Presse congolaise et son financement( Télécharger le fichier original )par PASSI BIBENE Senghor dà¢â‚¬â„¢Alexandrie - Master 2013 |
Moyens de survie d'une presse en proie aux difficultésLe caractère faible ou inexistant de l'apport de l'une ou l'autre source de financement permet de se faire une idée sur la nature de l'entreprise de presse et son contenu. À la fois entreprise commerciale et vecteur de biens culturels, la presse écrite, vendue sur deux marchés (lecteurs et annonceurs publicitaires), de par cette caractéristique de son économie, comporte des risques énormes qui pèsent sur l'orientation éditoriale des publications. D'autant plus qu'en principe la presse papier est vendue à un prix inférieur au coût de revient. Cette précarité économique n'est pas sans conséquence sur le contenu des journaux. D'où la production de supports de relations publiques pour survivre et subsister financièrement grâce à des mains bienfaitrices invisibles. Dans la mesure où le marché de la publicité est réduit, ce sont des articles orientés ou partisans qui aident certains organes, voire la majorité, à faire face aux difficultés qui sont les leurs. Si dans la presse proche de la majorité présidentielle bénéficiant un peu plus facilement des quelques rares annonces, la pratique éditoriale invite à l'admiration et à l'adhésion aux « efforts du gouvernement », la presse dite d'opposition avec laquelle les annonceurs préfèrent ne pas s'afficher, a opté pour un ton contestataire et polémique. Ainsi, nous avons pu observer que les scoops à scandale dans la presse dite d'opposition émanent généralement des milieux politiques (opposition et pouvoir en place) qui n'hésitent pas à alimenter la presse (en informations et financièrement) par achat d'espaces dans l'intention de détruire un adversaire ou de se faire bonne presse. Ce qui a pour conséquences des titres sensationnels, le journalisme assis, la précarité et la mendicité du journaliste, le chantage, l'information orientée, désorientée, une presse partisane ou militante. L'analyse des sources de financement de la presse au Congo débouche sur une réalité qui autorise à considérer que la presse congolaise est alimentée financièrement par des milieux politiques. On observe des pratiques éditoriales dictées par une recherche effrénée du profit, et cela même par l'utilisation de méthodes peu déontologiques sacrifiant l'intérêt du public pour le profit financier. Le machiavélisme est ainsi érigé en règle du jeu. Face au manque de financement, les journalistes vont jusqu'à réaliser des interviews facturées sous forme de publi-infos. Pierre Nzissi-Bambi, directeur de publication du quinzomadaire Vision Nouvelle, avoue que l'interview du président fondateur de l'association politique Mbongui le jeune, publiée dans le N°001 à la page 4 de son journal, a rapporté 100.000 F CFA. Par ailleurs, Pierre Nzissi-Bambi soutient que « la presse écrite congolaise est inféodée aux partis politiques »99(*).Pour être convaincant, il a révélé que Le Flambeau, premier hebdomadaire qu'il a animé, avait été financé par un Ministre et que Vision Nouvelle attendait des financements d'une personne influente au sein du pouvoir en place. Ce qui explique pourquoi quelquefois, il arrive qu'une édition soit discrètement financée par un homme politique qui veut régler des comptes à un adversaire ou se faire bonne presse. Cette débrouillardise fait de la presse congolaise une presse sous perfusion soumise quelquefois aux caprices extérieurs à la rédaction, au point de voir une édition du journal retardée pour attendre un publireportage ou une insertion. D'ailleurs, dans une interview, Souleyman cortodin Nzélangani, Directeur de publication du journal Droit de cité, un hebdomadaire privé d'informations générales créé depuis 2005, est formel : « À vrai dire, la presse privée n'est pas indépendante au Congo ». Un autre moyen utilisé pour faire face aux difficultés par la presse est la « per-diemisation » de l'activité journalistique ou le journalisme mendiant ou alimentaire, ainsi que l'indique l'OCM : « il arrive souvent qu'on assiège un cabinet ministériel ou une direction d'entreprise, après y avoir effectué un reportage, une interview. Lorsqu'on est à court d'argent, on improvise un reportage. On n'hésite pas à demander à un ministre, un directeur d'entreprise ou un représentant d'une institution les frais de reportage ; des volontaires ou des stagiaires non rémunérés sont envoyés couvrir des événements et [...] se font payer par celui ou ceux qui convoquent la presse. Ces stagiaires ou volontaires reverseraient une partie de la somme à celui qui les a désignés. Il existerait des personnalités, chasse gardée de certains journalistes influents ; des personnes sélectionnées en fonction de leur "générosité100(*)"». Analysant la situation des médias écrits en Afrique centrale, Marie-Soleil Frère pense qu'en période électorale, les allégeances