LE MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS
A L'EPREUVE DU
DROIT DE L'UNION EUROPEENNE
Mémoire pour le Master 2 recherche en droit
financier
UFR 05 Droit des affaires
Présenté et soutenu par : Sous la
direction de :
M. Romain BONY-CISTERNES M. Alain
PIETRANCOSTA
Professeur des Universités Ecole de droit de la
Sorbonne
1
Année universitaire 2013/2014
REMERCIEMENTS :
2
Je tiens à adresser mes remerciements à
Monsieur le professeur Alain Piétrancosta pour avoir
accepté
de diriger ce travail de recherche ainsi que pour ses conseils.
Je remercie également Sophie Vermeille de l'Institut
Droit & Croissance ainsi que Marc Perrone,
associé au sein du
cabinet Linklaters LLP (département Regulatory) pour leurs conseil et
orientations.
Enfin, je souhaiterais exprimer toute ma gratitude à
Mme Aurore Collombier ainsi qu'à l'ensemble
des membres de la
direction des agréments, des autorisations et de la
règlementation de l'Autorité de
contrôle prudentiel et
de résolution pour leurs éclairages juridiques.
3
INTRODUCTION GENERALE
Selon Montesquieu1, « dans les Etats qui
font le commerce d'économie, on a heureusement établi des banques
qui, par leur crédit, ont formé des nouveaux signes des valeurs
». C'est pour essayer d'encourager ou de contenir la fonction du
banquier créateur de monnaie et intermédiaire dans la
distribution du crédit que la position des Etats a toujours
vacillé entre la régulation et la libéralisation de
l'intermédiation bancaire2.
Ces propos s'inscrivent à la fois dans une vision
traditionnelle et moderne du crédit. Montesquieu, en son temps,
soulignait l'importance du crédit pour toute Nation désireuse de
développer son économie. Des économistes tels que Fukuyama
ont, depuis les années 80, montré que le développement
économique d'un Etat reposait de façon générale sur
la confiance, et en particulier sur la confiance des acteurs économiques
dans les institutions lato sensu, à savoir l'institution
contractuelle (dont est garant le juge), et l'institution bancaire (dont les
banques sont dépositaires). Le crédit apparait donc comme l'un
des piliers de l'économie. En effet, historiquement, c'est le
développement des techniques juridiques liées au commerce de
l'argent et à la création monétaire qui ont permis de
développer les échanges : l'on pense, par exemple, au «
prêt à la grosse aventure » sous l'Antiquité
grecque qui permettait d'armer les navires de commerçant et de partager
les risques entre armateur et équipage. C'est, surtout, à Rome
que le crédit est né sous la forme la plus proche de celle
observée dans nos sociétés modernes : le muutum
était en effet un contrat réel qui consistait pour un
prêteur à remettre une somme d'argent ou des denrées
à un emprunteur qui s'engageait à lui restituer en temps convenu
une quantité équivalente de même qualité.
Très rapidement, les « argentarii foenatores »
romains devinrent les précurseurs des établissements bancaires en
matière de financement3. Bridé, au cours du
Moyen-âge, par l'interdiction du prêt à intérêt
de l'Eglise catholique, le crédit a pu se développer sous la
forme actuelle à partir du début du XVIIIème siècle
avec la création des grandes banques et la disparition de l'interdiction
du prêt à intérêt le 12 octobre 1789 : la monnaie
scripturale 4devient le support et le vecteur du crédit. La
création monétaire s'opère, en effet, grâce à
un jeu d'écriture qui
1 « De l'esprit des lois », Livre XX, chap.
X « Etablissement propre au commerce d'économie » in OEuvres
Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris,
1949-1951.
2 LIKILLIMBA G-A., « Aspects juridiques de
la régulation et la libéralisation de l'intermédiation
bancaire », in Revue de droit bancaire et financier, n°5,
septembre 2010, étude 21.
3 IMBERT V-J., « Le droit antique
», coll. Que sais-je ?, PUF.
4 C'est-à-dire la monnaie
matérialisée par une écriture en compte, et qui circule
par un jeu d'écritures de compte à compte, à rebours de la
monnaie fiduciaire, matérialisée par les pièces et
billets, qui, elle, est palpable.
4
permet, ex-nihilo, de créer de la monnaie.
Certains intellectuels de l'époque se félicitèrent
d'ailleurs de l'essor du crédit ; si l'on en croit Saint-Simon pour qui
« Sans crédit généralisé, comment
écouler une production de masse [ndlr : production que l'on
retrouve notamment lors des Trente Glorieuses] ? Sans moyens financiers
adéquats, les canaux de distribution seraient vite engorgés. A la
production en série industrielle correspond nécessairement un
crédit en série et c'est justement le rôle nouveau des
établissements spécialisés que de mettre en oeuvre une
typologie des financements 5».
A partir de cette époque, l'activité bancaire
n'a fait que s'intensifier, de grandes banques ont été
créées (le Crédit Lyonnais, le Crédit foncier de
France) et les techniques de financement se sont multipliées (escompte,
affacturage, lettre de change, crédit-bail). Le crédit est
devenu, aujourd'hui, le moteur de l'activité économique. Les
économistes soulignent les multiples attraits du crédit. Il
permet d'une part la rapidité : il est désormais inutile
d'attendre de thésauriser suffisamment d'épargne pour
réaliser des projets sous l'égide de l'autofinancement. D'autre
part, il se distingue par sa contribution à la croissance du produit
intérieur brut en ce sens qu'il permet de créer des richesses
pour les multiples acteurs en présence : en permettant la transformation
des dépôts en crédits (transformation de maturités),
le crédit permet d'une part de rémunérer les
épargnants (et les intermédiaires financiers) via le taux
d'intérêt, qui auront tout loisir de réinvestir cette rente
dans l'économie ; et d'autre part, permet aux porteurs de projets de les
mettre en oeuvre quelles que soient leurs ressources. Le tout reposant sur un
pari : un retour sur investissement plus élevé que la mise
initiale, qui, par un mécanisme d'effet de levier, permet à celui
qui ne disposait d'aucune épargne de s'enrichir. Le système de
marché permet ainsi de mettre en relation les acteurs en capacité
et en besoin de financement.
Ce modèle d'intermédiation financière,
finalement peu contesté dans son principe, a pourtant été
soumis à un certain nombre de critiques relatives à ses
modalités. En effet, le développement des établissements
financiers au cours des décennies s'est accompli sur un modèle
concentrationnaire ; autrement dit, l'essor des établissements
financiers s'est accompagné du regroupement de ceux-ci au sein de
consortia bancaires, ces derniers formant, alors, des masses très
importantes et très influentes sur le monde économique, en raison
du pouvoir que ces groupements exercent à la fois sur leurs clients (ils
sont en mesure d'exiger de leurs clients des actions ou abstentions
particulières, ils peuvent sélectionner leurs clients
5 SAINT-SIMON C-H., « Vues sur la
propriété et la législation » in OEuvres de
Claude Henri de Saint-Simon, éditions Anthropos, 1966.
5
selon une série de critères, ou leur imposer des
conditions) mais également sur le marché : la tendance des
banques à se regrouper et à se concentrer favorise l'apparition
d'oligopoles, ce qui leur permet d'imposer au marché leurs standards de
fonctionnement, laissant ainsi aux acteurs une faible marge de manoeuvre :
accepter les règles ou être exclus du marché.
L'ensemble de ces règles et de ces standards n'est ni
codifié, ni assumé de façon décomplexée :
c'est une réalité qu'il existe des critères, communs
à toutes les banques, et qui ont, peu à peu, structuré le
marché. Cette structuration peut, notamment, mais pas exclusivement,
être examinée à travers le prisme de la prise de risque (le
« leverage »). Les intermédiaires financiers ont
toujours eu, vis-à-vis du risque, une attitude ambivalente : d'abord, en
restreignant leur concours aux entités économiques
présentant, d'une manière ou d'une autre les meilleures garanties
financières. Puis, au fil du temps, l'acceptation du risque s'est faite
plus extensive, les banques y trouvant l'opportunité de profits plus
importants, et créant, alors, des véhicules
spécialisés (special purpose vehicles) afin de purger
leurs bilans desdits risques, en cas de problèmes de liquidité et
lorsque point le risque de contrepartie (la défaisance ou «
deleveraging »).
En tout état de cause, il demeure que l'institution
bancaire, prise au sens le plus strict, a et aura toujours, envers le risque
(et notamment le risque de contrepartie6) une attitude
timorée. En effet, les banques, comme nous le verrons, du fait de leur
importance de marché (une importance « systémique ») et
de leur rôle en matière de création monétaire
(susceptible d'influer les grandes variables macroéconomiques comme
l'inflation et le jeu de la politique monétaire des Etats) sont soumises
à une règlementation étatique depuis leurs balbutiements.
Le curseur de la norme coercitive, par définition exogène aux
mécanismes économiques, oscille entre régulation et
libéralisation au gré des enjeux économiques.
Naguère, la régulation concernait, surtout, des impératifs
liés à la politique monétaire et à la maitrise de
l'inflation. Aujourd'hui, le curseur s'est déplacé sur des enjeux
en termes de stabilité financière et de risque systémique
: c'est pour cette raison que les banques ont été soumises
à des exigences prudentielles constamment alourdies, sous l'influx des
travaux du comité de Bâle. Il en résulte, depuis une
décennie, un accroissement des charges pesant sur les banques ce qui
limite, de facto, leur capacité à mener à bien la
tâche que Montesquieu soulignait à raison : financer
l'économie. Car il existe une multiplicité d'acteurs,
présentant des profils de risque
6 Risque associé à la probabilité
de l'occurrence d'un défaut de la part de l'emprunteur.
6
plus ou moins solides, mais qui, tous, méritent leur
chance d'accéder au crédit et de s'engager dans le jeu de
l'économie capitaliste de marché.
Pour autant, pour ces acteurs dont le profil de risque ne
correspond pas au standard classique et implicite des consortia bancaires que
nous évoquions précédemment, l'accès au financement
est chose bien peu aisée. Ainsi sont révélées les
failles de ce que nous appellerons le « système bancaire
classique ».
Comme de coutume, la pratique a toujours cherché
à remédier aux problèmes posés par les dogmes
bancaires. Il est intéressant, à cet égard, de montrer
comment l'essor du microcrédit est un mouvement puissant qui est
né malgré l'absence d'assentiment du système bancaire
classique et qui, désormais, l'associe de plus en plus à ses
développements, ce dernier étant obligé de collaborer au
vu de l'ampleur prise par la microfinance, aussi bien dans les pays en
développement que dans les pays industrialisés. Le constat
initial a été établi par Muhammad Yunus, professeur
d'économie à Dhaka au Bangladesh 7qui fustigeait le
refus des banques locales de prêter aux plus pauvres des sommes
excédant rarement quelques centaines de dollars afin de financer de
petites activités d'exploitation commerciale qui leur auraient permis de
sortir de la misère. Avec la création de la Grameen Bank, la
« banque des pauvres », un formidable essor économique a
été permis dans les pays en développement, à tel
point que le microcrédit s'est généralisé et a
essaimé dans les pays industrialisés (que l'on pense au
récent colloque sur le microcrédit de l'Association pour le droit
à l'initiative économique).
La pratique est donc innovante pour développer des
solutions de financement alternatives. De même, les marchés
financiers ont permis, par leur essor, de constituer d'autres sources de
financement pour les acteurs économiques, même si, il est vrai, ce
canal financier reste réservé, encore, à des
émetteurs de grande taille. Dès lors, la question qui peut se
poser est la suivante : est-il envisageable d'avoir, aux côtés des
banques, d'autres acteurs institutionnels Ð autres que les marchés
financiers Ð pouvant proposer une offre de crédit aussi bien aux
particuliers qu'aux professionnels, de taille et de profils de risques
différents, l'essentiel étant qu'une concurrence entre ces
pourvoyeurs de fonds facilite une diversification de l'offre de crédit
afin que chaque segment des agents en besoin de financement puisse trouver la
formule qui lui correspond ?
7 YUNUS M., « Vers un monde sans
pauvreté », 1997.
7
A la vérité, cette diversification, qui
correspond à un réel besoin, connait un certain essor dans les
pays anglo-saxons mais n'est, en France, qu'à l'état
embryonnaire, en raison de l'existence d'une législation qui, de 1984
jusqu'à récemment (milieu des années 2000) a
prohibé à toute autre entité qu'un établissement de
crédit de fournir du crédit à titre de profession
habituelle. Cette mesure, plus communément appelée «
monopole bancaire français » (Section 1), qui se
justifiait à l'époque par des impératifs d'ordre public
économique (Section 2) a cependant, comme on le verra,
eu du mal à résister à l'épreuve du temps : sous
l'effet de la raréfaction du crédit et de l'approfondissement de
l'édifice normatif de l'Union européenne, ce monopole se
retrouve, aujourd'hui, menacé (Section 3).
Section 1 : Les contours du monopole bancaire
français de 1984 à la fin de la première décennie
2000.
Le monopole bancaire est véritablement né en
1984 avec la grande loi bancaire8. Cette loi intervient en
complément des mouvements de désintermédiation et de
dérèglementation qui ont permis l'émergence de
marchés financiers véritablement effectifs. Elle présente
un caractère prudentiel affirmé, en ce sens qu'elle soumet les
activités bancaires à la surveillance d'autorités communes
et entend, également, encadrer l'activité de crédit des
banques9. Le but était de moderniser le cadre
législatif afférent à ces dernières. Elle permet
tout à la fois de libéraliser leur activité (en
étendant le champ des activités que les établissements de
crédit peuvent mener), favorisant ainsi le modèle de banque
universelle mais, dans le même temps, elle circonscrit ces
activités au sein d'une énumération limitative.
L'établissement de crédit, pivot de la règlementation
bancaire, en raison des enjeux prudentiels et de la collecte des
dépôts des épargnants, se doit d'être soumis à
un encadrement législatif. Cet établissement de crédit est
défini, en 1984, de la façon suivante : personne morale
effectuant à titre de profession habituelle des
opérations de banque. La liste de ces opérations de banque est
fixée par le législateur. Ce faisant, ce dernier entend limiter
les opérations pouvant être réalisées par les
établissements de crédit. Cependant, la liste des
opérations de banque constitue, par la
8 Loi n° 84-46 du 24 janvier
1984 relative à l'activité et au contrôle des
établissements de crédit
9 Bulletin de la Commission bancaire n°31,
novembre 2004 :
http://acpr.banque-
france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/documents/200411-contribution-de-la-loi-bancaire-a-la-stabilite-du-systeme-bancaire.pdf
8
même occasion, le domaine réservé des
banques, instituant ainsi, à leur bénéfice, un monopole
légal 10(1) dont le coeur est l'opération de
crédit (2).
§1 : Définition du monopole
bancaire :
La loi de 1984 pose le principe du monopole bancaire
français (A) mais l'assortit d'exceptions (B), et de sanctions (C).
A) Le principe posé par la loi bancaire de 1984
:
L'article 10 de la loi du 24 janvier 1984 disposait que
« il est interdit à toute personne autre qu'un
établissement de crédit d'effectuer des opérations de
banque à titre habituel11. Il est en outre interdit à
toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir du
public des fonds à moins de deux ans de terme ». Ce texte
porte en germe le monopole que le législateur a entendu conférer
aux établissements de crédit. Le monopole se confond, comme on le
voit, avec la liste des opérations de banque ; ce qui signifie que
modifier les contours du monopole revient à faire évoluer le
contenu de la liste des opérations de banque. En cela, le
législateur établit, en 1984, un lien entre monopole et liste des
opérations de banques qu'il réserve uniquement aux
établissements de crédit. Aujourd'hui, les contours du
monopole bancaire ont évolué, de sorte qu'on s'en
réfère ici à des versions anciennes des articles du code
monétaire et financier. L'ancien article L511-1 du code monétaire
et financier (actuel L311-1) disposait que « les opérations de
banque comprennent la réception de fonds du public, les
opérations de crédit, la mise à disposition de la
clientèle et la gestion de moyens de paiement ». Il convient
de définir succinctement ce que l'on entend par ces opérations de
banque, sans pour autant s'appesantir sur l'opération de crédit
que nous verrons par la suite. En ce qui concerne la réception de fonds
du public, l'article L312-2 CMF considère comme tels les «
fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous forme de
dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais
à charge pour elle de les restituer » (les comptes courants
d'associés en sont exclus). La gestion de moyens de paiement
était à quant à elle définie comme la fourniture de
tout service permettant à une personne de transférer des fonds.
Nous verrons que, aujourd'hui, sous l'effet des modifications successives,
l'article L311-1 CMF a été modifié.
10 L'expression de « monopole bancaire
» a été employée pour la première fois en
1986 dans le manuel de droit bancaire de Rives-Langes et Contamine-Raynaud ;
bien que d'autres auteurs préfèrent parler de « domaine
réservé » du fait qu'il existe des exceptions à
ce monopole.
11 Cet article se retrouvait, en 1984, à
l'article L511-5 du code monétaire et financier.
9
Postérieurement à l'énoncé de ces
principes par la loi, il est revenu à la jurisprudence de définir
ce que la loi entendait par la réalisation de telles opérations
« à titre de profession habituelle » cela étant d'une
capitale importance pour certains acteurs économiques espérant
échapper aux sanctions afférentes au monopole bancaire en
réalisant, ponctuellement, des opérations figurant pourtant dans
la liste de l'article L311-1 du code monétaire et financier. La notion
d'habitude relève de l'interprétation souveraine des juges du
fond12. La jurisprudence a mis en évidence deux
éléments devant traditionnellement être réunis pour
que la condition d'habitude soit réalisée : la
répétition des actes et la pluralité d'emprunteurs. En
effet, la jurisprudence considère classiquement que l'opération
occasionnelle n'entre pas dans le champ du monopole, la condition d'habitude ne
pouvant être vérifiée en présence d'une
opération unique (ex : opération de financement ou de
refinancement logée dans une entité ad-hoc dans la perspective
d'une opération déterminée). La condition de
pluralité, posée plus tard par la Cour de cassation, semble aller
dans le sens d'un assouplissement du monopole 13: dans un arrêt du 3
décembre 200214, la chambre commerciale considère que
la condition d'habitude ne peut être remplie que si l'opération
est réalisée auprès d'une pluralité d'emprunteurs,
et ce alors même que, dans les faits de l'espèce, une
opération de prêt avait été réalisée
neuf fois, mais au profit d'une seule et même personne, ce qui assouplit
grandement le critère précédent, et rend presque
inopérante la condition de répétition en l'absence d'une
pluralité d'emprunteurs. Nous verrons par la suite que cela ouvre
une brèche pour la pratique en ce sens que le juge semble
encourager la répétition d'opérations de banque
auprès d'une seule personne car cela ne tombe pas sous le coup de
l'interdiction.
Pour autant, la pratique voit ses possibilités de
dérogation fortement encadrées ; surtout depuis qu'une
jurisprudence est venue considérer que la cession de créances
non-échues constituait une opération de crédit entrant
dans le champ de l'article L311-1 CMF, de sorte que les entités autres
que des établissements de crédit cessionnaires de créances
bancaires non-échues se retrouvent, de facto, dans la
même position qu'un établissement de crédit gérant,
à titre habituel, des créances de prêt, et ce alors
mêmes que ce ne sont pas elles qui ont, ab initio, consenti le
prêt de nature bancaire. Nous y reviendrons par la suite.
Enfin, il convient de préciser que ne tombent sous le
coup du monopole bancaire que les opérations réalisées
à titre de profession habituelle et à titre onéreux :
c'est-à-dire lorsque les
12 V. notamment Cass.crim 16 oct. 1989,
n°87-84.232, Bull.crim n°359.
13 ADELLE J-F, cabinet Jeantet, «
Mémorandum relatif aux financements et refinancements de
crédits en France », 6 déc. 2004.
14
Cass.com 3 déc. 2002,
n°00-16.957, Bull. civ. IV, n°182, JCP E 2003 n°853.
10
prêts stipulent des intérêts. C'est ainsi
que certaines plateformes de financement sans stipulation
d'intérêt ont été mises en place par les acteurs du
crowdfunding pour échapper au monopole (voir
infra).
s?
D'aucuns ont considéré que l'appellation de
« monopole bancaire » était inexacte, en raison des exceptions
existant en droit, ou dans les faits, au monopole des établissements de
crédit.
B) Les exceptions successives :
Si certains auteurs préfèrent parler de «
domaine réservé » des banques, c'est en raison des
nombreuses exceptions existant au monopole de l'exercice des activités
mentionnées à l'article L311-1 CMF. Si l'on en croit un
auteur15, les exceptions au monopole bancaire peuvent être de
deux ordres : certaines activités, bien que tombant dans le champ du
monopole bancaire (c'est-à-dire faisant partie de la liste des
opérations de banque), pourront être exemptées (1) sans que
cette liste ne trouve à se modifier : on est dans une logique de cas
particulier ; d'autres seront, à l'inverse, exclues du champ du monopole
bancaire, ou y seront artificiellement rattachées, aussi
paradoxal que cela puisse être (2), ce qui passe nécessairement
par une évolution de la liste des opérations de banque.
1. Les exceptions fondées sur l'exemption :
Il ne s'agit pas, ici, de considérer telle ou telle
opération comme échappant au monopole bancaire : en
réalité, les opérations exemptées tombent bel et
bien sous le coup de l'interdiction mais peuvent, pour diverses raisons de
nature économique, être exécutées par d'autres
entités des établissements de crédit. Il s'agit des
exceptions classiquement admises (de 1984 jusqu'au début de la
décennie 2000). Le législateur a, dans un premier temps, retenu
cette méthode dont la symbolique est forte : si les exceptions se
multipliaient, le principe demeurait le monopole, en ce sens que la liste des
opérations de banques ne trouva pas à être modifiée.
Ces exceptions sont mentionnées aux articles L511-6 et s. CMF
16mais également
15 BOUTHINON-DUMAS H., « La directive sur
les services de paiement et la concurrence entre les établissements de
paiement et les banques », RTD Com 2009 p. 59.
16 Sans préjudice des dispositions
particulières qui leur sont applicables, les interdictions
définies à l'article L. 511-5 ne concernent ni les
institutions et services énumérés à l'article L.
518-1, ni les entreprises régies par le code des assurances, ni les
sociétés de réassurance, ni les organismes
agréés soumis aux dispositions du livre II du code de la
mutualité pour les opérations visées au e du 1 de
l'article L. 111-1 dudit code, ni les entreprises d'investissement, ni
les établissements de monnaie électronique, ni les
établissements de paiement, ni les organismes collecteurs de la
participation des employeurs à l'effort de construction pour les
opérations prévues
11
dans d'autres codes, comme le code des assurances. Nous ne
reviendrons que sur certaines d'entre elles, qui présentent une
importance capitale dans les besoins de la pratique économique. Nous
choisirons ainsi de laisser de côté tout ce qui relève des
prêts réalisés par des associations.
a. Les organismes d'assurance :
Assureurs et banquiers exercent une profession
différente, dont l'une est régie par le monopole bancaire et
l'autre par le principe de spécialité17. Cependant, le
secteur de l'assurance, structurellement en capacité de financement du
fait de sa capacité à drainer l'épargne du public, s'est
vite retrouvé dans une position ambiguë sur les marchés
financiers :
par le code de la construction et de l'habitation, ni les
OPCVM ni les FIA relevant des paragraphes 1, 2, 3 et 6 de la sous-section 2, et
des sous-sections 3, 4 et 5 de la section 2 du chapitre IV du titre Ier du
livre II. L'interdiction relative aux opérations de crédit ne
s'applique pas :
1. Aux organismes sans but lucratif qui, dans le cadre de
leur mission et pour des motifs d'ordre social, accordent, sur leur ressources
propres, des prêts à conditions préférentielles
à certains de leurs ressortissants ;
2. Aux organismes qui, pour des opérations
définies à l'article L. 411-1 du code de la construction
et de l'habitation, et exclusivement à titre accessoire à leur
activité de constructeur ou de prestataire de services, consentent aux
personnes physiques accédant à la propriété le
paiement différé du prix des logements acquis ou souscrits par
elles ;
3. Aux entreprises qui consentent des avances sur salaires ou
des prêts de caractère exceptionnel consentis pour des motifs
d'ordre social à leurs salariés ;
4. Abrogé ;
5. Aux associations sans but lucratif et aux fondations
reconnues d'utilité publique accordant sur ressources propres et sur
ressources empruntées des prêts pour la création, le
développement et la reprise d'entreprises dont l'effectif salarié
ne dépasse pas un seuil fixé par décret ou pour la
réalisation de projets d'insertion par des personnes physiques. Ces
associations et fondations ne sont pas autorisées à
procéder à l'offre au public d'instruments financiers. Elles
peuvent financer leur activité par des ressources empruntées
auprès des établissements de crédit, des
sociétés de financement et des institutions ou services
mentionnés à l'article L. 5181 ainsi qu'auprès de
personnes physiques, dûment avisées des risques encourus. Les
prêts consentis par les personnes physiques sont non
rémunérés et ne peuvent être d'une durée
inférieure à deux ans. Ces associations et fondations sont
habilitées dans des conditions définies par décret en
Conseil d'Etat. Elles indiquent dans leur rapport annuel le montant et les
caractéristiques des prêts qu'elles financent ou qu'elles
distribuent répondant à la définition visée au III
de l'article 80 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de
programmation pour la cohésion sociale et bénéficiant
à ce titre de garanties publiques.
6. Aux personnes morales pour les prêts participatifs
qu'elles consentent en vertu des articles L. 313-13 à L. 31317 et
aux personnes morales mentionnées à l'article L. 313-21-1
pour la délivrance des garanties prévues par cet article.
17 PARLEANI G., « Les assureurs
peuvent-ils être banquiers ? », in Revue générale
du droit des assurances, 1er juill. 2013 n°2013-03 p 551.
12
investisseur institutionnel en titres, acteur du rachat de
crédit via la titrisation18 ou fournisseurs d'assurance de
crédits comme les CDS. Depuis l'origine, des exceptions au monopole
bancaire existent en faveur des organismes d'assurance : il s'agissait du
pouvoir d'octroyer des prêts à des sociétés sous
certaines conditions, tenant notamment à la nature du prêt
(prêts immobiliers bénéficiant d'une hypothèque de
premier rang et dont le ratio LTV n'excède pas 65%). Désormais,
les prérogatives des assureurs ont été élargies par
le décret n°2013-717 du 2 aout 2013, après la publication
d'un rapport par le gouvernement intitulé : « Réformer
le code des assurances : orienter l'épargne des français vers
l'entreprise ».
Deux voies sont ouvertes aux assureurs19, qui
peuvent désormais prendre en charge un financement direct ou indirect :
c'est-à-dire prêter directement sur leurs fonds (sous
réserve d'une extension de leur agrément par l'ACPR), ce qui
constitue une véritable exception au monopole bancaire, soit via la
souscription de parts de fonds spéciaux appelés « fonds de
prêt à l'économie » dans lesquels les compagnies
d'assurance investiront et qui souscriront à des titres obligataires
d'entreprises20. On notera que le législateur français
apparait enclin à libéraliser les sources de crédit et
à assouplir le monopole bancaire.
b. Les organismes de titrisation et certains OPC ou fonds
d'investissement alternatifs :
Le législateur a tenu à exempter certaines
entités telles que les organismes de titrisation21, les OPCVM
et les OPCI, et certains fonds d'investissement alternatifs ouverts à
des professionnels comme à des non professionnels. La
caractéristique commune de toutes ces entités exemptées
réside dans le fait qu'elles collectent de l'épargne publique
pour en faire de la gestion collective. Cela s'est fait progressivement au
cours du temps et avait pour but de permettre le rachat de dette, toutes ces
entités pouvant être regroupées sous la dénomination
innomée de « fonds de dette ». On retrouve,
notamment, mais pas exclusivement, l'influence du droit de l'Union
européenne dans ces évolutions22. En effet, la lecture
de l'exposé des motifs de la directive 2001/108/CE 23 montre
que l'UE entend favoriser l'élargissement du
18 En 2012, Axa - à la recherche de
placements rémunérateurs et peu risqués - décide de
prendre à sa charge une partie des risques de crédit des banques
Société générale et Crédit Agricole.
19 DE VAUPLANE H., « Les premières
brèches législatives au monopole bancaire » in Revue
Banque n°765.
20 Article R332-2-A-2 quater et 7 quinquies du code
des assurances.
21 Précédemment les fonds communs de
créance, exemptés par la loi du 4 janvier 1993.
22 En effet, les exemptions prévues au profit
des organismes de titrisation datent de 1993.
23 Directive 2001/108/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 21 janvier 2002, modifiant la directive
85/611/CEE du Conseil portant coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant
certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières
(OPCVM), en ce qui concerne les placements des OPCVM.
13
périmètre d'investissement des OPC,
au-delà des valeurs mobilières : « eu égard à
l'évolution du marché, il est souhaitable que les OPCVM puissent
effectuer des placements dans des instruments financiers autres que des valeurs
mobilières, dont la liquidité est suffisante ». Cette
évolution du marché, nous le verrons, correspond à la
nécessité pour les établissements de crédit de
liquéfier certains placements ou de transférer certains risques
liés aux crédits accordés que d'autres entités sont
mieux à même de supporter et de gérer.
Dès lors, les organismes de placement collectifs et FIA
vont pouvoir investir dans plusieurs instruments financiers
représentatifs d'une dette. Cependant, étant donné que les
fonds allaient être amenés à acquérir des
créances non-échues de façon habituelle, il fallait une
disposition législative spécifique pour que cette activité
échappe au monopole bancaire (art L511-6 CMF). En pratique, il s'agit
des activités des fonds communs de titrisation qui rachètent de
la dette bancaire ou des activités de certains OPCVM dits
monétaires qui investissent prioritairement dans la dette à
court-terme des entreprises (billets de trésorerie notamment), que l'on
assimile généralement à de la dette monétaire, bien
qu'ils ne soient pas des prêts au sens juridique mais s'en rapprochent au
sens économique, et les dépôts. Les fonds d'investissement
alternatifs peuvent, quant à eux, investir dans plusieurs types d'actifs
tels que des créances ou des instruments financiers à court-terme
sur le marché monétaire. Nous verrons plus tard que la mesure
dans laquelle ces différentes entités peuvent racheter des
créances bancaires diffère.
c. le crowdfunding :
La finance participative constitue une opportunité de
financement des entreprises ou des particuliers qui s'est longtemps
heurtée au monopole bancaire. Pourtant, le gouvernement, tout à
son désir de libéraliser les sources de financement, a
présenté, dans le projet de loi du 4 septembre 2013 (proposition
de Fleur Pellerin), des mesures visant à assouplir le monopole bancaire.
Ces mesures devraient intervenir d'ici la mi-2014 par voie d'ordonnance,
après le vote de la loi d'habilitation en ce sens par la loi du 2
janvier 2014 habilitant le gouvernement à prendre des mesures relatives
à la simplification et à la sécurisation de la vie des
entreprises24. Il s'agit de créer une nouvelle exemption aux
règles du monopole bancaire en
24 LOI n° 2014-1 du 2 janvier
2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie
des entreprises, qui a notamment pour objectif:
« 3° De favoriser le développement du
financement participatif dans des conditions sécurisées,
notamment en :
a) Créant un statut de conseiller en investissement
propre au financement participatif ainsi que les conditions et obligations qui
s'y attachent ;
b) Adaptant au financement participatif le régime et
le périmètre des offres au public de titres financiers par les
14
autorisant les personnes physiques autres que des banques
à octroyer des prêts via des plateformes en ligne (selon des
conditions particulières et avec des montants maximaux), ainsi que les
établissements de paiement à réaliser des prêts
participatifs avec intérêts. On voit donc qu'il s'agit, pour le
législateur, de libéraliser un secteur dans lequel les banques ne
sont pas parties-prenantes mais qui représente, pour autant, un enjeu de
financement.
d. les relations interentreprises :
L'article L511-7 du code monétaire et financier
prévoit des exemptions au bénéfice de toutes les
entreprises pour certaines opérations telles que les délais et
avances de paiement, les contrats de crédit-bail immobilier, les
opérations de trésorerie au sein d'un groupe (notamment les
crédits intragroupes25), les avances en compte courant
d'associés26, l'émission de valeurs mobilières,
de titres de créances négociables, et de bons et cartes
délivrés pour l'achat d'un bien ou service
déterminé.
2. Les exceptions fondées sur une sortie du champ ou
sur une entrée dans le champ :
Ces exceptions concernent des techniques ou mécanismes
qui n'entrent pas (ou plus) dans le champ du monopole bancaire pris au sens
strict : le monopole des établissements de crédit. Elles sont,
là encore, de deux ordres : il s'agit d'abord des techniques qui, bien
que n'étant pas juridiquement des opérations de banque au sens de
l'article L311-1 CMF, présentent des similitudes économiques avec
l'activité de crédit, de sorte qu'il nous faut montrer en quoi
elles ne peuvent être menacées par le monopole bancaire (a). Il
s'agit, ensuite, des formes les plus modernes d'exceptions qui résultent
soit d'une modification de la liste des opérations de banques par
laquelle certaines activités, traditionnellement réservées
aux établissements de crédit, sortent de la liste, de sorte
qu'elles sont hors-champ du monopole et peuvent être
exécutées par d'autres entités que les banques, soit par
l'entrée artificielle de certaines entités non-bancaires (ce qui
est paradoxal) dans le champ du monopole bancaire, cela étant
destiné à les mettre à l'abris de la violation de ce
dernier (b).
a. Les opérations sur le marché financier :
sociétés qui en bénéficient et en
modifiant le régime de ces sociétés en conséquence
; c) Etendant au financement participatif les exceptions à
l'interdiction en matière d'opérations de crédit
prévue à l'article L. 511-5 du code monétaire et
financier ; »
25 GAVALDA C., « Les crédits
intragroupes » RDBF 1991 ; BOUTEILLER P., « Groupes de
sociétés, centralisation des opérations de
trésorerie », JCP E 2001 1658.
