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Crowdsourcing le graphisme peut-il se faire uberiser ?

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par Damien Henry
CELSA Paris Sorbonne - M2 Communication et Technologie Numérique 2015
  

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II. Les Recettes du crowdsourcing

Hypothèse 01 :

Le crowdsourcing représente de nombreux avantages pour les marques. Il est en train de modifier la manière dont celles-ci envisagent la création graphique et propose également de nouvelles façons de travailler aux créatifs.

1) Introduction

Comme nous venons de le voir, il existe de nombreux modèles de CS. Creads, Eyeka ou Fiverr n'ont pas du tout la même approche de la création et n'interviennent pas de la même manière dans le projet. Le crowdsourcing d'activités inventives (CAI) définies par Burger-Helmchen et Pénin30 (2011) consiste à « externaliser à une foule des activités de recherche, des tâches complexes ou créatives». Ce qui les différencie du crowdsourcing de micro tâches (S. Renault).

En pratique, les frontières qui séparent les différentes catégories de CS sont difficiles à cerner (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)31. Malgré des positionnements différents (qui évoluent) on retrouve de nombreuses recettes communes dans leur fonctionnement et leur discours : elles sont toutes des intermédiaires. D'un côté des commanditaires (qui peuvent être des marques ou des particuliers) émettent un appel à création32 sous la forme d'un concours. De l'autre, une foule de créatifs répond à cette commande. La notion d'intermédiaire se retrouve aussi en agence, lorsque celle-ci travaille avec un réseau de free-lances ou si celui-ci fait appel à un agent artistique (métier réglementé qui permet aux free-lances de trouver de nouveaux clients et qui aide le créatif dans ses démarches commerciales.). Ce que les plates-formes ne mettent pas en avant : c'est la marge allant parfois jusqu'à 50% sur l'ensemble d'une commande. Énorme pour un intermédiaire...

En crowdsourcing, la principale différence avec les agences se retrouve au niveau des échanges limités entre les marques et les contributeurs (Notons que sur une place de marché comme Fiverr les échanges toutefois limités s'opèrent entre un client et un créatif.). Agissant comme un filtre par l'intermédiaire de son community manager, la plate-forme va répondre aux questions des créatifs en passant par un mur communautaire ouvert ou en les orientant individuellement afin qu'ils puissent soumettre une création qui respecte le brief créatif. En aucun cas, la plate-forme ne les conseillera sur l'idée. Cepdendant une arméee de community manager (12 chez Eyeka par exemple) viendra conseiller le créatif afin qu'il puisse présenter une idée qui respecte le brief (guidelines).

Pour vérifier cette première hypothèse, nous concentrerons notre étude sur les plates-formes Creads et Eyeka en étudiant tout d'abord leur positionnement. Nous définirons ainsi la logique de contenu de celle d'idéation. Nous verrons ainsi en quoi cette valeur apportée par la foule pousse les marques à se tourner vers ces plates-formes alternatives au réseau classique des agences. Nous verrons ensuite

30 Burger-Helmchen T, Pénin J. « Crowdsourcing d'activités inventives et frontières des organisations », 2011. Disponible sur: < http://www.academia.edu/1905797/Crowdsourcing_d_activit%C3%A9s_inventives_et_fronti%C3%A8res_des_organisation s > (consulté le 17 janvier 2015)

31 La frontière entre ces différentes catégories de crowdsourcing est souvent délicate à déterminer en pratique

32 Demander un Gig sur Fiverr

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comment le CS brouille les pistes en jouant avec les codes et les méthodes des agences de création par un discours rassurant pour les marques et attractif aussi bien les créatifs amateurs que professionnels.

Nous analyserons ensuite par étapes le déroulement d'un concours. Dans cette section nous allons détailler ce qui caractérise les grandes lignes d'un projet de CS en nous appuyant sur un exemple concret de création de logo (SEGASEL sur Creads). Nous verrons alors en quoi le processus de création diffère d'un travail de design classique et où se situe le créatif au niveau des échanges. Enfin, au delà de l'aspect pécuniaire, nous verrons ce qui pousse ces clickworkers (S. Renault, 2014) à oeuvrer sur ces plates-formes.

Outre l'analyse poussée des deux plates-formes, ce travail de recherche sera alimenté par des entretiens semi-directifs réalisés dans le cadre de ce mémoire et différents échanges réalisés par mail ou sur les plates-formes. Cette première analyse sera complétée d'une étude approfondie des profils des créatifs sur les blogs et d'un questionnaire adressé aux gagnants (Creads en particulier).

2) Des positionnements différents

Depuis leur création, les plates-formes créatives ont subi de nombreuses mutations, procédé à la refonte de leur habillage ou leur approche ergonomique. Les modèles de CAI évoluent rapidement et s'adaptent au marché.

Un concours de CS créatif peut se décliner de multiples façons : Vidéos, naming33, logo, idées, design, packaging, storytelling, applications mobiles, jingle publicitaire, slogans... Bien que Creads et Eyeka fonctionnent sur les mêmes principes de concours et sur des thématiques similaires, les objectifs recherchés par les marques qui font appel à ces deux plates-formes sont très différents. On peut distinguer deux axes permettant aux entreprises de choisir la manière dont elles vont ensuite utiliser le contenu produit par l'énorme communauté créative : un produit fini ou une idéation.

Creads et la production

Creads se positionne clairement comme une agence de communication (participative). Ce qui fait également sa particularité. Sur Creads, on ne parle plus de « projets » mais de « concours ». Au départ « agence participative », ils sont aujourd'hui une « plate-forme de création participative ». Ils ne révèlent plus des « graphistes » mais de « jeunes artistes ». Cette translation de langage est intéressante car il ne s'agit plus de s'adresser uniquement à des professionnels mais à un ensemble bien plus vaste : « tout le monde devient alors créatif34 ».

La plate-forme affiche fièrement 50000 Créatifs libres - les meilleurs du monde35- et propose de répondre à tous les besoins en communication. Elle réalise à bas prix essentiellement du naming, du « logo-design » et du « webdesign ». Ses cibles : les petites entreprises (PME-PMI) et les start-up. La raison principale est économique : pourquoi payer une deux ou trois propositions de logo 800€ alors que pour le même prix36 il est possible d'obtenir 45 propositions dans un laps de temps très court ?

33 Concours qui consiste à trouver nom de marque

34 Remarque confirmée par G. Dorne également en entretien.

35 « Creads réunit les meilleurs créatifs du monde pour répondre à tous les besoins en communication (nom de marque, logo, webdesign...) We are a design tribe ! »

36 Certainement un peu plus car il y a la commission de 50%

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« Wilogo37 est donc une place de marché qui met en relation des PME-PMI qui n'ont pas souvent les moyens d'investir dans une recherche traditionnelle de logo, avec une communauté de graphistes (professionnels, amateurs, débutants, étudiants, etc.). » (Pelissier, 2011)38

Bien sûr, l'agence indique aussi travailler avec de grandes marques, mais en étudiant de plus près ces concours on remarque qu'il s'agit de projets très secondaires. Une grande marque ne confiera pas la refonte de son identité à ces créatifs. Par contre de manière ponctuelle, elle va utiliser la plate-forme pour l'habillage d'un site événementiel ou d'un packaging.

Creads est plus qu'une simple agence de CS : elle aide les marques à organiser leur propre concours, de manière autonome. Creads propose de vendre sa technologie en la dupliquant de manière ponctuelle pour des opérations marketing39 (Digiprize40 par exemple).

Suite à la grogne des graphistes et aux demandes clients, Creads ajuste son modèle. Autre particularité de la plate-forme : Creads partners et ses projets élites ou solo. Ces concours représentent respectivement 17% et 9% des projets pour Creads41. Réservés à la crème de la crème de la communauté, chaque participant est rémunéré (notons que le site communique peu sur ce sujet). La plate-forme fait d'abord signer un ticket d'entrée pour avoir les X propositions, puis tente de pérenniser la relation client en proposant des déclinaisons. Ces déclinaisons sur divers supports, servent à faire vivre l'identité : c'est l'implémentation. Réalisées en interne ou avec des créatifs soigneusement sélectionnés sur la plate-forme. L'agence possède son propre studio graphique en interne qui intervient parfois pour améliorer le travail réalisé par la communauté, ce que confirme de façon discrète la communication de l'agence.

Le site web est présenté à la manière d'une agence, on nous présente les chefs de projet, les graphistes ou responsables marketing ainsi qu'un « book » des meilleures réalisations.

Sur ses réseaux sociaux (Facebook, Instagram et Pinterest), Creads joue énormément sur « la vie de l'agence » en présentant par des photos en immersion son côté fun et décontracté (anniversaires, babyfoot, cuisine). Ils organisent aussi des événements « in real life » avec des petits déjeuners et les Creads Awards. On ne sait plus vraiment si on se trouve dans une véritable agence ou une plate-forme. Cette ambiguïté peut conduire un jeune créatif à idéaliser la plate-forme en espérant un jour faire partie des murs.

Tout comme le positionnement, le vocabulaire peut lui aussi évoluer. Chez Creads, on utilise celui d'un recruteur. Lors de l'inscription, le community manager Aurélien nous souhaite la bienvenue à grand renfort de points d'exclamations (Il sera d'ailleurs difficile à joindre). On serait presque étonné

37 Wilogo est un site de CS qui fonctionne sur le même principe que Fiverr (en page 67)

38 Pelissier C. « Les plates-formes web comme nouvel intermédiaire de marché : L'exemple du crowdsourcing, un dispositif de médiation entre communautés et marché. » In : Association Francophone Pour Le Savoir Q (ACFAS), ÉD. 79e congrès international ACFAS Université Bishop's et Université de Sherbrooke [En ligne]. Sherbrooke, Canada : Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011, 2011. p. 80. Disponible sur : < https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00652113 > (consulté le 17 janvier 2015)

39 Aspect découvert à la suite à d'un entretien, pour un stage de chef de projet, avec le responsable de la stratégie Creads.

40 « Digiprize 2ème édition » Le concours qui récompense les innovations digitales des jeunes entre 17 et 25 ans. Vous avez
une idée ? Un concept ? Une start-up toute fraîche ? Disponible sur : < http://digiprize.essca.fr > (consulté le 20 août 2015)

41 Part des projets en 2014 : élites : 17%, solo : 9%, classic 74% (source Creads)

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de ne pas être tutoyé, comme en agence. Il faut se démarquer, « Challengez » sa créativité (!), se faire repérer par les chefs de projets afin de participer aux concours confidentiels, plus sélectifs proposés par la plate-forme : les projets « élites ». La promesse est de rentrer dans le cercle fermé de l'agence, c'est l'illusion de devenir « pro ». Comme s'il fallait passer par cette étape pour faire ses preuves.

Comme une agence, Creads se positionne donc directement dans une logique de production de contenu, les logos produits lors des concours sont parfois retouchés mais finissent rapidement entre les mains du client. L'exemple de la refonte SEGASEL que nous verrons par la suite illustrant parfaitement ce type de concours.

Eyeka et les grandes marques

Eyeka vient d'effectuer sa 5eme refonte début juillet 2015. Depuis 2007, celle-ci a même considérablement changé de stratégie utilisateur. Au départ, la plate-forme ressemblerait à l'iStockphoto ou le Shutterstock que nous connaissons aujourd'hui. Sur ces deux plates-formes des photographes (sans distinction de niveau), déposent des clichés qui sont ensuite exposés par thèmes ou mots-clés et vendus à l'unité au titre d'une session de droit. Eyeka proposait ainsi de la vidéo et quelques concours sous forme non-brandé (qui n'est pas assimilé à une marque) sur un thème comme « la meilleure photo de Paris »... Les marques sont ensuite venues, ou ont été démarchées, pour proposer des concours par thématiques. La maturité est arrivée un peu plus tard sous sa forme actuelle en proposant des concours de manière régulière.

« Au passage, Eyeka a été créé en 2006 et a réellement vu le jour en 2007, en se positionnant un peu différemment. Le « pivot » a eu lieu vers 2008/2009 quand l'entreprise s'est centrée sur l'organisation de concours » 42(Y. Roth, 2015)

Cette plate-forme de concours se définissait elle-même comme une plate-forme de co-création il y a encore 2 ou 3 ans. Désormais, par souci d'objectivité et de transparence, elle parle de crowdsourcing :

« La co-création est une grande idée sur laquelle on ne peut pas mettre grand chose derrière... » (Y. Roth, 2015)

La première particularité de la plate-forme visible dès la méta-description du site43 est celle de fonctionner uniquement avec de grandes marques car elles représentent un intérêt stratégique :

« Non pas par snobisme ou par facilité - parce que ce n'est pas forcément plus simple - mais tout simplement parce que stratégiquement, c'est quelque chose de plus intéressant » (Y. Roth, 2015).

Plutôt que d'entrer dans une logique quantitative, Eyeka se concentre sur une trentaine de marques. La plate-forme choisit ainsi de prolonger l'accompagnement de ses clients qui ont un fort besoin de créativité pour leur marketing. Travailler avec cette plate-forme représente donc un certain coût. On remarque que certaines de ces entreprises font plusieurs concours par an (ex : Unilever, P&G). Le

42 Échange avec Yannig Roth obtenu par mail

43 « En tant que société innovante de crowdsourcing, nous permettons à notre communauté de créateurs de maîtriser leurs compétences, travailler aux côtés de grandes marques ou agences internationales, et être récompensés pour avoir créé des contenus et idées de grande qualité. » (Eyeka) > Meta version 2014

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contenu produit par les créatifs n'est donc pas directement utilisé par le client. Nous verrons qu'il s'agit là d'une approche marketing pour les marques qui voient plus la communauté comme des consommateurs que des créatifs possédant un savoir-faire.

Ce qui différencie ensuite Eyeka des autres plates-formes, plus spécialisées (comme Creads), c'est tout d'abord le fait d'être la seule à couvrir l'ensemble du « continuum marketing » de l'idée au contenu : design, pack, graphisme, inspiration créative pour des études de marché ou production vidéo par étapes. Le chiffre d'affaire et les revenus d'Eyeka viennent presque exclusivement des concours de création ou plus marginalement de workshops. Des concours « d'innovation » articulés autour de « print44 », la vidéo et plus largement d'idéation, au service du marketing.

Une forme de collaboration pour les agences ?

Le principe d'Eyeka est de sourcer des idées puis les réintégrer au circuit classique de la commande. Les marques transmettent aux agences habituelles et à leurs designers le travail effectué en amont sur les plates-formes. La sélection45 est ensuite faite par des free-lances ou les DC46 de ces agences.

Le crowdsourcing de contenu est une logique de production, à bas coût et souvent d'une qualité inférieure à ce que peuvent proposer les professionnels du secteur. Eyeka refuse de répondre à cette logique de production en concurrence directe avec les agences créatives. La plate-forme ne s'occupe pas d'implémenter ensuite le travail fourni comme peut le faire une agence. Laissant ainsi la marque travailler avec son partenaire habituel.

« Ce que l'on fait ici sur certains projets, ce n'est pas Publicis, Marcel ou Buzzman - on fait un métier différent [...] Les agences conseils on a un autre boulot qu'eux, on ne va pas les concurrencer directement pour des raisons évidentes. » (Y. Roth, 2015)

Dans un documentaire de 200847, une question porte sur le fameux plombier polonais pour savoir si ce phénomène pouvait nuire aux agences. Gilles Babinet, le fondateur d'Eyeka, précise qu'il s'agit d'un véritable outil pour les agences et se positionne comme partenaire vis à vis de celles-ci :

« Les agences ne sont pas uniquement des lieux de création mais une capacité de ré-exprimer à travers un brief les attentes d'une marque. » (G Babinet, 2008)

Il arrive cependant, en certaines occasions, d'entrer en concurrence. Par exemple, en Asie, quand aucune agence n'est capable de fournir un contenu de qualité équivalente à ce que peut proposer la communauté.

