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Les changements comportementaux des acteurs de la pêche maritime sénégalaise pour une gestion durable de la filière

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par BA Gorgui Aly
Université de Strasbourg - Diplôme des Hautes Etudes des Pratiques Sociales 2015
  

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Chapitre III : La corruption et les pratiques frauduleuses

Les ressources halieutiques du Sénégal sont dans une situation de corruption endémique depuis 1992. Ce pendant, avec l'avènement du nouveau régime, le 25 mars 2012, des actes

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forts ont été posés, allant dans le sens de lutter efficacement contre ce phénomène qui continue de gangréner l'économie du pays et de dégrader les ressources marines.

1- La corruption

Au cours de mes recherches sur la gestion durable des ressources halieutiques au Sénégal, j'ai été frappé par le pillage «organisé» des ressources halieutiques par les hauts dignitaires des différents gouvernements qui se sont succédés depuis 1992. C'est pourquoi, je ne peux pas terminer cette recherche sans pourtant parler de ce problème. Bien que les nouvelles autorités ne sont pas encore impliquées à ce problème, la vigilance doit rester la priorité.

1-1- Sous le régime du Président Abdou DIOUF

En 1992, un haut dignitaire du régime du Président Abdou DIOUF a été accusé de détournement de deniers publics dans l'affaire dite «licences de pêche de 1992». Ce sont des licences qui ont été accordées à des navires russes de manière frauduleuse.

Lorsque l'affaire a été découverte, le président Abdoulaye WADE, successeur de Abdou DIOUF a demandé que cette affaire soit tirée au clair et les personnes impliquées traduites devant la justice.

La personne mise en cause dans cette affaire s'est justifiée en disant que ces licences ont été accordées aux navires russes pour permettre à l'Etat du Sénégal de disposer d'argent pour faire face à l'organisation de la Coupe d'Afrique des Nations de foot-ball en 1992 au Sénégal. Il a laissé entendre qu'il n'y avait pas de détournement de deniers publics et soutient que toutes les transactions financières ont été faites avec l'accord de l'Etat du Sénégal et en toute transparence.

Cette personne a déclaré: "Je constate qu'à l'approche de chaque élection, on revient sur ce dossier. En son temps, j'ai donné toutes les explications nécessaires. L'argent a été versé dans les fonds politiques sur demande de l'Etat et du Président Abdou Diouf. Je me demande comment on peut remettre en cause une décision de l'Etat. Je suis un légaliste, je ne fais jamais des choses contraires à la législation administrative. La gestion des fonds politiques est

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discrétionnaire. Par conséquent tout ce raffut est de l'intimidation. Je ne suis pas quelqu'un qu'on intimide. Je dirai ce que je pense dans le respect mais en toute indépendance"46.

Les acteurs de la pêche ont toujours décrié le bradage des ressources halieutiques par les navires russes avec l'autorisation des politiciens de 1992 à 1999. Ces bateaux ont pêché sous le fameux cadre appelé l'époque des «accords secrets».

C'est sous ce rapport que les professionnels de la pêche sont toujours en situations conflictuelles avec les différents gouvernements en place car, ils disent que les politiques ont vendu toute la mer pour préparer leurs campagnes électorales ou détourné l'argent issu des licences de pêche à d'autres fins.

Ainsi le régime du Président WADE qui avait promis de mettre fin à ce bradage des ressources et de traquer les malfaiteurs, lui aussi a pris la même voie que ses prédécesseurs et que les personnes impliquées sous la présidence DIOUF, vaguent toujours à leurs activités.