26 HOVASSE H., « Comptes courants
d'associés et monopoles des banques » in JCP E n°12, 25
mars 2010, 1284
15
Le marché financier s'oppose au marché
monétaire. En effet, traditionnellement, on distingue ces deux
marchés en considérant que le marché monétaire
constitue le marché de l'argent à court-terme (prêts,
titres à court terme comme les billets de trésorerie, TCN
inférieurs à deux ans), qui est alors intimement lié aux
banques et met en jeu la création monétaire (mais pas seulement
car les acteurs non bancaires peuvent aussi intervenir sur ce segment), donc
présente des enjeux macroéconomiques en termes d'inflation. Le
marché financier est le marché des titres à
moyen-long-terme. De ce fait, il draine en général de la monnaie
déjà créée, et présente moins d'enjeux
macroéconomiques, il est donc moins encadré que ne le sont les
banques (l'ère de la désintermédiation et de la
dérèglementation). Pour autant, les figures économiques
réalisées sur le marché financier, si elles ne peuvent
être considérées comme des prêts au sens bancaire du
terme, s'apparentent à des techniques de crédit que les
entreprises utilisent pour se financer, et échappant ainsi au monopole
bancaire. Ainsi en est-il d'abord des obligations : ce sont des créances
monétaires émises ou rachetées sur le marché
financier primaire ou secondaire. Elles sont hors champ du monopole bancaire,
en ce sens que le droit du prêteur se moule dans un instrument financier
négociable sur le marché, contrairement au crédit par
contrat de prêt bancaire. De même, les opérations
réalisées par les contrats financiers (au sens de l'ordonnance du
8 janvier 2009) ne s'analysent pas comme des opérations de crédit
même si l'on aurait pu le penser car l'article L313-1 CMF, qui
définit l'opération de crédit, évoque l'aval, le
cautionnement ou la garantie, ce que permettent les contrats financiers. En
effet, le but des contrats financiers est la couverture d'un risque,
évènement aléatoire, entre deux personnes ; là
où la fourniture de cautionnement, aval, ou garantie de la part d'un
établissement de crédit est une opération à trois
personnes par laquelle la banque garantit son client contre la
défaillance d'un tiers.
b. Les opérations exclues ou inclues dans le champ du
monopole bancaire:
Sans rentrer dans le vif du sujet, qui nous occupera tout au
long de notre seconde partie, il s'agit de montrer ici qu'à partir du
début des années 2000, le législateur a semblé
changer de paradigme. Si pendant longtemps, et symboliquement, il a
préféré la méthode d'exemption sur la sortie du
champ, il a, sous l'effet du législateur européen, franchi le
rubicond et a porté atteinte directement au monopole bancaire en
modifiant, au gré des réformes, la listes des opérations
de banques en faisant sortir des activités de cette dernière ; ce
qui revenait, de facto, à les exclure du monopole bancaire et
à en confier la réalisation à d'autres entités que
les établissements de crédit. Ainsi en est-il des
activités de paiement avec l'ordonnance du 15
16
juillet 200927, de la fourniture de services de
monnaie électronique avec la loi du 28 janvier 201328, et,
enfin, de l'activité de crédit avec l'ordonnance du 27 juin 2013
29instituant les sociétés de financement, même
si, pour ces dernières, c'est un rattachement artificiel au
régime du monopole bancaire qui est réalisé par le
législateur afin de protéger les sociétés de
financement contre la violation de ce dernier ; pour autant, et paradoxalement,
le monopole bancaire pris au sens strict (c'est-à-dire celui des
établissements de crédit) s'amoindrit en ce sens que d'autres
entités que les banques pourront réaliser des crédits sans
pour autant violer le monopole bancaire : ce qui, de facto, et
malgré l'artifice juridique consistant à rattacher les
sociétés de financement (qui ne sont pas des banques) au monopole
bancaire, revient à faire sortir le crédit de la liste des
opérations de banque réservées aux
établissements de crédit. Face à ces évolutions,
nous serons alors conduits à nous interroger sur l'utilité du
maintien de cette « liste des opérations de banque » qui ne
fait plus grand sens tant les atteintes se multiplient et tant certaines
incohérences l'entachent.
s?
Hors des hypothèses d'exception au monopole bancaire,
toute violation est susceptible d'encourir des sanctions ; sanctions dont le
caractère plus ou moins dissuasif influera directement sur la
capacité des acteurs économiques à tenter des approches de
contournement plus ou moins directes, plus ou moins maquillées, au
monopole bancaire, afin de satisfaire leurs besoins.
C) Les sanctions du monopole bancaire :
La violation du monopole réservé aux
établissements bancaires peut donner lieu à des sanctions
pénales, disciplinaires, et civiles. Sur le plan pénal, aux
termes de l'article L571-3 CMF, la méconnaissance du monopole bancaire
selon les conditions examinées précédemment est passible
de trois ans d'emprisonnement et de 375.000€ d'amende. L'ACPR peut se
constituer partie civile à tous les stades de la procédure et
peut rendre des avis si elle est sollicitée par le présumé
coupable. Les sanctions disciplinaires peuvent émaner de l'ACPR qui peut
infliger des sanctions de nature pécuniaire. Sur le plan civil, se pose
la question du sort des opérations accomplies en violation du monopole :
en l'absence de dispositions
27 Ordonnance n°2009-866 du
15 juillet 2009 emportant transposition de la Directive sur les services de
paiement 2007/64/CE du 13 juillet 2007.
28 Loi n° 2013-100 du 28
janvier 2013 portant diverses dispositions d'adaptation de la
législation au droit de l'Union européenne en matière
économique et financière issue de la transposition de la
deuxième directive monnaie électronique du 16 septembre 2009,
dite DME 2.
29 Ordonnance n° 2013-544 du 27
juin 2013 relative aux établissements de crédit et aux
sociétés de financement
17
spéciales prévues par la loi bancaire, le droit
commun est applicable. La jurisprudence en ce sens est fluctuante, et provient
d'une divergence initiale entre chambre civile 30(pour qui il n'y a
pas lieu de prononcer la nullité de l'opération) et chambre
commerciale 31(pour qui l'annulation doit être
prononcée). Un arrêt d'assemblée plénière de
2005 32a considéré, pour mettre fin à la
controverse, que l'absence d'agrément n'était pas de nature
à entrainer la nullité des contrats conclus. La jurisprudence
postérieure, rendue à propos de faits un peu différents,
semble confirmer cette position33.
s?
Ainsi défini dans sa complexité, le monopole
bancaire apparait comme étant une nébuleuse. Les acteurs,
désireux d'échapper aux règles y afférant, devront
jouer sur les dispositions pour, éventuellement, imaginer des figures
juridiques structurées leur permettant de répondre à leurs
besoins économiques sans contrevenir au monopole bancaire. Il apparait
évident que le premier de ces besoins étant celui de
crédit - partie intégrante de la liste des opérations de
banque -, c'est autour de l'opération de crédit que se
cristallisent les enjeux les plus importants. Encore faut-il voir ce que
recouvre cette notion, afin de délimiter, en négatif, ce que les
acteurs pourront et ne pourront pas faire au regard du monopole bancaire.
§2 : Le coeur du monopole bancaire :
l'opération de crédit :
Il s'agit de montrer brièvement ce que recouvre
l'opération de crédit en droit français, et surtout dans
la loi bancaire de 1984, afin de montrer dans quelle mesure cette
définition, coeur du monopole bancaire, qui a figé l'état
du droit, a pu, par la suite, restreindre la capacité de certains
acteurs autres que les banques à agir en tant que pourvoyeurs de fonds.
Selon la loi bancaire, « constitue une opération de
crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre
onéreux met ou promet de mettre des fonds à disposition d'une
autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement
par signature tel qu'un aval, un cautionnement ou une garantie et que sont
assimilés à des opérations de crédit le
crédit-bail, et de manière
30 Cass.civ.1ère 13 oct 1982
n81-13.090
31
Cass.com 20 oct 1998, n93-17.988
32 Cass.AP. 4 mars 2005, n03-11.725, JCP E 2005,
n690, p 766 note T. BONNEAU. Cependant, cette jurisprudence peut paraitre
incertaine en ce sens qu'elle se fonde non pas sur les textes relatifs au
monopole bancaire mais à ceux relatifs aux conditions de
l'agrément bancaire.
33 Dans un arrêt
Cass.com 3 juillet 2007, la Cour estime
que la méconnaissance, par un établissement de crédit
étranger de l'exigence d'agrément ne lui fait pas encourir la
nullité pour les conventions conclues en violation des règles de
l'agrément : mais encore une fois on ne parle pas des règles du
monopole bancaire, encore moins d'une entité autre qu'une banque,
fusse-elle étrangère, qui aurait réalisé une
opération de banque.
18
générale, toute opération de location
assortie d'une option d'achat 34». L'opération de
crédit est donc plus large que le simple contrat de prêt,
même si elle l'englobe, et fait référence à de
multiples techniques contractuelles, pourvu qu'elles soient
réalisées à titre onéreux (c'est-à-dire avec
stipulation d'un taux d'intérêt). Le crédit participe
également de la création monétaire, en ce que lorsqu'une
banque prête de l'argent à son client, elle inscrit le montant en
son compte courant et créée ainsi de la monnaie scripturale.
Cependant, si la loi semble considérer que la mise à disposition
de fonds à titre onéreux est la caractéristique
essentielle de l'opération de crédit, certains ont
considéré que cela était inexact dans la mesure où
certaines figures juridiques constituent des opérations de crédit
sans qu'il y ait, pour autant, avance de fonds (ainsi en est-il en
matière de cession de créances non-échues). C'est pour
cette raison que d'aucuns ont considéré que le critère de
l'opération de crédit était plutôt le risque de
crédit attaché au prêt ou à l'exposition à
des risques de contrepartie par le rachat de créances35.
Cette définition va avoir une incidence sur la pratique, en ce sens que
la mise à disposition de fonds directe, et à titre
onéreux, par le biais d'un contrat (comme le contrat de prêt)
assorti de modalités de remboursement, d'un certain nombre de clauses
relatives aux conditions du prêt (covenants) ne pourra
être réalisée que par des établissements de
crédit, par principe, à l'exclusion des exceptions
mentionnées précédemment : ainsi, les acteurs
non-bancaires désireux de mettre des fonds à disposition de tiers
et non exemptés devront procéder autrement : utiliser un titre
financier négociable (comme l'obligation), avoir recours à des
organismes de placement collectifs, ou à des techniques originales
(comme le prêt / pension de titres) que nous verrons par la suite. A cet
égard, l'article L313-1 CMF est obscur en ce sens que, tel qu'il est
rédigé, le justiciable ne peut distinguer entre le crédit
(qui est dans le champ du monopole bancaire) et le financement obligataire (qui
en est exclu), ou d'autres types de mises à disposition de fonds,
traditionnellement hors-champ du monopole, tant la définition manque de
finesse.
s?
Après avoir cerné les contours du monopole
bancaire et de ses composantes, ainsi que ce qui en est exclu, il nous faut
désormais en apprécier les origines, c'est-à-dire les
éléments qui, en son temps, ont justifié sa mise en
place.
34 Cela est repris à l'article L313-1 du code
monétaire et financier dans sa version actuelle.
35 ANSALONI G., « Le risque de
crédit, critère de la notion d'opération de crédit
en droit français » in Banque & Droit, n°148,
mars-avril 2013.
19
Section 2 : La ratio legis du monopole bancaire
français en 1984
Il apparait que les origines de la mise en place du monopole
bancaire soient à rechercher dans des considérations de nature
économique. Si l'encadrement législatif du crédit date
d'avant 1984 et a commencé à germer dès 1945, c'est
véritablement la loi de 1984 qui l'a entériné pour des
raisons tenant à la fois à des considérations
microéconomiques (1) et macroéconomiques (2).
§1 : Des impératifs
microéconomiques : la protection des dépôts et la
stabilité financière
Selon les travaux préparatoires de la loi bancaire de
1984, le monopole bancaire se justifie notamment par la protection des
déposants quant à la liquidité de leurs
dépôts36. Au titre de la protection des
déposants, il est mis en exergue le fait que les banques doivent
être les seules à pouvoir collecter les dépôts dans
la mesure où ce sont les seules entités à être
soumises à des contrôles prudentiels exercés en son temps
par la Commission bancaire. De même, seuls les établissements de
crédits bénéficient des législations relatives aux
fonds de garantie des dépôts et sont soumis à des exigences
prudentielles en termes de fonds propres ; elles ont en outre accès aux
facilités de la banque centrale qui peut agir en tant que «
prêteur en dernier ressort » en cas de crise de
liquidité. L'idée qui est sous tendue est que la protection des
épargnants revêt un aspect d'ordre public justifiant que seules
les banques soient autorisées à collecter leur
dépôts, car ce sont les seules entités à même
de les protéger. Comme le souligne un auteur, les déposants
doivent pouvoir être assurés de la liquidité de leurs
dépôts, ce qui justifie que cette activité soit
réservée à des établissements soumis, au travers de
leur agrément, à des règles de fonctionnement et une
tutelle des autorités bancaires strictes. C'est aussi l'acception
retenue par l'Union européenne dans la première directive
bancaire de 1977 qui lie la collecte des dépôts au statut
d'établissement de crédit. Il s'agit d'éviter les risques
d'illiquidité consécutifs aux comportements de « runs
» ou de panique dont les conséquences sont néfastes
à la fois pour les déposants (qui, sans garantie, pourraient
perdre leurs dépôts) et pour le système financier dans son
ensemble (via le risque de faillite généralisée :
risque systémique).
36 ADELLE J-F., « Le monopole bancaire
constitue-il une restriction excessive aux crédits syndiqués en
France ? » in Revue de droit bancaire et financier n°2, mars
2005, étude 6.
20
§2 : Des impératifs
macroéconomiques : juguler les tensions inflationnistes
Les responsables politiques ont rapidement pris conscience de
la contribution du crédit à la situation
inflationniste37. En effet, le crédit bancaire, parce qu'il
se caractérise par de la création monétaire, est
susceptible d'alimenter l'inflation. Celle-ci était très
élevée, et avoisinait, au début des années 80, les
15%. 38 Aussi, la loi bancaire de 1984 ne pouvait pas éluder
la question : dans la décision du législateur de confier aux
banques le monopole de l'octroi du crédit, il y avait, alors, une
volonté de limiter les effets inflationnistes de cette création
monétaire en restreignant et en encadrant les entités
susceptibles de créer la monnaie. Selon un auteur39, «
si l'octroi de crédit entre dans le champ du monopole, c'est
principalement parce qu'il participe de la création monétaire et
que les autorités doivent la contrôler par le biais du
contrôle du crédit ». Ainsi, l'encadrement du
crédit a été l'instrument principal d'une politique visant
à ralentir le rythme de la progression de la masse monétaire pour
lutter contre l'inflation40. L'encadrement s'est donc fait de
façon administrative (exogène). Couplée à la
politique des taux d'intérêt, le monopole bancaire permit à
l'inflation de diminuer de façon significative après la loi
bancaire, jusqu'à atteindre 2 à 3% la fin des années
80.
s?
Bien que justifié en 1984, le monopole bancaire
français est apparu de plus en plus anachronique au fil des
années, en raison de son caractère inadapté, voire
dépassé, face aux conditions de financement des entreprises
à l'aune du 21ème siècle et face au
modèle libéral de l'Union européenne. L'adhésion de
la France au traité de Maastricht en 1992 et la création de la
zone euro a propulsé ce dernier sur le devant de la scène, le
rendant quasiment incontournable en matière bancaire et
financière.
Section 3 : Le monopole bancaire français face
aux enjeux financiers actuels et à l'Union européenne
A la vérité, les enjeux financiers actuels se
concentrent autour de la raréfaction du crédit (1) et de la
nécessité de trouver des solutions alternatives. L'Union
européenne y est, par ailleurs,
37 L'inflation est la hausse annuelle du niveau
général des prix.
38 Statistiques INSEE
39 ROUSSILLE M., « Que reste-il du monopole
bancaire ? » in Mélange AEDBF, tome VI, 2013.
40 STERDYNIAK H., VASSEUR C., «
Encadrement du crédit et politique monétaire » in
Revue de l'OFCE n°11, 1985, pp 105-136.
21
sensible, ce qui n'étonne pas dans la mesure où
elle repose sur un modèle libéral peu amène aux monopoles
(2).
§1 : Le monopole bancaire français face
à la raréfaction du crédit
Il nous faut examiner les perspectives sur le marché du
financement (A) avant de mettre en lumière leur origine prudentielle (B)
et de montrer que des acteurs tentent de jouer un rôle de substituts
(C).
A) Les perspectives sur le marché du financement
:
Comme le souligne Mario Draghi, président de la BCE,
80% de l'intermédiation de crédit passe par les banques, au sein
de l'Union européenne, et contrairement aux Etats Unis. Etant
donné le rôle essentiel que jouent les banques dans le
système, le durcissement prudentiel actuel est de nature à
inquiéter sur la capacité des banques à répondre
aux besoins de l'économie réelle étant donné les
durcissements règlementaires. La crise a entrainé une baisse
drastique du nombre de crédits en raison de la dégradation des
bilans des banques. Certaines études soulignent que cela a par ailleurs
affecté la croissance de la zone euro à hauteur de la
moitié de son déclin 41(le « credit
crunch »). Dès lors, en pareil cas, ce sont les entreprises
qui n'ont accès qu'aux banques et non aux sources alternatives de
capital (marché financier, autofinancement) qui vont se retrouver les
plus durement affectées (il s'agit souvent des PME). La crise a donc mis
en exergue une faille dans le marché européen du crédit.
Michel Barnier, Commissaire européen en charge du Marché
intérieur, souligne que face aux besoins de crédit, le
modèle actuel uniquement tourné sur les banques n'est pas
satisfaisant. En effet, les banques doivent répondre d'exigences
prudentielles toujours plus accrues.
B) Les limites du financement bancaire à l'aune de
la règlementation prudentielle :
Les crises récentes (subprimes42,
dettes souveraines) ont mis en exergue la fragilité du système
financier soumis à une multitude de risques tels que le risque de
liquidité, de solvabilité (ou de contrepartie), et le risque de
marché, que la règlementation prudentielle a pour but de
prévenir pour éviter les couts économiques et sociaux
d'une faillite bancaire et
41 Gambetti et Musso (2012)
42 Cette crise a mis en exergue les excès
d'opacité sur le marché de la titrisation des prêts
hypothécaires américains, mettant ainsi en cause les banques et
les agences de notation, et mettant en lumière les interconnections
grandissantes existant entre les différentes institutions
financières dites « à caractère systémique
».
22
promouvoir la résilience du
système43. La règlementation prudentielle est
essentiellement d'origine internationale : impulsée par les groupements
de chefs d'Etats et élaborée par le Comité de Bâle
placé près la Banque des règlements internationaux, puis
transposée par les différents Etats car elle n'a pas de force
juridique contraignante. C'est l'Union européenne qui se charge de cette
transposition par l'adoption de directives ou règlements, ensuite
relayés par les Etats44. La règlementation
proposée par le Comité de Bâle est en constante
évolution : elle commence dès 1988 avec un premier ratio de
solvabilité dit ratio Cooke obligeant les banques à
détenir au moins 8% de fonds propres pour 100 unités
prêtées. Les fonds propres sont divisés en trois
catégories : Tier 1, Tier 2 et Tier 3 en fonction de leur
solidité. En 2004, les accords de Bâle II prévoient des
mesures supplémentaires : le premier pilier, qui repose sur les fonds
propres, prévoit des exigences accrues : le ratio MacDonough
45; le second prévoit des mesures de surveillance par les
autorités nationales 46(le monitoring), et le
troisième vise transparence et discipline des marchés. Suite
à la crise des subprimes, les accords de Bâle III ont
été pris en 2010. L'accord de Bâle III est inédit en
ce qu'il double les mesures microprudentielles de mesures macroprudentielles
(surveillance des établissements) afin de prévenir les risques
systémiques. Cette approche macroprudentielle se traduit notamment par
l'introduction d'un « matelas » de capitaux contracyclique
(contracyclical capital buffers). Bâle III renforce les
exigences en matière de fonds propres47, tant en augmentant
les ratios de
43 BOURDEAUX G., « Bâle III et la
résilience du secteur bancaire » in Revue de droit bancaire et
financier n°2, mars 2012, dossier 15.
44 Directive 2006/48 concernant l'accès
à l'activité d'établissement de crédit, directive
2006/49 dite directive « CRD » (capital requirements
directive) relative à l'adéquation des fonds propres des
établissements de crédit (pour Bâle II). Pour Bâle
III, il s'agit du paquet « CRD IV » entré en vigueur le 17
juillet 2013 et composé d'une directive (Directive
2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
concernant l'accès à l'activité des établissements
de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de
crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive
2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE) et d'un
règlement, le « CRR » pour « capital
requirements regulation », le Règlement (UE) n ° 575/2013
du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les
exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit
et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n
° 648/2012.
45 Il s'agit toujours d'un rapport d'au moins 8%
entre les fonds propres et les risques pris par les banques. Néanmoins,
le risque opérationnel comme le risque de marché sont
désormais pris en compte, à hauteur respectivement de 10% et
5%.
46 Bâle II introduit également la
possibilité pour les banques de choisir d'évaluer leurs risques
selon trois méthodes : standard, notation interne, approche interne
avancée. L'idée est de contraindre les banques à
évaluer elles-mêmes leur situation.
47 On ne distingue désormais plus que le
Tier 1 (fonds propres de base : actions ordinaires et bénéfices
non distribués, composant le Core tier one, et d'autres titres
secondaires) et Tier 2 (fonds propres complémentaires). Le Core tier one
est augmenté de 2% à 4.5%. Par ailleurs, un matelas de
sécurité supplémentaire, dit volant de conservation, se
rajoute à ce ratio à hauteur de 2.5% pour atteindre les 7%. Le
ratio de solvabilité incluant Tier 1 et Tier 2 porte désormais
les fonds propres à 10.5%. Il est également rajouté au
volant de conservation un matelas contracyclique permettant aux banques
d'améliorer leurs fonds propres en période faste et de continuer
à prêter, grâce à cette accumulation, en
période difficile. L'instauration du matelas contracyclique permet en
effet de gonfler les fonds propres en période faste alors que les
banques ont tendance à les réduire car le risque est perçu
comme moins élevé : désormais, la loi prévoit des
mesures inverses.
23
base qu'en instituant des volants de conservation et en
modifiant les composantes de chaque Tier. Il est, enfin, instauré des
ratios de levier 48et de liquidité49.
Ces normes prudentielles ont eu pour conséquence
d'assécher le marché du crédit. En réponse, des
acteurs tentent, de fournir, sur le marché, un service de nature
équivalente.
C) L'apparition de nouveaux acteurs de marché tentant
de se substituer aux banques :
Les acteurs financiers non-bancaires cherchent à
fournir du crédit aux entreprises lorsque les banques sont
défaillantes. Ils espèrent ainsi conquérir le
marché du financement en investissant là où un
établissement de crédit ne l'aurait pas fait compte tenu de ses
contraintes prudentielles : dans des actifs risqués. L'exposition au
risque (leverage) est la caractéristique principale de ce qu'on
appelle souvent le « système bancaire parallèle
» ou « shadow banking system ». Elle est possible
car ces entités, non-bancaires, ne sont pas soumises à des normes
prudentielles aussi fortes ; et, pour autant, économiquement, ils
réalisent des opérations analogues 50pouvant consister
en la réception de capitaux présentant la caractéristique
des dépôts (tel est le cas des fonds monétaires ou «
money market funds »), la réalisation d'opérations
de transformation d'échéance ou de liquidité (comme le
rachat de crédit et la cession de créances non-échues), le
transfert de risque de crédit (ainsi en est-il des organismes de
titrisation). Ces entités du système bancaire parallèle
sont donc pressenties pour se substituer aux banques dans la fourniture de
financements. Pour autant, il faut examiner dans quelle situation juridique se
trouvent ces entités au regard du monopole bancaire de l'article L511-5
CMF. A la vérité, certaines entités du shadow banking
system (ci-après « SBS ») ne sont pas menacées par
les règles relatives au monopole bancaire, en ce sens qu'elles sont
exemptées par la loi. Ces dernières peuvent donc fournir des
activités s'apparentant à du crédit et entrant dans le
champ de la liste des opérations de crédit sans « maquillage
juridique » : ainsi en est-il pour les véhicules de titrisation
(organismes de titrisation) exemptés en droit français et
réalisant des opérations de rachat de dette (uniquement du
rachat, pas d'origination) (cession de créances non
échues) à titre habituel et des FIA dans la limite de ce que
prévoit la loi. D'autres sont, en revanche, directement menacées
par le
48 Rapport entre le total des fonds propres et le
total du bilan et hors bilan. Il est fixé à 3% du Tier 1. Les
expositions sont donc prises en compte dans leur totalité
(risquées ou non).
49 La finalité de ces ratios de
liquidité est de s'assurer que les banques pourrons résister
à des crises de liquidité à court moyen et long terme.
50 Livret Vert de la Commission européenne
« Le système bancaire parallèle », DOX COM
(2012) 102 final du 19 mars 2012.
24
monopole bancaire et, de ce fait, doivent, pour fournir des
services de financement, utiliser des techniques juridiques
détournées qui n'entrent pas dans la liste des opérations
de banque (c'est-à-dire dans le champ du monopole). Ces entités
ne pourront pas directement octroyer des crédits ou racheter de la
dette. Ce sont certains fonds d'investissement qui ne sont ni les FIA, ni des
OPC, certains hedge funds qui ne prennent pas la forme d'un organisme
de titrisation (fonds de gestion alternative), et les fonds monétaires
(OPCVM monétaires) qui interviennent indirectement pour financer les
entreprises : achat de titres de trésorerie à court terme (titres
monétaires), investissements en capital, achat d'obligations etc. Ces
entités, pour pouvoir exercer une activité de crédit,
auraient pu, jusqu'alors, solliciter le statut d'établissement de
crédit mais ce dernier, de par ses contraintes prudentielles,
n'était pas attractif pour elles. Le statuquo demeurait
donc.
Ces techniques, si elles présentent des analogies avec
le crédit, ne suffisent plus aujourd'hui. Les acteurs du SBS non
exemptés cherchent à prêter directement aux acteurs dans le
besoin ou à racheter de la dette sans contrevenir au monopole bancaire.
En témoigne un document de la Banque centrale irlandaise qui s'interroge
sur une libéralisation de la fourniture de crédit par les fonds
d'investissement51. Ce sont précisément ces
entités qui seront pressenties à tirer profit des
dernières évolutions législatives relatives à
l'assouplissement du monopole bancaire pris dans sa composante «
opérations de crédit ».
La conséquence de la présence de ces acteurs et
de la concurrence qu'ils exercent sur les banques est double : d'abord, un
certain déclin de fait des banques 52; ensuite, une pression
supplémentaire pour libéraliser le crédit, ce à
quoi l'Union européenne n'est pas restée insensible.
§2 : La réaction de l'Union
européenne face au monopole bancaire français :
L'Union européenne s'est construite sur un
modèle libéral. Dès le Traité de Rome de 1957, des
considérations concurrentielles apparaissent. Elles ont
été renforcées avec l'Acte Unique
51 Central Bank of Ireland, discussion paper, July
2013, « Loan origination by investment funds », disponible
ici :
http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination
%20by%20Investment%20Funds.pdf
52 Ce déclin de fait s'observe surtout parce
que d'autres entités sont économiquement capables de fournir le
même service, ce qui porterait atteinte à la
légitimité du monopole bancaire, car les conditions
économiques telles que l'inflation ne sont plus prégnantes. En
revanche, cela pose un certain nombre de risques en termes de stabilité
financière qui seront examinée en partie 3. cf : «
Disintermediation and the role of banks in Europe : an international
comparison » by SCHMIDT, TYRELL, HACKETAL in Journal of financial
intermediation, n°10, January 1998.
25
de 1986 qui signe véritablement la naissance du
Marché unique et entend remédier aux obstacles qui
empêchent son achèvement. L'idée économique
sous-tendue par l'arsenal législatif européen est simple :
l'achèvement du Marché unique passe nécessairement par la
concurrence, en ce qu'elle s'oppose aux protectionnismes nationaux et permet
d'éliminer les barrières à l'entrée qui
empêcheraient le développement d'activités
économiques transfrontalières. De la promotion de la concurrence
découlent un certain nombre de principes traduits en règles et
qui permettent d'en assurer l'effectivité : le
démantèlement des monopoles nationaux, d'une part, et d'autre
part l'édification des quatre grandes libertés de circulation
(des marchandises, des personnes, des capitaux, et des services) avec leur
pendant : la reconnaissance mutuelle ou l'harmonisation des standards. Ainsi,
l'Union européenne a toujours été défavorable aux
monopoles : en instaurant la notion de service d'intérêt
économique général (SIEG), sorte d'équivalent
européen de la notion de service public français, elle a
obligé les Etats à démanteler les monopoles sur leurs
segments rentables et à conserver les segments non-rentables sous leur
tutelle. Le parallèle peut être réalisé avec la
matière bancaire et financière. Dans ce domaine, particulier s'il
en est, le monopole bancaire français se retrouve confronté aux
objectifs de l'Union européenne en matière bancaire et
financière (A), voire en contradiction avec eux. L'Union
européenne, qui a longtemps toléré la situation, a
désormais amorcé un virage marqué en faveur d'une
harmonisation totale en la matière, mettant ainsi en cause le monopole
bancaire français (B).
A) Les objectifs de l'Union européenne en
matière bancaire et financière :
Le parachèvement du marché intérieur de
l'Union européenne pris dans sa branche financière passe par
l'aboutissement d'une véritable « Europe du crédit
», c'est-à-dire d'une Europe où tout acteur
économique, quelle que soit sa nationalité, ou son Etat
d'implantation, peut obtenir du financement de la part d'acteurs bancaires ou
non-bancaires situés de part et d'autre des frontières de
l'Union. Cet objectif impliquait, de prime abord, d'harmoniser les corpus
législatifs en matière bancaire et financière au sein du
marché intérieur. Ainsi, historiquement, c'est une harmonisation
a minima qui a prévalu. La première directive bancaire
de 1977, reprise plus tard en 2006, élabore une définition de
l'établissement de crédit mais beaucoup de libertés sont
laissées aux Etats dans la transposition. Cependant, ces textes sont
supposés permettre l'achèvement du marché intérieur
en ce qu'ils promeuvent la reconnaissance mutuelle des agréments, qui
prévaut en l'absence d'harmonisation totale, par les Etats membres,
à partir du moment où un établissement de crédit
est agréé dans un autre Etat.
26
Ainsi, la reconnaissance mutuelle permet aux EC établis
et agréés de s'installer librement ou de prester des services
dans l'ensemble de l'Union ; elle est donc la clef de voute des 4 grandes
libertés et permet de les rendre effectives.
Cependant, le monopole bancaire français entre en
contradiction avec ces objectifs. En effet, l'Union européenne, si elle
donne une définition des établissements de crédit, ne
considère nullement que ces derniers doivent se voir conférer un
monopole dans l'octroi du crédit. En effet, la lecture des directives en
matière bancaire n'établit aucun monopole et ne lie pas
l'activité de crédit au statut d'établissement de
crédit : c'est la collecte des dépôts qui lui est
indissolublement liée. Si toute entité prétendant à
la qualification d'établissement de crédit doit collecter des
dépôts pour faire des crédits, rien n'empêche
d'autres entités n'en collectant pas (et donc n'étant pas des EC
au sens du droit de l'Union européenne) de faire des crédits.
B) Le durcissement de la législation européenne
en matière bancaire :
La France, tirant profit de la possibilité qui lui
était laissée par la directive de 1977 (puis de 2006) pour
imposer des normes plus strictes que l'Union aux établissements
bancaires, instaura ainsi un monopole du crédit aux profit de ces
derniers ; monopole qui, aux yeux de l'Union européenne, ne se
justifiait pas. La conséquence de cette règlementation «
monopolistique » a été une distorsion de concurrence au
détriment des autres Etats et a empêché le marché
intérieur de s'achever dans sa dimension bancaire et financière.
Dans le même temps, cela a été néfaste pour les
acteurs en besoin de crédit. En effet, d'une part, cela a
empêché d'autres entités que les établissements de
crédit à fournir du crédit en France53,
c'est-à-dire des entités qui non seulement ne collectaient pas
des dépôts (car seuls les établissements de crédit y
sont habilités par l'article L311-1 CMF) mais qui n'étaient pas,
non plus, agrées en tant qu'établissements de crédit. Au
niveau européen, il en résultait une distorsion de concurrence
créant, en France, une barrière à l'entrée pour les
acteurs étrangers européens non-bancaires qui, dans leurs
législations, étaient autorisés à faire du
crédit sans être un établissement de crédit. Ceux-ci
ne bénéficiaient pas du régime de la reconnaissance
mutuelle en ce que la France, arc-boutée sur son monopole, n'avait pas,
dans sa législation, d'équivalent : il n'existait pas
d'agrément de crédit pour les acteurs non-bancaires, ce qui
empêchait la reconnaissance mutuelle.
53 Il existait un statut particulier, jusqu'en
2014, appelé « société financière
» et qui permettait à des entités qui ne collectaient
pas les dépôts de faire du crédit ; cependant, il
s'agissait d'une sous-catégorie d'établissements de
crédit, rattachée à eux en tant que tel, et soumise au
même régime prudentiel que les banques. Ce statut n'autorisait
pas, en effet, des acteurs purement non-bancaires, et ne collectant pas des
dépôts, à faire du crédit.
27
L'Union européenne a toléré cette
situation pendant longtemps ; n'obligeant pas les Etats récalcitrants
à s'aligner sur sa définition de l'établissement de
crédit. Cependant, la crise, la raréfaction du crédit, et
la volonté marquée de parachever le système
européen en matière bancaire et financière54,
ont été à l'origine d'une volte-face normative : l'UE, en
adoptant un Règlement plutôt qu'une directive, a amorcé le
tournant vers l'harmonisation totale de la définition
d'établissement de crédit ; forçant de facto la
France à lier la qualification d'établissement de crédit
à la collecte des dépôts et à reconnaitre,
implicitement, que d'autres entités, ne collectant pas de
dépôts, puissent réaliser des opérations de
crédit à titre habituel.
s?
De l'ensemble des constations qui précèdent, une
ligne directrice peut être trouvée. C'est à cette
problématique que le travail de recherche ici
présenté tentera de répondre. Cette dernière peut
se résumer au travers de la question suivante : en quoi les
nécessités attachées au besoin de financement des acteurs
économiques combinées au désir d'achèvement du
Marché intérieur ont-elles été à l'origine
d'une libéralisation des sources de crédit appuyée par
l'Union européenne et conduisant à une fragmentation (voire une
disparition) progressive du monopole bancaire français ?
