5/ Croyances et mysticismes liés aux
éléments naturels
Cette étude a révélé que
l'introduction d'une nouvelle innovation dans la pêche a déplu
à un bon nombre d'acteurs qui ne sont pas prêts pour le changement
car, refusant d'abandonner l'usage de leurs croyances et mysticismes
liés aux éléments naturels et qui leur ont laissé
par leurs ancêtres. Ils disent que ces innovations viennent bouleverser
l'ordre du monde symbolique construit par les ancêtres. Selon eux, ils
sont protégés par le legs des ancêtres, ils n'ont pas
besoin de le changer.
Néanmoins, les pêcheurs partagent un certain
nombre de croyances mythico-religieuses négociées pour justifier
leurs pratiques de pêche. Les pêcheurs ont convenu ensemble dans
certaines zones de pêche, que lorsque la marée est haute, ils ne
vont pas pêcher car ils craignent pour leur sécurité; ils
se disent toujours qu'une marée haute est due à la volonté
divine ou à des forces surnaturelles. Les pêcheurs ont
expliqué que le village traditionnel de Yoff a un
«rap15» qui s'appelle «Mam
N'diaré16.
13 En wolof langue la plus parlée au
Sénégal, le terme Gamou marque la commémoration de
l'anniversaire de la naissance du prophète Mohammad.
14 En wolof, le terme Magal de Touba est la
commémoration du départ en exil au Gabon de Cheikh Ahmadou
Bamba.
15 Ce «rap» exige aux villageois
une cérémonie15 rituelle appelée
«Ndeup». Cette cérémonie se fait annuellement et est
gérée par deux familles à tour de rôle. En effet,
les villageois lui rendent hommage à travers le
«Tuur»15 et lors de ce Tuur chacun doit contribuer
financièrement ou matériellement.
16 «Mam Ndiaré» est le
génie du village de Yoff, elle a signé un pacte avec les
ancêtres, raison pour laquelle elle a le devoir de protéger tous
les yoffois ou qu'ils puissent se trouver, d'assurer la
prospérité, la paix et la fertilité au village
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Par conséquent, c'est avec ces croyances que la plupart
des pêcheurs résistent aux changements dans les pratiques et
méthodes de travail, annoncés plus haut car, ils
considérent que ces innovations vont à l'encontre de leurs
intérets.
En outre, il m'est paru important de souligner les
compétences des pêcheurs qui sont nées à partir de
plusieurs années d'expériences leur permettant de comprendre
certains phénoménes naturels de la mer.
6/ Compétences des pêcheurs
Ici, il s'agit de compétences des pêcheurs
sénégalais qu'on attribut le nom «de bretons de
l'Afrique». Depuis des temps immémoriaux, ils naviguent et
repérent des bancs de poissons sans instruments de navigation
grâce à leur intelligence et surtout leur expérience. En
effet, ce sont des compétences en terme de combinatoire
d'habiletés, de connaissances sur le climat, d'observation empirique, de
capacités et bravoure. Ce qui leur a permis de développer des
compétences dans la maitrise des éléments naturels
liés à la mer et son contenu. Par conséquence, il semble
exister une certaine pratique construite sur
l'expérience17.
17 Durant les clairs de lune, les pêcheurs ne
vont pas en mer, car durant cette période, ils ne peuvent pas
détecter les bancs de poissons. Les
pêcheurs ne vont pas à la mer quand il y a des
vents forts, surtout pendant l'hivernage et parfois, il y a des eaux
transparentes et des eaux non transparentes mais, en général les
eaux moins transparentes portent plus de poissons que les eaux transparentes.
En fait, ces compétences sont acquises grâce à leur
maitrise de l'environnement marin par l'observation des
phénomènes naturels mais aussi, de par les connaissances
transmises de génération en génération par leurs
parents.
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Photo 2 : Pratiques animistes autour d'un arbre :
Danses et chants
Avant l'arrivée de l'Islam, les croyances animistes
étaient partagées par toutes les ethnies, même si chacune
d'elles avaient aussi des croyances traditionnelles propres. L'animisme
attribue une âme à toute partie de l'univers : êtres et
objets, nature et univers. Aussi se retrouve t-on dans un monde où
esprits et génies cohabitent avec des hommes au quotidien. Nombreux sont
les Sénégalais musulmans ou chretiens qui adoptent des
éléments de ces religions traditionnelles dans leurs pratiques.