44 Design, packaging, affiches

45 cf. phase du vote en page 44

46 Directeur de création : la personne en charge des choix artistiques dans une agence. Parfois assimilé au directeur artistique mais souvent avec un rôle plus important au niveau managérial.

47 Pouy Grégory et Babinet Gilles, 2008, BuzzCast FR#78 / Gilles Babinet / Eyeka,

http://www.dailymotion.com/video/x6sjw2_buzzcast-fr-78-gilles-babinet-Eyeka_webcam, 12 septembre 2008, consulté le 17 février 2015

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« Depuis quelques temps on lance pas mal de concours avec (nom de marque)48 qui viennent de d'Asie. Une des raisons pour lesquelles on fait ces projets avec eux, c'est qu'ils n'ont pas d'agence de qualité ou bien meilleure que ce nous pourrions donner. » (Y. Roth)

L'idéation au service du marketing

L'idéation apporte à la marque quelque chose qui n'existait pas auparavant dans sa stratégie de communication. Si l'une d'elle souhaite lancer une nouvelle gamme de produit, elle obtient des idées créatives et fraîches du monde entier venant directement de consommateurs. À la différence des professionnels, qui peuvent avoir un regard particulier sur la façon de communiquer pour une marque49.

« Une bonne partie de la valeur d'Eyeka aujourd'hui pour les marques est donc d'ajouter un gros shot de créativité où avant ce n'était pas vraiment possible... où on avait un brainstorming50 ou un benchmark51. »

L'idéation permet aux marketers et aux agences d'être plus créatifs en amont des projets. Face au CS de contenus, l'idéation est en forte augmentation : avec uniquement 11% des campagnes de CS en 2013, il représente 27% en 2014. Selon Yannig Roth, responsable marketing d'Eyeka, c'est sous cette forme qu'est l'avenir du CS52.

La plate-forme propose aux marques d'aller « puiser » dans un réservoir à idées auquel elles n'avaient pas accès auparavant. C'est là qu'aujourd'hui la plate-forme voit le plus de potentiel, et non dans la production ou le remplacement de ce que font très bien les professionnels du design. Les budgets dédiés à cette collecte sont nouveaux et complémentaires aux études de marché existantes, ce qui rend l'opération souvent plus chère pour la marque. On comprend alors pourquoi seules les grandes enseignes peuvent se permettre de travailler de cette manière.

« En terme d'étude de marché c'est comme avoir un méga-brainstorming créatif au début d'un processus exploratoire où les idées sont ensuite validées par différentes méthodologies existantes (Nielsen53). » (Y. Roth)

Il est intéressant de voir aujourd'hui que la plate-forme est devenue une hybridation entre l'agence et un cabinet d'audit. L'Idéation constitue une étape dans le Process créatif qui n'existait pas réellement. Les créatifs ont un rôle de consultants dont les travaux servent de recommandations aux marques pour

48 Ici une marque de cosmétique, dont nous ne divulguerons pas le nom. http://www.pg.com/en_US/brands/global_beauty/skii.shtml

49 « avec un petit c : un groupe de gens de manière générale, qui n'agit pas en tant que professionnel mais en tant que consommateur, c'est comme ça que je définirai ici ce terme de consommateur - d'avoir des idées de leur part de manière globale, très rapide et non-biaisée. »

50 Terme utilisé couramment pour désigner un processus collectif de recherche d'idée.

51 Le benchmark est un terme marketing pour désigner une démarche d'observation et d'analyse des performances atteintes et des pratiques utilisées par la concurrence ou par des secteurs d'activité pouvant avoir des modes de fonctionnement réutilisables par l'entreprise commanditaire du benchmark. «Une pêche aux bonnes idées» http://www.definitions-marketing.com/Definition-Benchmark

52 http://Eyeka.pr.co/99215-Eyeka-releases-the-state-of-crowdsourcing-in-2015-trend-report

53 http://www.nielsen.com/fr/fr/about-us.html est un important cabinet d'audit de consommateurs

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affiner leurs identité, pack ou vidéo. Ainsi, Holly McAllister, une créative star de la plate-forme, se présente comme «Consulting & free-lance visual artist designer» :

« Many clients pay for the top design results from such a contest and then use those ideas to jumpstart the rest of the creative process with their own advertising agency or in-house design department.» (Holly McAllister, 2015)

3) Ce que veulent les marques

Diversité, innovation et coût

La littérature distingue plusieurs raisons pour une organisation de recourir au CAI54. Pour Alec Ross, conseiller d'Hillary Clinton, « Parfois, la sagesse de la foule peut-être plus grande que celle d'un expert. ». Les internautes apportent une forme d'expertise aux entreprises, pour concevoir de nouveaux produits ou résoudre des problèmes complexes qui ne peuvent être résolus en interne. Cette expertise de la foule est mathématique : si un très grand nombre de personnes sans relations entre elles évaluent une situation, la moyenne de leurs opinions est souvent meilleure que celles des experts les plus compétents. Le recours au CAI, permet alors d'accroître dans certains cas la productivité lorsqu'il stimule des équipes internes en les mettant en concurrence avec un réservoir mondial d'autres chercheurs (Sur IBM JAM par exemple). Avec pot-pourri d'idées, la marque recherche en premier lieu un moyen d'expérimenter de nombreuses situations différentes. (Burger-Helmchen et Pénin, 2011).

« La qualité a dépassé de loin nos attentes. Ce qui a fait évoluer notre organisation sur la façon de faire les choses, d'accéder à des concepts créatifs et à des idées innovantes. » (Leonardo O'Grady Directeur IMC chez Coca-Cola)

La mondialisation impose aujourd'hui aux entreprises de proposer des solutions innovantes et adaptées aux besoins identifiés dans leur domaine. Elles doivent trouver d'autres façons de pérenniser leur activité pour rester compétitives et surmonter les résistances au changement55. Cette créativité nouvelle et externe permet à la marque de sortir du piège incrémental (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Les créateurs, par souci de reconnaissance ou simplement par attrait pour la marque vont répondre à ces concours sans pour autant rechercher de retour financier. Le CS propose alors un coût de l'innovation bien inférieur à celui d'une tâche réalisée en interne.

« Grâce à Eyeka, nous obtenons 80% de l'impact pour 20% des coûts. » (Laura Ashton Directeur Marketing de l'Eclairage chez Philips.56)

Par ailleurs, la marque ne paye que ce qu'elle souhaite utiliser et réduit considérablement le risque d'échec au sein de ses équipes ou prestataires habituels.

54 Sawhney et Prandelli, 2000; Sawhney et al. 2005; Nambisan et Sawhney, 2007; Ågerfalk et Fitzgerald, 2008; Pisano et Verganti, 2008; Trompette et al. 2008; Schenk et Guittard, 2011 ; Burger-Helmchen et Pénin, 2011

55 Consulter la partie disruption océan bleu / océan rouge en 5)192La zone de confort et la prise de risque.

56 Témoignage affiché en page d'accueil Eyeka, version 2014, permettant de valoriser l'intérêt financier de passer par une plate-forme de CS

30

Une pratique en forte croissance

Jusqu'à présent il était difficile d'évaluer le recours systématique au crowdsourcing d'activités inventives (Burger-Helmchen et Pénin, 201157), ni même d'étude permettant de savoir si cette pratique entre ou non en concurrence avec les agences (Y. Roth). State of crowdsourcing in 201558dresse cependant pour la première fois un état des lieux sur cette pratique au niveau des grandes marques.

85% des plus grandes marques59 ont fait appel au CS ces dix dernières années : Coca-cola, Pepsi, Danone, Samsung, GE... tous les secteurs sont représentés, majoritairement des marques de Produits de Grande Consommation. Utilisant au départ les réseaux sociaux, celles-ci ont commencé à faire appel à des plates-formes spécialisées dès leur apparition autour de 2005 et préfèrent aujourd'hui majoritairement60 utiliser ces intermédiaires pour alimenter leurs campagnes marketing de nouvelles idées. Au cours de la dernière décennie, les marques ont surtout utilisé le CS pour organiser des concours de vidéos (45%) et d'idées (23%).

Les marques ne passent en effet pas toujours par les plates-formes. Elles lancent elles-mêmes des initiatives fortes visant à impliquer leurs clients dans des opérations de CAI :

Un site dédié comme celui de Décathlon-Open Oxylane61 fait appel aux pratiquants pour concevoir les produits sportifs du futur et invite ensuite les gagnants dans l'entreprise pour participer avec les designers-maison à élaborer le concept avant de passer en production.

Avec McDonald's MyBurger 62vous pouvez créer votre propre hamburger de A à Z, les 12 sandwiches plébiscités par le web seront ensuite réalisés en cuisine. Un jury décidera ensuite de commercialiser les 5 burgers gagnants.

Sur My Starbucks Idea63, 75 000 idées ont été déposées dès la première année, et plus d'une centaine d'entre elles ont déjà été concrétisées par l'entreprise. "Qui mieux que vous sait ce que vous attendez de Starbucks ?"

On peut donc se demander, ce que ces marques viennent chercher de différent par rapport à une agence classique. Selon Divard (2014), deux questions fondamentales se posent aux entreprises : pourquoi s'engager dans une opération publicitaire participative ? Et comment le faire de manière efficace ?64

57 En dehors d'exemples emblématiques (Procter & Gamble) et d'anecdotes originales, nous n'avons pas connaissance d'étude empirique mettant en évidence la pratique systématique et à grande échelle de stratégies de CAI.

58 Présenté sur la nouvelle page dédiée au CS d'Eyeka, Roth Y., Petavy F., Céré J. The state of Crowdsourcing in 2015 [En ligne]. avril 2015. Disponible sur : < https://fr.Eyeka.com/resources/analyst-reports#CSreport2015 >

59 Identifiées par Best Global Brands Rankin comme les plus valorisées au monde sur www.bestglobalbrands.com

60 75% des opérations de CAI

61 Open Oxylane - Sports co-creation platform, https://www.openoxylane.com, (consulté le 19 novembre 2014).

62 « McDonald's MyBurger /Meet the People's Champion! ». Disponible sur : https://myburger.mcdonalds.co.uk/top5home (consulté le 16 janvier 2015)

63 « My Starbucks Idea | Share, Vote, Discuss, See | Starbucks Coffee Company ». Disponible sur : http://mystarbucksidea.force.com (consulté le 16 mars 2015)

64 Divard R. « La participation des consommateurs aux campagnes publicitaires : ses formes, ses avantages et ses limites ». Gestion [En ligne]. 17 janvier 2014. Vol. 38, n°4, p. 61?73. Disponible sur : < http://dx.doi.org/10.3917/riges.384.0061 > (consulté le 17 janvier 2015)

31

Le consommacteur

Avec le web 2.0, le marketing participatif est en forte progression. Les consommateurs ne sont plus de simples lecteurs de contenu. Ils en deviennent les acteurs et participent à l'élaboration de nouvelles formes de campagnes publicitaires dans lesquelles ils se retrouvent directement impliqués. Ayant acquis une certaine maturité grâce aux réseaux sociaux, ils élaborent une nouvelle forme de dialogue direct avec les marques.

Pour les grandes marques, cela représente bien plus qu'une économie. Divard (2014) identifie les avantages potentiels65 pour lesquelles une organisation souhaite avoir recours au crowdsourcing : connaissance du consommateur permettant d'enrichir une base de données, renforcement de la relation avec la marque et de son image, amélioration du trafic sur les réseaux sociaux, réalisation d'économies et amélioration des ventes.

Pour les marques, l'idéation constitue alors une source d'accès direct à ces lectacteurs ou consommacteurs (Rebillard, 2007 ; Divard, 2014 ; Pelissier, 2011) où les managers auraient simplement « à se baisser pour ramasser ces idées et cela, de plus, gratuitement » (Bernard Cova, 2006)66. Les créateurs vont permettre à la marque de faire parler d'elle tout en lui donnant de nombreuses informations sur la manière dont ces créatifs la perçoivent. Il n'y a plus de « push » ou de mail lié à une transaction précédente, aucune plainte ou question de service après-vente : la contribution est spontanée. La marque priorise ainsi les idées en fonction des consommateurs. Cette relation lui permet de réaliser à la fois un audit marketing (rapide) et une publicité qui n'en a pas la forme.

Le sentiment d'implication

Cette « dépublicitarisation67 » (Aubrun, Patrin-Leclère, Marti de Montety, et Berthelot-Guiet, 2014) où l'aspect promotionnel passe au second plan est fortement liée au sentiment d'appartenance de la part des créatifs.

« Ils ont envie d'être reconnus pour ce qu'ils pensent, de parler aux marques à travers une ligne directe et que les paroles se transforment en actes pour faire avancer le monde qui les entoure.68 » (Livescault J., 2014)

Cette reconnaissance se retrouve également au niveau des témoignages affichés sur les blogs des plates-formes :

65 Mieux connaître le consommateur / Bénéficier de la créativité des consommateurs / Créer du mouvement sur son site et sa page Facebook et développer sa base de données / Renforcer la relation avec la marque / Bénéficier de retombées positives sur la notoriété et l'image

Améliorer les ventes / Réaliser des économies

66 (Cité par Divard R en fin d'ouvrage, Le marketing participatif) : Cova B. Innover en marketing. Paris; New York : Tec & Doc Lavoisier, 2006. 232 p.ISBN : 978-2-7430-0870-3.

67 Aubrun F., Patrin-Leclère V., Marti De Montety C., Berthelot-Guiet K. Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation [En ligne]. , 2014. Disponible sur : < http://lectures.revues.org/15111 > (consulté le 7 octobre 2014)

68 Livescault J. Le crowdsourcing d'idées, la nouvelle révolution B2C [En ligne]. Webmarketing & co'm. 10 novembre 2014. Disponible sur : < http://www.webmarketing-com.com/2014/11/10/33461-crowdsourcing-didees-nouvelle-revolution-b2c > (consulté le 16 mars 2015)

32

« C'est en 2011 que ça s'est débloqué, je n'ai pourtant pas l'impression d'avoir changé de style ou de m'être calibrée pour gagner. J'ai donc découvert le plaisir de la reconnaissance des clients qui adhèrent à ce que l'on fait et propose. »(@Freestylo)69

L'implication du client dans la vie de la marque et la reconnaissance de son savoir-faire, permettent de renforcer un sentiment d'identification. La marque devient une valeur sûre aux yeux du consommacteur qui n'hésitera pas à en parler à son entourage, surtout si son idée est sélectionnée. Le sentiment de faire partie d'une communauté de privilégiés est ainsi très présent.