Nous répondrons à cette question en trois temps.
D'abord, il nous faudra, au travers d'une analyse économique du droit du
monopole bancaire français, déceler les insuffisances de ce
dernier au regard des besoins de la pratique et les contournements
proposés par les acteurs (Partie 1). Puis, nous
examinerons comment le droit de l'Union européenne s'est saisi de la
question et a porté, par touches successives, atteinte au monopole
bancaire français, au point d'en réduire fortement la
portée (Partie 2). Enfin, nous terminerons notre
analyse en ouvrant sur les enjeux présentés par cette
libéralisation du crédit au regard des impératifs de
stabilité économique, révélés de
façon encore plus frappante par les récentes crises
financières (Partie 3).
54 D'ailleurs, l'établissement d'un
système de supervision unique européen (le MSU) et de
résolution unique (MRU) avec un mécanisme de sauvetage des
banques n'est pas étranger à cette évolution dans la
perception par l'UE du monopole bancaire : c'est en harmonisant totalement les
conditions d'exercice des professions bancaires et financières, ainsi
qu'en ayant une définition et un corpus juridique identique d'un Etat
membre à l'autre que l'UE pourra surveiller efficacement l'ensemble du
système. Mutualiser la surveillance implique d'harmoniser totalement les
législations en amont, donc les divergences n'étaient plus
tolérables.
28
PREMIERE PARTIE :
ANALYSE ECONOMIQUE DU MONOPOLE BANCAIRE
FRANÇAIS
Pendant longtemps, le monopole bancaire a eu des effets
positifs au regard des objectifs que le législateur lui avait
assigné. L'inflation, à la fin des années 80, est
résiduelle, et le crédit est maitrisé. Aujourd'hui, la
lutte contre l'inflation est confiée à la Banque centrale
européenne qui s'acquitte parfaitement de ce mandat. Dès lors,
rien ne semble s'opposer à ce que les règles du monopole bancaire
soient assouplies ; d'autant que, dans la pratique, les effets néfastes
de cette constriction du crédit sont nombreux (Titre 1er).
Face à ces limites, les acteurs ont donc imaginé des moyens
juridiques pour contourner les règles du monopole bancaire (Titre 2).
TITRE 1.
LES BESOINS DE LA PRATIQUE FACE AU MONOPOLE BANCAIRE
FRANCAIS
Les évolutions dans la pratique financière
depuis les années 1990 ont conduit à un changement de paradigme
important en matière bancaire. En effet, l'on est passé d'un
modèle dit « originate-to-hold » à «
originate-to-distribute ». Cela signifie que, classiquement, les
établissements de crédit octroyaient à leurs clients des
crédits dans le but de gérer une relation client de long terme et
de garder la créance résultant du contrat de prêt dans leur
bilan jusqu'à son échéance. Aujourd'hui, et sous l'influx,
notamment, des règlementations prudentielles mais aussi de
l'accroissement des risques (de contrepartie, de liquidité), les
établissements de crédit ont tendance à faire sortir de
leur bilan des créances associées à un risque important de
défaut (« counterparty risk »). Dès lors, ces
procédés que l'on nomme couramment défaisance ou «
derisking » - et utilisant la technique de la titrisation
(synthétique ou non) - sont devenus monnaie courante, à
tel point que les banques cèdent désormais souvent les
créances qu'elles détiennent sur leurs clients à d'autres
entités du système financier. Ce changement de paradigme est
d'une importance réelle en matière de monopole bancaire, en
France, en ce sens que, ces opérations de défaisance se heurtent
à des obstacles juridiques provenant directement de l'interdiction pour
d'autres entités que les établissements de crédit de
gérer des créances bancaires à titre de profession
habituelle. Ainsi, les établissements de crédit désireux
de céder leurs créances ne pourront le faire que dans le respect
de cette interdiction. En outre, obérées par leurs obligations
prudentielles, les banques, comme il a été mis en exergue en
29
introduction, ne peuvent plus assurer correctement leur
rôle de financement de l'économie. D'autres acteurs voudraient
assumer ce rôle, mais la législation les en empêche
partiellement, leur restreignant ainsi l'accès à la fois au
marché primaire de la dette (Chapitre 1er) et au
marché secondaire de la dette (Chapitre 2).
Chapitre 1er : L'intervention des investisseurs sur le
marché primaire de la dette
L'analyse économique du droit nous enseigne que les
banques ne sont qu'un élément du secteur financier qui inclue
également les marchés financiers organisés et des
intermédiaires financiers non bancaires. Les américains, en
avance sur la question, considèrent depuis longtemps que
l'intermédiation financière ne ressort d'aucun monopole bancaire,
en ce sens que la fonction d'intermédiation peut passer par d'autres
institutions financières non-bancaires qui s'acquittent de la même
tâche. Un auteur 55parle, aux Etats Unis, du déclin du
secteur bancaire car ce dernier est concurrencé directement soit par la
finance désintermédiée (à savoir le marché),
soit par l'intermédiation financière par d'autres que les
banques. L'auteur montre que ce mouvement n'est pas, en Europe, totalement
achevé en raison de législations protectrices des banques, comme
c'est le cas en France. Il plaide pour un approfondissement du rôle des
marchés financiers, de la titrisation, et de l'intervention de nouveaux
acteurs sur le marché primaire de la dette.
Le marché primaire de la dette correspond, selon le
néologisme français, au marché de « l'origination
» c'est-à-dire au marché des contrats de prêt
conclus par les banques, ce qui se traduit par de la création
monétaire. En vertu de la loi de 1984, seuls les établissements
de crédit disposent, en France, du monopole de l'origination
des crédits. Pour autant, la raréfaction du crédit
appelle des réformes dans le sens où certains secteurs
risqués de l'économie peinent, aujourd'hui, à se financer.
C'est notamment le cas du marché des LBO, leverage buy-out. Ces
opérations consistent en l'acquisition de sociétés cibles
au moyen d'un effet de levier (financier, fiscal, et juridique) et dont la
particularité réside en la création d'une
société holding, acquéreur de la cible, qui supportera la
charge de la dette. Les échéances de cette dette seront
supportées, dans les faits, par la cible, puisque la dette est
remboursée par la remontée des dividendes de la cible dans la
holding. Généralement, les opérations de LBO consistent en
des opérations financières structurées (crédits
syndiqués) avec plusieurs tranches de dette et des investissements en
capital. Les établissements de crédit sont pourvoyeurs de la
55 SCHMIDT R., HACKETAL A., TYRELL M.,
«Disintermediation and the role of banks in Europe: an international
comparison», in Journal of financial intermediation, October 1997.
30
tranche de dette dite « senior », remboursée
en priorité, et des fonds d'investissement (fonds de
capital-investissement ou encore de « private equity »)
réalisent tout à la fois des investissements en dur non
remboursables (en capital) et fournissent de la dette remboursable (dite
dette mezzanine). Compte tenu des interdictions du monopole bancaire,
cette dette est émise sous forme obligataire56. Cela pose,
comme on le verra, un certain nombre de difficultés pratiques (en termes
de droit des sociétés, de droit des entreprises en
difficultés). Ce sont ces rigidités qui justifieraient la
possibilité pour les fonds d'investissement de fournir de la dette
directement sur le marché primaire monétaire en n'ayant pas
recours aux obligations. C'est en ce sens que s'est interrogée la Banque
centrale Irlandaise57. C'est d'autant plus vrai que, la part de la
dette senior dans les opérations de LBO tendant à s'amenuiser du
fait du credit crunch, la dette mezzanine pourvue par les fonds
d'investissement est appelée à acquérir un rôle plus
important (en volume), qui justifierait que soit assoupli le monopole bancaire
pour éviter qu'elle prenne la forme d'une émission obligataire
trop rigide, les montages LBO étant soumis à de fortes variations
économiques qui rendent souvent nécessaire un
rééchelonnement de la dette, ce qui n'est pas possible (ou
très difficilement) avec des obligations alors que cela est plus simple
avec un contrat de prêt classique.
De même, c'est tout le marché des emprunteurs
présentant des risques de contrepartie élevés qui
pâtit du durcissement des conditions d'octroi du crédit. A ce
titre, on pense d'abord aux PME-PMI et aux ETI qui n'ont pas une structure
financière suffisamment solide et suffisamment d'actifs valorisables
à affecter en garantie pour que les banques les estiment dignes
d'intérêt. Ainsi, il est certainement des fonds d'investissement
ou autres entités désireux de s'engager sur le segment des PME en
difficulté ou des PME risquées afin de leur proposer des
prêts à des taux plus élevés mais leur permettant,
à tout le moins, d'accéder au crédit. D'autant que ces
fonds ont souvent des experts en matière de croissance d'entreprise et
des conseillers financiers à même de fournir des services de
conseil aux entreprises en plus des prêts octroyés. Il est
évident que, pour ces petites entreprises encore plus que pour les
entreprises sous LBO, la libéralisation du crédit apparait
nécessaire en ce sens qu'elles n'ont ni accès aux banques, ni au
marché financier (les contraintes associées à
l'émission obligataire semblent trop lourdes pour elles, sans parler des
couts de courtage). Il est donc un
56 Sauf à utiliser une banque luxembourgeoise
qui échappe aux règles d'application territoriale du monopole
57 Op.cit. Central Bank of Ireland, discussion paper,
July 2013, « Loan origination by investment funds »,
disponible ici :
http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination
%20by%20Investment%20Funds.pdf
31
segment de l'économie (les entreprises en situation
« risquée ») qui n'ont accès ni au marché
bancaire ni au marché financier. Il est donc nécessaire que des
entités autres que les établissements de crédit aient la
possibilité de se substituer aux banques, du fait de leurs contraintes
prudentielles allégées et de leur propre politique du risque,
pour fournir du crédit à ceux qui n'ont pas accès au
marché classique. Néanmoins, ce marché primaire reste
aujourd'hui trusté par les banques et nous verrons que les
contournements sur ce marché primaire sont les plus difficiles.
Les besoins sont aussi prégnants sur le marché
secondaire, même si, pour ce marché du refinancement, les
exceptions et contournements sont plus aisés.
Chapitre 2 : L'accès des investisseurs au
marché secondaire de la dette
Les règles du monopole bancaire français
constituent un frein à la liquidité, voire même à la
formation de certains marchés du financement, pourtant utiles compte
tenu du retrait des établissements bancaires de certains segments de
marché. Ainsi en est-il du marché du refinancement des
prêts bancaires. Ce marché existe bel et bien dans la mesure
où, sur inspiration américaine, la libre cessibilité des
crédits bancaires est devenue une norme dans la plupart des pays
européens. La clause qui, dans un contrat de prêt bancaire «
classique », prévoit la libre cessibilité du crédit
bancaire en question facilite l'accès des entreprises au marché
du financement primaire, et ce indirectement. Pourtant, ces opérations
sont interdites, en France, aux fonds d'investissement et autres hedge
funds en vertu des règles relatives au monopole bancaire, la
cession de créance non-échue étant assimilée
à une opération de crédit. Cela réduit
considérablement le champ des possibles, et obère la formation
d'un véritable marché secondaire du financement, qui demeure
partiel car rendu illiquide du fait des barrières à
l'entrée existantes pour les acteurs. La mobilisation de créances
sur l'économie réelle, sans subir les contraintes applicables
à l'activité de crédit, présente pourtant des
intérêts économiques majeurs (Section 1). Elle se
réalise par la cession de créances non-échues (Section 2),
et révèle, en exergue, les enjeux économiques des besoins
de la pratique (Section 3).
Section 1 : L'intérêt économique du
rachat de dette par les investisseurs
Les raisons pouvant encourager le législateur à
étendre le champ du monopole bancaire pour développer le
marché secondaire de la dette au profit de nouveaux cessionnaires
potentiels
32
sont doubles : cela avantagerait, en effet, à la fois
les établissements de crédit cédants (1) et les
débiteurs cédés (2).
§1 : L'intérêt pour les
établissements de crédit cédants
Les banques sont confrontées à un certain nombre
de problèmes qui ont été particulièrement mis en
exergue lors de la crise. En effet, elles sont notamment exposées au
risque de contrepartie, c'est-à-dire au risque de faillite de leur
client, ce qui les menace directement dans la mesure où elles risquent
de ne plus pouvoir faire face à leurs propres créanciers,
à savoir les déposants (risque de « run » des
dépôts). Ce risque de contrepartie est d'autant plus insidieux
qu'il n'est pas toujours connu, encore moins maitrisé : en premier lieu,
la solvabilité des clients peut se dégrader brusquement sous
l'effet de la conjoncture. En second lieu, lorsque la banque détient des
créances titrisées qu'elle n'a pas émises elle-même,
le voile d'opacité pesant sur ces dernières empêche les
banques d'avoir une vision claire des risques qui leur sont attachés
(sachant que cela a été renforcé par l'incapacité
des agences de notation à proposer une évaluation objective).
Enfin, aux yeux des tiers, et des créanciers de la banque (les
déposants), la comptabilisation des actifs à leur valeur
historique 58(avant la crise) ne renseignait pas sur les
éventuelles dépréciations subies par ces derniers, ce qui
donnait une image biaisée de la solvabilité des banques. Face
à ces risques, disséminés dans leurs bilans, les banques
ont intérêt à pouvoir, en cas de besoin,
transférer certaines créances risquées
(c'est-à-dire celles attachées à un risque de contrepartie
élevé) à d'autres acteurs présents sur le
marché secondaire de la dette. Elles y ont d'autant plus
intérêt que le renforcement des exigences prudentielles les oblige
à respecter des ratios de fonds propres et de leviers financiers (la
prise de risque) de sorte que certaines créances trop risquées
doivent, mécaniquement, sortir de leurs bilans afin de leur permettre
une mise en conformité, d'une part, et d'autre part la
possibilité de réaliser des prêts nouveaux et
potentiellement moins risqués aux acteurs économiques. Ces
procédés dits de « défaisance » ou de «
derisking », consistent en une sortie de bilan des
créances risquées, qui seront mieux assumées par des
acteurs dont c'est la spécialité et qui répondent
d'exigences prudentielles allégées, car ils ne collectent pas les
dépôts du public. La cession de ses créances permet en
effet aux banques de retrouver de la surface financière et de satisfaire
les ratios ainsi que de nouveaux emprunteurs.
58 Ce problème est en partie résolu
par l'adoption et la généralisation des standards IFRS au niveau
de l'Union européenne qui préconisent une approche de
valorisation des actifs à leur « fair value »
c'est-à-dire à leur valeur de marché, qui prend en compte
leurs dépréciations, et non leur valeur
historique. cf :
Règlement (CE) no 1126/2008 de la Commission du 3 novembre 2008
portant adoption de certaines normes comptables internationales
33
Enfin, notons que plus le risque pris par les banques est
élevé, plus les exigences prudentielles se renforcent : cet effet
« pro-cyclique » aboutit à réduire les
crédits en cas de crise, alors que l'économie en a cruellement
besoin. L'avantage, dans pareille hypothèse, de céder les
créances douteuses, est de se voir appliquer des standard prudentiels
moins contraignants car les risques sont sortis du bilan afin de restaurer une
activité bénéfique à l'économie
réelle (l'effet est donc « contra-cyclique »).
Cependant, pour que de telles opérations soient
possibles, encore faut-il que le marché secondaire de la dette soit
liquide, c'est-à-dire qu'il présente un nombre suffisant
d'acheteurs. Aujourd'hui, seuls les organismes de titrisation et certaines
compagnies d'assurance se partagent ce marché car ils sont
exemptés des règles sur monopole bancaire. D'autres tels que les
fonds d'investissement souhaiteraient y entrer mais se heurtent à des
règlementations. Pourtant, peut-être plus que les organismes de
titrisation, ces fonds sont à même de répondre aux attentes
des débiteurs dont les dettes bancaires ont été
cédées.
§2 : L'intérêt pour les
débiteurs cédés
Les débiteurs qui voient leurs dettes bancaires
cédées par les banques à des tiers sur le marché
secondaire sont, souvent, des entreprises en difficulté, compte tenu du
risque de défaut attaché à la dette. Ces entreprises, qui
représentent, alors, une menace pour la stabilité
financière des banques, vont possiblement se retrouver mises en contact
avec les entités cessionnaires de leurs prêts auxquelles elles
devront s'adresser pour la gestion et le remboursement de leur dette. Dans un
modèle idéal, ces entités devraient pouvoir proposer
à ces entreprises en difficulté des aménagements et des
services que les banques n'étaient pas en mesure de leur offrir compte
tenu de leurs contraintes prudentielles. En effet, ce que recherchent avant
tout ces entreprises est un interlocuteur à même de leur consentir
des avantages par rapport à la banque. Une entité cessionnaire
qui serait davantage apte à gérer des créances
risquées pourrait, alors, proposer aux entreprises en situation
délicate des délais de paiement supplémentaires, des
modifications de l'échéancier de remboursement, une
restructuration des lignes de crédit, et la modification des
covenants59, comme par exemple la fin de
l'exigibilité anticipée du crédit. Cette
renégociation du prêt est rendue primordiale pour l'entreprise
en
59 Les clauses de « covenants »,
caractéristiques des opérations de prêt, stipulent
généralement un certain nombre d'engagements de la part de
l'emprunteur, destinés à protéger les prêteurs, et
qui portent en général sur la structure financière du
débiteur en l'empêchant de conclure un certain nombre
d'opérations qui auraient une influence sur la masse de leur actif
(aliénation d'éléments d'actifs, octroi de
sûretés et garanties). Il s'agit également du respect de
certains ratios financiers. L'inobservation des covenants est très
dangereuse en ce sens qu'elle peut engendrer l'exigibilité
anticipée de la dette lorsqu'elle est associée à une
clause en ce sens.
34
difficulté, et peut assurer sa survie, notamment si
l'exigibilité anticipée est atténuée ou
supprimée. Ce que recherchent donc les débiteurs
cédés est une vraie relation client qu'ils ont tout
intérêt à trouver sur le marché secondaire. A
l'heure actuelle, comme nous le verrons, les entités autorisées
à effectuer le rachat de créances bancaires ne sont pas
spécialisées dans la gestion client, ce qui représente un
manque à gagner pour les entreprises 60alors que certains
fonds d'investissement, spécialisés dans la dette, se sont
montrés désireux de s'engager sur ce segment de la
renégociation de dette sensible 61(« distressed
debt »). Prohiber l'entrée de ces fonds sur le marché
secondaire de la dette revient à promouvoir un mécanisme qui
avantage uniquement les banques : celles-ci peuvent céder et
transférer leurs risques, alors que les débiteurs
cédés ne pourront obtenir renégociation de leur dette, ce
qui les expose aux mêmes conséquences de défaut.
Examinons à présent ce que l'on entend
juridiquement par le rachat de dette : il s'agit du mécanisme de cession
de créance non-échue.
Section 2 : Les modalités juridiques du rachat de
dette
Le rachat de dette est réalisé au moyen du
mécanisme juridique de la cession de créances non-échues
(1), dont le régime juridique est caractérisé par
l'assimilation pure et simple à une opération de crédit
(2) ce qui emporte, évidemment, des conséquences au regard du
monopole bancaire.
§1 : La cession de créances
non-échues, le mécanisme 62:
Le mécanisme de cession de créance
non-échue appliqué à la matière bancaire consiste
en le transfert de cette créance bancaire des livres de
l'établissement de crédit au bilan de l'entité d'accueil,
cessionnaire, qui doit préalablement être créée (le
véhicule) et doit être autorisé à recevoir de telles
créances au regard du monopole bancaire. Concrètement, ce
mécanisme est un mécanisme de titrisation de créance. La
titrisation a été introduite dans notre droit pour des raisons
tenant notamment à sa finalité : permettre le refinancement. La
cession de créance non-échues correspond à la forme
classique de titrisation : celle avec transfert de créance
60 Les organismes de titrisation, provenant du
monde de l'assurance ou non, ont procédé récemment
à des rachats massifs de prêts bancaires sur les ETI mais cela
représente un risque pour les entreprises cédées en ce
sens que leur capacité à obtenir la renégociation de leur
dette est douteuse car ce n'est pas le métier de ces organismes, ils ne
proposent pas de relation client.
61 Tel est le cas du fonds d'investissement Ardian,
ancien Axa Private Equity.
62 COURET A., et al, « Droit financier
», Précis Dalloz, 2ème édition
35
effectif, contrairement à la titrisation dite
synthétique63. Il s'agit ici d'un véritable
transfert de propriété de la créance. Dès lors, un
choix est ouvert au cédant : soit la banque cédante reste unique
interlocuteur du débiteur cédé pour le recouvrement
(« dans le cadre d'une convention définie par
l'établissement cédant et la société de gestion
», art L214-46 CMF), soit elle confie le recouvrement à
l'entité cessionnaire, qui sera alors subrogée dans ses
droits.
§2 : La cession de créances
non-échues, le régime juridique :
Le régime juridique de cette titrisation est
allégé, en ce sens que l'article L214-43 al 9 CMF dispose que
seule la remise d'un bordereau permet de réaliser la titrisation. Le
débiteur n'est informé que dans les cas où le recouvrement
est confié au cessionnaire et ce par lettre simple.
Mais les développements les plus intéressants se
situent précisément autour des aspects du régime juridique
qui intéressent le monopole bancaire. En effet, la question de la
licéité de telles opérations vient à se poser en
fonction des entités cessionnaires de créances bancaires. La Cour
de cassation assimile, en effet, la cession de créance non-échue
à une opération de crédit64, interdisant de
facto aux entités non exemptées de réaliser de telles
opérations. Cette extension n'allait pas de soi, en ce sens que
l'opération de rachat de dette ne constitue pas directement «
l'origination » de crédit. Pour autant, la solution de la
Cour de cassation n'étonne guère dans la mesure où
l'opération aboutit à placer le cessionnaire en position de
fournisseur de crédit ayant consenti une avance de fonds au
débiteur, surtout du fait que la créance est
non-échue65. Ainsi, la cession de créance
non-échue entre pleinement dans le champ des opérations de
crédit de l'article L311-1 CMF et des interdictions de l'article L5115
al 1er CMF. Dès lors, et en l'état actuel du droit, le
véhicule de dette destiné à recueillir les créances
bancaires devra nécessairement être un organisme de titrisation au
sens de l'article L511-6 CMF66. Cela constitue une restriction
excessive dans la mesure où d'autres entités désireraient
investir sur ce segment du rachat de dette.
63 Seuls les risques sont transférés
: la créance originale reste dans le bilan de la banque, le
débiteur continue d'honorer ses échéances auprès de
cette banque, alors qu'un tiers (une entité externe) prend, quant
à elle, à sa charge, les risques de défaut du
débiteur. Ainsi en est-il avec les CDS (credit default swap)
qui sont une forme de titrisation synthétique.
64 Cass.crim 20 février 1984, 83-90.738,
Bull.crim n°62, RTD Com 1986, 316, obs. Cabrillac et Teyssié, D
1985 IR, 327, obs. Vasseur, mentionné aux tables du recueil Lebon.
65 CHVIKA E., « L'acquisitions de
créances bancaires à l'épreuve du monopole bancaire
», in Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013,
étude 23.
66 SCHMIDT D., MOULIN F., « Les fonds de
dette : un environnement juridique et financier favorable à leur
développement ? » in Revue de droit bancaire et financier,
n°6, novembre 2012, prat. 6.
36
Ces deux premières sections ont mis en exergue les
besoins de la pratique qui vont bien au-delà des contraintes que le
monopole bancaire continue de leur imposer, à tel point qu'on en vient
à s'interroger sur la pertinence économique du maintien de ce
dernier.
Section 3 : Les enjeux économiques des besoins de
la pratique
Conformément aux principes qui irradient le droit
communautaire, les restrictions imposées par le monopole bancaire sur
les opérations de crédit doivent respecter les exigences de
proportionnalité : l'occasion pour nous de vérifier si les
circonstances qui ont présidé à son élaboration
sont toujours d'actualité. Or, il semble que ce soit le
contraire67. En effet, les justifications tenant au contrôle
de la masse monétaire et à la maitrise de l'inflation ne sont
plus tangibles dans le sens où l'inflation est maitrisée et son
mandat confié à la Banque centrale européenne, ce qui en
fait un enjeu non plus national mais européen. Si la circonscription du
monopole bancaire à la réception des dépôts reste
légitime, il n'en va pas de même pour les crédits.
L'activité des hedge funds, par exemple, ne contribue pas
à l'augmentation de la masse monétaire (contrairement à un
EC) en ce sens qu'ils ne reçoivent pas de dépôts du public
et ne créent pas de la monnaie au sens strict : ces fonds ne peuvent
prêter sans préalablement avoir acquis les fonds sur le
marché financier 68(donc par définition de la monnaie
déjà créée, qui sera ici réemployée,
ce qui n'augmente pas la masse monétaire l'inflation). Dès lors,
il est urgent de proposer des assouplissements pour répondre aux besoins
des acteurs économiques. En l'absence de réponses pertinentes, en
effet, ces derniers imaginent alors des stratégies de contournement.
TITRE 2 :
LES INSUFFISANCES DU CADRE LEGAL ET LA TENTATIVE
DE
CONTOURNEMENT DES ACTEURS
Confrontés aux limites du cadre législatif, les
acteurs, toujours amènes aux stratégies de contournement, ont
proposé des solutions pour contrecarrer la législation applicable
en matière de monopole bancaire. Concrètement, ces
stratégies juridiques peuvent prendre deux formes, plus ou moins
audacieuses et présentant plus ou moins de risques juridiques : en
effet,
67 ADELLE J-F., « Le monopole bancaire
constitue-il une restriction excessive aux crédits syndiqués en
France ? » in Revue de droit bancaire et financier, n°2, mars
2005, étude 6.
68 VERMEILLE S., « Règle de droit
et développement des modes de financements alternatifs au crédit
bancaire, ou l'inadaptation du droit français à
l'évolution de l'économie et de la finance » in Revue
trimestrielle de droit financier, n°2, 2012.
37
elles consistent en des stratégies de contournement
indirect du monopole bancaire (Chapitre 1er) ou d'atteintes directes
(Chapitre 2).
Chapitre 1er : L'approche
indirecte, le contournement des règles du monopole bancaire
Confrontés à la fois à des besoins de
financement importants et aux limites juridiques imposées par la
législation relative au monopole bancaire, les acteurs ont dû
envisager des solutions alternatives au titre desquelles on trouve les
contournements aux règles du monopole bancaire. Il s'agit alors de
poursuivre la même finalité économique que permet
l'opération de crédit par le contrat de prêt (l'obtention
de crédit au sens large : c'est-à-dire l'obtention de
financement) mais en utilisant des modalités juridiques
différentes. Le point commun de ces approches est leur caractère
sécurisé au regard de la législation sur le monopole
bancaire : en effet, ces techniques reposent sur des régimes juridiques
différents du contrat de prêt, de sorte qu'il n'existe pas, a
priori, de risque de requalification en opération de crédit.
Il s'agit ainsi du recours à l'émission obligataire (Section 1),
à la titrisation (Section 2), à la pension de titres (Section 3),
ou enfin du recours aux OPCVM monétaires, encore nommés fonds
monétaires (Section 4). Néanmoins, nous verrons que ces
techniques de contournement demeurent imparfaites car les véhicules ou
techniques juridiques utilisés n'offrent pas, économiquement,
toutes les potentialités qu'offrirait l'opération de
crédit elle-même. Ces limites seront, ainsi, à rechercher
dans les régimes mêmes de ces opérations, bien que la
plupart d'entre elles présentent, à tout le moins, l'avantage
d'être soit hors champ du monopole bancaire, soit dans le champ mais
explicitement exemptées par l'article L511-6 du code monétaire et
financier.
Section 1 : Le recours à l'émission
obligataire
L'émission obligataire est traditionnellement
déclarée hors du champ d'application du monopole bancaire. En
effet, comme nous l'avons évoqué précédemment, ces
créances monétaires émises ou rachetées sur le
marché financier primaire ou secondaire sont hors champ du monopole
bancaire, en ce sens que le droit du prêteur se moule dans un
instrument financier négociable sur le marché, contrairement
au crédit par contrat de prêt bancaire. Le législateur n'a
pas estimé nécessaire d'inclure ces opérations le champ du
monopole bancaire
38
car l'achat d'obligations et leur émission n'engendre
pas de création monétaire. Les titres obligataires sont
émis sur le marché financier (et non monétaire) et les
fonds investis par les épargnants correspondent à de la monnaie
déjà crée, ce qui n'augmente pas la masse monétaire
et justifie que l'Etat abandonne son droit de regard au titre de la politique
économique. L'émission obligataire sur le marché financier
a longtemps été réservée à des
sociétés d'une certaine importance. En effet, l'accès au
marché financier (c'est-à-dire l'accès aux investisseurs
en capacité de financement, par le biais du marché qui met en
contact les acteurs en besoin et capacité de financement) requiert des
formalités lourdes et est encadré par le droit. En effet, la
société doit procéder, le plus souvent, à une offre
au public de titres financiers, ce qui la rend éligible aux obligations
ponctuelles d'information du marché (le prospectus69). Elle
peut se dispenser de telles obligations par le recours à des
investisseurs qualifiés ou si le montant des émissions
dépasse 100.000 euros, ce qui est peu probable pour une ETI. De
même, l'entreprise peut aussi avoir intérêt à
solliciter l'admission de ses titres à négociation sur un
marché règlementé, auquel cas elle devra non seulement se
conformer aux obligations relatives au prospectus (allégé dans
l'hypothèse d'admission d'obligations) mais devra également
fournir des informations permanentes au marché70. Il convient
de préciser qu'une telle admission suppose nécessairement
l'adoption de la forme sociale de SA ou de SCA. De même, il existe des
restrictions pour certaines formes sociales en matière d'offre au public
(on pense aux SAS, art L227-2
C.Com, aux SARL...). Les ETI peuvent donc
difficilement accéder au marché obligataire car, même en
adoptant une forme sociale adéquate, elles risquent d'être
incapables de fournir les investissements nécessaires pour se conformer
aux obligations existant (prospectus, information). De plus, on a du mal
à imaginer le recours à des investisseurs qualifiés ou
l'émission de titres de fort montant pour ces entreprises. Or ce sont
précisément elles qui souffrent le plus de la pénurie de
crédit bancaire, présentant souvent des situations
financières plus fragiles leurs restreignant l'accès au
crédit.
69 Directive n°2003/71/CE du Parlement et du
Conseil du 4 novembre 2003 relative au prospectus à publier en cas
d'offre au public de valeurs mobilières à la négociation,
modifiée par la suite à plusieurs reprise, la dernière en
date étant la Directive 2010/73/CE du Parlement Européen
et du Conseil du 24 novembre 2010 modifiant la directive 2003/71/CE concernant
le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs
mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières
à la négociation et la directive 2004/109/CE sur l'harmonisation
des obligations de transparence concernant l'information sur les
émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la
négociation sur un marché réglementé.
70 En effet, l'admission des titres à
négociation sur un marché règlementé emporte un
statut permanent caractérisé par l'obligation de fournir au
marché des informations permanentes ou périodiques, voire
ponctuelles, en vertu de la directive dite « Transparence » :
directive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15
décembre 2004 sur l'harmonisation des obligations de transparence
concernant l'information des émetteurs dont les valeurs
mobilières sont admises à négociation sur un marché
règlementé modifiée récemment par la
Directive 2013/50/UE du Parlement européen et du Conseil du 22
octobre 2013.
39
Toutefois, face à la raréfaction du
crédit, il semble que le législateur et les parties prenantes sur
secteur financier aient eu à coeur de remédier aux
difficultés d'accès de certains acteurs au marché
obligataire, notamment les ETI. Ainsi, les initiatives se multiplient :
placements privés sur le marché américain,
émissions obligataires hypothécaires, dette « high yield
» (à haut rendement, donc à haut risque) pour les
opérations de financement d'acquisitions à effets de levier,
fonds commun de placement obligataire Micado regroupant plusieurs PME-ETI
cotées71É
Si l'on se concentre plus particulièrement sur les
initiatives relatives à la l'accès des ETI au marché
obligataire, pour qui il existait, de fait, des barrières à
l'entrée, on peut faire état de l'initiative d'Euro Private
Placement, qui s'est développé en ouvrant le marché
du financement aux ETI non-notées, disposant d'une structure
financière plus fragile et des besoins de financement réduits.
Cela permet une avancée mais, en raison des risques attachés
à ces émissions, les financial covenants ou les
negative pledges sont plus importants que dans les émissions
classiques. Néanmoins, on peut se réjouir de l'accroissement de
la liquidité de ce marché high-yield. Dans la même
veine, des fonds de dettes (tels que Micado - initiative « Micado
France 2018 ») se sont spécialisés dans l'accès
des PME-ETI au marché obligataire. La technique repose sur l'idée
suivante : les entreprises PME-ETI en besoin de financement sont réunies
au sein de fonds de dettes. L'idée étant ainsi de mutualiser
leurs besoins pour avoir des émissions plus conséquentes de
nature à attirer l'investisseur72. Cela permet
également aux émetteurs de mutualiser les couts et de
réaliser des économies d'échelle. Concrètement, des
investisseurs souscrivent les parts du fonds de dettes Micado émises sur
le marché par lui et ce dernier investit, ensuite, auprès d'un
consortium limité d'émetteurs dont les obligations sont
cotées sur le marché Alternext73. Les avancées
permises par la réforme du code des assurances à
l'été 201374 vont dans le même sens avec la
création des fonds de prêt à l'économie
régis par les articles R332-2 et R332-14-2 du code des
assurances75.
71 FISZELSON E., « Le monopole bancaire
a-t-il vécu? » in Les Echos, 15/10/2012.
72 SEBIRE M-E., « Le placement de l'emprunt
obligataire » in Revue de droit bancaire et financier n°1,
janvier 2014, dossier 3.
73 Au total, 14 émissions obligataires ont
été réalisées dans le cadre de cette initiative
pour un montant de 60 millions d'euros, permettant ainsi à des
entreprises privées de l`accès au marché obligataire de
s'y faire une place.
74 cf : supra, introduction.
75 Ainsi, suite à la réforme, des
fonds dits Novo (acronyme pour « nouvelles obligations »)
ont été créés Novo 1 et Novo 2
sous l'égide de la Caisse des dépôts et
consignations et de la Fédération française des
sociétés d'assurance. Ces fonds sont destinés à
financer les PME ETI avec 1 milliard d'euros levés auprès de 21
investisseurs dont 18 assureurs et d'autres investisseurs institutionnels.