1-2- Sous le régime du Président Abdoulaye WADE

Ce pillage des ressources halieutiques s'est accentué de 2010 à 2012 avec le régime du Président Abdoulaye WADE. Un fonctionnaire sous l'anonymat a accepté de me livrer quelques confidences: «de hauts dirigeants du régime du président WADE ont délivré illicitement «des autorisations illicites» de pêche concédées à des bateaux étrangers47. Ce sandale a débuté en 2010 pour l'exploitation des sardinelles. Une série d'arrêtés ministériels illégaux pris par ces dignitaires, auraient permis à des chalutiers industriels étrangers de pêcher dans la ZEE du Sénégal. Ainsi, 29 des 44 chalutiers qui ont reçu une autorisation entre octobre et novembre 2011, ont effectivement exercé une activité de pêche dans la ZEE du Sénégal entre décembre 2011 et avril 2012. Il est important de noter, ces autorisations qui ne

46 Source : Seneweb du 10 juillet 2006, l'affaire des licences de pêche de 1992 : « l'argent a été versé dans les fonds politiques sur décision de l'Etat ».

47 Entretien réalisé avec un fonctionnaire P, le 23/1/2015, à son domicile à Dakar.

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reposent sur aucune base légale sont des actes de mal gouvernance, de corruption et de concussion.

Pour accéder aux ressources halieutiques du Sénégal, les armateurs devaient s'acquitter de 35 dollars (27 euros) par tonne pêchée auprès des caisses du trésor de l'Etat. Cet accord est considéré à un bradage des ressources halieutiques.

Mes autres investigations ont révélé que deux armateurs russes ont indiqué avoir payé 120 dollars (93 euros) par tonne, soit 85 dollars de plus que le tarif fixé par le trésor public sénégalais, ce qui laisse supposer d'énormes montants de droits de pêche non déclarés et non perçus par le trésor public. Cette différence estimée à plusieurs millions de dollars est allée dans la poche de ces hauts dignitaires de l'Etat sous la présidence WADE. En plus du problème du prix, il est difficile de savoir avec exactitude la quantité de poisson réellement capturée par ces bateaux.

Après le départ du Président WADE, son successeur, le Président Macky SALL, conformément à l'une de ses promesses électorales, a annulé ces autorisations de pêche controversées, le 30 avril 2012. Le nouveau gouvernement est lui aussi, attendu pour faire la lumière sur ce dossier et poursuivre les personnes impliquées dans le pillage organisé des ressources halieutiques du Sénégal et de publier la liste des sociétés impliquées. A présent ce dossier ne semble pas avancer, car le principal instigateur est libre de tous ses mouvements. Selon un pêcheur rencontré: «Le peuple sénégalais accepte mal que ce dossier soit mis aussi dans les tiroirs, car les WADE ont commis toute sorte de crimes et de bassesses sur le dos des pauvres sénégalais»48.

De nombreux fonctionnaires rencontrés au cours des investigations m'ont affirmé à voix basse, leur volonté de vouloir que cette affaire soit élucidée. L'un d'entre eux, souhaite le débusquage de tous les complices de l'intérieur et de l'étranger de cet ignoble pillage des

48 Entretien avec un mareyeur-exportateur, le 20/1/2015, Port Autonome Dakar, Dakar

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ressources halieutiques et de détournement d'une bonne partie de l'argent que le trésor public devait effectivement encaisser.

Au Sénégal, la pratique de l'impunité est la règle comme le souligne dans ses travaux Giorgio Blundo: «Des interlocuteurs divers, tant du côté des fonctionnaires que du côté des usagers, décrient le contexte d'impunité généralisée des malversations et autres pratiques illicites au sein de l'administration. Aux allégations et accusations contenues dans la presse ou propagées par la rumeur font rarement suite aux enquêtes approfondies, encore moins des sanctions»49.

Ces bateaux étrangers ciblant les pélagiques, sillonnent les côtes ouest-africaines et particulièrement du Sénégal, depuis mars 2010 jusqu'en mars 2012 avec les scandales des autorisations clandestines dans un premier temps puis, légalisées au plus haut niveau par le Président Adoulaye WADE.

Beaucoup d'acteurs de la pêche et l'opinion sénégalaise assimilent cette situation à un bradage systématique des ressources marines et un enrichissement illicite de beaucoup de personnes tapies dans les rouages de l'administration publique des pêches maritimes et des sphères privées. De nombreux actes frauduleux sont constatés le plus souvent avec la complicité de certains fonctionnaires. Certains observateurs sénégalais montés à bord des navires étrangers pour le contrôle des activités de ces navires, ferment leurs yeux, moyennant une rémunération de l'armateur. Ces observateurs qui sont sous-payés, procèdent à des arrangements avec les armateurs qui leur rétribuent des salaires plus substantiels pour qu'ils ne dénoncent pas leurs activités nébuleuses de pêche.

