Crowdsourcing le graphisme peut-il se faire uberiser ?( Télécharger le fichier original )par Damien Henry CELSA Paris Sorbonne - M2 Communication et Technologie Numérique 2015 |
III. Le crowdsourcing au coeur des préoccupationsHypothèse 02 : La création graphique dans un contexte économique fragile est mise à mal par le crowdsourcing qui brouille davantage les frontières entre les amateurs et les professionnels et ne fait qu'augmenter la méconnaissance de ce métier. 1) Introduction Notre étude nous a permis de constater que les gagnants qui cumulent le plus de victoires sur ces plates-formes sont de vrais professionnels, souvent autodidactes venus parfois chercher une forme d'échappatoire à leur activité d'agence. Ils se retrouvent en concurrence avec des amateurs et des pro-am qui tentent de percer et d'en faire une activité à part entière. Comment définir un professionnel d'un amateur en design ? Il y aurait donc deux approches possibles : celle qui définit le professionnel par le fait qu'il paye des cotisations et génère un revenu de son travail d'auteur et celle qui consiste à dire que l'expertise, sa qualification, suffit pour faire de lui un professionnel. Flichy souligne que la zone grise qui sépare les pros des amateurs est en effet plus difficile à situer et à défendre (Face à la contre-expertise scientifique de Wikipédia, par exemple). Cela demande un changement de positionnement de la part du professionnel pour expliquer ce qui définit son expertise de celle d'un amateur. Nous verrons dans cette seconde partie que le designer est bien plus qu'un technicien, il possède une démarche qui va, au delà de son statut juridique le qualifier de professionnel. « La montée en puissance des amateurs peut [...] être profondément déstabilisante pour les experts-spécialistes. Il est difficile pour l'enseignant d'avoir en face de lui des élèves qui contestent son savoir au nom d'informations recueillies dans des encyclopédies en ligne. [...] Ces nouveaux rapports sociaux obligent le spécialiste à changer de position et de ton : ne pouvant plus imposer son savoir par des arguments d'autorité, il doit s'inscrire dans une relation plus égalitaire où il faut expliquer, dialoguer, convaincre, tenir compte des objections de ses interlocuteurs. » (P. Flichy, 2010) Prenons un peu de recul pour comprendre le contexte dans lequel cette nouvelle économie du crowdsourcing est en train de s'inscrire. La vitesse d'expansion de ces nouvelles économies numériques est frappante : Creads est passé par exemple en 5 ans de 2 à 50 employés, sa communauté créative de 9500 à 60000154, avec plusieurs levées de fond155. Assimilés à de Nouveaux barbares fondant sur Rome (Dedieu, Mathieu, 2015) 156, Netflix est par exemple valorisé autant que Saint-Gobain, soit 25,2 Milliards de dollars alors que la plate-forme de streaming totalise 75 fois moins de salariés157. Des effectifs modestes liés au modèle d'externalisation. Profitant du climat économique morose et du chômage de masse, ces usages permettent aux particuliers, aux amateurs d'améliorer leur pouvoir d'achat au point d'en faire leur activité principale. 154 Creads. « Dossier de presse-web - folder-kit-web-fr.pdf » [En ligne]. 2014. Disponible sur: < http://www.creads.fr/media/press/folder-kit-web-fr.pdf > (consulté le 1 août 2015) 155 2008, 2009 et dernière en date 2014 via le fond CM CIC, filiale du réseau Crédit mutuel et CIC. 156 Dedieu F., Mathieu B. « Liber, Airbnb, BlaBlaCar... L'invasion des barbares ». juin 2015. Disponible sur: < http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/uber-airbnb-blablacar-l-invasion-des-barbares_1683952.html > (consulté le 11 juillet 2015) 157 2500 employés pour Netflix contre 187000 pour Saint-Gobain 64 Ces entreprises championnes de la disruption158 emploient peu de monde et leurs coûts de fonctionnement sont bas. Elles peuvent ainsi pratiquer des prix très compétitifs. Cependant, des emplois précaires voient le jour autour de ces nouveaux marchés de l'internet. Les Auto-entrepreneurs, limités à un plafond de chiffre d'affaire, deviennent concurrents alors qu'ils font partie de la même communauté. Le terme même du travail est remis en cause par ces occupations au statut flou qui brouillent davantage la perception du travail tel que l'on pouvait le concevoir il y a encore quelques années. Cette « destruction créatrice » (J. Shumpeter, 1943)159 entamée par la désindustrialisation massive des années 80160 touche désormais le tertiaire et les services jusqu'alors épargnés. Les cols-blancs sont touchés de plein fouet par la paupérisation de leurs métiers assurés désormais par une foule établie dans des pays où le niveau de vie est moins élevé. Alors qu'il était possible de faire sa carrière au sein de la même structure, les entreprises dirigées à l'ancienne, avec une hiérarchie pyramidale et une organisation par cellules perdent du terrain. Les carrières sont ponctuées de trous et les contrats de travail deviennent flexibles (ou précaires selon les points de vue). Dans le secteur du design, le free-lance constitue le réseau informel des start-up et des agences. Ces travailleurs indépendants nomades et mobilisables à la demande selon les besoins interviennent de manière ponctuelle. Il n'y a plus de visibilité à long terme pour ces travailleurs ne bénéficiant parfois d'aucune couverture sociale. Le statut d'auto-entrepreneur161représente à lui seul ce courant de pensée individualisée qui pousse à considérer le travail comme un coût et non comme une ressource. L'identité du travailleur se perd au milieu des nouvelles pratiques numériques. En travaillant de manière décentralisée, le créatif invisible, repousse les frontières entre travail et emploi, il doit lui-même trouver ses clients, fournir de la valeur. Derrière une idée de liberté et d'indépendance véhiculée par la perte de hiérarchie, tout repose sur les épaules du free-lance, il y a une perte de sens de la valeur-travail. Le salariat semble devenir obsolète et notre modèle de sécurité sociale basé sur l'emploi162, menacé par ces nouveaux acteurs qui accentuent encore cette précarité. « Il faut se demander ce que l'atomisation du travail va impliquer pour notre modèle social » (Gauthey, 2015)163 Comme nous venons de l'évoquer en première partie, l'absence de pratiques discursives sur les plates-formes et le manque d'accompagnement préparatoire pendant la phase de conception pourraient remettre en cause la place du designer dans un processus créatif. Ces lacunes ne font qu'accentuer le malaise au sein des professions du design. Le CS tel qu'il est pratiqué par ces plates-formes devient alors spéculatif et rencontre une forte opposition de la part des designers. 158 La disruption consiste pour une organisation à sortir de sa zone de confort et des idées reçues pour changer l'ordre établi et les conventions afin d'occuper un océan bleu où le potentiel de développement est plus important. Il sera plus facile pour la marque ensuite de faire naviguer son produit, sa communication. Voir complement en annexes : p192, 5) La zone de confort et la prise de risque. 159 Joseph Schumpeter, 1943 Traduction française 1951 Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Payot, p.106 et 107. 160 L'industrie représentait environ 4,5 millions d'emplois en 1980 contre 2,4 en 2008 (INSEE) 161 Créé en 2008 avec la loi de modernisation de l'économie (LME) 162 Les charges payent la sécurité sociale et les retraites, elle diminuent fortement avec le statut de freelance : environ 20% contre 60% pour les salariés. 163 Gauthey M.-A. « L' uberisation , nouvelle mythologie française ». Les Echos Business [En ligne]. 17 mars 2015. Disponible sur : < http://business.lesechos.fr/directions-generales/0204227707880-l-uberisation-nouvelle-mythologie-francaise-109163.php > (consulté le 1 août 2015) 65 Pour répondre à notre seconde hypothèse, nous partirons d'observations plus larges liées à l'externalisation du travail sur le web (outsourcing). Nous verrons tout d'abord qu'il existe des modèles de CS qui permettent aux professionnels de la création de se demander si leur métier peut lui aussi se précariser de manière extrême. Pour illustrer ces dérives du travail sur le web, nous allons nous appuyer sur l'édifiant documentaire Les Forçats du Cybermonde (2007) de Vanina Kanban164 et étudier une expérience du journaliste Yann Guégan165 sur Fiverr166. Après avoir défini plus précisément la notion perverted-crowdsourcing et ses origines, nous tenterons de comprendre dans cette seconde partie si la crainte des professionnels est un réflexe d'auto-défense corporatiste ou si elle se justifie par le fait que les droits des créatifs sont réellement diminués. En élargissant l'observation au-delà du CS nous verrons que l'expertise de designer perd en crédibilité de manière générale. Nous évoquerons les nombreuses dérives autour des appels d'offres et le manque réel de reconnaissance du métier auquel s'ajoute un statut du graphiste au bord de l'essoufflement. Nous ferons nos analyses à partir du débat occasionné par l'affaire Creads et du travail gratuit en nous appuyant principalement sur les entretiens réalisés dans le cadre de cette étude et les articles de blogs parus sur le sujet. Nous utiliserons également les informations fournies par l'Alliance Française des Designers pour alimenter cette recherche. Dans un second temps nous vérifierons si cette pratique a un impact sur la qualité des productions et ce qui est mis en jeu pour les marques. Pour clore cette partie, nous verrons par l'exemple de la refonte du logo de Charleroi en quoi consiste un design de qualité. 2) L'outsourcing pour comprendre les dérives possibles Les forçats du cybermonde Les industries créatives sont naturellement touchées par ce phénomène, on peut distinguer deux niveaux de pratique du CS : les concours et l'externalisation directe (outsourcing). Au regard de certaines pratiques extrêmes nous pourrons aussi comprendre pourquoi les professionnels du design sont si méfiants envers les plates-formes de crowdsourcing. - vous accepteriez de travailler pour 3$ de l'heure ? - moi probablement pas, mais je suis certain que l'on peut trouver un étudiant qui serait d'accord, des gens qui accepteraient de travailler chez eux pour ce prix. Des gens qui ont décidé que c'est ce qu'ils voulaient faire. Personne ne les force, il n'y a aucune pression, aucune torture. Ils font ce travail parce qu'ils le veulent. (Jeff Barr, responsable marketing Amazon)167 164 Vanina Kanban, « Les Forçats du Cybermonde », 2007. À propos de la plate-forme Amazon Mechanical Turk. 165 Guégan Y. J'ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros [En ligne]. Dans mon labo. Disponible sur : < http://dansmonlabo.com/2015/07/05/comment-jai-fait-faire-mon-logo-au-bangladesh-pour-5-euros-837/ > (consulté le 18 juillet 2015) 166 « Fiverr : Dessins, marketing, amusement et bien plus de services pour $5 » Disponible sur : < https://fr.fiverr.com/ > (consulté le 8 octobre 2014) 167 Vanina Kanban, « Les Forçats du Cybermonde », 2007. À propos de la plate-forme Amazon Mechanical Turk. 66 Jusqu'où une plate-forme peut-elle globaliser et finalement créer une nouvelle forme d'esclave ? Pas de grille de salaire ni de contrat, ni de sécurité sociale. Un jeu qui passe parfois au-delà des lois. Les nouveaux travailleurs du web, par centaines, n'ont aucune certitude en terme de sécurité d'emploi. La sous-traitance avec ses petites mains de l'internet est sans doute la forme la plus extrême de ce que l'on peut trouver en terme d'activité liée au web 2.0. Les champs de sourcing se sont élargis et même complexifiées depuis 2007. Les questions soulevées par le film très engagé de Vanina Kanban montrent une facette obscure du 2.0168. La face cachée de l'internet ressemble aux temps modernes de Chaplin et on comprend vite que les nouvelles technologies ont remis au goût du jour de manière globalisée, un monde du travail digne du 19ème siècle. Certains modèles bien moches Il est intéressant d'explorer 3 exemples représentatifs de ce que l'on peut qualifier