Esthétique de la création théatrale camerounaise de 1990 a 2010( Télécharger le fichier original )par Paulin ESSAKO ELLOUMOU Université de Yaoundé - Master II 2014 |
C- TitreNoir et Blanc sur un aspect purement morphosyntaxique se présente sous une forme de phrase non verbale qui laisse planer d'énormes sous entendus. Notamment en ce qui concerne la question de race ainsi que ses corollaires directs. En fin la question du bien et du mal, si l'on s'en tient au signifié du noir et du blanc. En effet, la controverse, la spéculation et l'interprétation faisant partie intégrante du phénomène de la déconstruction, juste de par son titre, l'oeuvre comporte des indices capables de justifier l'esthétique déconstructive au Cameroun dans sa décennie de publication. Et revanche, comment l'iconographie justifie de cette esthétique ? L'Encyclopédie Larousse (2009 : 546) la définit comme : l'étude des sujets et images représentés dans une oeuvre d'art. Pour cette étude, intéressons nous uniquement à l'image. Elle représente une calebasse à deux extrémités disproportionnelles, marquées non du nom de Botomogne mais de celui du dirigeant de la résidence de création, Martin Ambara. Outre ce qui précède, cette image ouvre une fausse piste relativement au titre Noir et Blanc. Cette diversion est manifestement le refus de linéarité dont le déconstructivisme en est le justificatif. Dans cette mesure, l'image de la première découverture semble épouser non sa signification légitime encore moins réelle, mais mieux une interprétation discursive relative à son interprète. L'iconographie concoure ainsi dans une certaine mesure à la visibilité d'une esthétique qui s'interdit la continuité ou l'explication logique des choses. Dès lors, il est de moine en moins évident d'affirmer cette esthétique à l'unique spéculation sur les informations paratextuelles. Le texte renferme un nombre important d'éléments à caractère esthétique, ils relèvent de l'immatériel pour la plus part. Pour la circonstance, un nombre de pan de la dramaturgie seront pris en compte, notamment la fable, l'intrigue, les types de dialogue et la division structurelle de l'oeuvre. Cependant scruter la fable c'est parallèlement accepter jeter un regard croisé sur les forces en présence dans l'action - La fable Dans une approche beaucoup plus technique, la fable est : « le contenu narratif, le signifié du récit, l'action réduite à sa plus simple expression et résumable en une seule phrase86(*) ». Si cette définition semble confuse, il est donc avantageux de considérer la fable comme résumé événementiel, relatant l'action de manière chronologique, et mettant en exergue les forces vives qui entrent en conflit pour un objet. Dans une tentative de construction de cette dernière, le premier constat est qu'il n'en existe pas une seule fable dans Noir et Blanc, mais deux principales. En effet il s'agit dans cette oeuvre d'un recueil de doléances et de témoignages présenté sous deux points de vue distincts, celui d'Helena et du Fou. Ces deux personnages défendent la même cause sous de visions vraisemblablement divergentes : l'un dans le jardin et l'autre dans la poubelle. Cela relève déjà de la discontinuité spatiale87(*) l'une des clés esthétiques du déconstructivisme. Si à la base la fable atteste la règle des trois unités, la technique de déconstruction de l'espace ainsi que de l'action dans Noir et Blanc de Botomogne ne semblent pas se soucier de répondre à la question de : « Qu'est ce que ça raconte » ? La conséquence immédiate est sans doute, l'égarement du lecteur. Cependant que dire des forces en présence en l'absence de l'action ? - Les forces en présence L'absence de l'action entraine logiquement celle des forces qui l'engendrent. Ceci dit, la déconstruction dramatique consiste aussi à évanouir ces forces pour des raisons visant la désorientation du lecteur. Car plus elles sont facilement repérables, plus le lecteur construit aisément l'histoire dans sa tête. Il est donc à dire que le type de force inhérente à l'action est plutôt rare dans Noir et Blanc. Par contre, un autre type est plus usuel, la force abstraite. En l'absence du premier type, le second oeuvre à dissimuler les informations au lecteur en lui donnant un tas de fragments dont le sens général n'est jamais unanime. - L'intrigue L'intrigue est l'enchaînement des événements de la pièce selon Pavis (2002 : 16). Ce qui veut dire qu'un événement est soit la suite logique de l'autre ou sa conséquence. Ceci dans la mesure du respect de la linéarité. Ou tout au moins dans la mesure du respect des quatre