« la seule rétribution que retire chaque contributeur étant alors le plaisir de participer à l'amélioration de quelque chose qui est important à ses yeux (la foule prend de ce fait certaines propriétés des communautés, ce qui modifie les conditions de recrutement et d'interaction avec l'entreprise » (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)

Sur les plates-formes : Le produit c'est votre production et vous

C'est sans doute dans le domaine de la santé que l'on trouve le plus d'initiatives de crowdsourcing, et aussi le plus grand écart en terme de positionnement éthique avec l'utilisation des données personnelles où l'utilisateur devient finalement le produit à vendre. Les mutuelles utilisent ensuite ces data pour nous proposer des tarifs ajustés en fonction de nos performances de santé70.

n'

Quel rapport avec le graphisme ? A priori pas grand chose, pourtant en fournissant des données marketing par le biais de plates-formes de création, le consommateur va donner aux marques un pouvoir de séduction plus précis, plus ciblé. Avec le web social dominé par Facebook et sa foule d'utilisateurs, Andrew Keen71 estime que la Privacy72 est sans doute un des grands enjeux éthiques et économiques à venir où les nouveaux business s'organisent autour de cette question. Le produit sur ces plates-formes : c'est le créatif. Les données personnelles qu'il va fournir aux plates-formes sont essentielles en marketing. Les marques vont pouvoir savoir votre âge, ce que vous aimez, comment vous les percevez ou les imaginez évoluer. L'offre de valeur apportée par les contributeurs aux marques est pas uniquement la production retenue à la fin, c'est aussi un audit marketing permettant de

savoir comment celles-ci sont perçues par des dizaines ou centaines de personnes qu'une organisation ne trouvera jamais au sein d'un simple focus group.

« Ce qu'achètent les clients c'est cette valeur lié à la masse. » (B. Fluzin, entretien 2015)

Propriété intellectuelle, compétences, anonymat, seule la plate-forme de CS connait tout le monde et possède ces données, qui constituent son trésor. Jusqu'où faut-il légiférer dès lors qu'une action orchestrée par la foule génère du profit pour une plate-forme. ? Bruno Téboul se demande même si la question doit être soulevée pour un faible niveau d'investissement de la part de l'internaute :

69 Paroles de Créa - Découvrez l'interview de @Freestylo ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-freestylo > (consulté le 25 juillet 2015)

70 Apple a négocié un énorme contrat avec les mutuelles américaines peu de temps avant de lancer son bracelet connecté

71 Keen A. Rsln Andrew Keen : « J'ai fait du chemin, depuis Le culte de l'amateur ... » [En ligne]. 27 octobre 2010. Disponible sur : < http://www.rslnmag.fr/post/2010/10/27/andrew-keen_j-ai-fait-du-chemin_depuis-le-culte-de-l-amateur_.aspx > (consulté le 22 mars 2015)

72 Les Data qui incluent des données personnelles

33

« La Data et les algorithmes. Il est indispensable que des géants comme Google, Facebook et autres, soient contraints de rémunérer chacun d'entre nous en échange des informations qu'ils ont récoltées et archivées sur nos propres vies. » (B Teboul, 2015)73

4) Discours

Bienvenue chez nous, vous faites partie de l'agence

En arrivant sur la page d'accueil d'une plate-forme, on découvre qu'elle se définit comme une grande communauté de créateurs en ligne qu'il faut rejoindre. Ces sites se focalisent surtout sur cette valeur, et cherchent à attirer de nouveaux clients avec une mise en avant « chiffrée » de leur vivier de créatifs. Les sites de CS ne portent guère d'attention aux créatifs de manière individuelle. Ils sont présentés comme une ressource et un potentiel quantitatif de réponses.

« Eyeka est une communauté mondiale de créateurs talentueux qui aiment résoudre les défis de marques grâce à des idées créatives et du contenu de qualité. » (Eyeka, 2015)

Qu'il s'agisse de la meta description74 ou du header75, on retrouve toujours cette Sainte trinité : communauté, (grandes) marques, gains et reconnaissance :

1. Devenez un membre de la plus grande communauté de créateurs au monde !

2. Participez à des concours stimulants lancés par de grandes marques.

3. Remportez des Prix, soyez diffusé et reconnu (Eyeka, 2014)

La promesse communautaire est très présente (sur la version Eyeka 2014), jusqu'au Y du logo Eyeka qui s'apparente à un personnage les bras en l'air76. Les créateurs sont présentés sous forme de mosaïque77 et mis en avant comme de vrais créatifs sur la page d'accueil. Sur un ton très proche de l'utilisateur, vous êtes invité à rejoindre cette communauté : Rejoignez-nous ! Ce dialogue est destiné à interpeler le futur membre, qu'il soit amateur ou professionnel.

Les blogs

Outil de communication à part entière, les blogs des plates-formes permettent de faire une promotion complémentaire. Les témoignages sont un moyen de provoquer l'adhésion de nouveaux membres et participent à l'émulation de la communauté (la tribu). Ils jouent toujours sur l'aspect communautaire avec des articles très variés.

73 Teboul B. « L'ubérisation, ce tsunami qui va déchirer notre économie. » Capital.fr [En ligne]. Aout 2015. Disponible sur: < http://www.capital.fr/bourse/actualites/l-uberisation-ce-tsunami-qui-va-dechirer-notre-economie-1061678 > (consulté le 1 août 2015)

74 Ici Eyeka, version 2015, plus compacte, sans doute pour répondre aux besoins de Google de 160 caractères

75 Le header est le terme utilisé pour désigner la partie haute d'un site web, c'est avant tout un terme HTML5 qui est aussi utilisé par les designers.

76 On peut imaginer qu'il symbolise l'esprit positif des défis proposés aux créateurs : Members of our community express themselves in a visual way. This is the «eYe» part. As to the «Ka», it is an ancient Egyptian word meaning the «spirit» - part of the human soul. By asking our community to express their ideas visually, we can better unlock what they mean. Hence: «Eyeka».

77 Voir capture écran Creads en annexe en page 171 et Eyeka en page 187 .

« Faites-vous interviewer et présentez votre travail / Devenez notre prochain Créateur du mois et partagez votre histoire avec le monde créatif ! » (Eyeka)

Sur Eyeka, les témoignages sont réunis sur une page dédiée « histoire de créateurs », un storytelling initié avec le blog par les témoignages réguliers des créateurs du mois78. La rubrique CREAS de Creads permet de découvrir les paroles de créas. Ces portraits de graphistes, gamers, copywriters, graffers côtoient des articles sur la typographie ou des astuces sur le webdesign.

« Paroles de créa est une rubrique qui permet à la communauté Creads de s'exprimer. C'est très enrichissant puisque nous avons tous des parcours différents » (Justine, créative chez Creads)

En mettant en avant un créateur de la communauté (renouvelé régulièrement), cela participe au positionnement humain de la plate-forme en matière de communication. Le fait d'intégrer la plate-forme, permet de faire partie d'une famille. Une caste comme dans le cinéma ou le « monde de la pub ». Le site joue d'un ton bienveillant qui permet à chacun de tenter sa chance. On sait que l'on sera suivi et épaulé.

« L'équipe d'Eyeka est toujours très attentive, telle une petite famille de l'audiovisuel. » (Marcs 2nd prix Vidéo du concours Coca-Cola - Premières fois.)

Les créatifs sont sensibles, ils mettent un peu d'eux-mêmes dans une création, ils ont parfois peur de l'échec et un refus n'est jamais facile à accepter. Eyeka sait que le temps passé et investi n'est pas toujours rentable, puisque 3 propositions sur une moyenne de 60 seront primées. Il faut donc transformer les échecs en expérience positive.

« Le plus important dans une compétition, c'est de vous remettre en question. » (Marinapambou Membre de la Communauté d'Eyeka.)

La promesse du gain est toutefois toujours présente. Certains témoignages permettent de créer une projection pour les créatifs. On peut les comparer à ceux des gagnants du loto : c'est possible, pourquoi pas vous ?

« En consultant ma messagerie, il y avait un email d'Eyeka m'annonçant que j'avais gagné le premier prix ! Pour nous, c'était bien plus qu'un simple prix. C'était la réponse à nos prières. Grâce à Eyeka, nous avons pu payer une partie de notre mariage. »

(Ranggaimmanuel 1er prix (Design) du concours Vivre l'instant Présent.)

Tout commence par un compte

Outre la volonté de « vous » présenter le concept, et la marche à suivre par étapes pour participer et « devenir célèbre » sur le « plus grand terrain de jeu créatif du monde ! » (page d'accueil Eyeka), l'objectif des pages d'accueil est limpide : « créer un compte » ou « demander une présentation » (si on est sur la page dédiée aux marques). Le site s'adresse toujours à sa communauté et lance un défi : « Créez le buzz », « Mettez l'eau à la bouche ».

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78 Ils sont à présent plus faciles à trouver que sur le blog.

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Pour parcourir la page en détail, lire l'ensemble du brief ou empocher de futurs gains : il faut s'inscrire. Lors de cette étape, il est possible d'indiquer sur son profil si l'on est amateur, professionnel et même auto-entrepreneur. L'agence sera toujours à votre écoute, le community manager se fera un plaisir d'y répondre personnellement. Une fois inscrit, il vous sera possible d'échanger avec la communauté internationale. En découvrant le mur vous ne pourrez échanger qu'avec des francophones (En ce qui concerne Creads)...

Profil de performances

S'il est possible d'indiquer de nombreuses informations sur son profil (qui serviront aux marques), il est rare de trouver un créatif qui se présente sous son nom propre. Sur Eyeka, la plupart des membres utilisent leurs identités et des photos de profil. L'affichage se fait de manière aléatoire sur une mosaïque d'avatars79sans cesse renouvelée. On peut ainsi consulter chaque profil sans pour autant avoir la possibilité de les trier par région ou palmarès80. A l'inverse, sur Creads, les avatars sont des logos (souvent les initiales du pseudo81). Le site se focalise sur un classement page à page, un peu comme le tableau des médailles des JO. Chaque membre de la communauté possède un mur qui est rempli automatiquement lorsque l'on gagne un trophée, les autres membres viennent alors féliciter le lauréat ou simplement échanger avec lui. Les échanges sont peu nombreux et le mur ne vit que par l'activité que génère la plate-forme, ce qui donne une illusion d'activité.

À peine inscrit, la compétition commence pour faire partie de l'élite créative de la communauté. Vous figurez alors dans les bas-fonds du classement autour de la page 458...(il y a même des scores négatifs !?). Pour remonter, il faudra uploader, échanger ou gagner des « badges ». Si vous gagnez une victoire communautaire, vous pourrez figurer environ à la 7000e place (autour de la page 100)82. Votre score créatif83 détermine votre stature : si vous êtes visible en première page, vous avez probablement décroché la timbale à plusieurs reprises. Sur Eyeka, un petit picto jaune situé en bas à droite de l'avatar permet au créatif de faire partie des 1% les plus actifs de la plate-forme.

Les informations principales visibles sont focalisées sur votre rendement. Eyeka indique d'ailleurs très bien le nombre de contributions soumises générant un classement en pourcentage. Ainsi, La « page profil » fonctionne plus comme un tableau de bord des performances qu'une fiche d'identité.

Ces chiffres sont là pour attirer les clients mais aussi pour renforcer cet esprit de communauté omniprésent dans le discours. C'est aussi un moyen d'attirer les créatifs par un sentiment d'appartenance à cette communauté, qui paradoxalement regroupe des personnes en situation de

79 Cette mosaïque n'et pas filtrable, le créatif est « perdu » dans la foule. Capture en annexe en page 187

80 Eyeka vient d'introduire cet outil : vient d'introduire un leaderboard : https://fr.eyeka.com/leaderboard. En savoir plus sur : https://blogfr.eyeka.com/2015/10/19/le-leaderboard-d-eyeka-nouvelle-r-f-rence-cr-ative

81 Voir en annexe quelques exemples d'avatar en annexe en page 170

82 Le premier point situe le membre à la 12947e place, (234e page), les premières victoires apparaissent pour les 7425e, avoir 2 victoires vous place en 1065e position, mais à ce stade, encore de nombreux membres accumulent des points grâce aux autres critères. À partir de la 600e position, la tendance s'inverse, il y a plus de victoires que de scores nuls.

83 Calculé sur plusieurs critères : Nombre des victoires, Les votes de la communauté (étoiles jaune, argent, bronze, autre place), niveau de remplissage du profil, les contributions...

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concurrence ! Ce dernier élément de discours est-il une usurpation du terme ? Est-ce bien là l'esprit communautaire et co-créatif pourtant sans cesse martelé ?

Tous amis, tous concurrents

Avec internet, la communauté a changé de visage84, les liens se font à distance, devant un écran qui devient l'espace où se déroulent les échanges. Un des aspects fondamentaux du CS créatif est la dimension communautaire. Les termes communauté, collaboratif ou encore co-création sont utilisés de manière récurrente. Les utilisateurs, au coeur de la stratégie, ont un intérêt commun : les concours (ou vivre leur passion). Pourtant, chacun reste dans son périmètre et les échanges sont parfois loin de ce que l'on peut attendre d'une communauté créative que l'on trouve sur un forum comme Kobone85. Si l'on prend l'exemple de Wikipédia, qui est du CS, cette communauté n'est pas forcément visible, mais pourtant bien présente. La frontière est donc assez floue et semble difficile à définir.

« Pour moi c'est une usurpation du terme ! Là ce n'est pas une communauté ! C'est du poulailler ! De l'élevage en batterie ! [...] J'ai commencé à bosser il y a 10 ans, et à faire du design en autodidacte il y a plus ou moins 15 ans... J'étais au collège, j'y connaissais rien, et j'allais sur des communautés, sur des forums où les gens m'aidaient mais n'avaient aucun intérêt à le faire, ils le faisaient par amusement, on se donnaient des avis sur nos créas et puis ensuite, lorsque toi-même tu avais appris des choses, tu aidais les plus jeunes qui débutaient... ça c'était une communauté ! » (B. Fluzin)

Sur Eyeka les interactions se déroulent en « circuit fermé », uniquement pour les créatifs ayant soumis et validé une création. Bien que Creads soit plus proche d'un forum avec des fils de discussions visibles de tous, le CS est une logique de production individuelle de savoir (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). Présentées tous ensemble comme une grande famille - we are design tribe -(Devise Creads), tous les utilisateurs sont paradoxalement concurrents :

« De surcroît, faire appel à la foule, c'est avant tout faire appel à des individus ou à des équipes qui entrent en compétition les unes par rapport aux autres. Contrairement aux autres formes de crowdsourcing, dans le cas du CAI il n'existe le plus souvent qu'un seul gagnant, qu'une seule meilleure solution. » (Burger-Helmchen et Pénin, 2011)

Pour Baptiste Fluzin, les commentaires reflètent même cette notion de compétition, où rien de constructif n'alimente les échanges. Simplement un « bravo ton logo est très chouette » qui sous-entend un « j'aurai bien gagné à ta place ». L'ancienne version du site Eyeka proposait d'ailleurs plus d'options d'interactions, supprimées depuis, car jugées peu rentables, inutiles et générant plus de bashing que de réels échanges constructifs sur les projets soumis.

« Depuis le début, Eyeka a toujours parlé de communauté, et je ne vois pas trop quel autre terme on pourrait utiliser. Foule ? Je trouve ça réducteur, je n'aime pas trop ce terme [...] Les médias, les clients, et même les gens de la communauté souvent prennent pour argent comptant ce terme : 300 000 Créatifs : c'est une communauté. » (Y. Roth)

84 S. Proulx (2006) Communautés virtuelles : ce qui fait lien in S. Proulx, L. Poissant, M. Sénécal, éds, Communautés virtuelles : penser et agir en réseau, Presses de l'Université Laval, Québec, p. 13-26

85 Forum qui fédère une grosse communauté de designers, professionnels ou amateurs et qui échangent autour du design essentiellement.

