A.2. ouverture internationale et aménagement du
territoire
Il est montré dans de nombreux pays en
développement en particulier en Chine que l'insertion progressive de
l'économie d'un pays en développement dans le commerce
international est une des recommandations fortes de nombreux auteurs. Elle
contribue en principe à la croissance selon la vision traditionnelle des
avantages comparés ; mais elle a également pour
conséquence immédiate une polarisation des activités
économiques sur le territoire et une forte augmentation des
inégalités régionales (Kanbur et Venables, 2007).
Toutefois, on peut s'attendre à terme à une plus grande
dispersion géographique des activités, idée
confirmée par Ades et Glaeser (1999).
De même, L'intégration économique entre
pays voisins contribue à une meilleure spécialisation
économique et à des niveaux de croissance plus
élevés. On constate toutefois que les accords commerciaux
bilatéraux ou régionaux sont susceptibles d'avoir des effets
positifs sur les relations politiques des pays concernés. Le commerce
entre deux pays augmente le coût d'opportunité d'un conflit, alors
que si ces deux pays sont très ouverts au commerce avec de nombreux pays
tiers, leur dépendance commune est réduite et le coût
d'opportunité d'un conflit entre eux est plus faible (Martin et al.,
2008).
Mais, l'effet de l'intégration régionale sur le
commerce international est ambigu. Si elle est susceptible de renforcer le
développement des pays appartenant à l'aire régionale,
cela peut se faire au détriment de ceux qui restent à
l'écart de l'accord (Coulibaly, 2006 ; Madiès, 2007). La mise en
oeuvre des accords régionaux peut avoir pour effet, du moins dans un
premier temps, de favoriser une croissance plus rapide des territoires les
mieux dotés en infrastructures et en capital humain. Ces accords
commerciaux régionaux ne peuvent profiter aux pays enclavés et
faibles que si leurs voisins adoptent des politiques dynamiques et «
amicales » (Collier, 2007b).
Les forces du marché, l'ouverture internationale et des
institutions économiques efficaces sont à l'évidence des
constituants majeurs du développement économique. Toutefois, le
libre jeu des forces de marché ne suffit pas à valoriser au mieux
les capacités des territoires et leur croissance économique. Par
exemple, une étude récente de la Banque Mondiale vient de
montrer, sur un échantillon de 11 500 entreprises dans 27 pays
émergents de l'ex-bloc soviétique, que l'ouverture à la
concurrence, contrairement aux idées reçues, peut avoir un effet
négatif sur la capacité d'innovation des entreprises
(Gorodnichenko et al., 2009). Dans le même esprit, les
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
forces d'agglomération ne peuvent être
laissées complètement à elles-mêmes. Leur
développement peut être utilement stimulé par des
instruments appropriés et bien choisis (Scott, 2002).
B. Infrastructures, services publics et croissance
démographique
Il est intéressant d'étudier l'impact des
infrastructures et services publics sur la croissance urbaine, mais aussi
d'étudier l'impact de la croissance démographique urbaine sur
l'aménagement du territoire.
B.1. Infrastructures, services publics et
efficacité économique
Un certain nombre de travaux empiriques cherchent à
mesurer les effets des services publics dans le système
économique. Ashauer (1989) affirme que la faiblesse de l'offre de
services publics, dans les années 1970 aux Etats-Unis, est cruciale dans
l'explication du déclin du taux de croissance de la productivité.
Sa méthodologie a été remise en cause, mais d'autres
travaux concernant différentes nations confirment l'impact plus ou moins
direct des dépenses publiques sur la productivité. Femald (1990),
Rubin (1991), Ford et Prorret (1991) contestent l'absence de contrôle du
biais de simultanéité, c'est-à-dire du double sens de la
relation dépenses-publiques-revenus, par Ashauer, mais aboutissent au
même résultat.
Munell (1992) trouve que le capital public a un effet
significatif et positif sur la croissance de l'emploi. Artus (1991) montre que
le niveau des dépenses publiques a un effet sur la
Recherche-Développement et sur le taux de croissance du PIB, en
France.
