Introduction générale
Si la politique monétaire a, toujours, donné
lieu à tellement de débats, c'est parce que l'objet de son
contrôle, la monnaie, est lui-même un sujet permanant de
controverses. L'un des exemples les plus célèbres du débat
concernant l'influence de la monnaie sur l'économie est la
réponse de Stuart Mill aux mercantilistes qui estimaient que la
détention de monnaie est le signe de la richesse : « Il n'y a
rien de plus insignifiant que la monnaie »1.
Les oppositions théoriques sur le rôle de la
monnaie génèrent nécessairement des conséquences
sue l'analyse des mécanismes de transmission des modifications du volume
de monnaie en circulation. Le contrôle de l'évolution de
l'agrégat monétaire est traditionnellement
considéré comme l'un des objectifs intermédiaires de la
politique monétaire alors que les objectifs finals sont fondés
sur la recherche des prix stables et d'une croissance ferme. Cette distinction
entre objectifs intermédiaires et finals repose sur le fait qu'il existe
une relation relativement stable entre les deux types d'objectifs au cours du
temps, la banque centrale peut agir plus aisément et plus directement
sur l'agrégat monétaire que sur l'inflation et/ou sur la
croissance (notamment par le biais des opérations d'Open Market
ou les réserves obligatoires).
Comme tout bien, la monnaie est offerte est demandée.
Si toutes les analyses considèrent que l'offre est exogène,
c'est-à-dire est fixé de façon indépendante par le
système bancaire, la demande de monnaie, elle, provient de tous les
citoyens dont il est impossible de suivre les comportements et les motivations
individuelles. La définition de la demande de monnaie diffère
selon les auteurs et les écoles auxquelles ils appartiennent. En effet,
certains ne prennent en considération que la monnaie au sens
étroit qui permet effectuer des transactions (Théorie
Quantitative de la Monnaie, Ecole de Cambridge), tandis que d'autre y
intègrent certains instruments d'épargne (l'approche
keynésienne). Aussi, lorsque l'on s'intéresse à sa mesure,
ses variables explicatives sont nombreuses, aussi bien objectives,
macroéconomiques comme le niveau général des prix et le
taux d'intérêt, et microéconomique comme le revenu, que
subjectives, par exemple l'incertitude et les risques de moins-values, de sous
rémunérations ou d'illiquidité.
Depuis les travaux pionniers de Friedman [1956], la fonction
de demande de monnaie a suscité l'attention des chercheurs, les
décideurs et les gouverneurs aussi bien dans les pays
développés et en développement. Selon Friedman et Schwartz
[1982], Laidler, [1982], la demande de monnaie est un élément
très important dans la formulation et la prise de décision
en matière de politique monétaire. De
même, d'après Goldfeld [1994]2, la relation entre la
demande de monnaie et ses principaux déterminants est un
élément important dans les théories
macroéconomiques et est un élément crucial dans la
conduite de la politique monétaire.
L'importance de la fonction de demande de monnaie a
mené plusieurs économistes à étudier empiriquement
la relation entre la demande de monnaie et ses déterminants. L'un des
objets des études empiriques est d'estimer la réaction de la
demande de monnaie aux variations du revenu, du taux
d'intérêt....etc. Au coeur de ces études sur la fonction de
demande de monnaie est la question de sa stabilité. Friedman [1956],
affirme que la demande de monnaie est stable, il stipule que « Les
fluctuations aléatoires de la demande d'encaisses sont faibles et son
évolution peut être prévue avec une précision
raisonnable au moyen de la fonction de demande de monnaie
»3. L'objectif d'étudier la stabilité de
fonction de demande de monnaie est basé sur le fait qu'elle a des
implications importantes sur la conduite de la politique monétaire et sa
mise en oeuvre. Si cette fonction s'avère instable, alors il n'y a plus
de politique monétaire assurée ni de possibilité de
ciblage monétaire crédible.
La modélisation économétrique de la
fonction de demande de monnaie a fait l'objet de nombreux travaux à la
fois théoriques et empiriques, la plupart de ces études sont des
variantes déduites de la courbe LM4 . On y régresse,
par exemple, les encaisses réelles (Md/p) sur l'output réel (Yi)
ou une autre mesure du volume des transactions dans l'économie, plus une
variable comme le taux d'intérêt à court terme qui capte le
coût d'opportunité de détention de la monnaie. Mais, de
telles approches sont implicitement ou explicitement assises sur un double
postulat de l'existence et de la stabilité d'une telle fonction.
L'économétrie des séries non stationnaires a connu de
nombreux développements à travers le temps notamment la
théorie de la cointégration, proposée par Granger et Weiss
[1983], formulée par Granger [1981] et développée par la
suite par Engel et Granger [1987] et Johansen [1988, 1991]5.
L'intérêt croissant de ce concept réside dans le fait qu'il
autorise l'estimation et les tests des relations d'équilibre de long
terme entres les variables. Cependant, la démarche classique peut
parfois produire des résultats peu satisfaisants car la non-prise en
compte des chocs majeurs dans la dynamique des données peut avoir des
répercussions négatives sur la qualité du modèle
ou
2 Kjosevski J. (2013), «The determinants and
stability of money demand in the Republic of Macedonia», Zb. rad.
Ekon. fak. Rij, vol. 31, pp. 35-54.