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Les plates-formes n'aiment pas parler de foule mais c'est bien de ça qu'il s'agit lorsque l'on traduit crowd de l'anglais. Elles admettent que le terme est galvaudé mais utilisent les codes communautaires. Il s'agit de marketing. Cette communauté ne bénéficie qu'au gérant de celle-ci. La plate-forme a pour objectif de proposer aux marques une communauté adéquate à la demande (Pelissier, 2011). Pour Yannig Roth, la communauté Eyeka est aujourd'hui plutôt coordonnée et activée. Ce qui fait la différence avec une communauté de marque sur Facebook (bien que les données des "membres" représentent toutefois une mine d'informations à revendre aux marques) c'est la capacité des plates-formes à transformer cette foule en valeur.

« Si l'on prend ce terme au niveau sociologique comme un ensemble d'individus qui partagent des lieux, des initiatives, des moments d'échanges ou un objectif commun : alors Eyeka n'est pas une communauté. En effet ils sont en concurrence, il n'y a pas de possibilité d'interaction, sauf par les réseaux sociaux » (Y. Roth)

Il faudrait sans doute un autre mémoire pour débattre de la question, mais c'est sans doute au niveau sociologique qu'il serait intéressant de regarder. Le mot est utilisé et compris par tous. À partir du moment où l'on a affaire à un ensemble de personnes qui partagent une pratique (Blablacar, AirB&B), le fait est acquis qu'il s'agit d'une communauté, même pour un mur de créatifs en concurrence. La logique est la même pour la co-création qui joue sur la tendance des espaces de co-working et des studios.

Des plates-formes orientées utilisateurs

« Pour cette nouvelle version, nous avons voulu réfléchir à la fois du point de vue des créateurs qui nous suivent depuis si longtemps et qui connaissent déjà toutes les règles de notre « aire de jeux », mais également du point de vue de ceux qui voient Eyeka pour la première fois et essayent de comprendre ce que veut dire toute cette histoire de crowdsourcing86. » (Eyeka, 2015)

Malgré un positionnement différent, les plates-formes ont un mode de fonctionnement qui reste le même et jouent sur des recettes similaires. Grandes marques, discours au champ lexical ambigu, message toujours positif et enthousiaste, interfaces proches de celles des agences (Creads) ou des startup (Eyeka) sont des appeaux à créatifs. Le CS semble en effet modifier la manière dont les marques utilisent les consomm-acteurs. Elles utilisent à la fois leur travail mais aussi les données marketing qu'ils représentent. Pour clore cette partie, soulignons le fait qu'un site de CS s'adapte clairement en fonction de l'utilisateur. Une fois celui-ci connecté, le menu principal est simplifié et dépend du statut de l'usager : contributeur-créatif ou client (marque-crowdsoucer). L'espace commun est celui du concours (ou projets) que nous allons à présent étudier par phases en nous plaçant essentiellement du point de vue du créatif.

86 Nouveau site Eyeka | Blog Eyeka - the Co-Creation Community [En ligne]. juillet 2015. Disponible sur : < http://blogfr.Eyeka.com/2015/07/08/nouveau-site-Eyeka/ > (consulté le 11 juillet 2015)

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5) Les mécanismes du concours

Les concours, regroupés sous la rubrique « projets » des plates-formes, sont toujours encadrés par un règlement que chaque plate-forme élabore en fonction de l'objectif souhaité par le client et de son positionnement. Les créatifs découvrent les concours par un petit résumé et une image générique. Le gain et le type de concours sont les infos principales visibles. L'ordre d'affichage est défini par la deadline (Date butoir) du dépôt (upload) : il vous reste X jours pour uploader votre création !

Nous allons étudier le déroulement en phases d'un appel à création proposé par la plate-forme Creads en nous appuyant sur un projet de refonte de logo pour un garage spécialisé en poids lourds (SEGASEL). Nous verrons tout d'abord les différentes formes et les règles qui entourent ces concours. Puis nous étudierons le Brief et les échanges qui s'opèrent durant la phase de création et nous verrons enfin ce qu'il advient des créations et des gagnants une fois le concours terminé en étudiant la manière dont les rétributions sont orchestrées.

Les phases des concours

Un concours se déroule sur de plus nombreuses phases souvent indiquées par une timeline. Sophie Renault (2014)87 distingue six phases qui sont sensiblement les mêmes selon les plates-formes. Nous en ajouterons une septième : la phase préparatoire de définition des règles (Brief et CGU88) :

Phase 01 : Définition des règles et élaboration du brief créatif Phase 02 : Le lancement du concours

Les participants découvrent le nom, la dotation et l'échéance du concours auquel ils peuvent choisir ou non de répondre. Ils suivront alors le brief créatif et les guideline,

Phase 03 : La création

Pendant cette phase dont la durée varie de 2 semaines à 2 mois selon la complexité des projets, les créatifs peuvent poser des questions au Community manager en charge du projet. Ils peuvent uploader leurs productions jusqu'à la date de clôture du concours.

Phase 04 : Les délibérations (votes)

Dans un esprit d'émulation, le premier vote est communautaire. Les participants peuvent juger les créations des autres participants en attribuant une à plusieurs voix. Ce qui permet d'augmenter un score créatif ou de gagner des « badges ». Puis une période, dont la date n'est pas précisée, permet au client d'affiner ses choix souvent avec l'aide de la plate-forme qui effectue un premier tri (Eyeka) selon la pertinence des réalisations.

Phase 05 : La décision du client

Le site annonce le ou les vrais gagnants.

87 Renault Sophie, 2014, « Crowdsourcing : La nébuleuse des frontières de l'organisation et du travail », RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise, 1 mars 2014, vol. 11, no 2, p. 23?40

88 Conditions générales d'utilisation, séparé ou faisant partie du brief créatif. Elles sont aussi rappelées lors de l'inscription sur la plate-forme.

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Phase 06 : La fin du concours

Une fois le concours terminé, il est possible d'obtenir des informations permettant de situer le contexte du concours, de lire le brief au complet. On découvre alors les statistiques clés du concours : les montants des gains selon les gagnants ; les Favoris de la Communauté désignés comme les plus créatifs ou les plus originaux ; l'ensemble des contributeurs89, leur pays d'origine sous la forme d'une mosaïque des profils (Eyeka) ou une galerie (Creads). Les médias acceptés peuvent être visibles ou non. Le témoignage du client accompagne parfois le travail effectué permettant de justifier son choix et de valoriser la création retenue.

Phase 07 : Le paiement des gains

La rétribution s'effectue ensuite au titre d'une session de droits d'auteurs. Le(s) gagnant(s) est gratifié de points et fait monter ses statistiques.

Les règles et les différents types de concours Du brief initial au brief créatif

Les règles, uniques pour chaque concours, sont définies en amont avec la marque et peuvent prendre différentes formes. Les conditions de succès d'une opération de publicité participative90 (Divard, 2014) sont définies en plusieurs étapes : Objectifs, cible, nature et philosophie de l'opération, nombre de lauréats et récompenses, procédure de collecte et de sélection des propositions, calendrier, suivi, accompagnement médiatique, coût et bilan de l'opération.

Le brief initial définit les objectifs du client. La plate-forme aide alors celui-ci à transformer la stratégie marketing en un brief créatif destiné à la communauté. Ce travail exploratoire rejoint celui d'une agence classique91, qui reformule la demande pour la soumettre à ses créatifs. La relation client est essentielle dans cette phase et la qualité du brief permettra d'obtenir une réponse plus juste. La première question que pose la plate-forme au client est de savoir s'il est possible d'externaliser la demande :

« Il y a des choses que l'on ne peut pas externaliser ; par exemple des clients demandent une stratégie 360° digitale » (Y. Roth92)

En général, un concours se concentre sur une tâche. Il est rarement demandé aux créatifs de concevoir plusieurs produits dans une campagne ou pour une charte graphique. Cela permet d'assurer l'adhésion de la communauté qui peut identifier plus facilement la tâche.

89 Participants avec au moins une contribution, (upload) validée au concours

90 Divard R. « La participation des consommateurs aux campagnes publicitaires : ses formes, ses avantages et ses limites ». Gestion [En ligne]. 17 janvier 2014. Vol. 38, n°4, p. 61?73. Disponible sur : < http://dx.doi.org/10.3917/riges.384.0061 > (consulté le 17 janvier 2015)

91 Un free-lance effectue aussi ce travail pour étudier l'univers du client et affiner la demande

92 En marketing, une stratégie 360° consiste à traiter toutes les facettes d'une problématique, elle combine une large palette de médias Activation, site web, street marketing, pub tv, expérience retail.

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Les conditions du concours

La participation est tout d'abord conditionnée par la création d'un compte utilisateur sur la plate-forme. Pour qu'une participation soit validée, le créatif devra alors respecter les contraintes du brief, liées au fond, format ou guidelines imposés par la marque. Nous pouvons alors classer ces concours selon deux axes qui peuvent se recouper, dans les deux cas il peut y avoir des restrictions :

Le premier un axe concerne les participants. L'ouverture sans restriction est souvent la forme la plus répandue des appels à la création. Tout le monde peut alors répondre au concours mis en ligne par la plate-forme. Ce qui est évident si le client souhaite obtenir un maximum de participations.

Il y a cependant des restrictions liées à l'âge qui peuvent s'appliquer : dans le cas de concours liés à l'alcool ou tabac (plus rare) où les participants doivent être majeurs ou encore si le créateur est mineur, celui-ci s'engage à fournir une autorisation parentale. Sur la plate-forme Creads, il est également possible de participer aux concours confidentiels pour lesquels il faut fournir une copie de la carte d'identité.

Pour des plates-formes comme Eyeka, qui déclinent parfois les concours en 12 langues, il peut aussi y avoir aussi des restrictions géographiques. Lorsqu'une marque a l'habitude de ne contracter qu'avec un public originaire d'un pays en particulier ou d'exclure certains pays :

« On le voit souvent avec les clients américains, qui ont pour habitude dans les opérations en ligne d'exclure de la participation des ressortissants de pays avec lesquels il n'est pas possible de contracter librement, comme Cuba... » (É. Favreau - Eyeka)

Le second axe concerne la diffusion des contributions. Il est fortement lié à la notion de droits d'auteurs. L'approche est totalement différente selon les plates-formes et permet de comprendre le positionnement stratégique de celles-ci. Dans une vidéo explicative, Éric Favreau, responsable juridique d'Eyeka explique qu'il y a trois types de concours93 : Confidentiel (la marque n'est pas dévoilée), participations confidentielles (on ne voit pas les productions) et ouvert (on peut voir les productions et la marque). Les clients, pour des raisons stratégiques, ne souhaitent pas toujours divulguer les créations une fois le concours effectué. Le mode confidentiel de Creads empêche la diffusion du concours via Google. Ceux qui n'y ont pas participé ne peuvent pas découvrir les créations (comme sur Eyeka).

Nous verrons que les participants n'intègrent pas toujours ces aspects de confidentialité lorsqu'ils acceptent les termes définis par les CGU, focalisés sur la demande tels des zombis du brief, ils réalisent ensuite qu'ils ne pourront pas toujours alimenter leur book de leur création.

Le brief créatif

Une fois la phase préparatoire effectuée, le brief créatif est diffusé à la communauté. C'est le lancement du concours (phase 2) et le démarrage de la conception pour les créatifs.

93 Éric Favreau, [Webinar] Creative Crowdsourcing From A Legal Perspective. 2014. https://www.youtube.com/watch?v=7cMVfY-j7lE&feature=youtube_gdata_player

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Aujourd'hui en agence, les échanges avec le client se font en phases de travail, il y a des allers-retours, souvent à distance lors de conf-call94sur skype. Des outils collaboratifs comme permettent au client d'annoter en direct ses remarques. Google drive, evernote, dropbox sont ainsi des outils très pratiques. Les échanges courts et réguliers ont pour but de faire évoluer le brief plus précisément. Cet ajustement est essentiel car il permet au créatif de s'approcher au plus près de la demande :

« Cette proposition de l'ajustement désigne un régime d'interaction au cours duquel, l'acteur s'engage dans un corps-à-corps avec un dispositif de communication et interprète la situation (c'est-à-dire qu'il la comprend et la juge) en mobilisant des représentations de cette situation et en déployant un travail réflexif sur sa posture de visiteur » (Jutant, 2011)95

Sur une plate-forme de CS, l'acte de production reste le même mais le seul interlocuteur du créatif reste le Brief, et la possibilité de dialoguer avec le Chef de projet par l'intermédiaire d'un formulaire de contact semble limitée. Le designer peut ainsi manquer de recul. L'évolution du Brief peut toutefois s'opérer pendant la phase de concours, le client ajuste sa demande à mesure que les propositions sont déposées sur la plate-forme, mais il y a toujours cette notion d'échange à sens unique, où le créatif reçoit le fruit des discussions entre la plate-forme et son client :

« Pour un projet de logotype, le brief n'a cessé d'évoluer avec le client : il exprimait ses souhaits au fur et à mesure de nos propositions. Le client est toujours décisionnaire au final. » (@Elie-X96)

Sur le concours SEGASEL de Creads, Aurélien le chef de projet, s'adresse directement au créatif. Il nous présente son brief créatif affiché en page du projet. Il faut que l'on sache que l'on a affaire à un interlocuteur réel. Simple guide sémantique, les grandes lignes sont ici présentées de manière très synthétiques et l'on peut découvrir les guidelines souvent très générales (format, couleurs, concept, mots-clés, intentions client) permettant de moderniser avec dynamisme l'identité de l'organisation97. Il est alors possible de récupérer des éléments qui peuvent aider le créatif dans sa démarche, comme l'ancien logo98, on découvre que le client a en effet un logo-totem-clé-à-molette-vendéen :

Et qu'il souhaite un logo qui ressemble à ça :

 
 
 

94 Terme utilisé pour désigner une réunion téléphonique.

95 Jeannin H., Sarre-Charrier M. « Injonction de créativité et création sous contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l'épreuve du numérique. » In : 82ème Congrès de l'ACFAS Université Concordia, Montréal, Canada. Montréal : 2014. p.107-116. Disponible sur : < http://creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf > (consulté le 16 février 2015)

96 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste > (consulté le 25 juillet 2015)

97 Brief complet, annexes en page 164

98 Suivant les concours les éléments peuvent aussi être des motifs, tempêtes, maquettes wireframe de sites web ou gabarits

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Ou ça :

On apprend aussi que le F de Facebook ne le fait pas rêver... Au travail et Bonne créa :) nous souhaite Aurélien.

Démarche de création

Passons à la mise en pratique. Me99 voilà seul avec mon brief. J'ai eu à refaire en agence l'identité d'un garage spécialisé de ce type (pour IVECO) et je possède encore la bonne base de recherche pour arriver à créer un camion qui ressemble à ce que demandait le client à l'époque. Je vais donc, pour ce concours tester la repompe100 et fournir deux propositions en moins d'une heure « montre en main ». Commençons par visiter le site du client101 pour cerner son univers : un webdesign pas vraiment dans la finesse et un logo provisoire en têtière fait à partir de la police Eurostile, et souligné par un arc de cercle rouge (de toute beauté). Pour rester dans la charte, il faudrait utiliser le bleu électrique en effet... Pourquoi le bleu ? Évidement rien n'est précisé. En étudiant le secteur on pourra découvrir qu'il s'agit d'une couleur identifiable pour les camions mais qu'il ne s'agit pas d'une règle non plus. (Scania, Volvo, Iveco, Daf, Michelin et l'univers des poids lourds possèdent cette dominante).

