Etude de la dynamique des populations d?anopheles et de la transmission du paludisme dans le district sanitaire de nioro (Kaolack, Sénégal) après la campagne d'aspersion intra-domiciliaire d'insecticide de 2015( Télécharger le fichier original )par Assane Yade Ndiaye Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master 2016 |
Chapitre I : Synthèse bibliographiqueI.1 : Généralités sur les moustiques vecteurs du paludismeLes vecteurs du paludisme humain sont des anophèles appartenant à la sous famille des Anophelinae (Diptera, Culicidae), tous regroupés dans le genre Anopheles. Ce genre est l'un des plus importants en santé publique et regroupe environ 484 espèces (Harbach, 2004), dont seulement une soixantaine assure, avec plus ou moins d'efficacité, la transmission des plasmodies humaines (Carnevale & Robert, 2009). Les autres ne participent pas à la transmission soit parce qu'ils piquent de préférence l'animal, soit parce qu'ils sont réfractaires à toutes ou une des souches de Plasmodium. Il a été rapporté des différences dans la capacité des différentes espèces vectrices ou plasmodiales à transmettre ou à être transmises suivant leur origine géographique. Selon leur capacité vectorielle et leur aire géographique, on distingue des vecteurs majeurs ayant une grande répartition géographique, des vecteurs secondaires et des vecteurs d'importance locale dont le rôle reste à préciser (Mouchet et al., 2004). En Afrique sub-saharienne, les vecteurs majeurs du paludisme sont Anopheles gambiae s.l et Anopheles funestus. Le premier est un complexe de huit espèces jumelles : An. arabiensis, An. gambiae, An. coluzzii, An. quadriannulatus, An. amharicus, An. bwambae, An. melas et An. merus. Parmi les espèces, An. coluzzii (ancienne forme moléculaire M), An. gambiae (ancienne forme moléculaire S), An. arabiensis et An. funestus sont les vecteurs les plus répandus (Coetzee et al., 2013), les plus efficaces et les plus anthropophiles (Faye, 1994). I.1.1 : Biologie des vecteurs Le cycle biologique des anophèles comprend deux phases : l'une aquatique et l'autre aérienne (Figure 1). Figure 1: Cycle biologique d'une femelle d'Anopheles (Source : Hervy et al, 1998) 3 I.1.1.1 : Les stades pré-imaginaux Les femelles d'anophèles pondent séparément, à la surface de l'eau, 40 à 100 oeufs non-résistants à la dessiccation, d'environ 0,5 mm de long munis de flotteurs latéraux qui éclosent 24 à 48 heures selon la température (Kouadio, 2012). Toutefois, une exception a été notée chez An. anthropophagus en Chine centrale chez qui il a été observée une diapause des oeufs qui, pondus en automne, n'éclosent qu'au printemps. A l'éclosion, chaque oeuf donne une larve apode de stade 1, qui après 3 mues successives devient une larve de stade 4. Les larves d'anophèles au repos se distinguent facilement de celles des autres genres par leur position parallèle à la surface de l'eau. Elles ne possèdent pas de siphon respiratoire contrairement au culicinae et se nourrissent de micro-organismes de surface qu'elles attirent grâce aux vibrations de leurs brosses buccales. La durée de vie larvaire dépend de l'espèce, de la disponibilité du gîte en nourriture et de la température (Kouadio, 2012). Elle dure en moyenne 7 à 10 jours pour An. gambiae s.l. dans les conditions optimales de température, s'allonge quand la température diminue et se raccourcit quand elle augmente (Robert et Carnevale, 1984). La mue de la larve de stade 4 ou mue nymphale donne une nymphe en forme de virgule très mobile. La nymphe ne s'alimente pas, mais respire l'air atmosphérique grâce aux trompettes respiratoires situées sur le céphalothorax. Ce stade, d'environ 48 heures de durée, correspond à la phase pendant laquelle d'importants remaniements internes s'opèrent permettant sa transformation en adulte ailé. I.1.1.2 : Le stade adulte A l'émergence, l'adulte reste immobile le temps que sa cuticule sèche, que ses ailes se déploient et que son appareil reproducteur soit fonctionnel. Les adultes mâles vivent en moyenne 7 à 10 jours, tandis que les femelles peuvent vivre jusqu'à 4 semaines dans les conditions naturelles (Moiroux, 2012). La femelle ne s'accouple qu'une seule fois dans sa vie, 10 à 24 heures après l'émergence à proximité des gîtes larvaires et stocke le sperme dans une spermathèque (Kouadio, 2012 ; Pagès et al, 2007). Le mâle se nourrit exclusivement de jus sucrés, tandis que la femelle s'alimente non seulement de jus sucrés (procurant l'énergie nécessaire pour le vol), mais aussi de sang d'hôtes vertébrés nécessaire à la maturation des oeufs. 