40
L'on ne peut que se féliciter de ces mécanismes
qui permettent un accès des PME-ETI au marché obligataire
à moindre cout (les couts du placement, les couts de prospectus, les
frais d'avocats sont minimisés). Pour autant, des couts et autres
rigidités demeurent, que ce soit pour les ETI ou les grandes
entreprises. Le recours à l'instrument obligataire n'apparait pas
toujours, malgré les avancées, comme une fin en soi. Outre la
lourdeur des régimes du prospectus et d'information du marché, le
recours à l'obligation risque de présenter des couts non
négligeables pour les entreprises à risque : en effet, la
prohibition de l'usure, applicable en matière de contrat de
prêt, n'est pas applicable en termes d'obligations, ce qui laisse le
champ libre aux investisseurs pour fixer un prix parfois dirimant,
calqué sur le risque, notamment si les investisseurs ne sont pas
investment grade 76(sans parler des covenants). Les
récentes ouvertures ne répondent que partiellement à ces
défauts.
En outre, le recours au procédé obligataire
présente des rigidités intrinsèques à l'utilisation
de cet instrument financier, qui proviennent de son régime, à la
fois dans le code monétaire et financier et dans le code de commerce, et
qui rendent ce dernier moins attractif que l'utilisation du prêt bancaire
classique. En effet, si l'on prend l'exemple de la dette mezzanine
émise, dans les opérations de LBO, sous forme d'obligation et
acquise par les fonds d'investissement (private-equity), on peut
constater un certain nombre de contraintes liées à l'application
des règles obligatoires du droit des sociétés en
matière d'obligations, et notamment des règles protégeant
les droits des obligataires. En effet, la modification des modalités
relatives aux obligations (les termes, les conditions des titres) requiert la
constitution d'une masse des obligataires et toute modification doit être
votée à la majorité qualifiée. Ces contraintes
peuvent aboutir à une rigidification des relations
créanciers-débiteurs, car le représentant de la masse
obligataire n'a pas le pouvoir d'accorder au débiteur en
difficulté des mesures de clémence (des « waivers
») comme le ferait le banquier dans le cadre d'un contrat de prêt.
Pour accorder de telles mesures de clémence, il faudrait en
théorie convoquer et réunir une assemblée des obligataires
d'une même classe conformément aux conditions strictes
(délais, formalités, modalité de vote, quorums)
fixées par la loi. Ainsi, sur un plan juridique, l'émission
obligataire manque de flexibilité par rapport au contrat de
prêt (possibilité de renégocier, d'obtenir des
délais de paiements, une modification des covenants après une
simple « négociation » avec le banquier et non à
l'issue d'un processus complexe).
76 SEBIRE M-E., FERRERE R., TESSLER V., «
La documentation de l'emprunt obligataire » in Revue de droit
bancaire et financier, n°1, janvier 2014, dossier 4.
41
L'émission d'obligations répond surtout aux
besoins des acteurs sur le marché primaire (celui du financement direct
- prêts non émis). La titrisation, quant à elle,
répond des besoins du marché secondaire (le refinancement des
prêts risqués déjà émis).
Section 2 : Le recours à la titrisation
Tout au long du titre 1er, nous avons
démontré en quoi les acteurs économiques avaient un
intérêt à ce qu'il existe un marché du refinancement
liquide et performant, afin de permettre aux entreprises débitrices de
crédits à risques d'obtenir des concessions sur la structure de
leur dette et aux établissements de crédits originateurs
d'améliorer la structure de leurs bilans. La titrisation est une
réponse partielle à ses besoins. Elle présente
l'avantage d'être un mécanisme juridique sécurisé au
regard de la législation sur le monopole bancaire. Pour autant, elle ne
représente une aubaine que pour les établissements de
crédit cédants, et ne répond pas aux attentes des
débiteurs. La titrisation est avant tout une technique
financière, qui consiste en la transformation de créances en
titres négociables qui prendront la forme d'actions ou de parts et
seront émis, sur le marché, par des organismes de titrisations,
tout en étant adossés aux créances cédées.
D'origine américaine, la titrisation est apparue en France avec une loi
de 198877. Le dispositif a été amendé à
plusieurs reprises et notamment en 1993 78et 200879. La
titrisation trouve à nous intéresser en ce sens que les
établissements de crédit ont pu tirer profit des dispositions
précédemment exposées pour faire sortir de leur bilan des
créances risquées et ainsi améliorer leurs ratios de
solvabilité et faire de nouveaux prêts. Concrètement,
l'établissement de crédit peut utiliser plusieurs
modalités80, mais l'objectif principal est, pour lui, le
refinancement des crédits. Il est bien entendu que, pour se refinancer,
l'établissement de crédit ne peut pas titriser seul et
céder ensuite le titre négociable sur le marché. Il faut
qu'intervienne une tierce partie, à savoir l'organisme de titrisation
sur lequel
77 Loi n°88_1201 du 23 décembre 1988.
78 Loi n93_6 du 4 janvier 1993 relative aux
sociétés civiles de placement immobilier, aux
sociétés de crédits fonciers et aux fonds communs de
créances.
79 Ordonnance n°2008_558 du 13 juin 2008,
intervenue en pleine crise financière, dont le but était
d'encadrer la titrisation en en préservant les effets économiques
positifs, transposant la directive 2005/68/CE du 16 novembre 2005 relative
à la réassurance et réformant le cadre juridique des fonds
communs de créances.
80 L'établissement de crédit peut
choisir un mécanisme de titrisation classique, caractérisé
par une sortie de la créance bancaire de son bilan, ensuite
transformée en titre et acquise par l'organisme de titrisation. Dans un
pareil cas, qui est le plus utilisé si la banque poursuit un motif de
refinancement, la banque se sépare de la créance et peut confier
au cessionnaire (organisme de titrisation) la gestion de la dette
associée (le débiteur, informé, payera désormais le
cessionnaire pour les échéances) à moins ce que la banque
reste l'interlocuteur du débiteur pour le remboursement, à charge
de céder au cessionnaire ces produits. L'établissement de
crédit peut aussi choisir un mécanisme de titrisation
synthétique : on passe de la titrisation des créances à
celle des « risques » : la créance reste dans le patrimoine de
la banque mais elle n'en assume plus les risques économiques (le
défaut de la contrepartie) qui seront intégralement pris en
charge par une entité tierce au moyen d'un contrat tel que le Credit
default swap (contrat dérivé).
42
repose tout le modèle. La loi de 1988 a
créée ainsi les fonds communs de créance, devenus plus
tard organismes de titrisation (en 199681). Sous cette
dénomination, le législateur englobe à la fois des OPCVM
(organismes de placement collectifs spécialisés dans la
titrisation et distincts des autres OPCVM82, « fonds de
titrisation ») non dotés de la personnalité morale et devant
être chapeautés par une société de gestion de
portefeuille agrée par l'AMF et les sociétés de
titrisation, dotées de la personnalité morale.
En matière de refinancement bancaire, sur le
marché secondaire, puisque c'est ce qui nous occupe, le
mécanisme, comme nous l'avons précédemment
évoqué, consiste en une transformation des prêts bancaires
en titres acquis par l'organisme de titrisation. Ces créances bancaires
sortent ainsi du bilan de la banque qui se débarrasse des risques et
retrouve de la surface financière du fait du rachat et de la perception
de la valeur de la créance cédée. L'organisme de
titrisation acquéreur va, lui, parallèlement, procéder
à une émission de titres (si c'est une société de
titrisation) ou de parts représentatives (si c'est un fonds commun de
titrisation) de cet organisme. Le produit de la souscription de ces parts,
émises sur le marché et acquises par les investisseurs permettra
à l'organisme de titrisation de financer l'acquisition des
créances bancaires titrisées. Au final, l'organisme sert
d'intermédiaire entre le marché et les banques et permet de
fluidifier le refinancement en drainant l'épargne publique au sein d'un
véhicule de titrisation spécialement dédié à
l'investissement dans de la distressed debt.
De prime abord, ce mécanisme semble efficace à
plusieurs égards. D'abord, il permet aux banques de se refinancer et
permet aux entreprises titulaires de dette risquée de ne pas se voir
imposer de conditions plus strictes (mise en oeuvre de covenants,
exigibilité anticipée) par la banque qui confie à une
entité spécialisée dans les placements risqués - et
donc plus tolérante à la distressed debt et soumise
à des exigences prudentielles moins strictes - ses clients. On peut
raisonnablement penser qu'une banque désireuse d'alléger son
bilan choisira l'option d'informer le débiteur de la titrisation de ses
dettes afin que ce dernier traite désormais directement avec l'organisme
de titrisation pour le paiement des échéances du prêt.
Ensuite, ce mécanisme, comme on l'a dit, n'encoure pas de sanctions pour
violation du monopole bancaire : bien que l'opération de cession de
créance non-échues ait été reconnue comme une
opération de crédit, les organismes de titrisation sont
expressément exemptés par l'article L511-6 du code
monétaire et financier des sanctions relatives à la violation du
monopole. Ce mécanisme devrait donc suffire à créer un
véritable marché du refinancement pérenne.
81 Loi n°96-597 du 2 juillet 1996
82 Article L214-1, I, 2° du code monétaire
et financier
43
Pour autant, la titrisation n'est pas une solution optimale.
L'analyse économique du droit en la matière permet de montrer
qu'elle ne répond que partiellement aux besoins des acteurs mis en
exergue dans le titre précédent. En effet, si elle permet de
satisfaire les besoins des banques, elle ne créée qu'une
marché du refinancement imparfait car les besoins des débiteurs
(détenteurs de « distressed debt ») ne sont pas
satisfaits. Economiquement, la finalité de l'opération de
titrisation ne s'analyse qu'auprès de deux parties :
l'établissement de crédit cédant et l'organisme
cessionnaire / les investisseurs. En effet, pour le premier, il s'agit de se
débarrasser de ses risques, pour l'autre, il s'agit de mener une
opération à visée spéculative : les investisseurs
(par le biais de l'organisme de titrisation) parient sur le meilleur rendement
du débiteur à haut risque, alors que la banque,
symétriquement, cherche à éliminer ce dernier. Il s'agit
donc d'une opération de nature essentiellement spéculative
où le refinancement répond d'abord aux besoins économiques
de la banque et aux velléités de spéculation des
investisseurs. Dans ce modèle, aucune place n'est a priori
accordée aux intérêts du débiteur qui demeure
totalement passif : sa propension à rembourser, le caractère
risqué de sa dette sont des critères guidant la prise de position
des investisseurs (le « pari spéculatif ») en quelque
sorte, mais nul ne s'intéresse véritablement à la relation
client avec le débiteur. Cela est à dire, en effet, que les
organismes de titrisation n'ont aucune volonté de gestion effective de
la relation client avec le débiteur des créances
cédées : ce ne sont que des intermédiaires de
marché. Dès lors, le détenteur de distressed
debt, à la recherche, comme on l'a vu, d'un interlocuteur, d'un
gestionnaire de relation client, de portefeuille, se heurte à une
impasse car il ne bénéficie en aucun cas d'une possibilité
de rencontrer un conseiller, ni même de réfléchir aux
aménagements ou à la restructuration de sa dette (modification
des échéances, des intérêts, des covenants,
discussions sur l'exigibilité anticipée, obtention de lignes de
crédit supplémentaires ou « argent frais » etc.). Cela
aboutit à sérieusement faire douter de la pertinence
économique de la titrisation auprès de fonds de titrisation. Il
existe, comme nous l'avons mis en évidence, d'autres entités
(fonds d'investissement spécialisés dans la dette, hedge
funds, fonds de capital investissement) désireuses de se porter
acquéreurs de distressed debt directement auprès des
banques afin non plus de réaliser une opération de nature
purement spéculative, mais de mettre leurs compétences
corporate et restructuring à la disposition des
entreprises en difficultés (ou non) et de leur offrir des
aménagements de dette, un interlocuteur, une stratégie. Les fonds
de private equity sont notamment dotés de telles expertises.
Pour autant, ces fonds autres que les organismes de titrisation n'étant
pas exemptés du monopole bancaire, ils ne peuvent utiliser la technique
de la titrisation pour réaliser de
44
telles opérations au risque de tomber sous le coup de
sanctions. Ainsi, le marché du refinancement est finalement peu liquide
et peu efficient, économiquement parlant.
Par conséquent, l'analyse économique de la
titrisation débouche inéluctablement sur un appel à
l'extension du mécanisme de titrisation bancaire à d'autres
entités que les organismes de titrisation : nous verrons par la suite si
la création des sociétés de financement, non
menacées par le monopole bancaire, est de nature à apporter une
réponse à ces limites ou si d'autres voies devront être
envisagées comme l'entrée d'entités supplémentaires
dans le champ de l'exemption de l'art L511-6 CMF.
Section 3 : La pension de titres
La technique de la pension de titres, définie par le
code monétaire et financier à l'article L211-27 comme «
l'opération par laquelle une personne morale, un fonds commun de
placement, un fonds de placement immobilier ou un fonds commun de titrisation
cède en pleine propriété à une autre personne
morale, à un fonds commun de placement, à un fonds de placement
immobilier ou à un fonds commun de titrisation, moyennant prix convenu,
des titres financiers et par laquelle le cédant et le cessionnaire
s'engagent respectivement et irrévocablement, le premier à
reprendre les titres, le second à les rétrocéder à
un prix et une date convenus » aurait pu constituer une technique
juridique pertinente de contournement des règles du monopole bancaire.
En effet, à la lecture de cet article, on comprend de ce
mécanisme qu'il permet à celui qui détient des
créances valorisables (des titres de société, des
créances client) mais peu liquides de les mobiliser auprès d'un
tiers afin d'obtenir un financement. D'un côté, le cédant
peut mobiliser des créances pour obtenir de la trésorerie, de
l'autre, le cessionnaire utilise son excédent de trésorerie et
obtient le paiement d'un intérêt tout en étant garanti par
la mise en pension des titres du cédant (transfert temporaire de
propriété des titres) à charge pour lui de
rétrocéder les titres lorsque l'avance est remboursée par
le cédant, majorée des intérêts.
L'ingéniosité de l'opération réside dans le fait
qu'il s'agit d'une technique de prêt « masquée », qui
présente l'avantage d'être exemptée du monopole bancaire,
bien que la technique revienne, économiquement, à effectuer une
opération de crédit. En effet, l'article L511-7 CMF dispose que
« les interdictions définies à l'article L. 511-5 ne
font pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature,
puisse prendre ou mettre en pension des instruments financiers et effets
publics mentionnés aux articles L. 211-27 et L. 211-34 CMF
».
45
Cependant, cette exemption perd de son intérêt
car une disposition vient en réduire la portée de façon
considérable. En effet, l'article L211-34 CMF dispose que «
toutefois, seuls les établissements de crédit et les
sociétés de financement peuvent prendre ou mettre en pension les
effets privés. ». Ainsi, la brèche ouverte par
l'article L211-27 permettant théoriquement à « toute
entreprise » de prendre des titres en pension contre l'octroi d'un
financement avec intérêt ne s'applique pas aux effets
privés qui ne peuvent être mis en pension qu'auprès des EC
et des sociétés de financement. Cela est dommageable dans le sens
où cette disposition réintroduit, en quelque sorte, le monopole
bancaire, là où elle l'excluait. Economiquement, il aurait
été plus judicieux de permettre à toute entité
personne morale de prendre des titres en pension pour fournir aux agents dans
le besoin du crédit à court-terme, en ce sens que les
établissements de crédit, une fois de plus, seront
réticents envers les entités risquées dont les titres
potentiellement « pensionnables » ne présentent
qu'une valeur faible, alors que d'autres entités, moins averses au
risque, auraient pu se substituer aux banques.
Section 4 : Le crédit via les fonds
monétaires (OPCVM monétaires)
Les fonds monétaires sont connus sous plusieurs
dénominations. Ainsi, on les évoque sous le vocable d'OPCVM
monétaires ou de « money market funds » (MMF) en
anglais. Ce sont, finalement, des organismes de placements collectifs mais qui
présentent une particularité face à leurs homologues
OPCVM. En effet, s'ils fonctionnent selon le même modèle que tout
OPC en ce sens qu'ils collectent de l'épargne publique, ils investissent
dans des valeurs particulières qui ne sont ni des valeurs
mobilières de capital (comme les OPCVM) ou dans les créances
(comme les fonds communs de titrisation). En effet, les fonds monétaires
investissent dans des créances à court-terme, sur le
marché monétaire (et non le marché financier) de type
créances de trésorerie. Economiquement, ils financent donc les
besoins de trésorerie à court-terme des entreprises en
souscrivant les titres négociables émis par elles à
très court terme (tels les billets de trésorerie, les bons de
caisse, les titres de créance négociables inférieurs
à deux ans). Cela les rapproche donc, conceptuellement, d'un
établissement de crédit : d'abord parce qu'ils interviennent sur
le marché de la dette monétaire, ensuite parce qu'ils financent
la trésorerie des entreprises et qu'ils agissent sur le court-terme. Il
ne s'agit cependant pas d'une technique de prêt, comme le ferait un
établissement de crédit, mais le modèle est très
semblable économiquement : l'argent des épargnants leur permet
d'acquérir des parts d'OPC monétaires qui va, lui, financer les
besoins
46
à court termes des entreprises. On peut y voir une
forme de dépôts et de transformation en crédit de ces
dépôts. De même, les risques inhérents à la
transformation d'échéance sont, ici, et comme pour les
établissements de crédits, réels : les fonds
déposés par les épargnants présentent des risques
de « runs » ou de retraits massifs. Comme les fonds
monétaires investissent dans de la dette à court-terme, souvent
volatile, et plus risquée (c'est de la trésorerie) les «
runs » peuvent potentiellement avoir des conséquences plus
sérieuses, d'où les initiatives multiples de la Commission
européenne pour établir un cadre juridique plus contraignant pour
les fonds monétaires83.
En tout état de cause, les fonds monétaires
peuvent présenter des attraits pour les besoins de la pratique, en ce
sens qu'économiquement, ils répondent à des besoins
très proches de ceux du crédit bancaire. En intervenant sur le
marché monétaire, et en investissant dans des instruments de
trésorerie, ils permettent d'assurer le financement des entreprises tout
en étant à la fois exemptés des règles relatives au
monopole bancaire (art L511-7 CMF) et en utilisant une technique
différente du contrat de prêt.
s?
Les approches qui viennent d'être évoquées
présentent l'intérêt économique de fournir du
financement aux acteurs sans contrevenir aux dispositions du monopole bancaire.
Néanmoins, face à leurs limites, certains acteurs ont
envisagé d'attaquer frontalement la règlementation en faisant fi
des contraintes juridiques et en portant directement, de par leurs
opérations, atteinte au monopole bancaire, avec les risques juridiques
que cela comporte.
Chapitre 2 : L'approche directe, la contravention
aux règles du monopole bancaire
Le trait commun de ces approches est l'exposition volontaire
d'un acteur économique aux sanctions juridiques découlant de
l'inobservation des règles relatives au monopole bancaire en raison d'un
choix délibéré de passer outre la règlementation et
de fournir du crédit à titre habituel. Plutôt que de
choisir un moyen détourné, l'acteur se place contra
legem. Ces pratiques ne sont pas uniquement une vue de l'esprit : si elles
ne sont pas courantes, elles sont,
83 Proposition de Règlement du 4 septembre 2013
faisant suite à la publication du livre blanc sur le shadow
banking :
http://ec.europa.eu/internal_market/investment/docs/money-market-funds/130904_impact-
assessment_en.pdf0.
Il est intéressant de noter, à cet égard, que l'Union
européenne envisage donc une harmonisation maximale en utilisant
l'instrument normatif du règlement.
47
en tout cas, réelles. Les acteurs ont, ainsi, pu
décider de prendre ce risque en raison des degrés de
liberté offerts par la jurisprudence en vigueur et d'une
tolérance relative de certaines opérations par les juges qui,
sans les autoriser, ne les sanctionnent pas systématiquement. Même
s'il est très difficile de s'engager en la matière,
c'est-à-dire d'affirmer des vérités, on peut
néanmoins sans trop de risques distinguer ce qui relève du
marché primaire (section 1) et du marché secondaire (section 2)
où les tenants et les aboutissants diffèrent.
Section 1 : Les atteintes directes sur le marché
primaire (« origination »)
Il s'agit ici d'examiner dans quelle mesure les acteurs
peuvent utiliser les failles de la jurisprudence sur les sanctions de la
violation du monopole bancaire pour proposer du crédit aux acteurs dans
le besoin. D'emblée, il nous faut préciser que les atteintes
directes sont quasiment inexistantes, pour la bonne et simple raison que le
risque de requalification en violation du monopole bancaire est
extrêmement élevé. C'est d'ailleurs ce qui décourage
certains fonds d'investissement exemptés ou non exemptés
d'ailleurs de proposer directement des crédits aux entreprises
(l'origination par des fonds d'investissement n'est pas
autorisée, car même les fonds d'investissement alternatifs
exemptés au regard du monopole bancaire ne peuvent intervenir que sur le
marché du refinancement et non sur celui de l'origination,
d'où l'interrogation de la Banque nationale irlandaise84).
Ces derniers préfèreront, lorsque cela est nécessaire,
recourir à l'intervention d'un tiers, notamment d'un fonds
luxembourgeois « originateur » ou localisé hors de
France, afin de contourner le champ d'application territorial (notamment le
champ d'application de la loi pénale) des interdictions du monopole
bancaire en raison de la souplesse des législations de certains pays
voisins de la France.
Néanmoins, l'étude de la jurisprudence relative
aux sanctions des atteintes du monopole bancaire semble mettre en
lumière l'existence d'une brèche dans laquelle les acteurs
pourraient s'engouffrer. Reste à voir si cela est juridiquement et
économiquement pertinent, c'est-à-dire si le risque est
définitivement écarté (existence d'un « safe
harbor » jurisprudentiel) et si l'opération présente un
réel intérêt économique. La jurisprudence
traditionnelle de la Cour de cassation établit que l'activité de
prêteur de deniers, pour violer le monopole bancaire, doit avoir
été pratiquée à titre habituel, peu important que
les fonds
84 Op. cit. Central Bank of Ireland, discussion paper,
July 2013, « Loan origination by investment funds »,
disponible ici :
http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination
%20by%20Investment%20Funds.pdf
48
prêtés proviennent du patrimoine personnel
privé du prêteur85. Ainsi, une activité de
prêteur de fonds n'est-elle illicite que si elle est effectuée
à titre habituel, pour des opérations de crédit consenties
à titre onéreux et sous réserve qu'il n'y ait pas
d'exceptions légalement prévues (C. monét. fin., art.
L 511-7. - Cf. CA Bourges, /0 sept. 1991 : RD bancaire et bourse 1992, p.
208). Il en résulte qu'une personne physique ou morale peut
librement consentir un crédit à titre onéreux, dès
lors que l'opération est isolée, et même s'il s'agit d'un
établissement de crédit non autorisé à effectuer
des opérations de banque sur le territoire national. Une jurisprudence
célèbre du 3 décembre 2002 vient préciser la
jurisprudence antérieure et apporte des éclairages
intéressants sur la notion d'habitude86. En l'espèce,
il s'agissait d'une personne qui avait consenti, pendant une période de
près de neuf ans, neufs prêts successifs à un
même emprunteur. Les juges du fonds avaient alors estimé
qu'il y avait habitude et avaient par voie de conséquence annulé
lesdits contrats de prêt. Certes, comme l'observent des auteurs.
l'habitude. qui suppose la répétition, devrait commencer
dès le deuxième acte (cf. J.-L Rives-Lange et M.
Comamine-Raynaud, Droit bancaire : Dalloz, 6e éd., p. 32, n°
35). Mais, en matière pénale, il avait été
relevé, par ces mêmes auteurs, que la chambre criminelle se
montrait plus exigeante, en retenant que le fait de consentir plusieurs
prêts à une même personne ne suffisait pas à
caractériser la violation du monopole bancaire (cf. Cass. crim., 5
févr. 1995 : RD bancaire et bourse 1995. p. 77, obs. Campana et
Calendini). La solution retenue par la Cour de cassation va en ce sens :
elle considère que le fait de réaliser plus d'une
opération, de façon régulière, ne suffit pas
à caractériser l'habitude en l'absence d'une pluralité
d'emprunteurs. C'est, en filigrane, admettre implicitement la pluralité
d'emprunteurs comme une condition praeter legem de la notion
d'habitude. Dès lors, cette solution est d'une grande originalité
à plusieurs titres. D'abord en ce qu'elle ajoute une condition que la
loi ne prévoit pas à la caractérisation de la
réalisation d'opérations de crédit à titre habituel
(la pluralité d'emprunteurs) ; ensuite parce qu'elle semble admettre
qu'une personne physique ou morale puisse, sans contrevenir au monopole
bancaire, réaliser des opérations de crédit de
85
Cass. com., 27 févr. 2001 [C.] ;
Bouvier c/ Bressan. [Juris-Data n° 008369]. (pourvoi n° 95-18.569 P
c/ CA Nîmes, 1re ch., 13 juin 1995) : pour rejeter la prétention
des cautions, qui invoquaient la nullité du prêt dont il leur
était réclamé paiement, pour avoir été
consenti par une personne exerçant à titre habituel des
opérations de crédit sans avoir la qualité
d'établissement de crédit, l'arrêt retient qu'ils
n'établissent pas comme il leur incombe que le prêteur a
été condamné pénalement pour avoir effectué
des opérations de banque à titre habituel et qu'il est
établi, au contraire, que le prêteur ne prête que les fonds
provenant de son patrimoine personnel privé, ce qui a priori ne
constitue pas un exercice illégal de la profession de banquier. En se
prononçant par de tels motifs, inopérants, sans rechercher si,
comme il était prétendu, le prêteur ne se livrait pas
habituellement à des opérations de crédit à titre
onéreux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale
à sa décision au regard des articles 2, 3 et 10 de la loi n°
84-46 du 24 janvier 1984.
86
Cass. com., 3 déc. 2002, Desideri
c/ Cts Multedo, pourvoi n° H 00-16.957, arrêt n° 2045 FS-P : D.
affaires 2003, act. jurispr. p. 202 ; Juris-Data n° 2002-016639
49
façon répétée si tant est que ces
opérations se réalisent au profit de la même personne. La
Cour voit, sans doute, dans la condition de pluralité d'emprunteurs, la
marque du développement d'une réelle activité «
bancaire » concurrente aux établissements de crédit, alors
qu'en l'absence de cette pluralité, et malgré la
répétition des actes, elle y voit plutôt une relation
personnelle, étrangère à l'activité bancaire, dans
laquelle des crédits sont octroyés par une personne à une
autre.
Cette jurisprudence n'est pas sans conséquence sur la
pratique. Sans en magnifier les effets, qui restent naturellement contingents
et circonscrits, il n'en demeure pas moins qu'il est envisageable pour toute
personne morale en excédent de trésorerie (c'est-à-dire en
capacité de financement) de fournir à une autre personne,
même en dehors de son groupement (car les groupements sont
exemptés par l'article L511-7 CMF) du financement à une
entité désignée, et ce de façon
répétée dans le temps, sans contrevenir à l'article
L511-5 CMF et pourvu que ce « service » ne soit rendu qu'à une
personne nommément désignée. Il n'est pas inenvisageable
de voir se développer des partenariats bilatéraux entre
entreprises structurellement en capacité ou besoin de financement,
même si elles n'ont entre elles aucun lien capitalistique, afin pour
l'une d'obtenir du financement, et pour l'autre d'obtenir un
intérêt régulier.
Au final, les possibilités d'atteintes directes sont
limitées en matière de marché primaire. Les choses sont un
peu moins figées sur le marché secondaire.
Section 2 : Les atteintes directes sur le marché
secondaire (refinancement)
Le marché secondaire présente des
particularités et enjeux que ne présente pas le marché
primaire. En effet, les nécessités attachées à
l'existence d'un marché du refinancement liquide sont
d'intérêt général : face à la
dépréciation des créances, aux risques de contrepartie,
les banques ont tout intérêt à céder leurs
créances pour se débarrasser des risques et améliorer
leurs ratios. C'est cette forte présence de l'intérêt
général qui a justifié que le juge et les autorités
en général soient plus conciliants envers les atteintes
indirectes aux règles du monopole bancaire sur le marché
secondaire. Ainsi, l'activité de rachat de créances sur le
marché de la part de certains fonds non exemptés des
règles du monopole bancaire est tolérée. Cela n'est pas
à dire, néanmoins, que ces opérations soient
légales : elles sont tolérées en vertu d'un statuquo mais
présentent tout de même des risques juridiques de qualification.
Ce
50
sont ces risques qui justifient qu'une extension des
exemptions intervienne, ou à tout le moins une refonte globale du
monopole bancaire.
s?
Cette première partie a été l'occasion de
mettre en lumière les besoins de la pratique en matière de
financement et les limites patentes de notre droit actuel en la matière.
Dès lors, les acteurs ont imaginé des stratégies de
contournement, directes ou indirectes. Mais le bât blesse en ce qu'elles
sont soit des techniques imparfaites, soit des techniques risquées.
Dès lors, ce sont des évolutions législatives qui sont
nécessaires. Le droit comparé nous enseigne que la conception
française des activités de crédit n'est pas
partagée par tous ses homologues européens et ce en vertu d'une
définition large des activités de crédit posée par
les premières directives bancaires européennes (notamment celle
de 1977). C'est justement de l'Union européenne que pourrait,
éventuellement, provenir le salut. L'Union, libérale par nature,
s'est très tôt élevée contre les monopoles en tout
genre en ce qu'ils représentaient une menace pour l'achèvement du
marché intérieur dans toutes ses dimensions (flux physiques et
financiers, flux humains). En matière de monopole bancaire, l'Union,
consciente des limites françaises, a porté des atteintes
successives à ce dernier, jusqu'en 2013, où elle a achevé,
du moins théoriquement, de le démanteler. Reste à voir si,
en pratique, cette libéralisation a bien eu lieu.
51
DEUXIEME PARTIE :
LEGISLATION EUROPENNE ET TENTATIVE D'EMIETTEMENT
PROGRESSIF
DU MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS
L'Union européenne est par définition plus
libérale que l'Etat français ; que l'on en juge par son attitude
traditionnelle à l'égard des monopoles. Ainsi, cette
répulsion du monopole en général peut se retrouver dans
son attitude vis-à-vis du monopole bancaire français. En la
matière, les velléités de l'Union sont implicites mais
manifestes (Titre 1er). Cela l'a conduit à
multiplier les atteintes au monopole bancaire français par voie de
réformes successives (Titre 2), ce qui n'est pas sans
conséquences sur les contours du monopole bancaire français mais
aussi sur l'effectivité du marché intérieur de l'UE
(Titre 3).
TITRE 1:
LA RATIO LEGIS DU DROIT DE
L'UNION EUROPENNE VIS-A-VIS DU
MONOPOLE BANCAIRE FRANÇAIS : DES
VELLEITES IMPLICITES MAIS
MANIFESTES
A la vérité, la recherche, par l'Union, d'une
libéralisation du crédit par le démantèlement des
monopoles bancaires nationaux (lorsqu'ils existent) poursuit une double
finalité. D'un point de vue microéconomique (Chapitre
1er) il s'agit de favoriser le financement des entreprises
et des particuliers ; d'un point de vue, cette fois, macroéconomique
(Chapitre 2), il s'agit plutôt de compléter,
d'achever, le marché intérieur en matière
financière.
Chapitre 1er : Les objectifs microéconomiques,
la libéralisation du crédit
Comme il a été mis en exergue
précédemment, les acteurs souffrent aujourd'hui d'un durcissement
du crédit et de l'éloignement des banques de leur coeur de
métier : le crédit, sous l'influx de contraintes prudentielles.
Dès lors, l'UE va chercher à remédier à ce
problème en élargissant le cercle des personnes pouvant octroyer
du crédit. En réalité, l'UE est depuis longtemps
défavorable aux monopoles bancaires, mais elle laissait aux Etats une
marge de manoeuvre qui constituait en quelque sorte un « opt-out
». Aujourd'hui, ce n'est plus possible et l'UE entend obliger les
Etats à démanteler leurs monopoles via l'harmonisation du statut
d'EC (Section 1). Notons, tout de même, un certain paradoxe dans
l'attitude de l'Union : elle
52
entend libéraliser les sources de crédit tout en
étant fermement décidée à encadrer le «
shadow
banking » (Section 2).
Section 1 : Remédier aux disparités
de définition des EC dans le marché intérieur
La définition de la notion d'établissement de
crédit est le point nodal du monopole bancaire. C'est en adoptant une
définition plus large des EC que les Etats membres comme la France ont
pu instaurer un véritable monopole.
§1 : Directives bancaires et pouvoir
laissé aux Etats membres :
L'Union européenne s'est toujours prononcée en
faveur d'une définition restrictive de la notion d'établissement
de crédit. La directive bancaire du 12 décembre
197787, reprise par la directive 2000/12/CE du 20 mars 2000 et
surtout par la grande directive bancaire de refonte 2006/48/CE du 14 juin 2006
88définit l'établissement de crédit comme :
« une entreprise dont l'activité consiste à recevoir du
public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à
octroyer des crédits pour son compte propre ». Ainsi, la
définition communautaire entend lier la réception de fonds du
public et l'octroi de crédit pour bénéficier de la
qualification d'établissement de crédit. A contrario, nous en
concluons que toute entité ne collectant pas de dépôts du
public mais effectuant des opérations de crédit n'est pas un
établissement de crédit. L'Union européenne, d'ailleurs,
n'interdit à aucun moment à de telles entités d'effectuer
des opérations de crédit, pourvu qu'elles ne collectent pas de
dépôts du public, alors même que des législations
plus restrictives, comme la législation française, imposent le
statut d'établissement de crédit à toute personne
effectuant des opérations de crédit à titre habituel,
nonobstant l'absence de collecte des dépôts, instituant ainsi
à leur profit un monopole et le soumettant à des contraintes
prudentielles. A l'époque, la législation française
prévoyait un statut particulier, celui de «
société financière » pour les
établissements de crédit ne collectant pas des
dépôts. Néanmoins, ces sociétés
financières étaient une sous-catégorie des
établissements de crédit et non une catégorie à
part. Un auteur comme Michel Vasseur
87 Directive 77/780/CEE du Conseil, du 12
décembre 1977, visant à la coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant
l'accès à l'activité des établissements de
crédit et son exercice
88 Directive 2006/48/CE du Parlement
européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès
à l'activité des établissements de crédit et son
exercice
53
soulignait ainsi que ce statut « n'a guère son
équivalent à l'étranger et n'est pas visé par la
directive communautaire ».
