SECTION 2. LE NÉO-ISOLATIONNISME
Pour les néo-isolationnistes, les Etats-Unis ne peuvent
plus se permettre une politique étrangère internationaliste
à base de prouesses militaires et économiques. Un budget de la
Défense qui, dans les années 1990, approcherait encore les 300
milliards de dollars par an, n'est plus supportable pour un pays où le
poids de la dette ne fait que s'accroître, où l'infrastructure
41Strobe Talbott, «The Birth of the Global
Nation», Time, 20 juillet 1992, pp. 54-55.
42Le concept de «destinée manifeste»
(manifest destiny) est apparu dans les années 1840, au milieu des
débats sur la guerre contre le Mexique. Il peignait les Etats-Unis comme
une république dynamique et les Américains comme les messagers
particuliers de la liberté et du progrès humain (Michael H.
Hunt,Ideology and U.S. Foreign Policy, New Haven, Yale University Press, 1987,
p. 30).
43Ben J. Wattenberg, «Neo-Manifest
Destinarianism», America's Purpose..., p. 108.
44Ibid., pp. 112-114.
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est dégradée, où le système
d'éducation est en faillite, où le taux d'épargne est des
plus bas et où manque la volonté pour investir à long
terme45.
Dans l'histoire des Etats-Unis, l'isolationnisme n'a jamais
signifié une volonté d'isolement total du reste du monde. Les
relations économiques avec l'outre-mer devaient être poursuivies.
C'est sur le plan politique que les isolationnistes préconisaient le
détachement. Rejetant la sécurité collective et les
alliances nécessaires au maintien de l'équilibre des forces,
l'isolationnisme résidait essentiellement dans une volonté de
non-engagement, un refus de faire des promesses en matière de
sécurité qui puissent enlever à l'Amérique sa
totale liberté d'action46.
Avant la Deuxième Guerre mondiale, l'isolationnisme, un
mouvement surtout républicain, voulait que les Etats-Unis se tiennent
à l'écart de l'Europe et de ses conflits et, en même temps,
qu'ils empêchent toute intervention européenne dans les affaires
du continent américain, suivant en cela la "doctrine Monroe". Avec la
Guerre froide, la plupart des Républicains isolationnistes se
muèrent en croisés de l'anti-communisme.
Dans les années 1960, l'intervention au Vietnam suscita
un deuxième isolationnisme, opposé à la guerre mais
favorable à l'Alliance atlantique et à la coopération
internationale47. Depuis 1989-1991, la première tendance se
retrouve dans le néo-isolationnisme nationaliste et "populiste" de
Patrick Buchanan.
§1. L'Amérique d'abord
Patrick Buchanan, ancien assistant des présidents Nixon
et Reagan et commentateur sur CNN, fut le candidat isolationniste de la droite
du parti Républicain aux primaires présidentielles de 1992.
Rejetant le concept d'unipolarité de Charles Krauthammer, il voulait
d'abord soumettre tous les objectifs de la politique étrangère
américaine à une question : se battrait-on pour cela ? Il
prônait un retrait total des forces américaines d'Europe, de
Corée et d'Asie mais pas un désarmement. Il était
favorable à un système de défense anti-missile et
n'admettait pas que l'US Navy négocie sa primauté. Les
Etats-Unis devaient rester la première puissance sur les mers, dans les
airs et dans l'espace48. Toute intervention n'était donc pas
exclue, mais elle ne serait pas terrestre. Buchanan s'était
opposé à l'expédition dans le golfe Persique. Il pensait
que l'altruisme américain avait été suffisamment
exploité. Il voulait revenir à la doctrine Monroe et, tout en
reconstruisant l'infrastructure
45J. Chace, op. cit., p. 8.
46T. L. Deibel, art. cit., p. 92.
47William Pfaff, «New or Old, Isolation Won't
Do», International Herald Tribune, 14-15 mars 1992. 48Patrick
Buchanan, «America First -and Second, and Third»,America's
Purpose..., pp. 24-29.
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économique des Etats-Unis, étendre les relations
commerciales avec le reste du continent américain.
Il appelait ses compatriotes à un renouveau patriotique
et nationaliste49. Au fond, les vues de l'isolationnisme populiste
pourraient rejoindre celles des unilatéralistes globaux du Pentagone
dans leur désir d'une Amérique hégémonique, si
l'hégémonie ne coûtait pas si cher50.
Sans atteindre au populisme de Buchanan, les arguments
néo-isolationnistes n'ont pas manqué pour que les Etats-Unis
déposent ou, à tout le moins, partagent leur fardeau.
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