d'outsourcing : Le gaming En 2007, les jeux en réseau battent leur plein, des jeunes chinois jouent pour le compte d'occidentaux afin d'améliorer les personnages. Ces joueurs-esclaves gagnent à peine 90€/mois pour 12 heures par jour passées devant les écrans. Eux ils paient, nous on bosse glisse l'un deux. Le patron quant à lui se préoccupe plus du faible rendement de ces jeunes employés que de la loi qui interdit l'embauche des mineurs169. Les tarifs sont au départ très élevés au niveau la société mère et des clients, mais une suite de sous-traitants distille les revenus des employés en bout de chaîne. Dans une scène surréaliste, un sous-traitant débarque au siège chinois de la société américaine. Il prend alors une employée en otage et menace avec une arme afin de toucher son salaire. Un acte désespéré que cherche à minimiser la société américaine... Amazon Mechanical Turk Mechanical turk170 est un site de micro-tâches au nom barbare proposé par Amazon : un échange de service, souvent lié à internet (recherche, test, ontologie). Jeff Barr, responsable marketing Amazon estime qu'il s'agit d'un bon moyen de sous-traitance pour les entreprises débordées. Elles n'ont plus à investir de ressources internes pour des tâches répétitives. Selon lui, l'avantage est de permettre à tous et partout dans le monde de participer. Agnès Laurent, une travailleuse française du site interrogée dans ce documentaire gagne 9$ pour 450 tâches et environ 15 heures de travail (non déclarées). Randy Foreman, a gagné environ 175$ en 6 mois, en répondant à des questions d'internautes. Il fait ça pour le plaisir, pour utiliser son ordinateur et pour aider... on peut donc se poser la question de la motivation qui pousse ses personnes à oeuvrer pour rien171 mais qui permettent, sans toujours le savoir, d'enrichir de grosses entreprises comme Amazon. Pour les clients, aucune garantie de résultat et pas d'explication à donner en cas de refus. En France il n'est pas possible d'être payé par la plate-forme, sauf en bons cadeaux ce qui doit certainement dissuader quelques internautes. 168 Étant pourtant informé et sensible à l'éthique des entreprises sur le web, je suis resté sidéré par ce que j'ai découvert 169 La majorité est de 18 ans en Chine 170 « Amazon Mechanical Turk - Welcome ». Disponible sur : < https://www.mturk.com/mturk/welcome > (consulté le 16 janvier 2015) 171 Cf La perte de motivation des Oompas lompas, partie II, en page 52 67 Fiverr Le dernier exemple Fiverr, le Mechanik turk d'activités créatives, concerne directement les graphistes. Cette plate-forme d'outsourcing permet de trouver des free-lances en graphisme, traduction, programmation web, composition musicale...pour un prix plancher de 5$ la création. On entend souvent dire qu'un logo coûte cher et il est facile de trouver des témoignages d'entrepreneurs qui disent avoir trouvé la formule gagnante en faisant réaliser un logo à moindre coût via un site de sous-traitance (outsourcing). « J'utilise Fiverr depuis plus d'un an pour tous mes designs. Logo, ebook cover, bannières, cartes postales, flyers, intro vidéo etc... Je n'ai jamais été déçu. C'est incroyable de penser que l'on peut trouver des gens très pro pour $5. Ce que j'aime en plus c'est que la plupart du temps tout est livré en 4 a 5 jours. Donc pas cher plus rapide- It's a steal. » (Biba de Networking et réseaux, 2014) Plusieurs expériences (Sasha Grief172, 2015 ; Weiler J, 2014173) ont été tentées pour comparer les offres de création de logo discount. Dans son article J'ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros, le journaliste Yann Guégan, part du constat autour d'Uberpop, et se demande si les graphistes peuvent aussi se faire du souci. Il passe commande à partir d'un brief très simple pour refaire son logo en présentant rapidement son entreprise et reçoit 27 offres174. 70% sont au prix minimum proposé par le site : 5€. Les autres offres allant de 5€ à 55€, il choisit, « perdu dans cette liste » de « talents les plus créatifs au monde » (Fiverr) trois graphistes avec pour seules indications les commentaires et évaluations des acheteurs, un petite bio du créatif et son temps moyen de réalisation. Sur le même principe qu'eBay, les créatifs sont présentés comme des produits de consommation où chacun tente de se démarquer par une Baseline digne d'un marché aux puces175. À renforts de smileys, les échanges sont rudimentaires, sans avoir le temps d'approfondir le brief, les retours sont très rapides. Les fichiers sont livrés dans des formats plus ou moins exploitables. Inutile de s'attendre à une valise de logo permettant différents types d'utilisation ni même une charte d'utilisation176 : débrouillez-vous ! Au delà du manque d'originalité, le plus inquiétant concerne les droits autour de la création : les visuels sont souvent repris d'autres logos ou proviennent directement de banques vectorielles. Un algorithme tel que Vistaprint ferait presque mieux. Après avoir reçu 3 propositions et des fichiers exploitables d'Israël (55$), du Pakistan (15$) et du Bangladesh (5$), le journaliste finit par conclure : 172 « What Kind of Logo Do You Get for $5? ». In : Medium [En ligne]. Disponible sur : < https://medium.com/@sachagreif/in-the-past-couple-years-startups-have-started-realizing-that-good-design-can-make-the-difference-2fdeb90d390a > (consulté le 18 juillet 2015) 173 Source > Weiler J. « Entrepreneurs, j'ai testé la création de logo à prix discount ! ». 2014. Disponible sur : < http://businessinternational.fr/creation-logo-prix-discount/ > (consulté le 4 novembre 2014) 174 Capture d'écran permettant de constater la répartition des propositions en fonction des tarifs de prestations. Guégan Y. J'ai fait faire mon logo au Bangladesh pour 5 euros [En ligne]. Dans mon labo. Disponible sur : < http://dansmonlabo.com/2015/07/05/comment-jai-fait-faire-mon-logo-au-bangladesh-pour-5-euros-837/ > (consulté le 18 juillet 2015) 175 La traduction automatique du site n'arrange pas les choses. 176 Une valise de logo permet ensuite d'utiliser celui-ci dans différents cas d'utilisation, en général, elle est accompagnée d'une charte graphique qui indique par des règles comment décliner la création selon les supports. Différents formats sont fournis : Eps, RVB, CMJN, couleur, NB... « Au final, le graphisme me semble une profession difficile à « uberiser », en tout cas d'une façon aussi radicale que celle proposée par Fiverr - même si ce secteur, comme bien d'autres, compte son lot de précaires qu'on cherche à payer toujours moins cher. » (Yann Guégan, 2015). 68 Ci-dessus : Capture du site Fiverr, sur la page permettant de choisir son créatif, ici pour créer une « Amazing infographie » Cette pratique managériale d'externalisation permet aux organisations d'accéder à des connaissances externes très variées, souvent à faible valeur ajoutée car il s'agit de micro-tâches répétitives. Les frontières entre crowdsourcing compétitif et outsourcing sont souvent très minces. Bien entendu, les concours de création sont loin de générer des situations de cette ampleur, mais les récents événements autour d'Uberpop par exemple génèrent un climat de méfiance envers les nouvelles formes d'externalisation du travail par la foule. Cela peut encourager des métiers en apparence protégés à voir rapidement le mal à travers ces nouveaux usages. 3) Perverted--crowdsourcing Les craintes des professionnels face au perverted--crowdsourcing Comme pour l'outsourcing, le crowdsourcing voit naturellement apparaître son lot de critiques, et peut vite devenir du « perverted crowdsourcing » ou également du « travail spéculatif 177». Ce qui est reproché avant tout est le manque de garantie d'indemnisation, qui aurait un impact négatif sur le métier et l'industrie du design dans son ensemble. L'autre aspect souvent évoqué est le manque de 177 Qu'est-ce que le travail spéculatif ? [En ligne], 2012. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=gemQQ0-RSyQ&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 15 novembre 2014) 69 pertinence dans le processus de création (concept, recherches, maquettes et rough178), qui vise à affiner la demande d'un client et à trouver des solutions personnalisées par des échanges avec celui-ci. Apparition du terme spec--work Internet est sans frontière. Les plates-formes sont également critiquées par les professionnels des pays dans lesquels elles se développent. Le terme spec-work179 est même plus employé que celui de perverted crowdsourcing. « Ce n'est pas nous franco-français-râleurs qui sommes les seuls à nous élever contre ce type de pratique. » (B. Fluzin) La plupart des sites de CS sont anglo-saxons. Les critiques apparaissent donc en France, avec un léger décalage. Les premiers à tirer la sonnette d'alarme sont des blogueurs ou acteurs du secteur qui cherchent à sensibiliser sur ces compétitions bénévoles. Métiers Graphiques, le forum Kob-One, le blog de Marie&Julien émettent de vives critiques concernant les dérives possibles du système. Au delà des questions éthiques liées au travail, elles portent surtout sur la vision erronée du design véhiculés par ces concours. Laissant croire qu'il est possible d'obtenir un travail de qualité à bas coût. Les puissants syndicats d'architectes ont su peu à peu se prémunir contre ces dérives. Les designers ont forcément moins de responsabilités qu'un architecte s'ils font du mauvais travail. Les tables rondes et autres colloques ayant tenté de réglementer ces compétitions n'ont fait que renforcer juridiquement les plates-formes de crowdsourcing. « Je ne sais pas si ils nous ont "renforcé", mais en y participant, je considère qu'au moins on prend part au débat et on essaye de trouver des solutions là où il y en a besoin. Par rapport à "disparaître", c'est sûr que "participer au débat" c'est certainement être renforcé! Mais notre objectif n'est pas de devenir plus forts à tout prix. C'est un effort de transparence et d'éducation... et de compréhension mutuelle. » (Précision de Yannig Roth par mail, 2015) L'association "union des photographes créateurs180, estime que les banques d'images ont cassé le marché. Il y a selon eux un nivellement par le bas. Ces photographes du tiers-monde et les agences qui participent font fonctionner ce marché. Ils ont ouvert une boîte de pandore. Le métier semble désormais à la merci du libéralisme et de la mondialisation. On se retrouve dans une suite d'exploitation en palier... avec en bout de chaîne le travailleur. À quel moment cela devient du travail spéculatif? Du côté des graphistes cela crée une grogne particulière au delà des considérations juridiques. Il n'est donc pas étonnant d'entendre parler de travail spéculatif. Le CS repose sur « une belle idée au départ » (F. Caspar, Alliance Française des Designers : AFD). Le partage de compétences peut apporter des solutions aux ONG ou associations dans un but qui peut 178 Ébauche, esquisse, travail préparatoire. 