Les critères du procès administratif equitable en droit positif camerounais( Télécharger le fichier original )par Jean Duclos Ngon a moulong Universités de Yaoundé 2 soa - Master 2 2012 |
ii- L'élasticité du cadre temporel dans les procédures d'urgence spécialesDans les procédures d'urgences spéciales, les textes qui organisent le procès administratif au Cameroun déterminent les délais aux termes desquels les décisions doivent intervenir et les matières qui doivent bénéficier d'un jugement accéléré et prescrivent au juge administratif de les juger prioritairement ceci en le mettant aux prises avec le temps qui est relativement bref, le jugement devant intervenir avant le terme fixé par les textes. Ainsi, le juge se trouve« lié par l'existence d'un délai de jugement qui constitue la durée maximum queles textes lui accordent pour statuer »555(*). Toutefois, dans la pratique, le juge va généralement au-delà des délais qui lui sont prescrits par les textes pour statuer, ce qui laisse voir leur élasticité. Il en est ainsi d'une part en matière de contentieux électoral en l'occurrence, au sein des chambres de commerce, d'agriculture et en matière de contentieux électoral municipal, et d'autre part, dans d'autres contentieux d'urgence spéciaux notamment le contentieux des associations et le contentieux de légalisation des partis politiques Dans le contentieux de listes électorales au sein de la chambre de commerce, l'article 15 du décret n°86/231 du 13 mars 1986 portant statut de la chambre de commerce prescrit à la chambre administrative de la cour suprême un délai de quinze jours pour statuer.Mais dans la pratique,le juge outrepasse ces délais. À titre d'exemple, saisi le 30 juillet 1987 dans l'affaire société de transport de commerce et de l'industrie, le juge a statué le 29 octobre 1987, soit 91 jours après556(*) ; par ailleurs, saisi le 19 aout 1987 dans l'affaire Destiny Entreprises, il n'a rendu son jugement que le 31 mars 1988, soit 224 jours après557(*). De même, le juge a mis 90 jours dans l'affaire Teta Michel du 29 octobre 1987558(*)pour ordonner la rectification du non de l'intéressé qui l'avait saisi le 30 juillet 1987. Le même dépassement peut être relevé dans le contentieux des opérations électorales. En effet, d'après l'article 24 du décret n°78/525 du 12 décembre 1978 portant statut de la chambre d'agriculture, saisie du recours d'un électeur contre les opérations électorales de sa section « statue dans les 90 jours de saisine ». En pratique, il n'en est rien de ça. Ainsi dans l'espèce Tchatchoua jean-Pierre559(*), alors que les résultats des élections ont été proclamés par la commission électorale du littoral le 20 juin 1986 et que le recours a été intenté contre ces élections le 5 juillet 1986, le juge n'a rendu son jugement que le 25 mai 1989, soit deux ans et 10 mois après sa saisine en la forme. Plus grave, la décision du juge dans l'affaire Mvondo Tsang Richard560(*) est intervenue plus de (04) ans après sa saisine, c'est-à-dire le 28 mars 1991, alors que le recours a été déclaré irrecevable. De même, la pratique des délais excessifs par le juge administratif se fait aussi ressentir dans le contentieux des opérations relatives à l'élection des conseillers municipaux. En effet, un délai de soixante(60) jours de la date de saisine est imparti par le législateur au président de la chambre administrative de la cour suprême561(*), mais dans les faits ce délai n'est pas respecté. Quelques statistiques attestent de ce fait là. Ainsi, sur soixante-dix-huit (78) jugements rendus après les élections municipales du 21 janvier 1996, un seul est intervenu dans le délai de 60 jours prévu par la loi. En l'espèce, le juge a statué 59 jours après sa saisine562(*). Tous les autres jugements sont intervenus au-delà de 60 jours. Les délais vont de 78 à 278 jours. Il en est ainsi, par exemple, du jugement U.P.C (C.U Edéa) rendu le 18 avril 1996563(*), alors que le recours a été introduit le 30 janvier 1996, soit 79 jours après ; du jugement RDPC (CR N'samba) rendu le 9 mai 1996564(*)alors que le juge a été saisi le 26 janvier 1996, soit 104 jours après.Outre le contentieux électoral, d'autres matières qualifiées d'urgence spéciales sont également affectées par cet élargissement du cadre temporel. Il en est ainsi du contentieux de la dissolution des associations et du contentieux du refus de légalisation des partis politiques. Dans les faits, les délais impartis au juge pour statuer ne sont pas toujours respectés. En matière de dissolution des associations, l'article 13 al 3 de la loi n°90/053 du 19 décembre 1990 impartit un délai de dix (10) jours, au « président de la juridiction administrative » à compter de la date de sa saisine, pour statuer sur les recours portant sur la dissolution d'association. Il