L'utilisation de l'instrument juridique de la directive
laissait, aux Etats membres, une certaine marge de liberté dans leur
transposition. Ainsi, si ceux-ci devaient reprendre a minima les dispositions
de cette dernière, rien ne les empêchait de prévoir des
règles nationales plus contraignantes, pour des raisons tenant aux
caractéristiques du pays considéré. En matière de
définition des établissements de crédit, cette
possibilité a été usée par certains Etats et
notamment la France. Pour autant, ce chemin n'a pas été suivi par
tous : en Grande Bretagne, le Banking Act de 1987 ne règlemente
l'activité bancaire que pour autant qu'elle porte à la fois sur
la réception des dépôts et l'octroi de crédit.
D'autres Etats ont opté littéralement pour la définition
communautaire d'établissement de crédit. Ainsi, ils ne
considèrent pas l'activité de crédit comme étant
une opération de banque en l'absence de réception de fonds du
public : tel est le cas de l'Espagne, de l'Italie, de la Belgique, du
Luxembourg et des Pays-Bas. Mais la législation française n'est
pas la seule à s'écarter de la définition communautaire.
Ainsi, l'Allemagne, dans sa loi bancaire89, se réfère
comme la France aux « opérations de banque » pour
définir l'établissement de crédit. Ces disparités
n'ont aujourd'hui plus lieu d'être en raison de l'intervention, en 2013,
d'un règlement.
§2 : Le rapport De Larosière et le
tournant du règlement CRR :
Le rapport du groupe de travail présidé par
Jacques de Larosière90 pointe du doigt les divergences
nationales exposées ci-dessus. Le rapport fait état «
d'inconsistances en matière de règlementation » («
examples of regulatory inconsistencies ») et notamment le fait que
« certains Etats membre de l'Union proposent une définition
extensive de la notion d'établissement de crédit alors même
que d'autres Etats ont retenu une définition bien plus restrictive
». Selon le rapport, cela est source « de divergences
problématiques entre les Etats membres, en ce qu'elles peuvent amener
à des arbitrages règlementaires ». A la lecture de ce
rapport, on comprend que la divergence règlementaire pose des
problèmes à plusieurs niveaux : d'abord au niveau de
l'achèvement du marché intérieur (ce que nous verrons plus
tard) mais surtout au niveau de l'accès au crédit. Le rapport
sous-entend, en effet, que dans
89 Loi du 11 juillet 1985 modifiée relative
à l'organisation de la profession bancaire « Gezets über
das Kreditwesen » KWG. Cette loi définit
l'établissement bancaire d'une façon analogue à la France
: « entreprises qui effectuent des opérations bancaires lorsque
le volume de ces opérations requiert la gestion d'une entreprise sous
forme commerciale ».
90 « The high-level group on financial supervision in
the EU, chaired by Jacques de Larosière : Report, Brussels, 25 february
2009, p28 ».
http://ec.europa.eu/internal_market/finances/docs/de_larosiere_report_fr.pdf
54
certains pays, l'accès au crédit est
facilité compte tenu de la possibilité pour des entités
non bancaires de faire du crédit, le tout avec des contraintes
prudentielles allégées, alors que, pour d'autres, cet
accès est plus restreint du fait de l'existence d'un monopole bancaire.
Non seulement cet état du droit porte atteinte à la concurrence
et crée des distorsions de concurrence pouvant mener à des
arbitrages règlementaires, mais, également, en ces temps de
durcissement prudentiels pesant sur les établissements de crédit,
il est nécessaire de libéraliser l'accès des entreprises
à d'autres formes de crédit ; ce qui rend injustifiées les
législations cantonnant l'octroi de crédit aux
établissements de crédit uniquement.
En réponse, l'arsenal législatif CRD/CRR
prévoit désormais que la définition d'établissement
de crédit sera renfermée dans un règlement afin d'en
imposer la teneur à l'ensemble des Etats membres et ce, in
extenso. Reprenant les dispositions des premières directives
bancaires, le règlement CRR pose désormais la définition
de référence des établissements de crédit, ayant
vocation à être appliquée par tous : « entreprise
dont l'activité consiste à recevoir du public des
dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des
crédits pour son propre compte 91». L'adoption de
ce règlement n'est pas sans conséquences sur le cadre juridique
bancaire français qui va s'en retrouver profondément
modifié puisqu'il faut aligner la définition française
d'établissement de crédit sur la définition
européenne tout en permettant aux entités actuellement
agrées en tant qu'établissement de crédit en France et qui
ne reçoivent pas de fonds remboursables du public de continuer à
exercer leurs activités dans le respect de règles
prudentielles92. En effet, il n'est pas envisageable de laisser des
entités précédemment règlementées car elles
étaient liées aux EC échapper désormais à la
régulation, de telle sorte que les nouveaux statuts des
sociétés habilitées à délivrées du
crédit sans pour autant collecter des dépôts devront
être soumis à des exigences prudentielles, alors même qu'ils
ne sont désormais plus des EC. En effet, la conséquence
première de cette nouvelle définition est que désormais,
il existe un lien indissoluble entre les dépôts et les
crédits. Toute entité exerçant cumulativement ces
deux activités est un EC. A contrario, toute entité qui
n'en réaliserait qu'une des deux (ici, la fourniture de crédit)
ne peut plus être qualifiée comme un établissement de
crédit.
91 Art 4. 1) du règlement CRR : le
Règlement (HE) n ° 575/2013 du Parlement européen et du
Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux
établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et
modifiant le règlement (HE) n ° 648/2012.
92 SAMIN T., « La réforme du statut
d'établissement de crédit en vue de l'entrée en vigueur du
règlement européen CRR I : des sociétés
financières aux sociétés de financement » in
Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013, dossier 44.
55
Cette évolution dans la définition va, comme on
le verra, forcer les Etats membres qui, jusqu'ici, retenaient une
définition large de l'EC à s'aligner. Pour ces Etats, l'enjeu
sera alors de gérer les conséquences d'un tel changement. Il ne
fait aucun doute que les motivations de l'UE, qui tend désormais vers
l'harmonisation totale en la matière, sont claires : libéraliser
les sources de crédit. Sinon, à quoi bon uniformiser ? C'est
également ce qu'il ressort du rapport de Larosière. Ainsi, la
réforme devrait avoir pour conséquence de faciliter
l'accès au crédit en révolutionnant le paysage bancaire
français. Néanmoins, il faudra voir si la France aura une
attitude proactive ou simplement réactive face
à cette évolution : réactive, elle se contenterait
simplement d'une application du règlement en créant une
catégorie ad-hoc de société de crédit peu
compétitive et relativement restreinte : elle ne ferait, alors, que se
mettre en conformité avec la définition européenne ;
proactive, elle ferait en sorte, en plus, de permettre une réelle
libéralisation du crédit avec ce nouveau statut et d'exploiter
toutes les possibilités issues de la réforme.
En tout état de cause, ce changement de paradigme est
révélateur de la conception qu'à l'Union européenne
de l'établissement de crédit. De même, en exergue, est
révélée l'attitude de l'Union vis-à-vis du monopole
bancaire en général : elle ne semble tolérer ce dernier
qu'en ce qu'il concerne la réception des dépôts, et,
partant, leur sécurité.
§3 : La conception européenne du
monopole bancaire : l'ancrage autour des dépôts
L'observation du corpus législatif
européen en matière bancaire depuis ses débuts
93suggère que l'Union entend surtout soumettre les
établissements de crédit à des obligations prudentielles
accrues du fait qu'ils collectent les dépôts du public. En effet,
en liant la qualité d'EC à la collecte des dépôts et
à l'octroi de crédit, et en soumettant les EC aux obligations
prudentielles les plus prononcées, le droit bancaire européen a
clairement pour ratio legis la protection des déposants. L'UE,
ainsi que les Etats ayant dès le départ adopté la
définition communautaire d'EC, considèrent que l'objectif
principal de la surveillance bancaire est la protection de l'épargne du
public, d'où une qualification d'EC liée à la collecte des
dépôts. Pour les pays ayant adopté une large
définition (comme la France), il s'agissait non seulement de
protéger les dépôts mais également d'assurer la
stabilité financière en général.
93 Comme par exemple la directive 89/299 CEE en
matière de fonds propres des établissements de crédit ou
la directive 89/647/CEE du 18 décembre 1989 en matière de ratio
de solvabilité des établissements de crédit,
complétées ensuite par Directive 94/19/CE relative aux
systèmes de garantie des dépôts bientôt
révisée.
56
L'approche retenue par l'Union européenne
suggère alors, a contrario, qu'en dehors de la
sécurité des déposants, qui seule justifie la soumission
au statut d'EC et à ses contraintes prudentielles, c'est la concurrence
qui doit prévaloir94. En effet, les entités qui
réalisent des opérations de crédit sans collecter des
dépôts du public se financement soit sur fonds propres, soit par
endettement, de sorte que l'épargne publique n'intervient pas et que le
risque de contrepartie est moins susceptible de léser les
déposants. De même, en l'absence de déposants
(créanciers), le risque de « run » et
d'illiquidité est moindre, ce qui justifie des contraintes prudentielles
allégées et justifie également qu'une entité
non-bancaire puisse prendre en charge de telles activités à titre
régulier, ce qui, en France, était impossible, car les
sociétés financières, bien que ne collectant pas de
dépôts, répondaient d'une catégorie
d'établissements de crédit et se voyaient imposer des contraintes
prudentielles analogues, ce qui décourageait les acteurs non-bancaires
de solliciter un tel agrément. L'analyse économique nous enseigne
donc qu'en dehors de la protection des dépôts, nul n'est besoin
d'instaurer un monopole ; et c'est la vision à laquelle l'UE s'est
ralliée. Hubert de Vauplane 95illustre parfaitement la vision
qui précède : « En vérité, et comme le
droit européen le prévoit, ce n'est pas tant l'activité de
crédit que l'activité de collecte des dépôts qui
doit être régulée. Seules les institutions
présentant un degré de contrôle et de supervision doivent
être habilitées à recevoir des dépôts.
L'octroi de crédit est autre chose. Et c'est d'ailleurs là l'une
des différences essentielles entre le système bancaire et la
finance parallèle (ndlr : qui justifie une réglementation
certes réelle mais plus souple pour ces entités)
».
Pour autant, si ces évolutions traduisent une approche
libérale de l'Union européenne vis-à-vis du crédit,
en ce que d'autres entités que les banques devraient normalement pouvoir
effectuer des opérations de crédit à titre habituel, on
remarque que l'Union européenne n'est pas, pour autant, prête
à laisser fleurir ces activités sans encadrement prudentiel. En
effet, si l'Union semble s'être ralliée à l'idée
raisonnable que les banques ne peuvent, aujourd'hui,
94 On retrouve ici la même
problématique, au niveau de l'UE, qu'en matière de services
publics. En effet, la législation française, très
interventionniste en matière de service public, ne correspondait pas
avec l'acceptation européenne du service public symbolisée par la
notion de service d'intérêt économique
général (SIEG). En effet, l'UE obligeait les Etats à
démanteler leurs services publics monopolistiques lorsque ceux-ci
étaient rentables (ils pouvaient donc être soumis à la
concurrence) alors que les segments non rentables, constituant des SIEG au sens
du droit de l'UE, pouvaient faire l'objet d'une prise en charge spéciale
par l'Etat, et si besoin d'aides d'Etat. Par analogie, on constate que l'UE
considère que seuls les dépôts justifient un monopole
bancaire (seules les banques sont autorisées à collecter les
dépôts, car leur statut prudentiel est plus protecteur) alors que
les secteurs hors des dépôts ne nécessitent pas
d'être protégés et doivent être ouverts à la
concurrence.
95 DE VAUPLANE H., « Au delà du
système bancaire, réguler le shadow banking : les propositions
européennes et les autres » in Revue Banque
http://www.kramerlevin.com/files/Publication/7aebaffd-73f5-4182-8871-4aad8d03c5df/Presentation/PublicationAttachment/18fbd835-c301-4ca0-997f-
5253651ca39d/1209 Revue%20Banque Vauplane%20Hubert%20de
Shadow%20banking%20%23751.pdf
57
plus être les uniques pourvoyeurs de crédit au
sein du marché unique, il n'en demeure pas moins qu'une
libéralisation totale et anarchique ferait courir le risque de tomber
dans l'écueil des turbulences en termes de stabilité
financière. C'est la raison pour laquelle, tout à son
désir de libéralisation et de démantèlement des
monopoles, l'Union entend également encadrer les entités non
bancaires mais se comportant comme tel en régulant les entités
dites de « shadow banking ».
Section 2 : Le paradoxe européen,
libéraliser le crédit mais encadrer le shadow banking system
Le Conseil de stabilité financière («
Financial stability board ») définit le shadow banking system,
dit encore « système bancaire de l'ombre, ou parallèle
», comme « le système d'intermédiation du
crédit qui implique des entités extérieures au
système ordinaire 96». Ce ne sont donc pas des banques,
et donc, par voie de conséquence, ce ne sont pas des entreprises
recevant des dépôts du public ou soumises à la
règlementation prudentielle. Ces entités correspondent, ainsi,
à toute structure fournissant du crédit sans collecter les
dépôts, c'est-à-dire aux entités que le droit de
l'UE semble a priori encourager en adoptant une définition restreinte de
l'établissement de crédit. Pour autant, ces entités
présentent des risques car si « elles ne sont pas soumises
à la même règlementation que les banques, elles exercent
à tout le moins les mêmes activités
97» : elles mènent des activités de
crédit et de financement, rapprochent investisseurs et emprunteurs,
réalisent des opérations de pension... ces acteurs
bénéficient d'atouts concurrentiels du fait de l'absence de
règlementation. Ces acteurs sont les hedge funds, les OPCVM
monétaires, véhicules d'investissement structurés et
autres institutions financières non bancaires.
L'Union européenne est consciente de la
nécessité de libéraliser les activités les moins
risquées, autrement dit, les activités d'intermédiation de
crédit sans collecte d'épargne du public. Un certain nombre de
rapports 98font état de la nécessité de
libéraliser le crédit pour redonner de la vitalité
à l'économie européenne et tentent de chercher des
solutions pérennes
96 FSB « Shadow banking : strengthening
oversight and regulation », 27 oct 2011
97 BONNEAU T., « Régulation bancaire
et financière européenne et internationale », p148,
Bruylant, 2012.
98 Par exemple, livre vert de la Commission
européenne sur le financement à long-terme des entreprises,
rapport conjoint de la Commission et de la Banque européenne
d'investissement sur le financement des PME, rapports du Forum
économique mondial de Davos et de l'OCDEÉ
58
de financement (à long-terme) pour les entreprises.
C'est dans le cadre de ce débat que la banque nationale d'Irlande
99s'est interrogée sur la possibilité pour les fonds
d'investissement qui ne sont pas constitués sous forme d'OPCVM
(non-UCITS) de pouvoir « originer » du crédit
c'est-à-dire fournir du crédit sur le marché primaire.
Cette réflexion n'est pas isolée, tant les lobbys de praticiens
envers les instances dirigeantes de l'UE sont forts pour pousser cette
dernière à libéraliser encore plus les sources de
crédit : non seulement en autorisant d'autres entités que les
banques à faire du crédit, mais en libéralisant largement
le marché de l'origination auprès d'entités aussi
différentes qu'un hedge fund, un fond d'investissement, un
fonds monétaire. Evidemment, permettre à des fonds
d'investissement de faire des crédits sur le marché primaire
(« origination by investmend funds ») présente des
risques, et des enjeux, que nous traiterons dans la partie 3.
L'Union européenne n'est pas insensible à ces
demandes ; et, de manière plus générale, est favorable
à la prise en charge d'activités de crédit par d'autres
que des banques. Nous en voulons pour preuve les propos de Michel Barnier,
Commissaire en charge du marché intérieur et des services
financiers : « Je ne crois pas que l'intermédiation
financière doit être confiée dans son
intégralité aux banques (ndlr : il ne devrait pas exister de
monopole bancaire). Et je suis conscient du rôle que doivent jouer
les sources alternatives de financement en ces temps difficiles pour
l'économie européenne, où les banques doivent se conformer
à des ratios prudentiels toujours plus restrictifs. La finance
alternative est par conséquent nécessaire, mais il est important
qu'elle puisse s'exercer dans un environnement réglementaire solide
100». Ce discours de Michel Barnier a été
réalisé à l'occasion d'une conférence sur le
travail de l'Union en matière de régulation du shadow
banking. Cela est donc à dire que l'Union se place dans une
position au premier abord paradoxale : d'une part, elle admet la
nécessité de libéraliser le crédit, et par la
même entend encourager la fourniture de crédit par les
entités non-bancaires (en témoigne le règlement CRR) et
réfléchit à la possibilité pour des fonds
d'investissement non-OPCVM de faire de tels prêts ; d'autre part,
fortement ancrée dans une tradition de régulation et de promotion
de la stabilité financière101, elle entend ne pas
laisser ces entités sans régulation car elles présentent
des risques que nous étudierons en partie 3. Dès lors, l'Union
recherche un compromis : libéraliser le crédit en
99 Op. cit. Central Bank of Ireland, discussion paper, July 2013,
« Loan origination by investment funds », disponible ici :
http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination
%20by%20Investment%20Funds.pdf
100
http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-310_en.htm
101 En témoigne la prolifique règlementation
adoptée suite à la crise, avec, récemment, l'adoption du
mécanisme de résolution et de surveillance uniques (Single
Supervision Mechanism and Single Resolution Mechanism).
59
soumettant les entités non-bancaires à une
règlementation a minima 102: moins contraignante que celle
des banques, mais tout de même présente (cf : partie 3). Reste
à savoir si ces règlementations, même minimes, rendront
attractive la fourniture de crédit pour les entités non
bancaires. Cela devrait être le cas, sous réserve de l'adoption de
règlementations nationales plus contraignantes qui priveraient de
portée la libéralisation entamée par l'Union : ce que nous
verrons, en France, avec le cas de la « société de
financement » dont le régime prudentiel et d'agrément
est fortement restrictif par rapport aux ambitions affichées de l'Union
européenne.
Outre ces aspects microéconomiques, l'Union
européenne entend également imposer aux Etats membres une
définition harmonisée des établissements de crédit
en ce que les divergences règlementaires qui avaient cours jusqu'alors
constituaient un frein au parachèvement du marché
intérieur en instaurant une fragmentation du marché nourrie par
les divergences de définition, ce qui constitue des manifestations
distorsives de concurrence, néfastes à l'aboutissement
des 4 grandes libertés du traité de Rome, déclinées
en matière financière.
Chapitre 2 : Les objectifs macroéconomiques,
le parachèvement du marché intérieur en matière
financière :
Comprendre pourquoi la libéralisation du crédit
est aussi une affaire de concurrence et d'aboutissement du marché unique
implique de connaitre les objectifs que l'Union assigne au marché
intérieur pris dans sa composante financière (Section 1).
Partant, il sera possible de mesurer l'effectivité de la
réalisation de ces objectifs en mettant en exergue les limites
posées par les disparités de définition
d'établissement de crédit au sein de l'UE (Section 2).
Section 1 : Les objectifs du marché
intérieur en matière financière
L'Acte Unique de 1986 a posé la première pierre
d'un marché unique européen en tentant de rendre plus effectives
les grandes libertés que le Traité de Rome appelait de ses voeux
en 1957. Ainsi, la première des grandes libertés à avoir
été effective est la libre circulation des marchandises
(c'est-à-dire des biens). A l'époque, cependant, la dimension
financière était plus occultée, la libre circulation des
capitaux n'étant qu'une chimère dont l'effectivité
était
102 Livre vert de la Commission européenne, 2012 «
Le shadow banking system »
60
entravée par les nombreux obstacles transnationaux.
Avec le Traité de Maastricht en 1992 et l'adoption de la monnaie unique,
le législateur européen a entendu accélérer le
processus qui visait à doubler le marché unique des biens et
services de son pendant, le marché unique des capitaux. Ainsi a
prospéré l'idée que l'Union européenne devait
associer à un marché des biens uniques un marché bancaire
unique. A cet égard, l'établissement d'un marché bancaire
unique impliquait de définir ce que l'Europe entendait par
établissement de crédit. Or comme on l'a vu, la définition
d'harmonisation minimale posée dès 1977 (et rappelée par
la suite) n'a pas été reprise par tous les Etats, ce qui a
nécessité l'adoption de mécanismes de reconnaissance
mutuelle. Pour autant, la reconnaissance mutuelle s'est rapidement
avérée insuffisante, dans la mesure où des raisons
impérieuses d'intérêt général tenant aux
Etats membres pouvaient faire obstacle à cette reconnaissance. In
fine, la reconnaissance mutuelle ne suffisait plus à
dépasser les obstacles règlementaires dressés par les
Etats qui avaient retenu une conception plus extensive de
l'établissement de crédit. Les distorsions de concurrence ainsi
introduites par les divergences règlementaires faisaient alors obstacle
à l'achèvement du marché bancaire unique, et plus
largement du marché unique dans sa dimension financière.
L'adoption de la monnaie unique et le véritable succès d'un
marché des biens et services unifié rendaient dès lors
impératif une harmonisation totale en la matière. C'est chose
faite depuis le règlement CRR. Ainsi, l'Europe du crédit se voit
donner plus de souffle en ce sens que le démantèlement des
monopoles bancaires nationaux sur l'activité de crédit devrait
permettre aux acteurs de tous les Etats membres de prester leurs services de
crédit sans aucune restriction, les barrières structurelles et
concurrentielles étant Ð du moins théoriquement Ð
éliminées. Avant cette date, en 2009, le législateur
européen avait déjà avancé vers l'unification du
marché européen en libéralisant les services de paiement ;
les paiements étant nécessaires à un marché des
biens et services unifié. Il s'agissait, alors, de surmonter le
cloisonnement qui existait sur le marché des paiements car il existait
autant de systèmes de paiements que d'Etats membres. On le verra, la
directive sur les services de paiement avait alors pour objectif d'introduire
davantage de concurrence au niveau du marché de l'Union en harmonisant
le droit applicable aux services de paiement 103(directive aussi
appelée « SEPA »).
Section 2 : L'effectivité du marché
intérieur en matière financière
103 BOUTHINON-DUMAS H., « La directive sur les
services de paiement et la concurrence entre les établissements de
paiement et les banques » in RTD Com 2009 p59.
61
L'adoption de la deuxième directive bancaire de
coordination du 15 décembre 1989104, transposée en
droit français par la loi n°92-665 du 16 juillet 1992 a
été l'étape essentielle, dans le domaine bancaire, de la
réalisation d'un véritable marché bancaire européen
unique. Il s'agissait d'abord de rendre effectives, en matière
d'établissements bancaires, les libertés d'établissement
et de libre prestation de service contenues dans le traité de Rome de
1957 car subsistaient des obstacles tenant notamment à l'absence de
définition commune. Si la directive de 1977 a harmonisé, a
minima, les définitions, la directive de 1989, quant à elle,
vient parachever les avancées en instaurant le principe de
reconnaissance mutuelle des agréments105. Ce principe est
repris, plus tard, dans la directive n°2000/12 106qui indique
en son article 18 que, en matière d'établissements de
crédit, les Etats membres doivent prévoir « que les
activités mentionnées à l'annexe 1 puissent être
exercées sur leur territoire tant au moyen de l'établissement
d'une succursale que par voie de prestation de service par tout
établissement de crédit agréé et
contrôlé par les autorités compétentes d'un autre
Etat membre, sous réserve que ces activités soient couvertes par
l'agrément ». Cette disposition témoigne de la
percée du principe de reconnaissance mutuelle en matière
bancaire. L'arsenal législatif adopte un régime qui va plus loin
que les simples libertés d'établissement et de prestation de
service du traité de Rome (en quelque sorte, le droit commun du
marché intérieur). En effet, il instaure un régime de
droit spécial appelé « passeport européen » et
qui prévoit un régime encore plus favorable dans le but de
remédier rapidement et efficacement aux obstacles à
l'édification d'un marché bancaire unique au niveau
européen. Le législateur européen considère que la
clef de l'achèvement d'un tel marché est d'une part l'adoption de
principes de base relatifs à l'agrément (fonds propres,
actionnariat etc.) communs à tous les pays et d'autre part la
reconnaissance mutuelle. Ainsi, un établissement de crédit n'a,
en théorie, plus besoin d'obtenir un agrément pour exercer ses
activités s'il décide d'installer une succursale dans un autre
Etat membre.
Cependant, tout séduisant qu'il soit, ce modèle
souffre des lacunes inhérentes à l'harmonisation minimale et
à la reconnaissance mutuelle. En effet, il existe, encore, des
divergences entre les Etats membres qui ne peuvent être efficacement
palliées par la reconnaissance mutuelle. D'abord, la directive fixe une
liste des opérations de banque
104 Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15
décembre 1989, visant à la coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives concernant
l'accès à l'activité des établissements de
crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE
105 PELTIER F., FERNANDEZ-BOLLO E., « Structures,
réglementation, et contrôle public des professions bancaires ;
structures et conditions d'accès » in JCl Banque,
crédit, bourse, Cote 08,1997.
106 Directive 2000/12/CE du Parlement européen et du
Conseil du 20 mars 2000 concernant l'accès à l'activité
des établissements de crédit et son exercice
62
pouvant entrer dans le champ de l'agrément et de la
reconnaissance mutuelle. Pour autant, certains Etats retiennent une conception
différente de la liste des opérations de banque, de sorte que
certaines activités comprises dans le champ de la reconnaissance
mutuelle au niveau européen ne peuvent, dans certains Etats, être
exercées, ce qui diminue d'autant l'efficacité du
mécanisme. De même, et c'est ce qui nous occupe, l'existence d'un
monopole national en faveur des établissements de crédits est de
nature à engendrer le même type de conséquences. En effet,
il demeurait, avant 2013, des divergences entre les Etats membres au sujet de
leur définition de l'établissement de crédit. Cette
divergence est de nature à faire obstacle, indirectement, à
l'effectivité du passeport européen car elle est distorsive
de concurrence.
En retenant une définition de l'établissement de
crédit plus large que la directive de 2006, la France (mais aussi
l'Allemagne) maximisent les chances pour leurs établissements de pouvoir
se tailler une part de marché importante à l'étranger en
établissant des succursales, en ce sens que les établissements
français et allemands qui, sans collecter l'épargne du public,
réalisent tout de même des opérations de crédit
(crédit-bail, affacturage, garanties, organismes de crédit
spécialisés dans les prêts immobiliers ou
hypothécaires), peuvent bénéficier du régime du
passeport européen dans la mesure où la seule activité de
crédit Ð mentionnée dans la liste des opérations de
banque entrant dans le champ de la reconnaissance mutuelle, selon la directive
Ð suffit à caractériser, en droit national, l'existence d'un
établissement de crédit, seul à pouvoir
bénéficier du régime du passeport européen. En
revanche, les Etats ayant retenu l'exacte définition européenne
souffrent d'un manque à gagner en ce sens que, en liant la
qualité d'établissement de crédit à la collecte des
dépôts et à la fourniture de crédit, ils excluent
d'une telle qualification tous les organismes fournissant des opérations
de crédit sans collecter les dépôts ; de sorte que de tels
établissements, comme ils ne constituent pas des établissements
de crédit au sens de leur droit national, ne peuvent, alors,
bénéficier des largesses du régime du passeport
européen de la directive de 1989. Ces organismes, en l'absence de texte,
ne pourront donc pas installer une succursale dans un autre Etat membre
grâce au régime du passeport, ce qui représente, pour eux,
un manque à gagner certain par rapport à leurs homologues
étrangers qui, eux, bénéficient de la qualification d'EC.
Pour prester leurs services dans un autre Etat, ces derniers ont alors le choix
entre d'une part solliciter, auprès d'un Etat comme la France,
l'agrément d'établissement de crédit (ce qui les
contraindrait à de lourds aménagements) ou à utiliser le
droit commun du marché intérieur et la libre prestation de
service ou liberté d'établissement du traité de Rome, dont
le régime est moins avantageux
63
(voir infra) que le passeport. Certes, la seconde
directive de coordination bancaire107 transposée dans la loi
bancaire de 1984 par une loi de 1992 108 prévoyait, avec la
création du statut d'établissement financier, la
possibilité pour des établissements d'un autre Etat membre, non
agréés en tant qu'EC mais fournissant des services de
crédit, de bénéficier du régime du passeport
européen pour s'installer en France, mais l'article 71-8 de la loi
bancaire (tout comme la directive) précisait que cette
possibilité n'était réservée qu'aux
établissements filiales à au moins 90% d'un EC, ce qui
était restrictif pour les entités non bancaires non filiales d'EC
qui prestaient du crédit et ne pouvaient obtenir le
bénéfice du passeport européen pour les
établissements financiers.
Ces exemples sont symptomatiques des limites de
l'harmonisation minimale ; d'autant qu'ils aboutissent, dans les faits,
à avantager les Etats ayant décider de s'écarter de la
définition communautaire au détriment des Etats qui ont fait le
choix de suivre cette même définition, ce qui est à tout le
moins paradoxal. Au résultat, c'est une réelle concurrence
déloyale qui s'exerce et qui empêche l'achèvement,
l'unification, d'un marché bancaire européen. Dès lors,
l'harmonisation maximale a été l'approche encouragée par
le rapport de Larosière et finalement choisie par le législateur
européen de 2013 dans le règlement CRR I. Reste à voir si
cette harmonisation a véritablement mis fin à la fragmentation du
marché bancaire européen.
Les objectifs de l'Union européenne en matière
financière exposés précédemment ont
été les fils conducteurs d'une série de réformes
successives entamées depuis le début des années 2000 et
visant à unifier, à intégrer le marché
intérieur en matière bancaire et à rendre effectives les
libertés du Traité. L'Union européenne a ainsi peu
à peu démantelé certains segments contenus dans la liste
française des opérations de banque, modifiant ainsi les contours
du monopole bancaire français.
TITRE 2 :
LES ATTEINTES DIRECTES AU MONOPOLE BANCAIRE
FRANÇAIS PAR LE
DROIT DE L'UNION EUROPEENNE
107 Deuxième directive 89/646/CEE du
Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des
dispositions législatives, réglementaires et administratives
concernant l'accès à l'activité des établissements
de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE
108 Loi n°92-665 du 16 juillet 1992 - art. 38 JORF 17
juillet 1992 en vigueur le 1er janvier 1993
64
Le monopole bancaire français, comme nous avons pu le
voir, ressort de la liste des opérations de banque prévue
à l'article L311-1 du code monétaire et financier. Le contenu de
cet article, et donc les contours du monopole bancaire, a
évolué au fil du temps au gré des réformes
d'impulsion européenne. En effet, comme nous l'avons montré en
introduction, l'Union européenne a été en quelque sorte
l'instigatrice d'un changement de paradigme chez le législateur
français. Avant 2009, en effet, le monopole bancaire français
était conçu comme un absolu que la directive de 2006
tolérait de façon implicite. Dès lors, à
l'époque, toutes les exemptions reposaient sur la logique de l'exception
textuelle. En témoignait la rédaction de l'article L311-1 du code
monétaire et financier qui disposait que « Les
opérations de banque comprennent la réception de fonds du public,
les opérations de crédit, ainsi que la mise à la
disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement.
» Cette rédaction envisageait largement la liste des
opérations de banque et concédait, en conséquence, aux
établissements de crédit français un monopole
étendu allant de la fourniture de crédit à la collecte des
dépôts et à la fourniture de services de paiement. A partir
de 2009, cependant, sous l'impulsion du législateur européen,
nombre de segments ont été libéralisés ; de sorte
que la liste des opérations de banque s'en trouva modifiée et,
partant, le monopole bancaire altéré : ainsi en fut il -
chronologiquement - à propos de la libéralisation des
services de paiement (Chapitre 1er), de
l'émission de monnaie électronique (Chapitre 2)
et de fourniture de crédit (Chapitre 3).
Chapitre 1er : L'atteinte au monopole des paiements
Le développement des moyens électroniques de
paiement et la volonté d'assurer le bon fonctionnement du marché
unique des services de paiement (cf : « L'Europe des paiements
», supra) ont été à l'origine de
l'adoption de la directive du 13 novembre 2007 109concernant les
services de paiement dans le marché intérieur dite «
directive SEPA » pour Single European Payment Area. Cette directive a
été transposée par l'ordonnance du 15 juillet
2009110. Une de ses principales innovations est la création,
aux cotés des établissements de crédit, des
établissements de paiement dont l'activité spécifique
essentielle est constituée par les services
109 Directive 2007/64/CE du parlement européen et du
conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le
marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE,
2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE
110 Ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 relative
aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et
portant création des établissements de paiement,
complétée par un décret n°2009-934 du 29 juillet 2009
et deux arrêtés du 29 juillet 2009 et du 29 octobre 2009.
65
de paiement111. La directive est d'harmonisation
totale obligeant ainsi les Etats membres à s'aligner à la
manière du règlement. Selon l'article L522-6 CMF, un
établissement de paiement est une personne morale fournissant à
titre de profession habituelle des services de paiement. L'article L314-1 CMF
énumère ce que la loi entend par services de paiement :
virements, prélèvements, retraits et dépôts de
fonds, émission d'instruments de paiement, acquisition d'ordres de
paiement. L'opération de paiement doit donner lieu à un ordre de
paiement électronique, être effectuée par le truchement
d'un compte de paiement112. La loi prévoit également
des exclusions dont font partie les effets papier.
La principale conséquence de cette ordonnance est la
modification, sous impulsion européenne, de la liste des
opérations de banque (et donc de l'article L311-1 CMF et par
conséquent du monopole bancaire). En effet, désormais, les
services de paiement entrant dans le champ de la directive ne sont plus
couverts par le monopole bancaire mais sont ouverts à la concurrence :
celle ci joue désormais entre des établissements de crédit
et des établissements de paiement pour les mêmes services.