4 Après chaque repas sanguin, la femelle se réfugie dans un abri, appelé gîte de repos afin de digérer le repas pris et assurer concomitamment la maturation des oeufs. Une fois les oeufs matures, elle quitte le gîte de repos à la recherche d'une collection d'eau ou gîte larvaire pour pondre. Ensuite, elle recherche un nouvel hôte pour d'autres repas de sang : c'est le cycle gonotrophique qui rythme la vie de la femelle (Pagès et al, 2007). Au repos, les anophèles adoptent généralement une position oblique par rapport au support, les différenciant facilement des autres Culicinae qui se positionnent parallèlement par rapport au support. Il existe une exception chez An. culicifacies qui adopte une position parallèle au support pouvant le faire confondre avec un Culex (Carnevale et Robert, 2009). L'adulte (Figure 2) comporte trois parties bien distinctes : la tête, le thorax et l'abdomen. Figure 2: Morphologie d'une femelle d'An. gambiae s.l. x400 (Source : Amougou zibi, 2010) I.2 : Ecologie des vecteurs La colonisation d'un biotope est essentiellement liée à l'écologie larvaire qui peut être plus ou moins stricte, inféodée à certains environnements, ubiquiste ou adapté à une large gamme de milieux (Robert & Carnevale, 2009). Les gîtes d'anophèles sont très diversifiés et comprennent des collections d'eau calme plus ou moins temporaires, peu profondes et ensoleillées (certaines espèces du complexe Gambiae), permanentes ou semi- permanentes avec une végétation flottante ou dressée (An. funestus, An. pharoensis), salées ou saumâtres (An. melas, An. merus), des eaux courantes (An. nili), mares résiduelles de décrue, collection d'eau des sous-bois etc. (Guèye, 2015). 5 L'évolution saisonnière de la végétation permet à certaines espèces de se succéder dans le temps. C'est ainsi que dans les rizières, par exemple, les espèces du complexe Gambiae, héliophiles, pullulent lors de la mise en eau et du repiquage et sont progressivement remplacées, avec la croissance du riz, par des espèces qui recherchent l'ombre et l'abri d'une végétation dressée telles qu'An. pharoensis en Afrique de l'Ouest et An. funestus à Madagascar par exemple (Mouchet et al, 2004). I.3 : Distribution des vecteurs au Sénégal Environ une vingtaine d'espèces anophèliennes a été décrite au Sénégal (Diagne et al, 1994). Parmi elles, les vecteurs du paludisme qui, en fonction de leur rôle dans la transmission, se répartissent comme suit : ? Vecteurs majeurs : An. gambiae, An. coluzzii, An. arabiensis et An. funestus ? Vecteurs secondaires : An. nili, An. melas et An. pharoensis Généralement, An. coluzzii et An. gambiae prédominent dans la région du Sud humide alors qu'An. arabiensis prédomine dans le nord plus sec (Faye et al., 2011). Dans la région septentrionale et dans celle des Niayes, An. funestus, abondant avant 1970, avait disparu du fait des années de sècheresse entraînant une réduction drastique du paludisme dans les zones concernées (Mouchet et al., 1996). Cependant, un retour d'An. funestus a été récemment rapporté dans le delta du fleuve Sénégal et serait favorisé par les aménagements hydro-agricoles pour l'agriculture irriguée le long du fleuve favorisant la création des conditions propices à sa réimplantation. Elle a été retrouvée en abondance dans des villages à proximité des périmètres aménagés près de Richard-Toll (Konaté et al., 2001) et dans toutes les zones biogéographiques du Sénégal notamment dans les localités à proximité de zones marécageuses ou de cours d'eau (Dia et al., 2003, 2008). An. pharoensis est présent également dans toutes les zones biogéographiques mais est prédominant surtout dans les zones de riziculture de la vallée du fleuve Sénégal et de Casamance (Faye et al., 1995). La présence d'An. nili est signalée uniquement dans la zone du Sénégal oriental et de Casamance (Dia et al., 2003, 2005). An. melas, du fait de ses affinités avec les eaux saumâtres, est localisé principalement le long du littoral, le long des cours d'eau du Sine Saloum (Diop et al., 2002) et de la basse Casamance. 