179 Speculative work ou travail spéculatif 180 Depuis : L'Union des Photographes Professionnels 70 être humanitaire par exemple. Pour Alec Ross, conseiller d'Hillary Clinton en innovation, l'Intelligence collective où la sagesse de la foule est parfois plus pertinente que celle d'un expert. Il constitue un outil de développement qui permet d'identifier des enjeux sociétaux qui n'auraient pas pu être résolus au sein d'un gouvernement181. Il donne l'exemple d'une application nommée Icow182, réalisée à la suite d'une campagne de CS en Afrique, permettant de rendre la traite des vaches laitière plus efficace. À quel moment s'opère la bascule entre le crowdsourcing et une plate-forme qui fait du perverted CS ? « On bascule là dedans quand on en fait une plate-forme justement. Une plate-forme qui ne fait que ça.» (G. Dorne) Pour Geoffrey Dorne, il arrive que des marques fassent des concours qui ressemblent à des appels d'offres déguisées où les droits de Propriété intellectuelle sont « réquisitionnés » après une faible rémunération183. Si le concours est un acte gratuit, qui n'est pas indispensable à l'entreprise : c'est en général assez sain. Lorsqu'une entreprise souhaite réaliser le meilleur logo, ou la meilleure interface pour son futur logiciel : il s'agit d'un travail déguisé sous forme de concours. Cela remet en cause le métier d'agent artistique réglementé qui protège les auteurs selon François Caspar, président de l'AFD, qui ajoute : « Les auteurs ne sont pas forcément businessman : il s'agit d'une population plutôt fragile. » Pour des graphistes salariés à mi-temps ou des amateurs, cela peut apparaître comme une source de revenus complémentaires. Lorsque le CS est utilisé comme une formule rapide pour trouver des missions ou des clients en attirant énormément de personnes fragiles, c'est différent. Le problème ne vient pas du fait qu'il y ait un intermédiaire selon les opposants, mais plutôt du fait que ces plates-formes fournissent un travail incomplet et se récupérent sur le nombre. Contrairement à un agent qui travaille au pourcentage. Le graphiste, lui n'est rémunéré que s'il obtient la commande. Un exemple revient souvent dans la bouche des opposants du «perverted crowdsourcing» : plusieurs cuisiniers proposent chacun un plat à un client. Celui-ci les goutera tous mais n'en choisira qu'un. Laissant les autres repartir sans avoir été payés pour le travail effectué. La Saga Creads Le mot d'Axelle Lemaire La question est d'autant plus d'actualité qu'en mai 2014, une déclaration d'Axelle Lemaire, Secrétaire d'État chargée au numérique, met le feu aux poudres. Dans la lignée des labels FrenchTech mis en place par Fleur Pellegrin, celle-ci se déplace au sein de « l'agence participative » Creads : « Les politiques ont besoin d'être davantage à l'écoute des startups. Il est plus que nécessaire de lutter contre la morosité ambiante. Creads a un rôle d'exemplarité à jouer. Vous êtes la France qui gagne. Il 181 Kirpalani A. « Alec Ross, conseiller d'Hillary Clinton: «le crowdsourcing, un outil de développement». » In : Youphil [En ligne]. , 2012. Disponible sur : < /fr/article/04917-alec-ross-hillary-clinton-crowdsourcing-developpement-facebook-twitter?ypcli=ano > (consulté le 19 août 2015) 182 « The Best African Mobile Apps: iCow ». In : Forbes [En ligne]. Disponible sur : < http://www.forbes.com/sites/mfonobongnsehe/2011/08/02/the-best-african-mobile-apps-icow/ > (consulté le 19 août 2015) 183 L'AFD veille d'ailleurs sur cette question. Voir en partie I, partie consacrée aux droits d'auteurs en page 52 71 faut le faire savoir ! Je suis très sensible à l'univers de Creads. Il y a une excellente énergie positive ici. Je comprends que 50000 créatifs vous aient rejoint ! » (Axelle Lemaire) #Travail Gratuit La communauté graphique, un public plus sensible, se réveille et lance une pétition d'ampleur nationale184 pour s'opposer au travail spéculatif, sous le terme de travail gratuit (#TravailGratuit sur Twitter). Certains avancent des solutions, d'autres veulent simplement interdire ces pratiques déloyales. Tous ont un avis passionné, car c'est le métier même qui selon eux est en jeu. Cette pétition et les débats virulents sur Twitter vont permettre de prolonger un dialogue déjà entamé deux ans plus tôt. Des designers reconnus comme Ruedi Baur ou Jean-Louis Fréchin ont en effet déjà soulevé cette question du CS spéculatif dès 2012 (articles de presse, billets de blog, conférences). Les rencontres au ministère Au-delà de la bourde en terme de communication de la part d'Axelle Lemaire (qu'elle a reconnu en OFF), ces rencontres ont permis d'expliquer à la secrétaire d'État la raison de la grogne des professionnels : un rapport rédigé par cette communauté a été remis ce soir là. Ce qui intéresse le ministère c'est l'aspect juridique : que le travail soit gratuit, c'est là qu'il faut légiférer. Une crainte sous-jacente pendant toute la discussion était de savoir si en interdisant ce type de plates-formes en France, on allait assister à une migration des utilisateurs vers les sites étrangers ; ce qui freinerait l'innovation de la FrenchTech. Dans cette affaire, on pense « numérique » et on pense peu à « économie » (B. Fluzin). Insertion professionnelle, création d'emploi, exode des talents à l'étranger... La vision du ministère est centrée sur ces aspects. Ce positionnement économique, qui est également celui du gouvernement de manière plus large, a marqué certains participants. Si Uber était issu de la FrenchTech, le gouvernement aurait-il pris aussi vite la décision de sa fermeture ? Contrairement aux taxis qui dénoncent une concurrence déloyale, la difficulté pour la délégation de designers est donc de faire comprendre qu'ils ne sont pas des « affreux coco » (B. Fluzin) contre le salariat ou la concurrence, ils estiment qu'il s'agit surtout de travail dissimulé : « Quand on est free-lance, la concurrence : on vit avec, on l'embrasse parce qu'elle est stimulante. Lorsque l'on voit un voisin qui fait un truc mieux que nous, on a envie de faire encore mieux. Mais que dans cette situation185, il s'agit vraiment de travail dissimulé - de notre point de vue » (B. Fluzin) Pas de jurisprudence Se posent alors des questions légales avec les experts de la commission légale de Bercy présents. Ils apportent un éclairage concernant la possibilité d'une concurrence déloyale ou d'un travail dissimulé. L'essentiel de la discussion portait sur ce point : « Comment qualifier cet acte de faire travailler un très grand nombre de personnes en n'en rémunérant qu'un petit nombre ? » Leur réponse est alors de dire qu'il n'y a pas de jurisprudence. Un responsable politique ne peut affirmer publiquement l'illégalité de la pratique s'il n'y a pas de précédent. En effet nous verrons que 184 7000 signatures de professionnels du graphisme 185 En parlant de l'affaire Creads et du CS. 72 ces plates-formes sont très prudentes quant aux termes employés dans les contrats des concours, d'ailleurs très rapidement corrigés au moindre doute : c'est une question de survie pour elles. L'AFD186très impliquée sur les questions des droits du designer, a une approche différente des intervenants sans véritable structure venus en simples professionnels et plutôt issus de Twitter ou de la blogosphère (B. Fluzin par exemple) ce qui a généré des petites tensions. Le débat jugé globalement très intéressant avec une discussion franche et riche (B. Fluzin) était pourtant, selon Geoffrey Dorne, peu constructif car « trustée par deux ou trois personnes monopolisant la parole autour de la table. Uniquement là pour dire : « le CS c'est mal et nous on fait des trucs bien et c'est tout ». Par manque de connaissance de la plate-forme dans les détails, certains intervenants, ont tenu des propos parfois provocateurs vis à vis d'Axelle Lemaire : « J'aimerais sortir de cette réunion en ayant une réponse de votre part à la question : Est-ce que demain, j'ai le droit ou pas de faire travailler des gens gratuitement pour mon compte ? En tant que jeune chef d'entreprise, si vous me dites oui, cela change beaucoup de choses. » (B. Fluzin reprenant les mots d'un intervenant virulent) Une chose est sûre : il faut un dialogue plus riche car le CS risque d'exister encore longtemps. 4) Contexte difficile pour les professionnels du design La colère des professionnels du design est accentuée en toile de fond par un contexte économique difficile, des méthodes parfois à la limite de la légalité en ce qui concerne les appels d'offres liés à la création et une méconnaissance générale d'un métier aux statuts précaires. On constate une certaine dévalorisation de l'oeuvre de l'esprit qui consiste uniquement à considérer un travail de design pour ce qu'il devient sans se demander d'où il vient. Pourquoi c'est cher une idée ? « Difficulté de reconnaissance comme professionnel, préjugés sur le métier, multiplication des graphistes de tous niveaux, aidés par facilités d'accès aux outils et aux ressources gratuites. Statut facilité par l'auto-entreprenariat.187 » (Thomas Pascaud) Les Gratuistes et la méconnaissance du métier Il y a un nombre très important de demandeurs d'emploi dans le métier de la communication visuelle. Pôle emploi conseille même aux graphistes qui s'inscrivent d'envisager une reconversion. Les postes sont moins nombreux que les demandes, les agences ne peuvent absorber tous les jeunes diplômés et le marché non plus. Les salaires sont revus à la baisse et un étudiant qui vient d'effectuer cinq années d'études commence en agence souvent en CDD à moins de 1500€ net par mois, voir encore moins en province. Les formations express proposées par des organismes comme Pyramid188 viennent par ailleurs alimenter ce marché saturé de personnes qui deviennent, après une session dans Indesign ou Photoshop, des 186 AFD : L'alliance Française des designers dont est président François Capsar. 187 « Un graphiste, pourquoi c'est cher | Thomas Pascaud ». Consulté le 4 novembre 2014. http://thomaspascaud.com/un-graphiste-pourquoi-cest-cher/. 73 graphistes. Le spectre du designer est d'avantage brouillé car il peut être difficile, pour un recruteur de trouver les compétences qu'il recherche. On se trouve aussi aujourd'hui dans une situation avec un bon enseignement généraliste dans la plupart des écoles, mais on manque de spécialités. Les jeunes étudiants se retrouvent plus facilement en difficulté car ils n'ont pas eu suffisamment de préparation pour valoriser leur savoir-faire et s'armer contre les clients abusifs lorsqu'ils débutent en free-lance. Pôle emploi et certains sites spécialisés189 relaient même des offres d'emploi bénévoles pour des gratuistes190 à la limite de la légalité, il existe d'ailleurs des sites qui recensent toutes ces offres souvent mises en ligne par des associations. On trouve cependant des PME ou start-up qui n'hésitent pas, sous prétexte qu'il s'agit d'un métier créatif - une passion donc - à évoquer une rémunération potentielle en cas de réussite du projet, avec le graal à la clé : une promesse d'embauche. Bien entendu, les exigences sont les mêmes que pour une mission classique : « Il devra avoir du talent et toutes les compétences d'un professionnel (Pôle Emploi)»191 Le graphiste en recherche d'opportunité192 devra alors justifier avoir répondu à une offre mais ne pas toucher de salaire. La difficulté sera donc, dans ces métiers de déceler l'emploi dissimulé du bénévolat et bien différencier une activité à but non-lucratif d'un objet commercial. La méconnaissance du métier de la part du grand public est une des difficultés que peut rencontrer un graphiste dans sa recherche d'emploi, le cliché voudrait qu'un créatif travaille « pour la gloire » (S. Drouin). « Le graphiste... Cette créature à mi-chemin entre le professionnel et l'artiste, que les gens ne savent pas trop où caser, pour finalement lui coller quand même l'étiquette « artiste » sur le front. » (S. Drouin)193 Comme nous l'avons évoqué en introduction, un graphiste est polyvalent avec les outils, la facette artistique est un des aspects qui caractérisent un designer. Il doit trouver un juste compromis entre le besoin du client et ses propres envies. La sensibilité doit servir de facette émotionnelle finale et ne servir que le fond, qui est bien plus structuré. Un graphiste communique pour les autres, il sait interpréter une demande et la traduire visuellement. Il a parfois fait jusqu'à 5 ans d'études pour apprendre certaines règles de mise en page, de typographies et une façon de répondre de manière pertinente à une commande. 188 « Pyramyd / Centre de formation / Paris / PAO, Web, Mobile, Vidéo » Disponible sur : < http://pyramyd-formation.com/ > (consulté le 9 août 2015). 189 Graphicjob, regionJob ou monster par exemple. 190 Marenati M. Quand Pôle Emploi propose du travail sans salaire aux graphistes - Manufacture créative Aether Concept [En ligne]. Manufacture créative Aether Concept : Graphisme print, conception web et formation à Saint-Brieuc et Rennes. décembre 2014. Disponible sur : < http://www.aetherconcept.fr/pole-emploi-travail-gratuit-graphiste/ > (consulté le 21 décembre 2014) 191 (Extrait offre n°1018510 parue le 10/12/2014 sur le site de Pole emploi) 192 Ce terme est utilisé pour éviter de prononcer le terme « emploi » par des plates-formes comme Linkedin ou Viadeo 193 Drouin S. « Cherche graphiste bénévole : Va te faire voire, ça ira ? » - Manufacture créative Aether Concept [En ligne]. Manufacture créative Aether Concept : Graphisme print, conception web et formation à Saint-Brieuc et Rennes. 7 mai 2013. Disponible sur : < http://www.aetherconcept.fr/cherche-graphiste-benevole/ > (consulté le 17 février 2015)