D'où la modification de l'article L311-1 CMF. Celui ci qui disposait que
« Les opérations de banque comprennent la réception de
fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise
à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de
paiement. » dispose désormais que : « Les
opérations de banque comprennent la réception de fonds du public,
les opérations de crédit, ainsi que les services bancaires de
paiement ». Les services bancaires de paiement désormais
visés par la loi doivent être distingués des services de
paiement en règle générale, car ils en constituent une
sous catégorie. Les banques se voient cantonner les services bancaires
de paiement, tolérés au sein du monopole, alors que les services
de paiements non exclusivement bancaires peuvent désormais être
assurés par des EP. Ainsi, le monopole bancaire voit lui échapper
les services de paiement, car ceux ci peuvent être exécutés
par plusieurs entités. Comme le résume un rapport au
président de la République113, « Les services
bancaires de paiement, tels que la délivrance de chèques ou
l'émission et la gestion de monnaie électronique, font partie des
opérations de banque qui constituent la profession habituelle des
établissements de crédit ».
111 MATHEY N., « La réforme des services de
paiement », in Revue de droit bancaire et financier n°1, Janvier
2010
112 BOUTEILLER P., « La transposition en droit
français des dispositions européennes régissant la
fourniture de services de paiement et portant création des
établissements de paiement » in JCP E n°39, 24 sept.
2009, 1987.
113 Rapport au Président de la République
relatif à l'ordonnance n° 2010-11 du 7 janvier 2010 portant
extension et adaptation de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009
relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement
et portant création des établissements de paiement à la
Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et aux
îles Wallis et Futuna in JORF n°0006 du 8 janvier 2010 page 442
66
La seconde atteinte temporelle au monopole bancaire en
provenance du droit de l'UE est celle relative à l'émission de
monnaie électronique.
Chapitre 2 : L'émission de monnaie
électronique
La monnaie électronique est définie par la
directive 114l'ayant instaurée au sein de l'UE de cette
façon : « une valeur monétaire qui est stockée
sous une forme électronique, y compris magnétique,
représentant une créance sur l'émetteur, qui est remise
contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement et qui est
acceptée par une personne physique ou morale autre que l'émetteur
de monnaie électronique » (ex Monéo). La directive a
pour ambition de promouvoir la mise en place d'un véritable
marché unique des services de monnaie électronique en Europe en
promouvant l'accès de nouveaux acteurs sur ce marché,
caractérisé par une concurrence effective entre tous les acteurs
(donc, par définition entre les banques et d'autres
établissements). Ce texte a été transposé en droit
français par une loi du 28 janvier 2013115 notamment aux
articles L315-1 et suivants du code monétaire et financier. L'innovation
de cette loi est d'introduire en droit français, sous impulsion
européenne, l'établissement de monnaie électronique qui
vient compléter un peu plus la « mosaïque 116»
des établissements à « vocation bancaire
117» se développant à coté des
établissements de crédit. L'article L525-1 CMF dispose que les
émetteurs de monnaie électronique sont les établissements
de crédit et les établissements de monnaie électronique
(c'est donc que les EME constituent une catégorie autonome à part
entière aux cotés des EC). L'article L526-1 CMF définit
quant à lui les établissements de monnaie électronique
comme « des personnes morales qui émettent et gèrent
à titre de profession habituelle de la monnaie électronique
» ; la loi leur réserve même la possibilité de
fournir des services de paiement aux cotés des établissements de
paiement. C'est bien, en filigrane, considérer que l'exclusivité
de l'émission de monnaie électronique échappe aux banques
et est partagée entre trois entités : EC, EP, EME, d'où
l'idée de « mosaïque » avancée par Thierry
BONNEAU. Le monopole bancaire
114 Directive 2009/110/CE du Parlement et du Conseil du 16
septembre 2009 concernant l'accès à l'activité des
établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que
la surveillance prudentielle de ces établissements.
115 LOI n° 2013-100 du 28 janvier 2013 portant diverses
dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union
européenne en matière économique et financière
116 BONNEAU T., « La mosaïque bancaire est-elle
de retour ? » in Revue de droit bancaire et financier, 2012,
repère 6.
117 LASSERRE-CAPDEVILLE J., « La réforme de la
monnaie électronique en droit français- un nouveau droit pour un
réel essor ? » in JCP G n°10, 4 mars 2013, doctr. 278
67
voit ainsi lui échapper la monnaie électronique
qui ne saurait, dès lors, être listée parmi les
opérations de banque de l'article L311-1 CMF.
Chapitre 3 : L'atteinte au monopole du
crédit
C'est véritablement le tournant du règlement CRR
et l'adaptation du droit français, en réaction, qui signe la plus
forte atteinte européenne au monopole bancaire français puisque
ce qui demeurait le « bastion » de la liste des opérations de
banques, le crédit, laissé intact dans l'article L311-1 CMF,
vient désormais de basculer dans le champ concurrentiel avec la
création des « sociétés de financement » par
l'ordonnance du 27 juin 2013118 (Section 1). Nous verrons que son
régime, cependant, tente de se rapprocher du régime bancaire
(Section 2).
Section 1 : La création des
sociétés de financement par l'ordonnance du 27 juin 2013
En réponse au Règlement CRR I, la
législateur a habilité par une loi de 2012 119le
gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance afin de
prendre « les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires
à la réforme du régime des établissement de
crédit eu égard à la législation bancaire de
l'Union européenne et à la définition d'un nouveau
régime applicable aux entités qui exercent une activité de
crédit sans collecte de fonds remboursables du public, ainsi que les
mesures nécessaires d'adaptation de la législation applicable aux
établissements de crédit et notamment leurs conditions
d'agrément qui sont liées à la définition de ce
nouveau régime ».
L'adoption d'un règlement d'harmonisation totale force
en effet le législateur français d'une part à calquer sa
définition de l'établissement de crédit sur celle de
l'Union (voir infra), et d'autre part à prévoir un
statut ad-hoc pour les entités qui, naguère
rattachées aux établissements de crédit, exercent des
activités de crédit sans collecter des fonds du public et qui,
désormais, ne pourront plus être rattachées aux EC. Ainsi
naissent les sociétés de financement. Les sociétés
de financement ne sont pas des établissements de crédit, alors
même qu'elles sont autorisées à distribuer des
crédits. Selon l'article L511-1 II du code monétaire et financier
issu de l'ordonnance du 27 juin 2013, les sociétés de
financement
118 Ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 relative aux
établissements de crédit et aux sociétés de
financement
119 Loi n°2012-1559 du 31 décembre 2012 relative
à la création de la Banque publique d'investissement et
autorisant le gouvernement à légiférer par voie
d'ordonnance
68
« sont des personnes morales - autres que des
établissements de crédit - qui effectuent à titre de
profession habituelle et pour leur propre compte des opérations de
crédit dans les conditions et limites définies par leur
agrément ». A lire les travaux préparatoires à
l'adoption de ce nouveau statut, on comprend que le but premier de
l'instauration d'une telle structure répond avant tout à un
objectif de mise en conformité avec le droit de l'UE : en effet, cette
nouvelle catégorie de prestataires est destinée à
regrouper les entreprises qui étaient agréées en
qualité de société financière à une
époque où la définition des EC ne lisait pas la
réception de fonds du public à la distribution de crédit
et qui ne peuvent être maintenues dans la catégorie des EC en
raison du lien établi entre ces activités par la nouvelle
définition telle qu'elle résulte de l'ordonnance du 27 juin 2013.
Pour autant, par delà cette vision de simple « mise en
conformité », il nous semble que l'instauration du statut de
société de financement est conceptuellement susceptible d'offrir
de nouvelles potentialités économiques qui vont au delà
d'une simple mise en conformité, et ce, en raison de leur statut vis
à vis du monopole bancaire. En effet, l'article L511-5 du code
monétaire et financier, bastion du monopole bancaire, dispose
désormais que : « Il est interdit à toute personne autre
qu'un établissement de crédit ou une société de
financement d'effectuer des opérations de crédit à titre
habituel ». Ainsi, on déduit des termes de la loi que les
sociétés de financement sont protégées au regard du
monopole bancaire, en ce sens que, bien que n'étant pas formellement des
banques, elles bénéficient de la possibilité de
réaliser, à titre habituel, des opérations de
crédit, et ce alors même qu'elles ne reçoivent pas de
dépôts du public. Dès lors, et comme on le verra par la
suite, l'introduction d'un tel statut Ð qui plus est protégé
au regard du monopole bancaire Ð permet à des entités jusque
ici privées de la possibilité de réaliser des
opérations de crédit car elles ne désiraient pas devenir
des EC d'adopter ce nouveau statut afin de pouvoir mener une activité de
prêt, sans recevoir de dépôts, et sans contrevenir au
monopole bancaire ; pourvu que le statut et les conditions d'agrément
soient toujours moins contraignante que celles d'EC afin de rendre ce statut
attractif, notamment pour les entités du shadow banking qui,
comme on l'a vu en partie 1, désirent faire des prêts pour
répondre à des besoins en risquant de se mettre en contravention
avec la loi. Ce statut offre désormais une porte de sortie, du moins en
théorie, dont la véracité devra être
examinée.
En tout état de cause, la nouvelle mouture de l'article
L511-5 CMF a de quoi étonner le juriste. Il est, en effet, pour le moins
curieux de faire entrer dans le champ du monopole bancaire une entité
comme la société de financement dont la principale
caractéristique est de n'être pas une banque. On est ici dans
l'hypothèse d'un rattachement artificiel, par pure commodité, des
sociétés de financement au monopole bancaire. Il aurait
été plus cohérent et
69
plus lisible d'exclure les sociétés de
financement du champ du monopole bancaire en disposant, dans le code
monétaire et financier, que « les sociétés de
financement peuvent exercer des activités de crédit sans
préjudice des dispositions de l'article L511-5 ». Cependant,
cela revenait à admettre implicitement que le monopole bancaire devenait
une notion « fantôme », vidée de sa substance, de telle
sorte que le législateur a préféré maintenir une
notion désormais artificielle et d'inclure dans son champ une
catégorie de prestataire non bancaire. On ne peut que regretter ce choix
dans la mesure où il introduit une confusion dans l'esprit du
justiciable : le législateur assortit à un même
régime (celui du monopole bancaire) deux catégories de nature
différentes (l'une bancaire, l'une non-bancaire) en rompant le principe
selon lequel « une notion = un régime ». On
créée un lien artificiel entre une notion et un régime (le
monopole bancaire et les sociétés de financement).
Section 2 : Le régime juridique de la
société de financement
Si les sociétés de financement font l'objet de
quelques dispositions propres (L515-1 et suivants CMF), elles sont soumises au
statut bancaire de droit commun par renvoi aux dispositions applicables en
matière d'EC, ce qui rend poreuse la distinction entre des
entités qui, pourtant, sont d'une nature différente (bancaire et
non-bancaire). La réforme peut paraître décevante en ce
qu'un véritable régime complet des sociétés de
financement n'a pas été érigé, preuve du
désintérêt du législateur pour cette
catégorie de prestataire, qui augure une portée pratique
limitée alors même qu'elle aurait pu être porteuse de
potentialités. Pour autant, certaines dispositions leurs sont propres et
diffèrent de façon assez nette de celles applicables aux EC. Les
activités permises aux sociétés de financement sont ainsi
moins étendues que les EC : les sociétés de financement ne
peuvent recevoir des fonds du public (au sens de l'article L312-2 nouveau CMF).
Pour autant, les activités qui leur sont autorisées se
rapprochent de celles des banques ; ainsi elles peuvent mener les
opérations de banque de l'article L511-1 et d'autres activités
telles que la fourniture de services de paiement, l'émission de monnaie
électronique, ou la fourniture de service d'investissement
120(après obtention de l'agrément). Ainsi, la seule
différence notable concerne les dépôts.
En outre, l'article L511-10 précise de manière
importante que les sociétés de financement sont agrées par
l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et sont
soumises à des règles
120 Article L515-1 du code monétaire et financier
70
comptables et prudentielles. Nous examinerons ces conditions
plus tard, mais il faut bien garder en tête qu'il y ici un enjeu pour la
portée même de la société de financement. Non
seulement la loi va imposer des conditions à la fois prudentielles et de
toute autre nature, mais, également, l'ACPR aura un droit de regard pour
délivrer l'agrément ; de telle sorte que pour constituer une
véritable avancée du droit et permettre une réelle
libéralisation du crédit, il est nécessaire que, d'une
part, l'ACPR ne soit pas défavorable à l'octroi d'agrément
à des entités dites de « shadow banking » et
que d'autre part le statut prudentiel et les conditions d'agrément de la
société de financement soient au moins plus attractives que
celles d'établissement de crédit, de sorte que les entités
qui, jadis, étaient rétives à solliciter un tel
agrément car trop lourd puissent désormais profiter des
potentialités de ce nouveau statut. Néanmoins, comme nous le
verrons, ce pari est loin d'être gagné, tant la liberté
interprétative de l'ACPR sera amenée à jouer un
rôle, combinée aux conditions de l'octroi d'agrément.
Il demeure que, à ce stade, l'introduction de la
société de financement pose plus de questions qu'elle n'en
résout. Nous avons peu de recul. Toutefois, il est certain que la
réforme impulsée par l'UE était propice à une
véritable redéfinition du monopole bancaire. La réforme
française laisse les contours de ce dernier inchangé alors que
les entorses se multiplient (non sans sacrifier une certaine cohérence
du droit et maintenir une vieille notion de notre droit bancaire en état
de « survie » artificielle), que le crowfunding commence
à inquiéter, et que l'AMF est obligée de rappeler les
règles applicables121. De même, l'opération de
crédit, pourtant un concept central, n'a pas été
(re)définie, ce qui laisse planer la confusion sur ce qu'il est possible
d'entendre par « opération de crédit » et qui,
dès lors, rend non sécurisées les opérations
juridiques pouvant être effectuées par les nouvelles
sociétés de financement. Définir précisément
ce que l'on entend par opération de crédit aurait permis de
créer un « safe harbour » à
l'américaine pour les sociétés de financement, permettant
de leur conférer une réelle portée économique, au
delà de la simple mise en conformité juridique.
Reste, maintenant, à voir, en pratique (tant en droit
que dans la pratique des affaires) les conséquences de l'introduction de
ce nouveau statut en droit français.
121 LEGEAIS D., « Etablissements de crédits
», Chronique in RTD Com 2013 p559, Dalloz.
71
TITRE 3:
LES CONSEQUENCES DES ATTEINTES EUROPEENNES AU
MONOPOLE
BANCAIRE FRANÇAIS
Reprenant les objectifs précédemment
décrits du règlement CRR I, il nous faudra examiner ses
conséquences tant au niveau national (Chapitre
1er) qu'européen (Chapitre 2).
Chapitre 1er : Les conséquences au niveau
national
La nouvelle définition de l'établissement de
crédit (Section introductive) consécutive à la
réforme et à l'introduction de la société de
financement est de nature à interroger sur ce qu'il reste
désormais du monopole bancaire français (Section 1) et sur les
potentialités économiques offertes par l'introduction de cette
nouvelle forme de prestataire (Section 2). Nous verrons cependant que, loin de
constituer une réforme de portée, la société de
financement est décevante (Section 3) car elle constitue une simple mise
en conformité avec le droit de l'Union sans que le droit français
n'ait pris en compte les besoins de la pratique. Nous verrons alors s'il est
possible de répondre aux besoins autrement que par la
société de financement, ce qui nous amènera à
réfléchir de lege feranda.
Section introductive : La nouvelle définition de
l'établissement de crédit en
droit français
Depuis 1984, l'article L511-1 I du code monétaire et
financier disposait, comme on l'a vu, que « Les établissements
de crédit sont des personnes morales qui effectuent à titre de
profession habituelle des opérations de banque au sens de l'article L.
311-1 ». Désormais, ce même article dispose que : «
Les établissements de crédit sont les personnes morales dont
l'activité consiste, pour leur propre compte et à titre de
profession habituelle, à recevoir des fonds remboursables du public
mentionnés à l'article L. 312-2 et à octroyer des
crédits mentionnés à l'article L. 313-1 ». Ce
changement illustre la mise en conformité de la définition
française de l'établissement de crédit avec celle retenue
depuis 1977 par le droit de l'Union européenne. Il existe donc
désormais un lien indissociable entre la réception des
dépôts et l'octroi de crédit afin de pouvoir
prétendre au statut d'établissement de crédit. Auparavant,
il suffisait, pour être considéré comme un EC, d'effectuer
l'une des opérations de
72
banque prévue à l'article L311-1122.
Désormais, ce n'est plus possible et le simple fait de réaliser
une opération de banque, comme le crédit, ne permet pas d'obtenir
la qualification d'EC en l'absence de la collecte des dépôts.
Ces évolutions conduisent, alors, à s'interroger
sur ce qu'il demeure, aujourd'hui, du monopole bancaire français.
Section 1 : Que reste-il du monopole bancaire
français ?
Par « monopole bancaire », nous entendons le
monopole des établissements de crédits établi par la loi
bancaire de 1984. Dès lors, même si les sociétés de
financement ont été rattachées aux dispositions relatives
au monopole bancaire afin de bénéficier de son régime
protecteur pour les activités de crédit, ce qui revient à
les faire entrer « dans le champ » du monopole bancaire, il
n'en demeure pas moins que, au sens strict, le monopole des EC est
réduit par l'entrée même de la société de
financement dans le paysage juridique français. En
réalité, si le législateur n'avait pas
procédé par rattachement de la société de
financement (qui n'est pas un EC) au régime du monopole bancaire, cette
notion aurait eu du mal à trouver encore sa place au sein du code
monétaire et financier. Pour autant, même si elle est
artificiellement maintenue dans la loi, nous verrons que, dans la pratique, le
monopole bancaire est fortement réduit, à tel point qu'on se
demande si on peut encore employer cette expression. Comme le souligne un
auteur123, la définition des établissements de
crédit à partir des crédits et des dépôts
traduit un recul du concept d'opérations de banque, puisque celui ci
disparaît de l'article L511-1 CMF. Il en va de même pour le
monopole bancaire (ce qui n'est pas anodin, car il existe un lien entre la
liste des opérations de banque et le monopole bancaire) l'article L511-5
CMF dispose désormais qu'il est interdit à toute personne autre
qu'un établissement de crédit ou une société de
financement d'effectuer des opérations de crédit à titre
habituel. Ainsi, le monopole bancaire n'existe plus en matière de
crédits puisque les EC partagent ce « monopole » avec
d'autres entités non-bancaires (les sociétés de
financement).
Pour les services de paiement, nous avons montré dans
les développements précédents que suite à la
directive SEPA et à la création des établissements de
paiement, les banques ont perdu le monopole des services de paiement ;
activité qu'elles partagent avec les EP. Elles ne conservent que les
services bancaires de paiement, seuls mentionnés à l'art L311-1
CMF.
122 GAVALDA C., STOUFFLET J., « La loi bancaire du 24
janvier 1984 » in JCP G 1985, 3176
123 BONNEAU T., « La réforme des
établissements de crédit - commentaire de l'ordonnance du 27 juin
2013 », in JCP E n°29, 18 juillet 2013, 1429
73
Ainsi, il semble que le seul domaine qui demeure uniquement du
ressort des établissements de crédit est l'activité de
collecte des dépôts et les services bancaires de paiement. Cela se
déduit des termes de l'article L511-5 du code monétaire et
financier qui précise que « Il est, en outre, interdit à
toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir
à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des
services bancaires de paiement ». D'ailleurs, comme pour faire porter
l'emphase sur la collecte des dépôts, le législateur a
modifié, avec l'ordonnance du 27 juin 2013, la définition des
dépôts figurant à l'article L312-2 CMF : « Sont
considérés comme fonds remboursables du public les fonds qu'une
personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts,
avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour
elle de les restituer. Un décret en Conseil d'Etat précise les
conditions et limites dans lesquelles les émissions de titres de
créance sont assimilables au recueil de fonds remboursables du public,
au regard notamment des caractéristiques de l'offre ou du montant
nominal des titres ». Cette formulation, en se référant
plus aux « fonds remboursables » qu'aux dépôts, se
rapproche de la définition européenne.
De ces constatations, que conclure quant à l'existence
du monopole bancaire français ?
A priori, il semble d'ores et déjà que
l'expression « monopole bancaire français » soit
désormais obsolète voire galvaudée, au point même
qu'il serait fortement ambigu de continuer à l'employer, en ce sens
qu'elle est de nature à introduire une confusion dans l'esprit du
justiciable (c'est à dire des praticiens). En effet, il découle
de notre analyse qu'il n'existe plus à proprement parler de «
monopole bancaire », terme générique qui se
justifiait en 1984 lorsque les établissements de crédit se
voyaient réserver l'exécution des opérations de banque ;
mais il existe un monopole des établissements de crédit
pour certaines activités : à savoir la collecte de fonds
remboursables du public et les services bancaires de paiement. C'est pourquoi
un changement de terminologie s'impose de prime abord : il vaudrait,
désormais, mieux parler de « monopole de la collecte de fonds
remboursables du publics » et de « monopole des services
bancaires de paiement » (ce qui serait un pléonasme). Sur le
fond, il aurait été opportun de préciser clairement (et
dans un même article) quels sont les domaines réservés des
établissements de crédit, et les opérations pouvant
éventuellement (mais pas exclusivement) être exercées par
un établissement de crédit (les opérations de
crédit et de paiement).
Au lieu de cela, demeure une réglementation peu lisible
où, en liant la société de financement au monopole
bancaire, le législateur introduit une confusion en laissant croire
qu'il existe encore un monopole des EC pour le crédit, alors même
que les sociétés de financement, bien
74
qu'artificiellement rattachées au monopole, ne sont pas
des EC. Le justiciable, ainsi, peut, par erreur, considérer que la
société de financement est en fait un avatar des anciennes
sociétés financières (la terminologie est d'ailleurs
très proche) qui, elles, étaient des établissements de
crédit, alors même que les sociétés de financement
n'en sont pas. Nul doute que ce rattachement a permis à la notion de
monopole bancaire de « subsister » au sein de la loi, alors
même qu'elle est vidée de sa substance et qu'elle ne trouve plus
aucune justification.
Ces ambiguïtés sont, en réalité,
révélatrices de l'esprit du législateur : donner à
la société de financement nouvelle la portée la plus
restreinte possible, alors qu'elle semblait porteuse de potentialités
économiques.
Section 2 : Le potentiel de la société de
financement
L'introduction de la société de financement en
droit français aurait pu être source de nouvelles exploitations
par la pratique. En effet, cette forme juridique présente l'avantage de
permettre la réalisation d'opérations de crédit à
titre régulier sans collecter des fonds du public et sans obtenir
l'agrément d'établissement de crédit. La
société de financement peut, en théorie, octroyer des
prêts sur fonds propres ou sur des fonds empruntés par elle sur
les marchés financiers. Jusqu'à présent, certaines
entités non-bancaires qui désiraient pourtant effectuer des
opérations de crédit se heurtaient à un dilemme. Elles
avaient le choix entre d'une part se mettre en contravention avec la loi en
exerçant des opérations de prêt à titre habituel, et
d'autre part la sollicitation d'un agrément auprès de
l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pour
devenir un établissement de crédit. Comme on a pu le voir, le
régime prudentiel de l'établissement de crédit correspond
au niveau le plus élevé de contraintes (observation de ratios de
fonds propres, application des règlementations issues de Bâle,
règles concernant le capital et la gouvernance, l'actionnariat) ce qui
se justifie par des impératifs de stabilité financière et
de protection des déposants. Ce statut était donc, par nature,
répulsif pour des entités qui, sans collecter les
dépôts, et sans avoir une structure financière aussi
solide, désiraient de temps à autre se livrer à des
opérations de crédit. Même si rien n'empêchait un
fonds d'investissement ou hedge fund non OPCVM de solliciter un tel
agrément, aucune entité n'aurait songé se soumettre
à des contraintes telles que celles pesant sur les EC, a fortiori
en ces temps de durcissement prudentiel.
L'introduction du véhicule de la société
de financement en droit français paraît rompre ce statuquo
en ce qu'elle permet, conceptuellement, à des entités en
capacité de financement d'effectuer des opérations de
crédit à titre régulier.
75
Le premier avantage de la société de financement
est qu'elle permet, là encore conceptuellement, de restaurer la
sécurité juridique d'un certain nombre
d'opérations, notamment des opérations de crédit
déjà existantes dans la pratique par certaines entités du
shadow banking (cf partie I). En outre, elle permet à d'autres
entités de se lancer dans des opérations de crédit en
étant protégées au regard de l'interdiction de l'article
L511-5 CMF puisqu'il vise expressément les sociétés de
financement. Ces sociétés pourront alors exercer des
activités de crédit à titre habituel sans risquer les
sanctions afférentes aux violations du monopole bancaire et
exposées en introduction.
En pratique, quelles hypothèses cela pourrait recouvrir
?
Certains fonds monétaires (OPCVM monétaires),
spécialisés dans de la dette à court-terme, pourraient
vouloir se lancer dans des activités de crédit. Aussi, comme le
statut de la société de financement est incompatible avec la
gestion collective, il est envisageable pour la société de
gestion de portefeuille qui héberge le fonds monétaire de
créer une filiale qui prétendrait au statut de
société de financement et serait capitalisée comme tel,
afin de fournir des service de prêt à titre régulier aux
clients habituels du fonds monétaire, sans recourir à
l'émission de titres à court-terme.
De même, les nombreux fonds de private equity
auraient un intérêt encore plus prononcé à
créer des filiales sociétés de financement ou à
solliciter directement ce statut, afin de pouvoir fournir, en plus de leurs
investissements en capital, de la dette mezzanine non plus constituée
sous forme obligataire mais sous forme de contrat de prêt. Il en va de
même pour des fonds d'investissement alternatifs non constituée
sous forme de gestion collective.
Ainsi, toute entité qui n'est pas une banque et qui
désire fournir des prestations de crédit peut prétendre
(directement ou au moyen de la création d'une filiale
dédiée) au statut de société de financement, ce
statut étant plus léger que celui d'une banque (donc
théoriquement plus attractif) (FIA, fonds de gestion alternative,
hedge funds, OPCVM dont certains peuvent intervenir sur le marché
du refinancement mais pas sur le marché primaire).
Est-ce à dire que la société de
financement constitue le nouvel eldorado juridique, la nouvelle «
structure de droit commun » pour les entités du shadow
banking qui espèrent pouvoir se livrer à des
activités bancaires en étant protégées et
adjuvées par un nouveau statut créé spécialement
pour elles ?
76
Il semble que les espoirs qu'autorise l'introduction de la
société de financement en droit français se heurtent, pour
autant, à l'agrément de l'Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution qui, en vertu de l'article L511-10 du code
monétaire et financier.
Section 3 : Les déceptions de la
société de financement
§1 : L'obstacle de l'agrément par
l'ACPR
Les déceptions entrainées, au sein de la
pratique, par la société de financement, sont multiples. Il
existe des déceptions de nature prudentielle, car le statut de
société de financement semble peu attractif en raison de la
volonté du législateur de l'encadrer presque autant qu'un
établissement de crédit, au motif que la libéralisation de
l'activité de crédit présente des risques en termes de
stabilité financière qu'il convient de prévenir (cf partie
III). Mais avant même de songer à l'attractivité
économique du statut de société de financement, un premier
obstacle s'est d'ores et déjà dressé ; et sa vigueur
risque d'être difficile à contourner. Il s'agit de la
méfiance exprimée par l'Autorité de contrôle
prudentiel à l'égard du statut de société de
financement.
S'il est vrai que, conceptuellement, la société
de financement permet de libéraliser l'activité de crédit
et de l'ouvrir à des entités du shadow banking, il n'en
demeure pas moins que l'ACPR apparaît très réticente
à ce sujet. La lecture des travaux préparatoires à la loi
d'habilitation permettant au gouvernement de légiférer par voie
d'ordonnance, l'esprit de l'ordonnance du 27 juin 2013 et des décrets
relatifs au régime prudentiel des sociétés de financement
ainsi que les propos tenus par Danièle NOUY, ancienne secrétaire
générale de l'ACPR laissent à penser que l'introduction de
la société de financement en droit français ne sert pas
l'objectif de libéralisation du monopole bancaire. En effet, alors
même que le but à demi avoué de l'Union européenne,
en faisant pression pour que les définitions de l'établissement
de crédit soient harmonisées avec le règlement CRR I,
était de permettre à des entités autres que les
établissements de crédit de faire des opérations de
crédit à titre régulier en ces temps de durcissement
prudentiel (cf : le discours de Michel BARNIER), la France ne semble pas avoir
entendu les choses de la même façon. De l'aveu même de
l'ACPR, que nous avons personnellement contacté dans le courant de
l'année, l'introduction de la société de financement en
droit français répond uniquement à un objectif de mise en
conformité avec le droit de l'Union européenne (et notamment le
package CRD IV / CRR I): comme les sociétés financières
devenaient obsolètes, elles ont été remplacées par
la société de financement. Ainsi,
77
pour l'ACPR, les sociétés de financement ne
constituent qu'un changement de statut qui bénéficiera uniquement
aux anciennes sociétés financières qui ne pouvaient
désormais plus être rattachées aux banques car elles ne
sont pas de dépôts.
Les services juridiques de l'Autorité de contrôle
prudentiel et de résolution, service des agréments et des
exemptions, nous ont confirmé que l'autorité avait conscience des
potentialités permises par la société de financement au
regard des entités de shadow banking ; mais qu'elle s'en
tiendrait à la ligne fixée par la secrétaire
générale à savoir le maintien de la stabilité
financière. Cette ligne de conduite semble contraire, sinon dans la
lettre, du moins dans l'esprit, au droit de l'Union européenne car si la
France s'est mise en conformité, elle ne compte pas exploiter toutes les
potentialités juridiques de ce nouveau statut. Il est dès lors
possible de s'interroger sur l'opportunité de l'introduction d'un
recours en manquement de la part de la Commission européenne, à
l'encontre de la France. Cette possibilité semble difficile en ce sens
que le Règlement est appliqué dans sa lettre. Le recours en
manquement devrait, le cas échéant, être introduit pour
mépris de l'esprit du texte du règlement CRR, ce qui apparait peu
praticable.
On retrouve dans le discours 124de Danièle
NOUY une politique de prudence, voire de défiance envers les
entités du shadow banking system. Outre un régime
prudentiel peu attractif, c'est au niveau de l'octroi de l'agrément que
le bât blesse.
En effet, aux termes de l'article L511-10 CMF, «
L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
vérifie si l'entreprise satisfait aux obligations prévues aux
articles L. 511-11, L. 511-13, L. 515-1-1 ou 93 du règlement (UE)
n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et
l'adéquation de la forme juridique de l'entreprise à
l'activité d'établissement de crédit ou de
société de financement, selon les cas. Elle prend en compte le
programme d'activités de cette entreprise, son organisation, les moyens
techniques et financiers qu'elle prévoit de mettre en oeuvre ainsi que,
dans les conditions définies par arrêté du ministre
chargé de l'économie, l'identité des apporteurs de
capitaux et le montant de leur participation ». L'article
précise en outre, plus loin, que : « L'Autorité refuse
l'agrément lorsque l'exercice de la mission de surveillance de
l'entreprise requérante est susceptible d'être entravé soit
par l'existence de liens de capital ou de contrôle directs ou
indirects entre l'entreprise et d'autres personnes physiques ou
morales, soit par l'existence de dispositions législatives ou
réglementaires d'un Etat qui n'est pas partie à l'accord sur
l'Espace économique européen et dont relèvent une ou
plusieurs de ces personnes » mais encore et
124 Discours de Danièle NOUY, secrétaire
générale de l'ACPR, à l'ASF le 26 juin 2013 relatif
à la présentation de la réforme du statut d'EC et à
la société de financement (et notamment à ses aspects
prudentiels).
78
surtout que : « L'Autorité refuse
l'agrément s'il existe, au regard des critères
d'appréciation prévus au I de l'article L. 511-12-1, des motifs
raisonnables de penser que la qualité des apporteurs de capitaux
ne permet pas de garantir une gestion saine et prudente ou si les
informations communiquées sont incomplètes. »
La lecture des articles L511-10 et suivants CMF pris
conjointement avec les articles auxquels ils font référence
suggère que lorsqu'une entité, sollicitant l'agrément en
tant que société de financement respecte toutes les conditions
(solvabilité, capital, etc.), l'ACPR est tenue de lui délivrer
son agrément. Néanmoins, les passages soulignés dans
l'article L511-10 du code monétaire et financier suggèrent, quant
à eux, qu'il existe des ilots discrétionnaires en vertu desquels
l'ACPR peut refuser un agrément si : elle a un doute sur la
qualité des apporteurs de capitaux (actionnaires) de la
société de financement et leur capacité à garantir
une gestion « saine et prudente » et si il existe des liens
capitalistiques avec des entités susceptibles de gêner la
surveillance prudentielle.
Il semble que ces dispositions revêtent une
particulière importance dans l'affaire qui nous occupe. En effet, les
services de l'ACPR nous ont confirmé qu'ils entendraient s'appuyer sur
de telles dispositions pour refuser l'agrément à des
entités de shadow banking au motif qu'elles ne
présentent pas les garanties suffisantes en termes de « gestion
saine et prudente ». Ainsi, l'autorité de régulation
trouve une porte de sortie dans cette législation en ce qu'elle lui
permet d'apprécier de façon discrétionnaire la
qualité de l'actionnariat afin de délivrer l'agrément.
Dès lors, nul doute qu'une entité de shadow banking qui
prétendrait au statut de société de financement et qui
serait contrôlée (en tant que filiale) par un fonds
monétaire, un hedge fund (fonds d'investissement alternatif) ou
un fonds de private equity a de forte chances de se voir opposer une
fin de non recevoir au motif qu'elle présente des risques en termes de
stabilité financière.
En pratique, seules des anciennes sociétés
financières ont obtenu l'agrément de société de
financement selon les données de l'ACPR 125: il s'agit
notamment de la société Européenne de cautionnement SA
(société de cautionnement), Jonh Deere Financial
(société de crédit-bail) et de MACSF Financement
(crédit-bail et assurance). Il y a tout lieu de penser pour que la liste
des futures sociétés obtenant l'agrément de
société de financement contienne quasi uniquement des anciennes
sociétés financières en raison de la ligne de conduite
choisie par l'autorité de régulation.
125
http://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/publications/registre-officiel/20140101
liste societe financement.pdf
79
Cet obstacle apparaît difficile à surmonter.