étapes de l'action, l'exposition, le noeud, la péripétie et le dénouement. Or Noir et Blanc ne se pli à aucun moment à ces exigences. Il se présente plutôt sous forme d'une désorganisation thématique où les Ecrans n'ont rien avoir les une des autres ainsi que les discours. A titre illustratif, deux personnages développant chacun une thématique singulière dans le même tableau ; Hottenty, une mésaventure amoureuse : « C'est parce que mon premier mec m'aurait confondu à une pétasse qu'il s'est placé haut et a chié son caca sur moi »88(*). Et Helena, le sens de la responsabilité et l'espoir : « ...Que chacun s'occupe de son travail dans le jardin. Entretenez la graine [...] Arrosez-la. Engraissez la plante qui donnera les fruits et rendra notre jardin utile à nous-mêmes et par delà utile pour l'humanité entière89(*) ». Ces bouleversements intègrent les principes de la déconstruction dramaturgique. - Le type de discours Le déconstructivisme use généralement d'un type de discours appelé « faux dialogue » ou « monologues alternés » que l'on retrouve également dans l'esthétique du théâtre contemporain. Par monologue Jean-Pierre Ryngaert entend, un texte pour un personnage. Leur entrecroisement donne naissance aux monologues alternés. En effet, les monologues proposent des points de vue multiples sur une même réalité, reçues ou vécue différemment. C'est exactement le cas dans Noir et Blanc. Soit la didascalie (Elle balaie et va verser les ordures à la poubelle sur le fou qui sur sursaute) de l'écran90(*) I et II, intègre dans la scène qu'elle décrit les faux dialogues suivants : Le fou : « Madame, ce lieu m'appartient. Le titre foncier portera le nom de Fetsiné. Tu entends ? Le dossier a été déposé depuis longtemps. Tu entends ? » Helena : « Le grondement du tonnerre était assourdissant. J'ai vu des arbres voler et s'entrechoquer en haut comme des papiers, pendant que la marrée montait nettoyait les fleuves du jardin... » On peut donc remarquer que ces répliques sont conçues non sur la base d'une réponse logique à un interlocuteur, mais d'avantage sur la base d'une choralité thématique où chaque personnage feint de répondre à l'autre. En bref, tous ces procédés contribuent à l'éparpillement, formellement rattaché au déconstructivisme. Si cette pensée esthétique semble, à travers l'examen des points précédents régner dans la dramaturgie camerounaise entre 2000 et 2010, qu'en est il du coté de la scène ? L'entame du traitement de cette articulation exige au préalable, une définition du vocable, syncrétisme. Le dictionnaire encyclopédique Larousse 20011 le conçoit comme : un système philosophique ou religieux qui tend à fondre plusieurs doctrines différentes. Cette approche peut également s'appliquer sur la chose théâtrale. Dans cette mesure, le syncrétisme scénique peut s'appréhender comme un système artistique qui tend à fondre plusieurs esthétiques de la mise en scène. Cependant, en considérant le spectacle : Les Osiriades de Martin Ambara comme support, quelles sont les esthétiques intervenantes, et par quels moyens les perçoit-on ? La réponse à la première interrogation n'est cependant possible que par les résultats de l'examen des moyens de perception. Naturellement, ils ne sont nul autre que : le comédien et ses signes directs, le décor, l'éclairage, la musique et les autres effets sonores. Il est à rappeler que durant la décennie 2000-2010, le Cameroun connait une profonde mutation de sa pratique dramatique, résultante d'une multitude de manifestations esthétiques complexes. Si les techniques qui visent à mouler le comédien ont changé depuis la conception mimétique d'Aristote, passant par La formation de l'acteur de Constantin Stanislavski, les outils d'analyse du comédien eux, demeurent les mêmes. Ainsi l'esthétique du jeu d'acteur contenue dans une mise en scène s'appréhende sur la base de : la gestualité, la voix, le rythme, la diction et les déplacements Patrice Pavis (2005 : 60-61). Les Osiriades, sur le point de vue du nombre comporte plus de trente comédiens dont la gestualité et les déplacements sont tributaires du symbolisme si l'on s'en tient à cette intermède de partie de football à trois occurrences91(*). Selon Martin Ambara : La plus part des actions kinésiques même, les plus insoupçonnées dans cette oeuvre symbolise quelque chose, qui ma foi je le reconnais pose assez de difficultés à la compréhension du publique. L'apparition à trois occurrences de l'intermède de football ne signifie rien d'autre qu'un divertissement pour beaucoup. Mais en réalité c'est le symbole de la trinité, l'éternel