Les arguments utilisés par les clients en contrepartie d'un travail gratuit sont nombreux : une publicité gratuite avec le privilège d'indiquer votre nom d'artiste sur la réalisation, ce qui est en fait obligatoire194 ou un book alimenté par une référence de poids, argument léger que s'amuse à transposer dans une autre profession195les illustrations de « mon maçon était illustrateur ». En inversant simplement la situation, cela peut rapidement devenir ridicule : « Hey ! Tu m'installes une salle de bain toute neuve gratos ? Tu pourras toujours dire que tu as fait une installation chez un super graphiste ! » (S. Drouin, 2013) Ce dernier argument est souvent utilisé pour dénoncer le CS, il s'agit du concept d'être payé si le résultat convient. Le client de mauvaise foi dira aussi qu'il a toujours fonctionné comme ça. Lui dire de continuer ainsi et passer son chemin serait l'attitude à adopter face à ce type de client. C'est souvent l'inexpérience des jeunes designers qui les pousse à accepter ce type de commandes... On retrouve hélas ce principe au niveau des appels d'offres. Dévalorisation de l'image que l'on a du design et du designer n' Résumer le métier de designer à l'exécution graphique revient à amoindrir l'expertise (G. Dorne). Le savoir-faire dévalorisé est alors au coeur de la réflexion autour du CS. Toutes les étapes de travail existent plus pour le client qui pense acheter uniquement un résultat visuel. La préoccupation des professionnels ne tourne donc pas uniquement autour du statut, mais de la valeur du travail ou l'idée ne vaut pas grand-chose en comparaison avec l'expertise de départ. (F. Caspar). Cette démarche produit du dumping social et habitue des clients potentiels à avoir une grande quantité de réponses pour un faible coût. Cela revient encore à donner l'impression que les graphistes exercent un métier-passion (Plus passion que travail selon Baptiste Fluzin) et peut aussi fausser l'idée que les clients peuvent avoir du design. « Ça dévalorise le travail, pas uniquement au niveau des professionnels, mais aussi du grand public ou entrepreneurial, ça dévalorise l'image que l'on a du design, l'image que l'on a du designer, son savoir-faire, son sérieux la qualité et le prix que ça coûte aussi. C'est cet aspect le plus gênant, j'essaie de me battre contre ça justement en disant que le design n'est pas juste la couche visible de l'iceberg mais tout ce qui se trouve en dessous aussi. » (F. Caspar) Il est urgent de sensibiliser davantage sur ce secteur d'activité dans un pays comme la France où la 75 culture visuelle est moins forte qu'ailleurs en Europe196 précise François Caspar de L'AFD. 5) Les appels d'offres et leurs dérives Cette méconnaissance du métier très bien décrite par les travaux de Marion Phelebon197 (2014), Manon Verbeke198 ou Yohann Bertrandy199 (2009) se traduit surtout par une incompréhension concernant les tarifs des prestations et le travail de recherche effectué en amont. Cela se répercute notamment sur les appels d'offres et les mises en concurrence pratiquées par les organisations. Deux cadres d'appels d'offres Les appels d'offres publics sont des concours dépassant 15k€200 encadrés de manière très stricte par le Code des marchés publics (CMP) exigeant une mise en concurrence. En deçà, les règles sont moins strictes et n'exigent pas cette mise en concurrence201. Certains maîtres d'ouvrages s'arrangent parfois pour saucissonner des commandes en plusieurs petits fragments de commandes afin qu'elles ne dépassent pas les fameux 15K€ (B. Fluzin). La charte de l'AFD L'AFD dénonce dans une liste noire202 les appels d'offres douteux (publics essentiellement), où les droits des designers ne sont pas respectés. S'appuyant sur de nombreux principes déontologiques ou professionnels203, ce syndicat de designers définit à travers une charte204, les bonnes pratiques des concours de création en ce qui concerne leur mise en place (le jury, le règlement, l'attribution des indemnisations et des prix). Comme pour le CS, dans les domaines des arts graphiques, un concours est une compétition ouverte à un nombre non-limité de participants qui doivent répondre à une commande définie par un règlement, un jury205 effectue la sélection et attribue une récompense à l'auteur ou aux auteurs. Tous sont informés lors de la sélection sur le nombre et l'identité des participants. Un concours doit avoir 196 Benelux, Suisse en particulier possèdent une très forte culture visuelle et un respect du « bon design ». 197 Phelebon M. « La relation entre le client & le designer graphique » [En ligne]. Mémoire : Université de Paris-Est Marne-la-Vallée, 2014. Disponible sur : < http://fr.slideshare.net/geoffreydorne/la-relationentreleclientetledesignergraphiquemarionphelebon > 198 Verbeke M. « Un Graphisme Public - Manon Verbeke » [En ligne]. 2013. Disponible sur : < http://issuu.com/manontringaverbeke/docs/graphisme_public_memoire_manon > (consulté le 9 novembre 2014) 199 Bertrandy Y. « Tout le monde est graphiste - le livre. » [En ligne]. , 2009. Disponible sur : < http://issuu.com/yoannbertrandy/docs/ttlmonde-est-graphiste > (consulté le 29 octobre 2014) 200 Ces dispositions du décret n° 2004-15 du 7 janvier 2004 s'appliquent aux marchés d'un montant compris entre 15000 € HT et 193000 € HT. Au delà de ce montant, il un avis d'attribution au Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel des communautés européennes après signature des contrats (source AFD : Règles du jeu équitables des appels d'offres de la commande artistique et du design, 2010) 201 Les marchés inférieurs à 15 000 € HT (art. 28 du CMP) peuvent être passés sans publicité ni mise en concurrence. (Source AFD) 202 « AFD | Liste noire des appels d'offres de design ». Disponible sur : < http://www.alliance-francaise-des-designers.org/blog/2010/12/15/liste-noire-des-appels-d-offres-de-design-et-de-communication-1.html > (consulté le 7 décembre 2014) 203 Les règles professionnelles sont fondées sur les dispositions de la loi du 11 mars 1957. 204 « AFD | Charte des concours des arts visuels ». Disponible sur : < http://www.alliance-francaise-des-designers.org/charte-des-concours.html > (consulté le 15 janvier 2015) 205 Connu des participants et sous contrôle d'huissier. 76 un « cout élevé pour les organisateurs ». La première différence avec le CS se situe alors dans la cession des droits, aucune renonciation ne peut être exigée, et la distinction doit être faite entre le prix et une cession de droits : « Le montant des récompenses ne peut inclure la cession des droits moraux et patrimoniaux des auteurs, droits protégés par la loi du 11 mars 1957. » Tous les participants doivent être indemnisés à hauteur du travail à fournir, et en fonction de l'importance du concours, sur la base des tarifs pratiqués206. Aucune modification ne pourra par la suite être apportée à l'oeuvre sans accord de l'auteur, qui sera rétribué de manière complémentaire en cas de retouches. Les auteurs restent propriétaires de l'oeuvre. Des règles strictes ou des chartes encadrent donc ces appels d'offres mais souvent les limites sont franchies. Au niveau de la commande publique, on constate déjà de nombreux abus : délais souvent irréalistes fixés en fonction d'une deadline et non d'une charge de travail définie par la complexité de la commande ; pénalités de retard sous la forme de sanctions financières, parfois démesurées, prévues en cas de non-réalisation des travaux. Pourtant les retours clients souvent longs ne permettent pas toujours d'avancer, surtout si le brief (cahier des charges) est incomplet. Enfin, dans certaines commandes publiques par exemple il est exigé « des références similaires ». Comment répondre à un premier concours ? Se demande le studio Graphicstyle207. On retrouve également au niveau de la commande publique des principes sur le fonctionnement d'un appel d'offre : « Quel que soit le montant du marché, le pouvoir adjudicateur peut exiger que les offres soient accompagnées d'échantillons, de maquettes ou de prototypes concernant l'objet du marché ainsi que d'un devis descriptif et estimatif détaillé comportant toutes indications permettant d'apprécier les propositions de prix. Ce devis n'a pas de valeur contractuelle, sauf disposition contraire insérée dans le marché. Lorsque ces demandes impliquent un investissement significatif pour les candidats, elles donnent lieu au versement d'une prime. » (CMP, art 49)208 L'échantillon dont parle le texte de loi est souvent une « simple esquisse » demandée par les maîtres d'ouvrages. Ce n'est pas légalement un « investissement significatif ». Cela demande cependant un temps conséquent de recherche et de réflexion pour aboutir à cette idée ou ce concept. Ce temps de la réflexion n'est pas pris en considération, bien qu'il soit obligatoire. L'ère du Pitch : le crowdsourcing CS, sans plate--forme. Dans le cadre d'une consultation privée, bien moins normalisée, le client peut fixer lui-même les règles. L'indemnisation n'est pas systématique et le devient de moins en moins depuis quelques années. Même si le travail est significatif, le commanditaire peut consulter un nombre illimité d'agences ou free-lances, qui doivent fournir un travail conséquent. Le pitch gratuit (B Enns) est probablement un souci majeur de la profession, car il s'agit de professionnels que l'on rémunère 206 Il existe des grilles de tarifs sur le site de l'AFD, ou des logiciels comme http://www.calkulator.com/ 207 Graphicstyle. « Le scandale des appels d'offres. », 2015. Disponible sur : < http://blog.graphicstyle.fr/le-scandale-des-appels-doffres/ > (consulté le 14 juin 2015) 208 Article 49 du code des marchés publics 77 uniquement si un ensemble de facteurs convient au commanditaire. Les professionnels s'indignent car ce fonctionnement dévalorise la profession. Il existe alors un risque pour les participants non retenus de se voir plagiés par le détenteur final du marché. En outre les appels d'offres pipés sont souvent évoqués (et fantasmés) au sein des agences, souvent lorsque les amis du commanditaire remportent le marché. Se pose alors la question de la rentabilité : est-ce encore valable de répondre à un appel d'offre ? Du temps perdu pour tout le monde Comme pour le crowdsourcing, la norme tend à mettre en compétition de nombreux graphistes avant même de consulter leur portfolio. Une amie free-lance209 m'a donné l'exemple de 15 graphistes appelés à refaire l'identité d'un théâtre associatif. Dans cette situation, le risque de travailler pour rien est important et le client ne sait peut-être pas vraiment ce qu'il veut. Parfois les idées sont bonnes mais le devis est trop élevé... Alors pourquoi est-ce du temps perdu pour tout le monde ? Comme nous l'avons évoqué en étudiant les mécanismes des concours pour le CS, il y a une notion de rendement210. Il est impossible selon Baptiste Fluzin de trouver 15 styles qui correspondent à ce que recherche la structure. La démarche habituelle consiste en général à faire une première sélection sur book, pour trouver un style qui convienne et de demander ensuite un devis et une proposition qui sera rémunérée. Tous les perdants touchent un petit cachet, souvent inférieur au temps passé mais qui montre un certain sérieux du commanditaire. En indemnisant l'ensemble des participants, un client choisira avec soin ses prestataires, il pourra aller plus loin dans l'échange avec eux. « Ces appels d'offres, qui a les reins pour y répondre ? » (B. Fluzin) Seules les très grosses agences qui ont des pôles dédiés à ce type d'offres, ces usines de stagiaires dont le temps-homme dédié par concours ne représente pas une grosse masse salariale peuvent se