Le brief manque souvent de précision. Suite au questionnaire adressé aux gagnants de la plate-forme (dont nous avons donné les grandes lignes dans notre corpus), 51% des personnes interrogées102 estiment qu'il manque parfois des éléments pour avancer tandis que 18,6% trouvent souvent compliqué de cerner la demande. Seuls 30,2% trouvent que le brief est toujours précis, en étudiant de plus près leur profil on s'aperçoit qu'il s'agit surtout d'employés dans un autre secteur puis de free-lances en recherche d'opportunité. Fabienne Chabus, une conceptrice-rédactrice faisant partie du top 5 des meilleurs créatifs qualifie ces briefs de stéréotypés, ils ne permettent pas sans une expérience solide en agence ou en free-lance de savoir quel axe de travail et quel ton adopter. Elle précise qu'un entretien en direct avec le client sera toujours le meilleur moyen de viser juste103.

À chacun sa recette pour répondre. @Jonk, un créatif interrogé sur le blog de Creads indique la sienne, il

s'

agit surtout de technique et de forme, c'est la couche sensible de la création :

« En général je vais prendre un bloc de feuilles à côté de moi en mettant en avant les mots qui me semblent importants, puis les idées et formes qui me viennent. Tout ça sur une ou deux pages avec mes idées et les mots clés. De là viennent des dessins qui se mélangent aux mots. Après deux ou trois pages de rough je retiens les idées les plus intéressantes et c'est là que je me lance sur mon ordi. Je ne commence jamais rien sur Illustrator ou Photoshop tant que je n'ai pas mon idée définitive. Je préfère avoir une

99 Je préfère utiliser la première personne, car je me positionne ici comme graphiste et non l'auteur de ce mémoire.

100 Concept détaillé en partie 2, Plagiat en page 84

101 http://www.segasel.fr/fr/ capture, annexe en page 166

102 Sur la base 305 concours : 51% totalisent 54% des concours remportés - 18,6% totalisent 28% concours remportés - 30,2% totalisent 18% concours remportés. (Source : questionnaire réalisé pour cette étude)

103 Voir référence le témoignages de Fabienne Chabus, annexes en page 160

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idée du rendu avant en petit, griffonné au crayon en noir. Je me sens beaucoup plus libre sur le papier qu'en utilisant les techniques disponibles sur Illustrator104. » (@Jonk !)

Étienne Robial, qui pendant 25 ans a accompagné Canal+ en façonnant son identité graphique est considéré comme un précurseur en terme d'identité audiovisuelle, il décrit à sa manière le rôle d'un graphiste dans le cadre d'un projet d'identité105 :

« Il doit aussi clarifier, hiérarchiser et distinguer, dans le sens bourdieusien du terme, sans forcément d'ordre hiérarchique. Je prends un exemple : si un mec présente son émission en noeud papillon tous les jours de l'année, le 31 décembre il ne sait plus comment s'habiller. Et enfin, l'habillage doit valoriser et promouvoir. Là encore, nous sommes dans le "faire joli", notion que je mets volontairement entre guillemets car pour moi c'est quelque chose qui se fait naturellement mais on n'est pas là pour ça. L'habillage n'est pas qu'une histoire d'esthétique et de charte graphique mais d'identité : quand on arrive sur l'antenne, on doit savoir exactement où l'on est. » (Robial, 2014)

Le graphiste doit avant tout faire appel à son sens de l'analyse pour comprendre une demande et la traduire afin de faire passer des émotions à travers un travail visuel. (Gaborit, 2013). Il peut intervenir dans de nombreux secteurs et peut avoir de nombreuses facettes ou compétences techniques. Ces profils souvent atypiques restent en veille à la fois au niveau technique et visuel. Ils scrutent les tendances, et se révèlent indispensables au sein des stratégies de communication :

« C'est le ciment qui relie toutes les variables stratégiques d'une communication. Le métier de graphiste est un métier qui se doit d'être remis en question chaque jour. Il se plie aux tendances, aux évolutions du marché, de l'histoire et des secteurs. » (Gaborit, 2013)

Voilà enfin mes propositions de logo terminées ! Une fois l'upload effectué, la plate-forme propose au créatif un formulaire limité à 500 caractères pour défendre le travail et expliquer la démarche créative... La possibilité de fournir un argumentaire est restreinte. L'absence de médiation discursive qui caractérise le CS où est sans doute la principale rupture avec une commande classique. C'est un des points qui soulève le plus de critiques de la part des professionnels du design. Ils estiment que cette prestation incomplète dévalorise la valeur du designer et conduit à une uniformisation du paysage graphique (nous aborderons ce point en seconde partie de ce mémoire). Etudions à présent le déroulement des dernières phase du concours : la phase des votes et des rétributions.

104 Paroles de Créa - Découvrez l'interview de @Jonk ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-jonk > (consulté le 25 juillet 2015)

105 Il est possible de transposer cette démarche à une identité ou un logo.

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Ci-dessus les deux propositions, réalisées chacune en 20 minutes, plaçant le travail de gauche à la 21e place sur 94 (3 votes).

La phase des délibérations

À la date limite définie par la plate-forme pour déposer les fichiers, le concours entre dans sa phase de vote (phase 4). Les créations validées sont alors visibles par les créatifs mais aussi par les visiteurs nonparticipants suivant le type d'appel à la création. Les participants peuvent alors désigner les Favoris de la Communauté qui seront affichés sur la page des résultats, aux côtés des vrais gagnants. Offrant une visibilité à ceux qui auraient été désignés par la communauté sans pour autant avoir été choisis par la marque.

Les échanges entre créatifs

Les deux plates-formes étudiées sont résolument tournées vers leurs Communautés qu'elles utilisent comme un argument de vente auprès des marques. Dans un processus de création, il est toujours important d'échanger ou de voir ce que les autres ont produit, surtout lorsqu'une problématique est donnée.

Sur Creads, les interactions sont très présentes et visibles sous la forme d'un fil de discussion que l'on trouve sur la page de la création soumise. Certains membres semblent toutefois regretter l'ancien forum106, cette phase de partage très appréciée semble aussi importante que la compétition pour les créatifs, et peut même donner lieu à des collaborations futures entre un créatif et un rédacteur107. La disparition de ces échanges a généré une certaine frustration.

Sur Eyeka, une nouvelle fonction a vu alors le jour sur la page du concours au sein d'un club des contributeurs (Feedback Circle sur la version anglaise). Espace ouvert uniquement aux participants. Ce qui fait la différence avec d'autres plates-formes comme wilogo ou Creads qui permettent au public de consulter les créations alors que le concours est en cours de délibération du côté client.

Aider à améliorer les compétences

Ces espaces ont été conçus pour permettre aux participants d'échanger des astuces positives (Eyeka), des conseils et des commentaires sur leur travail dans l'optique de les aider à améliorer leurs compétences. Sur Eyeka, les créations peuvent être notées par les créateurs selon des critères de qualité, d'originalité de l'idée, de singularité (ce qui la rend unique) et de pertinence narrative. Sur Creads, un participant attribue un certain nombre de voix pour désigner ses créations préférées, jugement simplement fondé sur le j'aime, j'aime pas qui peut aussi relever d'une stratégie si celui-ci se bat pour le podium, les créations recevant le plus de votes sont affichées en premier dans la galerie et les gagnants sont

106 Voir témoignage de @sifflodoc annexes, en page 161

107 Voir les témoignages autour des discussions, annexes en page 161

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désignés à l'issue de la période de vote. Quelle que soit la plate-forme, la note des créateurs n'a aucun impact sur le résultat final. Chaque action prise sur la plate-forme ou vote remporté permettra au membre d'augmenter son score créatif, permettant au profil de remonter dans le classement communautaire et de faire même partie des meilleurs 1% (Eyeka). Sur Creads, une autre forme de récompense permet de créer une émulation : à la manière de trophées, de nombreux badges, servant à illustrer différents paliers de progression, permettent de cumuler des points supplémentaires et d'avancer dans le classement général. Dans la veine des écussons de scouts, le créatif affiche fièrement sur son mur ces petites illustrations, en travaillant par exemple jusqu'à 2 heures du matin, vous pouvez gagner celui de noctambule !

Le vote du client

Le recours au CS permet aux marques d'avoir virtuellement accès à des ressources gigantesques (Burger-Helmchen et Pénin, 2011). L'entreprise n'a cependant pas toujours les capacités de traiter et d'absorber les réponses. Les plates-formes permettent aux marques d'effectuer un tri des meilleures propositions. Dans le cadre d'une production de contenu, elles fournissent un produit « fini » ou une matière première aux marques.

La fin d'un projet...

Chez Creads, le projet est terminé : l'Agence sélectionne les meilleures propositions puis aide le client à affiner son choix. Face à cette foule de propositions, il est sans doute peu probable de trouver un travail de qualité qui soit vraiment adapté à la demande. Bien qu'il puisse être retravaillé par l'agence, nous verrons alors que ce process de travail soulève de vives inquiétudes du côté des professionnels. La création choisie n'est effectivement pas toujours la plus professionnelle précise Geoffrey Dorne, mais celle qui plaira le plus au commanditaire, qui décide. :

« Il n'y aura pas de grille de lecture basée sur le design, mais plus sur le "j'aime, j'aime pas" » (G. Dorne) ...Et le démarrage d'un nouveau

Concernant l'idéation pratiquée chez Eyeka, la logique est sensiblement différente. L'analyse est faite en externe (Parfois en interne) par des sémiologues, sémioticiens, directeurs créatifs ou planners en free-lance. Ces personnes ont une expérience de stratégie de marque et font une analyse des entrées pour donner des grandes tendances, des concepts :

« Par exemple, McCann-Chine, qui lançait un concours pour Coca-cola, son client, cherchait de nouvelles idées pour communiquer le goût de la boisson. Ils ont eu, je ne sais pas combien, mais des centaines d'idées qu'ils ont clusterisées en grandes tendances. Ils ont choisi ensuite ce qui, d'après la marque et les personnes qui travaillent sur ce compte au sein de l'agence, leur paraît le plus prometteur. Évidement c'est aussi testé avec des instituts d'études en parallèle. » (Y. Roth)

Cette méthode va relativement vite : « on a des idées : et on choisit la bonne » (Y. Roth). Ce qui n'arrive pas systématiquement. Parfois les marques ne trouvent pas leur bonheur « Ce qui fait partie du jeu. » Et que la plate-forme ne peut garantir.

Eyeka admet que la qualité des réalisations est loin d'être professionnelle :

« On ne demande pas aux personnes de venir avec des contributions parfaites, qui peuvent être utilisées dès le lendemain par le client. » (É. Favreau). Dans une recherche d'idée ouverte, les

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exigences techniques, créatives et professionnelles sont moindres que sur un appel d'offre s'adressant uniquement à des professionnels. L'idéation peut cependant révéler des concepts très intéressants.

« Alors c'est sûr : cette créativité n'est pas toujours exprimée de manière professionnelle. Mais ça on le sait ; et nos marques aussi. D'où une étape ultérieure de redéfinition et re-travail peut-être. » (É. Favreau)

Un des problèmes fondamentaux du marketing lors de ce passage de relais est le fameux syndrome not invented here. Il arrive en effet que l'idée puisse « se perdre » au sein des agences ou entreprises ayant initié le projet. Les personnes évoluent au sein des grandes marques, les validations peuvent demander du temps, et le projet peut même finir par être oublié.

« C'est un gâchis d'argent pour la marque si elle ne continue pas - à nuancer bien sûr - puisque c'est une expérience et qu'il y a eu du travail en amont, de l'apprentissage et des idées...» (Y. Roth)

qu'

C'est une des difficultés du crowdsourcing d'idéation pour laquelle « Il n'y a pas encore beaucoup de solutions aujourd'hui ». En adoptant cette posture, la plate-forme ne contrôle pas la mise en place et l'implémentation. À l'entreprise de choisir in fine, ce qu'il advient de ces idées ou de ces créations. La vision d'idéation selon Eyeka est de permettre aux marketers et aux agences d'être plus créatives. Plutôt que de se situer dans la production, en remplaçant des personnes existantes par du low-cost. C'est là aujourd'hui les marques voient le plus de valeur et non dans la production ou le remplacement de

ce que font très bien les professionnels du design. Par ailleurs, les marques souhaitent conserver un certain contrôle et le fait de confier intégralement à la plate-forme son identité représente un risque qu'elle ne souhaite pas prendre.

Les gains

Une fois cette période passée, qui sert de mise en appétit, arrive la phase de décision client tant attendue par les participants. Les gagnants peuvent exprimer leur joie et dire :

« Quand tu gagnes, c'est comment dire, noël avant noël ! Tu as l'impression d'être Di Caprio à l'avant du Titanic en train de crier, je suis le roi du monde. Gagner face à des centaines d'autres candidats cela te rebooste forcément et te pousse à croire que tu as bien fait d'aller dans cette voie ! » Mistizouk (Créatif sur Creads, France)

La « passion pour la création », est à 80% la motivation principale des gagnants. Pourtant 5% ne sont pas intéressés par les gains... Pour un jeune professionnel, un étudiant en design en passe de le devenir ou un designer qui travaille déjà en agence ou à son compte, le premier critère de motivation, « c'est tout simplement l'argent » selon G Dorne. Lorsqu'il en discute avec ses étudiants pour savoir s'ils ont déjà entendu parlé de cette pratique et pourquoi ils seraient tentés :

« Potentiellement ils peuvent gagner 300-400€ en une soirée en faisant un logo sur photoshop. C'est cet aspect financier qui motive ceux qui savent un minimum faire ce métier : de l'agent facile, vite fait bien fait. » (G. Dorne)

Cette motivation est entretenue pas un affichage des gains sous forme de prix. Le créatif sait combien il va toucher suivant son classement. L'argent est un facteur important de motivation pour les

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concepteurs allant sur ces sites (étude de Daren Brabham, 2008). Pour un stagiaire payé 588€ par mois en Agence108 le raisonnement est simple : un logo = un mois de stage. Nous allons voir qu'il est cependant assez difficile de sortir du lot sur ces plates-formes et encore plus d'en faire une activité à part entière.

Un faible taux de réussite

On peut comprendre la joie des gagnants lorsque l'on constate qu'ils représentent moins de 2,3%109 de la communauté Creads110. Sur les 24250 "membres" qu'il est possible de recenser sur cette communauté111, seuls 544 ont remporté au moins un concours. Parmi ces élus, 59% ont emporté une unique victoire (soit seulement 18% des victoires). Les victoires sont réparties un peu comme les richesses du monde : une minorité parvient à gagner la plupart des concours. 20% des gagnants, soit 0,44% de la communauté, trustent ainsi ainsi 67% des victoires112.

Ces quelques designers font donc figure d'exception, et bien sûr, mis en avant pas les plates-formes. Sur Creads @creagaz, cumule 127 victoires113, suivi de @magik avec 58 trophées. Le site Eyeka présente Holly McAlister114, designer de San Diego ayant perdu son emploi en agence en 2005. Elle explique dans une interview comment le CS est devenu une activité à part entière lui permettant même de dépasser ses anciens revenus en agence. Avec 22 concours remportés et plus de 60000$ gagnés, elle fait partie des top-sourcers d'Eyeka (Les concours sur Eyeka sont dotés jusqu'à 15000€).

« This past year I have surpassed my old salary and I don't sit in rush hour. And that's beautiful.» Elle estime avoir trouvé un équilibre entre sa vie familiale et ses aspirations professionnelles. Elle peut choisir son type de concours, effectue une recherche avant de travailler et élaborer ses concepts.