6 I.4 : Mesures de lutte contre les vecteurs La lutte anti-vectorielle constitue une composante essentielle de la stratégie mondiale de lutte contre le paludisme de l'Organisation Mondiale de la Santé. Elle demeure le moyen le plus efficace pour prévenir la transmission du paludisme. Elle est basée sur des mesures visant à réduire le contact homme-vecteur et à réduire la densité et la longévité des moustiques au stade infectant. Si ces mesures sont mises en place correctement, la transmission du parasite est réduite, ainsi que le nombre de cas de paludisme (Williams et al, 2002). Actuellement, la lutte contre les vecteurs repose essentiellement sur deux principales catégories d'interventions dirigées contre les larves et contre les adultes. I.4.1 : Lutte contre les larves La lutte anti-larvaire regroupe l'ensemble des mesures appliquées au niveau des gîtes et ayant pour but la destruction des stades pré-imaginaux. Elle fait appel à un certain nombre de méthodes physiques, chimiques et biologiques. - Les méthodes physiques entrent dans le cadre de l'assainissement de l'environnement à grande échelle (travaux de drainage) ou à l'échelle domestique (hygiène péri-domestique). - Les méthodes chimiques, les plus utilisées, consistent à traiter les gîtes larvaires avec des insecticides chimiques tels que le Téméphos (Abate®). - La lutte biologique consiste en l'utilisation de prédateurs (poissons larvivores) ou de bactéries entomopathogènes. En santé publique, les seuls succès enregistrés par l'utilisation de poissons larvivores culiciphages concernent les zones de paludisme instable, où les gîtes larvaires sont souvent très limités et faciles d'accès (Alio et al., 1985 ; Louis et al., 1988). Concernant les bactéries entomopathogènes, Bacillus thuringiensis (Bti) avec ses quatre toxines est une alternative intéressante aux larvicides chimiques (Mittal, 2003). I.4.2 : Lutte contre les adultes Les principales méthodes de lutte contre les adultes qui restent efficaces et utilisées comme prévention primaire à grande échelle du paludisme sont les moustiquaires imprégnées d'insecticides à longue durée d'action (MILDA) et l'aspersion intra-domiciliaire d'insecticide à effet rémanent (AID). Ensemble, elles représentent près de 60% de l'investissement mondial dans la lutte contre le paludisme (RBM, 2013). 7 I.4.2.1 : Les moustiquaires imprégnées d'insecticides Les moustiquaires (Figure 3) sont utilisées depuis longtemps pour se protéger des piqûres de moustiques (Snow et al., 1987). Leur efficacité s'est vue renforcée lorsqu'elles ont été imprégnées d'insecticides (Darriet et al., 1984), ajoutant à la barrière physique un effet répulsif et létal. En effet le contact direct avec la matière imprégnée entraîne une perturbation du système nerveux et conduit à une paralysie momentanée du moustique (Effet Knock-Down ou KD). En fonction de la durée de contact, de la quantité de matière active présente sur la moustiquaire et de la sensibilité du moustique, une exposition peut conduire à la mort de ce dernier (effet létal). De nombreuses études menées dans des zones d'endémie palustre ont attribué une réduction significative du risque de la transmission à la réduction de la longévité des populations adultes de vecteurs suite à l'utilisation généralisée de moustiquaires imprégnées (Brunetaud, 2008). Un effet dissuasif significatif des MILDA a été démontré sur les anophèles (Dabire et al., 2006), mettant ainsi en évidence leur capacité de prévention. I.4.2.2 : Les Aspersions Intra-Domiciliaires L'Aspersion Intra Domiciliaire (AID) d'insecticide à effet rémanent encore appelée Pulvérisation Intra Domiciliaire (PID) a été la principale méthode de lutte dans la campagne de l'éradication du paludisme des années 50s et 60s. Elle a contribué à l'élimination du paludisme dans de nombreuses régions du monde et à sauver des milliers de vies humaines ( www.spps.sn). Elle reste encore utilisée en Afrique pour lutter contre les vecteurs endophiles et anthropophiles comme An. funestus et An. gambiae s.l. (Pagès et al, 2007). Le principe de la méthode de lutte repose sur le comportement des vecteurs qui recherchent après chaque repas de sang, des endroits tranquilles et sombres pour le repos et la digestion ( www.spps.sn). L'AID consiste en l'aspersion sur les surfaces intérieures des murs et toits des habitations et autres structures traitables (magasins, latrines, étables, etc.,), des insecticides présentant des propriétés rémanentes et approuvés par l'OMS. Une fois appliqués, les insecticides, en séchant, laissent une fine couche de cristaux sur la surface traitée. Le vecteur, au repos sur celle-ci après un repas sanguin, s'expose alors à une dose létale de l'insecticide. Il en meurt, s'il est sensible à l'insecticide utilisé à cet effet. Certains des insecticides utilisés pour les AID peuvent également avoir un effet répulsif et réduire ainsi le nombre de vecteurs entrant dans les pièces traitées (Williams et al, 2002). 8 C'est une intervention très efficace dans la mesure où elle permet de réduire rapidement la densité et la longévité des vecteurs adultes et par conséquent réduire la transmission du paludisme. Pour la mise en oeuvre de l'AID, certaines conditions doivent être remplies : - les populations des vecteurs se reposent en majorité dans les habitations (endophilie), - les vecteurs sont sensibles à l'insecticide choisi/utilisé, - les habitations et autres structures à traiter sont convenables pour l'application de l'insecticide, - les communautés concernées acceptent la mesure de lutte, - les ressources nécessaires pour la mise en oeuvre sont disponibles ( www.spps.sn). a b Figure 3 : Les principales interventions de lutte anti-vectorielle : MILDA (a) et AID (b) (Sources: a- who.int; b- Sy, 2015) Chapitre II : Matériel et méthodes II.1 : Présentation du site d'étude II.1.1 : Données géographiques La présente étude a été menée dans le district sanitaire de Nioro du Rip, situé dans la région de Kaolack. Il couvre une superficie de 2302 km2 et est limité au nord par le département de Kaolack, au sud par la république de la Gambie, à l'est par la région de Kaffrine et à l'ouest par le département de Foundiougne (région de Fatick). Le climat est de type soudano-guinéen et l'harmattan souffle en saison sèche. II.1.2 : Données socio-économiques 9 C'est une zone à vocation essentiellement agricole. A côté des cultures de rentes basées sur l'arachide et le coton, se pratique des cultures vivrières telles que le mil, le maïs et le sorgho. Au cours des dernières années, l'installation des cultures de contre-saisons telles que les pastèques et le maraîchage a été notée. L'élevage constitue aussi une activité économique majeure tant par l'importance et la diversité des espèces animales exploitées, que par le nombre d'individus qu'il occupe à temps plein ou partiel. La plupart des ménages ruraux du département ont des troupeaux et élève des petits ruminants, des bovins, de la volaille, des équins etc. Par ailleurs, avec les marchés hebdomadaires « Louma », le commerce informel connaît un véritable essor le long de l'axe trans-gambien. II.1.3 : Données démographiques et administratives Le département comprend : deux communes (Nioro et Keur Madiabel), trois arrondissements, treize communautés rurales. Sa population est évaluée à 356 927 habitants. La densité est estimée à 155 habitants/km2. Les ethnies sont principalement