permettre d'y répondre. Pour une agence plus petite, la réponse à un appel d'offre représente du temps passé à l'échelle de la structure, c'est parfois 100% du temps qui est joué s'il s'agit d'un free-lance (B. Fluzin). L'agence Spintank211 demande systématiquement le nombre de participants mis en concurrence. « Il nous arrive de refuser quand on nous dit : -On sollicite 8 agences, on fait un premier round et on en garde plus que 4 et à la fin on n'en garde plus que 2... Là désolé, c'est pas pour nous. » (B. Fluzin) Un système qui devient la norme Cette notion de consultation gratuite en agence est révélatrice des dérives autour des appels d'offres. L'AFD dénonce ce système entretenu par les professionnels eux-mêmes : « Paradoxalement, il est vrai que si ce genre de pratiques existe, c'est que les agences et graphistes y répondent les bras ouverts ! Nous pensons que ces agences se tirent elles-mêmes une balle dans le pied car elles dévalorisent le métier de créatif en fournissant des prestations gratuites. » (Graphicstyle) 209 Élodie Cavel : je vous invite à découvrir son travail sur http://www.elodiecavel.fr/portfolio/ 210 Voir : Qui sont les gagnants ? Partie I en page 48 211 http://spintank.fr/ 78 Partant de ce constat, les créatifs peuvent l'assimiler à la norme. La plate-forme Creads semble relayer cette idée en diffusant sur son blog le témoignage d'un créatif qui ne voit pas forcément la différence : « L'aspect participatif revient à des projets de même type que les concours d'affiche : il y a toujours cette notion d'engagement sans garantie de gain au final. Il en est de même en agence pour une consultation ou de la prospection. Creads me pousse à essayer d'être le plus créatif. Les créations des autres participants me servent aussi comme elles servent à inspirer le client. » (@Elie-X)212 Pourtant il y a une nuance à apporter. L'agence ou un free-lance prend parfois le risque de répondre à un appel d'offre mais peut compter sur un panel de commandes classiques pour assurer ses charges ou salaires. Lorsque la norme est uniquement basée sur un système d'appel d'offre comme sur une plate-forme : Il y a un moment où on met la clé sous la porte parce qu'il y a un mois où on perd tout. (B. Fluzin). Des agences213 ont même indiqué qu'elles arrêtaient de faire des appels d'offres, considérant qu'elles avaient suffisamment de clients. Elles invitent les commanditaires intéressés par leur approche créative à simplement entrer en contact avec eux. Dérives au niveau des écoles Il est possible que certaines personnes au niveau pédagogique ne réalisent pas les enjeux qui se cachent derrière le CS. Certaines écoles incitent leurs étudiants à aller sur Creads. Si cette pratique peut sembler récente, la mise en concurrence des étudiants au sein des écoles ne date pas d'hier. Des entreprises font parfois appel aux écoles, pour des projets déjà réalisés par une agence ou un studio et donnent juste un exercice en conditions réelles. Il arrive qu'il y ait un arrangement entre l'école et l'entreprise pour un projet à court terme214 qui serait un besoin réel pour l'organisation : un mini appel d'offre à l'échelle d'une classe où les étudiants travaillent gracieusement pour le compte de l'école payée a contrario très cher par l'entreprise, si les étudiants peuvent avoir une réelle relation client avec le commanditaire, alors il y a un intérêt pédagogique, mais cela reste discutable d'un point de vue déontologique. Certaines écoles privées demandent aux étudiants des frais d'inscription annuels autour de 6-7K/€, on peut constater une certaine forme d'abus dans ce système. Cela ne fait qu'entretenir cette notion de travail gratuit. À l'Ésad d'Amiens, (mon école de 2000 à 2005) le système était plus proche des appels d'offres classiques, on parlait de concours externes : trois ou quatre étudiants toutes promo confondues rencontrent le commanditaire. L'ensemble des participants échangent et parfois certains collaborent si le projet demande un certain investissement. J'ai ainsi réalisé de nombreux projets qui ont alimenté mon portfolio, et permis de tisser un premier réseau professionnel local. Bien sûr, l'école touche sa part215 mais l'étudiant perçoit un prix, même s'il est modeste.216 Geoffrey Dorne parle d'une zone grise située entre les deux, où l'entreprise va interagir avec l'école sur des projets à long terme et visionnaires « comme sur les transports à Paris en 2030 ». Encadrés par les 212 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste > (consulté le 25 juillet 2015) 213 Agence LEG selon Baptiste Fluzin 214 Un projet de logo, livre, site web... 215 Pas de réponse de l'Esad, mais cela doit être bien en dessous des 50% de commission d'une plate-forme. 216 Divisé en outre par le nombre de participants. J'ai ainsi gagné 250€ pour réaliser une partie de la signalétique du Zoo d'Amiens, ce qui peut sembler ridicule. 79 enseignants, les étudiants travaillent et utilisent les contraintes de l'entreprise avec une vision pédagogique moins court-termiste qu'un projet qui serait financé directement. Geoffrey Dorne, également responsable pédagogique, fait très attention et informe les entreprises sur le fait que les étudiants ne travaillent pas "pour elles" mais plutôt l'inverse en donnant aux étudiants un maximum d'informations et de contexte afin qu'ils puissent « imaginer les choses, créer, concevoir et qu'il y ait une relation inversée de ce que l'on pourrait croire habituellement. ». Le master CTN du Celsa et de l'école des Mines d'Alès intègre également dans son cursus un projet pédagogique sur un projet de conception de site web. Par petits groupes, les étudiants sont en relation directe avec le commanditaire, dans les conditions réelles d'une commande. L'équipe pédagogique accompagne ainsi tout au long du projet les Equipes jusqu'à la livraison d'une maquette fonctionnelle. Cette démarche est valorisante pour les étudiants. Le client joue le jeu et participe au process, souvent plus long qu'en agence. Geoffrey Dorne, toujours face à ses étudiants, indique qu'en expliquant les dérives possibles que représente une pratique de CS, ceux-ci comprennent un peu mieux la mécanique et changent de discours. Ainsi, ils pensent à plus long terme : « Je leur dis : dans 3 ans vous êtes diplômés, et vous ne pourrez plus faire ça, si vous le faites maintenant, vous tuez votre propre boulot à la sortie de l'école ». 6) Le statut complexe du designer free--lance Essoufflement du système actuel On constate depuis quelques temps une certaine remise en cause du statut d'indépendant tel qu'il est géré par la Maison des Artistes (MDA). Sur le papier, les avantages sont intéressants, et les charges attractives. Un court passage par la case MDA, donne suffisamment envie de devenir salarié. Ce qui n'évite pas d'être encore hanté par cette administration quelques années pour justifier des choses qui n' ont pas été correctement payées par un commanditaire. Sur certaines périodes, si le free-lance oublie une étape il peut se retrouver à cotiser plus que ce qu'il aurait réellement gagné. Le designer est perdu au point d'avoir besoin d'un guide du graphiste indépendant217, outil salvateur dans ce système anti-commercial aussi compliqué que celui des intermittents, où il faut souvent expliquer les démarches au client devant parfois signer 3 chèques distincts pour une même commande (Prestation, précompte, 1% diffuseur...). Autre problème soulevé par l'AFD : La maison des artistes refuse de plus en plus les designers au sein de leurs cotisants. Il serait illégal de sélectionner des designers selon le type de design qu'ils produisent. Devant cotiser à la fois à l'Agessa218 et à la Maison des artistes pour un même métier. Aujourd'hui, un designer peut exercer des activités très variées souvent transverses et ne se contente pas d'intervenir sur un seul type de design. Cette mauvaise gestion pousse des free-lances à changer de statut malgré les contraintes ou les charges plus lourdes. Ce qui est même vécu comme un soulagement : 217 « Le nouveau guide du graphiste indépendant » de Christelle Capo-Chichi [En ligne]. Disponible sur : < http://pyramyd-editions.com/le-nouveau-guide-du-graphiste-independant-100-mis-a-jour > (consulté le 11 août 2015) 218 L'AGESSA est un organisme visant à assurer la protection sociale des écrivains, traducteurs, illustrateurs du livre, dramaturges, photographes, auteurs compositeurs, scénaristes, adaptateurs, auteurs de l'audiovisuel, auteurs du multimédia. 80 « Ça fait donc aussi partie des raisons pour lesquelles j'ai décidé de créer mon entreprise, pour sortir de ça, avec d'autres contraintes qui ne sont pas non plus évidentes mais c'est une autre aventure ! [...] J'ai été ravi le jour où j'ai pu quitter la MDA pour créer une société, je gagne bien moins avec les charges, mais je cotise pour ma retraite, j'ai un interlocuteur fiable, un comptable : c'est bien plus carré, et c'est plus solide que d'être à la MDA avec toutes les surprises qui vont avec. » (G. Dorne) Il y donc la volonté de la part des professions indépendantes de trouver une nouvelle forme de gestion des cotisations, plus simple dans son fonctionnement, comme en Belgique ou en Suède. Malgré de bons modèles chez nos voisins Européens, la France est encore à la traine à ce niveau. Créer une sorte de maison des graphistes ou des designers... mais sans appeler ça maison « qui rappellerait trop de mauvais souvenirs. » (G. Dorne). Pour aller plus loin, l'AFD lance une pétition afin que les pouvoirs publics puissent repenser le régime de sécurité sociale des artistes auteurs et son fonctionnement219, et renforcer le statut du designer. Le CS par simplicité : Paypal et la vision court-terme Mauvaise gestion, sous-effectifs, parfois même des interlocuteurs peu compétents qui manquent de connaissances sur les métiers de la création(G. Dorne) ; par facilité ou peut-être aussi un peu effrayés, les étudiants ou jeunes graphistes vont donc se tourner vers des plates-formes qui proposent un gain simple. Rien ne contrôle le devenir des gains qui peuvent être payés via Paypal220. Il y a alors le risque que cela reste en circuit fermé, il n'y a pas de déclaration... Le créatif se dit qu'il est tranquille. « C'est une vision très court-termiste et un peu infantile » (G. Dorne). « Étant donné qu'Eyeka ouvre les portes de la créativité au monde entier, nous utilisons PayPal pour transférer vos récompenses directement sur votre compte » (Eyeka) Peut-on contrôler les gains ? S'ils décident toutefois de déclarer leurs gains (obligation en France), de nombreux gagnants de concours découvrent alors les arcanes de la MDA... Ce qui est déjà compliqué pour un graphiste indépendant, doit sembler invraisemblable pour un amateur qui ne connaît pas l'existence même de cet organisme. Aiguiller et informer les créatifs amateurs à faire leurs premiers pas vers ces organismes est important, mais pas obligatoire... Les plates-formes ne font pas toujours ce service après vente. Eyeka indique dans les grandes lignes les démarches à suivre221 mais ne peut contrôler ce qu'il advient des gains. Il y a deux statuts possibles : les auteurs et les diffuseurs. La plate-forme se situe entre les deux en jouant un rôle d'intermédiaire, ils ne sont ni l'un ni l'autre. C'est donc au commanditaire, qui acquiert les droits, de s'acquitter du paiement et non à la plate-forme222. 219 Réforme Du Régime De Sécurité Sociale Des Artistes Auteurs Illustration: Erick Duhamel, http://petitions.upp-auteurs.fr/appel.php?petition=445, consulté le 6 juillet 2015. 