recommencement92(*). La voix le rythme et la diction font partie d'une tout autre approche esthétique. Ils sont d'origine occidentale. Le côté absurde de l'oeuvre vient du fait que la diction et la voix recommandées par le metteur en scène soient tout étranger au mythe égyptien du dieu Osiris. Ils sont au nombre de trois les signes immédiats du comédien notamment le costume, la coiffure et le maquillage. Dès lors, quelle est l'esthétique qui justifie leur application sur le comédien dans Les Osiriades ? Pour le cas des costumes ils sont assez minimalistes. La plus part des comédiens dispose des costumes légers, et constituent la tenue unique du début jusqu'à la fin du spectacle. Il va sans dire qu'un signe qui opère dans une Représentation théâtrale (R.T) est le résultat d'une volonté consciente de son metteur en scène. Le maquillage et la coiffure se situent dans la même ligne d'expression minimaliste. Aucun comédien ne présente un quelconque maquillage, permettant d'établir une différence entre la personne et le personnage. Pareil procédé sied parfaitement à la conception Grotowskienne93(*) du théâtre. Celle-ci se caractérise par : « ...un dépouillement absolu, par un refus massif de tous les éléments de spectacle, le décor, la machinerie, jeux de lumière, costumes, maquillage, musique, bruitage.94(*) ». En claire, les signes immédiats du comédien semblent davantage traduire l'esthétique du « théâtre pauvre ».
Du point de vue purement conceptuel, on peut distinguer trois types de décors dont la définition s'impose. Le décor physique, il peut se définir comme l'ensemble des éléments matériellement perceptibles disposés de manière à représenter un lieu ou une action. Le décor abstrait lui est, l'ensemble des éléments épurés de la fonction physique et visuelle. Le décor virtuel, représente l'ensemble des éléments visuels et dont l'accessibilité matériel reste impossible. Le lieu scénique du spectacle : Les Osiriades, est assez dégagé, à peine trois ou quatre objets scéniques au profit de plus de trente comédiens. Cela rejoint tout à fait la volonté de l'esthétique du « théâtre pauvre » qui exige un lessivage complet de la scène, pour ne laisser que le comédien et sa voix. Cette conception, Ambara la fait bien sienne. En effet, la scène ainsi dégagée présente par le jeu abstrait des comédiens, des objets scéniques invisibles. De ce fait, le décor de cette oeuvre est de nature abstraite. Fondamentalement, dans une représentation l'éclairage occupe une place de choix. Il détermine l'existence des éléments visuelles que sont : l'espace, la scénographie, le costume, l'acteur, le maquillage, en d'autres termes, les composantes matériels de la scène. Par la même occasion, il leur confère une certaine atmosphère. En claire, l'éclairage a pour fonction de rendre compte d'abord de l'existence physique du spectacle, en suite lui conférer une ambiance adéquate. Ceci dit, en l'absence des éléments mentionnés en amont, l'éclairage subit un changement de fonction. C'est cela le cas pour : Les Osiriades. En effet, la pauvreté de la scénographie, des costumes, ainsi que du maquillage contribue au changement de fonction de cette entité. En outre, le « light design » ou plan de lumière est conçu de façon à multiplier les ombres des comédiens, rejoignant par là l'idée de réduite le spectacle théâtral au comédien (théâtre pauvre). Il n'est pas question, vaudrait peut être le rappeler, que nous n'examinons pas la musique et les autres effets sonores sur leur aspect réceptif, mais la manière dont ils sont utilisés dans la présente mise en scène. Ainsi seul, leur fonction dramaturgique nous est utile. Mais avant qu'entend-on par « musique » au théâtre ? Serait-ce uniquement l'agencement de son agréable à l'oreille, ou couvre-t-elle un environnement plus vaste ? A cette interrogation, Nicolas Frize, apporte des éclaircis : Il faut appeler musique l'ensemble de tous les éléments et sources sonores : les son, les bruits, l'environnement, les textes (parlés et chantés), la musique enregistrée, (diffusée sur haut-parleur), etc. La musique doit donc être entendue plus largement au sens de la somme organisée et, si possible, volontaire des messages sonores qui parviennent à l'oreille de l'auditeur95(*). Cette approche détermine globalement toutes les considérations sonores qui nous intéressent dans, Les Osiriades. Cependant si l'on s'en tient à ce que Pavis appelle « fonctions de la musique dans une création théâtrale » constituée de : l'illustration, la caractérisation de l'atmosphère, création des émotions, il se