Declercq (1996) conclut, après une étude par
branches sectorielles portant sur la période 19521989, que « le
capital public a un impact sur l'évolution du coût variable des
entreprises des branches marchandes non financières de l'économie
française». Les dépenses publiques sont donc des instruments
de politique économique importants. Pour un pays en
développement, un niveau d'investissements trop faible peut accentuer
les écarts initiaux de revenu entre l'économie et le reste du
monde et créer des effets d'hystérésis7.
7 Retard dans le développement d'un
phénomène physique par rapport à un autre.
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
Une économie ayant de faibles capacités
productives initiales et ne bénéficiant pas d'externalités
positives ne peut combler son retard. Elle risque de tomber dans une
«trappe de sous-développement » (D'Autume-Michel, 1993), de se
positionner sur une trajectoire de croissance irrémédiablement
faible. Dans ces conditions, la convergence des taux de croissance des nations
n'est plus assurée comme elle l'était dans les modèles
néoclassiques traditionnels de croissance (Solow, 1956) et
d'économie internationale.
Les services publics peuvent constituer des avantages
comparatifs à part entière et permettre à la région
d'attirer de nouvelles activités. Les services et infrastructures
publics jouent sur la croissance régionale de deux façons : ils
produisent des externalités technologiques et pécuniaires et
engendrent une croissance nette et ils créent des avantages comparatifs
qui vont attirer les agents dans la région et amplifier les
économies d'échelle. Ainsi, les infrastructures et services
publics peuvent être un catalyseur de développement. Ils
permettent, dans un premier temps, aux entreprises localisées sur place
d'obtenir des gains de productivité, puis ces bénéfices
vont attirer d'autres firmes dans la région et générer une
activité économique importante, donnant lieu à de fortes
possibilités de division des tâches, de circulation de la
connaissance et de technologies. Cette interdépendance conduit à
un processus de développement auto-entretenu et cumulatif. Murphy et
al., (1989) préconisent une injection exogène de capital public
pour lancer ce processus cumulatif.
D'autres travaux empiriques ont traité de ces
questions. Duffy-Deno et Eberts (1991) montrent que les investissements et le
stock d'infrastructures publiques ont un effet positif significatif sur le
revenu individuel par tête dans 28 unités urbaines de 1980
à 1984. De même, Ralle (1991) montre sur la période
1970-1989 que le capital public accroît la productivité du secteur
privé dans les régions françaises. Des auteurs tels Eberts
et Fogarty (1987) ou Munell (1990) testent la relation entre capital ou
investissements publics et investissements privés et constatent une
influence positive du capital public sur les investissements privés.
Richardson (1973) et Lever, Legler et Shapiro (1970) mettent
en avant l'interdépendance entre la distribution partiale du capital
public et les investissements privés. Les infrastructures de transport
et communication vont diminuer les coûts de transport des biens, des
capitaux, des hommes et de l'information entre les régions. Ces
infrastructures vont permettre aux entreprises de développer leurs aires
de marché, de réduire les monopoles spatiaux et donc de renforcer
les effets de la concurrence. Elles sont donc à l'origine
d'externalités spatiales qui vont profiter à
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
l'ensemble de la communauté (Quinet, 1992). Cependant,
elles ont un effet ambigu sur la croissance d'une région. La
répartition des gains peut être défavorable aux
régions les plus faibles.
Les modèles de localisation (Martin et Rogers, 1995) et
les études empiriques (Johansson, 1993; Rietvield, 1989; William et
Mullen, 1992) s'intéressent plus spécifiquement aux
infrastructures et en particulier aux infrastructures de transport et
communication. L'importance des coûts de transport dans l'analyse
géographique des activités économiques les place au
premier plan des discussions sur les conséquences des dépenses
publiques sur le développement régional. Elles ont
également des conséquences spatiales spécifiques. "Les
transports comportent une dimension de plus que la plupart des autres
activités : ils sont localisés dans l'espace, leur impact est
déjà géographique, avant d'être
macro-économique" (Quinet, 1992).
Hansen (1965) a construit une typologie des régions
allant dans ce sens. Pour lui, il existe trois types de régions :
- les régions "congestionnées" dans lesquelles
il y a une forte concentration de population, d'activités industrielles
et commerciales et un stock important d'infrastructures. Dans ces
régions, l'effet marginal positif d'investissements publics
supplémentaires sera absorbé par l'effet négatif de
pollution et la congestion supplémentaire.