220 Sur Eyeka par exemple il s'agit d'un argument de vente pour susciter l'adhésion de nouveaux membres. « Eyeka pour les créateurs ». In : eYeka [En ligne]. Disponible sur: < https://fr.eyeka.com/creators > (consulté le 11 août 2015) 221 « Dois-je acquitter des cotisations sociales sur le prix que j'ai perçu? - Support communautaire eYeka ». Disponible sur: < http://support.fr.eyeka.com/knowledgebase/articles/339545-dois-je-acquitter-des-cotisations-sociales-sur-le > (consulté le 11 août 2015) 222 Voir annexes p123 Éric Favreau (entretien n°2) 81 « On a donc rencontré les Agessa et on a validé le fait que l'on était ni un diffuseur, ni un auteur bien évidemment. [...] On ne peut donc, en tant qu'intermédiaire, qu'informer nos parties. » (É. Favreau, Eyeka) À l'issue du concours, que le lauréat possède un statut ou non, cela ne change rien car le travail a déjà été produit et la plate-forme ne s'en soucie guère. Sur ce point les opposants au Perverted Crowdsourcing dénoncent le manque de contrôle et suggèrent un meilleur accompagnement des lauréats, car il est question alors de travail au noir. Le manque de communication et de transparence de la part des plates-formes laisse ainsi imaginer de nombreux scénario et peut alimenter la méfiance des opposants : « Ça dans la pratique, je ne sais même pas comment ils font. Quelqu'un qui gagne un concours, mais qui n'a pas de statut... Qu'est-ce qu'ils font ? Ils payent au black ? Ils délaient le paiement ? Ils ne paient pas et c'est tout bénéf pour eux ? Ils disent à la personne "il faut mieux lire les conditions d'utilisation..." ? Je ne sais pas. » (B. Fluzin) Volonté d'un statut pour tous Parmi les revendications des professionnels, il y a l'obligation pour les plates-formes de s'assurer que tous les participants aient un statut, pas uniquement les gagnants. Étant donné la valeur globale qu'ils apportent à la marque, pourrait-on envisager un accès aux concours uniquement aux créatifs qui ont un statut ? Ces plates-formes fonctionnent justement pour leur ouverture et attirent par leur offre de foisonnement (B. Fluzin). Cette solution limiterait d'emblée l'accès au plus grand nombre. Ce qui va à l'encontre la stratégie actuelle. Il n'y aurait alors que des pros avec un statut : « S'ils font ça, ils se tirent une balle dans le pied [...] Si tu les obliges à s'assurer du statut de chacun des participants, ces chiffres fondraient comme neige au soleil ! » (B. Fluzin) Un statut plus équilibré du designer pourrait sans doute éviter cette migration facile des créatifs vers les plates-formes. Il est difficile de répondre à cette hypothèse, mais les difficultés que rencontrent les designers pour expliquer leur métier au quotidien jouent aussi en faveur du CS. 7) Une prestation incomplète: Impact sur la qualité des productions « C'est surtout la qualité de ce qui sort de ce type de plate-forme qui est pitoyable. Ça m'ennuie profondément, je suis un peu utopiste, j'ai tendance à croire qu'on peut tirer les choses vers le haut, sortir des meilleurs designs... Mais en fait ce genre de plate-forme arrive à prouver que des gens font l'inverse en tirant la qualité vers les bas. C'est vraiment dommage car ce n'est l'intérêt de personne. C'est chercher au moins cher, au moins intéressant, et donc : au moins qualitatif. » (G. Dorne) Si le CS s'inscrit dans un contexte déjà compliqué pour le designer, comme on le voit déjà avec les banques d'images, le paysage graphique pourrait être lui aussi appauvri par la présence de ces nouveaux acteurs de la scène graphique. La généralisation des productions réalisées sans véritable travail de design aura surtout un impact sur la qualité. C'est la valeur du designer qui semble remise en cause. Ce qui peut aussi se répercuter sur les clients, qui jouent avec leur image. 82 Le logo du neveu du patron Le neveu du patron qui connaît bien Photoshop pose quelquefois des soucis. L'exemple fréquent d'une communauté de communes qui refait son logo en interne et ensuite demande à une agence de la rendre exploitable ne fait qu'appuyer ce sentiment d'impuissance223. Andrew Keen anticipe un monde numérique dominé par les amateurs où la médiocrité l'emporte sur la qualité. Mais appelle cependant à la nuance en précisant que les technologies ne détruiront pas les cultures, les nouveaux médias ne sont pas les seuls à proposer des contenus où l'amateur tient une place de choix224. Cette parole de l'amateur ne coûte pas cher à produire, et vient de ce fait bousculer la qualité, qui elle, se paye. « L'idée que des technologies pourraient détruire, à elles seules, des cultures, n'est pas vraie. Ces deux pôles entretiennent entre eux une relation de cause à effet beaucoup plus subtile. Leurs effets réciproques, leurs interpénétrations doivent être regardés avec beaucoup plus de nuance. » (A. Keen)225 Il y a une très mauvaise pédagogie du graphisme, les entreprises, bien qu'elles commencent peu à peu à comprendre les enjeux d'une communication de qualité, n'ont pas encore compris pourquoi un logo pouvait coûter cher. Un coach en e-réputation pour PME et entrepreneur disait après avoir passé commande sur Fiverr : « Bien sûr ce n'est pas un logo de haut-vol. C'est une bonne solution si vous devez rapidement lancer votre affaire ou ne pouvez pas faire de grands investissements initiaux. Mon logo à prix discount ne m'a coûté que. 4 euros ! Je suis plutôt content du résultat pour le prix payé. » Le brief figé / autodiagnostic Dans une relation classique, le regard du client évolue à mesure que le projet avance. Le diagnostic initial se précise. Dans un projet de CS, le brief reste figé et ne peut évoluer dans le temps. Le client se trouve alors dans une situation où il sera « auto-satisfait par l'autodiagnostic » (F. Caspar). La prestation du designer est incomplète. Il ne réalise qu'une partie de son travail : la partie émergée de l'iceberg, l'aspect visuel que l'on voit au premier abord. Bien sûr cela peut être réussi visuellement, mais l'ensemble des signes, des déclinaisons, la manière dont un logo va vivre sur tel ou tel support ou être véhiculé ne pourront être traités. Il y a une vie après le logo : la réflexion va au delà de la simple conception. C'est une projection dans la continuité de la création, il doit s'intégrer au paysage de manière cohérente. Le travail du designer consiste aussi à faciliter le passage de relais pour que les graphistes suivants puissent s'approprier la création sans la dénaturer. Il est donc important de définir une stratégie de déploiement de l'identité. « On ne peut pas tout prévoir dans une charte, il faut parfois réadapter certains points qui n'étaient pas prévus au départ, et il est important, surtout au début, de bien rester dans les lignes prescrites, sinon on déforme tout avant même d'avoir commencé. Cette étape de démarrage (1 à 3 ans suivant les cas) est 223 Un logo ou une identité doit être décliné dans différents formats d'utilisation, vectoriels notamment, et ne peut être un simple jpeg rvb 72dpi (basse définition)... 224 Keen A. « Le culte de l'amateur : Comment Internet tue notre culture. » Paris : Scali, 2008. 302 p.ISBN : 9782350122281. 225 Keen A. RSLN | Andrew Keen : « J'ai fait du chemin, depuis Le culte de l'amateur ... » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible sur : < http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx > (consulté le 22 mars 2015) 83 souvent oubliée dans les appels d'offres, elle devrait y être automatiquement incluse. » (Nathalie Pollet, 2015) Le manque de pratique discursive Un client d'une agence de crowdsourcing, n'est pas impliqué dans le mécanisme de production. Il est orienté à travers un questionnaire qui n'est qu'un guide sémantique servant à exprimer ses intentions et à formuler son brief créatif. Il cite des logos qu'il trouve sympas... une aide précieuse pour le graphiste. Le dialogue que l'on peut trouver entre une agence (ou un free-lance) et son client est rompu. Ayant directement affaire avec la plate-forme, le client ne connaît pas son créatif. Il se retrouve devant 50 propositions impersonnelles avec pour seuls indications le petit résumé concernant la démarche créative. En dehors du brief très simple, toute la démarche de conseil d'accompagnement qui permet de faire évoluer une piste initiale en réponse pertinente semblent invisibles. Les plates-formes proposent un espace d'échange avec le client, mais il s'agit d'un échange public, que tous les concurrents peuvent voir sur un simili-forum (B. Fluzin). Ce qui est différent d'une rencontre chez le client permettant de comprendre comment il fonctionne, son univers, ce qu'il apprécie... Toutes ces informations sont précieuses pour un designer qui effectue un travail de collecte visuelle et d'ambiance. Souvent lors de cette étape, murissent les idées et meurent les premières intentions. Sans la moindre source, un designer va produire un truc générique (B. Fluzin), qui peut être visuellement réussi mais qui ne conviendra pas au client. Le graphiste, passionné par son métier aime faire du sur-mesure. Il doit pouvoir se dire qu'un logo ou une identité est unique et ne conviendra qu'à son client. Pas à son concurrent pourtant du même secteur. Chaque commanditaire possède son propre message et sa propre histoire, le dialogue permet d'en cerner les contours. « J'affirmais que les « nouveaux médias » étaient ceux où le culte de l'amateur jouait à plein, mais il suffit d'allumer une télévision et de tomber sur une émission de télé-réalité pour voir que ce n'est pas le cas. Et cette sacralisation de la parole de l'amateur, de l'homme de la rue, dans les « vieux médias » est également encouragée car elle ne coûte pas très cher à produire. » (A. Keen)226 Le public se satisfait alors d'un mauvais design. Paul Rand estime même qu'il est conditionné à aimer ça. Il le reconnaît et se trouve rassuré227. Si le designer souhaite faire correctement son métier, il doit habituer à produire de la qualité. 8) Uniformisation du paysage graphique Produire du bon design semble vraiment préoccuper les graphistes tout comme la volonté d'être au plus proche de la bonne réponse. Mais la question d'uniformité est souvent évoquée lorsqu'il s'agit de CS. 226 Keen A. RSLN | Andrew Keen : « J'ai fait du chemin, depuis Le culte de l'amateur ... » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible sur : < http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx > (consulté le 22 mars 2015) 227 Paul Rand : « The public is more familiar with bad design than good design. It is, in effect, conditioned to prefer bad design, because that is what it lives with. The new becomes threatening, the old reassuring. » 84 Il est important de comprendre que ces sites sont potentiellement en train de modifier le paysage graphique. Certains sites comme Fotolia qui ne font qu'uniformiser le paysage iconographique de la communication, véhiculant parfois la même image pour des annonceurs concurrents. Il n'y a plus de spécificité. Seules les grandes agences, font encore appel aux photographes professionnels pour des campagnes publicitaires. Bien conscient de la loi du marché qui sévit sur le site Fotolia, un photographe Serbe explique228 que le but de ses séances de shooting est de réaliser un maximum de photos avec une qualité la plus élevée possible afin d'avoir une chance de vendre un cliché. Sur cette place de marché, il n'est plus dans la commande, mais dans une espérance de vente, comme un commerçant. Le travail s'oriente donc vers une réponse à une attente du plus grand nombre. La créativité est forcément laissée de côté et on tombe vite, sans mauvais jeu de mot dans le cliché avec un lissage des cadrages et des sujets. Rentabilité et recyclage Un créatif qui compte vivre de son travail doit forcément augmenter son volume de production dès lors qu'il s'agit d'un projet non-rémunéré. En crowdsourcing, nous avons étudié le principe de rendement lié à la rémunération incertaine lorsqu'un faible pourcentage de la production est rétribué. Le graphiste sera forcément obligé de recycler son travail pour obtenir un meilleur rendement. « Y'a deux mois j'avais proposé un truc pour une agence de voyage, mais là c'est une chaîne aérienne «low-cost», c'est à peu près la même thématique, je recase le même boulot... » (B. Fluzin) Le travail produit existe : conçu au départ pour un client, il sera ajusté pour un autre. Transposer à une autre profession suffit là encore pour comprendre l'absurdité de la démarche : « Je vais voir un boulanger, et je lui demande un gâteau d'anniversaire personnalisé. Si ça ne me plaît pas, je ne l'utilise pas. Vous pourrez le vendre à quelqu'un d'autre. Mais il y aura écrit - joyeux 30 ans Baptiste » (B. Fluzin) Pour espérer avoir un retour sur investissement, le graphiste doit revendre son gâteau-logo à quelqu'un d'autre. Il sera forcé de produire dès le départ un travail impersonnel passe-partout. Ce qui reste une situation qui n'affecte que le résultat. L'autre scénario consiste à voler des travaux existants. Plagiat La Repompe229est un vrai risque du métier qui est souvent plus lié au rendement qu'au manque d'idée. Ce risque est aussi pour le client qui utilise la création plagiée. Les plates-formes se désengagent de toute responsabilité en demandant aux contributeurs de certifier l'originalité de leurs productions, elles ne fournissent pas non plus de garantie d'authenticité quant à l'origine du travail. Malgré un contrôle systématique effectué par certaines plates-formes (comme Eyeka), le risque existe toujours. Une agence, qui en théorie fait du sur-mesure, est responsable si elle n'effectue pas ce travail de contrôle et 228 Vanina Kanban. « Les Forçats du Cybermonde » [En ligne]. 