dégage de cette oeuvre un paradoxe, entre la légende du dieu Osiris et le Rap en fond sonore. De ce fait, ce décor acoustique qui erre dans un univers finalement indéterminé et vraisemblablement sans repère rime mieux avec ce Jean-Pierre Ryngaert qualifie d' « esthétique de l'absurde96(*) ». A la question de savoir, quelles esthétiques interviennent dans le syncrétisme scénique évoqué plus haut, disons que l'analyse des divers moyens de perception esthétique au théâtre permet de comprendre que la mise en scène du spectacle Les Osiriades est comprise entre trois pensées esthétiques à savoir : le symbolisme, l'absurdisme et la distanciation. Toutefois, l'esthétique du théâtre pauvre n'y est pas mentionnée du fait qu'elle est incluse dans le symbolisme. Au demeurant, l'activité théâtrale au Cameroun entre 1990 et 2010 en marge du naturalisme constaté dans quelques rares créations, présente d'énormes affinités avec les pensées avant-gardistes de l'art dramatique. Par ailleurs, si tant il est vrai que le souci artistique de ces dernières est de nouer, de rendre abstrait la compréhension du produit artistique en général et dramatique en particulier, ces 20 ans méritent d'être placés sous la domination du grand ensemble qui est « l'esthétique du théâtre contemporain » et dont les principales caractéristiques sont données dans le point suivant. III. Esthétique contemporaine : tentative de caractérisation Lecture et interviews ne suffisent pas à cerner la notion de l'esthétique du théâtre contemporain, car même les professionnels ont du mal à la définir si l'on se réfère aux propos de Martin Ambara. Mes créations sont l'expression pure de ma pensée, les autres la qualifient souvent d'esthétique contemporaine, mais mois, je n'aime pas à lui donner un nom, cela serait une profonde entrave dans la liberté de création97(*). Cela dit, il faudrait l'accumulation d'autre expérience telle que : le visionnage de spectacles au même titre que la pratique. En fait, la notion est controversée au point où son approche phénoménologique s'évanouit. A proprement parler : Qu'est ce que le théâtre contemporain ? Jean-Pierre Ryngaert s'était déjà posé cette question en 2003. Et comme réponse à cette interrogation, il pense que le théâtre contemporain représente : « Les obscures clartés et les incompréhensibles lumières ». De cette formule il se dégage que, l'esthétique du théâtre contemporains est réfractaire à la définition. Néanmoins historiquement elle peut se comprendre comme une avant-garde dont le souci majeur reste, l'affranchissement de la scolarité traditionnelle (classicisme). La tentative de caractérisation dons nous faisons mention s'appliquera bien entendu sur la dualité dramaturgique et dramatique. Le souci de caractérisation d'une esthétique dite contemporaine dans la pratique théâtrale camerounaise passe forcement par le compte rendu du corpus, les interviews et l'expérience propre. La plus part des oeuvres dramatiques produites à cette période, a un caractère commun, celui de la recherche des niveaux de langue, généralement contenus dans les images rhétoriques. Prenons l'exemple de Noir et Blanc, qui entrelace dans une réplique de neuf lignes un nombre important de symboles rhétoriques. D'abord l'hyperbole : « J'ai vue les arbres voler98(*)... ». Puis la personnification : « ...la marrée montait nettoyer les effluves du jardin99(*)... ». En suite, le chiasme : « L'éclipse a imposé le jour en pleine nuit100(*) ». Et en fin, la comparaison : « Comme le soleil matinal, tu as surgi de la terre saint et rayonnant101(*) ». Des exemples pareils il en existe une panoplie dans l'esthétique contemporaine. Toujours dans Noir et Blanc, l'on retrouve des images assez complexes, le cas de la synecdoque : « Un bras solitaire descend des hauteurs102(*)... ». Toutes ces expressions imagées contribuent de façon manifeste, à une rhétorique de symboles dans l'esthétique du théâtre contemporain. Partant de la considération contemporain du dramaturge, il n'est pas d'une appartenance nationale, encore moins tribale. C'est le citoyen du monde. Dès lors la pluralité thématique dans les créations s'explique. En effet, il est question pour ces citoyens du monde de traiter des thèmes du monde. Noir et Blanc reste le support de notre démonstration. Spécifiquement il est utopique de déterminer le thème central de cette oeuvre. Elle esquisse tour à tour des bribes sur, l'immigration clandestine et ses conséquences immédiates : L'Horreur...Juste à sa droite le mignon petit garçon. Je ne peux rien. Le robuste crocodile est insensible à mes cris de sauvetage. Il avale d'abord la tête [...] Ne vous jetez plus à l'eau le pays a besoin de vous pour demain... [...] Nous on veut se sauver...