Esthétique de la création théatrale camerounaise de 1990 a 2010( Télécharger le fichier original )par Paulin ESSAKO ELLOUMOU Université de Yaoundé - Master II 2014 |
D- CONCLUSION GENERALE« Esthétique de la création théâtrale camerounaise de 1990 à 2010 » est ce sur quoi portait la présente étude. Cette dernière avant toute chose, s'est voulu une permanente investigation à vocation théorique, dont l'intérêt était d'ouvrir une piste de réflexion nouvelle sur le rôle de l'esthétique dans le processus de création théâtrale en Afrique et précisément au Cameroun. Il s'agit donc d'une argumentation théorique qui considère l'art dramatique comme un moyen d'expression collective, à travers lequel se manifestent, l'idéologie, les préférences et la culture collective. Cependant cette vision ne représente en réalité qu'un pan du voile, parce qu'au-delà, s'est imposée une interdisciplinarité qui pour des besoins scientifiques a complété le discours afin d'aboutir à une méthode d'analyse et d'interprétation des informations recueillies. Si le point de départ de toute recherche reste le constat d'un problème, c'est sans doute la désertion des salles par le public, et par ricochet le faible taux de consommation du produit théâtral entre 1990 et 2010 au Cameroun qui constitue la charnière du problème dans cette étude. De ce fait, la démarche vers la résolution dudit problème a donc nécessité d'être scindée. Quatre chapitres ont constitué la charnière de ce travail. Chacun traitant certes d'un aspect précis, mais en rapport avec les reste. Ainsi pour interroger, l'histoire et l'évolution de l'esthétique théâtrale dans le monde et au Cameroun, le premier chapitre s'est donné un objet double. Dans un premier temps dévoiler les racines de l'esthétique théâtrale et son caractère ambigu. Pour le premier cas, c'est-à-dire l'origine, l'on a pu constater sa tridimensionnalité du point de vue dramatique. Ainsi, l'esthétique théâtrale a des souches philosophiques, rhétoriques et théoriques. Par ailleurs sur le plan scénique, cette origine reste une dualité entre religion et contexte. Au final, l'origine de l'esthétique théâtrale est plurielle. Cette pluralité originelle a conduit à l'examen du côté définitionnel qui, en réalité reflète une ambiguïté se refusant toute approche systématique ou phénoménologique. Par la suite, l'étude s'est attelée à présenter ce qui pourrait être nommé de moyens d'identification d'une esthétique dramatique. Ainsi, pour la double dimension de l'art dramatique, il en existe deux types : les moyens matériels et immatériels. L'aspect évolutif pour sa part n'a pas manqué de baliser les étapes majeures, partant de l'aristotélisme à la version plus actuelle du concept, sans oublier un listing chronologique des principaux esthéticiens du théâtre. Dans un second, nous nous sommes consacrés, à l'esthétique du théâtre au Cameroun. Il a donc fallu une présentation progressive de l'histoire de ce théâtre camerounais durant la période coloniale et postcoloniale pour en arriver à son esthétique. La remarque faite est que les circonstances sociopolitiques ont largement influencé la pratique dramatique au niveau idéologique et des genres théâtraux au même titre que son esthétique. La situation en est tout à fait autre à la sortie de l'indépendance, car l'influence est cette fois relative à une circonstance nouvelle, du coup, l'état d'esprit, et la portée idéologique épousent la pensée dominante. C'est fort conscient d'une esthétique dominante ayant à coup sûr conduit aux heures de gloire de cet art dans notre pays entre l'indépendance et la fin des années 80, que le deuxième chapitre s'est proposé d'étudier : l'esthétique de la création théâtrale camerounaise de 1990 à 2010. Mais avant, il s'est posé une urgence. Celle de présenter les causes de la rupture avec ce que notre étude nomme, « réalisme farcesque ». Il y a d'autant plus urgence quant il s'agit de la présentation et la compréhension des motifs de ladite rupture. L'on a à cet effet pu logiquement déduire de la chute de cette option dramatique, les causes. Ainsi, La crise économique, les bouleversements politiques, la concurrence des autres loisirs et la critique multiforme sont à l'origine de l'abandon de ce courant. Dès lors, la création dramatique camerounaise prend non une, mais de nouvelles orientations esthétiques. Parce que, dans l'analyse des quatre oeuvres du corpus, les deux décennies 1990-2000 et 2000-2010 laisse entrevoir une diversité de choix esthétiques tant, du point de vue textuel que scénique. Pour ce qui est de la dramaturgie, le constat réalisé sur divers aspects de : Un touareg