En fait, l'animisme se mélange aux religions monothéistes,
créant des systèmes religieux, des croyances nouvelles qui
s'ajustent et se redéfinissent. Le sacré est accessible
qu'à certaines personnes, des intermédiaires, qui se chargent de
faire le lien avec les êtres humains. Les ancêtres du village, de
la famille sont des intermédiaires privilégiés. Pour
correspondre, les animistes font appel à leurs marabouts18 et
griots19.
Les rites animistes sont très nombreux et
différents selon les peuples. Une des pratiques communes et visibles,
également la plus répandue, est le port du gris-gris, fait par
exemple à partir de cauris et de lanières de cuir. Le gris-gris
permet de se protéger d'une personne qui nous veut du mal, des accidents
ou bien encore des sorts qui peuvent nous être jetés par des
sorciers.
18 Au Sénégal, les marabouts ont toujours
joué un rôle très important, au niveau spirituel, et
parfois temporel et politique. Généralement, les marabouts sont
considérés comme des intercesseurs des hommes auprès de
Dieu. Grâce à leur savoir, leur sainteté, leurs
prières ils permettent aux hommes de les conduire sur le droit chemin et
de réaliser certaines de leurs demandes relevant de la vie ici-bas.
19 Les griots sont le verbe de l'Afrique, son
histoire, sa bibliothèque. Au paravent, en l'absence d'écriture,
le griot (qui peut être autant un homme qu'une femme) était
là et agissait (et le fait toujours) en tant qu'historien, conteur et
chroniqueur. C'est le dépositaire de la mémoire collective, d'un
peuple, d'une communauté, d'une famille. C'est un personnage à
multiple facettes : dans le village, il est à la fois musicien, conteur,
poète et accessoirement, généalogiste. Le griot est aussi
un homme un peu en marge de la société, car il a fait partie
à l'origine d'une caste. Il apprend son métier au sein de la
famille, puis auprès d'un maître.
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Photo 3:Pratiques animistes dans une
forêt
7/ Accueillir l'innovation:
D'après un fonctionnaire de l'administration des
pêches20, les principaux éléments qui facilitent
la relation de confiance consistent à mettre en place un
médiateur qui est accepté par toutes les parties comme
légitime et qui puisse amener les acteurs et les décideurs
politiques à négocier autour d'une table.
Pour y parvenir, comme l'exemple de la lutte contre le sida au
Sénégal, il a fallu intéresser les chefs religieux comme
médiateurs qui ont eu à jouer ce rôle, ce partenariat avait
permis au Sénégal d'avoir le taux de prévalence de sida le
plus bas au monde (0,5%)21. Cet intéressement aboutira
à la création d'un réseau composé de professionnels
de la pêche, de chercheurs, des pouvoirs politiques et des chefs
religieux. Tous les acteurs devront travailler en étroite
20 Entretien réalisé avec un
fonctionnaire de l'administration des pêches, le 25/1/2015, à
Dakar
21 Source: CIA World Factbook - Version du Janvier 1,
2014
12
collaboration et dans la transparence. Il est
nécessaire de consolider et de développer ce réseau
à travers les dahiras ou fédérations de dahiras au
Sénégal, en attribuant à chaque acteur un rôle. En
les impliquant, chaque acteur apporte une réponse allant dans le sens de
la résolution du problème. Ce réseau est consolidé
et rendu irréversible par les chefs religieux qui le diffusent à
d'autres acteurs. Ils se chargent également de donner toutes les
informations et accords issus des négociations22.
Il semble que les investigations ont montré que
l'administration publique des pêches et les autorités politiques
sénégalaises impliquent tous les chefs religieux et traditionnels
dans les négociations et discussions. De même, les avis de
l'ensemble des acteurs impliqués dans les interactions liés au
changement et au développement doivent être pris en compte. Les
problèmes de la pêche dans tous les pays du monde sont similaires
: la surpêche, la pêche illégale et non
réglementée, baisse des stocks de poissons. L'innovation
peut-être vécu par les pêcheurs comme une ingérence
des pouvoirs publics dans leur vie professionnelle mais aussi privée
puisqu'elle remonte à des siècles.
Alors, les pouvoirs publics ne comprennent-ils pas ce qu'ils
"touchent" en modernisant, mécanisant ces pêcheurs ? Il ne s'agit
pas de résoudre un problème, mais de travailler le
problème, de nouer un dialogue où il soit possible de "faire
avec" l'autre sans exclure l'un des deux.
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