2- Les pratiques frauduleuses

Souvent des filets non réglementaires et des pêches en zones interdites font parties des différentes infractions notées sur les côtes maritimes sénégalaises.

49 Blundo Giorgio, « Une administration à deux vitesses Projets de développement et construction de l'Etat au Sahel », Cahiers d'études africaines, 2011/2 N°202- 203, p.427-452

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Selon les termes d'un fonctionnaire de l'administration des pêches maritimes: « Il est fréquent qu'un bateau prenne une licence de pêche pour des petits poissons qui ne coûte pas cher, et qu'il pêche des espèces telles que le thon ou l'espadon, pour lesquelles la redevance est beaucoup plus onéreuse50».

En plus, les tailles minimales des mailles des filets ne sont pas non plus respectées: «Certains pêcheurs utilisent des filets de moins de deux millimètres, qu'ils mettent dans les filets légaux pour passer inaperçu, avec des mailles aussi fines, même le sable a du mal à passer, alors imaginez les poissons!» Ce sont des phénomènes qui touchent aussi bien les petits navires locaux que les grands bateaux étrangers. Il existe des bateaux qui viennent dans la zone de pêche exclusive sans autorisations. «Certains ont une licence de pêche en Gambie, un pays voisin du Sénégal, et viennent la nuit dans les eaux sénégalaises pour profiter illégalement de nos ressources halieutiques»51.

D'autres bateaux de pêche ont une licence en Guinée Bissau et en Mauritanie, et profitent du trajet entre les deux eaux territoriales des deux pays pour pêcher dans les zones qui leur sont interdites, quasi-impunément au vue de la difficulté des contrôles. La fraude existe, et ce, malgré les mesures de surveillance et de nombreuses tentatives pour essayer d'endiguer ce phénomène qui menace à terme l'économie sénégalaise et les ressources halieutiques de la région.

Des arrêtés pris par «K», ancien ministre de l'économie maritime du Sénégal de l'époque, donne toutefois une apparence de légalité à ces activités pourtant proscrites par la loi sénégalaise. Les documents en question, non publiés au journal officiel de le République du Sénégal, ont été pris sans consultation d'une commission nationale d'attribution des licences de pêche, ce qui fit souffler un vent de révolte parmi les acteurs nationaux. Une colère aggravée par la décision, en mars 2011, de Monsieur «K» d'attribuer avec le soutien du

50 Entretien avec un fonctionnaire de l'administration publique des pêches, le 25/1/2015, à Mbour

51 Entretien avec un fonctionnaire de l'administration publique des pêches, le 25/1/2015, à Mbour

Président Abdoulaye WADE, 11 nouveaux protocoles d'autorisation, d'abord pour quelques 21 chalutiers étrangers, puis 44 en fin d'année 2011.

Pendant longtemps, les acteurs professionnels sénégalais se plaignaient de la corruption et des pratiques frauduleuses qui gangrènent profondément le secteur de la pêche depuis plus de deux décennies.

Il est de la responsabilité de l'Etat de mettre fin à la corruption et aux pratiques frauduleuses dans les eaux maritimes sénégalaises. Il y a manque de volonté manifeste de la part de l'Etat du Sénégal qui doit mettre tous les moyens dans la prise en charge des préoccupations des professionnels de la pêche. Selon les professionnels, ce manque de volonté se manifeste par le non-respect des engagements pris vis-à-vis d'eux, ne permettant pas une relation de confiance entre les acteurs. Pour la pérennisation des ressources marines, il est urgent de construire une relation de confiance entre les acteurs.

De même, la Commission Sous Régionale des Pêches qui est la vitrine des bonnes pratiques de pêche de ses Etats membres, devrait lutter énergiquement contre les pratiques de pêche illégale.

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