s'est marié à une pygmée : épopée pour une Afrique présente, intègre pour sa part, l'esthétique de la distanciation. Noir et blanc quant à lui obéit aux principes de la déconstruction. Pour le cas de la mise en scène, Trois prétendants... un mari, cumule les signes naturalistes, pendant que, Les Osiriades de Martin Ambara se situe dans une tendance syncrétique, qui en réalité ne doit son existence qu'à la combinaison de plusieurs autres courants. Ceci conduit à la vérification de l'hypothèse principale de la recherche. Celle-ci estime, « qu'il est difficile d'identifier une esthétique singulière du théâtre dite camerounaise, mais plutôt une pléthore d'esthétiques d'importation, que les créateurs tentent de domestiquer. ». A l'issue des résultats de l'analyse du corpus, et de plusieurs autres créations associées, il faut dire qu'il est moins évident pour ces tendances de légitimer leurs origines africaines et à plus forte raison camerounaises. Leur identité camerounaise semble donc se dissiper, et confirme de ce fait l'hypothèse d'importation et la volonté d'apprivoisement. La pluralité esthétique qui meuble la création dramatique au Cameroun au cours des deux dernières décennies confirme en partie l'autre pan de la même hypothèse qui soutient, « qu'il est difficile d'identifier une esthétique singulière du théâtre camerounais ». Toutefois, la pluralité et le syncrétisme qui dominent le théâtre camerounais de cette période rime de mieux en mieux avec le courant contemporain, dont la camerounité reste à démontrer. Quel a donc été l'impact de l'esthétique contemporaine sur le processus d'émergence du théâtre au Cameroun depuis 1990 ? Telle est l'interrogation à laquelle s'est engagé à répondre le chapitre trois de cette recherche. Il a donc été question dans un premier temps, de la présentation des constituants de l'environnement interne du produit théâtral, à partir desquels l'on se devait de dégager l'impact qu'a eu l'esthétique contemporaine. Il en était de même pour le second volet du chapitre qui a bien évidemment présenté, les composantes de l'environnement externe du produit théâtral pour ensuite ressortir l'impact. Il est donc à dire, qu'un examen minutieux des composantes de premier et deuxième ordre de l'environnement interne, laisse entrevoir plusieurs aspects de cette influence. Notamment, le cumul de fonction, la dégradation de la condition socioprofessionnelle, la suppression des métiers associés, extraversion idéologique et le découragement des jeunes générations en sont les principaux aspects de l'impact. Toutefois il a semblé nécessaire de ramener ledit impact à trois niveaux de perception. D'abord la dimension psychologique, elle a pu révéler, l'introspection des créateurs, l'extraversion idéologique, la collaboration subjective et le conflit d'intérêt entre créateur et consommateur. La dimension professionnelle et humaine s'est attardée, sur la disparition des spécialisations, la réduction de l'expérience dans l'exercice et la déconnexion aux autres métiers. La synthèse a chuté par la dimension socioculturelle. Elle a pu mettre en lumière, le phénomène de globalisation, d'acculturation, la réduction du rôle social du produit théâtral ainsi que le renforcement des inégalités sociales. Le cas de l'environnement externe n'est cependant pas mieux. Car, le spectateur permanant en tant que consommateur essentiel du produit théâtral au Cameroun a négativement été influencé. Ladite influence se manifeste par, la désertion des salles, manque de considération pour le produit théâtral, en bref une mauvaise réception. Comme autre niveau d'impact, la décomposition des marchés à travers la perte progressive de ses composantes essentielles, suivi de leurs circuits. Dans le même sillage, la désolidarisation des partenaires financiers, médiatiques et même du pouvoir publique. Tel a été en substance l'influence du contemporain sur l'environnement extérieur. C'est cependant ici le lieu de vérifier l'hypothèse secondaire n°1 qui soutient que, « l'esthétique ou les esthétiques dominantes du théâtre camerounais depuis 1990 auraient non seulement contribué à la désertion des salles par le public, mais aussi à la baisse du taux de consommation du produit théâtral, et par ricochet à son effondrement ». La vérification de cette hypothèse passe nécessairement par trois volets. Commençons par les deux premiers, c'est-à-dire, la désertion des salles par le public et la baisse du taux de consommation, qui est en réalité la conséquence immédiate du premier. Il faut souligner au regard des résultats de l'enquête menée, le courant contemporain a moins