de la presse aux politiciens sont encore plus visibles. Ainsi écrit-elle : « Au Congo-Brazzaville également, l'argent récolté à l'occasion de la campagne a permis de renflouer les caisses des médias en difficulté »101(*). Pour étayer son propos, l'auteur cite le directeur de publication de La Semaine africaine qui avoue que les élections sont un moment faste à l'égard de la presse pour des communiqués rentables. Ce qui explique, en partie, l'apparition et/ou la réapparition de certains titres à l'orée des échéances électorales. Un constat étaye ce point de vue. Lors des élections législatives de 2012 par exemple, plus d'un nouveau titre a vu le jour dans le paysage médiatique congolais. Le cas de Boponami, Vision Nouvelle ou Le Troubadour (bimensuel satirique d'information) dont le N°00 a été mis sur le marché le 11 juillet 2012 et de L'oeil Neuf, tous nés en réalité pour servir de supports de campagne. Dans la foulée des échéances électorales, on a vu réapparaître des titres comme Echos-News 777, un « hebdomadaire » du Groupe Talassa, après plus de deux ans d'éclipse. Le rôle de l'État versus le rôle des organisations professionnellesL'État est un des acteurs majeurs dans le secteur de la presse. Le potentiel de production de la presse, les obstacles à sa viabilité économique ainsi que les conséquences (fastes et néfastes) qui résultent de la débrouillardise de la presse congolaise pour le développement et la démocratie posent le problème du rôle de l'État. Celui-ci doit à ce titre : - Organiser la formation (initiale, continue). À notre sens, la formation sur le tas devrait être réservée à une certaine élite pour éviter de profaner le métier du journalisme. Il conviendrait alors d'exiger au futur journaliste un niveau d'étude supérieur ou égal au Bac + 5 ; - Rendre effective l'aide (directe ou indirecte) à la presse modulée en fonction de la périodicité, la régularité du titre, du tirage, du nombre des journalistes professionnels employés dans un organe, de la diffusion, des charges sociales et du respect du cahier des charges et du dépôt légal, ceci après au moins deux ans de parution à la suite de la création d'un titre. Au regard de l'expérience du Tchad ou du Burkina Faso (Serge Théophile Balima et Marie- Soleil Frère, 2003), il serait préférable d'envisager une aide indirecte à la presse pour éviter que l'aide directe (financière) ne serve à d'autres fins et ne profite aux journalistes et à leur rédaction ; - Exiger des organes d'information d'indiquer, à chaque parution, le nombre d'exemplaires totaux imprimés de l'édition précédente dans l'ours de leur journal, et exiger plus de transparence sur leurs activités en leur imposant des rapports mensuels sur leurs recettes ; supprimer les organes de presse écrite de service public en raison d'une absence de rentabilité et de productivité. Si ce n'est pas le cas, l'État consentirait-il une part de l'aide à la presse si un jour cette aide devenait effective ? - Délivrer la carte professionnelle aux journalistes pour protéger la corporation des brebis galeuses et fixer un capital nécessaire pour la création d'un titre pour ne pas saturer inutilement le paysage médiatique et veiller au respect du SMIC dans le traitement des journalistes; Par ailleurs, les associations des professionnels de l'information et des éditeurs ne sont pas dynamiques et unies. Par manque de soutien interne et externe, les groupements professionnels ne sont pas en mesure, non seulement de jouer le rôle de dialogue avec les pouvoirs publics pour défendre la corporation des journalistes, mais également de rendre service à leurs membres confrontés aux menaces des milieux politiques et exploités par des promoteurs. Et éditeurs ou promoteurs des organes de presse demeurent quant à eux dans une posture de concurrence sans se soucier des intérêts communs. Pour cela, ils doivent demander : - L'application et le respect de la convention collective pour un meilleur traitement des journalistes par les employeurs et définir le prix d'une rémunération à la pige ; - Plaider pour une centrale d'achat pour s'approvisionner en consommable ou grouper les achats et privilégier une concentration des organes de presse selon les tendances ou orientations éditoriales (pour ou contre le pouvoir en place), avec un conseil d'administration regroupant éditeurs de même tendance éditoriale en vue de bénéficier des économies d'échelle liées aux coûts d'impression toujours croissants et valoriser une audience plus importante auprès des annonceurs et garantir un meilleur traitement aux journalistes afin d'exiger d'eux un travail rigoureux et professionnel. * 99 Entretien personnel avec Pierre Nzissi-Bambi; Brazzaville, 18 juillet 2012 * 100 L'OCM, Etat de la presse en 2005, Brazzaville, mai 2006; P.11 * 101 Marie-Soleil Frère, Élections et médias en Afrique centrale; Paris 2009, P.242.
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