constituées par les wolofs (ethnie dominante), les peulhs, les sérères et les mandingues. La population est essentiellement rurale, seulement 9 % habitent la commune. Dans le cadre de notre étude, 3 villages dont 2 ayant été traités et 1 non traité constituant le témoin, ont été choisis (figure 4). Il s'agit de Bamba diakhatou, traité avec l'Actellic 300 CS (Pyrimiphos-méthyl), Ndramé ndimbe avec le FICAM (Bendiocarb) et Paoskoto (non traité). Figure 4 : Carte du département de Nioro du Rip avec les différents sites d'études 10 Source : Assane yade Ndiaye II.2 : Méthodes d'échantillonnage de la population anophélienne II.2.1 : Capture nocturne sur appât humain Cette méthode est utilisée pour évaluer le contact homme-vecteur. Elle permet d'estimer le taux d'agressivité et aussi de déterminer le rythme de piqûre horaire. Les captures ont été effectuées dans les trois villages, durant deux nuits successives sur des volontaires formés au préalable. Ils servent à la fois d'opérateurs de capture et d'appât. Les séances de capture se font simultanément à l'intérieur et à l'extérieur de 20h à 06h du matin. Dans chaque village, 12 volontaires et 2 superviseurs ont été recrutés et formés puis répartis dans 3 points de capture (pièces) distants d'environ 50 à 100m selon la configuration et la taille du site d'étude. Au niveau de chaque point de capture, 2 agents ont été installés, l'un à l'intérieur et l'autre à l'extérieur, afin de capturer la fraction agressive de moustiques actifs pendant la première tranche de la nuit (20h à 01h). Ils ont été relayés par 2 autres à partir de 01h pour opérer pendant la deuxième tranche (01h - 06h). Munis, chacun de lampe torche, de tubes à hémolyse en verre, de coton cardé et de sacs portant mention du point, de l'heure et du lieu de capture, ces opérateurs ont collecté les moustiques ayant atterri sur leur jambe dénudée avant la piqûre. Pour s'assurer du bon déroulement des séances de capture, deux superviseurs ont été chargés de les assister pour le contrôle et le respect des directives données. Une permutation circulaire du lieu de capture et des tranches horaires a été établie pour chacun des opérateurs de capture entre les différents points de collecte pour réduire les potentiels biais. Les femelles d'anophèles ainsi collectées, ont été morphologiquement identifiées et classées par genre et espèce, et disséquées pour la détermination de l'âge physiologique selon la méthode de DETINOVA (1945). Les femelles disséquées ou non ont été individuellement placées dans des micro-tubes contenant un dessiccateur et portant un numéro unique correspondant à celui du moustique sur la base de données. II.2.2 : Collecte matinale de la faune résiduelle dans les habitations 11 La méthode d'échantillonnage consiste à collecter au matin, après pulvérisation d'insecticide, les moustiques au repos dans les habitations sélectionnées. Dans chaque village, les collectes des femelles au repos, à l'intérieur des habitations, ont été organisées le matin entre 7h et 9h dans 10 chambres choisies au hasard. Chaque pièce sélectionnée a été préparée en bouchant les ouvertures. Ensuite, des draps blancs de 16 m2 ont été étalés sur le plancher et les surfaces planes du mobilier lourd (Fig. 5A). Une pulvérisation spatiale de pyréthrinoïdes s'en est suivie. Après 10 minutes, les draps ont été soigneusement retirés de la chambre afin de collecter les moustiques tués ou abattus par l'insecticide à l'aide de pinces souples (Fig. 5B), puis conservés dans des boites de pétri numérotées de 1 à 10 dont le fond est garni d'une couche de coton imbibé d'eau pour éviter la dessiccation (Fig. 5C). Les informations utiles ainsi qu'un numéro unique correspondant à la pièce sélectionnée, ont été reportées sur une fiche de terrain. Les spécimens collectés ont été morphologiquement identifiés sous loupe, dénombrés puis regroupés par espèce. Les femelles des espèces vectrices ont été classées selon leur état de réplétion en femelles à jeun, gorgées, semi-gravides