3 Mishkin F. et al. (2010), Monnaie,
banque et marchés financiers, Pearson, France.
4 Note sur la monnaie dans les modèles
macroéconomiques : Document de travail de l'université de
Montréal. Automne 2001.
5 J. Paul K. et al. (2013), «
Cointégration et modèle à correction d'erreur »,
LAREQ publications, vol. 8, n0 3.
6 Bouoiyour J. and Kuikeu O. (2007), «
Relevance of the CFA France devaluation in January 1994: An evaluation by the
real exchange rate equilibrium. The case of Cameroon », MPRA
Paper, n0 31357, pp. 1-35.
même conduire à rejeter à tort
l'hypothèse de coïntégration. En effet, Gregory, Nason et
Watt [1994] et Campos, Ericsson et Hendry [1996], montrent par simulation de
Monte Carlo que, la puissance asymptotique du test classique d'Engle et Granger
[1987], s'amenuise considérablement en présence de break
structurel dans la relation de cointégration6.
Problématique :
Inspirée des fondements théoriques d'origine
monétariste, l'utilisation d'un agrégat monétaire comme
objectif intermédiaire de la politique monétaire repose
crucialement sur l'hypothèse de l'existence d'une fonction d'encaisses
réelles stable à long terme, Friedman [1956]. Cette
hypothèse est aussi un élément important de la nouvelle
école classique (Sargent et Wallace [1975], Barro [1993]). Le gros de
notre travail consiste dans ce sens, à estimer et vérifier cette
hypothèse de stabilité de la fonction d'encaisses, dont l'enjeu
économique et théorique n'est plus à relever. De
manière spécifique, nous devrions :
1) Vérifier à l'aide d'outils
économétriques appropriés, l'existence ou non d'une
relation coïntégrante de demande de monnaie en Algérie ;
2) Déterminer de façon fiable un modèle
de prévision de la valeur de référence de l'agrégat
monétaire M2 en Algérie ;
3) Dégager un certain nombre de recommandations,
nécessaires à une meilleure orientation de la politique
monétaire.
De manière concrète, il a été
question de vérifier s'il existe une fonction stable de demande de
monnaie en Algérie. Cette stabilité constitue un critère
important pour la mise en oeuvre d'une politique monétaire efficace,
visant la stabilité des prix par le biais du contrôle d'un
agrégat monétaire. Deux hypothèses vont être
testées. La première, inspirée par McKinnon et al.
[1984] et Ambler et McKinnon [1985], considère comme source
d'instabilité économétrique l'omission d'une variable
importante de l'analyse, c'est-à-dire le taux de change. La
deuxième est l'existence, sur la période étudiée,
d'un ou plusieurs changements structurels au niveau de l'économie
Algérienne. Par exemple, en Algérie on peut recenser au moins
trois changements susceptibles d'avoir influencé, directement ou
indirectement, l'économie dans sa totalité. Ce sont le passage de
l'économie planifiée à l'économie de marché
; l'instauration de la nouvelle loi sur la monnaie et le crédit et
l'ajustement structurel de 1994. Ce genre de problème se
répercute directement sur la qualité de
l'estimation en biaisant des tests d'hypothèse et surtout ceux
concernant la stabilité de la relation estimée.
Le moyen principal utilisé pour tester ces
hypothèses est la cointégration, auquel s'ajoutent une
série de tests spécifiques nécessaires à la
détection d'un changement structurel. Cette approche, très en
vogue ces dernières années, permet de déterminer des
relations de long terme entre les variables. L'idée est très
simple : la plupart des variables économiques ne sont pas stationnaires
(c'est-à-dire leur premier et/ou deuxième moment dépendent
du temps) ; ceci entraîne que les méthodes d'estimation classiques
tels que les moindres carrés donnent lieu à des résultats
sans fondements statistiques.
Tout au long de ce travail, nous essayerons de répondre
au mieux aux différentes préoccupations ci-dessus posées.
Pour cela nous organisons notre travail en quatre chapitres, le premier
consiste en une brève revue de littérature théorique et
empirique sur la demande de monnaie afin d'y ressortir les principaux
déterminants de la demande de monnaie. Dans le second on
s'intéressera à l'évolution macroéconomique de
l'économie algérienne et de sa politique monétaire de 1990
jusqu'à ce jour. Dans le troisième chapitre on abordera les
sources des données utilisées dans la modélisation, le
choix des variables a été guidé par la littérature
(théorique et empirique), la disponibilité et la fiabilité
des données utilisées pour l'estimation de la fonction de demande
de monnaie.
Et enfin, le dernier chapitre consistera en l'estimation de
cette fonction par la méthode des Moindres Carrés Ordinaires
(MCO) en tenant compte de la possibilité d'une rupture structurelle sur
la tendance des séries macroéconomiques utilisées, compte
tenu des différents évènements et mutations qu'a
traversé l'économie algérienne sensés affecter
fondamentalement la structure des données. Nous considérons que
la prise en compte de breaks structurels dans l'estimation est
indispensable si l'on veut éviter le risque de rejeter à tort
l'hypothèse de cointégration. Nous pensons, cependant, que
l'intégration de ces ruptures, ou changements de régime, dans les
paramètres des relations de cointégration renforce le
caractère empirique de la modélisation et peut conduire à
des résultats ad hoc.
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