V.5.2.4. Les techniques d'incitation
Les techniques d'incitation pour la protection des espaces
agricoles et naturels comprennent principalement la taxation
préférentielle sur la propriété, le district
agricole et la loi sur le droit-à-exploiter.
La taxation préférentielle sert
à encourager les propriétaires à maintenir le foncier en
usage agricole ou naturel. Cet outil repose sur l'hypothèse que des
impôts plus élevés réduisent les profits et que le
manque de rentabilité est un facteur majeur de la conversion des
terrains. Deux types de programme existent : 1) circuit breaker tax relief
credit, qui offre un crédit
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d'impôt lorsque la taxe sur la
propriété est supérieure à un pourcentage
donné du revenu de l'exploitant ; 2) current use valuation,
évaluation à l'usage courant, qui exige des collectivités
qu'elles estiment le terrain agricole à sa valeur d'usage (non
bâti) et non sa valeur (constructible) sur le marché. La technique
peut effectivement encourager les propriétaires à garder leur
terrain en usage non bâti, mais est critiquée pour ses
règles d'éligibilité souvent laxistes. De plus, elle peut
être utilisée par les spéculateurs fonciers ou les
exploitants à temps partiel et peut se traduire par un manque à
gagner significatif pour les collectivités.
Autorisé par un État et appliqué
localement, un district agricole est une zone
créée pour une durée fixe et renouvelable, où
l'activité agricole est encouragée par les avantages
procurés aux propriétaires. Ces avantages peuvent inclure des
limites sur la construction des équipements, une plus grande protection
par rapport à l'annexion et l'expropriation, une
éligibilité pour un programme d'achat de droit à
bâtir et, souvent, une taxation préférentielle sur la
propriété. Adaptable aux conditions locales, cet outil est
flexible et plus efficace s'il est combiné au zonage agricole.
L'inscription dans un district agricole, toutefois, est strictement volontaire,
les avantages peuvent ne pas être assez attrayants pour les exploitants
(surtout en zone périurbaine) et les sanctions liées au retrait
du programme peuvent ne pas être suffisamment fortes pour empêcher
la construction. Les districts agricoles peuvent encourager
l'aménagement local, par exemple en limitant les autorisations de
districts aux collectivités dotées de schémas
spécifiques de protection des espaces agricoles et naturels.
Enfin, les lois sur le
droit-à-exploiter sont conçues pour
protéger les exploitants agricoles contre les procès pour
nuisance. Certaines dispositions incluent une mention portée sur le
titre des propriétés situées en zone agricole qui
prévient les acheteurs de la possibilité de bruit,
poussière, odeurs et autres inconvénients liés à
l'activité agricole. Ces lois renforcent la position légale des
agriculteurs vis-à-vis de nouveaux voisins non-agriculteurs et peuvent
éduquer les résidents par rapport aux besoins de l'agriculture.
Elles peuvent ne pas décourager l'engagement de poursuites pour
nuisance.
En conclusion, des outils présentés ci-dessus,
le zonage de protection agricole, la taxation à valeur d'usage, l'achat
de droit à bâtir et la loi sur le droit-à-exploiter sont
les plus utilisés (AFT, 2002 cité par Dissart, 2006). Certaines
communautés combinent le zonage agricole, l'achat de droits à
bâtir et le district agricole : le zonage stabilise rapidement la base
foncière et l'inscription dans un district aide à prévenir
la conversion de surfaces importantes tandis
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que les exploitants attendent de vendre
une servitude de protection permanente sur leur terrain.
Les techniques présentées contribuent à
protéger les espaces agricoles et naturels. La plupart des observateurs
de l'usage du foncier estiment que les incitations fiscales sont l'outil de
préservation le moins efficace, alors que des stratégies
intégrées et complètes, qui combinent approches
incitatives et réglementaires, sont les plus prometteuses pour une
protection à long terme (AFT, 2002 ; Alterman, 1997 ; Beesley, 1999
cités par Dissart, 2006).
La protection la plus efficace implique donc une combinaison
d'outils adaptée à la situation politique locale, aux
propriétaires, à l'économie des espaces visés et
à la pression d'urbanisation (Daniels & Bowers, 1997 cités
par Dissart, 2006). Cette combinaison devrait viser un équilibre entre,
d'une part, développement des ressources pour accommoder l'urbanisation
et, d'autre part, protection de ces espaces.
En effet, un ensemble de techniques coordonnées
constitue un facteur d'atténuation de la conversion des espaces
agricoles et naturels, mais la volonté politique (et donc le soutien des
populations locales) et les collaborations sont essentielles (Dissart,
2006).
Les techniques de protection devraient servir à
garantir qu'une surface critique est protégée
(contiguïté), que cette protection est durable (long terme), que
les prix du foncier restent abordables (installation et agrandissement des
exploitations) et que les conflits avec le monde non agricole sont
minimisés (Daniels & Bowers, 1997 cité par Dissart, 2006).
Outre les techniques décrites, des initiatives susceptibles
d'améliorer la viabilité des exploitations comprennent la
diversification des produits, la vente directe ou l'agri-tourisme. Le meilleur
moyen de protéger les espaces agricoles et naturels, étant
cependant, de maintenir la rentabilité de l'agriculture, de sorte que
les exploitations restent en activité.