et gravides. Ensuite, le sang contenu dans l'abdomen des femelles gorgées a été recueilli en écrasant celui-ci sur du papier filtre Whatman (Fig. 5D). Toutes les femelles de vecteurs traitées ou non ont été individuellement placées dans micro-tubes numérotés, contenant du silicagel pour des études de laboratoire. A B C D Figure 5 : Etapes de réalisation d'une faune matinale résiduelle et traitement des échantillons A- Etalage des draps avant pulvérisation B- Collecte des moustiques après pulvérisation C- Echantillons avant traitement D-Prélèvement des repas de sang des femelles gorgées 12 Source : Assane yade Ndiaye II.3 : Etude de la sensibilité des populations d'An. gambiae s.l. aux insecticides II.3.1 : Collecte des larves et élevage des moustiques L'échantillonnage des larves d'anophèles a été fait au niveau des gîtes naturels (Fig. 6A et B). Sur place, ceux positifs ont été géo-référencés à l'aide d'un GPS. Le matériel de collecte (Fig. 6C) est constitué de louches, de bacs en plastique, de filtres à maille et de seaux. La collecte de larves a été faite par la méthode du « dipping » (Fig. 6D) qui consiste à prélever l'eau du gîte à l'aide d'une louche ou d'un bac, puis à y rechercher des larves d'anophèles. Une fois prélevées, les larves ont été transférées dans des bacs en plastique, puis triées par stades (L1, L2, L3 et L4) à l'aide de filtres à mailles. Les larves de Culicinae et les prédateurs ont été éliminés des bacs. Une pipette a été utilisée pour trier les nymphes, les mettre dans des cristallisoirs puis dans des cages d'émergence. A B C D Figure 6 : Prospection des gîtes larvaires et collecte des larves A et B - Gîtes larvaires ; C et D - Matériel de prospection et collecte des larves Source : Assane yade Ndiaye 13 Les larves collectées ont été acheminées au laboratoire dans des seaux dont les couvercles ont été régulièrement soulevés pour renouveler l'air et éviter que les larves ne soient asphyxiées. Au laboratoire, les larves collectées, nourries avec un aliment pour alevin, ont été élevées dans des bacs. L'eau a été régulièrement renouvelée pour éviter le développement de moisissure. Afin d'accélérer leur croissance, elles ont été quotidiennement exposées au soleil et les nymphes formées ont été régulièrement collectées et transférées dans les cages d'émergence (figure 7), convenablement étiquetés portant mention de la date d'émergence et du lieu de collecte. Les adultes issus des nymphes ont été placés dans des cages d'émergence et nourris avec du tampon de jus sucré à 10%. Les femelles, âgées de 3 à 5 jours ont été sélectionnées pour les tests de sensibilité aux insecticides selon la méthode de l'OMS. Figure 7 : Cages d'émergence des adultes Source : Assane yade Ndiaye II.3.2 : Test de sensibilité aux insecticides avec la méthode standard de l'OMS (2013b) Le principe consiste à exposer des moustiques adultes, dans des cylindres tapissés de papier traité avec une concentration standard d'insecticide. Le dispositif est constitué de deux cylindres tapissés : l'un, de papiers imprégnés d'insecticide à une dose discriminante et l'autre d'un papier indemne d'insecticide servant de témoin. Les cylindres sont connectés par une glissière avec un trou sur lequel se fait le transfert des moustiques entre deux cylindres. II.3.2.1 Matériel de test Outre le matériel biologique constitué de femelles âgées de 3 à 5 jours, la réalisation du test a nécessité le Kit OMS (Fig.8), composé de : - cylindres à pastille verte contenant du papier neutre (observation), - cylindres à pastille rouge servant de tubes d'exposition dont les surfaces internes sont des papiers imprégnés d'insecticide, - glissières ou lames de fermeture, - des pièces de papier blanc (12 x 5cm), - des anneaux d'acier pour les tubes d'observation et bronze pour les tubes 14 d'exposition, - des aspirateurs à bouche, - du ruban adhésif, - des chronomètres - du coton hydrophile - d'un crayon et des serpillières. Figure 8 : Kit OMS II.3.2.2 Procédure du test Dans chaque