La transition démocratique en Mauritanie à travers la revision constitutionnelle de 2012( Télécharger le fichier original )par Mohamed Sarr Université de Tunis El Manar - Mastère de recherche 2016 |
Chapitre II : Le général (E/R), l'opposition hétéroclite et le régimeCette opposition généralisée est un facteur explicatif de la position de force du président (ex général putschiste) et son mouvement de l'UPR face à l'opposition par rapport aux réformes à engager. Ces dernières devaient débuter depuis le lendemain de l'élection de Juillet 2009, selon les accords de Dakar et qui constitueraient la vraie phase de transition du pays ou théoriquement la seconde transition. Cependant, ces accords sont oubliés (I) et cela compromet la démocratisation (II). Section I : Les accords de Dakar oubliés et les « radicaux » à la margeIl est évident que l'armée est l'entité la plus organisée de la société, cela, combiné à la frilosité de l'opposition, fait que cette dernière a toujours manqué de saisir la chance d'une alternance (I) que les lignes dures du régime ne manque de faire échouer (II). Paragraphe I : Les opposants : les coups manqués de l'alternanceThéoriquement, la désunion de l'élite est facteur d'instabilité du régime politique47(*), c'est-à-dire le pays connait continuellement des oscillations entre autoritarisme, putsch, démocratisation précaire, putsch à nouveau et crises répétées. En somme le pays connait un modèle cyclique, tel l'explique Huntington, « l'alternance entre démocratie et autoritarisme constitue le système politique du pays »48(*). Cependant cette désunion à une origine, c'est généralement « le processus de formation des État-nations »49(*), des États comme la Mauritanie dont les frontières actuelles ont été artificiellement tracées il y a une forte chance que l'élite soit disparate à cause des différents régimes qui se sont succédés au pouvoir et des politiques qui ont été menées à l'égard des citoyens, le problème du statenes problem50(*)est ici très patent. Et cela a tellement contribué à la division des opposants qu'un observateur avéré nous confiait que « l'opposition a toujours manquée la chance de réaliser l'alternance, lors du coup d'état manqué du 08 juin 2003, si l'opposition était consensuel il pourrait prendre le pouvoir, car deux jours durant le pays était déstabilisé pourquoi ils ne devraient pas en profiter pour faire descendre les gens dans la rue et prendre le pouvoir ? »51(*). En 2007 ils ont encore refusé l'alternance il n'y a pas eu de front commun autour de Daddah, le seul de l'opposition passé au second tour des présidentielles face au candidat des militaires. Le problème c'est d'abord qu'ils trainent encore avec eux des différends du passé, car le malheur c'est qu'ils ont tous appartenu à une même organisation politique, l'UFD, en 1992 et c'était du « Tous contre Taya », l'union s'est mal terminé, depuis lors chacun ne digère pas l'autre. En outre, le problème dans l'opposition mauritanienne, c'est que toutes les expériences de changements ou de réformes majeurs qui se sont produites ont été l'initiative des militaires, ils attendent plus du régime en place qu'ils ne proposent d'alternatives. Cependant, l'opposition semble apprendre la bonne leçon de ces erreurs du passé, car cet état de fait de l'opposition semble s'éclipser au profit d'une union, précaire, mais mieux que l'habituelle, à l'exemple des réactions de l'opposition au lendemain des élections de 2009. Le COD, coalition de partis politiques formés au lendemain des élections de Juillet 2009, dont on pouvait remarquer des partis significatifs tels que l'UFP de Ould Maouloud, le RFD de Ahmed Daddah et le Tawassoul de Jemil Mansour, exigeront l'application du titre VII paragraphe 4 des accords de Dakar, qui en fait stipulait que « cet accord ne met pas fin à la poursuite du Dialogue national sur les autres points qui peuvent renforcer la réconciliation nationale et la démocratie »52(*). Donc ces accords avaient un double objectif à la fois de dénouement de la crise politique post-putsch et de la possibilité d'une démocratisation consensuelle. Ce que le régime de Aziz, désormais légitime grâce aux accords, balaya d'un revers de la main en estimant que ces accords n'avaient plus effet et surtout que l'opposition n'avait pas reconnu les résultats de ces élections. Il faut comprendre ici que, primo, ces accords était un simple moyen pour ce camp de se légitimer par l'issue de ces accords grâce aux élections qui s'organiseront afin de rétablir le statu quo ante, à savoir le contrôle du pouvoir par des éléments de l'armée. Secundo faut noter qu'il était dans l'intérêt de l'opposition d'exiger l'exécution des dispositions des accords de Dakar après sa défaite, car en réalité elle ne pensait jamais perdre les élections face à Aziz. Enfin il faut savoir que si ces accords ont été un petit pas pour Aziz afin donner une légalité à un pouvoir déjà acquis de fait, et qui était piégé entre une mobilisation interne sans précédent du FNDD qui demandait le rétablissement de la légalité constitutionnelle et une pression externe par la condamnation unanime du putsch par la communauté internationale53(*). Ils fussent, par contre, un grand pas pour l'opposition, ils voyaient ces fameux accords de Dakar comme une victoire première de la longue lutte opposition versus militaires, pour la première fois dans l'histoire politique du pays, l'opposition s'est levé contre un putsch et a tenu tête aux putschistes. Donc