Les taux de réussite, même chez les meilleurs est souvent très bas. À la suite d'une enquête réalisée auprès d'un panel de 43 des meilleurs créatifs de Creads, on constate un taux de réussite de 3,3%. Soit une moyenne de 69 créations proposées pour une victoire115. Bien que ces données soient à nuancer, faute d'un panel plus large116. Le retour est évocateur et permet de dégager des tendances : cet échantillon ciblé représente 7,9% des gagnants (sur 544) et 16,8% des victoires sur le site (sur les 1814 identifiables) pour une moyenne de 7 concours gagnés. Soit au dessus de la moyenne globale du site117. Il serait intéressant de connaître à présent la proportion de lauréats en fonction des statuts. Sur Eyeka, il n'est pas possible de trier les gagnants. Nous avons donc effectué cette étude sur Creads.

108 Les agences sont des « usines à stagiaires » et payent un minimum légal.

109 1% si on se réfère aux 53666 membres visibles et indiqués par le site encore en 2014.

110 Voir étude chiffrée des gagnants Creads , annexes en page 177.

111 Sur le site on ne voit que les Français semble-t-il.

112 19,66% des gagnants (soit 107 sur 544) se partagent 67,4 % des victoires (soit 1224 sur 1814 possibles.).

113 Premier au classement général toutes catégories.

114 Huffman Jennifer, 2015, Local designer becomes top creative « crowdsourcer », http://napavalleyregister.com/news/local/local-designer-becomes-top-creative-crowdsourcer/article_48e9bb70-90e6-58a5-9307-71a8a9527163.html, 12 février 2015, consulté le 17 février 2015.

115 19143 upload pour 305 victoires.

116 Creads a clôturé mon compte à la suite des messages envoyés aux gagnants, considérant l'étude comme du « spam », le seul moyen de contacter les gagnants qui n'avaient pas indiqué de book étant de passer par la messagerie privée de la plate-forme.

117 3,3 victoires pour l'ensemble des 544 gagnants.

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Qui sont les gagnants ?

À première vue, en parcourant les portraits créateurs du mois sur le blog de Creads on se rend compte que la plupart des gagnants sont des créatifs ou possèdent déjà une activité. Lorsque l'on consulte la fiche du profil, il est possible d'accéder à leur page Linkedin ou leur portfolio118. C'est en étudiant de plus près les parcours que l'on se rend compte que la plupart sont de vrais professionnels.

Gilles Babinet indique en 2008 que plus de 50% de la communauté est professionnelle.

On découvre sur un article du blog que les créateurs en janvier 2015 étaient sur 300 000

(50% d'amateurs et 50% de professionnels et semi-pro, terme qui reste à définir sans doute le pro-am de Patrice Flichy). L'illustration ci-dessous présente selon Eyeka la répartition des profils des créateurs de la communauté selon leur statut.

Parmi les profils sondés sur Creads on trouve : 56% professionnels et 9% pro-am, en recherche d'emploi. Parmi les 28 pro et semi-pro sondés, 46% sont des autodidactes, 14% ont suivi une formation technique en infographie et 40% ont suivi des études d'art119. Les créatifs free-lances sont fortement représentés, la plupart sont des autodidactes ou ont suivi une formation technique mais quelques uns ont suivi des études de design, une minorité vient de l'agence ou de services communication.

Si on recoupe avec tous les gagnants du site qui se déclarent free-lance sur leur profils ou possèdent un book, on obtient 41 personnes et 13,6 victoires de moyenne. Bien au dessus de la moyenne pour l'ensemble des gagnants.

Ensuite, on trouve 35 % d'amateurs120, qui ont une autre activité que le graphisme mais les données sont insuffisantes pour savoir dégager une tendance précise. Les autodidactes sont très fortement représentés dans le panel des gagnants (54%).

Les gagnants sont donc en majorité des professionnels autodidactes, ils cumulent le plus de victoires. Mais cela ne signifie pas qu'ils soient meilleurs que les autres. Ils font certainement plus de concours que les pros occasionnels et possèdent un savoir-faire probablement supérieur aux amateurs. On pourrait également supposer qu'ils se tournent vers les plates-formes faute de clients. C'est donc une

118 Le questionnaire et l'étude des profils Creads permet également d'accéder aux portfolios en ligne, parmi les meilleurs, seul 1 sur 3 en possède un (annexes en page 181)

119 28 pro (4,45% de réussite / 7 victoires) 4 pro-am (9% / 1% de réussite / 3,5 victoires). 28 pro et semi-pro (13 autodidactes = 46% / 8,6% de réussite), 4 formation infographie (14% / 3,8% de réussite) et 11 études d'art (40% / 16% de réussite.)

120 Pour 3,5 victoires en moyenne pour les pro-am et 6,8 pour les amateurs.

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tendance logique, mais non-vérifiable en ce qui concerne la précision des statuts. Seules les plates-formes savent exactement qui sont les créatifs et ne préfèrent pas le révéler. Certainement pour éviter d'être accusées de faire du travail dissimulé.

Cette étude est cependant très intéressante, car il a été possible de dégager de grandes tendances sur les taux de réussite. Les données précises de rendement permettent d'effectuer une comparaison avec les tarifs pratiqués habituellement (qui ne sont pas forfaitaires).

Des tarifs en dessous du marché

En 2013121, il était déjà possible de visualiser la somme globale attribuée depuis la création de la plate-forme sur Creads. 658 727€ avait été attribués pour 284 554 créations déposées sur l'ensemble des 1512 concours. Après un rapide calcul, on peut estimer à 188 propositions pour 436€ de gains par concours (2€ le gain moyen par création). De quoi avoir envie de se lever le matin. En 2015, les chiffres sont plus attrayants pour Eyeka : 5 814 600€ pour 864 concours et 96 798 idées soumises : soit 6730€ par concours et 60€ par idée. Ce type de déduction, utilisé par les opposants au CS ont d'ailleurs conduit la plate-forme Creads à supprimer le montant des gains globaux attribués (Eyeka le fait toujours). Celle-ci préfère aujourd'hui valoriser le nombre de projets et de propositions soumises.

Adrienne Massanari122, professeur adjoint au Département de la communication à l'Université de l'Illinois à Chicago, utilise une méthode similaire pour comparer les tarifs de Wilogo Threadless ou DesignCrowd avec ceux pratiqués par les professionnels. Elle constate qu'ils sont en effet bien inférieurs à ceux pratiqués par les professionnels. Avant de pouvoir effectuer une comparaison réaliste, il s'agit de comprendre comment fonctionne le paiement d'une prestation de design (en temps normal).

La tarification des designers

« La valeur d'une connaissance est ainsi extrêmement difficile à évaluer avec précision. Cette incertitude ouvre la porte aux comportements opportunistes de toute sorte. »

(Burger-Helmchen et Pénin, 2011).123

La question de la tarification du design est délicate, un designer doit expliquer à son client le temps passé sur une commande selon de nombreux critères basés à la fois sur son expérience, sa notoriété et l'importance du client (cadre de diffusion). Les graphistes de la grande époque (90's) ont connu la grille très complète éditée par le Syndicat National des Graphistes (aujourd'hui AFD : Alliance Française Des Designers) ou celle parue dans Création Numérique (annexes en page 191). Ces barèmes sont

121 En analysant les commentaires de illusion1986 / 11 octobre 2013 at 16 h 31 min sur YATUU. Le crowdsourcing c'est le mal ! [En ligne]. YATUU - blog BD. 11 octobre 2013. Disponible sur: < http://yatuu.fr/crowdsourcing-cest-mal/ > (consulté le 28 février 2015)

122 Massanari A. L. « DIY design: How crowdsourcing sites are challenging traditional graphic design practice ». First Monday [En ligne]. 22 septembre 2012. Vol. 17, n°10, Disponible sur : < http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/4171/3331 > (consulté le 17 janvier 2015)

123 Pénin J., Burger-Helmchen T. « Crowdsourcing d'activités inventives et frontières des organisations ». 2011. Disponible sur : < http://www.academia.edu/1905797/Crowdsourcing_d_activit%C3%A9s_inventives_et_fronti%C3%A8res_des_organisations > (consulté le 17 janvier 2015)

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cependant incohérents, incomplets ou obsolètes. Ils ne prennent pas en compte l'ensemble des paramètres indispensables pour évaluer une prestation124.

« Ces grilles racontaient n'importe quoi, soit des prix ridicules soit des prix exorbitants, et surtout sans indiquer un quelconque périmètre ni méthodologie pour sortir ces chiffres. Bref, si ça pouvait quelquefois être utile aux free expérimentés, ça ne faisait que semer la confusion pour un débutant, qui faisait sa salade interne là dessus jusqu'à ce que ça ne veuille plus rien dire. » (Marie&Julien)125

Ces grilles étaient également peu accessibles par les commanditaires. Aujourd'hui encore, il a un flou qui entretient le mystère autour de la tarification. L'ADF a édité une application (payante sur abonnement) au doux nom de CalKulator126. Bien qu'elle soit très précise, pour une petite collectivité qui souhaite de manière ponctuelle estimer une tarification, cela peut être un frein (frein relatif car 75€ ne représente pas une grosse somme pour une collectivité). La tarification est donc une fourchette de prix pouvant aller du simple au double : jusqu'à 600€/jour pour un bon free-lance ou une agence (bien au delà pour les « designers stars »). Un sondage réalisé par l'agence Graphéine auprès de 5000 professionnels du secteur est pour le moment la représentation la plus complète disponible gratuitement127. À l'inverse des plates-formes de CS, un bon professionnel ne travaille jamais au forfait. Comme un boulanger ou un électricien : tout dépend du temps passé et de la complexité du projet.

« S'il vous demande «quel est votre forfait pour un site web». Fuyez ! Il sait très bien qu'il va vous sortir des fonctionnalités au dernier moment et faire des modifs à n'en plus finir. » (Marie&Julien, 2012)

Le tarif journalier est la clef de voute du tarif de la prestation. Il est donc indispensable de savoir à combien s'élève le savoir-faire et l'expérience d'un designer. Pour être rentable, un designer doit prendre en compte ses dépenses, charges et la marge qu'il souhaite dégager (pour vivre). Sur les 22 jours travaillés (comme tout le monde), il va ensuite prendre en compte le temps passé à démarcher pour développer son activité « la partie invisible » (Compatibilité, prospection, rencontrer le client, se former). Marie&Julien estime qu'un free-lance « qui roule » travaille 10 à 15 jours par mois sur ses projets.

124 Druaux C. Design graphique et tarifs - Ouinon.net [En ligne]. Ouinon.net. 2008. Disponible sur: < http://www.ouinon.net/index.php?2008/05/27/342-design-graphique-et-tarifs-ou-qu-est-ce-que-le-design-graphique > (consulté le 23 août 2015)

125 Grille tarifaire 2009, 2010, 2011 et 2012 pour les graphistes, infographistes et webdesigners freelance recherchant un ordre de prix pour un site web, flyer, brochure, catalogue, logo, carte de visite, affiche ou autre prestation graphique [En ligne]. Marie&Julien. 2012. Disponible sur: < http://www.mariejulien.com/?post/2009/09/27/Grille-tarifaire-2009-2010-2011-et-2012-pour-les-graphistes-infographistes-et-webdesigners-freelance-recherchant-un-ordre-de-prix-pour-un-site-web-flyer-brochure-catalogue-logo-carte-de-visite-affiche-ou-autre-prestation-graphique > (consulté le 22 août 2015)

126 Taux horaire, droits d'utilisation, 12 disciplines du design et 85 domaines :

« Tarifs designers / Prix du design > Guide pour calculer honoraires de création et droits d'utilisation de projets de design ». Disponible sur: < http://www.calkulator.com/ > (consulté le 16 janvier 2015)

127 Sondage tarif graphiste agence de communication [En ligne]. Agence de Communication Paris Lyon. Disponible sur: < http://www.grapheine.com/tarif-graphiste > (consulté le 22 août 2015)

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Il doit ensuite estimer le temps que prendra sa prestation selon les contraintes du projet. La formule très simple souvent utilisée est : (Tarif jour x Nombre de jours) + cession de droits = Tarif de la prestation (Marie&Julien, 2012).

La comparaison

Pour effectuer une comparaison réaliste avec les plates-formes, nous utiliserons la base du tarif d'un super-débutant de 250€/j. Les débutants prennent parfois en dessous, mais ce n'est pas viable. Pour le logo Segasel, doté de 600€, un designer aurait forcément proposé plusieurs axes créatifs, puis travaillé celui retenu par le client et réalisé a minima la papèterie (Un modèle de carte de visite, papier à entête, signature mail). Ce travail représente environ 4 à 5 jours de travail s'il est effectué sérieusement. Un logo basique devrait donc coûter entre 1000€ et 1500€. Ce que confirme le sondage Grapheine.

Sur Creads, un logo est doté entre 400 et 600€. Si l'on prend en compte le taux de réussite aux concours : soit un designer effectue le travail à la chaîne (comme moi), soit il prend le risque de perdre vraiment du temps.

Poussons le raisonnement à l'extrême. Pour être rentable et dégager un salaire de super-débutant, un créatif comme @magik (Le second de Creads) a produit 10560 propositions pour 58 concours, soit 182 uploads pour une victoire. Il devra ainsi remporter 4 à 5 concours par mois, à raison de 14h par jour de travail. Soit un logo toutes les 11 minutes pour arriver au tarif de 250€/j128

Le concours sous-payé

Sur les espaces d'échanges (Creads), les discussions tournent surtout autour des concours. Se limitant à quelques mots de félicitations ou de réconfort, un débat peut être lancé autour d'une dotation qui ne serait pas assez payée. Il est intéressant de découvrir qu'un sein même des plates-formes, les membres « refusent de travailler » sous un certain seuil, il évoquent des précédents payés en « bons Leclerc » et se demandent surtout s'il y aura des participants. Le sentiment d'être exploité ressort même parfois dans les discussions :

« L'occasion m'est offerte de redire, espérant peut-être que faire des émules fera changer les choses, que je ne participe pas aux concours dotés de moins de 200 euros. [...] La notion de plaisir est nettement amoindrie lorsque j'ai le sentiment d'être exploité ! » (@garal 17 juin 2015 - 22:50)

C'est alors que l'on découvre que la motivation est souvent liée au montant du premier prix, à moins que le sujet ne soit vraiment très intéressant. Les membres aimeraient savoir qui « serait prêt à briller pour si peu129 » et à accepter cette nouvelle grille tarifaire dégressive. Ce qui fait naître des inquiétudes chez les meilleurs130 qui considèrent comme « une marche de plus » vers du recyclage de création. Bien

128 Si l'on considère les charges liées au paiement de la Maison des artistes : 1 jour de travail acharné de 14h équivaut à 840 minutes, sans pause. 250€ correspondent à 840 minutes de travail (soit 17,85€/h), soit 1€ toutes les 3,36 minutes. Si un logo est doté de 600€, il faut 2016 minutes pour être rentable. Si pour 1 victoire il faut 182 propositions, alors il faut produire un logo toutes les 11 minutes.

129 @loursin91 18 juin 2015, « Le hic si on veut en savoir plus sur les participants prêts à tout pour briller, c'est qu'il faudrait poster un nom pour voir ce que ça va donner, sinon, impossible d'accéder au concours... »

130 Ceux qui gagnent les concours sont plus actifs aussi sur les forums.

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conscient du fait que la qualité se mesure aussi à la dotation : « à dotation discount...création discount », cela oblige les participants à produire des inventions minutes.