cylindre à pastille verte, 4 à 5 lots de 20 à 25 moustiques ont été utilisés. Le test a démarré avec une phase d'observation d'au moins une heure afin d'éliminer les femelles inaptes. Source : Assane yade Ndiaye A la fin de la période d'observation, les spécimens ont été transférés vers les tubes d'exposition à pastille rouge pour une période d'exposition d'une heure pendant laquelle le nombre de moustiques assommés (knock-down) a été relevé après 10, 15, 20, 25, 30, 40, 50 et 60 minutes. Après exposition, les femelles ont été transférées à nouveau des tubes d'exposition vers les cylindres d'observation. Une lecture de la mortalité immédiate a été effectuée 20 minutes post-exposition. Ensuite, les spécimens ont été nourris avec un tampon de jus sucré à 10% et recouverts de serviettes humides. La mortalité différée a été évaluée 24h post-exposition puis consignée dans les fiches de lecture (Annexe 1). II.3.2.3 Validation du test et interprétation des résultats Les critères de validation du test ont été définis comme suit : 15 - Si la mortalité dans les lots témoins est inférieure à 5%, le test est directement validé, - Si la mortalité dans les lots témoins est supérieure à 20%, le test est invalidé et repris, - Si la mortalité dans les lots témoins est comprise entre 5% et 20%, une correction est effectuée en appliquant la formule d'Abbott : Mortalité corrigée = 100 - mortalité contrôle (mortalité test - mortalité controle) Les résultats ont été interprétés en utilisant les critères définis par l'OMS (2013) :
II.4 : Traitement des moustiques au laboratoire II.4.1 : Recherche de femelles infectantes La recherche de femelles infectantes s'est faite par la méthode de l'Enzyme-Linked Immuno-Sorbent Assay circumsporozoïte (ELISA CSP) décrite par Burkot et al., (1984), légèrement modifiée par Wirtz et al., (1987). Cette méthode d'ELISA indirecte ou en « sandwich » consiste à coincer l'antigène circumsporozoïte (CS), composante majoritaire de la surface des sporozoïtes du Plasmodium falciparum, entre un anticorps monoclonal de capture anti-CS fixé à la paroi de la plaque et un anticorps monoclonal anti-CS conjugué à la peroxydase (figure 9A). La présence de l'antigène est révélée par une coloration des puits positifs (figure 9B). A B Figure 9 : Recherche de femelles infectantes A) Principe de la méthode ELISA CSP B) Présence de l'antigène CSP 16 Source : Assane yade Ndiaye II.4.2 : Détermination de l'origine des repas de sang L'origine des repas de sang a été déterminée avec la méthode de l'ELISA directe décrite par Beier et al., (1988). Elle consiste à chercher l'antigène d'hôtes potentiels dans le sang contenu dans l'abdomen des femelles gorgées, prélevé sur du papier filtre de Whatman, en le faisant agir avec des anticorps (IgG) d'hôtes spécifiques (homme, boeuf, mouton, poule et cheval) (Fig. 10A). Ces anticorps, conjugués à la peroxydase, en réagissant avec le substrat, permettent de révéler la présence de l'anticorps par une coloration bleue des puits de la plaque (Fig. 10B). A B Figure 10 : Détermination de l'origine des repas de sang A) Principe de la méthode ELISA repas de sang ; B) Identification de l'hôte Source : Assane yade Ndiaye II.4.3 : Identification des espèces du complexe Gambiae L'ADN génomique des spécimens collectés a été extrait selon la méthode du CTAB 2% (Annexe 2). Celle-ci a consisté à broyer les échantillons (moustiques entiers, pattes/ailes) dans du CTAB. Le broyat obtenu a été incubé au bain-marie à 56°C, pendant 2 heures. Il s'en est suivi une série de lyse de la membrane cellulaire, de précipitation et de purification de l'ADN grâce au chloroforme, à l'isopropanol et l'éthanol 70°C successivement. L'ADN ainsi purifié a été élué avec de l'eau ultra pure puis conserver à -20°C pour la caractérisation moléculaire des espèces. Cette dernière a été réalisée selon le protocole de Wilkins et al., (2006). Le principe de la PCR (Annexe 3) consiste à l'amplification qui permet de multiplier la séquence d'intérêt de l'ADN des