2007. (Jeudi Investigation Canal+). Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=Q73kccapzW4&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 15 janvier 2015) 229 Joe La Pompe. « Joe La Pompe advertising, publicité - Packaging ». [En ligne]. Disponible sur : < http://www.joelapompe.net/category/design-digital/packaging/ > (consulté le 11 août 2015) 85 prévient son client lorsqu'elle utilise une source sur une Bank230. Le CS propose au contraire d'obtenir un nombre de propositions proportionnel au tarif payé au départ. Il suffit de consulter la grille de tarifs de Creads pour se rendre compte : plus le client paye, plus il aura de propositions231. Peu importe d'où viennent ces créations. « Un logo à 5 $ qui peut revenir beaucoup plus cher si les droits d'auteurs ne sont pas respectés, car le premier à trinquer sera le client qui utilise une image ou plusieurs images sans autorisation et sans savoir qu'il est dans l'illégalité. » (Cédric Pavot) 9) Un impact à échelle variable Pour les grandes marques On ne peut mettre sur un pied d'égalité toutes les problématiques de design. Une identité visuelle, d'une petite structure ou d'un commerçant n'a pas les mêmes enjeux que l'identité d'une société du CAC40. Les clients d'Eyeka cherchent une idéation plutôt qu'un résultat fini. La plate-forme est bien consciente que l'expertise du designer est indispensable pour obtenir une production de qualité : « On peut considérer que ça va satisfaire un certain nombre de clients qui recherchent avant tout un prix, mais les clients qui sont à la recherche d'une qualité d'expertise, ne peuvent pas être satisfaits par ce système là. » (É. Favreau) Le budget marketing annuel d'une grande marque est énorme. Même si travailler avec Eyeka coûte cher (Y. Roth), un concours est un investissement relatif au regard du budget global du projet. Il s'agit d'une opération marketing d'une nature différente, une nouvelle corde à leur arc de communication (B. Fluzin), qui peut conduire à des résultats complémentaires d'une étude réalisée par un gros cabinet d'audit sur un panel de consommateur. Dans cette situation, le résultat produit par les contributeurs
Pour les PME Outre le fait d'acheter à bas coût une partie d'un travail233 et de risquer d'utiliser une création plagiée234, le risque est plus élevé pour les petites entreprises. Elles allouent tout d'abord un budget qui représente une part plus importante de leur chiffre d'affaire. Mais surtout, elles prennent le risque d'obtenir la fameuse solution passe-partout-générique (le gâteau-logo). Lorsqu'elles cherchent à (re) faire leur identité, ce travail ne se démarquera pas. Il véhiculera probablement une image faussée de l'entreprise. Il est aussi probable qu'une PME soit confrontée à un ensemble de propositions qui ne l'enchantent pas. Elle prend donc le risque de ne rien avoir, ou de choisir par défaut la moins mauvaise des pistes. 230 Il existe des banques pour tout: vidéo, picto, images, typo, avec différents types de licence. 231 Creads. « Les tarifs de création d'un logo. ». Disponible sur : < http://www.creads.fr/commande-creation-logo > (consulté le 2 septembre 2015) 232 Voir partie I sur l'idéation et les grandes marques, en page 28 233 Voir partie prestation incomplète en page 81 234 Voir partie plagiat / repompe en page 84 86 Seule la quantité semble garantie : c'est l'argument de vente principal. Dans une démarche de CS, il y a cette notion de one-shot (B. Fluzin) à sens unique, sans possibilité de retour pour le client qui revient à se bander les yeux et désigner une proposition au hasard ! Il est bien sûr possible de soulever par chance le bon caillou en se demandant ce qu'est venu faire ce créatif talentueux ici (B. Fluzin) mais le client n'aura pas cette possibilité de retour que l'on peut trouver dans un échange classique. L'agence Creads intervient ensuite pour ajuster « le travail du neveu »235 mais cela reste une rustine où le créatif de départ n' est souvent plus impliqué dans le processus236. Parmi les meilleurs créatifs de Creads, que l'on a évoqué dans la première partie, seuls 27% ont déjà échangé ensuite avec le client237. C'est à la fois une déception pour le créatif, mais aussi un manque de professionnalisme. L'agence participative effectue le travail d'accompagnement post-concours, mais semble oublier le créatif à l'origine du travail. Celui-ci est dépossédé de la création qu'il n'a même pas pu défendre. Le risque de grogne de la part de la communauté Faute de trouver un résultat à la hauteur de ses attentes, il arrive au client d'annuler un concours, ou de refuser tout simplement d'aller plus loin. Il n'y aura donc pas de résultat visible. Cela arrive parfois précise Yannig Roth d'Eyeka. Les grandes marques le savent et la plate-forme fait au mieux pour éviter cette situation en limitant le brief à une simple idée. Lorsqu'il y a production de contenu, la marque prend un risque si le concours n'aboutit pas : celui de recevoir un retour négatif de la part de la communauté des graphistes ou des consommateurs de manière plus large. Ces marques qui bottent en touche, vont décevoir les participants en prétextant que le projet sera ensuite re-travaillé en interne par exemple238. Si le produit est mis sur le marché, il est souvent loin de ressembler à la proposition faite lors du concours. De manière plus extrême, la marque peut aussi faire travailler directement de vraies agences si les propositions de départ sont vraiment mauvaises (« trop pourries » selon B. Fluzin). « Pour la marque c'est pas du win-win : c'est du loose-loose ! » (B. Fluzin) Un impact en terme de réputation pour les marques La possibilité d'un mécontentement se retrouve bien au-delà de la sphère du CS. Comme pour les appels d'offres, c'est une tendance qui se généralise pour les marques. Les exemples de bad buzz de concours sont nombreux (B. Fluzin) et reflètent là encore la distance entre la pratique du design et la manière dont cette activité est perçue du grand public. Ces marques pensent à tort qu'un concours va donner la possibilité aux artistes-créatifs de briller et de sortir enfin de l'ombre. Il s'agit presque d'un cas d'école : avec des discussions entre créatifs outrés et des billets de blog qui tentent d'expliquer pourquoi il s'agit d'une mauvaise idée. Mais les marques continuent à véhiculer l'idée que l'on peut faire travailler des personnes gratuitement en n'en rémunérant qu'un petit nombre. Elles ne font pas la différence entre un concours qui s'apparente à une commande et un concours dont elles pourraient se passer. Une marque n'apprend pas des erreurs des autres et répète un scénario déjà usé jusqu'à la corde. On peut citer la commune de Tours239 qui demande au Public, dans un contexte économique contraint, 235 Voir plus haut p82, Le logo du neveu du patron 236 Sauf exception pour Eyeka qui est parfois amené à travailler avec le créatif de manière à prolonger le projet. 237 Ces 10 personnes totalisent 69 victoires soit 3% des 1814 qu'il est possible de recenser sur le site en parcourant les profils. étude en annexes en page 180 238 Eyeka fonctionne ainsi mais prévient dès le départ qu'il s'agit d'un benchmark. 239 Etapes Graphiques. « Aux graphistes, les élus jouent des Tours ». février 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/aux-graphistes-les-elus-jouent-des-tours > (consulté le 13 avril 2015) 87 de choisir parmi quatre logos réalisés en interne. Si l'objectif est d'impliquer les citoyens dans la vie locale : c'est une mauvaise idée en terme d'image. Un logo doit s'inscrire dans la durée. Il y a de fortes chances pour qu'un travail non-professionnel vieillisse mal. Si le but de l'opération est économique : c'est un mauvais diagnostic. Une collectivité ignore-t-elle qu'un logo coutera bien plus cher à implémenter qu'à réaliser de manière professionnelle240? Valérie Pécresse a provoqué sur Twitter une réaction virulente de la part des professionnels en proposant la création d'un logo de région auprès des habitants pour qu'il ne coûte rien au contribuable : « Bonne idée! "@Vincent___B: Je l'ai toujours défendu : 0€ d'argent public pour un logo de Région. Faites un concours auprès des habitants ! » (@vpecresse, 2014) Les réactions sont intéressantes : « @vpecresse @Vincent___B Bonne idée ! Faisons la même chose avec les rémunérations des élus ! » ( @JulienMoya Jan 31) « Mais bien-sûr, bonne idée @vpecresse et @Vincent___B ! Nions la valeur ajoutée des professions du design, n'importe qui peut le faire ! \o/ » L'image de la marque est donc ternie par ces concours-polémiques qui jouent au départ sur une promesse de visibilité, en attirant surtout les jeunes graphistes qui souhaitent se voir exposé « partout en France ». L'organisation fait parfois « machine arrière » en annulant le concours comme ce fut le cas avec l'affiche « de la fête de l'humanité241 » mais le mal est fait et la marque perd en crédibilité, surtout si au départ elle porte un message de respect et d'éthique. 10) Un bon exemple d'identité : Charleroi Si les appels d'offres, les concours organisés par les marques sont parfois limite au niveau déontologique, il ne faut pas cependant voir le mal partout, et penser que le graphisme est en train de mourir à petit feu ou que les graphistes vont disparaître. Il existe en effet de bonnes pratiques qui démontrent le contraire. La culture du design est plus présente au Benelux et l'approche de la commande publique plus sérieuse qu'en France, on a bien conscience des problématiques liées à la conception d'un logo. Nous pourrions citer l'exemple de White studio242avec l'identité de Porto ou celui de la commune de Charleroi, en Belgique, qui a fait appel au studio Pam&Jenny pour refaire son identité.243J'ai choisi ce très bon travail pour illustrer un travail sérieux de logo-design, avant d'évoquer les pistes possibles qui se présentent à la fois aux designers mais aussi aux marques qui souhaitent passer par des plates-formes de CS. 240 Cela peut facilement dépasser les 100K€ si la collectivité fait évoluer tous ses supports de communication. 