D'où le scepticisme des praticiens qui ont accueilli la
société de financement avec circonspection. Face à cette
réforme en demi-teinte, la pratique, dont les besoins subsistent, a
alors cherché des contournements qui ne passeront pas par la
société de financement mais bien par d'autres moyens.
§2 : Les solutions envisageables
:
Il existe à cet égard des solutions
tournées vers l'international et d'autres, plus nationales.
Au niveau international, on peut imaginer la mise en
place de délocalisations, impulsées d'ailleurs par la pratique,
qui se fondent sur l'interprétation du champ d'application territorial
du monopole bancaire (on introduit alors un élément
d'extraterritorialité dans l'opération, comme cela est
très courant dans la pratique actuelle). En effet, le droit pénal
français est d'application territoriale ; dès lors, l'infraction
de violation du monopole bancaire doit être localisée sur le
territoire de la République pour être répréhensible.
A contrario, lorsque les éléments constitutifs de
l'infraction sont localisés hors de France, la loi pénale
française n'est plus applicable. Dans un arrêt
Cass.com 17 sept. 2002, la Cour de
cassation a jugé que l'infraction de violation du monopole bancaire est
une infraction complexe et que ses trois éléments constitutifs
sont l'acte de prêt, la remise des fonds et l'encaissement des
remboursements. A cet égard, il semble que la Cour de cassation
considère que lorsque les offres de prêt ont été
proposées par des intermédiaires et acceptées en France,
les contrats ont été formés sous l'égide du droit
national et sont de ce fait soumis à la loi française. Ainsi,
afin de s'assurer que l'opération ne soit pas localisée en
France, il faudra s'assurer que la négociation et la signature des
contrats, la mise à disposition des fonds, le paiement du principal et
des intérêts se situent tous en dehors du territoire
français. Dès lors, la loi pénale n'est pas applicable.
Cela nécessite ainsi que les parties impliquées ne soient pas des
succursales d'un établissement de crédit étranger
établies en France. En pratique, cela revient à faire appel
à un véhicule immatriculé hors de France (bancaire ou non
bancaire, dans les pays où de telles entités peuvent effectuer
des opérations de crédit) : un établissement chef de file
étranger (notamment luxembourgeois) par qui vont transiter tous les
contrats et les remboursements, sans passer par la France. De tels
établissements chefs de file peuvent utilement intervenir dans les
opérations financières complexes tels que les montages LBO :
même si l'opération a pour cible une société
française, et pour holding une société française,
rien n'empêche de faire intervenir des fonds d'investissement
français et/ou étrangers pour éviter les règles
relatives au monopole bancaire.
80
Au niveau national, cette fois, plusieurs
possibilités sont également envisageables. La première
serait de raisonner dans la logique de l'exemption. L'article L511-6 du code
monétaire et financier permet toute une série d'exceptions aux
règles du monopole bancaire au bénéfice de certaines
entités que nous avons examinées précédemment. Une
proposition intéressante serait, de lege feranda,
d'insérer à la suite de cet article un nouvel alinéa qui
ouvrirait la possibilités à des entités actuellement non
exemptées (fonds de dette, fonds d'investissement en capital, certains
FIA non constitués sous la forme d'organismes de placement collectifs)
d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel
mais seulement auprès d'investisseurs qualifiés
nommément désignés (ce qui est d'ailleurs la
même logique qu'en matière d'offres publiques de titres
financiers). Ce faisant, la nouvelle rédaction de l'article L511-6 ne
subordonnerait pas la possibilité, pour les entités
précédemment citées, de faire du crédit à
l'obtention d'un quelconque agrément : raisonnant dans la logique de
l'exemption, le législateur ne ferait que permettre de façon
ponctuelle la réalisation de prêts à des investisseurs
présentant soit de par leurs connaissances du marché, soit de par
leur qualité sur ce marché le statut d'investisseurs
qualifiés. En cela, il ne serait pas opportun d'entendre ici la notion
d'investisseur qualifié de la même façon que pour l'offre
au public de titres financiers. Nous considérons que la qualité
d'investisseur qualifié pourrait être, dans cet article,
définie comme « un investisseur qui intervient
régulièrement dans des opérations financières
complexes impliquant à la fois des entités bancaires et non
bancaires et qui présente une certaine taille financière
(fixée par décret) » (type LBO).
Une autre possibilité est à rechercher du
côté de la législation relative au crowfunding. Ce
mode de financement de nature participative semble avoir la faveur de la
pratique, en ce sens qu'il permet aux acteurs en besoin de financement de
proposer directement leurs projets aux particuliers ou entreprises
désireux d'investir. En effet, Avec le « crowdfunding
», les particuliers peuvent se muer, par l'intermédiaire
d'Internet, en mécènes ou en banquiers, en donnant, prêtant
ou investissant leur argent dans des projets ou des entreprises126.
Cette pratique existait depuis quelques années de façon
officieuse sur les réseaux informatiques127, mais elle ne
bénéficiait d'aucun encadrement juridique. Le gouvernement entend
remédier à cette situation en légiférant par voie
d'ordonnance et en créant un véritable régime juridique du
financement participatif. A la vérité, il semble que le
crowfunding soit un des rares domaines qui semble avoir la faveur du
législateur et du régulateur. Ces derniers entendent, en effet,
libéraliser le crowdfunding pour en faire un mode de
financement régulier et usuel de
126 « La France veut accélérer l'essor du
financement participatif », in Le Monde Economie, 14 février
2014
127 « La France se met à l'heure du crowdfunding
» in Le Monde Economie, 21 octobre 2013
81
l'économie réelle128. On parle
même d'assouplir le monopole bancaire, ce qui est un fait rarissime qui
contraste fortement avec la frilosité exprimée à
l'égard de la société de financement qui, pourtant,
constitue un outil de financement aussi utile en ces temps de
raréfaction du crédit. L'Autorité de contrôle
prudentiel a d'ores et déjà annoncé que l'ordonnance
à venir créerait une exception nouvelle au monopole
bancaire129. Ainsi, pour permettre à des plates-formes de
prêts de se développer dans des conditions de
sécurité suffisantes, il est ajouté une nouvelle exception
à l'article L. 511-6 pour permettre à des particuliers de
consentir un prêt rémunéré à d'autres
personnes physiques ou à une personne morale (entreprise,
association...) dès lors que les opérations seraient
réalisées dans le cadre d'un financement regroupant un nombre
minimal de participants (une vingtaine). Un décret précisera le
montant du plafond de prêt consenti par chaque particulier pour un projet
donné ainsi que le plafond global du crédit octroyé. Il
serait rajouté à l'article L511-6 CMF un 7°. 130. Le contenu
prévisionnel de l'ordonnance a été annoncé
récemment131. Outre la création de statuts
particuliers (Conseiller en investissement participatif, Intermédiaire
en financements participatifs) pour les plateformes de mise en relation des
investisseurs avec les porteurs de projet, le régime semble
prévoir la possibilité pour des personnes physiques (uniquement)
de prêter jusqu'à 1000 euros par projet à une personne
physique ou morale, sans contrevenir aux règles du monopole bancaire, et
à titre régulier.
On ne peut que se féliciter de cette réforme,
tout en constatant qu'elle est insuffisante et que le crowdfunding
présente des potentialités bien plus larges. Le
législateur l'a bien senti, en concédant une exemption au
monopole bancaire. La figure du financement participatif, qui acquière
désormais un véritable régime juridique
sécurisé, est porteuse d'espoirs ; mais le législateur
entend tout de même ne pas lui conférer une trop large
portée pour des raisons tenant au « risque de protection
insuffisante du prêteur et de l'emprunteur et à un risque de
distorsion de concurrence pénalisant les acteurs régulés
du crédit par rapport aux nouveaux
128 Proposition d'ordonnance de Fleur Pellerin devant être
votée à l'été 2014
129 «Un nouveau cadre pour le développement du
financement participatif », consultation ACPR / AMF disponible :
http://acpr.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/acp/Communication/Communiques%20de%20presse/20130930-cadre-financement-participatif.pdf
130 « 7. Aux personnes physiques qui consentent un
crédit à titre onéreux dans le cadre du financement
collectif d'un projet déterminé, à condition que le nombre
de prêteurs soit supérieur à vingt et que le montant total
du crédit et celui prêté par chaque participant
n'excèdent pas des plafonds fixés par décret. »
131 « Financement participatif : le projet d'ordonnance
dévoilé » in Les Echos, 30 avril 2013
82
entrants » selon les dires du Comité
consultatif du secteur financier132. C'est ainsi que le pouvoir
règlementaire viendra fixer la limite de prêt autorisée.
Si l'on raisonne de lege feranda, il apparait que le
régime juridique de la finance participative pourrait être
amélioré pour satisfaire au mieux aux besoins de la pratique, en
réaction à la figure décevante de la société
de financement. Il serait ainsi souhaitable d'une part d'étendre les
montants maximum pouvant être prêtés par une personne
physique à des niveaux plus élevés, et d'insérer
dans la loi la possibilité pour des personnes morales de prêter
à d'autres personnes physiques ou morales au titre du
crowdfunding. Cela permettrait ainsi de répondre au mieux aux
besoins de la vie des affaires, en ce sens que les acteurs en forte
capacité de financement, qu'elle que soit leur qualité (personne
physique ou morale) pourraient choisir des projets dans lesquels investir et
réaliser des opérations de prêt. Bien entendu, cette
avancée est loin d'être envisagée par le législateur
tant ses conséquences sur la profession bancaire seraient importantes.
De plus, on comprend que le législateur ait tendance à limiter le
mécanisme dans sa portée en ce sens que les personnes
prêteuses ne sont soumises à aucune obligation prudentielle.
L'avantage de ce mécanisme est qu'il introduit de la concurrence dans la
fourniture de crédit, et qu'il permet d'augmenter les chances d'un
porteur de projet d'être financé alors même qu'une banque
n'aurait pas pris le risque. Il est vrai que l'investisseur au titre du
crowdfunding accorde plus d'importance à l'aspect innovant du
projet et moins au risque de contrepartie ; ce qui est en soi dangereux et
nécessite que les intermédiaires promeuvent la transparence dans
les projets (business plans avec cash-flows estimés, notamment). Etendre
le bénéfice des dispositions du crowdfunding aux
personnes morales en capacité de financement pourrait
véritablement combler les besoins existants. En somme, il y a là
une réelle opportunité qui s'apparente à système
multilatéral de négociation organisée et qui peut
constituer une solution aux déceptions provoquées par la
société de financement.
Enfin, examinons les autres possibilités offertes par
l'article L511-6 CMF. Celui-ci exempte un certain nombre d'entités des
dispositions du monopole bancaire. Même si ces dispositions ne concernent
qu'un certain nombre limité d'opérations, qui, d'ailleurs, se
situent presque toutes sur le marché secondaire (refinancement) et non
celui de « l'origination » du crédit (marché
primaire), elles constituent un pis-aller face aux limites de la
société de financement et de la législation actuelle sur
la finance participative. L'article dispose que ne sont pas
132 Avis du Comité consultatif du secteur financier
relatif au financement participatif (crowdfunding), 14 avril 2014
disponible sur
https://www.banque-
france.fr/ccsf/fr/publications/telechar/avis
r/avis financement participatif 140414.pdf
83
soumises aux dispositions du monopole bancaire les
entités suivantes : les OPCVM et les FIA relevant des paragraphes 1, 2,
3 et 6 de la sous-section 2, et des sous-sections 3, 4 et 5 de la section 2 du
chapitre IV du titre Ier du livre II. Il s'agit : des fonds d'investissement
à vocation générale (les SICAV ou FCP), fonds de capital
investissement, organismes de placement collectifs immobiliers, fonds de fonds
alternatif, fonds ouverts à des investisseurs professionnels (à
vocation générale), organismes de titrisation, fonds
d'épargne salariale.
L'expression « fonds d'investissement » est large et
renvoie à des réalités multiples. Ce n'est en aucun cas un
terme juridique mais économique, il ne renvoie donc pas à un
régime juridique déterminé. Dans un essai de typologie
juridique, certains auteurs 133distinguent ainsi les fonds
instruments de gestion collective et les fonds instruments
d'investissement. Les OPCVM et les FIA 134font ainsi partie,
selon eux, des fonds de gestion collective, exemptés au sens de
l'article L511-6 CMF des dispositions du monopole bancaire pour certaines
opérations de refinancement (mais non pour des opérations de
crédit sur le marché primaire). Les fonds instruments
d'investissement recouvrent, quant à eux, les fonds de
capital-investissement et les fonds de gestion alternative dits «
hedge funds », non exemptés.
Les entités visées par l'article L511-6 du code
monétaire et financier peuvent investir dans un certain nombre d'actifs
et notamment, selon l'article L214-24-55 du code monétaire et financier
: des instruments du marché monétaire habituellement
négociés sur le marché monétaire qui sont liquides
et dont la valeur peut être déterminée à tout moment
ainsi que « des créances », des bons de souscription, des bons
de caisse, des billets à ordre et des billets hypothécaires.
Ainsi, on déduit de ces termes que ces fonds d'investissement
alternatifs peuvent investir dans des titres à court terme des
entreprises de type TCN (ce sera surtout le cas de ce qu'on appelle les «
fonds monétaires » qui exercent une activité proche de
l'activité de crédit, sans que cela en ait la qualification
juridique). En revanche, la loi ne précise pas ce que l'on entend par
« créances ». Théoriquement, donc, ces entités
pourraient investir dans des créances bancaires au titre du
refinancement mais rien n'est précis quant à la mesure de ces
créances. De plus, les fonds de capital investissement ne peuvent, quant
à eux, qu'investir dans des titres de capital et ne sont pas
éligibles aux dispositions de l'article L214-24-55
précité135.
133 GRANIER T., et al. in « Les fonds d'investissement
», Lamy, Axe Droit, Janvier 2014
134 La directive AIFM (Directive 2011/61/UE du 8 juin 2011 sur
les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs) définit les FIA
« comme des organismes de placement collectif, y compris leurs
compartiments d'investissement, qui lèvent des capitaux auprès
d'un certain nombre d'investisseurs en vue de les investir, conformément
à une politique d'investissement définie, dans
l'intérêt de ces investisseurs, et ne constituent pas des OPCVM
».
135 V. notamment les articles L214-28, L214-30, et L214-31 du
code monétaire et financier
84
En tout état de cause, ces dispositions n'apportent
qu'une réponse très imparfaite aux besoins de la pratique
d'où l'importance de rechercher de réelles solutions
alternatives.
La législation européenne, et notamment le
package CRD IV et CRR I, a également eu des conséquences au
niveau européen.
Chapitre 2 : Les conséquences au niveau
européen
L'adoption du Règlement CRR du 26 juin 2013, si elle a
uniformisé le statut d'EC et libéralisé le crédit,
a manqué une occasion d'accroitre l'effectivité du marché
intérieur (Section 1). La question de la microfinance ne fait pas partie
du package, mais l'UE est en voie de se saisir de la question : elle entend
exclure le microcrédit du champ du monopole bancaire (Section 2).
Section 1 : L'effectivité du marché
intérieur
L'introduction en droit français de la
société de financement soulève des questions relativement
au régime du passeport européen. Le droit de l'Union
européenne n'accorde le bénéfice du passeport
européen qu'à deux types d'entités : les
établissements de crédit et les établissements financiers.
Ainsi, la lecture de la directive CRD IV136, reprenant les
directives antérieures, précise en son article 34 ce que l'on
entend par établissements financiers : établissements
filiales d'un établissement de crédit à au moins 90%.
Ainsi, à la lecture de cet article, on comprend que l'introduction de la
société de financement risque de n'avoir que peu de
conséquences sur l'état antérieur du régime du
passeport.
En effet, pour les établissements étrangers non
bancaires fournissant des services de crédit et non filiales d'un EC, il
ne sera pas possible de s'installer en France car ils ne sont pas
éligibles à la qualification d'établissement financier :
c'est ce qui prévalait avant même l'introduction du
règlement CRR. En outre, les sociétés de financement
françaises non filiales à 90% d'un établissement de
crédit ne seront pas, non plus, éligibles à la
qualification d'établissement financier et ne pourront installer de
succursale dans un autre Etat membre de l'UE.
136 Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du
Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité
des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des
établissements de crédit et des entreprises d'investissement,
modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et
2006/49/CE Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE
85
Il y a là un paradoxe : nous avons mis en exergue que
la volonté de l'UE était à la fois de libéraliser
les sources de crédit et de parachever l'effectivité du
marché intérieur. Pourtant, en adoptant le package CRD / CRR,
l'Union européenne aurait du également en profiter pour modifier
la définition d'établissement financier et de l'étendre
aux entités non plus seulement filiales à 90% d'EC mais à
toutes les entités fournissant des services de crédit sans
préjudice de leur appartenance ou non à un groupe bancaire. Ce
faisant, la réforme instaurant l'harmonisation des définitions
d'EC aurait été réellement bénéfique au
marché intérieur, en ce sens que les sociétés
non-bancaires françaises ou étrangères fournissant des
services de crédit, sans être filiales d'un établissement
de crédit (comme la société de financement) auraient pu
bénéficier du régime européen du passeport. Au lieu
de cela, l'UE propose une réforme en demi-teinte car l'harmonisation des
définitions d'EC n'a aucune influence en matière de passeport :
les sociétés de financement en sont dépourvues, et les
sociétés étrangères également. Finalement,
l'UE entendait libéraliser le crédit et introduire la concurrence
entre banques et autres entités pour la fourniture du crédit,
mais n'a pas complété cette avancée en permettant aux
entités nouvelles de prester leurs services dans toute l'UE selon le
régime du passeport, ce qui est réducteur. Il est donc
souhaitable d'étendre le régime des établissements
financiers à toutes ces entités nouvellement
créées.
L'UE conduit donc une libéralisation à
l'intérieur des Etats membres en mettant fin aux monopoles bancaires
mais ne créée pas les conditions d'une concurrence réelle
entre les pays sur le marché du crédit non-bancaire.
Heureusement, il existe une solution pour remédier
à ces avaries juridiques. En effet, à défaut de pouvoir
bénéficier des largesses du passeport européen, les
sociétés de financement comme les sociétés
étrangères non bancaires qui ne sont pas filiales d'EC pourront
bénéficier des dispositions générales du TFUE
relatives à la liberté d'établissement et à la
libre prestation de services pour installer une succursale dans un autre Etat
membre, court-circuitant ainsi les insuffisances du régime
d'établissement financier et du passeport européen137.
Ce régime est différent de celui du passeport en ce sens qu'il
est moins avantageux : surveillance par le pays d'origine et dispense
d'agrément dans le pays d'accueil, reconnaissance mutuelle etc.
Section 2 : Le désir d'exclure le
microcrédit du champ du monopole bancaire
137 V. SAMIN T., « La réforme du statut
d'établissement de crédit en vue de l'entrée en vigueur du
règlement européen CRR I (Capital Requirements Regulation) : des
sociétés financières aux société de
financement » in Revue de droit bancaire et financier, n°5,
septembre 2013 ; et ANCEL M-E., « Opérations de banque
intra-communautaires Ð Aspects statutaires » in JCL Banque
crédit bourse n°1010
86
L'Union européenne ne s'est pas, à l'heure
actuelle, dotée d'un corpus législatif relatif à la
microfinance, laissant aux Etats membres la possibilité ou non
d'instaurer un régime particulier. Il ressort, pourtant, de travaux de
la Commission que, si l'Union n'a pas légiféré, elle a
à tout le moins adopté une ligne de conduite en la
matière.
En effet, dans un rapport sur l'application de la directive de
2006138, la Commission énonce deux principes. D'une part,
elle se prononce contre l'inclusion du microcrédit dans le champ du
monopole bancaire (conformément à son attitude envers le monopole
et la libéralisation du crédit en général,
exposée en partie 2, titre 1er) au motif que les banques se
désintéressent souvent de ces activités peu rentables et
parfois risquées. Cela est, en outre, cohérent avec sa
définition de l'établissement de crédit et sa conception
des activités de crédit. D'autre part, elle énonce que les
exigences prudentielles devant peser sur les entités de
microcrédit doivent nécessairement être
allégées en ce sens qu'elles ne collectent pas de
dépôts, ce qui, encore une fois, est conforme à l'esprit
européen en matière de monopole bancaire.
Pour une fois, il semble que la France ait ici
été avant-gardiste en ce sens qu'elle a appliqué ces
préconisations avant que l'UE n'impulse de texte général
en la matière : elle a exempté le microcrédit du monopole
bancaire, bien qu'en ayant pris des mesures de sécurité au niveau
prudentiel (voir supra).
Afin de conclure sur cette partie, soulignons que les
atteintes européennes au monopole bancaire français, si elles ont
été réelles, sont surtout restées théoriques
et conceptuelles. L'examen des conséquences du règlement CRR a,
en effet, montré que tant au niveau national qu'européen, ces
atteintes sont plus que relatives : d'une part, la société de
financement est fortement privée de portée par la France, portant
ainsi atteinte aux objectifs microéconomiques de libéralisation
effective du crédit ; d'autre part, l'absence de réforme du
statut d'établissement financier par l'UE empêche, au niveau
macroéconomique et européen, une véritable intensification
de la concurrence au sein du marché intérieur, privant ce dernier
du parachèvement et de l'unification en matière
financière. Inutile de dire que cela se fait au détriment des
acteurs économiques.
A la vérité, ces avancées en demi-teinte
témoignent, au delà de la volonté de libéraliser le
crédit, des hésitations des législateurs français
et européens, partagés entre la nécessité de
reconnaître que les banques ne jouent plus vraiment leur rôle, et
le spectre de la crise financière qui fait planer une menace sur la
stabilité financière, ce qui accroit les méfiances envers
le shadow banking (cf : la position de l'ACPR). Au résultat, on
a d'un côté
138 Rapport de la Commission au Parlement européen et
au Conseil sur l'application de la directive 2006/48/CE sur le
microcrédit - 20.12.2012
87
l'introduction de structures nouvelles, d'un autre, un
mouvement de reflux législatif qui entend limiter leur portée en
encadrant leurs activités pour éviter les risques, et notamment
le risque systémique.
88
TROISIEME PARTIE :
LES ENJEUX DE LA LIBERALISATION DU CREDIT AU SEIN DE
L'UNION
EUROPEENNE
La libéralisation du crédit présente des
enjeux qui transcendent les frontières ; ainsi, ils sont présents
à la fois au niveau français et au niveau européen.
L'Union européenne, consciente des limites bancaires, s'est
prononcée en faveur de la libéralisation des sources de
crédit. A cet égard, le paquet législatif CRD IV / CRR I
n'est qu'un des aspects de la libéralisation du crédit. Son
influence sur les monopoles bancaires nationaux est réelle. Cependant,
malgré sa volonté d'infléchir les monopoles bancaires
nationaux et de libéraliser le crédit, l'Union européenne
est aussi consciente qu'un encadrement des structures de finance
parallèle est nécessaire.
Cette apparente réticence envers le shadow
banking, bien qu'il soit reconnu comme nécessaire, s'explique par
les risques qui lui sont attachés (Titre introductif).
Ainsi, l'Union européenne et la France ont entrepris de réguler
les entités de shadow banking (Titre
1er). Reste à savoir si cette réglementation
est finement ajustée pour permettre à l'activité de ces
entités de s'opérer, ou si, au contraire, elle est dirimante
(Titre 2).
TITRE INTRODUCTIF:
LE « SHADOW BANKING » DANS LE
PAYSAGE FINANCIER
Le terme shadow banking est apparu entre les
années 2000 et 2008. Il est défini de la manière suivante
par le Conseil de stabilité financière : «
système d'intermédiation de crédit qui implique des
entités et activités extérieures au système
bancaire ordinaire139. » Hors du système bancaire
classique, les entités du « shadow banking system »
ne sont par définition pas des banques et ne collectent donc pas de
dépôts du public, ni ne sont soumises, a priori, à
la règlementation prudentielle pesant sur les établissements de
crédit140. Si ces entités ne sont
139 V. FSB « Shadow banking : strengthening oversight
and regulation », Recommendation 27 sept 2011; CASSOU P-Y.,
«Quelles initiatives en matière de shadow banking?»,
in Revue Banque
140 V. notamment toutes les directives bancaires y
compris le package CRD IV / CRR I : Directive 2013/36/UE du Parlement
européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès
à l'activité des établissements de crédit et la
surveillance prudentielle des établissements de crédit et des
entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant
les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE Texte présentant de
l'intérêt pour l'EEE, Règlement (UE) n 575/2013 du
Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les
exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit
et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n
648/2012, Directive 2006/48/CE du Parlement européen et
89
pas soumises aux mêmes exigences que les banques car
elles n'en sont juridiquement pas, il demeure que leurs activités
économiques sont, en revanche, semblables à celles des
banques 141: elles ont des activités de crédit et de
financement, rapprochent les investisseurs et les emprunteurs, réalisent
des opérations de pension, participent à des émissions de
titres d'emprunt et à la titrisation ou encore opèrent des
transferts de fonds vers les paradis fiscaux142. Ainsi, ces
entités opèrent alors avec un incontestable atout concurrentiel
car elles n'ont pas à intégrer le réel cout du risque pris
en compte dans la règlementation prudentielle. Ces acteurs sont les
hedge funds, les fonds monétaires de type OPCVM monétaires
(« money market funds » ou MMF's), véhicules
d'investissement structurés et autres institutions financières
non bancaires. Ce système bancaire parallèle n'est ni
illégal, ni irrégulier, et présente certains avantages :
c'est, notamment, une source alternative de financement et de liquidités
(comme nous l'avons défendu tout au long de ce travail). De même,
et c'est encore une idée que nous avons défendue, ces
entités peuvent avoir des compétences que les banques classiques
n'ont pas (en matière de capital-investissement, de distressed
debt).
Le shadow banking system, catégorie
d'entités d'origine doctrinale, donc innomée, recouvre de larges
réalités. A ce titre, la société de financement
introduite en droit français, en ce qu'elle ne constitue pas un
établissement de crédit, appartient de facto à cette
catégorie. Tel est également le cas des banques d'investissement
qui ne collectent pas de dépôts.
Le rôle de shadow banking system s'est
considérablement accru avec les limitations d'origine prudentielle aux
activités des banques. On connait son implication sur le marché
secondaire de la dette, et notamment le marché du refinancement : les
entités interviennent majoritairement sur les marchés du rachat
de créance et de la titrisation. Pour autant, les pressions se font
aujourd'hui de plus en plus fortes pour que les régulateurs à
travers le monde assouplissent les différentes règlementations
tenant au statut des établissements financiers non bancaires, afin que
ceux-ci puissent intervenir directement sur le marché du crédit
en « originant » les prêts. Une fois n'est pas
coutume, citons ici la Banque nationale d'Irlande qui en appelle à
l'Union européenne afin que celle-ci établisse un cadre juridique
permettant
du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à
l'activité des établissements de crédit et son exercice,
Directive 2002/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 16
décembre 2002 relative à la surveillance complémentaire
des établissements de crédit, des entreprises d'assurance et des
entreprises d'investissement appartenant à un conglomérat
financier, et modifiant les directives 73/239/CEE, 79/267/CEE, 92/49/CEE,
92/96/CEE, 93/6/CEE et 93/22/CEE du Conseil et les directives 98/78/CE et
2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil
141 BONNEAU T., « Régulation bancaire et
financière européenne et internationale », p148,
n°223, Bruylant, 2013
142 V. Commission européenne, « Livre vert sur
le système bancaire parallèle », COM (2012)102 final,
Bruxelles le 19 mars 2012 ; GOURIO G., THEBAULT L., « Publication d'un
livre vert sur le shadow banking » in Revue de droit bancaire et
financier, mai-juin 2012, n°101.
90
aux fonds d'investissement d'originer les prêts
143: elle estime que la législation actuelle est insuffisante
en ce sens que d'une part les fonds d'investissement réglementés
(type OPCVM-UCITS) ou FIA (AIF) ne peuvent investir que dans une
catégorie limitée d'actifs, qui exclue les créances
bancaires144, et que, d'autre part, il existe certains monopoles
bancaires nationaux prohibant à des entités autres que les
banques d'intervenir sur le marché primaire ou secondaire du
crédit ou que, à tout le moins, les fonds d'investissement ne
peuvent intervenir que sur le marché secondaire.
La question du shadow banking présente, pour
notre étude, un intérêt, en ce sens que se poser la
question de l'attitude de l'Union européenne vis-à-vis du
monopole bancaire français (et vis-à-vis des monopoles bancaires
en général) et en déduire que l'Union est favorable
à un démantèlement des monopoles et à une
libéralisation du crédit, c'est également poser la
question des enjeux que cela entraine au niveau du shadow banking
puisque la libéralisation des monopoles bancaires s'accompagne
mécaniquement de la percée de ces entités,
d'où l'intérêt d'étudier l'attitude à la fois
de l'UE et de la France envers elles à l'heure où les monopoles
bancaires sont démantelés.
En effet, l'UE, tout à son désir de
libéraliser le crédit, n'en reste pas moins très
axée sur la stabilité financière. Que l'on en juge par la
multitude de textes et de mécanismes instaurés pour faire face
à ces perturbations145. C'est bien que les avantages du
shadow banking ne doivent pas en faire oublier les
inconvénients.
En effet, le SBS peut devenir une source de risque
systémique 146en raison des interconnections existant avec le
système bancaire classique, notamment si les banques
143 Op. cit. Central Bank of Ireland, discussion paper, July
2013, « Loan origination by investment funds », disponible
ici :
http://www.centralbank.ie/regulation/marketsupdate/Documents/Discussion%20Paper%20Loan%20Origination
%20by%20Investment%20Funds.pdf
144 Directive 2009/65/EC on the coordination of laws,
regulations and administrative provisions relating to undertakings for
collective investment in transferable securities (UCITS). This directive
replaces the previous UCITS Directive 85/611/EEC.
145V. notamment Règlement (UE) n°
1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale
européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en
matière de surveillance prudentielle des établissements de
crédit ; Règlement (UE) n° 1022/2013 du Parlement
européen et du Conseil du 22 octobre 2013 modifiant le règlement
(UE) n° 1093/2010 instituant une Autorité européenne de
surveillance (Autorité bancaire européenne) en ce qui concerne
des missions spécifiques confiées à la Banque centrale
européenne en application du règlement (UE) n° 1024/2013 ;
GOURIO A., THEBAULT L., « Union bancaire : volet supervision
» et « Union bancaire : volet résolution » in Revue
de droit bancaire et financier, mars 2014, n°67. 146 «Systemic risk
refers to the tendency of financial institutions to collectively underestimate
liquidity risk in good times when funding markets are functioning well because
they are convinced that the central bank will almost certainly intervene in
times of stress to maintain such markets, prevent the failure of financial
institutions, and thus limit the impact of liquidity shortfalls on other
financial institutions and on the real economy» in MURPHY E., What is
systemic risk? Does it apply to recent JP Morgan Losses?» May 2012
91
d'investissement qui contrôlent les hedge funds
se financent auprès de banques de dépôts leur appartenant
ce qui peut engendrer des crises de liquidité.
De manière plus générale, les
entités du shadow banking, outre leurs liens avec le
système bancaire classique, peuvent courir des risques de
liquidité, de contrepartie et de « runs
147». Risque d'illiquidité car ces entités effectuent
des opérations de transformation d'échéances ou de
maturité, même si elles ne collectent pas des dépôts.
Elles peuvent, ainsi, comme dans le cas d'un OPCVM monétaire ou d'un
organisme de titrisation, investir dans des créances risquées via
l'argent des épargnants investi dans le fonds. Si les épargnants
sentent le marché se dégrader et veulent, en même temps,
sortir du fonds (le « run »), ce dernier courre un risque
d'illiquidité qui peut précipiter son insolvabilité et
l'acculer à la faillite. De plus, une entité telle qu'un
hedge fund ou autre fond de capital-investissement qui exercerait des
prêts risqués en se finançant lui-même sur les
marchés serait exposé au risque de contrepartie de ses
débiteurs, ce qui les empêcherait de rembourser leurs propres
créanciers ce qui serait susceptible d'entrainer des réactions en
chaine.
D'où la vigilance de l'Union européenne (cf :
livre vert) et des instances internationales de
régulation148. Il faut bien garder à l'esprit que tout
à son désir de libéraliser le crédit, sous quelque
forme que ce soit 149(marché primaire / secondaire,
financement direct / refinancement) et de démanteler les monopoles, l'UE
va cependant décider d'encadrer les entités exerçant des
tâches analogues aux banques.
L'enjeu sera, alors, de déterminer le degré
d'encadrement de ces structures : trop les réguler et les assimiler aux
banques reviendrait à tuer leurs potentialités en les rendant peu
attractives, pas assez les réguler exposerait à la
réalisation des risques ci-dessus. Pour certains auteurs, la
règlementation des entités du shadow banking doit
être sur mesure, parce qu'elles répondent à des besoins
précis. Ils en appellent à une approche globale
différenciée 150et non pas à un
147 Les activités du système bancaire
parallèle sont exposées à des risques financiers analogues
à ceux des banques sans être soumises aux contraintes
découlant de la réglementation et de la surveillance bancaire.
Ainsi, certaines activités du système bancaire parallèle
reposent sur des financements à court terme, avec le risque de retraits
brutaux et massifs des fonds des clients.
148 « Les travaux du CSF ont mis en lumière le
fait que la défaillance désordonnée d'entités du
système bancaire parallèle pouvait entraîner un risque
systémique, soit directement, soit par l'intermédiaire des liens
de l'entité avec le système bancaire classique » V.
Commission européenne, « Livre vert sur le système
bancaire parallèle », COM (2012)102 final, Bruxelles le 19
mars 2012
149 « Le système bancaire parallèle
peut constituer un élément utile du système financier en
remplissant les fonctions suivantes: i) offrir une alternative aux
dépôts bancaires pour les investisseurs; ii) affecter avec plus
d'efficacité les ressources à des besoins spécifiques du
fait d'une plus grande spécialisation; iii) offrir à
l'économie réelle un mode de financement alternatif pouvant
s'avérer particulièrement utile en période de mauvais
fonctionnement du système bancaire traditionnel et des marchés;
iv) constituer une possibilité de diversification des risques par
rapport au système bancaire. » ibid.
150 CASSOU P-Y., « Réguler le shadow banking
system implique une approche globale différentiée » in
Revue Banque 28 févr 2012 ainsi que « Réguler le shadow
banking : oui, mais avec discernement »
92
simple décalque de la règlementation bancaire.