« De toute façon, chacun fait comme il veut suivant son propre schéma de ce que doit être cette plate-forme. » (@sofi 18 juin 2015 - 14:08)

Notons toutefois qu'Eyeka valorise bien plus ses concours. Pour une vidéo, la dotation peut monter jusqu'à 15000€ (en moyenne 6000€), une idéation est rétribuée environ 800 à 1200€. De quoi motiver bien plus de monde. La dotation est souvent proportionnelle à l'investissement demandé. Pour une vidéo, le lauréat va fournir une réalisation qui va servir de maquette à un futur clip publicitaire : un story-board amélioré servant ensuite de base de discussion. On peut imaginer qu'il ne va pas faire du Scorcèse. Le vidéaste seul, est à la fois réalisateur-technicien-chef op... Le travail fourni est assez conséquent dans le cas d'une vidéo. Le risque de perdre pour le contributeur est aussi important, il faut donc le motiver pour qu'il participe car l'expertise nécessaire est plus pointue.

La perte de motivation des Oompas lompas ?

Sophie Renault étudie la plate-forme Eyeka pour comprendre les motivations des « clickworkers ». Elle confronte les participants à la recherche d'une satisfaction, financière ou créative, également en quête de reconnaissance avec les opposants de cette pratique qualifiée comme peu gratifiante et dont les contreparties sont insuffisantes. Ces créatifs travaillent sans avoir l'assurance d'un retour à la hauteur de leur investissement. Ils sont tout à fait comparables à des « Oompa-Loompas du Web ». En référence Charlie et la chocolaterie de Roal Dahl (1964), ces petits lutins n'attendent rien d'autre que des fèves de cacao de la part de Willy Wonka. Dans un documentaire131, on découvre un innovateur132 de la plate-forme suisse Atizo qui se demande comment continuer à être intéressé de donner ses idées pour si peu de retombées financières. La concurrence est vorace et bien que les prestations soient payées à prix d'amis. La plate-forme risque une dispersion de la foule. Pourtant, les créatifs continuent à s'affronter sur ces sites, nous verrons que l'argent n'est pas l'unique facteur de motivation.

Les droits d'auteurs

Les gagnants ont été désignés, il est temps de passer au tiroir-caisse. Le CS créatif suppose l'existence de créations intellectuelles sous forme de fichiers dématérialisées déposés en ligne par les participants aux concours. Cela implique une oeuvre de l'esprit sur laquelle des droits d'auteurs vont être cédés. En France, cette rémunération se fait au profit de l'auteur soit de manière proportionnelle, soit sur une base forfaitaire133.

Si la société qui intervient dans le processus de CS est à but lucratif, il y a deux possibilités : soit celle-ci externalise ses recherches (R&D) en direction d'une communauté, soit elle intervient comme intermédiaire en mettant en relation une communauté et des bénéficiaires (ses clients) par le biais d'un concours. Juridiquement le CS se définit comme :

131 Nouvo. Le crowdsourcing: les bonnes idées sont dans la foule [En ligne]. 2012. Disponible sur : < https://www.youtube.com/watch?v=nZSJWT4HVxA&feature=youtube_gdata_player > (consulté le 21 janvier 2015)

132 Le terme désigné pour un contributeur sur Nouvo.

133 Code de la propriété intellectuelle, art. L. 131-4.

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« L'action qui consiste, pour une société à but lucratif, à recourir à une communauté de partage sur le web, directement ou par le biais d'une plate-forme spécialisée, afin que cette communauté réalise, contre rémunération, des créations immatérielles. » (C. Lucien, 2012)134

Les droits d'auteurs (intellectuels) sont transférés à la marque. Les créateurs perdent ainsi les droits en cas de sélection. Le droit moral est lui toujours imprescriptible, inaliénable et incessible on ne peut y renoncer par contrat. Le montant indiqué pour chaque concours correspond à une session de droit, c'est ce que paye le client. Il n'y a donc pas de rémunération au titre du travail effectué.

« Les gagnants qui sont sélectionnés cèdent leurs droits. La récompense qu'ils récupèrent est la contrepartie de la cession des droits. » (É. Favreau)

Agissant comme un intermédiaire, la plate-forme ne vend pas de contenus comme peut le faire une véritable agence mais en organise la production. Dans cette logique d'intermédiation (É. Favreau), le transfert de droits s'effectue uniquement entre le client et le créatif135qui est lui-même garant de l'exploitation des idées et certifie l'authenticité des médias soumis s'engageant à ne pas fournir d'éléments contrefaisants (terme utilisé par É. Favreau). Nous allons désormais étudier pourquoi certaines plates-formes, comme nous l'avons précisé plus haut ne souhaitent pas toujours divulguer les créations.

Divulguer ou non les créations

Les créateurs doivent fournir un travail qui leur appartient. Le risque de dérive vient du fait que le créateur peut lui même faire appel à l'outsourcing pour sous-traiter sa création (un logo sur une plate-forme comme Fiverr par exemple136). Le créateur s'engage donc à fournir les documents prouvant qu'il possède les droits sur les images ou musiques utilisées lorsqu'il n'en est pas le créateur. S'il s'agit de vidéos ou photos, il s'engage aussi à fournir les autorisations de cession de droit à l'image des figurants. Si par exemple une vidéo se retrouve en ligne sans que les droits sonores aient été payés, à la différence d'un hébergeur comme You tube, la plate-forme est responsable de ce qu'elle affiche sur son site. Le risque de plagiat constitue l'une des raisons pour lesquelles l'ensemble des contenus n'est plus visible sur Eyeka (il était visible auparavant) alors que l'approche est très différente de Creads puisqu'il est possible de visualiser les créations soumises. Bien sûr, ayant accès en amont à l'ensemble des contributions, le contrôle peut être effectué par la plate-forme qui peut supprimer les contenus manifestement illicites. Mais il ne sera pas possible de garantir cette authenticité au client, vue la quantité de propositions soumises. Cette différence de positionnement nous donne de nombreuses indications quant à l'objectif d'un concours et ce que devient la contribution. Eyeka fournit à ses clients un maximum d'informations en précisant le contexte de création lui permettant de savoir ce qu'il peut utiliser ou non.

En choisissant de ne pas divulguer les contenus, le client souhaite conserver une forme de fraîcheur et de confidentialité (É. Favreau) car il ne va pas utiliser la création telle qu'elle a été soumise, soit parce qu'elle n'est pas toujours pertinente, soit parce qu'il souhaite s'inspirer de la création et affiner le

134 Lucien C. « Crowdsourcing et gestion des droits d'auteur ». 2012. p. 70?71.

135 Entretien en annexes Éric Favreau en page 123

136 Voir la partie sur la « repompe » / Plagiat en partie III en page 84

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travail avec son agence habituelle (idéation). Recherchant surtout une démarche créative, celui-ci va plutôt l'utiliser comme base de travail à la manière d'un benchmark créatif, une mise en ligne de la création peut donc être dommageable d'un point de vue marketing pour la marque qui souhaite garder une certaine confidentialité autour du projet.

À cela s'ajoute un caractère d'exclusivité, les personnes sélectionnées amenées à transférer directement leurs droits d'exploitation au profit du client peuvent le faire de manière exclusive, comme lors d'une vente. Les gagnants ne pourront donc plus céder ces droits à quelqu'un ou à une autre organisation.

Les questions soulevées par cette pratique

Dans le cadre d'un projet d'agence, un créatif peut choisir d'utiliser pour son book (portfolio de réalisations) un projet qui lui semble pertinent. Il le fait en général en utilisant la création dans sa globalité. En école, la logique est similaire, cependant les projets sont fictifs, avec des cas concrets et de véritables marques. Les étudiants mettent alors ces travaux dans leurs books, faute de références. Cependant, ils sont de qualité professionnelle et restent porteur de leur réflexion.

Après avoir constaté que des non-gagnants mettaient en ligne sans mention (Disclaimer) des contenus qui pouvaient être assimilés à des publicités officielles pour des marques, la plate-forme Eyeka insiste pour qu'aucune référence à la marque ne soit visible (comme le logo ou le nom du produit). Si l'on enlève la marque (notamment dans des projets de packaging), le travail ne présente plus aucun intérêt pour le créatif qui souhaite justement briller.

La plupart des sites de crowdsourcing choisissent de ne pas permettre aux concepteurs de conserver certains droits liés à la propriété intellectuelle. Ce qui est très surprenant car il s'agit d'une pratique normale au sein des professions du design. Leur approche en terme de droit d'auteur n'aide pas non plus le monde du design à les porter dans son coeur.

Une autre question soulevée par ces pratiques concerne le droit à l'image. Sur Fotolia, qui fonctionne comme une place de marché, des photographes déposent des clichés sur la plate-forme. Les clients (entreprises ou particuliers) achètent alors ces clichés en payant des tarifs variables suivant les utilisations (droits d'exploitation). Le contrat avec l'acheteur selon Fotolia permet de limiter l'usage dans certains cas des clichés, notamment lorsqu'il s'agit de politique, de tabac ou de religion. Prenons le cas d'un père de famille mettant en scène ses enfants pour compléter ses revenus sur Fotolia137. Les images sont diffusées, mais on ne sait pas ce qu'elles deviennent. Il faut obligatoirement que le nom du photographe apparaisse. Ce « droit à la personnalité »138 n'est pas toujours respecté par les agences qui mentionnent Fotolia, mais pas l'auteur. Rien ne garantit non plus que ces enfants se retrouvent pas sur une publication qui déplaise au photographe.

Il est en effet difficile de protéger les concepteurs qui cèdent intégralement leurs droits d'exploitation à des clients qui peuvent ensuite réutiliser comme ils le veulent la création, en détourner le concept ou retoucher le design original. On parle souvent de Carolyn Davidson qui a touché 35$ pour concevoir le logo NIKE, sans toucher aucun droit d'auteur (type royalties). Celle-ci travailla ensuite avec la firme

137 Voir le reportage les forçats du cybermonde de Vanina Kanban

138 Le nom de l'auteur doit figurer sur le projet quelle que soit son utilisation : article 6 de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique

pour la déclinaison de la charte et reçu ensuite un pack d'actions de la société (et une bague en or marquée du logo !). Les entreprises travaillant avec les plates-formes remercient rarement les créatifs ayant conçu leur identité139. Ils sont une foule d'anonymes dont le seul intérêt est de répondre sans sourciller à des briefs. Le processus de création est radicalement modifié si l'on se réfère à une pratique professionnelle du design. Nous allons à présent voir ce que cette pratique peut apporter à des créatifs, à défaut de les rétribuer correctement et de façon transparente.

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139 Voir étude sur les gagnants, annexes en page 181

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6) De nouvelles façons de travailler

Se libérer des contraintes de salarié en agence

L'agence de com' est idéalisée par les plates-formes, pourtant elle est parfois génératrice de stress ou de frustration pour les professionnels qui y travaillent. En parcourant les témoignages et après quelques échanges de mail, on comprend que les motivations sont différentes suivant les personnes. Au-delà du simple enjeu financier, c'est la volonté de gagner qui anime certains graphistes, d'autres cherchent un moyen de « lâcher prise » et trouvent la valorisation qu'ils n'ont pas dans leur activité principale. Ils pratiquent un design, sans contraintes...

Le rythme parfois difficile de l'agence

En agence, la richesse c'est le temps, on facture à la demi-journée de travail, on est confronté aux Dead-line, il peut arriver que l'urgence du matin à faire pour hier soit reléguée en P2 voir P4 (jardon d'agence : priorité 2). Un délai trop court peut laisser un arrière goût d'inachevé au designer, qui est souvent exigeant et perfectionniste, une sensation de ne pas être allé assez loin dans l'élaboration de son travail.

Illustration Deadline de Don motta (dit Insidemotta), très largement diffusée sur internet. Visible sur http://www.designbyhumans.com/shop/insidemotta/

Un moyen de remédier à ce stress consiste à laisser le designer dans sa bulle. Le temps de la conception, sans pour autant l'isoler de l'entreprise. En design ce sont les émotions qui alimentent aussi le travail et la créativité (Amabile, et al. 1996)140. La procrastination semble parfois inévitable lorsque l'inspiration ne vient pas, il est souvent plus facile de créer lorsque l'on vient de faire un tour de vélo pour se changer les idées plutôt que d'enchainer les cafés assis sur la chaise de son bureau. C'est peut-être la grande différence de liberté que peuvent avoir les free-lances. Ils ont probablement

140 Jeannin H., Sarre-Charrier M. « Injonction de créativité et création sous contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l'épreuve du numérique. » In : 82ème Congrès de l'ACFAS Université Concordia, Montréal, Canada. Montréal : 2014. p. 107-116. Disponible sur : < http://creanum2014.sciencesconf.org/conference/creanum2014/eda_fr.pdf > (consulté le 16 février 2015) d'après Amabile, T.M., et al. (1996) « Assessing the work environment for creativity ». Academy of Management Journal. Vol. 39, 5. 1154-1184

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moins de pression qu'avec un employeur ou un chef de projet qui attend quelque chose afin d'alimenter le client. Cette plus grande liberté les oblige cependant à assumer leur choix face au client à qui ils sont directement confrontés.

Ce qui fait la particularité de ce métier, c'est qu'il est difficile d'être efficace en restant devant un écran. Si les agences comprennent cet aspect essentiel du métier qui se pratique sur un écran, mais se nourrit d'influences extérieures et d'échanges, alors elles pourront continuer à proposer des idées neuves et du bon design. Le télétravail est aussi une façon de rapprocher le designer-employé du free-lance, le lien doit cependant être maintenu pour ne pas isoler le créatif dans sa démarche, alterner les moments de brainstorming puis de concentration est essentiel. L'agence est souvent considérée comme un cadre de travail exigeant, les burn-out sont fréquents et les effectifs souvent renouvelés. Les nuits blanches et les périodes de charrettes ne sont pas une légende et il est fréquent que les heures supplémentaires ne soient pas du tout payées.

Trouver l'inspiration ailleurs

Répondre à un concours sur une plate-forme de crowdsourcing pour un professionnel, c'est un peu comme un grand chef qui fait de la purée-saucisses : il se libère de manière simple et radicale de son cadre habituel de travail141. Un designer se nourrit de l'extérieur, de l'expérience, de ce qui l'entoure. Expositions, architecture, motifs de la vie urbaine, une scène de la vie quotidienne ou une tache de café laissée sur une feuille142... Tous les moyens sont bons pour changer d'air ou trouver l'inspiration, y compris une expérience de CS. Cette pratique sans pression, se nourrit des créations des autres.

Un designer choisira donc cette pratique de manière occasionnelle, par curiosité ou pour changer de typologie des clients. Pour un graphiste, c'est aussi sortir de la routine de l'agence qui peut parfois être limitée à quelques clients ou des projets moins glorieux'43. Bien que les chefs de projet choisissent leurs créatifs en fonction de leurs champs de compétences ou de leur expérience sur un type de client, pour un créatif en agence, il faut travailler sur un sujet imposé. Il est parfois difficile de trouver la motivation avec un sujet peu passionnant ou un client « difficile » (qu'il faut convaincre avec diplomatie car ce qu'il souhaite est peut-être incompatible avec sa stratégie de communication). La plate-forme offre la possibilité de travailler pour de grands comptes comme Coca-cola ou Nestlé, le créatif peut alors choisir son sujet en fonction de ses envies.

« Aujourd'hui, je réponds surtout si le projet m'inspire. » (@Elie-X'44)

Un autre avantage avancé par Holly Mac Allister est le fait de travailler avec des projets variés pour de nombreuses marques de renom (elle cite McDonald's ou Coca-cola) alors qu'elle ne travaillait que pour cinq ou six clients en agence. La diversité est un argument à tempérer, il arrive qu'en agence, et

141 Voir témoignage Mistizouk (Créative sur Creads, France), annexes en page 161

142 Il n'est pas possible d'utiliser internet comme source unique d'inspiration. Pinterest, www.thefwa.com ou les blogs spécialisés sont indispensables mais on ne peut se passer des influences extérieures.