Au total, les outils et techniques décrits par Dissart
en s'inspirant principalement des travaux de Daniels & Bowers (1997)
pourraient être appliquées à la protection des espaces
agricoles et naturels présentant une valeur productive,
esthétique, paysagère, écologique ou
récréative. La mise en oeuvre et l'efficacité de ces
mesures dépendent non seulement des efforts coordonnés de tous
les niveaux de gouvernements, des propriétaires fonciers et autres
acteurs de l'aménagement, mais aussi de l'intégration des enjeux
économiques, sociaux et environnementaux dans des programmes de
protection complets.
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V.6. La mise en exergue de la fonction
de production de l'agriculture devant
les fonctions identitaires
Une recherche menée en Guadeloupe par Dulcire et Chia
(2004) a donné les résultats suivants sur ce débat:
«Les points de vue des différents acteurs peuvent
être agrégés autour des trois fonctions prioritairement
attribuées à l'agriculture:
La fonction économique : d'abord la
production
L'agriculture est considérée comme une
activité économique parmi d'autres. Sa fonction principale est de
produire des richesses, par lesquelles elle participe au bon fonctionnement de
la société. Elle est un secteur important de préservation
et de création d'emplois directs et indirects par le biais
d'activités de diversification non agricoles (tourisme rural, salariat
à temps partiel). Elle contribue à l'identité culturelle
et à son expression territoriale : création de paysages,
structuration et aménagement du territoire.
Cette vision agrège deux sous-groupes de
représentations distincts en relation avec les deux «
modèles » de l'agriculture, et la prise en compte ou non de
l'ensemble des activités : pour le premier sous-groupe, l'agriculture
est d'abord une activité de production qui contribue à la
richesse « nationale » en contribuant au PIB, à l'emploi,
à la dynamique rurale. Pour l'autre sous-groupe, la fonction majeure de
l'agriculture reste de produire. Mais d'abord des aliments : elle doit «
nourrir un peuple », en commençant par l'agriculteur et sa famille.
Pour cela, elle doit être performante et productive, c'est-à-dire,
explicitement, menée par des agriculteurs « professionnels »
à temps plein : elle s'oppose à la pluriactivité. Les
impacts environnementaux négatifs sont à relativiser compte tenu
du rôle stratégique de l'agriculture. Ces acteurs
considèrent que certaines pollutions sont inévitables car
inhérentes à l'activité agricole et par ailleurs
exacerbées par les caractéristiques du milieu :
insularité, pentes, sols fragiles, saturation foncière.
La fonction environnementale : d'abord la
nature
L'activité agricole entretient une relation
conflictuelle avec l'environnement qu'elle protège autant qu'elle le
menace : elle ne représente même, chez certains, qu'un mal
acceptable,
l'absence totale d'utilisation du milieu constituant la
solution idéale. La fonction de 31
conservation de l'espace et de
préservation de la biodiversité de l'agriculture est prioritaire.
L'agriculture pratiquée doit être non-polluante, permettre un bon
contrôle de l'érosion et ne pas faire l'objet
d'aménagements destructeurs du milieu.
La fonction territoriale identitaire : d'abord la
cohésion sociale
L'agriculture est (...) « naturellement »
multifonctionnelle. Elle a une dimension sociale (défense de l'emploi),
alimentaire (autosuffisance), d'aménagement territorial,
économique (production directe de valeur, ancrage de systèmes
d'activités complexes), paysagère, mais aussi culturelle
(dynamisme des valeurs locales). Aucune fonction n'a a priori de
prééminence sur les autres. La hiérarchisation ne peut
être faite que par rapport à une problématique territoriale
et faire l'objet d'un consensus entre les différentes forces vives du
territoire.
Deux sous-groupes peuvent, là aussi, être
distingués : un premier, pour lequel le renforcement des valeurs
culturelles (...) est le résultat principal attendu d'une renaissance de
l'agriculture. Un second, pour lequel cette composante identitaire,
prégnante, représente le lien qui « donne sens » aux
différentes fonctions assumées conjointement par
l'agriculture».
L'analyse de ces différentes idéologies montre
que les missions attribuées à l'agriculture sont très
différentes et parfois contradictoires : production intensive, maintien
de la biodiversité, maintien des traditions, maintien d'un paysage
ouvert, recyclage des déchets urbains....
La question qui se pose maintenant est de savoir comment
gérer les espaces agricoles par rapport à la ville, à la
fonction de production de l'agriculture et aux exigences du
développement durable: faut-il cloisonner ces trois aspects ou tenter de
les réconcilier ?
L'optique d'un développement durable reviendra à
calculer la valeur hors marché de l'agriculture et à examiner
sous quelle forme on pourrait assurer la rémunération des
services qu'elle rend à la société. L'utilité
sociale ainsi créée permettrait de justifier les investissements
nécessaires à son maintien ou à son
développement.
Mais un tel raisonnement ne peut pas s'appliquer aux biens
environnementaux. En effet, d'après Kah E. (2003), les biens
environnementaux étant des biens non marchands, ils ne sont pas
intégrés au marché, ce qui signifie qu'ils n'y sont pas
monétarisés, alors qu'ils ne sont pas
dénués de valeur.
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