oeuvré à retenir le public dans les salles plus qu'il ne les a refoulé. En plus comme le dirait Martin Ambara : « ...ce n'est pas un type de théâtre qui vise à plaire, donc les exigences du public ne font pas partie de ses priorités171(*)... ». La conséquence de l'absence d'intégration des exigences du spectateur est immédiate, une consommation à la baisse. Toutefois lorsque l'on valide comme influence, la désertion des salles par le public, le faible taux de consommation du produit théâtral, il est évident de deviner la suite, l'effondrement de l'entreprise théâtrale. Ainsi donc peut-on passer à l'affirmative de l'hypothèse précédente. A partir du constat de l'échec du courant esthétique contemporain, son manque de considération pour le consommateur, et de surcroit sa forte implication dans la régression de l'art dramatique au Cameroun, le quatrième et dernier chapitre se présente comme une perspective. De ce fait il s'est donné une mission, celle de proposer une orientation dramatique qui semble déjà connue et bien prisée du public camerounais et international, surtout lorsque l'on s'en tient au succès du Théâtre National Populaire en France(TNP), du théâtre populaire camerounais de la fin des années 70 début 80 ou de la « commedia Del arte » italienne pour ne citer que ces exemples. Les raisons étant bien entendu la rentabilité et la redynamisation de l'industrie dramatique au Cameroun. Afin de réduire les marges d'erreur, il a fallu actualiser le diagnostique pour proposer par la suite un traitement adéquat. Ainsi selon le diagnostique, l'environnement actuel du théâtre n'a véritablement pas subi une évolution majeure. Du coup, il partage beaucoup de similitudes avec les temps derniers. En effet, l'exposition du public au produit théâtral semble de plus en plus régressive, la mauvaise perception et une horizon d'attente absente dans les créations, sont les résultats de l'enquête. Cependant, la même enquête a pu révéler un point essentiel, celui des préférences dramatiques du public camerounais. Sur la base de ces préférences, le chapitre quatre s'est proposé d'exploiter la farce populaire, à travers ses atouts économiques, sociaux et artistiques. Pour ce, il a fallu par ailleurs évoquer ses insuffisances, afin de donner la condition d'existence de l'émergence et à la compétitivité du théâtre camerounais. Il en résulte que, l'un des premiers challenges de cette orientation c'est sans doute sa théorisation, qui lui assurera la crédibilité et la pérennisation. Il lui faudra ensuite adjoindre et bien sûr contextualiser les techniques dramatiques modernes, réinsérer toutes les composantes rejetées par le contemporain et enfin, procéder à l'éducation de la jeune génération. Le résultat escompté se construit autour du regard positif vis-à-vis de la farce populaire, élaboration des bases théoriques, redynamiser et susciter l'attention de l'Etat. Ceci nous conduit à la vérification de l'hypothèse secondaire n°2 selon laquelle, « la farce populaire serait la forme de théâtre qui correspond le mieux au public camerounais, elle contribuerait de ce fait, à la redynamisation et à la compétitivité de l'art dramatique au Cameroun. ». A cette hypothèse disons que, l'orientation farcesque dispose certes d'atouts en mesure de busquer positivement l'entreprise dramatique au Cameroun. Toutefois pour parvenir à pareil résultat, la considération des modalités d'émergence et de compétitivité reste inévitable. Ce travail, qui est loin d'épuiser la problématique relative, à la désertion des salles par le public et à la sous consommation du théâtre au Cameroun, ou en un mot à sa léthargie, offre et s'offre à d'autres orientations, et il serait logique, dans une recherche ultérieure, d'envisager la théorisation de cette orientation, non seulement à partir de la synthèse des analyses de plusieurs oeuvres de ce types ayant eu un grand succès au près du public mais aussi de l'étude éthique et esthétique du spectateur camerounais dans le but justement d'établir une base manifeste, qui serait utile sur le plan fondamental de la création dramatique au Cameroun. La conséquence de ce qui précède serait d'insuffler une identité nationale et de là, le développement de l'entreprise dramatique camerounaise, gage de la vulgarisation culturelle, voire touristique. Car, il semble important d'avoir en tête aujourd'hui, que la domination de demain sera fonction de la singularité et de l'originalité culturelle. * 171Propos recueillis dans une interview que nous avons réalisée le 10/09/2013 à 14h20 à l'Institut français de Yaoundé. |
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