[...] Pas en plongeant dans la voracité de la mer103(*)... Dans le même ordre d'idée se greffent les catastrophes naturelles : Le front inter tropical passe... Derrière lui, un vent violent souffle. Quelques tornades. Dans la forêt tous les arbres on volés à la renverse. Les herbes des champs ont été piétinées et enterrées. A plusieurs dizaines de kilomètres les roches glissaient et atterrissaient dans les bas fonds. L'éboulement avait dépassé les normes requises. Toute la montagne s'est affaissée104(*)... Tout ce champ lexical contribue à nourrir la thématique de la catastrophe naturelle. A ce listing ajoutons, la guerre, et les rapports nord sud et la liste n'est pas exhaustive. Pour la majorité de ces oeuvres dit Jean-Pierre Ryngaert, les thèmes découlent de l'écriture et non l'inverse. Ladite destruction s'attaque en premier au savoir faire de la fable en ses trois axes essentiels, le lieu, le temps et l'action, surtout le dernier. Les actants agissants ou actifs font place aux actants passifs dont la présence n'est plus tangible, ils vivent dans les souvenirs, du coup, le personnage tenant le discours central se trouve confronté non à un adversaire, mais à lui-même. En termes cohérents, il concentre en lui tout seul, les constituants essentiels du schéma actantiel. Dans cette mesure, le destinataire du discours multiforme que produit le point de vue central n'est nul autre que lui-même. Par la même occasion, une composante du schéma se résous à disparaître, l'adjuvent. Après destruction, il est remplacé par ce que Michel Vinaver appelle : « parole-instrument » qui au lieu de produire le mouvement comme : la « parole-action » sert plus à transmettre des informations qui sont loin d'engendrer un mouvement.
Plutôt que de se présenter sur les deux axes habituels ; horizontal c'est-à-dire la succession des événements racontés, et vertical ou les thèmes abordés, l'intrigue de l'esthétique contemporaine évolue structurellement en dent de scie où chaque sommet représente moins un événement singulier qu'un point de vue du discours. Les techniques narratologiques sont récurrentes. Ici, l'on assiste à la primauté du discours sur l'action. En effet, la pluralité thématique a pour revers, une dramaturgie à prédominance discursive. En examinant de près la structuration de Noir et Blanc, il se dégage que, 20 Ecrans sur 31 sont essentiellement constitués de monologue intégrant plusieurs thèmes. Le reste de la division, soit 11 Ecrans, est composé de 9 tableaux à prédominance de monologues alternés (faux dialogues), pour seulement 2 Ecrans de dialogue. De ce constat, il en résulte que, le discours forme la base de l'intrigue du théâtre contemporain. Le caractère englobant du théâtre contemporain ne lui permet pas d'emblé un traitement approfondi des nombreux thèmes abordés. Toutefois, il recourt davantage à l'exposition des clichés les plus marquants. Par ailleurs, la base mécanique de cette structuration est, la présentation d'une idée dans un tableau, par la suite une toute autre. A chaque fois, une idée chasse la précédente et fait place à la suivante. Le procédé elliptique, fondamentalement consiste à passer outre les articulations dont l'absence n'entrave pas la compréhension de l'action. La structure anachronique use de ce procédé pour passer d'un thème au suivant et pareil pour la suite des tableaux. Pour des besoins d'illustration, revenons à notre corpus : Noir et Blanc, les quatre premiers Ecrans développent chacun une idée singulière. Ainsi, le premier aborde, les commodités associatives de la vie, le second le processus de la création, le troisième la catastrophe naturelle imminente et le dernier, la déchéance humaine. De ce fait, l'esthétique contemporaine en ce qui est de la dramaturgie, intègre dans ses caractéristiques, ce qui peut s'appeler : « ellipse thématique105(*) » Si l'on considère la dualité qui s'impose à la manifestation théâtrale, l'on n'éprouvera également aucune difficulté à constater que, le texte présente plus de restrictions en ce qui est des éléments qu'il intègre. Sa matérialisation par contre, dispose d'une capacité d'accueil bien plus importante. Raison pour laquelle, en plus des constituants essentiels du texte notamment, le dialogue, l'intrigue, la fable, le thème ainsi que la présentation des unités signifiantes, la représentation théâtrale contient bien d'autres composantes à deux catégories, le visuel et le sonore.
Outre Les Osiriades de Martin Ambara ; Les dormeurs106(*) de Jean Robert Tchamba permettront également une démonstration de l'accumulation de caractère. Le texte fondamental de la deuxième oeuvre compte huit personnages notamment : L'homme, La femme, La mère, Le médecin, Le commissaire, Le religieux, Le président de tribunal, et Le prince Thanas (sorcier) réduits aussi tôt à trois par le phénomène d'accumulation. En effet, l'interprète du rôle de La mère représente tour à tour, Le médecin, Le commissaire, Le religieux, Le président de tribunal, Le prince Thanas (sorcier). Il va sans dire que ce phénomène nécessite de la part du comédien un travail intense sur la base de quelques convictions107(*) du théâtre pauvre de Grotowski. Cependant, il n'est pas moins important de remarquer l'approximation et l'abstraction du jeu qui en découle. Toutefois dans le même phénomène, l'on pourrait également relever, la substitution du « personnage agissant » par le « personnage objet ». Dans la première oeuvre, l'on constate sur une scène, la présence d'un spectre en lieu et place d'un personnage agissant (le dieu Osiris), dans le tableau suivant il joue le rôle de Zeus (une divinité de la mythologie grecque). Le regard critique sur des signes immédiats au comédien, permet de comprendre et dégager les similitudes entre l'esthétique du théâtre pauvre, et l'esthétique du théâtre contemporain. En effet, la dernière a cette singularité qui consiste à donner une valeur symbolique au costume mieux qu'une considération ornementale. A cet effet, le comédien arbore généralement un costume simplifié et minimalisé des fois peu attrayant quelque soit son rang social. C'est le cas des comédiens interprétant les rôles respectifs de : Bob et Ramzi (Osiriades) qui trois heurs de spectacle durant, incarnent d'autres personnages sous les mêmes costumes. Ces signes se font de plus en plus rares pour ce qui est du maquillage et la coiffure, sur 34 comédiens recensés pour les deux spectacles, aucun n'a subi une modification faciale lui permettant de s'affirmer sur le plan individuel. Il en est de même pour ce qui est de la coiffure dans la mesure où elle est réduite à une disposition artistique et ornementale des cheveux. Le décor ici est traité sur les deux pans que sont, le visuel et le sonore. Le visuel en effet comporte les lumières en plus des objets scéniques. En majorité, les créations dramatiques auxquelles nous avons assisté ou visionné sur support DVD, présentent une similitude relative à un décore visuel dont les composantes jouent par vectorisation un rôle multiple. Le cas de Les dormeurs, où la Bible perd sa fonction usuelle pour signifier une arme de guerre. En effet, la femme luttant contre une force invisible (Prince Thanas) brandit la Bible en guise d'arme à feux prêt à dégainer (Tableau III108(*)). Une situation pareille est produite dans Les Osiriades où un box jouant le rôle d'une chaise au paravent, prend les fonctions de sépulcre (Tableau V). Le décore minimaliste vient donc de la réduction considérable de ses composantes à travers, l'attribution de multiples fonction à un objet scénique. En complément du décore visuel vient les lumières. L'esthétique contemporaine semble moins intéressée par la quantité des constituants du décore. La lumière est davantage utilisée à titre symbolique. Ainsi un seul pot de lumière malgré sa teinte unique a une signification plurielle, le cas de l'éclairage de Les Osiriades. Tout comme les éléments précédents, le décor sonore dans ce paysage esthétique semble au regard de ses composantes dans les deux oeuvres citées plus haut se réduire au stricte minimum de la voix du comédien. Dans ces créations, le comédien par sa voix mimes des bruits des chants et cries d'animaux. En bref, les créations s'éloignent plus des artifices et donnent le plein pouvoir au comédien. De ce fait, certaines composantes matérielles de la scène se retrouvent absentes ou présentes mais en faible quantité. Pour finir, les préoccupations majeures de ce chapitre étaient construites d'abord, autour des potentiels motifs justificatifs de la chute du réalisme farcesque ayant visiblement dominé l'esthétique du théâtre camerounais à la fin des années 70 et début 80. Ensuite il a été question de démontrer dans un premier temps, l'esthétique de la création théâtrale camerounaise en 1990 et 2010, et dans un second faire une esquisse de caractérisation de ladite esthétique. Pour la première préoccupation, il en découle que, la crise économique, les bouleversements politiques, l'évolution des mentalités, le caractère concurrentiel des autres secteurs de loisir et surtout la critique multiforme ont progressivement conduit non seulement à la chute d'une esthétique, mais aussi de son théâtre. Par ailleurs, un examen de vingt ans de pratique théâtrale au Cameroun permet de comprendre sur un plan singulier, que le Cameroun a été traversé de plusieurs manifestations esthétiques, et dont le macrocosme esthétique est, le contemporain. La tentative de caractérisation de ce dernier sur la base analytique des constituants textuels, paratextuels et scéniques permet de comprendre le caractère ambigu et complexe du théâtre dit contemporain. L'étude de l'impact de ce caractère ambigu et complexe de l'esthétique contemporaine est sans doute, le point permettant d'entrer de plein pied dans le chapitre suivant.
* 86 Patrice Pavis, 2002, Le théâtre contemporain : Analyse des textes de Sarraut à Vinaver, Paris, Nathan, P. 17 * 87 Par discontinuité spatiale nous faisons allusion à la divergence des espaces relativement à l'action présentée dans la fable. Cette remarque résulte des exigences de la fable dramatique qui lie les espaces par apport à l'action. * 88 Botomogne, 2007, Noir et Blanc, Yaoundé, Edition Ifrikiya, P. 53 * 89 Ibid. * 90 Ibid. P.76 * 91 En effet cette intermède revient trois fois de suite d'abord, à la 22èm minute, en suite à la 102èm et en fin à la 182èm minute. * 92 Propos recueillis dans une interview que nous avons réalisée le 20/09/2013 à 14h20 au Laboratoire de théâtre de OTHNI (Objet théâtral Non Identifié) * 93 Cette conception prône le « théâtre pauvre », c'est-à-dire, un théâtre épuré de tous ses artifices, au profit du comédien, sa voix et la scène. * 94 Marie Claude Hubert, 2008, Les grandes théories du théâtre, Paris, Armand Colin, P.237 * 95 Nicolas Frize, 1993, « La musique au théâtre » in, Une esthétique de l'ambiguïté, J. Pigeon éd, Lyon, Les cahiers du soleil débout, P54. Cité par Patrice Pavis. * 96 Jean-Pierre Ryngaert, 2003, Lire le théâtre contemporain, Paris, Nathan/VUEF, P. 173. * 97 Propos recueillis dans une interview que nous avons réalisée le 10/09/2013 à 14h20 à l'Institut français de Yaoundé. * 98 Noir et Blanc, réplique d'Helena, P. 76-77. * 99 Ibid. * 100 Ibid. * 101 Ibid. * 102 Ibid. P. 42. * 103 Ibid. réplique d'Hottenty, P. 45-46. * 104 Ibid. réplique de Yensen, P. 56 * 105 Nous entendons par ce terme, une technique de la dramaturgie contemporaine consistant, à présenter une suite d'unités scéniques ou de tableaux n'ayant véritablement de lien commun que la pensée globale du dramaturge. Parce qu'au fond, les personnages n'ont pas de véritables liens, vue que chacun développe un discours que lui seul semble comprendre. * 106 C'est une dramatique (spectacle filmé). La version dont nous disposons sur support DVD, a été filmée et montée par l'auteur lui-même en 2010 dans le cadre De Scène d'Ebène d'Afrique centrale au CCF de Yaoundé. * 107 Grotowski dans l'esthétique du « théâtre pauvre » pense que le théâtre sur le plan technique et artificiel, n'est pas prêt d'égaler certain domaine comme le cinéma. Alors au tant le dépouiller de tout superflu et essentiellement faire place au comédien et sa voix. Pour cette raison son corps représente une machine destinée à un travail intense. * 108 Cf. La dramatique : Les dormeurs sur support DVD réalisée en 2010 Par J. R. Tchamba. |
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