résulte des décisions rendues en la matière que le juge ne se conforme pas à cette exigence législative. Ainsi, dans l'affaire OCDH565(*), il a statué 37 jours après sa saisine. En effet, saisi le 21 août 1991, il a rendu sa décision le 26 septembre de la même année. De même, dans l'affaire KomAmbroise566(*), il a statué le 26 septembre 1991, alors qu'il a été saisi le 30 août 1991, donc 28 jours après. Enfin, dans l'affaire Cap-Liberté567(*), saisi le 05 septembre 1991, il s'est prononcé le 26 du même mois, soit 21 jours après. Cette situation de non-respect des délais légaux pour statuer est aussi de règle en matière de refus de légalisation des partis politiques. En effet, dans cette matière, l'article 8 al 3 de la loi n°90/056 du 19 décembre 1990 a prescrit au juge administratif un délai de trente (30) jours à compter de sa saisine pour statuer sur les recours relatifs au refus de légalisation des partis politiques. Dans la pratique cependant, ce délai est ignoré par le juge. Ainsi, saisi le 04 avril 1991 dans l'affaire U.P.C568(*) , le juge s'est prononcé le 17 septembre 1992, soit 532 jours après, c'est-à-dire après 1 an, 5 mois et 22 jours. Pour l'affaire RDR, le juge a statué le 18 septembre 1992569(*), alors qu'il a été saisi le 7 août 1992, donc 43 jours après. En ce qui concerne l'affaire PSLD, il est intervenu le 18 septembre 1992570(*) alors que le recours lui a été adressé le 17 août 1992 ; il s'est donc prononcé 39 jours après. De ce qui précède, il en ressort que le juge administratif camerounais bien que lié par les délais tels qu'ils sont prescris par les textes, pratique généralement les délais excessifs ; ce qui est non seulement contraire à la volonté manifestée du législateur de favoriser la résolution des litiges dans un délai raisonnable, mais aussi préjudicie l'intérêt du requérant dans la mesure où, dans le contentieux administratif, l'introduction d'un recours en annulation d'un acte n'en suspend pas son exécution et de ce fait, une solution qui intervient tardivement a généralement une valeur symbolique. Cette pratique excessive des délais peut être expliquée par les facteurs de divers ordres notamment les facteurs d'ordre humains571(*), financiers, matériels, procéduraux et structurels572(*).Ainsi, lorsque le juge prend tout le temps pour rendre sa décision, il est certain que l'acte querellé aura déjà produit des effets qu'on ne peut plus effacer. Dès lors, il se pose la question de savoir s'il existe des moyens ou des garanties contre les jugements pris dans un retard excessifs. * 555DUGRIP (O), op. cit., p. 73. * 556CS/CA jugement n°27/87-88 du 29 octobre, affaire Sté de Transport, de commerce et de l'Industrie contre Etat du Cameroun. * 557 CS/CA, jugement n°61/87-88 du 31 mars 1988, affaire Destiny Enterprise contre Etat du Cameroun inGUIMDO DONGMO (B-R), op. cit., p.265. * 558CS/CA, JUGEMENT n°26/87-88 du 29 octobre 1987, affaire Teta Michel contre Etat du Cameroun * 559 CS/CA, jugement n°41/88-89 du 25 mai 1989, affaire Tchatchoua Jean-pierre contre Etat du Cameroun * 560 CS/CA, jugement n°101/90-91 du 28 mars 1991 affaire Mvondo Tsang Richard contre Etat du Cameroun * 561 V. article 34 de la loi n°92/002 du 14 aout 1992 fixant les conditions d'élection des conseillers municipaux * 562 CS/CA, jugement n° 25/95-96 du 29 mars 1996, affaire Front Patriotique National(FPN) (CR de Mboma) * 563CS/CA, jugement n°30/95-96 du 18 avril 1996, affaire UPC (C.U D'Edéa) contre Etat du Cameroun * 564 CS/CA, jugement n°28/95-96 du 18 avril 1996, affaire RDPC (C.R Baham) contre Etat du Cameroun * 565Ordonnance n°19/O/PCA-CS du 26 septembre 1991, affaire OCDH contre Etat du Cameroun. * 566Ordonnance n°20/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Kom Ambroise contre Etat du Cameroun. * 567Ordonnance n°21/O/PCA/CS du 26 septembre 1991, affaire Cap-Liberté contre Etat du Cameroun. * 568CS/CA, jugement n°60/91-92 du 17 septembre 1992, affaire UPC contre Etat du Cameroun. * 569Ordonnance n°25/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Regroupement Démocratique pour la République (RDR) contre Etat du Cameroun. * 570Ordonnance n°26/CS/PCA/91-92 du 18 septembre 1992, affaire Programme Social pour la Liberté et la Démocratie (PSLD) contre Etat du Cameroun. * 571Sur le plan des ressources humaines, il y a le problème de la non spécialisation des magistrats en charge du contentieux administratif. Ils proviennent tous des juridictions de l'ordre judiciaire. Il y a ensuite le problème de leur effectif et de leur disponibilité ; juges polyvalents, ils sont également sollicités pour le règlement des contentieux judiciaires. * 572Sur le plan structurel, il faudrait relever la centralisation de la justice administrative. |
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