Reste à voir, en pratique, comment les législateurs
français et européens ont opéré.
TITRE 1:
REGULATION DES ENTITES DU SHADOW BANKING
SYSTEM
La régulation des entités du shadow
banking entretient des liens étroits avec le
démantèlement des monopoles bancaires car il existe entre eux un
lien qui est selon nous indissociable. En effet, la libéralisation des
monopoles bancaires, qu'elle doit de facto (en raison des
insuffisances des banques) ou de jure (lorsque le droit met fin aux
monopoles) accroit, mécaniquement, le rôle des entités
de shadow banking. C'est la raison pour laquelle le régulateur
envisage conjointement la question de la libéralisation et celle de la
règlementation des entités nouvellement créées. En
pratique, la règlementation applicable aux entités de SB
françaises est surtout d'origine européenne, l'Union ayant
décidé, avant même de libéraliser les monopoles, de
s'attaquer aux entités pouvant, déjà, intervenir sur le
marché du financement sans heurter les monopoles bancaires et qui
prennent une importance croissance face au crédit bancaire
(Chapitre 1er). Elle est aussi d'origine nationale
dans la mesure où le règlement CRR a obligé la France
à instaurer une nouvelle forme d'établissement financier
non-bancaire fournissant du crédit, qu'il a fallu réguler
(Chapitre 2).
Chapitre 1er : Réglementation européenne
des entités du shadow banking
Avant même de songer au démantèlement du
monopole bancaire français, l'UE était consciente de l'existence,
au sein du marché unique, d'entités qui, bien que ne fournissant
pas des crédits au sens juridique du terme, fournissaient des services
analogues à ceux des banques. Ainsi, elle a entrepris de réguler
un certain nombre de ces entités. En conséquence, cela a
impacté les entités françaises de shadow banking,
que celles-ci soient déjà exemptées du monopole bancaire
ou non. Nous verrons ainsi, brièvement, les règlementations
applicables aux OPCVM, aux fonds d'investissement alternatifs, et celle devant
intervenir en matière de fonds monétaires.
93
L'intervention sur les marchés financiers à
travers les différentes structures d'OPCVM expose les investisseurs
à des risques de plusieurs natures151, notamment le risque de
marché152, le risque de contrepartie153, le risque
de liquidité154.
Afin d'encadrer ces risques, les autorités ont
défini des règles de base 155qui délimitent la
composition des actifs. Ces actifs doivent répondre à des
critères d'éligibilité. Les risques liés aux actifs
composant le portefeuille des OPCVM sont mesurés par plusieurs types de
ratios. Ces ratios s'appliquent aux différentes catégories
d'OPCVM avec des contraintes plus ou moins souples en fonction des
investisseurs auxquels ils sont destinés. On peut ainsi citer l'exemple
du ratio de risque global dont l'objectif est limiter le risque de
marché et de contrepartie sur contrats financiers ou instruments
financiers à terme du fait de l'amplification possible par l'effet de
levier. Ce ratio a pour objectif de s'assurer que l'OPCVM est à tout
moment en mesure de répondre à ses engagements. Il vérifie
que le risque global lié aux contrats financiers n'excède pas la
valeur nette totale du portefeuille156. Il existe également
le ratio de composition des actifs 157et le ratio
émetteurs158.
Ainsi, la gestion collective constituée sous forme
d'OPCVM est relativement bien encadrée ; mais tel n'est pas le cas des
fonds d'investissement alternatifs, ce qui a pu jouer un rôle dans la
crise de 2008 car les actifs gérés par ces fonds
représentent des montants d'une telle importance qu'ils peuvent
influencer le cours du marché et permettre la propagation des
risques159. Or, ces fonds étaient relativement peu
surveillés. C'est désormais moins le cas avec l'adoption de la
directive dite « AIFM » pour « Alternative investment fund
management »
151 V. art. 313-53-3 RGAMF
152 Risque de perte pour l'OPCVM
résultant d'une fluctuation de la valeur de marché des positions
détenues imputable à une modification de variable du
marché telles que les taux d'intérêt, les taux de change,
les cours d'actions et de matières premières, ou à une
modification de la qualité de crédit d'un émetteur
153 Risque de défaillance de la
contrepartie, l'une des parties pouvant faire défaut à l'une de
ses obligations présentes ou futures, conditionnelles ou occasionnelles
(retour des titres mis en pension, versement des intérêts, etc.)
avant que l'opération ait été réglée de
manière définitive. La qualité de l'émetteur peut
influer sur sa solvabilité
154 Risque qu'une position, dans le
portefeuille de l'OPCVM, ne puisse être cédée,
liquidée ou clôturée pour un coût limité et
dans un délai suffisamment court, compromettant ainsi la capacité
de l'OPCVM à se conformer à tout moment aux dispositions qui
prévoient que les parts ou actions doivent pouvoir être
rachetées
155 Directive 2009/65/EC on the coordination of laws,
regulations and administrative provisions relating to undertakings for
collective investment in transferable securities (UCITS). This directive
replaces the previous UCITS Directive 85/611/EEC.
156 Il mesure le risque de perte en cas d'évolution
défavorable des conditions de marché. La méthode de calcul
(calcul de l'engagement ou calcul de la valeur en risque) est fonction de la
stratégie de gestion et de la nature des contrats financiers
détenus en portefeuille.
157 L'objectif est de limiter les risques de marché et
de liquidité en fixant des seuils par nature d'opérations et
d'instruments financiers (afin de permettre la diversification des
émissions)
158 L'objectif est de limiter le risque de marché ou de
crédit et de contrepartie ou sur une même entité par la
diversification des contreparties
159 Op.cit. GRANIER T., et al.
in « Les fonds d'investissement », Lamy, Axe Droit, Janvier
2014
94
même si, selon un auteur160, cette directive
ne vise pas l'activité des fonds et se contente de régir le
capital et les fonds propres. La directive AIFM 161vise à
imposer des exigences communes en matière d'agrément et de
surveillance des gestionnaires de FIA afin d'établir une approche
cohérente quant aux risques liés aux activités de ces
fonds et à leur incidence sur la stabilité
financière162. Le champ d'application de la directive est non
pas les FIA mais les gestionnaires de FIA : ainsi, les règlementations
relatives aux investissements des FIA ainsi que la définition de ce que
recouvre cette catégorie relèvent du droit national. Comme elle
l'indique à son article 1er, la directive se borne à
prévoir des règles en ce qui concerne l'agrément,
l'activité et la transparence des gestionnaires de FIA. On peut
s'interroger sur la pertinence de cette directive en termes prudentiels et en
termes de stabilité économique car elle ne vise pas les
activités des FIA ni ne les définit de façon
précise.
Ce caractère inabouti de la directive AIFM est analogue
au domaine des fonds monétaires qui ne sont pas encore
règlementés, bien qu'ils présentent des risques
spécifiques à leur activité tournée vers le
marché monétaire et les instruments financiers à
court-terme, ce qui rapproche ces entités de banques : elles collectent
des quasi-dépôts et font des quasi-prêts, bien que
juridiquement s'agisse de gestion collective et non pas de
crédit163. Pourtant, ces fonds présentent des risques
particuliers que la proposition de règlement européen
164reprend.
Les fonds monétaires sont un instrument commode pour
les investisseurs en raison de leurs similitudes avec les dépôts
bancaires: accès instantané aux liquidités et
stabilité relative de leur valeur. Compte tenu de ces
caractéristiques, les investisseurs considèrent les fonds
monétaires comme un substitut sûr et plus diversifié aux
dépôts bancaires. Pourtant, les fonds monétaires sont des
fonds de placement classiques, soumis aux risques de marché
inhérents à tout fonds. Ainsi, lorsque le cours des actifs dans
lesquels les fonds monétaires sont investis
160 Op.cit BONNEAU T., «
Régulation bancaire et financière européenne et
internationale », p148, n°223, Bruylant, 2013
161 Directive 2011/61/UE du Parlement
européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds
d'investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et
2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n ° 1060/2009 et (UE) n
° 1095/2010 Texte présentant de l'intérêt pour
l'EEE
162 Contrairement à la directive OPCVM qui
règlemente à la fois les produits de la gestion collective (les
fonds) et les acteurs de la gestion collective (société de
gestion, dépositaire), la directive AIFM est essentiellement une
directive « acteurs » qui harmonise la législation applicable
aux gestionnaires. Cette différence d'approche apparait surprenante dans
la mesure où les dispositifs OPCVM et AIFM devraient se compléter
pour couvrir l'ensemble des OPC, or, ici, le parallélisme n'est pas
total.
163 En Europe, quelque 22 % des titres de
créance à court terme émis par des administrations ou par
des entreprises sont aux mains des fonds monétaires, lesquels
détiennent par ailleurs 38 % des créances à court terme
émises par le secteur bancaire
164 Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT
EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur les fonds monétaires /* COM/2013/0615
final - 2013/0306 (COD)
95
se met à baisser, en particulier en période de
tension sur les marchés, la promesse faite aux investisseurs de
rembourser immédiatement les parts ou actions émises et d'en
préserver la valeur ne peut pas toujours être tenue. Si certains
sponsors de fonds (surtout les banques) ont les moyens de soutenir, le cas
échéant, la valeur des parts, d'autres (surtout les gestionnaires
d'actifs) ne disposent pas nécessairement de capitaux suffisants pour le
faire. En raison de l'asymétrie des échéances entre la
liquidité quotidienne qu'un fonds monétaire offre aux
investisseurs et la liquidité des actifs détenus dans son
portefeuille, le remboursement immédiat risque de n'être pas
possible à tout moment. La promesse de stabilité des prix de
remboursement est souvent doublée d'une note AAA. Il est à
craindre, toutefois, que les investisseurs, dès qu'ils sentent qu'un
fonds monétaire risque de faillir à sa promesse de
liquidité et de stabilité permanentes, demandent le remboursement
et provoquent, partant, un désengagement massif (les «
runs »).
Les désengagements massifs se caractérisent par
des demandes de remboursement soudaines et de grande ampleur émanant de
groupes importants d'investisseurs désireux d'éviter les pertes
et d'obtenir un remboursement au prix le plus élevé. Ils
présentent une importance systémique car ils forcent les
fonds monétaires à vendre leurs actifs à bref délai
pour répondre aux demandes de remboursement à satisfaire. La
spirale des remboursements accélère pour sa part la baisse de la
valeur liquidative (VL) du fonds, dont la régression se trouve
dès lors démultipliée, de même que s'intensifient
les craintes d'instabilité pesant sur le marché monétaire
dans son ensemble. Du fait que les fonds monétaires jouent un rôle
déterminant dans le financement à court terme d'entités
telles que les banques, les entreprises ou les administrations, les
désengagements massifs dont ils font l'objet peuvent avoir des
conséquences macroéconomiques plus étendues.
En conséquence, la proposition de règlement
préconise l'instauration de normes communes pour accroître la
liquidité des fonds monétaires et assurer la stabilité de
leur structure. Des règles uniformes seront établies pour
garantir un niveau minimal de liquidité à un jour et à une
semaine. Des principes normalisés seront arrêtés pour
permettre au gestionnaire de fonds de mieux connaître sa clientèle
d'investissement. Des règles communes garantiront en outre que les fonds
monétaires investiront dans des actifs de grande qualité et bien
diversifiés jouissant d'une bonne qualité de crédit. Ces
mesures doivent garantir que le fonds présente une liquidité
suffisante pour faire face aux demandes de remboursement des investisseurs. La
stabilité des fonds monétaires sera assurée par la
création de règles claires et harmonisées pour la
valorisation des actifs dans lesquelles ils investissent. Ces règles de
valorisation consacreront une évidence, à savoir que les fonds
monétaires sont des fonds de placement
96
normaux, dont les actifs sont soumis aux fluctuations des
cours. Outre ces dispositions, une règle commune en matière de
notation garantira que les gestionnaires de fonds et les investisseurs cessent
de s'en remettre à des notations externes du crédit qui
pourraient nuire au fonctionnement du marché monétaire en cas de
dégradation. Ces mesures seront accompagnées d'exigences de
transparence renforcées afin que l'investisseur soit correctement
informé du profil de risque et de rendement de son investissement.
s?
L'ensemble de ces règles (OPCVM, FIA, fonds
monétaires) ont vocation à s'appliquer, en France, à des
entités qui certes appartiennent au domaine du shadow banking,
mais qui peuvent exercer leurs opérations sans nuire au monopole
bancaire : soit qu'elles en soient exemptées au sens de l'article L511-6
du code monétaire et financier pour certaines de leurs activités,
soit que leur activité ne tombe pas sous le coup de l'interdiction. Pour
autant, à cette règlementation européenne vient s'ajouter
une règlementation cette fois purement nationale. Elle concerne, en
effet, les sociétés de financement, entités de shadow
banking nouvellement introduites en droit français et ne
correspondant ni à la qualification d'OPCVM, ni à celle de FIA,
pour la raison suivante : il ne s'agit pas de gestion collective mais bien
d'activité de crédit.
Chapitre 2 : Règlementation française de
la société de financement
En ce qu'elle n'est pas un établissement de
crédit, juridiquement, la société de financement tombe de
facto dans la catégorie innomée des entités de shadow
banking. Lors de son adoption, s'est donc posée la question de son
régime prudentiel, au-delà de son régime d'agrément
et de fonctionnement. En effet, il ne faut pas perdre de vue que la
société de financement, comme toute entité de SB,
présente les risques de contrepartie, d'illiquidité, et de «
runs » exposés précédemment. Elle peut, si elle est
filiale d'un EC, faire courir des risques à l'ensemble du système
bancaire. En vertu de son statut lui interdisant la collecte des
dépôts165, la société de financement
bénéficie de sources de refinancement limitées : elles
n'ont pas accès au marché interbancaire ou aux facilités
de paiement de la Banque centrale européenne. En cas de risque, la seule
solution pour se refinancer consiste à céder des créances
sur le marché financier, le marché monétaire leur
étant fermé, ce qui peut conduire à des situations
d'illiquidité. Comme la société de financement financera
ses crédits via des
165 Art L511-5 code monétaire et financier
97
emprunts sur le marché, elle est vulnérable au
risque de contrepartie car la défaillance de ses débiteurs la
rend incapable de rembourser ses propres créanciers, sauf à
céder massivement et pour une valeur souvent sous-évaluée,
ses actifs sur le marché, ce qui peut précipiter sa perte, ce qui
est d'autant plus dangereux car la société de financement ne
bénéficie pas de l'accès au marché interbancaire ou
de dépôts pour ajuster en cas de risque de contrepartie. Sa
situation précaire commandait, donc, un régime prudentiel
particulier.
A cet égard, toute la question est de savoir dans
quelle mesure la règlementation prudentielle choisie s'écartera
ou non de celle applicable aux banques, avec les conséquences que cela
entraine en termes d'attractivité.
Les grandes lignes du régime prudentiel applicable
à la société de financement ont été
dévoilées par Danièle NOUY, ex-secrétaire
générale de l'ACPR à l'époque de l'adoption de
l'ordonnance du 27 juin 2013. Le régime prudentiel a été
fixé, définitivement, par voie
d'arrêté166. Il précise notamment que le
régime prudentiel de la société de financement
répond à deux objectifs : d'abord, conférer à ces
entités une robustesse comparable à celle de la directive CRD IV
; ensuite, l'adaptation du régime aux spécificités des
anciennes sociétés financières, devenues désormais
sociétés de financement. La directive CRD IV permet en effet
d'utiliser des pondérations de risques identiques à celles
applicables aux EC pour les sociétés de financement : ce qui a
notamment des incidences en matière d'éligibilité des
prêts cautionnés par les sociétés de financement au
refinancement par obligations sécurisées. On recherche ainsi
l'alignement le plus large possible avec le régime prudentiel des
EC 167(afin de préserver la stabilité
financière, et de ne pas instaurer de distorsion de concurrence avec les
EC). En ce qui concerne les fonds propres, le principe sera celui de la
soumission au package CRD / CRR avec quelques ajustements tenant compte de la
spécificité des sociétés de
financement168. Ainsi en matière d'exigences de
liquidité et de levier 169ou d'adhésion au fond de
garantie des dépôts dont elles sont dispensées.
166 Arrêté du 23 décembre 2013 relatif au
régime prudentiel des sociétés de financement, JORF
n°0301 du 28 décembre 2013
167 Article 11 : Pour l'application du paragraphe 5 de
l'article 119 et du e du paragraphe 1 de l'article 129 du règlement (HE)
n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
susvisé, les exigences prudentielles auxquelles sont soumises les
sociétés de financement sont réputées comparables
en termes de solidité à celles qui s'appliquent aux
établissements, au sens du 3 du paragraphe 1 de l'article 4 du
même règlement.
168 Article 2 : Sauf dérogation prévue par le
présent arrêté, les sociétés de financement
sont tenues de respecter les dispositions applicables aux établissements
de crédit en application : 1° Du règlement (HE) n°
575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
susvisé ; 2° Du règlement du Comité de la
réglementation bancaire n° 91-05 du 15 février 1991
susvisé ; 3° Du règlement du Comité de la
réglementation bancaire et financière n° 97-02 du 21
février 1997 susvisé ; 4° De l'arrêté du 5 mai
2009 susvisé.
169 Article 7 : Les sociétés de financement ne
sont pas soumises aux dispositions relatives à la liquidité et au
levier prévues par le règlement (HE) n° 575/2013 du
Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 susvisé,
98
Ces modalités de régime étant
précisées, reste à examiner leur pertinence
économique au regard à la fois de l'objectif de
libéralisation du crédit et de celui de stabilité
financière.
TITRE 2:
EVALUATION DE LA REGLEMENTATION FRANCAISE
DES
SOCIETES DE FINANCEMENT
Comme il a été précisé plus haut,
la société de financement a déçu les espoirs qui
lui étaient attachés, en ce sens qu'elle est
délibérément circonscrite aux anciennes
sociétés financières sans que d'autres entités
nouvelles puissent en solliciter l'agrément, en raison de la
circonspection des autorités de régulation au regard de cette
nouvelle forme d'établissement. Néanmoins, pour les besoins de la
réflexion, il nous faut examiner l'attractivité du régime
de la société de financement dans l'hypothèse heureuse
où « l'embargo juridique » pesant sur la société
de financement viendrait à être levé. De la sorte, nous
mesurerons l'adéquation du régime de la société de
financement aux objectifs d'attractivité et de protection avant de
formuler des propositions pour en améliorer le dispositif.
Il est évident que l'assimilation du régime
prudentiel de la société de financement à celui des
établissements de crédit par application du package CRD / CRR est
de nature à sauvegarder la stabilité financière en
soumettant ces sociétés à des exigences strictes à
la fois en termes de fonds propres, afin de renforcer la solvabilité,
mais également en termes de couverture des risques, de diminution du
levier, et de constitution de coussins de fonds contracycliques pour
éviter les effets de procyclicalité en temps de crise et
afin que les sociétés puissent continuer à prêter.
Ainsi, l'application de ces exigences issues des accords de Bâle III est
associée au degré de protection le plus élevé
contre les risques liés à l'activité de prêt. En
effet, les risques tels que le risque de contrepartie, d'illiquidité, ou
de runs, sont ainsi minimisés. Dès lors, il peut
être affirmé que la société de financement
présente peu de risques au niveau de la stabilité
financière.
Pour autant, ce principe d'assimilation au régime
prudentiel des banques n'est pas sans poser des problèmes. Dans
l'hypothèse, en effet, où l'obtention de l'agrément serait
possible pour des entités du shadow banking, sans que l'ACPR ne
s'y oppose, ce régime pose problème au niveau de
l'attractivité du statut. D'abord, si l'on considère que c'est
justement le
notamment celles qui figurent dans les sixième et
septième parties du ce règlement.
99
durcissement prudentiel pesant sur les banques qui a
été à l'origine de la raréfaction du crédit,
il y a là une contradiction à soumettre une nouvelle
entité non bancaire à des exigences aussi strictes, car la
nouvelle entité, supposée - à tout le moins au sens du
droit de l'Union européenne - pallier l'insuffisance des banques, ne
pourrait mener cette tâche à bien. Mais ce sont surtout les
conséquences du régime prudentiel sur l'attractivité du
statut qui sont dirimantes. En effet, il y a fort à parier que les
établissements qui auraient pu prétendre au statut de
société de financement soient dissuadés par la
complexité du statut prudentiel et les exigences en termes de fonds
propres, d'autant plus parce que ces entités - désirant
réaliser des opérations de crédit - avaient
délibérément choisi de ne pas opter pour ce statut avant
que la société de financement soit créée.
Ainsi, il semble que l'arbitrage ait été
clairement réalisé en faveur de la sécurité
financière et moins en faveur de l'attractivité. Ainsi, la
société de financement apparaît condamnée à
la fois par son régime prudentiel, et par les réticences de
l'Autorité de contrôle prudentiel.
Cependant, si l'on part du principe que le statut de
société de financement reste une avancée positive du droit
qui présente des attraits et des potentialités au niveau
conceptuel, l'on est en droit de se demander si une troisième voie n'est
pas envisageable. Cette dernière consisterait à prendre plus
largement en compte les spécificités de la société
de financement et surtout les objectifs qu'elle pourrait servir en terme de
source de financement alternative pour les agents économiques. De la
sorte, il est nécessaire d'élaborer un régime prudentiel
qui, sans sacrifier les impératifs de stabilité
économique, soit moins contraignant. Il est possible d'assouplir le
régime applicable aux sociétés de financement sans
sacrifier la stabilité financière : notamment en réduisant
les exigences en termes de capital et d'actionnariat, et en réduisant
les obligations relatives aux ratios de solvabilité.
Bien entendu, l'ensemble de ces préconisations ne
présente un intérêt qu'à partir du moment où
l'idée que cette forme juridique puisse bénéficier aux
entités du shadow banking soit admise, ce qui, en
l'état, n'est pas d'actualité.
100
CONCLUSION GENERALE
Afin de clore cette analyse, que conclure quant à la
confrontation entre le monopole bancaire français et le droit de l'Union
européenne ?
Le droit de l'Union européenne a appliqué, en
matière de monopole bancaire, ses principes cardinaux en matière
de monopole en général. Cependant, les effets pratiques de cette
libéralisation souhaitée sont loin d'être probants, en
France. En effet, la société de financement et ses
potentialités avortées constitue la seule innovation majeure qui
découle de l'influence du droit de l'Union en la matière et qui
porte atteinte, du moins conceptuellement, de façon directe au monopole
bancaire français. Mais en l'état, dans la pratique, cette
avancée ne reste que théorique. Pour des raisons essentiellement
prudentielles, le droit français n'a pas été assez
audacieux, rendant la réforme très imparfaite par rapport
à l'esprit de l'Union européenne. Ainsi, cet exemple relance le
débat sur la transposition des normes européennes en droit
français, et notamment sur la question de la violation de l'esprit des
textes européens, malgré une application littérale de la
lettre de ces derniers, comme c'est le cas en l'espèce.
s?
Il résulte de ce qui précède que si,
conceptuellement, le monopole bancaire et recule, ce qui veut dire qu'il
n'existe plus en droit ; il n'en demeure pas moins que le monopole
économique des banques semble avoir vocation à demeurer
pour les opérations de crédit.
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE :
TEXTES OFFICIELS :
· Règlement (UE) n ° 575/2013 du Parlement
européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences
prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux
entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n °
648/2012
· Directive 2013/36/UE du Parlement européen et
du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité
des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des
établissements de crédit et des entreprises d'investissement,
modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et
2006/49/CE
· Rapport De Larosière, « The high-level
group of financial supervision in the EU», 2009
· Directive 2007/64/CE du Parlement européen et
du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le
marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE,
2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE
· Directive 2009/110/CE du Parlement européen et
du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l'accès à
l'activité des établissements de monnaie électronique et
son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces
établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et
abrogeant la directive 2000/46/C
· LOI n° 2014-1 du 2 janvier 2014 habilitant le
Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises
· Loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à
l'activité et au contrôle des établissements de
crédit
· Ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013 relative
aux établissements de crédit et aux sociétés de
financement
· Arrêté du 23 décembre 2013 relatif
au régime prudentiel des sociétés de financement
OUVRAGES :
· BONNEAU T., « Droit bancaire », Domat,
2011
· BONNEAU T., « Régulation bancaire et
financière européenne et internationale », Bruylant,
2013
· COURET A., LE NABASQUE H., et al. « Droit
financier », Précis Dalloz, 2012
· GRANIER T., et al., « Les fonds
d'investissement », Axe Droit, Lamy, 2014
· KOVAR J-P., LASSERRE-CAPDEVILLE J., « Droit
de la régulation bancaire », Editions Revue Banque, 2012 ;
· PARTSCH P-E., « Droit bancaire et financier
européen », Larcier, 2009
101
ARTICLES :
·
102
ADELLE J-F, cabinet Jeantet, « Mémorandum
relatif aux financements et refinancements de crédits en France
», 6 déc. 2004.
· ADELLE J-F., « Le monopole bancaire
constitue-il une restriction excessive aux crédits syndiqués en
France ? » in Revue de droit bancaire et financier, n°2, mars
2005, étude 6.
· ANCEL M-E., « Opérations de banque
intra-communautaires Ð Aspects statutaires » in JCL Banque
crédit bourse n°1010
· BARRERE A., « La politique du crédit
en France depuis 1945 » in Revue d'économie, volume 2,
n°5, 1951, pp513-542 ;
· BONNEAU T., « La réforme des
établissements de crédit Ð commentaire de l'ordonnance du 27
juin 2013 », in JCP E n°29, 18 juillet 2013, 1429
· BOURDEAUX G., « Bâle III et la
résilience du secteur bancaire » in Revue de droit bancaire et
financier n°2, mars 2012, dossier 15.
· BOUTEILLER P., « La transposition en droit
français des dispositions européennes régissant la
fourniture de services de paiement et portant création des
établissements de paiement » in JCP E n°39, 24 sept.
2009, 1987
· BOUTHINON-DUMAS H., « La directive sur les
services de paiement et la concurrence entre les établissements de
paiement et les banques », RTD Com 2009 p. 59.
· CHVIKA E., « L'acquisitions de
créances bancaires à l'épreuve du monopole bancaire
», in Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013,
étude 23.
· DE VAUPLANE H., « Réguler le shadow
banking . les propositions européennes et les autres » in
Revue Banque, septembre 2012 ;
· LASSERRE-CAPDEVILLE J., « La réforme
de la monnaie électronique en droit français- un nouveau droit
pour un réel essor ? » in JCP G n°10, 4 mars 2013, doctr.
278
· LASSERRE-CAPDEVILLE J., « Harmonisation du
statut d'établissement de crédit à l'échelle de
l'Union européenne » in JCP E, n°28, juillet 2013, 805
· MATHEY N., « La réforme des services
de paiement », in Revue de droit bancaire et financier, n°1,
janvier 2010 ;
· PELTIER F., FERNANDEZ-BOLLO E., « Structures,
réglementation, et contrôle public des professions bancaires ;
structures et conditions d'accès » in JCl Banque,
crédit, bourse, Cote 08,1997.
· ROUSILLE M., « Que reste-il du monopole bancaire
? » in Mélanges AEDBF volume VI, 2013
· SCHMIDT D., MOULIN F., « Les fonds de dette .
un environnement juridique et financier favorable à leur
développement » in Revue de droit bancaire et financier
n°6, septembre 2012 ;
· SCHMIDT R., HACKETAL A., TYRELL M.,
«Disintermediation and the role of banks in Europe. an international
comparison» in Journal of financial intermediation, 1998;
· STERDYNIAK H., VASSEUR C., «Encadrement du
crédit et politique monétaire» in Revue de l'OFCE
n°11, 1985, pp 105-136;
· SAMIN T., « La réforme du statut
d'établissement de crédit en vue de l'entrée en vigueur du
règlement européen CRR I . des sociétés
financières aux sociétés de financement » in
Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2013, dossier 44.
·
103
VERMEILLE S., « Règle de droit et
développement des modes de financements alternatifs au crédit
bancaire, ou l'inadaptation du droit français à
l'évolution de l'économie et de la finance » in Revue
trimestrielle de droit financier, n°2, 2012.
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS
1
SIGLES, ACRONYMES, ABREVIATIONS
2
SOMMAIRE
3
INTRODUCTION
GENERALE 4
Section 1 : L'OBO, une cession en
deux
temps 8
Section 2 : L'OBO, une modalité
particulière de transmission de
l'entreprise ..10
Section 3 : L'OBO, une opération à double
détente ...13
PREMIERE PARTIE : LA MISE EN PLACE DE L'OBO, ENTRE
CESSION DE LA SOCIETE D'EXPLOITATION ET DESENGAGEMENT PROGRESSIF DE
L'ENTREPRENEUR
..14
Chapitre 1 : La cristallisation du montage autour d'une holding
patrimoniale de
reprise 16
Section 1 : La création de la holding
patrimoniale 17
§1 : L'enjeu du choix de la holding de
reprise 17
A) Le choix de la forme sociale de la
holdingÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉ.É18
B) Le choix du régime fiscal de la
holdingÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.ÉÉÉ.19
§2 : Les apports dans le capital de la holding
de
reprise .20
A) L'apport d'une partie des titres de la cible à la
holding.................................... ÉÉÉ21
1. Impôt sur les
plus-valuesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ22
2. Droits
d'enregistrementsÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ23
3. Impôt de solidarité sur la
fortune.........................................................
ÉÉÉ. 23
B) L'apport de fonds propres par les capital-investisseurs et
le repreneur le cas échéant 25
Section 2 : L'enjeu de l'architecture statutaire et
capitalistique de la holding de reprise à l'aune du
mode de financement retenu pour l'acquisition de la
société
d'exploitation 26
104
§1 : La préservation des intérêts du
chef d'entreprise au sein de la
holding 27
§2 : La préservation des intérêts des
fonds d'investissement au sein de la
holding ...30
A) L'exclusion des fonds de la gestion opérationnelle
moyennant le maintien des prérogatives
financièresÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ.30
B) L'utilisation de procédés de contrôle
alternatifs et indirects...............
É.ÉÉÉ31
C) La préparation de la sortie du fonds
minoritaire..............................
ÉÉÉÉÉÉÉÉ32
Chapitre 2 : La cession de la société
d'exploitation à la
holding 33
Section 1 : Le financement de l'acquisition de
la
cible 33
§1 : La mise en oeuvre des
financements 34
A) Les typologies de
financement.........................................................................
ÉÉ34
1. Le financement par
endettement...............................................................
É.É.34
2. Le financement par fonds
propresÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É.É.É.35
B) Les modalités juridiques du
financementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉ35
1. Les clauses protectrices des établissements de
crédit ou « covenants bancaires » 35
2. Les modalités de remboursement du
prêtÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
38
3. La hiérarchisation des différentes strates
de
financementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ38
§2 : La garantie directe des
financements .39
A) Les sûretés consenties par la cible à
l'épreuve de l'article 225-216
C.ComÉÉÉÉ.ÉÉ 40
B) Les sûretés consenties par la holding
témoins d'alternatives limitées...........................
42
1. Les sûretés
classiques....................................................................................
42
2. Les sûretés
nouvellesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ43
Section 2 : L'acquisition des titres de la société
d'exploitation par la
holding .45
§1 : Aspects du régime juridique de la vente à
soi-
même 45
A) Régime du contrat de
cessionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.46
B) Régime fiscal de la
cessionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.47
1. Droits
d'enregistrement..................................................................
ÉÉÉÉÉ47
2. Impôt sur les
plus-valuesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.47
§2 : Les risques consubstantiels à la vente à
soi-
même 50
A) Le grief de «vampirisme financier » à
l'encontre du dirigeant.....................
ÉÉÉÉÉ.50
B) L'abus de droit
socialÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.51
C) L'abus de droit
fiscalÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉ.53
1. La notion d'abus de droit
fiscalÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ53
2. La sanction de l'abus de droit
fiscalÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.54
3. L'abus de droit fiscal et
l'OBOÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
55
105
DEUXIEME PARTIE : LE DENOUEMENT DE L'OWNER BUY-OUT, DU
DESENGAGEMENT TOTAL DE L'ENTREPRENEUR A L'ABOUTISSEMENT DE LA
STRATEGIE
PATRIMONIALE 58
Chapitre 1 : L'effet de
levier et le remboursement de la
dette ..58
Section 1 : Le remboursement
assuré ..59
§1 : La manifestation des effets de
levier .59
A) L'effet de levier
financier.....................................................................................
59
B) L'effet de levier
fiscal..........................................................................................
61
1. Le régime des sociétés mères
et
filialesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ61
2. Le régime d'intégration
fiscale........................................................................
63
§2 : L'Amendement Charasse, vecteur d'affaiblissement du
levier
fiscal 64
A) La réintégration des charges
financières au résultat
imposableÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ..65
B) La recherche de contournements à l'obstacle de
l'Amendement
CharasseÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ.68
1. La fusion rapide de la holding et de la
cibleÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉ..68
2. La création d'une activité
bénéficiaire au sein de la
holdingÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉ.70
Section 2 : Le remboursement
défaillant .72
§1 : Du bris de covenant aux difficultés de
remboursement .73
§2 : De la crise de liquidités à la cessation
de
paiement 76
A) La sauvegarde judiciaire, a priori de la cessation de
paiementÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.77
B) Le redressement et la liquidation judiciaire, a
posteriori de la cessation de paiementÉ.ÉÉ78
Chapitre 2 : L'aboutissement de la stratégie patrimoniale
de
l'entrepreneur 79
Section 1 : La sortie du montage d'Owner-Buy-out ou
débouclage 80
§1 : La cession de la société holding de
reprise à un tiers
repreneur 80
A) Les finalités de la cession de la
holdingÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É80
B) Les modalités de la cession de la
holding................................................................
81
§2 : La donation du contrôle de la holding à
l'ayant-droit
repreneur ..83
A) L'utilisation du procédé de la
donation-partageÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ.83
B) Le bénéfice de dispositions fiscales
favorablesÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ84
Section 2 : Le rééquilibrage des patrimoines
privé et
professionnel 88
§1 : La fructification du patrimoine
privé 88
106
§2 : La transmission du patrimoine
privé 89
A) Le cadre de la transmission du patrimoine dans une
visée
successoraleÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉ90
B) Le désintéressement des héritiers
réservataireÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉ.91
CONCLUSION
GENERALE 93
ANNEXES
94
BIBLIOGRAPHIE
100
TABLE DES
MATIERES .102