWA, « Cameroun, moteur essentiel du processus d'intégration en Afrique Centrale ? » in Daniel ABWA et als., Dynamiques d'intégration régionale en Afrique centrale, PUY, 2001, tome2, pp. 499-512. * 134 Corine KOUM, « le Cameroun signe l'accord d'étape », in La Nouvelle Expression No 2131 du 18 décembre 2007, p. 4. * 135 Ibid. * 136 Ce quota était de 162.000 tonnes en 1998 et de 293.000 tonnes en 2003. * 137 Fiche d'information sur l'APE ..., op. cit., p.7. * 138 Raymond EBALE, Comprendre les APE...... op. cit., p. 129. * 139 Ibid. * 140 Il s'agit en l'occurrence de la RCA, de la RDC de Sao Tomé et Principe et de la Guinée Equatoriale. * 141 Le SPG est un système d'accès aux marchés accordés de façon discrétionnaire par les Pays développés à certains PVD. Ce régime est appliqué en RDC. Il est moins favorable que le régime non réciproque de l'accord de Cotonou. * 142 Edoa G. D., présentation et mise en oeuvre de l'APE d'étape entre le Cameroun et l'UE, communication au séminaire « APE Cameroun-UE. Un nouveau partenariat pour le commerce et le développement », organisé par la commission européenne et le MINEPAT dans le cadre du salon PROMOTE 2014, décembre 2014. * 143 Extrait de l'interview de M. Emmanuel NGANOU NDJOUMESSI, Ministre de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du Territoire (MINEPAT) du Cameroun, in la Lettre Economique du Cameroun, No 0025, août 2014, p.2. * 144 Ibid. * 145 La Lettre Economique du Cameroun, op. cit. p.3. * 146 Assen SLIM , « Une Zone de Libre-échange dans les Balkans a-t-elle un sens ? », Balkanologie VII, pp. 171-188, 2003. * 147 OCDE (2012), p. 7. * 148 KARINGI et al. (2004),......op. Cit, p. 49. * 149 C'est ce qu'il en ressort du plan de modernisation de l'économie camerounaise dans la perspective de l'entrée en vigueur de l'Accord de Partenariat Economique (APE), publié par le MINEPAT en octobre 2013. * 150 DSCE, p.120. * 151 Nous pensons notamment au Groupement Inter patronal du Cameroun (GICAM), du Mouvement des Entrepreneurs du Cameroun (MECAM), du Groupement des Femmes d'Affaires du Cameroun (GFAC) et l'Association pour la Sensibilisation sur les Accords ACP-UE (ASAC). Au niveau régional on a l'Union des Patronats d'Afrique Centrale (UNIPACE) et le Réseau pour l'Intégration des Femmes des ONG Africaines (RIFONGA). * 152Pour plus de détails, lire Achille BASSILEKIN, L'APE entre le Cameroun et la Communauté Européenne : le pragmatisme européen à la rencontre d'une ambition stratégique camerounaise, Genève, décembre 2008. * 153 Yves Paul MANDJEM, Les APE et le Cameroun, ..... op. cit., p.4. |
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