- Les régions intermédiaires, où il y a
abondance de main-d'oeuvre formée et de matières
premières. Les investissements publics peuvent avoir dans ce cas un
effet marginal supérieur aux coûts.
- Les régions pauvres, où le niveau de vie est
faible : ce sont généralement des régions agricoles peu
développées ou possédant une industrie déclinante.
Ces régions sont peu attractives pour les entreprises et les
investissements publics ont peu d'effets sur leur dynamisme.
Les tests effectués par Williams et Mullen (1992) sur
48 Etats américains, pour les années 1970, 1980 et 1986, nuancent
l'hypothèse d'Hansen : les investissements publics en infrastructures
routières ont un effet stimulant sur l'ensemble des régions,
même les plus « en retard ».
Le jeu des répartitions d'activités entre les
régions dépend des caractéristiques initiales de chacune,
en particulier de leur position, les unes par rapport aux autres. La croissance
de la région peut être reliée positivement avec le stock
d'infrastructures de transport et communication
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
qu'elle possède si les gains nets qu'elle tire de ces
infrastructures sont supérieurs à ceux que les autres
régions en tirent. La plupart des modèles s'intéressent
à ces gains en termes de baisse de coûts de transport des biens
(Martin et Rogers, 1995) et de leurs conséquences sur la
répartition des entreprises. Or, si le déploiement des
infrastructures de transport et communication a des effets directs sur le
coût de transport des biens, il en a aussi sur la circulation des
personnes et de l'information. Il est donc simplificateur de restreindre
l'impact des infrastructures de la région à une baisse des
coûts de transport.
Ces infrastructures facilitent également les
échanges de main-d'oeuvre, de connaissance, de technologie entre
différentes régions. Elles amplifient les externalités que
peuvent se procurer les agents à se localiser près d'une
région où les économies d'échelle sont fortes
(Kubo, 1995).
L'intervention publique dans la sphère
économique peut alors être positive. Cependant, l'étude du
rôle des dépenses publiques dans les mécanismes de
croissance doit tenir compte de deux caractéristiques capitales, au
niveau régional.
En premier lieu, la région est ouverte sur le reste du
monde. Les facteurs de production peuvent quitter la région ou affluer
des autres régions. Les barrières culturelles et
institutionnelles étant plus limitées, la région peut
entrer dans un processus cumulatif de croissance qui peut être
impulsé par les dotations initiales ou par des facteurs exogènes
tels les externalités générées par la
proximité de régions riches (Kubo, 1995) ou celles
générées par des investissements publics importants
(Murphy et al., 1989).
Ensuite, les dépenses publiques en infrastructures de
transport et communication transforment l'espace et vont être
essentielles pour comprendre les schémas de croissance régionaux.
Elles baissent les coûts de transport, elles favorisent
l'externalité de spillover et, au sein de la région,
développent les complémentarités entre espaces urbains et
espaces ruraux (Charlot, 1996).
Dans une étude s'intéressant aux effets des
travaux publics sur la croissance du revenu réel dans 195 petites
municipalités du Missouri, les auteurs ont estimé que les
investissements de travaux publics contribuaient à 30 % de
l'augmentation du revenu réel entre 1963 et 1966. La construction
d'autoroutes, de ports maritimes, d'établissements d'enseignement
professionnel et de structures récréatives participeraient le
plus à la croissance du revenu (Charlot, 1996).
![](Amenagement-du-territoire-et-croissance-urbaine-au-Cameroun57.png)
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![](Amenagement-du-territoire-et-croissance-urbaine-au-Cameroun58.png)
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![](Amenagement-du-territoire-et-croissance-urbaine-au-Cameroun59.png)
52
Aménagement du territoire et croissance urbaine au
Cameroun
Au total, c'est d'abord le montant des ressources publiques
consacrées aux infrastructures de transport et la qualité de la
gestion des modes de transport qui contribuent à l'efficacité
économique de la ville (Perrot, 2004). Dans l'ensemble, les
infrastructures de transport comme les autres services publics sont une
condition majeure du développement et du bien-être des populations
(Prager et Thisse, 2009).
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