241 Etapes Graphiques. « Concours : la fête de L'Humanité perd de sa superbe », 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/concours-la-fete-de-l-humanite-perd-de-sa-superbe > (consulté le 26 février 2015) 242 White Studio. « New identity for the city of Porto ». In : Behance [En ligne]. Disponible sur : < https://www.behance.net/gallery/20315389/New-identity-for-the-city-of-Porto > (consulté le 13 août 2015) 243 Etapes Graphiques. « Charleroi : le logo aspire à la couronne » [En ligne]. mars 2015. Disponible sur : < http://etapes.com/charleroi-le-logo-aspire-a-la-couronne > (consulté le 21 mars 2015) 88 Nathalie Pollet, fondatrice du studio, explique sa démarche exemplaire, ses inspirations et le sens donné à sa création. Ce discours tranche avec les exemples récents de logo crowdsourcés par les collectivités : « Créer l'image d'une ville, c'est d'abord prendre en compte le fait que l'on va s'adresser à un public immensément large, mais cela ne veut pas dire qu'il faille, par souci de plaire au plus grand nombre, oublier d'être audacieux. » (N. Pollet, 2015) La réussite du projet vient du fait que le commanditaire est conscient de la démarche de design et comprend les enjeux de création : « Je travaille donc principalement avec des personnes ayant une vraie culture de l'image, et en même temps connaissant très bien le contexte de l'intérieur. Même si nous sommes contraints par un environnement parfois complexe (politique, administratif, budgétaire, etc.), le dynamisme, l'ouverture, la quête de qualité et de pertinence sont présents à chaque étape du travail. Cette situation est un grand avantage pour le projet, et pourrait être - à mon avis - un exemple à suivre. » (N. Pollet, 2015) La typographie est en lien direct avec ce territoire industriel. En citant le concepteur du caractère (Michael Mishler), le studio marque un respect pour ce travail souvent méconnu. Derrière une simple lettre on retrouve l'histoire d'un lieu, la forme esthétique ("douce et technique") est aussi pensée pour occuper un espace réduit. Il y a un souci de lecture, de positionnement stratégique futur du logo, qui prend en compte les coûts des déclinaisons sur les différents supports. : Le designer doit savoir proposer une réponse qui prenne en compte son public mais sans oublier d'aller plus loin. Le positionnement stratégique doit se faire ressentir, il doit transmettre avec force le caractère du territoire. Selon Nathalie Pollet, les collectivités sont frileuses, et par excès de démocratie 89 manquent de pertinence en balayant trop large. La communication reste plate et pourrait être utilisée par d'autres collectivités sans que cela ne choque. Il est important de proposer des réponses intelligentes, sans avoir peur d'être parfois trop radical, il faut faire confiance au public, pour que le logo perdure et s'impose dans le temps. Un logo réalisé par une agence coûte effectivement plus cher qu'un logo à 5$ sur Fiverr, voir un projet élite de Creads à 3500€ (et encore...). Pour un travail comme celui-ci, on peut estimer qu'il sera facturé entre 10 et 20k€. Certes, c'est plus cher qu'un feu d'artifice du 14 juillet. Mais une collectivité doit y voir un investissement à long terme. Un studio de renom comme celui de Ruedi Baur a réalisé celui des archives nationales pour 45K€ : les tarifs sont très hétérogènes. 11) Conclusion seconde partie Dans son ouvrage sur le web collaboratif, le culte de l'amateur244, Andrew Keen, à travers ses réflexions sur l'univers sauvage du web 2.0 explique de manière critique que la parole de l'amateur deviendrait avec les UGC245 une forme dominante de la culture, il relativise aujourd'hui ses propos et préconise l'arrivée de nouveaux spécialistes, considérés pour leurs compétences et non leur statut : « Dans « l'ancien monde » - celui du XXe siècle, on va dire - vous pouviez être un universitaire perché dans votre tour d'ivoire, réfugié dans le douillet cocon de votre « chapelle », et professant votre savoir à des étudiants respectant totalement votre parole. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose, je ne me situe pas sur ce terrain là, mais une chose est sûre : aujourd'hui, cette attitude n'est plus tenable, vous devez apporter votre autorité par la preuve plus que par le statut. La hiérarchie ne fait plus l'expertise, c'est la compétence qui la révèle. » (Keen, 2008) Manon Verbeke246 (2013) se demande si le métier de graphiste peut être mis au même plan qu'un artisan ou un petit commerçant. Sa démarche intéressante met en pratique une expérience consistant à positionner le graphiste comme un petit commerce. Elle propose ses services de graphiste aux professionnels aux petits budgets en apportant une réponse simple sans pour autant être impersonnelle. Elle constate que l'on peut répondre intelligemment à une commande tout en restant abordable. Sur internet on retrouve les amateurs dans de nombreux secteurs, telles que la vidéo (Youtube), la musique (Soundcloud), la photographie (Instagram), les écritures numériques, la cuisine... Laure Blanchard247 étudie comment, à travers les blogs, les émissions de télé-réalité ou les portails de recettes, la pratique amateur en cuisine permet de redonner une stature d'expert aux professionnels de la gastronomie. Le graphisme d'auteur profite également de la pratique amateur : sur les blogs des plates-formes, les créatifs interrogés avouent être inspirés par de grands noms du design, des blogueurs influents, des agences... ces fans décrit par Flichy s'approprient et consomment l'oeuvre en la 244 Keen A., Olivennes D., Laberge J.-G. Le culte de l'amateur : Comment Internet tue notre culture. Paris : Scali, 2008. p.ISBN : 9782350122281. 245 User generated content défini en introduction en page 12 246 Verbeke M. Un Graphisme Public - Manon Verbeke [En ligne], 2013. Disponible sur : < http://issuu.com/manontringaverbeke/docs/graphisme_public_memoire_manon > (consulté le 9 novembre 2014) 247 Blanchard Laure. « Triomphe de l'amateurisme en cuisine ? De la relation entre les imaginaires du web social e de la gastronomie au service de l'expression du désir amateur. » . Mémoire Pro, CTN, EMA-Celsa, 2011. (consulté le 21 janvier 2015) 90 remaniant à leur convenance (braconnage). Le numérique remet en cause la définition classique du fan qui met en relation un public dominé par une culture de masse. La pratique amateur prolonge la production artistique sur le web et bouleverse le rapport traditionnel à la culture populaire industrielle jusqu'à présent instauré. Il y a un brouillage des catégories qu'opèrent les pratiques des amateurs. « L'ère numérique remet en cause le fonctionnement de la culture populaire industrielle, qui imposait que l'oeuvre soit consommée sous la forme choisie par l'éditeur. Les fans retrouvent, au contraire, les pratiques de la culture préindustrielle où les contes pouvaient être réappropriés en permanence par les auditeurs et les lectures. Ainsi, le Remix n'appartient plus à l'éditeur, mais au fan. Celui-ci ne prend pas seulement plaisir à consommer, mais à lire, écouter ou regarder comme bon lui semble. » (P. Flichy, 2010) Désormais, le design possède ses fans, dont la pratique génère des univers inspirés des productions professionnelles. Ces modes suivent les tendances du graphisme, parfois avec un léger décalage pouvant donner une impression has-been (la mode des logos flat-design par exemple). Internet est un espace étendu de la réception créatrice (P. Flichy, 2010), cette pratique proche de celles que l'on peut rencontrer dans les cultures préindustrielles, où les contes, par exemple sont réappropriés en permanence par les auditeurs et lecteurs. Aujourd'hui, les contenus sont ainsi vulgarisés par des amateurs s'engageant plus par conviction que par obligation professionnelle. Les observations in situ des amateurs sont précieuses dans les domaines de l'informatique, de la botanique ou de l'astronomie : « Ce que le savoir local perd en universalité, il peut le gagner en précision et en capacité de description » (P. Flichy, 2010) Flichy précise que l'amateur reste toujours moins pertinent lorsqu'il s'agit du domaine de la connaissance : celle d'une expertise acquise par l'expérience ne remplacera jamais l'expert-spécialiste. Les amateurs s'intéressent avec passion aux règles typographiques, au logo-design ou à la simple pratique des outils. Il est fréquent pour un professionnel de trouver une réponse technique sur un forum d'entraide ou dédié à la stop-motion (Sur le repaire248 par exemple) où se côtoient des experts et des débutants. Bien qu'ils soient standardisés, les habillages des sites web ont gagné en qualité avec la démocratisation des thèmes proposés par les CMS (wordpress, Drupal), nous évitant ainsi les sites web entièrement conçus à partir de gif animés249. Globalement le web permet de véhiculer un design de meilleure qualité, que l'on ne trouvait qu'en se déplaçant à Chaumont (Festival de l'affiche) ou aux rencontres de Lures250 (semaine de la culture graphique, le festival de Cannes des typographes). La notoriété par le biais de l'audience (Like, nombres de vues, followers) positionne également l'amateur d'un état de fan à celui de star, ce qui n'en fait pas encore un professionnel mais qui lui laisse le champ et les espérances pour le devenir. On peut citer l'exemple des Youtubeurs comme Norman qui après avoir obtenu l'audience suffisante a fait de cette activité une marque de fabrique qui s'exporte au delà du média internet. Après avoir gagné plusieurs concours, quelques graphistes ayant débuté sur 248 http://www.repaire.net/forums/adobe-after-effects.html 249 Un très bel exemple de Fanfan F. « La boncourtoise - graphisme ». Disponible sur : < http://laboncourtoise.e-monsite.com/contact/contact.html > (consulté le 20 novembre 2014) 250 http://delure.org/ 91 Creads ont prolongé ensuite leur activité en free-lance ou en agence, mais il y a peu d'élus si l'on souhaite démarrer une carrière par ce chemin. Flichy ne prend pas part au débat amateurs versus professionnels. Selon lui, ils se complètent et il lui parait impossible que les amateurs détrônent les experts (P. Flichy, 2010). Sur la base d'une description de la pratique, Flichy met en avant le fait que les compétences des amateurs se développent de manière indépendante de celles des experts, il n'y a pas d'opposition entre les partisans d'une victoire de l'intelligence collective sur les experts et le discours selon lequel les amateurs et la médiocrité peut se substituer au professionnel qui possède le talent. Internet, principal vecteur de ces nouvelles pratiques d'amateurs, ne signifie ni la disparition des experts (médecins, scientifiques, etc.) ni celle des médiateurs (documentalistes, journalistes, enseignants, etc.). Patrice Flichy résume en quelques mots, dans sa conclusion, la thèse sur laquelle son étude des nouvelles pratiques des amateurs débouche : « Dans les domaines où il s'est forgé des compétences, l'amateur peut exceptionnellement remplacer l'expert, mais il lui importe surtout de constituer sa propre opinion et de la défendre. Il peut accéder à une masse d'informations qui lui étaient inconnues auparavant : grâce à elles, il est capable de tenir un discours critique, d'évaluer la position de l'expert-spécialiste par rapport à son expérience ou à ses propres pratiques. Il acquiert ainsi les ressources et la confiance qui lui permettent de se positionner par rapport au professionnel, de l'interroger, de le surveiller, voire de le contester en lui tenant un discours argumenté sur ses opinions. L'amateur fait descendre l'expert-spécialiste de son piédestal, refuse qu'il monopolise les débats publics, utilise son talent ou sa compétence comme un instrument de pouvoir » (P. Flichy, 2010). Réaction corporatiste ou craintes justifiées ? Le CS présente de nombreux points discutables au niveau éthique en véhiculant l'idée qu'il est possible d'obtenir un design de qualité à un prix défiant toute concurrence. La pratique peut être nuisible pour la marque, qui joue avec son identité ou risque de ternir son image. Mais le CS s'inscrit dans un contexte déjà complexe pour le designer où les dérives qui entourent son métier sont nombreuses. L'idée d'une concurrence déloyale est donc relative en ce qui concerne le CS créatif. Si effectivement nous pouvons constater que le CS brouille davantage les frontières entre amateurs et professionnels, il est peut-être utile de constater que cette pratique amateur peut au contraire faire sortir de la clandestinité le beau design, aidant espérons-le, le graphisme à retrouver progressivement ses lettres de noblesses au sein du grand public. Le crowdsourcing ce n'est pas grave précise de manière un peu provocatrice François Caspar (En faisant référence à Blair Enns). Un designer doit être en mesure de comprendre cet aspect pour mettre en oeuvre une stratégie lui permettant de légitimer son expertise. 92 |
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