143 Témoignage Holly Mac Allister : Huffman J. « Local designer becomes top creative «crowdsourcer». » In : Napa Valley Register [En ligne]. 2015. Disponible sur : < http://napavalleyregister.com/news/local/local-designer-becomes-top-creative-crowdsourcer/article_48e9bb70-90e6-58a5-9307-71a8a9527163.html > (consulté le 17 février 2015)

144 Parole de créa: Elie-x le graphiste curieux [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/parole-de-crea-eliex-graphiste > (consulté le 25 juillet 2015)

c'est ce qui fait la différence avec l'annonceur, on soit amené à travailler pour des clients très variés, suivant la taille de la structure, les comptes sont plus ou moins importants. Certains graphistes, au contraire, préfèrent travailler sur du long terme et développer un dialogue avec un client qui permet de conserver une ligne cohérente de communication et de consolider une identité pour la marque. La diversité est un facteur de créativité, qui permet de développer de nouvelles idées, mais les contraintes liées à la routine obligent les créatifs à aller plus loin dans la réflexion, à trouver une manière de faire vivre un design dans le temps.

Un moyen de débuter une activité? De belles références ?

Les plates-formes mettent toujours en avant la présence de leurs clients « célèbres ». Un jeune professionnel y verra une opportunité de consolider un book de références avec des clients de prestige qui lui semblent inaccessibles. Le book est essentiel lors d'un recrutement, surtout lorsque l'on débute. Il démontre la qualité et la valeur de l'expertise du designer et met en avant ses réalisations les plus significatives. Il doit donner au client qui cherche un graphiste, ou à l'agence qui recrute, suffisamment d'informations permettant d'identifier l'étendue du savoir-faire ou un style qui corresponde à ses attentes. C'est le même principe que pour la vitrine d'un boulanger :

« T'as plein de boulangeries, il y en a une où tu vois qu'ils ont l'air de faire de la meilleure pâtisserie, tu rentres, tu ne demandes pas à goûter... tu rentres parce que ce qu'ils montrent te laisse penser que c'est ce que tu cherches. Tu leur fais confiance, et tu pars avec eux. » (B. Fluzin)

Un free-lance n'achète pas d'encart publicitaire. Ce n'est que la qualité de son travail qui lui apporte des affaires. Effecter un travail de qualité est la seule manière d'en toucher de nouveaux.

« On n'a pas de 4 par 3, les grosses agences achètent peut-être des encarts dans la presse spécialisée, mais pas les petites et encore moins les free-lance145. Le portfolio est l'engagement à faire du bon taff, c'est une évidence qui est parfois oubliée. » (B. Fluzin)

Pourtant cet aspect a progressivement disparu des pratiques. Certaines agences demandent même de faire des tests lors de candidatures. Avec un portfolio, « on ne perd pas de temps » indique Baptiste Fluzin, inutile de faire travailler quelqu'un gratuitement si le style recherché ne correspond pas à la demande, même si le travail est de qualité. En montrant ce qu'il aime faire, un graphiste va attirer des clients qui viennent chercher son style. Cette relation est saine et vertueuse. Un professionnel devra donc nécessairement fournir un travail de qualité pour assurer un minimum de réputation.

Sur un concours de crowdsourcing, les professionnels réaliseront une proposition passe-partout impersonnelle, bien qu'ils possèdent une expertise suffisante. Bien sûr il sera parfois le seul à voir les petits détails, et les clients ne remarqueront pas la typo bancale ou l'interlettrage maladroit. Ce sont les autres créatifs et les agences qui vont lui rappeler. Il y a peu de chance pour qu'il décide de l'inclure par souci de notoriété vis à vis de la profession souvent critique.

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145 Dans les années 2000, l'illustrateur Denis Truchi avait cependant son encart dans Étapes.

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« Good design is all about making other designers feel like idiots because that idea wasn't theirs. » (Frank Chimero)146

Ce détail échappe surement aux amateurs, pour qui effectuer la commande relève de l'objectif principal. Pour les clients, cela représente un risque : se retrouver avec du boulot d'amateur. S'il s'en satisfait, tant mieux pour lui. Mais quels sont les recours si le travail fourni ne convient pas ?

« Le pro, il a sa réputation à tenir ! Le bouche à oreille joue beaucoup pour ou contre lui. Avec une communauté de graphistes qui est tout de même relativement restreinte, et une cible de clients comme les PME : le mec qui en plante une n'a plus qu'à changer de région. » (B. Fluzin)

Pas de différence de statut

Le designer-novice, partant du principe que ses « concurrents » sont tous amateurs, fait confiance à son expertise pour gagner. La faible récompense potentielle compte moins que la promesse de toucher un gros client pour démarrer une possible collaboration. Les plates-formes sont bien conscientes de la difficulté que peuvent avoir certains professionnels du graphisme à débuter une activité. On parle bien de designers sur le site Creads147, une façon de montrer que ce sont des professionnels, mais aussi un moyen d'attirer les aspirants du monde entier qui souhaitent le devenir :

« Devenez membre de notre tribu créative mondiale » (Creads)

Les autodidactes ou les professionnels sont confrontés à des talents. Sur ces sites, c'est le design ou l'idée qui compte, la formation ou le diplôme importe peu. Comme le souligne une des fondateurs de crowdSpring :

« La beauté de notre site, c'est qu'il ne fait pas de différence entre un diplômé de l'école de Rhode Island ou une mamie du Tennesee qui passe son temps libre sur Adobe illustrator » (Steiner, 2009)148

La concurrence entre les créatifs de la communauté est également stimulante pour certains et la présence de professionnels est une source de motivation supplémentaire pour les aspirants. Un défi pour ces créatifs.

« Je me suis très vite rendu compte, dès mon inscription, qu'il allait y avoir une sérieuse concurrence sur tous les concours, au vu des nombreux talents présents sur Creads. » (@Ezpeletar !)149

Cette concurrence est aussi une base d'entrainement et un moyen de progresser où l'amateur s'inspire de l'expert pour améliorer sa pratique (le fan de P. Flichy)150. Ce mélange soulève cependant de vives tensions, car la majorité des prix sont attribués aux professionnels (Pelissier, 2011). La plate-forme

146 Un bon design fera dire aux autres designers qu'ils sont idiots de ne pas y avoir eux-mêmes pensé.

147 50000+ designers inscrits

148 « The beauty of our site is that it doesn't matter if you have a degree from the Rhode Island School of Design or if you're a grandma in Tennessee with a bunch of free time and Adobe ... Illustrator' », (d'après MASSANARI A. L. 2012)

149 Paroles de Créa - Découvrez l'interview de @Ezpeletar ! [En ligne]. We are a design tribe - Creads. Disponible sur : < http://www.creads.fr/blog/graphiste-freelance2/paroles-de-crea-ezpeletar > (consulté le 25 juillet 2015)

150 Voir le Témoignage @RDCom en annexe en page 162

trouve alors des solutions pour permettre à tout le monde d'améliorer son score créatif. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'Eyeka a même permis de créer une catégorie non-professionnelle au Festival international de la créativité à Cannes Lions cette année151. S'il gagnent, c'est aussi leur compétence qui sera reconnue par les marques, une opportunité de briller individuellement pour prétendre au graal : l'agence de com', la vraie. La plate-forme devient alors une pré-agence, l'antichambre d'une future réussite professionnelle.

7) La montée des inquiétudes (Conclusion)

Les mécanismes et le discours des plates-formes de CS fonctionnent sur les mêmes recettes. La notion d'intermédiaire que l'on retrouve aussi en agence diffère, mais le processus de création est radicalement modifié si l'on se réfère à une pratique professionnelle du design. Selon les modèles, les entreprises vont utiliser le contenu produit par la foule selon deux axes : un produit fini (Creads) ou une idéation (Eyeka). L'implémentation ne s'effectue pas au même niveau. Le CS de contenu est une logique de production, à bas coût et souvent d'une qualité inférieure à ce que peuvent proposer les professionnels du secteur. La plate-forme tente de pérenniser la relation client en proposant ensuite des déclinaisons réalisées en interne sur divers supports.

Dans une logique d'idéation, les internautes apportent une forme d'expertise aux entreprises pour concevoir de nouveaux produits ou résoudre des problèmes complexes qui ne peuvent être résolus en interne. En adoptant cette posture, la plate-forme ne contrôle pas la mise en place et l'implémentation laissant ainsi la marque travailler avec son partenaire habituel plutôt qu'en remplaçant des personnes existantes par du low-cost. Elle ne vend pas de contenus finis comme peut le faire une véritable agence mais en organise la production. La mondialisation impose aujourd'hui aux entreprises de proposer des solutions innovantes et adaptées aux besoins identifiés dans leur domaine. Ce modèle permet aux marketers et aux agences d'être plus créatifs en amont des projets. L'offre de valeur apportée par les contributeurs aux marques est un audit marketing permettant de savoir comment celles-ci sont perçues par des dizaines ou centaines de personnes. Intégrer le client dans une opération marketing afin de tester un produit ou un design n'est pas nouveau. Ce qu'une organisation ne trouvera jamais au sein d'un simple focus group est une source d'accès direct et à grande échelle à des consommacteurs. Ce qui n'existait pas auparavant dans une stratégie de communication. Bien que le manque de suivi constitue l'une des difficultés du crowdsourcing d'idéation, c'est là qu'aujourd'hui les marques voient le plus de valeur et non dans la production ou le remplacement de ce que font très bien les professionnels du design. La plate-forme est alors une hybridation entre l'agence et un cabinet d'audit. Le créatif doit cependant réfléchir à son niveau d'implication. Il donne à ces entreprises qui génèrent des profits une partie de son expertise. Il est le produit. En faisant ce choix, il devra faire la part entre ses potentiels bénéfices et ce qu'il est prêt à fournir.

L'agence est un lieu de fantasme pour ceux qui n'y ont pas encore mis les pieds. Si les professionnels viennent trouver du réconfort en répondant de temps à autre à un concours et en travaillant sans pression. Pour les autodidactes ou les jeunes étudiants en recherche d'opportunité, la promesse est de rentrer dans le cercle fermé de l'agence. Les frontières entre la plate-forme et une véritable agence sont fines. Les plates-formes jouent sur les codes des professionnels avec des concours qui ressemblent à de véritables commandes. Le vocabulaire utilisé est celui d'un recruteur. Cette ambiguïté peut conduire

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151 Après avoir lancé une pétition sur Facebook ayant recueilli +12000 soutiens www.facebook.com/rolcannes

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un jeune créatif à idéaliser la plate-forme qui lui donne illusion de devenir pro. Comme s'il fallait passer par cette étape pour faire ses preuves. Celui-ci y verra une manière de briller en alimentant son portfolio de belles références ou en se faisant repérer par une marque. Il s'agit d'un mirage où la relation client est limitée. Seuls 23% des gagnants interrogés ont échangé avec le commanditaire (et ils totalisent 7 victoires en moyenne !). La communauté est coordonnée et activée (Eyeka) : c'est la plate-forme qui définit les règles. L'acte de création est le même mais le seul interlocuteur du créatif reste un simple guide sémantique manquant de précision. La plate-forme propose ensuite un formulaire limité pour défendre la réalisation et expliquer la démarche créative. Le travail sera alors probablement en dessous des exigences demandées par les agences.

L'activité que génère la plate-forme donne une illusion d'activité mais les échanges sensés améliorer les compétences sont limités entre les membres. La différence de statut, la formation ou le diplôme importent peu : les créatifs sont présentés comme une grande famille. La communauté représente une ressource et un potentiel quantitatif de réponses. Les marques peuvent aller puiser dans un réservoir à idées auquel elles n'avaient pas accès auparavant. Tous les utilisateurs sont paradoxalement concurrents. Le rendement et les performances du créatif constituent les principales informations visibles du profil sur la plate-forme.

L'argent est un facteur important de motivation pour les concepteurs allant sur ces sites. Il est cependant très difficile de sortir du lot sur ces plates-formes et encore plus d'en faire une activité à part entière. Quelques designers font figure d'exception mais les chances de gagner sont très minces. Le taux de réussite, même chez les meilleurs est souvent très bas. Bien que les tarifs des designers soient fixés sur une base journalière et non au forfait comme pour les concours de CS, on peut rapidement constater que les tarifs pratiqués sur les plates-formes se situent bien en dessous du marché. Le rendement que doit fournir un créatif pour espérer remporter un concours n'est pas tenable pour assurer un minimum de rentabilité. Le risque principal pour les plates-formes est donc une dispersion de la foule liée à la perte de motivation.

Par ailleurs, la plupart des sites de crowdsourcing ne permettent pas aux concepteurs de conserver certains droits liés à la propriété intellectuelle comme cela se fait habituellement dans une relation classique avec un commanditaire. Attirés par un statut en apparence simple et sans contrainte, un gagnant devra quoiqu'il arrive déclarer ses gains à la Maison des artistes et céder ses droits d'exploitation de manière exclusive à la marque. Souhaitant s'inspirer de la création et affiner le travail avec son agence habituelle, la marque souhaite alors rester discrète sur son opération marketing. Focalisés sur la demande tels des zombis du brief, les créatifs réalisent ensuite qu'ils ne pourront pas toujours alimenter leur book s'ils doivent supprimer le logo de la grande marque à l'origine du concours.

Il est alors possible de vérifier notre hypothèse selon laquelle le CS propose une nouvelle pratique du design et de nombreux avantages pour les marques. Tout est là : brief, clients, grandes marques, concurrence, agent artistique (la plate-forme), gains, droits d'auteurs... mais les équilibres semblent différents. Il manque en effet le principal ingrédient : la relation créatif-client. Les plates-formes cherchent à démystifier la création en donnant la possibilité aux entreprises d'externaliser de manière rentable la conception d'un logo ou d'un site web. Ces sites génèrent des revenus énormes et travaillent ainsi avec des clients potentiels pour les graphistes en encourageant amateurs ou étudiants à répondre à des concours de création dont l'issue ne garantit pas une rémunération ou des droits

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d'auteurs. L'idéation semble représenter une forme plus équilibrée de CS, dans le sens où il ne s'agit pas d'une production livrée et implémentée. Ce qui ne semble pas dévaloriser le design ni jouer sur le même terrain que les agences qui collaborent avec les marques. Pourtant le ton monte du côté des designers. Adrienne Massanari152 analyse dans son article le débat qui s'est intensifié ces dernières années autour des pratiques amateurs face aux professionnels de la création153. Son approche permet de mettre en valeur les failles et les dérives de ces plates-formes. Elle indique que les recherches en ce sens sont encore trop peu nombreuses pour répondre aux hypothèses liées à l'éthique du CS à but lucratif et en particulier les sites qui finissent par contester la pratique créative du design tel qu'il est pratiqué par les professionnels. Étudions à présent ce qui fait débat...

152 Massanari A. L. « DIY design: How crowdsourcing sites are challenging traditional graphic design practice ». First Monday [En ligne]. 22 septembre 2012. Vol. 17, n°10, Disponible sur : < http://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/4171/3331 > (consulté le 17 janvier 2015)

153 Elle étudie cinq des plates-formes principales de crowdsourcing anglo-saxones : 99 designs, Crowdspring, Designcrowd, Threadless et DesignByHumans

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon