La transition démocratique en Mauritanie à travers la revision constitutionnelle de 2012( Télécharger le fichier original )par Mohamed Sarr Université de Tunis El Manar - Mastère de recherche 2016 |
Section II : Une démocratie qui se consolide ou un autoritarisme libéralOn a vu l'expérience « démocratique » des années 1991 avec Taya, tel une démocratie de façade, se fait ressentir aujourd'hui avec le régime dirigé par Aziz (I), et cela peut altérer la question de la consolidation démocratique (II). Paragraphe I : Le risque d'un remake de l'ère TayaIl est quasi-unanime que l'expérience démocratique durant le régime de Taya (1991-2005) était une période qualifiée politiquement parlant d'une « démocratie de façade », cela par ses diverses contradictions dans la démarche de la démocratisation entreprise. À savoir la confiscation et la manipulation électorale grave63(*), les arrestations multiples de leaders de partis politiques, leurs emprisonnements sur des accusations douteuses, les dissolutions abusives de partis politiques, le verrouillage de l'alternance mécanique du pouvoir au niveau de la constitution, le refus de reconnaitre des crimes commis du temps de son règne et de surcroit refus de toute solution visant à gérer ce problème...etc. Avec l'interruption de l'expérience « démocratique » de 2006-2008, même si cela a débuté par une expérience tant soit peu procédurale64(*), la rébellion des généraux du 06 Aout 2008 était un coup sec à un pays assoiffé de longue haleine d'expérience démocratique. Cette phase suivant l'élection de Sidi qui constitua théoriquement une phase de consolidation après le processus de transition qui avait pris fin à son investiture en Avril 2007, est interrompue par un acte anti constitutionnel. Ce qui s'attribue théoriquement à un comportement « attitudinal » contraire aux procédés de la routinisation démocratique, du moins si l'on se réfère aux travaux de Linz et Stepan dans leurs travaux théoriques et comparatifs sur la démocratisation et la consolidation. Mais aussi un autre indice de contrôle de la démocratisation est qu'après la transition qui est marquée par l'élaboration des « règles du jeu », à la fin de ce processus, celui qui suit est fortement caractérisé par l'encadrement des acteurs aux règles préalablement établies. Autrement dit, le fait que parmi les acteurs politiques il réside un comportement d'ignorance ou de non regard aux règles du jeu, constitue un signal fort de l'échec d'une consolidation démocratique. Aziz l'homme qui avait concocté avec les acteurs de l'opposition les règles du jeu transitionnel, autrement dit les accords de Dakar de sortie de crise, s'en est donné à volonté au non-respect de ces règles du jeu. Il entérine en refusant de faire sa déclaration « publique » de son patrimoine, ni celui des membres de son gouvernements et pourtant la loi 2007-054 relative à la transparence financière de la vie publique l'exige dans ses articles 2 et 365(*). Il ne se limite pas là, il s'adonne à une stratégie d'isolement de cette opposition qu'il « méprise » tant et aimerait voir aller à la retraite, cela est matérialisé par la volonté ferme, d'ignorer les clauses du paragraphe 4 du titre 7 des accords de Dakar, mais d'en imiter d'autres, tout imaginé. Ce qui l'emmène a flirté avec une partie de l'opposition et organise avec elle un dialogue nationale politique qui donnera des amendements institutionnels, le clou est enfoncé. Mais en se limitant là, peut-être qu'il ne serait pas suffisant de démontrer qu'il y a le pressentiment d'un remake du régime de Taya, une « démocratie de façade » ou si vous voulez un « autoritarisme libéral », on s'explique. Dans une perspective de comparaison, on se rend compte qu'il y a en effet une imitation, à quelques différences près du régime de Taya par celui de Aziz. Durant le régime de Taya il y avait une violation flagrante des libertés publiques et notamment celles politiques malgré un arsenal juridique les garantissant66(*). La création de partis politiques et l'activité politique étaient (im) possible, les élections étaient boycottés par l'opposition et cela profitai au parti au pouvoir de rafler tous les suffrages, les arrestations de leaders à cause de leurs opinions étaient fréquentes, il y avait une presse écrite non régime qui se frayaient un chemin, mais tantôt censurés67(*), et enfin il y avait un certain culte de la personnalité du chef de l'exécutif autour de l'État et du parti. Les mêmes manifestations, à la différence près, sont perceptibles. Une violation quasi-quotidienne des libertés publiques : Interdiction de manifestations à coloration anti-Aziz, répression des récalcitrants, à l'exemple du groupe de réfugiés qui a marché de Boghé à Nouakchott pour réclamer ses droits68(*). L'interruption Mani militari des assemblées générales de certains opposants, l'abstraction à la loi sur les partis politiques69(*) venant du ministère de l'intérieur soit en gardant le silence sur la demande de constitution de parti politique, soit en y adressant une fin de non-recevoir avec des motifs peu acceptable, cela malgré la très timide révision70(*) en 2012 suite à l'accord politique avec une partie de l'opposition. Les détenus d'opinion non plus n'échappent pas à cette intransigeance du ministère de l'intérieur, qu'ils soient artistes-activistes, hommes d'affaires ou leaders politiques si vous dérangez, le risque de passer des séjours en prison est plausible. Concernant les médias, si Taya censurait sans gêne ceux qui ne se limitaient pas à leur place, avec le régime de Aziz c'est l'autocensure avec des menaces tacites qui vous obligent à revoir ce que vous dites et ce que vous écrivez71(*), car c'est lui le chef72(*). Enfin il y a une sorte de culte de la personnalité et une forte concentration des pouvoirs entre les seuls mains du président, car selon lui « trop de décentralisation n'est pas bien »73(*), et l'indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l'exécutif est tant décriée par l'opposition et des membres de l'ordre judiciaire74(*), le baisemain75(*) au président-monarque vient confirmer un régime reposant sur le support d'une demande despotique76(*) comme l'affirmait le professeur Abdel Weddoud Ould Cheikh. Enfin, le parti de la majorité, l'UPR, pratique les mêmes calcules politico-tribales avant les scrutins77(*) que le PRDS de Taya en faisait avant. Sur ce, nous ne voulons pas nous adonner à une aventure prédictive périlleuse, car elle n'est pas l'oeuvre de la science politique, cependant, nous sommes en mesure de faire ressortir plusieurs manifestations quasi-quotidiennes de la vie sociopolitique, mises à part, deviennent attentatoires à toutes démocratisations. A long terme, cela devient beaucoup plus évident de constater que ça sent de la démocratie à la version Taya que d'une aventure d'habituation politique. Cette comparaison est justifiée par le fait qu'il est nécessaire de faire une nette distinction entre un régime démocratique ou en consolidation démocratique et ce qu'appel O'Donnel et Schmitter un « Dictablandas », un « Democraduras » ou simplement de « l'autoritarisme libéralisée »78(*). Ce qui veut dire qu'il ne suffit pas d'installer une certaine liberté, et croire que le chemin de la démocratisation est balisé, alors que des stratégies sont derrières les élections pour écarter ses concurrents, ou faire surgir des règles qui restreignent les droits de certains citoyens du pays. Et lors de nos entretiens, la majorité des acteurs politiques et de la société civile interviewée s'accordent sur le fait que seule la liberté d'expression est considérée jusque-là comme un acquis, tout le reste s'apparentant à une consolidation démocratique n'en est pas encore. * 63Pour les irrégularités lors des élections de l'ère Taya, Voir OULD CHEIKH A. W. « Des voix dans le désert. Sur les élections de « l'ère pluraliste » », Politique Africaine, N° 55, Octobre 1994 * 64 L'irruption des militaires durant l'opération de campagne et l'encouragement des candidatures indépendantes et rassurantes étaient compromettantes à une vraie alternance du règne des militaires. Voir le rôle des militaires durant le contexte transitoire et électoral avec BEN SAAD A., Op.cit., paragraphe 11 à 15. * 65 Voir la loi du 18 Septembre 2007 relative à la transparence de la vie financière publique http://www.pogar.org/publications/ac/2012/legal%20compendium/Mauritania_Law%20on%20Financial%20Transparency%20in%20Public%20Life_54_2007_FR.pdf * 66 L'article 10 de la constitution du 20/07/1991, l'ordonnance 024-91 sur les partis politiques, modifié en 2001 et 2012, et ordonnance 023-91 sur la liberté de la presse, faisaient tous partie du corpus juridique du pays depuis 1991. * 67 Parmi les deux journaux écrits francophone qui existaient, La Tribune et le Calame, ce dernier se targue d'être le journal le plus censuré. * 68 Sur la répression de cette marche voir http://www.kassataya.com/vous/13450-mauritanie-la-longue-marche-des-rapatries-du-senegal-de-boghe-a-nouakchott * 69 En fait l'article 12 de l'ordonnance précité sur les partis politiques stipule en substance que le ministère de l'intérieur ne peut garder le dossier que pour un délai n'excédant pas deux mois. Alors dans ce cas le dossier a été gardé durant huit mois avant que la réponse négative à la reconnaissance légale du parti ne tombe. * 70 Les amendements ré-amendé sur l'article 18 de la loi sur les partis politiques ne concernaient que le financement des partis introduit en 2001 * 71 En fait la HAPA fit un communiqué qui mettait en garde les journalistes à revoir leur contenu http://cridem.org/C_Info.php?article=674375 * 72 Dans un plateau télé au palais, le président demande à un journaliste désireux de prendre la parole, de se taire, face à l'entêtement de ce dernier, il rompt sine die le directe, Voir cette vidéo qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux https://www.facebook.com/mauritanie.insolite/videos/977319955611874/ * 73 Lors d'une rencontre avec la jeunesse en Mars 2014, Aziz expliqua en substance que l'État est trop décentralisé et qu'il faut plus de concentration du pouvoir. * 74 Le rapport accablant sur la justice que le bâtonnier de l'ordre des avocats, Me Ould Bouhoubeiny, avait établi en listant un ensemble de violation des dispositions législatives au niveau du pouvoir judiciaire http://fr.alakhbar.info/4006-0-Le-chao-institutionnel-de-la-Mauritanie.html. Ou les grâces présidentielles inattendues et floues sur des faits illicites http://fr.alakhbar.info/6158-0-Mauritanie---Drogue-les-reseaux-et-le-pouvoir-de-Aziz.html * 75 Un baiser à la main du président http://midad.info/2015/06/%D8%B4%D8%A7%D8%A8-%D9%85%D9%88%D8%B1%D9%8A%D8%AA%D8%A7%D9%86%D9%8A-%D9%8A%D9%82%D8%A8%D9%84-%D9%8A%D8%AF-%D8%A7%D9%84%D8%B1%D8%A6%D9%8A%D8%B3-%D8%B5%D9%88%D8%B1%D8%A9 * 76 La demande despotique s'explique, d'une part, par la passivité d'une majorité non négligeable du peuple mauritanien à toujours être prêt à applaudir et soutenir les régimes autoritaires qui se sont succédés au pouvoir, et d'autre part par le fait que cette demande despotique est sous-jacent à un système de valeurs islamique qui encourage cette attitude. Voir OULD CHEIKH A. W., «La demande despotique», Academia, 1993. https://www.academia.edu/6157212/La_demande_despotique * 77 Rapport confidentiel publié par le site en ligne Alakhbar sur la mission de l'UPR au Hodh El Gharbi, Voir http://www.fr.alakhbar.info/files/upr-rapport-hodh-chargui.pdf * 78 O'DONNELL G. et SCHMITTER P., Op.cit. |
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