milliards de fois. Pour ce faire, un mixte a été préparé et distribué dans des micro-tubes dans lesquelles l'ADN extrait a été ajouté. Le mélange a été porté au thermocycleur pour amplification suivant un programme prédéfini. Les amplicons (produits d'amplification) ainsi obtenus ont été distribués dans du gel d'agarose 2% et colorés 17 avec du biothium. Le marqueur de poids moléculaire a été placé aux deux extrémités des puits du gel. Figure 11 : Interprétation des bandes pour l'identification du complexe Gambiae MT= Marqueur de taille (100pb) ; 1= témoin négatif ; 2= témoin positif ; 3, 4, 5, 9,10, 12- 24= An. arabiensis ; 6, 7, 8 et 11= An. gambiae Source : Assane yade Ndiaye La migration électrophorétique (Annexe 4) a été effectuée dans une cuve contenant du TBE 1X. Les bandes des séquences d'intérêt ont été soumises à un courant de tension 80V et d'intensité 400mA. Elles migrent à une vitesse proportionnelle à l'inverse de leur taille. Après 90 à 180 mn de migration, le gel a été retiré et les bandes ont été révélées sous rayons UV au GeldocTM. L'interprétation des bandes pour la détermination de l'espèce s'est faite en fonction du marqueur de poids moléculaire (Fig. 11). II.5 : Analyses des données Toutes les références des moustiques ainsi que les résultats des différentes analyses ont été saisies dans une base de données Excel. Les densités agressives ont été calculées en faisant le rapport du nombre de femelles capturées sur homme par le nombre d'homme-nuit. Le taux d'endophagie a été estimé en faisant le rapport du nombre de femelles capturées à l'intérieur des habitations par le nombre total. Les densités au repos ont été déterminées en prenant le nombre moyen de femelles collectées au repos dans les habitations sur le nombre total de chambres pulvérisées. Le taux d'anthropophilie a été obtenu par le rapport du nombre moyen de femelles gorgées sur homme sur le total de repas de sang identifiés. L'indice sporozoïtique a été enregistré en faisant le rapport du nombre de femelles infectées au P. falciparum à l'ELISA CSP sur le total testé. 18 Le taux de parturité a été estimé en prenant le nombre de femelles pares sur le nombre total de femelles disséquées. 19 Les tests statistiques ont été réalisés avec le logiciel R version 3.2.3. Chapitre III : Résultats et discussions III.1 : Résultats globaux Le tableau 1 présente la composition spécifique et l'abondance des différentes espèces anophèliennes collectées dans les 3 villages suivis (dont 2 villages AID et 1 témoin non traité) selon la méthode d'échantillonnage. Au total, 754 spécimens de moustiques ont été colletés au cours des 3 passages effectués entre août et octobre 2015 dans les sites d'étude du district de Nioro. La proportion de femelles agressives a été de 29% (217/754) pour un total de 60 hommes-nuits dans les zones traitées et 48 hommes-nuits dans la zone non traitée. A l'intérieur des habitations, la fraction de femelles au repos a été de 71,2% (537/754). Au cours de l'étude, 5 espèces anophéliennes ont été rencontrées dans les 3 sites. Il s'agit d'An. gambiae s.l., An. funestus, An. pharoensis, An. ziemanni et An. squamosus. An. gambiae s.l. a été l'espèce la plus abondante aussi bien en capture sur appât humain (55,3%) que dans la faune résiduelle des habitations (78,4%) dans l'ensemble des 3 villages d'étude. Il est suivi d'An. funestus avec 39,2% et 21,6% respectivement des captures sur homme et de faune résiduelle. Les autres espèces n'ont été présentes qu'en capture sur homme à des proportions relativement faibles. En fonction du statut des zones (traité ou non), les spécimens d'An. gambiae s.l. et An. funestus ont été plus abondants dans la zone non traitée comparée aux zones traitées, et ceci quelle que soit la méthode de collecte. Dans la suite des analyses, nous ne considérerons que ces deux espèces. 20 Tableau 1 : Abondance des espèces anophèliennes selon la méthode de collecte dans les différentes zones
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