cela fut une avancée notoire pour l'image de l'opposition car se tenir contre la volonté des putschistes jusqu'à ce que la communauté internationale s'intéresse à la question et délègue un GIC pour la Mauritanie afin de dénouer la crise, c'est inédit ! Enfin, comme nous l'a confié, lors d'un entretien, le représentant du FNDD à Dakar, « les accords de Dakar était une victoire pour nous, parce qu'enfin on nous reconnaissait à égalité avec les putschistes ». Hypnotisée, « l'opposition était tellement sûre d'elle qu'elle ne se préoccupait pas de l'accord, l'essentiel pour elle c'était le jour du scrutin parce qu'elle était sure de gagner » et il reconnait que ces accords était un tour de plus que les militaires les ont joué « nous avons réussi à mettre en échec le coup d'État mais nous en avons pas profité pour prendre le pouvoir ». Pendant la campagne du rahil (dégage version mauritanienne) scandé dans les rues de Nouakchott par le COD, la CAP elle cherchait des canaux pour flirter avec le régime de Aziz et Biram incinère ce qu'il appelle le « code négrier » des « fausses interprétations » d'écrits Malikite sur la légalité de l'esclavage. Entre le blocage politique créer par le refus des hommes au pouvoir d'appliquer les dispositions post-élections des accords et l'entrée en illégitimité des parlementaires par l'expiration de leurs mandats de cinq ans, l'UPR avec Aziz, convient à un dialogue dans le tas pour à la fois se délivrer de ce dialogue dont l'opposition dit « radicale » le poursuit depuis, mais aussi de sortir les parlementaires de l'impasse juridique où ils se trouvaient. La COD dit non et La CAP dit oui, ce dialogue « séparé » entre la majorité et une partie de l'opposition va aboutir à un accord politique du 11 Octobre 201154(*) qui va se traduire de l'adoption de l'ensemble de ces lois organiques et notamment celle du 20 Mars 201255(*) relative aux amendements constitutionnels. Pour l'UPR et la CAP tous les quatre points qui figuraient dans le paragraphe 4 des accords de Dakar, à savoir le renforcement des assises démocratiques et la prévention des changements anticonstitutionnels, la promotion de l'État de droit et la bonne gouvernance, la question de l'arrangement politique ou toute autre question concernant la cohésion nationale et la stabilité... sont réglés, fini la transition, maintenant la voie est ouverte pour les prochaines élections, pour la COD non. La lecture qu'il faut faire ici, c'est que comme présenté ci-dessus, Aziz est, dans la pratique, un hard-liner, il est de cette ligne dure des partisans du statu quo, c'est du tout sauf l'opposition, et que les accords de Dakar était ici qu'une procédure par laquelle il faudrait passer pour finir avec cette opposition qui pousse des ailes, alors faut en attirer les moins « radicaux » et essayer d'éloigner, le plus possible, les récalcitrants. Il faut enfin signaler que l'armée est l'entité la plus organisée de la société, c'est le lieu de la discipline par excellence. Cela face à une opposition dont la frilosité et l'intra-opposition est la condition générique. Ce qui devient contreproductif et surtout pour tout projet de changement profond. Et cet accord politique du 11 Octobre 2011 entre une partie de l'opposition, au détriment de celui de Dakar avec toute l'opposition, rend plus radical les opposants absents du dialogue dans leurs positions. Parce que désormais ils invoquent sans équivoque le manque de confiance depuis Dakar56(*). Cette situation est telle jusqu'au boycott des législatives et des présidentielles par la plupart des acteurs de l'opposition57(*). * 47 HIGLEY J. et BURTON M. Op.cit. * 48 HUNTINGTON S. P., Troisième vague, les démocratisations de la fin du XXème siècle, Nouveaux Horizons, 1991, p.40. * 49 HIGLEY J. et BURTON M. Op.cit. p.249 * 50Le Stateness problem Voir LINZ J.J. Et STEPAN A. Op.Cit. * 51 En effet pendant deux jours les institutions politiques du pays étaient vaquées et l'anarchie totale régnait au sein de l'armée, Voir OULD MEYMOUN M. L., La Mauritanie entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire, l'Harmattan, 2007, p.140 * 52Accords cadres de Dakar entre les grands pôles politiques mauritaniennes signés par le RFD, le FNDD et l'UPR, p.4/6, Annexe. * 53 Les différentes réactions des organisations internationales et d'autres pays partenaire de la Mauritanie http://www1.rfi.fr/actufr/articles/104/article_69671.asp * 54 L'accord portait sur la révision de la constitution du 20 Juillet 1991 modifiée par referendum en 2006, la loi relative aux partis politiques (le financement public des partis), de l'accès des femmes aux mandats électoraux par une liste de 20%, de l'interdiction des candidatures indépendantes et du nomadisme politique et de l'élargissement du nombre de sièges de la chambre basse de 95 députés à 146. * 55Pour les questions qui figuraient dans la loi organique d'amendement à la constitution de Mars 2012, Voir Annexe Loi constitutionnelle 2012-015. * 56 Déjà la COD disait par la voix de son porte-parole ne pas participer aux législatives à venir tant qu'ils n'ont pas de garanties communes. http://cridem.org/C_Info.php?article=625624 * 57 Lors des législatives, l'opposition du COD les boycotte sauf Tawassoul de Jemil Mansour qui se désolidarise de la coalition en participant et en argumentant que « c'est un moyen de lutter contre la dictature de Aziz », la CAP participera aussi et l'AJD.MR. |
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