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La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

( Télécharger le fichier original )
par Robert MAMADI
Université de Ngaoundéré - Master ès Letrres 2010
  

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    UNIVERSITÉ DE NGAOUNDÉRÉ

    THE UNIVERSITY OF NGAOUNDERE

    FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DÉPARTEMENT DE LETTRES

    B.P 454

    FACULTY OF ARTS, LETTERS AND SOCIAL SCIENCES DEPARTMENT OF LETTERS P. O. BOX 454

    LA PRODUCTION LITTÉRAIRE TCHADIENNE

    ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE :

    tement de français

    ESSAI D'ANALYSE SOCIOLOGIQUE

    Thèse présentée en vue de l'obtention du Master ès Lettres Option : Littérature négro-africaine

    Par

    Robert MAMADI

    Sous la direction de
    M. Gilbert ZOUYANE
    Chargé de Cours

    Année académique 2009-2010

    Papa Jean Guidjara,
    De biens et de bonté, tu m'as toujours couvert!
    Endurci en comptant sur ta félicité,
    Six janvier 2010, tu m'as imbu de regret
    En me laissant avec un projet débuté.
    Seul parmi des femmes qui pleurent, tu m'as oublié :
    Dames qui pleurent mon désir, par ta mort, recouvert.
    Grâce à la foi, la patience et l'amitié,
    Voici la fin du projet par toi découvert.
    A toi, cette thèse est, par moi, de tout coeur, dédiée.

    II

    Remerciements

    Pour que ce travail se réalise, il a fallu la volonté bienfaisante de plusieurs personnes auxquelles j'adresse ma profonde reconnaissance et mes sincères remerciements.

    J'ai été marqué par le sérieux que le Docteur Gilbert ZOUYANE a accordé à cet ouvrage. À toutes les fois que j'ai décidé d'abandonner faute de moyens financiers et de sources documentaires, l'expérience et les conseils de cet homme simple, accueillant et compréhensif ne m'ont pas été de moindre utilité. Par ses orientations, encouragements et documents, il a su en bon pédagogue, malgré ses multiples occupations, diriger mes pas dans la recherche. Du fond de mon coeur, je lui dis des salamalecs tout en lui restant reconnaissant.

    La collaboration et la simplicité de ceux qui m'ont encadré depuis le Master I ne me laissent pas indifférent. Que les professeurs Félix Nicodème BIKOÏ, Maxime METO'O, Joseph NDINDA; les Docteurs Clément DILI PALAÏ, Daouda PARÉ et Jean-Marie WOUNFA reçoivent ici l'expression de mon respect pour leur générosité dans le partage du savoir.

    Je remercie les amis, compatriotes et frères qui ont contribué moralement, financièrement et matériellement pour la finalisation de ce document. Je pense aux sieurs ANDJAFFA Djaldi S., BAMDIRAM Victor, Barnabas KOUTCHOUNA B., BOUDOUNA Kadji, FOULLA Dieudonné P., ISSA J. Laougué, KADESSOU Djarmatna, KOSS-ADOUMNODJI Y., GALAPNA Edouard, LABARA Michel, LIZINA Kongué, NADJI J. ASSANE, Paul DJARMATNA et à Mlle Félicité GOUDOUM.

    Aux enseignants du Département de Lettres Modernes de l'Université de N'Djaména et à tous ceux dont la liste est en annexe 4, je dis Merci pour m'avoir formé et informé.

    Il serait ingrat d'oublier ceux qui ont partagé avec moi les difficultés. Qu'AMINATOU Moussa, Bodering LABE, BOUBA Timothée A., KOUAGO Abdoulaye et BEASMBAYE Thomas reçoivent au nom de la promotion de Master Lettres 2008-2010 ma reconnaissance. Merci à la mère de mes enfants pour la compréhension et les encouragements.

    Enfin, que tous ceux qui ont, d'une manière ou d'une autre, apporté leur modeste contribution et dont les noms ne sont pas inscrits sur cette page ne se sentent pas oubliés.

    III

    Résumé

    Pour l'essor de la littérature tchadienne écrite d'expression française sous-développée, il nous a semblé opportun de mener une étude sociologique de son processus de création. Afin de répondre à cette préoccupation, le présent travail vise un triple objectif. D'abord, il compte démontrer que les contextes politique et socioéconomique du pays n'ont pas seulement été sources d'inspiration. Ils ont retardé la constitution d'une chaîne du livre dynamique. Ensuite, il établit que des facteurs littéraires et historiques, contrairement à ceux linguistiques, religieux et culturels conditionnent positivement la mise sur pied d'une institution littéraire. Enfin, il vise une étude des instances de production et du statut de leurs acteurs pour permettre de vérifier leur existence et leur interaction dans le champ littéraire au Tchad.

    Mots-clés : production littéraire, analyse sociologique, contextes, conditions, instances et acteurs, Tchad.

    Abstract

    For the rise of the Chadian literature written underdeveloped French expression, it seemed convenient to us to undertake a sociological study of its process of creation. In order to meet this need, this work aims at triple object. First, it intends to show that political and socio-economic contexts of the country were not only sources of inspiration. They delayed the constitution of a dynamic book chain. Then, it establishes that literary and historical factors, contrary to those linguistic, religious and cultural positively conditioned the setting-up of a literary institution. At last, it aims at a study of the establishments of production and statute of their actors to permit the verification of their existence and their interaction in the literary field in Chad.

    Keys-words: literary production, sociological analysis, contexts, conditions, establishments and actors, Chad.

    Sigles

    ACCT : Agence de Coopération Culturelle et Technique

    ADELIT : Association des Amis de la Littérature

    AFJT : Association de Femmes Juristes du Tchad

    AFRISTAT: Organisation Africaine des Statistiques

    AGB-Imprimerie : Ahmat Goni Bichara-Imprimerie

    APLFT : Association pour la Promotion des Libertés Fondamentales au Tchad

    ASET : Association des Écrivains Tchadiens

    ATPDH : Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme

    CAPCEG : Certificat d'Aptitude Professionnel pour les Collèges d'Enseignement Général

    CAPEL : Certificat d'Aptitude Professionnel pour l'Enseignement au Lycée

    CCF : Centre Culturel Français

    CCIAMA : Chambre de Commerce, d'Industrie, d'Agriculture, des Mines et d'Artisanat

    CÉAC : Cercle des Écrivains et Artistes Chrétiens

    CEC : Certificat d'Entrepreneur Culturel

    CED : Centre pour l'Éducation à la Démocratie

    CÉDA : Centre d'Édition et de Diffusion Africaine

    ATPDH : Association Tchadienne Pour la Défense de Droits de l'Homme

    BÉAC : Banque des États de l'Afrique Centrale

    BÉPC : Brevet d'Etudes du Premier Cycle BET : Borkou-Ennedi-Tibesti

    BM : Banque Mondiale

    BTS : Brevet de Technicien Supérieur BUDRA : Bureau de Droit d'Auteurs

    CEFOD : Centre de Formation pour le Développement

    iv

    CEG : Collège d'Enseignement Général

    CELIAF: Cellule de Liaison et d'Information des Associations Féminines CÉL: Centre d'Étude Linguistique

    CEPE : Certificat d'Etudes Primaires et Elémentaires

    CLAC : Centre de Lecture et d'Animation Culturelle

    CLÉ : Centre de Littérature Évangélique

    CNAR : Centre National Appui à la Recherche

    CNC : Centre National du Curricula CNS : Conférence Nationale Souveraine

    COFACE : Compagnie Française d'Assurances pour le Commerce Extérieur

    CRP : Centre de Recherches Pédagogiques CSM : Conseil Supérieur Militaire

    CTI : Concours Théâtral Interafricain

    CTS : Compagnies Tchadiennes de Sécurité

    DDS : Direction de la Documentation et de

    la Sécurité

    DÉA : Diplôme d'Études Approfondies

    DÉSS : Diplôme Études Supérieures Spécialisées

    DEUG : Diplôme d'Études Universitaires Générales

    ÉDICEF : Édition Classique d'Expression Française

    Email : Electronique Mail

    ÉNA : École Normale d'Administration

    ENSAC : Ecole Normale Supérieure de l'Afrique Centrale

    V

    FAN : Forces Armées du Nord

    FAO : Food and Agricultural Organisation (Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture)

    FAP : Forces Armées Populaires

    FAR : Fédération Action pour la République

    FASR : Facilité d'Ajustement Structurel Renforcée

    FIJPA : Festival International de la jeune poésie africaine

    FLSH : Faculté de Lettres et Sciences Humaines

    FMI : Fonds Monétaire International

    FROLINAT : Front de Libération Nationale

    GIT : Grande Imprimerie du Tchad

    GROFAT : Groupe des Officiers des Forces Armées Tchadiennes

    Groupe SIL : Groupe de Soutien aux Initiatives Littéraires

    GUNT : Gouvernement d'Union Nationale de Transition

    HCC : Haut Conseil de la Communication

    HDR : Habitation à Diriger les Recherches

    PAS : Programme d'Ajustement Structurel

    IDT : Imprimerie du Tchad

    INSH : Institut National des Sciences Humaines

    Internet : International Network (réseau international)

    IPC : Indice des Prix à la Consommation IPN : Institut Pédagogique National IS: Imprimerie Scolaire

    ISSED : Institut Supérieur des Sciences de l'Education

    LFÉ: Lycée Félix Eboué

    LTC : Lycée Technique Commercial MALT : Magazine littéraire du Tchad

    MASA : Marché des Arts du Spectacle Africain

    MNRCS : Mouvement National pour la Révolution Culturelle et Sociale

    PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

    PPT : Parti Progressiste Tchadien

    RDA : Rassemblement Démocratique Africain

    RFI : Radio France Internationale

    RGPH : Recensement Général de la Population et de l'Habitat

    RLPT : Réseau de Lecture Publique au Tchad

    SBL : Salon des Belles Lettres SÉDIA : Service Édition-ADELIT

    SIL : Société Internationale de Linguistique

    UDÉAC : Union Douanière et Économique de l'Afrique Centrale

    UJPT : Union des Jeunes Poètes Tchadiens

    MORENAT

    : Mouvement du

    Redressement National au Tchad MPS : Mouvement Patriotique du Salut MSF : Médecins Sans Frontières NÉA : Nouvelles Éditions Africaines NÉI : Nouvelles Éditions Ivoiriennes

    vi

    UNESCO : United Nations Educational, Scientific and Cultural Organisation (Organisation des Nations Unis pour l'Éduction, la Santé et la Culture)

    UNIR : Union Nationale pour l'Independence et la Révolution

    UST : Union des Syndicats du Tchad WEB: World Wide Web

    VII

    Table des illustrations

    I. Histogramme

    Histogramme réalisé à base des informations tirées du Panorama de Taboye (2003) .55

    II. Tableaux

    Tableau I : Les dramaturges de renom suivis de leurs pièces représentatives 122

    Tableau II : Les romanciers de renom suivis de leurs oeuvres représentatives 130

    Tableau III : Les autobiographes de renom suivis de leurs oeuvres représentatives 132

    Tableau IV : Les nouvellistes de renom suivis de leurs oeuvres représentatives 135

    Tableau V : Les poètes de renom suivis de leurs recueils représentatifs 140

    Tableau VI : Les grands centres d?édition au Tchad (Annexe 1, question 23) 159

    Tableau VII : Les grandes imprimeries au Tchad (Annexe 1, question 23) 163

    VIII

    Sommaire

    Dédicace i

    Remerciements ii

    Résumé iii

    Sigles iv

    Table des illustrations vii

    Sommaire viii

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

    PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE PRODUCTION DE LA LITTÉRATURE

    TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE 17

    Chapitre 1 : Le contexte politique 19

    1. De la période coloniale à la stabilité politique 21

    1.1 Les réalités historiques de la littérature tchadienne 22

    1.2 La première république 24

    1.3 Les dérives et critiques 26

    2. Les coups d'État ou l'instabilité politique 30

    2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième république » (Malloum Félix Ngakoutou) 30

    2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième république (Goukouni Weddeye) 32

    2.3 De 1982 à 1990 : la troisième république (H. Habré) 33

    3. L'ère de la démocratisation : La quatrième République 36

    3.1 Déby et la prise du pouvoir en 1990 36

    3.2 La critique des moeurs politiques débyiennes 36

    3.3 Le chemin vers la liberté d'écriture 38

    Chapitre 2 : Le contexte socio-économique et culturel 41

    1. Les crises sociales 41

    1.1 La guerre et ses conséquences 41

    1.2 L'analphabétisme et l'illettrisme 44

    1.3 La corruption 45

    2. La situation économique 48

    2.1 Le contexte économique et la production littéraire 48

    2.2 La crise économique et l'ajustement structurel 50

    2.3 Le boom pétrolier et le flux de production littéraire 53

    3. Les réalités culturelles 58

    3.1 La diversité ethnique 58

    3.2 La culture de l'oralité 60

    3.3 La démocratie et l'éducation à la citoyenneté 63

    ix

    DEUXIÈME PARTIE : CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA LITTÉRATURE

    TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE 66

    Chapitre 3 : Les facteurs littéraires et historiques 68

    1. Les écrits du colonisateur sur le Tchad. 68

    1.1 Les écrits à caractère pédagogique et spirituel 69

    1.2 Les écrits à caractère militaire 71

    1.3 Les écrits à caractère exotique 73

    2. Les événements littéraires à caractère historique 75

    2.1 Les activités des associations littéraires 75

    2.2 Les concours littéraires, représentations et prix 77

    2.3 Les sources d'inspiration 82

    3. Le niveau intellectuel et distinctions des écrivains 85

    3.1 Les dramaturges : niveau intellectuel, distinctions diverses et enjeu littéraire 85
    3.2 Les autobiographes et nouvellistes : niveau intellectuel et distinctions diverses :

    enjeu littéraire 88

    3.3 Les poètes : niveau intellectuel, distinctions diverses et enjeu littéraire 90

    Chapitre 4 : Les facteurs linguistiques, religieux et culturels 93

    1. Les contraintes linguistiques 94

    1.1 La diversité linguistique : enjeux et perspectives 94

    1.2 Le bilinguisme du Tchad 97

    1.3 L'arabe : une tentative d'écriture élitiste 99

    2. Regard sur les religions 102

    2.1 Les religions révélées : le Christianisme et l'Islam 103

    2.2 La pratique religieuse : le conflit 105

    2.3 Les religions : prises de position en littérature 107

    3. De l'hétérogénéité culturelle à la culture nationale 110

    3.1 L'identité culturelle 110

    3.2 La notion de culture nationale 112

    3.3 La littérature au service de la nation 114

    X

    TROISIÈME PARTIE : ACTEURS ET INSTANCES DE PRODUCTION DE LA

    LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE 117

    Chapitre 5 : Les écrivains et les formes d'expression 119

    1. Les dramaturges : statut, grandes figures et pièces représentatives 120

    1.1 Les dramaturges de renommée internationale 120

    1.2 Les dramaturges au niveau local 123

    1.3 La situation professionnelle et le lieu de résidence : effet littéraire 125

    2. Les romanciers, autobiographes et nouvellistes : statut, grandes figures et oeuvres

    représentatives. 128

    2.1 Les romanciers 128

    2.2 Les autobiographes 130

    2.3 Les nouvellistes 134

    3. Les poètes, statut, grandes figures et textes représentatifs 137

    3.1 Les poètes de renommée internationale 137

    3.2 Les poètes au niveau national 141

    3.3 Les poètes : situation professionnelle et lieu de résidence, effet littéraire 141

    Chapitre 6 : Les instances techniques de réalisation d'ouvrage 144

    1. Étude historique et fonctionnelle de l'édition et de l'impression 144

    1.1 L'impression 144

    1.2 L'édition 147

    1.3 L'internet et autres acteurs de production 149

    2. Les structures d'édition à l'étranger 152

    2.1 Les structures africaines d'édition 152

    2.2 Les structures européennes : en France 154

    2.3 Les éditeurs français et les oeuvres tchadiennes 156

    3. Les structures d'édition et d'impression au Tchad 158

    3.1 Les structures d'édition au Tchad 158

    3.2 Les structures d'impression au Tchad 162

    3.3 Le financement des écrivains et des éditeurs 166

    CONCLUSION GÉNÉRALE 170

    GLOSSAIRE 180

    BIBLIOGRAPHIE 183

    ANNEXES 193

    Annexe 1: Exploitation du questionnaire I

    Annexe 2 : Protocole d'entretien (aux responsables des maisons d'édition) IV

    Annexe 3 : Protocole d'entretien (aux responsables d'imprimeries) V

    Annexe 4 : Liste des personnes ressources enquêtées VI

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    2

    Le Tchad a connu des crises sociopolitiques et économiques qui ont eu des conséquences très fâcheuses sur le développement de sa littérature. Dans ce pays souverain depuis le 11 août 1960, plus d'un quart de siècle est passé sans qu'on n'assiste à un véritable essor de la littérature. Cependant, plusieurs textes littéraires produits par des Tchadiens ont arraché l'admiration des instances de consécration littéraire1.

    Autour des années 2000, une volonté de reconstitution de cette littérature va se faire sentir tant chez les « hommes de lettres » que chez les politiciens. Au niveau de la création, de la production des oeuvres et des instances de publication, un progrès est visible. Au moment où Ahmed Taboye2 et Marcel Bourdette-Donon3 mènent des recherches sur la littérature tchadienne respectivement dans Panorama critique de la littérature tchadienne (N'Djaména, Al-Mouna, 2003) et Anthologie de la littérature et des arts tchadiens (Paris, L'Harmattan, 2003), celle- ci a plus de 40 auteurs, soixante ouvrages de fiction et 40 années d'existence, si nous considérons La Dot de Palou Bebnoné et Au Tchad sous les étoiles de Joseph Brahim Seid (Paris Présence Africaine, 1962) comme les premières publications. Sept ans après la publication des textes critiques ci-haut cités, les chiffres pourraient être revus à la hausse selon le directeur des éditions Sao qui estime que la littérature tchadienne était au départ l'oeuvre d'un nombre limité d'écrivains qui, par la force des choses se sont retrouvés en Europe où les conditions de production sont favorables pour la production, la diffusion et la consommation de la littérature. Pour ce dernier, tout va crescendo.

    1 Il faut citer à titre d'exemple les oeuvres de Baba Moustapha : Makarie aux épines (théâtre, Grand prix du 6e CTI de 1972, Paris, RFI/ACCT, 1972, réédité en 1979 par NÉA/CLÉ, Sortilèges dans les ténèbres (Nouvelle, Premier prix de Jeux Floraux de Touraine), La Couture de Paris (Nouvelle, 2e prix du 5e concours de la meilleure nouvelle de la langue française, 1979, RFI/ACCT, Paris,1980, Hatier,1986) et Le Commandant Chaka (théâtre, Prix spécial du Jury au 11e CTI, Hatier collection « Monde noir poche » Paris, 1983 ; et de Maoundoé Naindouba : La Double détresse (Nouvelle, 6e Prix de la meilleure nouvelle de langue française de 1973 ; Nota Bene : Tous les sigles sont à consulter à une liste au début du présent travail entre le Résumé et la table des illustrations.

    2 Enseignant-chercheur tchadien à l'Université de N'Djaména, au département de Lettres Modernes, actuel Ministre de l'Enseignement Supérieur.

    3 Enseignant et critique français ayant enseigné à l'Université de N'Djaména dans le cadre de la Coopération française et produit plusieurs ouvrages sur la littérature Tchadienne.

    Ce point de vue optimiste est confirmé par le responsable des éditions du Centre Al-Mouna qui estime que la volonté d'écrire commence à animer les Tchadiens. Il suffit que des efforts soient conjugués en vue de la promotion de la littérature tchadienne :

    Depuis 1996, nous avons publié au moins un livre par an et cela pour la promotion de la culture tchadienne. Au niveau national nous recevons des manuscrits des plumistes moins nantis qui ont le plaisir de lire un jour leur propre oeuvre littéraire, mais nous sommes limités par les moyens et notre orientation éditoriale pour répondre à toutes ces sollicitations (Entretien du 29 -04- 2010, au Centre Al-Mouna à N'Djaména).

    Le Directeur des éditions L'Harmattan, lors de son passage à N'Djaména, dans le cadre de la fête du livre, a été clair sur le flux d'auteurs tchadiens qui publient ces derniers temps chez L'Harmattan. Il en est arrivé à envisager très prochainement une représentation de cette maison d'édition à N'Djaména.4

    Eu égard à ces propos optimistes des éditeurs qui entendent braver le « désert littéraire » tchadien, il est nécessaire de mener une analyse sociologique, analyse qui prend en compte les éléments externes aux textes pour voir ce qui est à l'origine de l'émergence de la littérature dans ce pays. En dehors des exigences temporelles et académiques du moment, des travaux approfondis dans ce domaine peuvent être utiles pour la connaissance de l'institution littéraire au Tchad. C'est ainsi que nous formulons notre sujet : La production littéraire tchadienne écrite d'expression française : essai d'analyse sociologique.

    Robert Escarpit définit la production littéraire comme : « le fait d'une population d'écrivains qui, à travers les siècles, est soumise à des fluctuations analogues à celles de tous les groupes démographiques : vieillissement, rajeunissement, surpopulation, dépeuplement, etc.» (Escarpit, 1968 : 29). Le mot production n'est pas seulement pris comme une finalité ou un produit (ensemble des oeuvres ou des ouvrages produits par un groupe), mais aussi comme le processus de réalisation dynamique et mécanique, dans la mesure où il se limite dans le temps et dans l'espace et suit un schéma régulier presque connu de tous : un créateur appelé auteur propose un texte, fruit de son imagination ou de son expérience sociale à un éditeur qui en juge la qualité en fonction des attentes d'un public consommateur appelé lecteur et le met sur le marché pour le bénéfice et le plaisir de celui-ci. Cette chaîne engage des acteurs pour la

    3

    4 Entretien réalisé par nous le 23 -11- 2009 au CCF (N'Djaména)

    4

    production et la diffusion du livre. Les acteurs de la production avec les outils et les instances institutionnalisées qui les accueillent font l'ossature de ce travail. L'appellation du texte qu'ils produisent varie selon son genre et la discipline dans laquelle il est issu. La page de couverture porte la marque de ces éléments. Nous traiterons des oeuvres littéraires. Si la littérature est l'expression des préoccupations humaines, ces préoccupations ne peuvent être que d'ordre social, économique, politique et culturel. Cela veut dire que chaque peuple, chaque pays aura sa littérature. Il est donc illusoire de vouloir connaître le processus de production sans opérer de choix.

    Par « analyse sociologique », nous faisons allusion à une étude du fait littéraire par une démarche sociologique. Les sociologues Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt témoignent que la démarche de recherche en sciences sociales est rigoureuse : « Il importe que le chercheur soit avant tout capable de concevoir et de mettre en oeuvre un dispositif d'élucidation du réel c'est-à-dire, dans son sens le plus large, une démarche de travail» (Quivy et Campenhoudt, 1995 : 3). Nous nous sommes outillé, pour mener à bien cette analyse, d'une démarche de travail qui se veut efficiente. Nous n'avons pas l'ambition d'épuiser le traitement du fait littéraire dans sa généralité. Un seul aspect, la production littéraire, a constitué notre réflexion.

    Nous étudions les rapports que la littérature d'un pays africain (le Tchad) entretient avec les instances de production et de légitimation extérieures ( françaises par exemple) avant de nous appesantir sur le cadre institutionnel local et ses acteurs, parce que cette littérature est née à l'extérieur. À cet effet, l'analyse sociologique s'avère incontournable. Cette étude traite du contexte sociopolitique dans lequel évolue la littérature et fait une lumière sur les différentes instances qui participent à sa vie. Il ne s'agit pas de réaliser une étude immanente et systématique de ces oeuvres, mais de centrer plutôt l'intérêt sur leurs processus de création, de publication et les facteurs d'émergence. Car pour que le livre existe, il faut la collaboration entre l'auteur et l'éditeur comme l'affirme Christian Kingué Épanya :

    La réussite d'un livre est très souvent - mais pas seulement ! - le fruit d'une rencontre entre un créateur et un éditeur, deux partenaires qui ne partagent pas toujours la même façon de voir : l'un est tout en affectivité et subjectivité (on touche à son oeuvre et, par-delà, à sa personnalité) et l'autre a des contraintes

    financières. Pourtant, ils travaillent tous les deux pour un seul et même objectif : le succès d'une publication (Notre Librairie n° 149, 2003 : 83).

    5

    Dans le champ littéraire négro-africain, la présente recherche est orientée sous l'angle de « la problématique des littératures nationales » réservé à la production. Pierre Bourdieu définit le champ littéraire comme : « Un réseau ou une configuration de relations objectives entre des positions» (Bourdieu étarquant, 1992 : 72). Ainsi défini, il est un espace de compétition entre producteurs. Le choix de ce thème est le résultat d'un constat sur l'intérêt et la portée de la notion de champ littéraire en Afrique, cet espace dans lequel s'opèrent des rapports entre le monde réel et le monde des idées. Bernard Mouralis essaye de situer l'importance du contexte de production dans l'étude du fait littéraire en ces termes :

    La critique et la recherche ont [...] développé une démarche de globalisation qui visait à souligner le caractère homogène de la culture négro-africaine et de l'expérience historique vécue par les peuples noirs à travers la colonisation. La littérature étant perçue comme une réponse globale à cette expérience, on tendait ainsi à sous-estimer le contexte d'énonciation et à mettre l'accent sur la fonction expressive et la fonction référentielle de cette littérature. Cette attitude [...] conduisait à accorder peu d'attention aux situations individuelles des écrivains (Mouralis et al, 2001 : 47-48).

    Il est vrai qu'à travers les oeuvres négro-africaines peuvent se lire les éléments culturels et linguistiques du continent. Mais dans ce grand groupe, il y a des particularités qui sont non négligeables pour l'analyse des textes littéraires. Nous voulons accorder plus de crédits à ces éléments que sont les contextes, les acteurs et les instances de production propres à un seul pays. Si les textes d'un pays ne sont produits que dans un contexte de guerre, leurs auteurs vivent à l'extérieur à cause de l'insécurité et que quelques centres servent de lieu de publication, nous ne pouvons pas avoir la même finalité esthétique ou thématique que ceux d'un pays doté d'une institution dynamique de production, de diffusion et de légitimation. La formation des auteurs, leur conception de la littérature et leur situation sociale peuvent déjà influencer la quantité et la qualité des textes mis sur le marché.

    Ayant opté pour la production littéraire d'un seul pays pour étudier sa spécificité, nous participons à la diversification et à l'enrichissement du champ littéraire africain. Ambroise Kom déclare à cet effet : « Spécificité n'est pas cloisonnement [...] Il va de soi que [des] comparaisons et [des] rapprochement divers doivent (sic) être recherchés entre les créations littéraires» (Kom, 1993 : 10). C'est dans ce contexte qu'on parle de l'existence en Afrique

    des littératures nationales, définissables par des critères externes ou internes aux textes. Ce champ s'élargit par la recherche philologique, thématique, linguistique, culturelle, postcoloniale, intertextuelle, etc. Mais la question de littérature nationale est restée complexe malgré le nombre pléthorique des ouvrages qui lui sont consacrés. Ce concept provient du vocable nation qui désigne, en géographie, une communauté d'hommes appartenant à un même pays, ayant la même organisation sociale, les mêmes lois et étant nés généralement sur le même territoire5.

    Dans le domaine littéraire, la notion de nationalité prime sur les diversités observables à l'intérieur d'un territoire. C'est pour cela que moult documents critiques et anthologiques s'intéressent à la littérature nationale, une littérature propre à une nation ou produite par des auteurs d'une nationalité commune. Cette appellation suppose un nombre d'écrivains et d'oeuvres publiées, une continuité dans le traitement thématique et l'existence des traits communs entre ces oeuvres qui partagent la même histoire. En effet, cette approche nationale de l'émergence d'une littérature tend à faire l'unanimité dans le monde littéraire. Beaucoup d'écrivains estiment qu'ils produisent des textes pour affirmer leur identité : cet « ensemble des composantes grâce auxquelles il est établi qu'une personne est bien celle qui se dit ou que l'on présume comme tel» (Guillien et Vincent, 1990 : 261). En lisant donc les textes des auteurs tchadiens, on constate que ceux-ci invitent à une prise de conscience et à un sentiment de cohésion sociale. Nous suivons ici un vieux débat de quelques trois décennies légitimé par la publication des anthologies nationales. La production littéraire tchadienne peut, à cet effet, faire l'objet d'une question de recherche.

    Nous constatons que la littérature entretient des relations socio-idéologiques avec des institutions. Le champ conceptuel approprié pour cette étude est « l'institution littéraire ». Étudier les rapports que la littérature entretient avec les instances de production et de légitimation est une ancienne préoccupation de la sociologie de la littérature. Les critiques à l'instar de Taine et de Madame de Staël, au XIXe siècle déjà, ont étudié cette corrélation. En 1978, Jacques Dubois traite, dans L'institution de la littérature, les faits comme : les sphères de production, fonctions de la littérature, instances de production, instances de légitimation,

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    5 Baud, Pascal; Bourgeat, Serge; Bras, Catherine, Dictionnaire de géographie, Paris, Hatier, 1997, 2è édition.

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    statut de l'écrivain et du texte, la lecture et les conditions de lisibilité. Cette étude a le mérite de montrer le contexte sociopolitique dans lequel évolue la littérature et faire une lumière sur les différentes instances qui participent à sa promotion. Plusieurs critiques ont traité le rapport entre le social et le littéraire. Nous faisons allusion à Pierre Bourdieu, Robert Escarpit, Fabrice Themerel, H. Robert Jauss, Pierre Fandio, Alain Viala, etc. qui ont, chacun à sa manière, développé un aspect de cette question sociologique.

    Quelques raisons qui justifient l'intérêt du sujet nous ont poussé à travailler sur la littérature nationale tchadienne et surtout à mener des recherches en institution littéraire définie par Salaka Sanou comme « ensemble de règles et de codes qui définissent le fonctionnement de la littérature ». (Salaka, 2003 : 4)

    À la période coloniale, les Noirs africains francophones se sont imposés dans le champ littéraire colonial par des mouvements associatifs et idéologiques. La publication d'Orphée noir, préface de L'anthologie de la poésie nègre et malgache de Léopold Sedar Senghor, par Jean Paul Sartre, en 1948, chez Présence Africaine, justifie cette volonté de créer le mouvement de la négritude pour la défense des valeurs nègres. La littérature africaine a donc été, à ses débuts, dominée par un discours anticolonialiste : détruire les préjugés raciaux et donner une vision du monde du colonisé, telles étaient les préoccupations idéologiques des auteurs africains. Après les indépendances, les nouveaux dirigeants africains vont faire l'objet d'une critique acerbe. Mais cet état de chose ne continuera pas toujours par être l'apanage des nouvelles générations d'écrivains et des critiques africains. La nationalité littéraire se rétrécira davantage.

    Quelques décennies après « les soleils des indépendances », le paysage littéraire africain connaît une modification sérieuse à cause de la productivité des auteurs et de la diversité des problèmes débattus. On assiste à des figurations diverses et éclatées de la réalité. La notion de nationalité comprise comme groupe humain uni par une communauté de territoire, de langue et de tradition pose problème et se résume davantage à un pays qu'à un continent. La critique se diversifie et la tendance est à la littérature dite de nationalité ou d'identité. Si le français a pendant longtemps servi de langue d'asservissement, il deviendra un outil de promotion culturelle, non seulement d'un continent mais d'un pays comme le note Kadima-Nzuji cité par Jacques Chevrier :

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    Chaque pays vit une situation particulière à laquelle il tente d'apporter une réponse spécifique en fonction de ses intérêts et de ses objectifs. Dès lors, la littérature qui est, elle-même, une manière de répondre aux sollicitations, voire aux défis de notre environnement et de notre temps, s'imprègne tout naturellement des courants idéologiques qui informent et sous-tendent son lieu de production [...] D'où la nécessité et l'urgence de fonder un discours critique pouvant désigner et décrire avec bonheur ce phénomène nouveau qu'est l'émergence des littératures nationales (Chevrier, 1984 :230).

    Ce point de vue extrait de la préface de L'Anthologie de la poésie camerounaise d'expression française, compilée sous le titre Poèmes de demain, par Paul Dakeyo admet non seulement l'intérêt que doit porter le chercheur aux textes nationaux, mais la spécificité de chaque littérature qui mérite qu'une critique (voire sociologique comme la présente) lui soit réservée. En 1997, le Congolais Jean Baptiste Tati-Loutard propose pour son pays une anthologie nationale. La même année, Roger et Arlette Chemain publient Le Panorama critique de la littérature congolaise chez Présence Africaine. La revue Notre librairie a également consacré quelques numéros spéciaux6 à cette littérature dite de nationalité. Il faut noter qu'avant et après ces parutions, des numéros ont été uniquement consacrés, par cette revue, à un seul pays comme le Congo, le Sénégal, le Gabon etc. Dans les anthologies et les ouvrages critiques africains, le Tchad est toujours le grand absent, s'il n'est pas représenté par un ou deux auteurs7. Le nombre minime des ouvrages critiques sur les oeuvres littéraires tchadiennes le prouve. Il faut donc une « pierre » pour sa visibilité tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

    Après les années 2000, la production littéraire tchadienne devient progressivement riche en qualité et en quantité grâce à l'implantation des éditions Sao, de la volonté d'écrire

    6 N° 83 : littérature nationales : mode ou problématique, N° 84 : littérature nationales : langues et frontières et N° 85 : littérature nationales : identité et histoire.

    7 Chevrier Jacques, Littérature nègre, Paris, Armand colin, 1974 : A. Bangui, N. Naindouba et B. Moustapha y sont juste évoqués ; P. N. Nkashama, Comprendre la littérature africaine écrite, Paris, Saint-Paul, 1979 : Aucun auteur tchadien ; Chevrier Jacques, Anthologie africaine, Paris, Hatier, 1981 : Aucun auteur tchadien ; Chevrier, Jacques, Littérature africaine (Histoire et grands thèmes), Paris, Hatier, 1990 : J. B. Seid, A. Bangui, N. N. N'Djékéry et B. Moustapha ;

    Kesteloot Lilyan, Anthologie négro-africaine, Paris, ÉDICEF, 1997 : Aucun auteur tchadien.

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    des jeunes « plumistes » et de la production à notre époque d'un nombre croissant de textes critiques. Le discours littéraire s'intensifie ainsi que la lecture. Mais nous constatons que peu de recherches académiques ont été faites sur la littérature au Tchad. Notre souci est de définir le lieu d'inscription de l'oeuvre dans le social, c'est-à-dire décrire le contexte sociopolitique de la production et d'interroger les rapports que la littérature entretient avec les institutions de la place. Analyser ce qui se dit, se fait et s'écrit sur la vie littéraire au Tchad fait également partie de notre préoccupation. Ce secteur d'étude est encore, à notre connaissance, vierge et mérite un investissement. Il est intéressant d'étudier la chaîne du livre littéraire qui englobe les structures de production, de distribution et de consommation des textes littéraires. Autrement dit, qui produit quelle oeuvre, par qui celui-ci est-il soutenu dans la réalisation et la circulation de l'oeuvre et comment celle-ci est-elle accueillie par le public? Cette question nous conduira certainement à repérer les instances de production, organisations et associations qui animent la vie littéraire d'une part et à connaître les oeuvres et savoir les classer par genres et thèmes majeurs d'autre part.

    La lecture des travaux critiques sur la littérature tchadienne et sur le domaine que nous envisageons exploiter, à savoir la production littéraire tchadienne nous permettra de comprendre les différents aspects pris en compte par les chercheurs et d'orienter l'analyse.

    Quelques ouvrages publiés par Ahmad Taboye et Marcel. Bourdette-Donon font l'état de lieux de la production littéraire tchadienne :

    En 2000, M. Bourdette-Donon publie chez L'Harmattan Les enfants des brasiers ou les cris de la poésie tchadienne. L'ambition de cet auteur est de recenser les recueils de poèmes d'auteurs tchadiens et d'opérer un classement thématique. Ce travail a permis d'interpréter les inquiétudes majeures des Tchadiens. Pour l'auteur, cette poésie s'oriente vers trois axes : rendre compte du chaos et dénoncer l'aliénation dont le peuple est victime (M. Mougnan et A. Nébardoum), concéder une place prépondérante au rythme et aux phénomènes sonores (Nimrod), et révéler un poète hanté par l'intolérance et la barbarie, horrifié par la violence de la jungle humaine (Koulsy).

    Deux ans plus tard, le même auteur, chez le même éditeur publie La Tentation autobiographique ou la genèse de la littérature tchadienne. Il y est question de démontrer que l'engagement individuel des premiers auteurs autobiographes tchadiens est à l'origine de la naissance de la littérature au Tchad. Ceux-ci, en réalité, ont été poussés à l'écriture par la force de l'Histoire. C'est une sorte de prise de conscience et de volonté de dévoiler l'injustice,

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    la dictature et la répression de l'époque. Cette écriture du moi marque la genèse de l'engagement individuel qui est une orientation capitale de la littérature tchadienne

    Une année après La Tentation autobiographique, M. Bourdette-Donon enrichit l'ensemble de la production littéraire tchadienne en publiant une fois de plus chez L'Harmattan Anthologie de la littérature et des arts tchadiens. Cet ouvrage est un état des lieux d'un ensemble de textes de quarante-neuf auteurs. Il y introduit des textes d'auteurs d'autres modes d'expressions (peinture, sculpture, cinéma, etc.) qui, selon lui, « éclairent les thèmes littéraires et contribuent à mieux cerner l'aventure artistique tchadienne de l'indépendance à nos jours » (Bourdette-Donon, 2003 : 19)

    La même année, A. Taboye publie au centre Al-Mouna de N'Djaména un Panorama critique de la littérature tchadienne. Cet ouvrage est une analyse éponyme qui met l'accent sur le traitement des genres et des thèmes. Le chercheur nous fait lire tout ce qui a marqué l'histoire de la littérature du Tchad et valide la thèse de son existence.

    L'économie de ces travaux montre que presque rien d'extérieur au texte, proprement sociologique, n'a été envisagé dans ces recherches faites sur la littérature tchadienne. Par ailleurs d'autres travaux à l'échelle sous-régionale et internationale ont traité le rapport entre le social et le littéraire. Nous considérons entre autres quelques recherches d'envergure :

    Bana Barka présente un mémoire de maîtrise ès lettres à l'université de Ngaoundéré sous le thème : « La création littéraire dans le Cameroun septentrional : analyse sociologique de la production littéraire» Il passe en revue les conditions de production de la littérature, les facteurs de son développement et les critères de son évaluation dans sa zone d'étude. Il démontre que non seulement la littérature du Septentrion existe mais que beaucoup de recherches sont en train d'être faites pour son insertion dans le champ social.

    Salaka Sanou dans « L'Institution littéraire au Burkina Faso » (rapport de synthèse en vue de l'HDR8) présenté à Limoges en 2003) analyse la production littéraire et la réception des textes littéraires de son pays. Il étudie en effet un ensemble d'éléments qui définissent le fonctionnement de cette littérature et l'inscrivent dans la société. Il y fait également mention du statut de l'écrivain.

    8 Désormais, les abréviations sont renvoyées à une liste alphabétique au début du présent travail entre le Résumé et la table des illustrations.

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    La même piste est exploitée par Pierre Fandio dans La littérature camerounaise dans le champ social (Paris, L'Harmattan, 2006). Ce dernier étudie « l'ensemble de paramètres humains et matériels qui concourent à l'existence du livre littéraire» (Fandio, 2006 : 16 ). L'institution littéraire au Cameroun y est détaillée de 1940 à 1990. Il ne laisse pas de côté les discours critiques et habitudes de lectures. Les questions du statut de l'écrivain, de l'édition et de l'imprimerie occupent une bonne place dans cet ouvrage.

    En dehors des critiques ci-haut cités, nous rencontrons dans tels ou tels ouvrages généraux des parties réservées à des éléments qui feront l'objet de notre analyse : Schifano Elsa dans L'Édition africaine en France : Portraits (Paris, L'Harmattan, 2003) traite la question de l'édition, le numéro hors-série d'avril-juin 2002 de Notre Libraire intitulé Guide pratique du Bibliothécaire, celle de la diffusion, etc. La particularité de notre travail réside dans la collecte d'informations quelquefois inédites sur les institutions littéraires tchadiennes en vue d'évaluer la vie littéraire.

    Ces travaux nous ouvrent un champ de recherche vaste et vierge, pour ce qui est de la littérature tchadienne. Dans le cadre de cette recherche nous faisons une étude sommaire sur l'existence des organes qui facilitent la vie littéraire au Tchad. Dès lors, il est nécessaire de préciser clairement ce qui constitue pour nous la question de recherche.

    En effet, la littérature tchadienne est récente et dispose d'une institution fragile et méconnue. Il nous échoit de nous demander ce qui a freiné son épanouissement avant d'analyser les facteurs propulseurs du moment. Étudier cette littérature du point de vue de son rapport avec la société nous amène à soulever des questions liées au contexte de production, aux conditions d'émergence, aux acteurs et instances de production, etc. La littérature tchadienne est née à l'extérieur du pays. Cela est-il dû aux crises sociopolitiques, au manque de structures de production locales, à une mauvaise volonté politique et culturelle ou à des habitudes rebelles à l'écriture et à la lecture ? Face à ces multiples préoccupations, les atouts humains et matériels doivent être passés en revue pour faire ressortir ce qui constitue un obstacle aux conditions ci-haut énumérées. Autrement dit, qu'est-ce qui a retardé l'institutionnalisation de la littérature au Tchad et qu'est-ce qui est en train d'être fait (ou peut être fait) pour combler le vide ou corriger les erreurs du passé ?

    Il faut, pour ce problème posé, une résolution anticipée et provisoire qui nous permettra de le résoudre. Ainsi nous formulons l'hypothèse suivante :

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    Le contexte sociopolitique, économique et culturel du Tchad a influencé négativement la production littéraire. La chaine du livre a été à cet effet « rompue ».

    Vu le caractère globalisant de cette hypothèse, nous lui adjoignons trois autres secondaires :

    - Une relecture des oeuvres tchadiennes laisse entrevoir l'image des éléments sociopolitiques, littéraires et culturels fédérateurs à l'origine de ces récurrences thématiques en littérature (les contextes, conditions et lieux de production de ces oeuvres);

    - Une étude des instances de production détermine, en amont l'investissement humain et matériel, la fréquence et la qualité des oeuvres, puis en aval les habitudes des consommateurs, le traitement de genres (et de thèmes) et l'orientation des discours critiques;

    - Les instances de production existantes n'évoluent pas en synergie, créant un désordre dans la chaîne du livre.

    Pour ces genres de travaux, il faut une démarche rigoureuse et objective. Le domaine de recherche étant moins exploré, nous choisissons faire une descente sur le terrain pour la collecte des données orales brutes, faisant suffisamment recours aux termes clés et techniques de la recherche en sociologie. Ainsi, nous nous sommes doté d'un appareil enregistreur pour la sauvegarde intégrale des informations en vue d'un traitement au cours de cette analyse. Nous avons opté pour deux sortes d'enquêtes : une enquête extensive et une enquête intensive. Selon Raymond Quivy, l'enquête consiste à : « poser à un ensemble des répondants, le plus souvent représentatifs d'une population, une série de questions relatives à leurs situations sociales, professionnelles ou familiale, à leurs opinions[...],ou sur tout autre point qui intéresse le chercheur» (Quivy et Campenhoudt, 1995 : 190). Il faut noter que cette tâche se distingue du simple sondage.

    Au niveau de l'enquête extensive, celle qui convient à tout le monde sans distinction, nous ciblons des élèves, étudiants et autres utilisateurs ou acteurs de la chaîne du livre non concernés par la production. La méthode sociologique d'enquête prévoit à cet effet un échantillon. Cent personnes bénéficierons chacune d'un questionnaire pour nous permettre de faire une comptabilité d'intentions. Car, comme l'affirme Robert Escarpit : « Une définition [d'un travail] en littérature suppose une convergence d'intérêts entre l'auteur et le lecteur, une définition plus large exige au moins une comptabilité d'intentions.» (Escarpit, 1968 : 29).

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    Cette comptabilité nous permettra d'avoir en pourcentage des points des vues sur les contextes, les conditions, les acteurs et les instances de la production littéraire au Tchad. Bref nous aurons des informations fiables et traitables sur le processus de la production.

    Un travail de cette envergure ne peut se faire sans les points de vue des personnes ressources9. D'où la nécessité d'enquête intensive, celle rigoureuse menée auprès des personnes qualifiées. Pour cette phase, nous avons prévu des entretiens qui seront exploités et cités. La liste de ces personnes est présentée à l'annexe de ce travail. Un protocole d'entretien adaptable suivi du questionnaire nous permettra de justifier nos hypothèses et résoudre le problème posé. Cela est un palliatif pour combler le silence textuel que nous offre les bibliothèques en ce domaine. Il ne nous dispense en aucun cas d'autres sources du savoir.

    En littérature, la grille méthodologique indiquée pour cette cause est la sociologie de la littérature. Le travail consistera à faire la sociologie de la production10. Depuis le XIXe siècle déjà, plusieurs critiques ont étudié cette corrélation. Le marxisme comme théorie a également influencé le courant sociologique qui a pour branches : la sociologie de la littérature, la sociocritique, la socio-poétique, etc. Pour les marxistes, l'oeuvre est l'expression d'une vision du monde propre à la classe sociale à laquelle appartient l'auteur qui pense et sent cette vision. La pertinence de la sociologie de littérature réside dans le fait qu'elle établit et décrit des rapports entre la société et l'oeuvre littéraire comme le fait savoir Jean-Yves Tadié, parlant de celle-ci : « La société existe avant l'oeuvre, parce que l'écrivain est conditionné par elle, la reflète, l'exprime, cherche à la transformer ; elle existe dans l'oeuvre où l'on trouve sa trace, et sa description... » (Tadié, 1987 :155).

    La première théorisation en ce domaine est celle de Georges Lukacs. En 1920, Lukacs estime, dans La théorie du roman (Paris, Gauthier, 1963, traduction), que le roman est le reflet d'un monde disloqué, l'épopée d'un monde sans dieux. Dans Le Roman historique, (Paris, Payot, 1965, traduction), il présente son point de vue méthodologique ainsi qu'il suit : « La recherche de l'action réciproque entre le développement économique et social et la conception du monde et la forme artistique qui en dérive » (cité par Tadié, 1987 : 169).

    9 Auteurs, éditeurs, imprimeurs, enseignants, chercheurs, etc.

    10 Démarche et en même temps branche de la sociologie de la littérature qui s'occupe de la production littéraire et artistique.

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    En 1959, Lucien Goldmann qui a vulgarisé les idées de Lukacs pense que : « les véritables sujets de la création culturelle sont les groupes sociaux et non les individus isolés » (Goldmann, 1956 : 12).

    La méthode de Goldmann consiste à chercher les rapports entre l'oeuvre et les classes sociales de son temps puis à la comprendre elle-même dans sa signification propre. Dans Pour une sociologie du roman (Paris, Gallimard, 1964), il démontre que les véritables sujets de la création culturelle sont les groupes sociaux et non pas les individus isolés. Il ajoute que l'auteur ne connaît pas mieux que d'autres la signification et la valeur de ses écrits. Il faut une étude immanente à comparer à la réalité socioéconomique de l'époque. Cela Goldmann le met en pratique dans Le Dieu caché (Paris, Gallimard, 1956). Une seule chose est à l'actif de l'auteur, la valeur esthétique de l'oeuvre.

    La sociologie de la littérature applique les méthodes de la sociologie à la production, à la diffusion, à l'institution littéraire, aux groupes professionnels tels qu'écrivains, professeurs ou critiques, en un mot à tout ce qui, dans la littérature, n'est pas le texte lui-même. Elle a une sous-discipline qui se considère comme une des méthodes des sciences de la littérature, méthode critique tournée vers le texte, et vers la signification de celui-ci. Elle élargit la compréhension par la prise en compte des phénomènes sociaux, de structures mentales et de formes de savoir. Des idées semblables seront ensuite développées par Jacques Dubois dans L'institution de la littérature. Il y traite : les sphères de production, fonctions de la littérature, instances de production, instances de légitimation, statut de l'écrivain et du texte, la lecture et les conditions de lisibilité etc. Pour lui, « en tant qu'institution, la littérature n'obéit à aucune charte, n'est dotée que d'une faible visibilité, mais ses mécanismes et ses effets peuvent se mesurer» (Dubois, 1978 : 9). J. Dubois se fonde principalement sur la théorie du «champ» à la manière de P. Bourdieu pour mener une étude extratextuelle réservée au contexte de production et à la consommation du livre. Cette approche montre comment s'organisent les instances et les systèmes sociaux de légitimation, les stratégies d'émergence des acteurs, etc. Ces pistes nous seront utiles pour démontrer et illustrer notre étude.

    La sociologie de la littérature délaisse le texte pour s'occuper du contexte social de l'oeuvre. Jacques Dubois affirme à cet effet :

    Accaparée par la recherche du référent exact de l'oeuvre, sollicitée par la comparaison avec d'autres écrits et d'autres faits sociaux, la critique sociologique court le risque de se voir déportée vers une périphérie où le

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    littéraire se trouve confondu à des phénomènes d'une autre nature. (Dubois, in Escarpit, 1970 : 55)

    En ce moment où la tendance est à l'étude immanente, la sociocritique qui a le mérite de décrire et d'interpréter le texte va être suffisamment convoquée par les chercheurs pour l'analyse du fait et des textes littéraires. La sociologie de la littérature reste cependant complète et valable pour être appliquée à l'étude du contexte de production, surtout si nous nous en tenons à la démarche adoptée par Robert Escarpit dans Sociologie de la littérature (Paris, PUF, 1958) Nous emprunterons des concepts principalement aux auteurs cités.

    Notre travail est organisé en trois parties réparties comme suit :

    La première partie traite des « contextes de production de la littérature tchadienne écrite d'expression française ». Il est question des contextes politique, socio-économique et culturel.

    Dans le premier chapitre réservé au « contexte politique », nous voulons d'une part étudier les éléments sociopolitiques et histoires et d'autre part démontrer en quoi ceux-ci ont été sources d'inspiration littéraire. Les textes historiques attestent que de la période coloniale à la première république il y a eu une stabilité politique qui a été suivie des dérives et des coups d'État. L'élite politique et intellectuelle n'a pas été indifférente face à cela dans ses oeuvres. C'est d'ailleurs pendant la période de 1960 à 1990 que sont produites les autobiographies politiques au Tchad. À l'ère de la démocratisation, la liberté de presse a permis à quelques Tchadiens de produire, même au niveau national des oeuvres sur la gestion du pouvoir et la critique des moeurs sociales.

    Au deuxième chapitre concernant le « contexte socio-économique et culturel », il est question de démontrer que sur le plan social, les guerres, causes directes des crises sociales ont favorisé l'analphabétisme, la corruption, l''injustice sociale et bien d'autres pratiques sociales déviantes déjà existantes. La situation économique du Tchad au début de l'indépendance n'a pas été propice à la production des oeuvres de l'esprit. Les besoins ont été encore alimentaires. Sur le plan économique, la deuxième partie du chapitre voudrait démontrer que la crise économique (bas salaire et ajustement structurel) a renforcé les clous et que le boom pétrolier pourrait être un avantage pour le flux de production littéraire. Et la partie finale justifie que les réalités culturelles comme la lutte de classes, l'hétérogénéité

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    culturelle et la diversité ethnique ne sont pas de nature à encourager l'émergence de la littérature tchadienne écrite.

    La deuxième partie est réservée aux « conditions de production de la littérature tchadienne écrite d'expression française » et comprend deux chapitres.

    Un chapitre est consacré aux « facteurs littéraires et historiques ». Nous y démontrons que les associations, les événements, les rencontres, les festivals et les concours littéraires, sans oublier les écrits des expatriés sont des facteurs certains pour la production des textes littéraires, on ne peut les perdre de vue.

    Le chapitre consacré aux « facteurs linguistiques, religieux et culturels » est l'occasion d'analyser les contraintes et diversité linguistique au Tchad et de dire que malgré la tentative d'écriture en arabe, le français s'impose comme langue d'écriture. La dictature militaire et les guerres produisent une portée idéologique et politique non négligeable. L'adversité politique devient source de création, d'engagement et l'innovation littéraire. La religion (le Christianisme et l'Islam) mérite, en dernier lieu, un regard critique. Elle pousse à l'autocensure. Les clivages ethniques et la culture traditionnelle ne favorisent pas l'unité et l'identité nationale.

    La troisième partie est intitulée : « Acteurs et instances de production de la littérature tchadienne écrite d'expression française » et est consacrée à la fonction créatrice et éditoriale.

    Le chapitre consacré aux « écrivains et les formes d'expression » traite de la fonction créatrice. Il est le lieu de parler des dramaturges, romanciers, autobiographes, nouvellistes et des poètes, etc. Leurs statuts, distinctions diverses, situations professionnelles et lieu de résidence sont des éléments constitutifs du chapitre. Une partie prendra en compte les grandes figures et les pièces représentatives.

    La fonction éditoriale occupe le dernier chapitre dénommé : « instances techniques de réalisation d'ouvrage ». Pour arriver à l'édition et à l'imprimerie au Tchad, il est préférable de connaitre leur histoire et leur fonction dans la société. Ces instances sont divisées dans ce travail en structures d'édition et d'impression à l'étranger, (Africaine, Europe) et au Tchad. Le financement de la production littéraire est une question que nous jugeons utile pour ce travail.

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    PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE PRODUCTION DE LA LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE

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    La littérature est fille de son temps. Pour la comprendre, il faut connaître le contexte historique et politique du moment. De l'étymologie latine contexere, tisser ensemble, le mot « contexte » désigne un ensemble de circonstances qui accompagnent ou génèrent un événement (historique, politique, économique ou socioculturel). La sociologie des faits littéraires s'est traditionnellement posé le problème des relations entre, d'une part les productions textuelles et leurs auteurs, de l'autre leurs conditions d'émergence (socioculturelles, économiques, politiques, idéologiques, etc.).

    Á la suite de Taine et de Lanson, l'histoire littéraire s'est attachée à reconstituer l'histoire de la littérature et des auteurs, parallèle à l'histoire proprement dite, dans l'intention d'expliquer ou de comprendre les oeuvres à partir des éléments externes à elles. Les analyses sociologiques à tendance marxiste cherchent toujours à situer l'oeuvre littéraire dans le milieu qui l'a produite. Les travaux de Lukacs, Goldman, Escarpit, Bourdieu, Dubois, etc. traitent les circonstances historiques, politiques et socioculturels dans lesquelles vivent les auteurs et qui les inspirent. Les critiques africanistes tels J. Chevrier et L. Kesteloot ont également intégré ces éléments dans leurs études. Cette dernière a réservé quelques pages aux « nombreux événements qui ont agité le continent noir» (Kesteloot, 1997 : 414) et aux « obstacles de toutes espèces, sur le plan social, économique, politique ! Coups d'Etat militaires en cascade, guerres de sécessions, guerres frontalières, guerres d'indépendance» (Kesteloot, 1997 : 414). Pour elle, les dictatures et les boursouflures des pouvoirs arbitraires, les répressions, corruptions, détournement, la quête d'argent, la sécheresse, la montée des prix, etc. sont des éléments dont les écrivains rendront compte.

    Nous nous sommes imprégné de ces travaux pour expliquer dans cette partie le contexte politique, socio-économique et culturel de la littérature tchadienne. Le premier chapitre développe les événements politiques sous la colonisation et les différents régimes tout en faisant ressortir l'évolution historique et les dérives des dirigeants. Le deuxième chapitre analyse les influences de la guerre, de l'analphabétisme, de la corruption sur la production sur la production littéraire, les jeux économiques (précarité et amélioration) et quelques réalités culturelles (l'ethnie, l'oralité et la démocratie) qui, bien gérées, pourraient être des atouts pour l'institutionnalisation de la littérature tchadienne.

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    Chapitre 1 : Le contexte politique

    Le dictionnaire du littéraire définissant la politique comme « art de gouverner la cité » (Aron et al., 2002 : 454), ajoute que « les relations entre politique et littérature forment la matière de nombreuses études aux différentes phases de leur histoire [...] En soi, aucune forme littéraire n'est étrangère à la fonction politique » (Aron et al, 2002 : 454). Moursal postule également que :

    Les phénomènes sociaux, ethniques, historiques inspirent les auteurs et sous-entendent leurs préoccupations littéraires et idéologiques. Ceux-ci pénètrent au tréfonds de l'imaginaire sociopolitique afin de donner un nouvel éclairage de la société. Hormis les autres disciplines, certains aspects de la réalité sociale circulant dans les discours, véhiculés dans les messages et cristallisés dans les conduites des individus, sont pris en compte par les travaux littéraires (Moursal, 2009 : 82).

    Nous cherchons à démontrer cette corrélation en conviant à une lecture de l'histoire politique du Tchad.

    Des réalités politiques qui ont influencé la production littéraire tchadienne, nous avons retenu la période des royaumes qui ont résisté à la pénétration coloniale comme point de départ. Les français ont dirigé le territoire tchadien depuis 1920. Cette colonisation a eu des conséquences positives parmi lesquelles l'école et la langue française qui nous permettent aujourd'hui d'exprimer nos pensées et de produire des textes littéraires. La langue au départ était un obstacle pour la production. Mais, après le 11 août 1960, l'indépendance a permis aux Tchadiens de penser au développement, à la scolarisation de masse. Ce défi est d'actualité.

    Après l'administration coloniale, des mouvements politiques se sont créés avec comme défaut commun l'impossibilité de s'arracher à l'ethnie pour tenir un discours nationaliste. De la stabilité politique de 1960 à la démocratie débyienne en passant par la période des coups d'État et des chefs militaires, l'histoire du Tchad ne sera faite que des dérives qui vont servir de sources d'inspiration aux écrivains tchadiens, si elles ne poussent pas ceux-ci au silence ou à l'exil.

    À l'époque postcoloniale, les personnages sont généralement pris dans le tourbillon de la politique avant d'être sévèrement punis par ceux dont ils présentent un bilan extrêmement négatif. Vu le réalisme et la vérité dans la prise de position des écrivains, le moment était, comme nous le démontrerons, propice à l'autobiographie. Dans le cas d'espèce, c'est

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    d'ailleurs elle qui a animé la littérature tchadienne à ses débuts. Le critique français Marcel Bourdette-Donon qualifie l'autobiographie d'une « forme vivante » qui permet aux victimes de témoigner de la période de crise sociopolitique et économique. Pour lui, « les cinq textes qui dominent la production littéraire tchadienne à ses débuts présentent tous des caractéristiques autobiographiques communes» (Bourdette-Donon, 2002 : 7-8).

    Ce débat politique oppose écrivains et politiciens au moment de la lutte pour l'authenticité tchadienne (MNRCS). M. N'Gangbet Kosnaye, Toura Gaba et bien d'autres intellectuels ont fait mention de ce comportement dit moyenâgeux dans leurs textes. N'Gangbet pense qu' « une révolution visant aux retours aux sources, aux traditions du passé est un non-sens [...] et implique dans les termes mêmes où elle se formule, une évidence contradictoire» (Kosnaye, 1993 : 162), ceci contrairement au « père de la nation » de l'époque qui trouve que « Le retour aux traditions, aux sources, préconisé par la Révolution Culturelle Tchadienne, est une invitation aux Tchadiens à chercher à redécouvrir, et à puiser dans la matrice même de leur pays» (Kosnaye, 1993 : 163). Toura Gaba tourne en dérision cette politique d'authenticité de Tombalbaye. Il estime que c'est « un prétexte pour camoufler les incommensurables carences politiques, économiques, sociales et culturelles» (Toura, 1998 : 20)

    Nous ferons en premier lieu une analyse allant de la période coloniale à la stabilité politique, traitant des réalités historiques de la littérature tchadienne, de la première république et de ses dérives. En deuxième lieu nous traiterons des coups d'État et de l'instabilité politique de 1975 à 1979 (Malloum Félix Ngakoutou), de 1979 à 1982 (Goukouni Weddeye) et de 1982 à 1990 (H. Habré) : la troisième république. La prise du pouvoir, la critique des moeurs politiques et le chemin vers la liberté d'écriture sous la quatrième république (l'ère de la démocratisation) nous intéresseront en dernier lieu.

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    1. De la période coloniale à la stabilité politique

    Le territoire de l'actuel Tchad était un vieux carrefour entre le Sahara et l'Afrique tropicale. Il servait de lieu d'échanges commerciaux entre l'Afrique du Nord blanche et celle du Sud noire. Les historiens témoignent de la vie des populations nombreuses depuis le néolithique jusqu'à nos jours dans cette partie de l'Afrique. Les débris de la civilisation Sao, du crâne du plus ancien homme de la planète « Toumaï » et plusieurs autres découvertes faites par les archéologues en font foi.

    Avant la colonisation, le Tchad a été divisé en royaumes qui se battaient entre eux jusqu'à l'arrivée des Européens qui ont combattu pour la stabilité du pays. Ainsi, le remplacement ou l'élévation d'un Tchadien à la place du Blanc-colonisateur ne peut pas se faire sans difficultés. Les premiers dirigeants se sont confrontés à des oppositions sérieuses des milices ethniques armées. Cela fait que :

    Plusieurs régimes se succèdent durant une période d'instabilité qui débouche sur une série de crises violentes, sanglantes, symptomatiques des déchirements d'une époque qui, en dépit de toutes les difficultés rencontrées, demeurent un moment de l'histoire du Tchad (Bourdette-Donon, 2002 : 7).

    Nous assistons à des changements qui sont la source d'inspiration de plusieurs textes littéraires. Ce contexte, bien que défavorable à la situation sociale des écrivains et des élites intellectuelles du pays, favorise paradoxalement l'épanouissement de la littérature écrite. Il est surtout le moment idoine pour la publication de témoignages et d'autobiographies. Dans lesdits textes les écrivains ne manquent de développer les crises sociales dont les populations ont été victimes. Quand le narrateur de Le Souffle de l'harmattan se demande : « il y a-t-il seulement une place pour l'amour et l'amitié dans ce pays ? » (Moustapha, 2000 : 331), c'est une manière de mettre en exergue les troubles qui ont ébranlé la conscience du peuple tchadien à un moment précis de son histoire.

    Dans cette partie, nous traiterons de la période coloniale et des différents régimes (hégémoniques, claniques ou à tendance démocratique) qui ont dirigé le Tchad. Du 11 août 1960 au 13 avril 1973, le premier président Tombalbaye a instauré un gouvernement autoritaire. Un conseil supérieur militaire dirigé par Félix Malloum gère le pouvoir après le coup d'État du 13 avril 1973.

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    En 1979, la guerre civile déstabilise les FAN au profit de Goukouni Oueddei qui renvoie Malloum et H. Habré et s'empare du pouvoir. En 1982, H. Habré revient renvoyer Goukouni avec force. Le 7 juin 1982 est vu par les Tchadiens comme le jour de la fin des instabilités politico-militaires. Le 1er décembre 1990, Idriss Déby prend le pouvoir à la faveur d'un coup d'État et impose son parti : le MPS.

    Ces différents régimes sont la source et l'objet d'écriture des élites tchadiennes, dans la mesure où les tenants du pouvoir et leurs acolytes commettent des actes qui ont des conséquences sociales sérieuses ne laissant personne indifférent. Les textes que nous allons exploiter sont des sortes de réquisitoires contre ces régimes. À l'image de la société et de la politique tchadienne qui sont en mutation, les écrits tchadiens sont divers et en mutation.

    A. Bangui affirme à cet effet: « Je ne pouvais pas rester inactif, sans élever la voix contre ce que j'observais en ce qui concerne les violations des droits de l'homme» (Bangui, cité par Bourdette-Donon, 2002 : 11). Nous démontrerons le lien qu'a la littérature émergente du Tchad avec ce long vécu politique.

    1.1 Les réalités historiques de la littérature tchadienne

    Le territoire qui constitue aujourd'hui Tchad a été occupé par des populations nomades à l'époque néolithique. On peut encore lire des gravures rupestres au Tibesti vers le nord du pays. Dans la vallée du Chari, divers textes retracent l'histoire de la civilisation Sao au XVIe siècle. À la période précoloniale, il est créé des royaumes dynamiques qui vont, non seulement s'affronter mais, attaquer le colonisateur plus tard. Il est question du royaume de Kanem, le sultanat de Baguirmi, l'empire du Ouaddaï, etc. La rivalité entre les Ouaddéens et les Baguirmiens à l'époque a favorisé la pénétration coloniale.

    Les troupes coloniales françaises ont livré bataille à Rabah et à Mbang Gaourang, conquérant et roi résistants qu'ils ont trouvé au Tchad autour des années 1900. Les auteurs tchadiens en font mention dans leurs oeuvres, quand ils veulent comparer la dictature des années 60 et 70 à cette période. Dans Le Commandant Chaka, (Paris, Hatier, 1983), Baba Moustapha fait la représentation des maîtres du pouvoir. Il fait allusion aux révolutions progressistes qui ont suivi, selon A. Taboye, les indépendances africaines. Celles-ci, pour réussir adoptent le modèle de lutte anticoloniale :

    Cette pièce rappelle l'époque des libérations nationales, celles des
    révolutionnaires progressistes. Une période où se cachent comme dans toutes les

    révolutions des personnages incultes, opportunistes surtout simplement mal intentionnés (Taboye, 2003 : 34).

    L'histoire de Mbang Gaourang, le roi du Baguirmi, est réécrite par Palou Bebnoné dans la pièce éponyme. La pièce paraît en 1974. Bebnoné représente « un roi juste, humain, réaliste tolérant et proche de son peuple» (Taboye, 2003: 39). On y fait allusion à l'invasion du royaume baguirmien par Rabah à la fin du XIXe siècle. Dans l'oeuvre, Rabah se serait suicidé sous la pression de Padja qui dirige le combat, victorieux. Or l'histoire réelle du Tchad montre que Rabah fut tué le 22 avril 1900, à Kousseri par les troupes françaises.

    L'histoire de Chaka et Mbang Gaourang est reprise pour exciter à la lutte révolutionnaire d'une part et moraliser les dirigeants intransigeants d'autre part. En 1920, les conquérants combattus, le Tchad devient une colonie française. Le christianisme a été à cette époque favorable à l'assimilation. Fort-Lamy11 fut donné comme nom à la capitale du Tchad, l'actuel N'Djamena. Le 16 août 1960, le Tchad devient à l'initiative du gouverneur Félix Éboué, un des territoires d'Afrique Noire, à se rallier à la cause de la France libre.

    En effet, ce qui nous intéresse dans cette occupation coloniale, c'est l'imposition de la langue, et donc de l'écriture par l'école française. Avant la colonisation, chaque peuple avait sa forme d'école traditionnelle orale. La première école nouvelle au Tchad est implantée à Mao, par l'administration coloniale. La forme d'école traditionnelle est basée sur les pratiques religieuses et initiatiques qui varient d'un peuple à un autre. Une étude en littérature orale ou en histoire peut faire ressortir toutes ces diversités. Ayant appris à lire, écrire et à compter, les écoliers vont écrire pour sauvegarder les richesses intarissables de l'oralité. C'est dans ce contexte qu'est née la littérature tchadienne. Les diversités culturelles, linguistiques et religieuses vont permettre aux auteurs et chercheurs de doter le Tchad d'une littérature orale riche et variée, mais non publiée, donc inaccessible à tous. C'est en 1962 que Joseph Brahim Seid publie Au Tchad sous les étoiles et Palou Bedonne, La Dot.

    L'école française et l'écriture, à cette époque n'ont pas arraché l'unanimité de la population. Leur acceptation a été une lutte sérieuse. La conséquence directe du refus de l'école est l'analphabétisme. Le taux d'analphabétisme au Tchad, depuis le règne de Tombalbaye est resté supérieur à 80%. Pour produire une oeuvre de qualité acceptable, il faut

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    11 Nom du chef de la troupe française qui a tué Rabah

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    bénéficier d'une éducation conséquente. Cela n'a pas été le cas pour le Tchad au début de son indépendance.

    En dépit de la situation linguistique compliquée adjointe au niveau d'instruction, la littérature tchadienne va se développer en français. Il faut se dire que le recours au français est un choix réaliste. On écrit pour participer aux concours, pour être édité pour être lu. Quelques auteurs, malgré leur qualification dans d'autres domaines du savoir ont produit des textes littéraires pour rendre compte de la souffrance, de la violence et de la misère dans lesquelles est placé le peuple. Baba Moustapha résume leur préoccupation en ces termes :

    En ce moment de notre histoire, si artiste, je devais produire des oeuvres qui ne seraient que belles ; je ne le ferais pas. Mais faire quelque chose qui rende compte de la souffrance de tout un peuple aux prises avec un destin cruel, un immense cri inexprimé. Notre art doit faire peser sur chacun le poids d'une responsabilité (Moustapha, 1979 : 66).

    L'auteur veut dire qu'en ce temps de trouble, l'écrivain est semeur de liberté. L'esthétique littéraire n'est pas toujours sa préoccupation première. L'écrit est ici antidote au désespoir du peuple et non évasion.

    1.2 La première république

    À la fin de la deuxième guerre mondiale, le Tchad devient « Territoire d'outre-mer » de la république française. Il n'est plus divisé en royaumes comme au début du siècle. La région du Borkou-Ennedi-Tibesti par exemple n'a presque jamais été sous contrôle tchadien. L'armée française laissera cette zone en 1965. Les forces politico-militaires en dissidence se feront aider par le Soudan et la Libye pour déstabiliser le pouvoir en place.

    En effet, l'espoir renait le 11 août 1960. Le Tchad devenait indépendant avec comme premier président François Tombalbaye. Ce dernier a un passé politique qui témoigne de son intérêt pour l'émancipation sociale et économique du Tchad. Cependant, le nouveau chef de l'État hérite un pays divisé par des crises claniques et politiques. Il ne parviendra pas à unifier ou à rassembler le peuple tchadien autour de lui. Dès le départ de l'administration coloniale, des mouvements politiques se sont constitués contre sa volonté. Mais ceux-ci avaient en commun « l'incapacité de s'arracher à l'esprit de clan, pour atteindre une vision nationale des problèmes» (Varsia, 1994 : 17).

    Autour des années 60-70, des manifestations ont commencé à surgir, très prématurément, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Tout méfiant, Tombalbaye crée un

    groupement de Compagnies Tchadiennes de Sécurité en 1967. Ce bouclier militaire est une force qui fera passer aux contestations individuelles et collectives. Nous assistons à un climat de frustration et de contestation que Varsia démontre en ces termes :

    Au sein de l'armée régulière s'installe un climat de frustration ; des incidents de quelque portée se produisent parmi diverses unités qui, sans avoir un effet politique, inquiètent toute la société. Le mécontentement des militaires est estimé assez dangereux pour que le Parti Progressiste Tchadien, dont le secrétaire général est, rappelons-le, François Tombalbaye, adopte lors de son congrès tenu à Doyaba, en 19971, une résolution surprenante : faire entrer des militaires au bureau politique du parti afin qu'ils puissent tenir compte des doléances de l'armée (Varsia, 1994 : 19).

    Ceci est une erreur politique qui donnera plus de liberté aux militaires qui commenceront à vouloir diriger le Tchad. Cet état de chose est renforcé par « les grèves des élèves des lycées Félix-Eboué et technique Commerciale » (Varsia, 1994 : 19) qui brandirent, semble-t-il, des pancartes portant des slogans « L'armée au pouvoir !»

    Les populations du BET se sont vues troublées par les exactions des forces militaires françaises puis tchadiennes installées dans leur région. Ayant une idée clanique de la gestion du pouvoir public à leur défaveur et n'étant pas d'accord avec les impôts obligatoires, elles deviennent favorables à la mutinerie. En octobre 1965, au marché de Mangalmé, 300 paysans moubis12 attaquent les collecteurs d'impôts au couteau et à la sagaie tuant deux fonctionnaires et six gendarmes. La répression est féroce. Les populations dites « Goranes » se soulèvent. C'est dans ce contexte de crise sociopolitique qu'Ibrahim Abatcha, originaire de Mangalmé va fonder le FROLINAT. Plusieurs sources historiques montrent que la Libye a ouvert ses frontières aux rebelles du FROLINAT et leur a apporté une aide matérielle et logistique pour la déstabilisation du régime de François Tombalbaye. Celui-ci était en incidence diplomatique avec la Libye.

    Tombalbaye a toujours été accusé d'avoir choisi de gérer le pouvoir avec les ressortissants de sa région natale et de constituer une police spécialisée pour emprisonner ceux qu'il qualifie d'opposants politiques. Parmi les victimes, un bon nombre est composé des

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    12 Groupe ethnique de la localité

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    ressortissants des régions du Nord, musulmans. Bourdette-Donon affirme que les tendances hégémoniques du Président Tombalbaye sont visibles :

    Celles-ci se manifestent à travers sa volonté d'écarter systématiquement le Nord, musulman, de la gestion du pays, l'arrestation, en septembre 1963 de nombreuses personnalités musulmanes ainsi que par l'instauration d'un gouvernement autoritaire fondé sur le système du parti unique qui va miner le pays et conduire peu à peu aux guerres civiles (Bourdette-Donon, 2002 : 8-9).

    La méfiance exclut dans ce cas la critique, le point de vue opposé. Les ministres et hauts fonctionnaires, désireux de conserver leurs sièges sont condamnés à une soumission totale. Ceux tenant à l'honneur et à la dignité vont démissionner. Masra Succès et Béral M. Le grand estiment que l'impasse sociopolitique et culturelle du Tchad trouve sa source dans cette ivresse patriotique de ceux qui ont dirigé le pays à l'aube des indépendances. Ces « premiers cadres » du pays ont péché d'avoir pris leurs premières réussites culturelles pour de la maturité intellectuelle et politique. On peut bien être patriote et amoureux de sa terre mère, mais il faut une clairvoyance et une certaine lucidité dans la gestion du pouvoir pour ne pas se voir emprisonné dans une gouvernance charismatique et intransigeante :

    Cette intelligentsia embryonnaire composée d'Instituteurs, d'Infirmiers vétérinaires, de Moniteurs agricoles, d'Interprètes et autres Soldats ou Gardiens de la Paix et qui constituent la crème intellectuelle du pays, a dû obéir mécaniquement au mouvement protestataire d'ensemble qui traversent l'Afrique noire au nom du « Soleil des Indépendances ». Les premiers [...] ont fait naître dans leurs esprits, l'agitante illusion de la compétence politique... (Masra et Béral, 2008 : 12).

    Le président Tombalbaye, instituteur comptait parmi ces intellectuels.

    1.3 Les dérives et critiques

    Dès les premiers jours de l'indépendance, les rivalités claniques et politiques sont visibles. Le pays ne dispose cependant pas suffisamment des cadres intellectuels politiques et administratifs pour analyser les causes de ces divisions et leur trouver de solutions durables. Or, dans ce cas, il suffit d'un débat sincère qui minimise les intérêts individuels au profit de la cohésion nationale. Plusieurs documents historiques et critiques que nous citerons dans cette

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    partie attestent que juste après le départ officiel du colonisateur, des mouvements politiques se sont constitués. Leur création en soi n'est pas un mal, mais la base de ces regroupements a toujours été clanique. Même si le discours officiel prône l'unité nationale, la vision nationale des problèmes ne peut être juste et équitable que dans la diversité ethnique autour d'un projet étatique commun. Dès lors, Tombalbaye, pour avoir choisi un ancien parti : le PPT, créé en 1947, (regroupement politique d'obédience nationale) a été le borgne de la classe politique tchadienne, à la veille des indépendances. Selon Varsia, « l'expression "au pays des aveugles, les borgnes sont rois "se trouve amplement vérifiée dans la pratique politique pré et postindépendance du Tchad» (Varsia, 1994 : 17)

    Il est regrettable que Tombalbaye se soit entouré des ressortissants de sa région natale pour la gestion de l'Etat. Il a constitué injustement une police spéciale pour l'arrestation des personnes indésirables, les « opposants politiques ». Les arrestations sont arbitraires et visent beaucoup plus les cadres du Nord, du Centre, de l'Est et du grand Mayo-Kebbi. Cet état de chose ne peut pas laisser indifférents les intellectuels. Ceux-ci vont produire des essais, des autobiographies, des tracts et des discours contraires malgré la dictature. Pour mettre définitivement fin à ces contestations intarissables, Tombalbaye procède par une série d'actions visant à pérenniser sa politique. Nous nous proposons d'analyser celles qui, sur le plan historique ou politique, ont une influence certaine sur les conditions de production de la littérature tchadienne. Ces erreurs nous les appelons ici dérives. Ne pouvant faire l'économie des « ratés » d'une gestion publique dans ce travail, nous choisirons ceux qui ont fait l'objet de critique de la part des écrivains tchadiens : le parti unique, le yondo, les travaux forcés, l'anticlérical et le changement de noms.

    Tombalbaye dissout le PPT et crée le MNRCS dans le but de susciter un sursaut national d'union. Le changement de nom fait partie de cette « révolution culturelle » que prône le nouveau parti. Pierre Toura Gaba précise les circonstances de la dissolution du PPT, branche du RDA : « Il a été dissous par Tombalbaye le 07 juillet 1973 au cours d'une mobilisation des masses populaires» (Toura, 1998 : 14). Il estime que : « le PPT dont Tombalbaye s'était vanté pendant 14 ans d'être le seul chef spirituel, ne pouvait être dissous statutairement que par une décision majoritaire d'un congrès après consultation du Bureau Politique Nationale» (Toura, 1998 :14). Ce nouvel esprit de gouvernance supprime le multipartisme. Masra et Béral ont trouvé que :

    Monsieur F. Tombalbaye n'a pas attendu plus de trois années après son sacre

    pour faire un pied de nez au régime politique hérité de la colonisation. Sans

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    explication autre que celle évidente et manifeste de son allergie à la contradiction, Monsieur F. Tombalbaye supprima sans autre forme de procès le multipartisme... (Masra et Béral, 2008 : 16).

    Ils reconnaissent que cette décision de dissoudre l'ancien parti et le multipartisme est

    une erreur, un manque de discernement, une faute. On ne doit pas diriger une nation comme une classe d'un troupeau de grimauds. L'État selon eux est un « boulevard d'une infinité de diversités, voire de contradictions que des hommes se doivent de parvenir nécessairement à concilier dans un élan à la fois de relativisme et de fermeté ; relativisme et donc douceur du coeur, mais aussi fermeté d'esprit ». (Masra et Béral, 2008 14). Face à ce remue-ménage, les Tchadiens demeurent sceptiques et voient en ce nouveau parti « un lion habillé en peau de mouton ». Malheureusement, le scepticisme du peuple ne va pas empêcher le MNRCS de faire son chemin. Le chaos s'installe, comme le constate Varsia Kovana :

    Tombalbaye ne se contente pas d'avoir transformé le Parti Progressiste Tchadien (PPT) en MNRCS, mouvement au service de sa propagande et la police en appareil de répression (CST) il modifie également le rôle de l'Assemblée nationale pour l'ajuster à son projet personnel (Varsia, 1994 : 21).

    Tombalbaye dans son grand programme « culturel » veut reconvertir le peuple au

    yondo, rite d'initiation des Sara au Tchad. Mais il semble peu soucieux de la signification philosophique de ce rite initiatique. Ce qui l'intéresse c'est le retour aux sources : « il organise donc le départ obligatoire et massif des fonctionnaires dans les villages pour y être convertis [...] au yondo » (Varsia, 1994 : 22). Contrairement aux principes de cette ancienne institution sara qui privilégie la formation de l'enfant via les règles sacrées qui lui y sont communiquées, les brimades morale et physique prévalent chez le président. Masra et Béral définissant le yondo comme « un rituel initiatique masculin propre à quelques tribus du Sud du pays et dont l'objectif serait d'enseigner le courage, l'endurance, la dignité et le sens du secret » (Masra et Béral, 2008 : 20), ne le trouvent pas comme une valeur à même de faire partager à tout un peuple la même culture du secret : « Cette fabuleuse pratique initiatique, vaudrait peut être bien son pesant d'or, en son terroir originel ; [...] combien en connaissons nous, de ces hommes, passés par le rituel, trembler comme des feuilles par un temps venteux devant des simulations bénignes ? » (Masra et Béral, 2008 : 23).

    Il faut reconnaître que le caractère sexiste et discriminatoire du « yondo » ne le rend pas unificateur en ce sens qu'il exclut les femmes et les étrangers des centres de décisions pour la

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    gestion de l'État. Et, « le départ massif des fonctionnaires au « yondo » paralyse la fonction publique et met en veilleuse une série d'activités économiques » (Varsia, 1994 : 23).

    Tombalbaye institue les travaux forcés. Tous les fonctionnaires devaient se rendre au champ présidentiel de Kalkoa. Pour une autosuffisance alimentaire, il met en valeur les terres cultivables contraignant hommes, femmes, enfants et vieillards à travailler dans un champ commun. Cet enrôlement des ministres, parlementaires et fonctionnaires « engendre » davantage de désordre que de productivité. Dans ce jeu, même les chauffeurs de taxis sont affectés négativement par le transport obligatoire et gratuit des cultivateurs au site de travail.

    Tombalbaye a fait enterrer vivants des chrétiens. Plusieurs ouvrages à l'instar de celui de Masra et Béral attestent que « nombre de pasteurs protestants ont d'ailleurs chèrement payé leur farouche défense de la Bible... » (Masra et Béral, 2008 : 26). Ces pasteurs sont classés parmi les intellectuels et hommes politiques qui ont eu l'outrecuidance de contester et de dire non aux bavures du régime de Tombalbaye. Cela nous dévoile l'image tyrannique du dirigeant et infirme la vision de ceux qui estimaient à l'époque que le président voulait phagocyter le Nord, musulman et imposer une domination sudiste, chrétienne.

    En vue d'effacer les traces de la colonisation récente, Tombalbaye a préféré « rebaptiser » les noms tchadiens. Il ordonne à tous les Tchadiens et Tchadiennes d'abandonner les prénoms français. Pourtant la partie nord est majoritairement musulmane et ne véhicule que des prénoms arabes. L'abandon des patronymes français ne résout apparemment aucun problème. Masra et Béral s'interrogent sur le rapport qui peut exister entre nom et révolution sociale et culturelle et concluent qu'« Il serait absolument débile et superstitieux de soupçonner quelques rapports de causalité que ce soit entre conduite sociale et patronyme» (Masra et Béral, 2008 : 21). Ils renchérissent que le baptême par exemple d'un enfant pygmée au nom de Galilée ou de Copernic ne peut pas le pousser à une révolution éponyme.

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    2. Les coups d'État ou l'instabilité politique

    Après le coup d'État militaire du 13 Avril 1975, le Tchad sera dirigé par un conseil militaire avec à sa tête le général Félix Malloum : c'est la deuxième république. Mais avant ce conseil, les officiers de l'armée tchadienne ont d'abord mis sur pied un organe de pouvoir provisoire, le GROFAT. Ce renversement de régime a donné lieu à beaucoup d'exactions et autres abus. V. Kovana estime que les soldats vainqueurs ont pillé des édifices publics pour emporter les mobiliers et les étagères. Il ne perd pas de vue le règlement de compte et la rétrogradation des officiers des groupements des CTS au rang de simples soldats. C'est le début de l'instabilité, des coups d'État au Tchad.

    L'espoir et le changement à ce niveau deviennent sombres et hypothétiques pour la population Tchadienne. Les militaires au pouvoir sont discrets et méfiants. Les médias sont contrôlés. Le torchon va brûler : « les rapports entre le militaires et fonctionnaires s'enveniment car les militaires faisant fi des lois et règlements constitutionnelles se heurtent au légalisme des fonctionnaires» (Varsia, 1994 : 32).

    2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième république » (Malloum Félix Ngakoutou)

    Le GROFAT, lors d'un conseil accorde le fauteuil présidentiel à Malloum. Le conseil en choisissant Malloum a estimé qu'il est compétent et honnête et c'est cela qui le fait passer pour rebelle aux yeux de Tombalbaye. Il est, pour eux, la personne la mieux indiquée pour ce pays qui a de nombreux projets. Dans le tâtonnement, les militaires au pouvoir n'ont pas vite su qu'entre la politique et la carrière militaire l'écart est grand. La population est restée frustrée mais docile par peur de la répression. Béral Le grand estime que la raison de ce silence est le manque de lucidité de celle-ci quant à la citoyenneté et au patriotisme. La conséquence certaine est le départ en rébellion. Malloum tend la main aux groupes ennemis avec pour devise : la recherche de l'unité du Tchad dans le respect de sa diversité. Ainsi il entre en négociation avec les responsables du FROLINAT à travers les pays voisins. C'est ainsi qu'est signée le 17 septembre 1977 à El-Geneina, en Libye une charte dite « fondamentale » entre les FAN et CSM. Un GUNT voit le jour et favorise le retour de H. Habré à la primature. Habré dans un discours prononcé après un voyage officiel du président en Chine avoue que son union avec le président est de courte durée13.

    13 Varsia Kovana, Précis des guerres et conflits au Tchad, Paris, L'Harmattan, 1994, p.36.

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    Un incident qui va être référentiel dans l'histoire de la nation tchadienne survient le 12 février 1979. Il s'agit d'une bagarre entre lycéens et professeurs au lycée Félix Eboué. En ce moment, les FAN qui n'ont pas été intégrées dans les forces nationales, situées juste à Sabangali, en face dudit lycée, interviennent pour gérer le conflit. Une autre force, celle qui n'a pas été de moindre inutilité lors du coup d'État du 13 Avril 1975 intervient et la bagarre civile se transforme en combat armée qui dure toute la journée. Les FAP de Goukouni Weddeye et les autres groupes armés du FROLINAT font front aux côtés des FAN de Habré contre l'armée gouvernementale de Malloum. Les populations civiles quittent la capitale. Le règlement de compte entre les clivages s'installe. Habré a constitué une machine pour la prise du pouvoir. Ce temps est trop court pour que les officiers du CSM ne puissent s'en rendre compte. La guerre civile va être à l'actif du projet de Habré. Malloum ne pouvant supporter la crise, a choisi faire le saint en s'envolant vers le Nigeria voisin, laissant le Tchad à la guerre.

    Au moment où Malloum et Habré participent à des séries de médiations et de réconciliations au Nigeria, Lol Mahamat Choua est nommé président provisoire. Il dirige le pays jusqu'à « L'accord de Lagos » signé par les chefs des onze tendances politico-militaires du Tchad, le 18 Août 1979.

    Les deux premiers règnes ont été considérés par la majorité des leaders nordistes comme une sorte d'impérialisme qu'il fallait à tout prix détruire. Ceux-ci reconnaissent en outre que le originaires du Sud disposaient à cette époque d'un important capital intellectuel. Le Nord est orienté beaucoup plus vers l'école coranique en arabe, or l'administration a été dirigée en français. Si quelques Sudistes (appellation péjorative désignant les originaires du Sud) ont vu en leurs frères Nordistes des barbares, le comportement des deux premiers présidents et leurs actions en faveur de l'Unité nationale démontrent cependant une forte altérité.

    Quand H. Habré est arrivé avec une idée de vengeance et de restauration d'un pouvoir Nordiste, Wadal Abdelkader, un Sudiste, complice de Malloum forme en 1979, une sorte de forces armées pour sécuriser sa région d'origine. Car la guerre détruit les infrastructures du pays : « école, dispensaire, et magasins passèrent sous la main pédiatre d'un peuple qui écrasait, tuait, massacrait et brisait aveuglement, un peuple qui venait ainsi de se mettre au pâturage d'une détresse profonde » (Masra et Béral, 2008 : 44.)

    2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième république (Goukouni Weddeye)

    Les négociations de Lagos, le 18 août 1979, prévoient la formation d'un GUNT. Ce gouvernement composé de tous les groupes signataires, après dix-huit mois doit laisser la place à un autre, représentatif des communautés nationales. Le 11 novembre 1979, le GUNT est mis en place et présidé par Goukouni Weddeye, le chef des FAP. Habré est en ce temps Ministre de la défense du GUNT. Le pouvoir est enfin entre les mains des Nordistes. Ce qui est prévisible, c'est une éventuelle agitation politique, vu que le chef rebelle Habré, au ministère de la défense est à un pas de son rêve, celui de diriger le pays.

    En ce temps, le Colonel Khadafi, malgré sa signature pour la non-ingérence dans le conflit Tchadien lors de l'accord de Lagos, arme des forces rebelles contre Habré qu'il trouve persona non grata. Ayant constaté ces troubles, Joël Rim-Assbé Oulatar estime que :

    Le Gouvernement d'Union nationale de Transition fut la juxtaposition des incapacités individuelles au niveau de chacune des tendances. Chacune d'entre elles a reçu sur son territoire la sanction de son échec. Il restait à l'étaler sur la scène nationale et internationale par le biais de ce gouvernement. (Rim-Assbé Oulatar, 2002 :42)

    R. Oulatar est parvenu à ce résultat au vu de ce qui a suivi la mise sur pied du GUNT. Chacune de ces tendances n'avait pour ambition que de gérer le Tchad à seule. L'accord de Lagos I était un bluff. Il sera blackboulé par les chefs des groupes armés et N'Djaména divisé en « Zones ». La guerre s'installe à la capitale pendant près de quatre ans entre les différentes forces armées. Le 20 mars 1980, les forces pro-libyennes s'unissent. La Libye leur envoie de renfort. Les affrontements dureront et obligeront les populations civiles à quitter une fois de plus la capitale tchadienne. Le 12 décembre 1980, les FAN décident de quitter N'Djaména. Deux jours après, Aramkolé héberge les FAN. Le GUNT proclame une loi martiale poussant les jeunes à un départ massif vers les bases du FAN.14

    C'est ainsi que Varsia Kovana traite le GUNT de « gouvernement d'un état fantôme, dont la mission se ramène à entretenir les armées du Frolinat et à combattre Hissein Habré » (Varsia, 1994 : 46). Le mois de juin 1982 reste inoubliable dans la vie de l'ex-président Weddeye. Après moult troubles, Habré « arrache » son pouvoir. Ce moment est le plus

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    14Un Tchadien à l'aventure, Paris, l'Harmattan, 1992 de Mahamat Hassan Abakar en fait mention.

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    mouvementé de l'histoire du Tchad. Ces militaires qui « défilent » au pouvoir n'ont pas nécessairement des programmes politiques dignes de ce nom, mais sont guidés par la volonté de gouverner. Pour sûr, le clientélisme, le népotisme, le clanisme et le régionalisme ne sont pas absents dans les valises politiques de ceux-ci.

    C'est de cette histoire mouvementée du Tchad que prennent source les travaux de plusieurs auteurs tchadiens. Prise de pouvoir, rébellion, guerre, fuite de la population civile, etc. sont des thèmes qui vont proliférer dans les oeuvres littéraires tchadiennes.

    2.3 De 1982 à 1990 : la troisième république (H. Habré)

    Les FAN de Habré, après leur retrait à Aramkolé, ont lutté contre les forces libyennes et celles du GUNT à Abéché. Le GUNT signe un acte de fusion, le 06 Janvier 1980, avec la Libye. Les jeunes tchadiens découragés se tournent vers la rébellion salvatrice de Habré. Celui-ci déploie ses forces pour prendre le pouvoir.

    Habré a résisté aux forces libyennes, à l'occupation, l'annexion, puis la dissolution du Tchad au profit de la Libye. Habré est un intellectuel, un politique et un militaire de renom. Il semble disposer d'atouts pour réussir la mission de réconciliation nationale. Cependant, la population est restée sceptique, malgré ce qu'il appelle « Libération du Tchad » d'entre les mains des Libyens. En 1972 et 1980, elle a vu les dégâts, les charniers, la chasse aux chrétiens, les combats dans la capitale.

    Pour connaître les ambitions réelles de H. Habré, il suffit de réfléchir sur la dénomination de son mouvement : FAN qui paraît vindicative et régionaliste. Masra et Béral affirment à propos que : « la simple dénomination des forces armées du nord affirme clairement que la région septentrionale du Tchad était une région opprimée, une région à libérer de la supposé, hégémonie sudiste» (Masra et Béral, 2008 : 49). Ils avouent qu'il n'est pas question de libérer un Nord opprimé. Si c'est le cas, Habré aurait proposé une scission lors de son entrée triomphale. Il aurait profité de la guerre civile de 1979 pour se déclarer chef du Nord. Pour eux, son seul projet était d'anéantir le pouvoir sudiste afin d'ériger une domination nordiste.

    La population sera déçue plus tard par les réponses arbitraires aux problèmes ethniques. Habré prend conscience de son impossibilité de rallier les populations du Tchad dans leur diversité ethnique, religieuse et politique, à son mouvement, le FAN sur lequel pèse

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    l'histoire négative de la rébellion. C'est ainsi qu'il propose l'UNIR. C'est dans ce cadre que prônant l'unité nationale, Habré, place " la personne qu'il faut à la place qu'il faut" créant des frustrations dans le champ des illettrés et incompétents qui dirigeaient le pays parce qu'anciens membres du FAN.

    Le nouveau parti va avoir son temps de dérive quand il devient résolument parti unique et dictatorial avec des groupes d'hommes qui prêchent son idéologie. Le parti unique a une police politique : la DDS. Mahamat Hassan Abakar (nommé président de « la commission d'enquête sur les crimes et détournement commis par l'ex-Président Hissène Habré, ses coauteurs et complices » en date du 29 novembre 1990) publie trois ans pus tard, chez L'Harmattan, un ouvrage éponyme. Ce texte démontre qu'il y a eu des bavures, des exactions et des exécutions sous le règne de H. Habré. Il démontre comment l'ethnie du président a bénéficié des privilèges. Les membres de celle-ci ont occupé des édifices publics ou privés de force. Ils avaient la facilité de s'installer partout sur l'étendue du territoire sans titre. M. H. Abakar atteste qu'ils avaient eu des privilèges juridiques : gagner des procès et exiger des sommes exorbitantes par exemple.

    Le régime de Habré a été répressif. La DDS entretient une section de tortionnaires qui disposent des techniques de torture comme les châtiments électriques.

    Tous les Zaghawa « sans distinctions sont soupçonnés, emprisonnés et beaucoup d'entre eux exécutés» (Taboye, 2003 : 163). C'est dans ce cadre que Zakaria Fadoul a été arrêté en 1989. Il eut une source d'inspiration pour dénoncer la dictature « habreiste» dans Les Moments difficiles. Z F Khidir est arrêté à cause des soupçons sur son entourage professionnel. Dans ces prisons, les cadavres sont laissés jusqu'à putréfaction. En prison, pendant la torture et l'interrogatoire, il étudie la personnalité des tortionnaires. Une analyse psychanalytique de l'oeuvre nous fait penser aux personnages bibliques d'Abel et de Joseph. Il est question d'un complexe de Caïn, dans la mesure où les Goranes et les Zaghawa sont des frères proches.

    Plusieurs écrivains ont montré que Habré a quelquefois foulé aux pieds des règles de droits humains. L'application de la justice sous ce régime dépasse l'entendement. On accuse et arrête quelqu'un simplement parce qu'on ne l'apprécie pas. Masra et Béral mettent l'accent sur les tueries. Ils reconnaissent que des garçonnets de tous âges se sont vus, au mépris de leur innocence, fusiller comme des lapins sans état d'âme aucun. Pour ceux, cette tuerie est

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    orientée. Des femmes sudistes furent violées sans autre forme de procès, sans doute pour la raison que leur anatomie est attrayante ; mais aussi pour souiller la dignité de leurs maris et occuper leurs maisons. Des Goranes, au nom d'Habré, organisent des arrestations massives pour s'emparer des biens des personnes arrêtées.

    Varsia Kovana fait une comparaison entre Habré et Tombalbaye et trouve que, malgré leurs formations intellectuelles et morales différentes, les deux présidents ont géré des dictatures qui se ressemblent par le renouvellement de leurs partis, par la création des polices politiques et par les faveurs accordées à leurs ethnies. Tout ceci justifie la prise de position radicale de certains auteurs qui prônent, au bas de l'échelle sociologique, une égalité devant le service public et à une jouissance équitable des biens communs. Seule la gestion démocratique de l'État peut répondre à des telles aspirations.

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    3. L'ère de la démocratisation : La quatrième République

    Sous la menace d'Idriss Déby, chef militaire ressortissant du Nord, H. Habré est aux abois. Le 1erdécembre 1990, il quitte le pouvoir alors que les troupes débyiennes sont fortement installées à 700 Km au Nord de la capitale, N'Djaména. Des groupes ethniques et militaires ont profité de la crise sociale du moment pour gonfler les rangs des mécontents de son régime. En ce dernier décembre du règne de Habré, plusieurs observations ont attesté que beaucoup de militaires ont refusé de combattre. Leur solde n'a pas été versée pendant longtemps.

    3.1 Déby et la prise du pouvoir en 1990

    La fin du régime d'Hissène Habré fut le produit de plusieurs facteurs. D'abord, les relations du président tchadien avec la France se détériorèrent en 1990. Il faut se souvenir de l'attitude de Habré lors du sommet franco-africain, tenu à La Baule. Il s'opposait alors durement au Président Mitterrand sur la question de la démocratisation, avec une agressivité et une aigreur peu commune : H. Habré a refusé le néocolonialisme qui se cache derrière l'imposition de la démocratie. Enfin, il refuse les recommandations de la Conférence des Chefs d'État de France et d'Afrique, tenue en juin 1990. En bon dictateur il n'a pu accepter ce que le président Français Mitterrand prêche comme nouvelle philosophie. Mitterrand prônait la démocratie avec un schéma tout prêt : système représentatif, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure, etc.

    Cette attitude intransigeante réveilla des très mauvais souvenirs sur les actes criminels du président tchadien avant et après son accession au pouvoir et sur les multiples humiliations qu'il avait fait subir aux troupes françaises du dispositif Épervier, pourtant ses alliées. Idriss Déby, chef rebelle et ancien collaborateur de H. Habré, ayant déjà des partisans au sein de l'armée nationale (il avait fait l'École de guerre à Paris en 1985-1986) et des services de renseignements, part favoris. Il lance la marche sur N'Djaména et occupe le fauteuil présidentiel le 1er décembre avec la « bénédiction » de la France.

    3.2 La critique des moeurs politiques débyiennes

    Déby, bien qu'ayant participé au gouvernement de Habré, s'est fait sauveur. Il proclame la liberté d'expression et d'association, dissout la police politique et autorise le multipartisme. Varsia fait allusion aux services de renseignements qui ressemblent fort bien à la DDS de H. Habré, à la répression dans le sang, de la guerre, à la répartition ethnico-

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    religieuse des places à la fonction publique et à la gestion dictatoriale du multipartisme. La relation Tchad-Libye a inquiété plus d'un. À peine arrivé au pouvoir, Déby libère neuf cents prisonniers libyens et reçoit la visite de plusieurs missionnaires et investisseurs libyens.

    Deux ans après la prise du pouvoir, les institutions politiques ne sont pas remises en place et aucun forum n'a été prévu pour un débat franc et sincère entre les fils du pays. La liberté de presse et d'expression n'est pas effectuée et matérialisée. Alors qu'à l'occasion de son premier discours, Déby disait : « je ne vous apporte ni or, ni argent, mais la liberté ! » (Masra et Béral, 2008 : 77-78). Cette liberté devient problématique selon les défenseurs de droits de l'homme qui estiment qu'une année après ce discours la grève des étudiants a été sévèrement interdite et sanctionnée.

    Plusieurs écrivains à l'instar de Masra et Béral dénoncent la fusion Zaghawa-Goranes au service d'une satisfaction matérialiste égoïste : « ce fut comme si sur le pays, s'était soudainement abattue une tribu de matérialistes obsédés, particulièrement passionnés de motos ! » (Masra et Béral, 2008 : 79). À la tombée de la nuit, des hommes en tenues abattent les motards pour un engin. Amusant, Béral pense qu'au lieu de donner la liberté, les tenants du régime sont venus, sans or, ni argent, prendre le peu d'argent dont disposerait le peuple. Ce point de vue est discutable.

    Sur le plan politique, les chefs des partis à l'opposition réfléchissent beaucoup plus aux postes ministériels à la solde débyienne. Ainsi, ils ne peuvent pas opposer une lutte démocratique sérieuse pour la prise du pouvoir. En 1993, les dirigeants de l'UST sont suspendus. Ces membres ont perdu leurs emplois pour avoir organisé une grève des agents de la fonction publique.

    Parlant de la liberté de la presse, l'organe régulation des médias, le HCC, dirigé par des proches du parti au pouvoir distribue des sanctions à la presse privée pour la garder hors de la danse royale organisée par la presse publique. Les journalistes qui ont cru en la liberté d'expression l'ont payé de leur vie. Maxime Kladoumbaye, journaliste à l'Agence Tchadienne de presse est assassiné en janvier 1992. A. Madjigoto, journaliste à la Radio nationale est abattu à tout portant le 04 octobre 1992. La liste des assassinats est longue.

    Sur le plan économique, aucune politique rentable n'a été définie en 1990. La douane et la Cotontchad, les deux mamelles de l'économie tchadienne ne profitent pas exclusivement à l'État, mais à des individus. L'État compte beaucoup plus sur la Libye, le Soudan et la

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    France pour devenir politiquement et économiquement stable. La CNS tenue du 15 janvier au 12 avril 1993 essaye de revoir le problème tchadien de la division Nord-Sud. Les jeunes tchadiens vont vivre, dans leur majorité, le chômage. Les partis politiques ne pensent qu'à la démission du « nouveau général des corps d'armées, chef suprême des armées, président du conseil des ministres chef de l'Etat, son excellence Idriss Déby» (Masra et Béral, 2008 : 89) qui, lui, a reçu sa mission par les armes. Le ralliement des partis autour de la table présidentielle commencent après 1996 en masse. Seul le parti FAR de Yorongar a pu tenir à l'opposition radicale avec des discours impressionnants.

    Avec l'avènement du PAS, l'éducation nationale a été une priorité de l'État. Malheureusement l'école tchadienne a formé, en plus des citoyens consciencieux, nationalistes et dévoués, des nullards, irresponsables et malhonnêtes qui n'ont pas le sens du bien public. La corruption, des élèves à l'administration en passant par les enseignants, met à mal le système éducatif Tchadien. Quelques nouveaux parvenus, malgré leur grille salariale moyenne construisent des villas, achètent des voitures de luxe et font des dépenses sans égal lors des cérémonies. Le détournement devient leur règle de jeu.

    3.3 Le chemin vers la liberté d'écriture

    Parler de la littérature tchadienne en terme de liberté, c'est faire référence à la censure qui a sévi sur les oeuvres littéraires en temps de dictature, étudier les effets des grandes et longues guerres fratricides qui ont poussé les intellectuels à l'exil et qui n'ont pas été favorables à la mise en place des instances de production, de diffusion et de consommation de la littérature. Asguet Mah affirme cependant que la liberté était l'objet de recherche des écrivains tchadiens : « Dans un pays où l'individu est traqué, affamé, il est de tout temps en exil, la liberté constitue un outil de démarcation et d'épanouissement» (Asguet, 2007 : 2). Cette quête de liberté et de justice est une piste de recherche dans les textes de fiction d'auteurs tchadiens qui ont produit en dehors du Tchad.

    En effet, en ce temps de trouble et d'insécurité, personne ne pouvait penser à l'oeuvre de l'esprit. Seuls ceux qui ont pu sortir hors des frontières nationales ont produit des oeuvres de fiction. Au niveau du pays, beaucoup de personnes ont dû, de temps en temps, quitter la ville pour trouver refuge au village auprès des leurs parents.

    La démocratie et la liberté « véhiculées » par le président Idriss Déby ont été favorables à la mise sur pied d'une institution de la littérature dynamique. C'est d'ailleurs

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    pour cette raison que nous avons préféré faire une analyse sociologique de la littérature tchadienne, de ses instituions pour voir ce qui existe et ce qui manque pour une littérature nationale digne de ce nom.

    L'activité d'édition n'a été entreprise au Tchad que sous Déby. Que ce soit les actions des missionnaires xavériens de Pala, du CEL et du CRP de Sarh, en province ou de l'ADELIT, du CCF, du RLPT, du SBL à N'Djaména, leur début ne remonte pas avant l'ère débyienne. Du coté des écrivains, les plumes sont « déliées ». La seule maison d'édition, Sao a édité, en dix ans, une vingtaine d'oeuvres littéraires dans sa collection « littérature tchadienne ». Ceci est la moitié de ce que les Tchadiens ont produit pendant quarante ans, en Europe, en Afrique et au niveau du pays. Ce progrès n'est pas seulement à mettre à l'actif de cette maison, mais aussi au compte des centaines de jeunes qui ont pris connaissance de la nécessité d'écrire et jouissent actuellement de la totale liberté d'expression pour produire des oeuvres. Cette réalité est valable pour ceux qui se sont tournés vers le centre Al-Mouna, le CEFOD ou à l'extérieur pour écrire des textes comme République à vendre, sans être gêné.

    Il faut néanmoins reconnaître que la littérature tchadienne dans ce domaine de la production est sous-développée. Il y a des difficultés au niveau linguistique, poussant les créateurs au doute de franchir les portes des maisons d'édition qualifiées. Ces maisons ont aussi de problème d'expérience et de diffusion au niveau du marché intérieur. Nous réitérons les propos de Chevrier pour dire que :

    Si la multiplication au cours de ces dernières années de maisons d'édition

    africaines a permis à certains auteurs d'être publiés sur place, les conditions du marché sont telles que le livre demeure encore pour la plupart des Africains un objet de luxe inabordable en raison de son prix élevé. Cette situation s'explique par plusieurs raisons : le manque d'expérience des éditeurs, la médiocrité du circuit de diffusion et surtout l'absence criante d'une réelle politique de la lecture publique, seule susceptible de familiariser l'opinion avec la chose littéraire. (Chevrier, 1981 : 9).

    L'économie est une des causes de la sous-production. L'acquisition du moyen financier est incontournable pour l'éveil d'une volonté d'écriture. C'est elle qui conditionne la large distribution du produit. Malgré le nombre restreint de tirage par titre (200 à 500 copies), au début des années 2000 chez Sao, à N'Djaména, le stock reste inépuisable. On est encore loin d'une idée de réédition au niveau local. Le prix et le nombre de pages donnent matière à

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    réflexion chez ceux qui n'ont pas l'habitude de lire. Sao est cependant disposé à éditer en arabe et en ngambaye.

    Ce chapitre nous a permis d'identifier les différentes étapes de l'histoire politique du Tchad. Les colonisateurs ont trouvé des rois et des conquérants redoutables lors de leur pénétration au Tchad. Ceux-ci les ont combattus pour « stabiliser » le pays. Après les indépendances, il y a eu une période de stabilité au début du règne de Tombalbaye, puis ont survenu des rebellions à répétition.

    Les dissensions politiques et les luttes armées qui ont ensanglanté le pays ont poussé les créateurs à partir pour l'Europe, le Canada et l'Afrique de l'Ouest. Volontaires ou contraints, ces jeunes ont erré sur le chemin de l'exil. Témoins des situations sociopolitiques, les écrivains se nourrissent de ces souffrances et puisent leur force dans cette exclusion.

    Depuis 1990, la démocratie porte des fruits admirables. Malgré quelques mécontentements et des coups d'État manqués, le Tchad tend vers une stabilité politique. Les romanciers, poètes, nouvellistes, autobiographes, essayistes et critiques ont commenté ces époques, ont utilisé leurs ancrages spatiaux et temporels pour produire leurs textes et critiquer ou moraliser les Tchadiens. Une étude intertextuelle peut révéler des ressemblances et des parodies certaines (au vue de notre lecture).

    Le résultat obtenu dans ce chapitre est que le pouvoir politique a été un facteur de violence. Il a freiné l'épanouissement de la littérature par les coups d'État, les guerres civiles et militaires. Ces conflits, non seulement ne permettaient pas aux tchadiens de s'aimer et de s'unir pour le développement socio-économique, mais ils ont rendu inutiles les efforts de ceux qui voulaient s'installer à leur compte dans le domaine littéraire. Car en temps de troubles, l'insécurité, la répression et les moyens financiers ne permettent pas aux écrivains de nourrir, sécuriser les proches parents et progénitures, et d'écrire des livres. Donc, le contexte politique n'a pas été favorable à l'écriture et il n'existait pas des instances de production reconnues avant l'avènement de la démocratie en 1990. Ceci nous conduit à l'étude du contexte socio-économique et culturel de la production littéraire tchadienne écrite d'expression française.

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    Chapitre 2 : Le contexte socio-économique et culturel

    Situer l'oeuvre littéraire dans le milieu qui l'a produite est une ancienne préoccupation de la sociologie de la littérature. Les éléments sociaux, économiques et culturels sont des pistes de recherche dans ce domaine. Dubois (1978) analysait la littérature en tant qu'institution culturelle qui a des mécanismes et des effets mesurables. Les sphères de production, pour lui, subissent le poids des institutions politiques et économiques. Nous voulons démontrer l'influence de ce contexte sur la production, comme processus de fabrication des oeuvres littéraires. La guerre, l'analphabétisme, l'illettrisme et la corruption sont traités dans la première partie, la situation économique dans la deuxième et les réalités culturelles dans la dernière partie de ce chapitre. Cette étude est non négligeable pour justifier la lenteur dans la mise sur pied des instances de production et la volonté croissante de consigner les pensées sur des supports modernes de conservation et de vulgarisation des idées.

    1. Les crises sociales

    La guerre, l'analphabétisme, l'illettrisme et la corruption sont des faits qui dégradent la société et la rend infertile au marché du « donner et de recevoir » senghorièn. Ils sont des crises sociales et de ce fait affectent la littérature qui est aussi une pratique sociale.

    1.1 La guerre et ses conséquences

    La guerre est le recours à la force armée pour dénouer une situation problématique entre deux ou plusieurs groupes organisés. Au niveau étatique, elle est la violence d'un groupe d'individus qui entrent en rébellion contre le régime en place. Plus souvent, les considérations religieuses, idéologiques et ethniques sous-tendent la volonté de libération nationale entreprise par les mécontents. Ces genres de conflits fratricides mettent l'économie de l'État en faillite, déstabilisent la société, rendent le pouvoir fragile et alimentent le débat littéraire, tout en démolissant les instances de production littéraire locales.

    La guerre au Tchad est intimement liée à la prise du pouvoir. Il nous est important de faire le synopsis de toutes les guerres qui ont eu un tel objectif. Mais, il faut reconnaître que depuis 1965, il y a toujours une ligne de violences, de sang qui relie les quatre républiques successives. En 1993, un rapport d'Amnesty International-Tchad intitulé « Le Cauchemar continu », décrit ce phénomène en ces termes : « Depuis 1965, le Tchad ne parvient pas à rompre avec la violence, parce que la force armée y est considérée comme le seul moyen de résoudre les différends politiques et que jamais les responsables d'atrocités n'ont été traduits

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    en justice» (Varsia, 1994 :141). Le traitement de la guerre est ainsi lié à l'histoire politique. Trente ans d'indépendance, six présidents. En dehors de Tombalbaye et de Lol qui sont venus, l'un par les urnes et l'autre par le consensus, Herdeï Doboubou confirme le fait que les autres sont venus par la violence. Malloum Ngakoutou Béhindi, dirige le pays après le coup d'État du 13 avril 1975, mettant terme au règne de F. Tombalbaye qui a fait face, depuis 1960, à la rébellion du FROLINAT. Le 12 février 1979, une guerre civile « la plus meurtrière et la plus mémorable que les Tchadiens ont connu, éclate à N'djamena entre les éléments fidèles à Habré et les forces loyalistes du général Malloum » (Hérdeï, in Notre Temps n° 328, 2008 : 5). L'insécurité politique a poussé Malloum à démissionner après quatre années de règne. Les pourparlers de Kano I, pour finir la négociation entre une dizaine de groupes armés cède la magistrature suprême à Lol Mahamat Choua et 8 mois plus tard à Goukouni Weddeye (août 1979), un des chefs rebelles du Nord. Le 21 mars 1980, la guerre éclate, à nouveau, à N'Djaména entre les éléments de Habré et ceux de Goukouni. En 1982, sous la menace habrèenne, Goukouni quitte N'Djaména, après quatre ans de règne, en pirogue en direction du Cameroun, cédant place à Habré. Huit ans après l'arrivée de celui-ci au contrôle, Déby entre à la capitale le 1er décembre 1990. Habré se réfugie au Sénégal en passant par le Cameroun.

    Loin de faire une histoire politique, nous avons gardé l'ossature de la succession au pouvoir au Tchad pour démontrer qu'elle s'est toujours faite dans le sang. Chacun de ces dirigeants, entre son arrivée et sa sortie par les armes, a dû faire face à de nombreuses factions rebelles qui ont pour objectif la marche sur la capitale. Les écrivains ont saisi l'occasion pour écrire des oeuvres qui ont pour seul but, selon Oumar Nadji, d'« inviter le lecteur à haïr la guerre, ce monstre qui déstabilise notre terre et augmente le nombre des orphelins, des veufs, des veuves» (Oumar, 2009 : 7). Cette instabilité politique a trois causes plausibles intimement liées : l'influence de la colonisation française sur la culture arabo-islamique en place, la division Nord-Sud et la volonté égoïste des dirigeants. En effet, les conflits religieux et linguistiques représentés par l'opposition Christianisme-Islam et arabe-français ont une origine politique. Les populations du Sud, chrétiennes se tournent vers la culture occidentale et se forment en français, celles du Nord, musulmanes ont une culture islamique et se forment en arabe. En voulant imposer le français à l'arabe, le colonisateur a épuisé la vigilance des musulmans qui ont une base éducationnelle traditionnelle et coranique. Abazène, juriste tchadien arabisant pense que c'est la formation d'une élite francophone qui a fait de l'administration un adversaire de l'élite ancienne qui s'est rebellée. Il déclare à cet effet que « Depuis lors le débat sur l'officialisation de l'arabe n'a pas cessé d'alimenter les

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    divergences entre l'élite francophone à prédominance sudiste et chrétienne et l'élite arabophone à prédominance nordiste et musulmane» (Abazène, in Collectif, 2002 : 38). Cette division Nord-Sud est exploitée par les opposants aux régimes de Tombalbaye et de Malloum pour recruter leurs militants « marxistes-islamistes ». Le FROLINAT d'Idriss Abatcha, formé au Caire, les FAP de Goukouni Weddeye et Les FAN de Habré, ces forces auxquelles il faut adjoindre le MPS de Déby, se sont distinguées par la volonté de prendre le pouvoir par tous les moyens.

    Les conséquences de ces agissements sont toujours les moins attendues et les plus dévastatrices. L'économie du pays a souvent été détruite et dilapidée par et pour la guerre, des millions de Tchadiens ont quitté le pays et la guerre a favorisé un type d'écriture : l'écriture de la guerre ou écriture en temps de guerre. Cette problématique a fait l'objet d'études littéraires. Nous reconnaissons, d'une part, que les conflits armés ont détruit les bases de la jeune littérature nationale initiée par Joseph Brahim Seid, Palou Bebnoné et Baba Moustapha, etc. et ont poussé les jeunes « plumistes » et « écrivants » en exil et d'autre part que la guerre est un facteur émergent pour la littérature tchadienne. A cause de la guerre, de l'insécurité politique, il n'y a pas eu au Tchad, un demi-siècle après l'indépendance, une institution littéraire dynamique. Heureusement, les Tchadiens exilés, volontaires ou contraints, parce qu'ils n'admettaient pas la guerre et souffraient du manque de liberté, ont produit des textes inspirés de ces guerres à répétition. Nimrod, Mougnan, Nébardoum et Koulsy, les figures représentatives de la poésie tchadienne, ont connu la guerre civile et l'exil, « leurs Chants expriment, selon Bourdette-Donon, des tensions et des situations conflictuelles, se nourrissent de ces souffrances et puisent leur force dans cette exclusion» (Bourdette-Donon, 2000 : 16). Kotoko, Bangui, Kosnaye, Zakaria et Mahamat Abakar, les autobiographes ont décrit les effets de ces troubles sur leur personnalité et leur entourage. Ceux-ci ont séjourné à l'extérieur du pays, alors qu'ils produisaient leurs oeuvres. Les romanciers N'Djékéry, Moustapha, Nimrod, Koundja, Haggar, Ouaga, etc. ont réécrit les conséquences des guerres, comme l'ont fait les nouvellistes à l'instar de N'Djékéry (La Descente aux enfers). Les essayistes : Joël Rim-Assbé Oulatar (Tchad, le poison et l'antidote), Pierre Toura Gaba (Non à Tombalbaye), Masra et Béral (Tchad, Eloges des lumières obscures), etc., n'ont pas, de par les titres de leurs essais, tardé à nommer les auteurs et les causes de ces guerres.

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    1.2 L'analphabétisme et l'illettrisme

    La situation du système éducatif demeure critique, un siècle après l'implantation de la première école française, à Mao, au Nord du Tchad (1911) alors que « l'éducation est l'un des secteurs prioritaires auxquels le gouvernement accorde une grande importance » (Bandoumal, in Collectif, 2002 : 142). Cette situation joue à la fois contre le développement économique, contre l'accès du plus grand nombre de la population aux opportunités des revenus et contre sa participation effective à la gestion du développement comme l'estime Bérilingar Dathol Antoine (Bérilingar, in Collectif, 2002 : 142). À la base de cette crise, nous avons l'analphabétisme et l'illettrisme. Dans les pays développés, la scolarisation obligatoire s'est étendue à l'ensemble de la population depuis près d'un siècle. Au Tchad, la solarisation est encore un luxe, il y a des gens qui n'ont jamais été à l'école, d'autres y partent mais ressortent sitôt pour apprendre un métier, d'autres encore refusent l'école occidentale sous toutes ses formes, à cause d'une certaine confession religieuse qu'ils estiment incompatible avec l'école française qui véhiculerait les valeurs chrétiennes.

    Les premiers sont analphabètes. Sont considérés comme tels ceux qui ne savent ni lire ni écrire, ceux qui ne connaissent pas l'alphabet parce qu'ils ne l'ont jamais appris. Ceux-ci sont nombreux en zone rurale. C'est une des caractéristiques des pays pauvres. Des villages et les cantons sont encore sans écoles ou sont dotés d'écoles sans instituteurs.

    Les seconds, ceux qui abandonnent tôt l'école seront illettrés, incapables de lire une petite annonce publicitaire ou une quelconque directive avec l'âge. En 1984, en France, un rapport officiel adressé au premier ministre intitulé « Des illettrés en France » révèle qu' « un nombre important de(s) personnes francophones, ayant été scolarisés, ont des sérieuses difficultés avec la langue écrite au point d'être incapables de comprendre un simple exposé de faits en rapport avec la vie quotidienne» (Esperendieu, in Fourier, 2000 : 42). L'illettrisme apparaît sous diverses formes, mais on utilise ce terme pour designer « les personnes qui, malgré un passage par l'instruction scolaire, sont démunies face à l'écrit » (Fourier, 2000 : 42). L'illettrisme tout comme l'analphabétisme est un obstacle à la productivité littéraire et économique, un facteur obscurantiste dans l'exercice des droits civiques, dans la participation à la vie économique et culturelle, l'épanouissement de soi et la liberté individuelle.

    Les derniers enfin, ceux qui ont refusé à une certaine époque l'école française sous toutes ses formes à cause d'une certaine confession religieuse ; les populations du Nord, puisque qu'il s'agit d'elles, étaient malheureusement analphabètes en arabe. Selon les auteurs du Contentieux linguistique française-arabe (N'Djaména, Al-Mouna, 1997), 10% de la

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    population tchadienne seulement est scolarisée en arabe, la deuxième langue de partage du savoir après le français. L'État tchadien a revu le système éducatif pour lutter contre la baisse de niveau, l'analphabétisme et l'illettrisme. Cependant les programmes scolaires, le cursus, les méthodes d'enseignement et le personnel doivent être revus. Parlant du personnel, Molelmbaye déclare : « On peut avoir de l'argent, des bonnes méthodes d'enseignement et des moyens matériels mais s'il manque un personnel qualifié, on ne peut pas aboutir à un bon résultat» (Molelmbaye, in Tchad et culture, n° 250, 2006 : 3).

    L'alphabétisation est une réponse sur le plan culturel et humain à l'analphabétisme, après la scolarisation obligatoire et gratuite des enfants. Ce fléau émanent du sous-développement touche tous les secteurs de la vie d'un pays. L'alphabétisation fonctionnel, celle qui consiste à aider les adultes ouvriers à bien connaître leur métier, est un atout, surtout pour un pays comme le Tchad où 80% de la population est rurale. Traquer l'illettrisme, c'est lutter contre l'échec scolaire dont les causes ne sont pas souvent claires. Le Tchad a hérité d'un système éducatif non adapté à la réalité traditionnelle dans laquelle il vit. Selon les complaintes des acteurs du livre, un bon nombre d'élèves et étudiants, vu la pression d'ordre académique, lisent généralement pour valider des unités de valeurs et passer en classe supérieure. La recherche de la connaissance générale, d'une acquisition suffisante du savoir est minimisée. La demande au marché du livre est dans ce cas faible, c'est pourquoi l'offre est limitée. Si tout le monde est alphabétisé, scolarisé voire instruit et adonné à la recherche du savoir par le biais du livre, chacun aura sa petite bibliothèque et ni les écrivains, ni les éditeurs, à notre connaissance, ne se plaindraient d'un quelconque manque d'intérêt à la chose culturelle, littéraire. R. Escarpit dans « Littérature et développement » déclare qu'« il ne sert à rien de tirer une population de l'analphabétisme si on ne lui fournit un flot constant de matières à lire avec les moyens nécessaires pour l'utiliser et les motivations indispensables pour le vouloir» (Escarpit, 1970 : 248). Mettre des livres à la disposition de la population est une nécessité, qu'il s'agisse d'apprentissage de la lecture au niveau de la scolarisation primaire ou de campagne d'alphabétisation au niveau de l'éducation des adultes.

    1.3 La corruption

    La corruption est l'action d'agir contre son devoir, le résultat de cette action. Pour R. Toriaïra, sociologue tchadien, elle est « le fait de solliciter, de payer ou d'accepter des dessus de table, de pots de vin, dans le but d'obtenir des avantages et pour des fins privées» (Toriaïra, 2000 : 1). La corruption est toujours assimilée au "don", la volonté bienfaisante d'aider ou de remercier quelqu'un par l'octroi d'un bien. Le don n'a rien de prohibé. Il vient

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    après une amitié, un service rendu. Du point de vue de la législation, la corruption est une atteinte commise à l'administration publique par les fonctionnaires ou par les particuliers. La loi n° 004 qualifie de corrompu : « quiconque pour obtenir soit, l'accomplissement, l'ajustement ou obtention d'un acte, soit une faveur ou un avantage, fait des promesses, offre don, présents ou cède à des sollicitations tendant à la corruption» (Loi n° 004/PR/2000 du 16 février 2000, Article 915). Ainsi, la corruption touche tous les domaines.

    Au Tchad, la gestion du pays est rendue dure par la corruption. Les principes de dignité et de rigueur sont abandonnés au profit des biens acceptés ou exigés pour rendre service. Il se pose un problème d'honneur et d'éthique. Le pouvoir public est abusé à des fins personnelles. Cependant les populations sont restées indifférentes ou complices soit parce qu'elles ne sont pas prêtes à réclamer leur droit, soit parce qu'elles y trouvent leur compte. La situation de guerres a légitimé le prélèvement massif dans les caisses de l'État et des sociétés parapubliques. La justice ne fait presque pas son travail en matière de prévention et de répression à en croire les responsables des associations de droits de l'Homme. L'analyse de la situation sociopolitique faite par les différentes forces politiques atteste que la corruption ruine le système administratif. Mais les décisions d'assainissement, à l'exemple de celles initiées sous Idriss Déby Itno, n'ont pas mis fin au phénomène. Le bilan du règne de Tombalbaye, selon Toriaïra, fait par le CSM après le coup d'État de 1975, révèle la pratique de la corruption existante dans l'administration des finances. Le conseil estime que : « La corruption est un danger qu'il faut circonscrire dès maintenant sous peine de la voir prendre des proportions alarmantes» (Toriaïra, 2000 : 197). Quinze ans plus tard, l'enquête sur le règne de l'ex-président Hissein Habré montre que la pratique s'est empirée : « La gabegie, la corruption, la confusion totale des biens de l'État à ceux des tenants du pouvoir [...] étaient les principales caractéristiques de ce régime» (Collectif, 1992 : 33). Toriaïra fait allusion à un blanchissement d'argent et de corruption sous le régime de Déby et déclare qu'« au début de l'année 2000, la COFACE [...] a non sans raison classé le Tchad au rang des pays où les difficultés de payement et les retours sur l'investissement sont difficiles» (Toriaïra, 2000 : 198). Depuis quarante ans, ces pratiques qui justifient la prise du pouvoir se reproduisent.

    Parmi les causes de la corruption, nous citons les conséquences économiques de la guerre civile. Pour survivre, les agents de l'État sont obligés d'accepter ou de réclamer de pots

    15 Loi portant répression des détournements des biens publics, de la corruption, de la concussion, des trafics d'influences et des infractions assimilées.

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    de vins. Au temps de Habré, l'effort de guerre et les retards de salaires ont favorisé la corruption. La dévaluation du Franc CFA, la flambée des prix et le freinage du recrutement à la Fonction Publique ne sont pas en reste. Les agents de l'État, qui prétendent gagner peu d'argent, mettent en place des pratiques illicites, pour « joindre les deux bouts ». Dans un tel contexte, l'oeuvre de l'esprit n'est pas une nécessité. Il faut reconnaître que hormis le premier président, les dirigeants venus au contrôle par la grâce des frères armés sont obligés d'attribuer des postes aux rescapés de la guerre, même les bergers analphabètes au détriment des diplômés. Dans l'histoire du Tchad, il était possible de voir des directeurs ou des chefs de service ne sachant ni lire, ni écrire. Impunité, injustice sociale, pillage, vols, viols ne peuvent être sanctionnés quand le neveu, ancien guérillero en est l'auteur. Les critères de sélections, le mérite et l'ancienneté sont foulés aux pieds. La corruption devient un obstacle grave quand presque tout le monde la pratique, l'accepte.

    La lutte anticorruption n'est pas seulement une affaire de droit. Les acteurs de la corruption se font entourer de décideurs de haut niveau (députés, directeurs, ministres, etc.) pour leur défense en cas de complication juridique. Rare sont ceux qui dans des pareilles postures passent 72 heures en geôle. Les agents du ministère de la moralisation ne peuvent pas mener des enquêtes n'importe où, de peur de laisser leur éthique et/ou leur peau quelque part. Seul le Tchadien lambda est exposé et réprimé. Il lui faut peut-être une éducation civique. La solution est d'en parler. Débattre de la corruption dans les lieux publics et éducatifs, la dénoncer, punir sans distinctions les personnes coupables et complices sont là des moyens envisageables. S'il existe au Tchad depuis 2000, une loi anticorruption, une justice assainie doit l'appliquer efficacement pour réduire le fléau. Malheureusement, la corruption ne fait pas souvent partie des procès rendus publics. La cause selon Djékodjimgogo est que « le recrutement à la magistrature tend de nos jours à obéir à aucun critère de compétence f...] les conséquences fâcheuses affectent non seulement la carrière mais toute la machine judiciaire» (Djékodjimgogo, in Tchad et Culture, n° 253, 2007 : 8). La corruption paraît, telle que décrite, une approche thématique à exploiter. Les écrivains sont à cet effet à l'oeuvre.

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    2. La situation économique

    Par « situation économique » nous entendons faire l'analyse du champ économique tchadien, ses actions et son évolution. Pierre Fandio traitant les conséquences de la crise économique sur la littérature camerounaise déclare :

    La situation économique du Cameroun, à l'image de celle des autres pays de l'Afrique francophone en ces années 90, est marquée par une grande crise économique [...] la crise structurelle est aggravée par une crise conjoncturelle [...] qui a fini par sinistrer (sic) une économie déjà mal en point. L'impact de la nouvelle parité entre le Franc CFA et le Franc français est loin de combler les attentes des opérateurs économiques dont ceux du secteur du livre littéraire» (Fandio, 2006 :182).

    Il nous échoit de dire que la situation de crise dont fait allusion Fandio est comparable à celle qui avait sévi au Tchad avant l'ère pétrolière. Nous analysons ici l'économie du pays en rapport avec la production littéraire avant, pendant et après la crise des années 90.

    2.1 Le contexte économique et la production littéraire

    L'économie est l'ensemble des activités d'un groupe humain, évaluables en termes de production et de consommation des richesses. Par analogie, « économie » renvoie à la richesse ou aux sources de richesses. Au Tchad, les piliers de l'économie sont l'agriculture et l'élevage. La mise en exploitation du pétrole depuis 2003 au sud du pays est une autre source d'entrée pour l'économie du pays. Le pétrole représente 80%16 des exportations nationales. Le Tchad consacre 70% de son budget total aux programmes prioritaires de réduction de la pauvreté.

    Notre préoccupation, loin de traiter un sujet d'économie, est de mesurer l'enjeu de l'économie tchadienne sur la production littéraire. La littérature tchadienne connaît quelques problèmes liés notamment à la production et à l'édition. En 48 ans de production, il est surprenant de voir que le champ littéraire compte une vingtaine d'auteurs qui ont rarement plus de 02 oeuvres à leur actif en moyenne, avec une fréquence de 02 oeuvres par an pour

    16 Source : groupe Guy-vérité Je connais mon pays : le Tchad, fascicule de connaissance générale.

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    l'ensemble d'écrivains. Ce calcul est la résultante de l'analyse des ouvrages critiques sur la littérature tchadienne.

    Le problème de la production affilié à l'économie est celui de manque de moyens financiers pour la production, l'édition et la publication. Nous avons dit que les piliers de l'économie tchadienne sont l'agriculture et l'élevage, or ces activités sont vulgarisées dans les zones rurales où 83.3 % de la population active réside. Dans ces zones, l'analphabétisme et l'illettrisme sont à plus de 3/4 de la population. L'écriture devient une activité élitiste.

    Vu le faible taux de la scolarisation de la population tchadienne, les difficultés ne font que s'agrandir. Elles s'appellent chômage, pauvreté, absence des maisons d'édition indépendantes, etc.

    La Fonction Publique recrute peu de jeunes et, la corruption et le tribalisme rendent l'accès « sacré » pour ceux qui n'ont pas de moyens financiers et des personnes influentes au sein du ministère concerné. Il n'est pas rare de voir un titulaire d'une licence passer dix ans en instance d'intégration. Quelques privilégiés se disputent les 30, 50 ou 100 places réservées à l'intégration dans tel ou tel ministère par an.

    Les jeunes citadins instruits s'adonnent à la débrouillardise, la seule issue possible pour garantir le pain quotidien. Ceci réduit la volonté de se lancer en plein temps dans le métier de l'écriture. Actuellement à N'Djaména, une page de texte est saisie à 500 F CFA dans les « secrétariats publics », ce coût est le budget journalier garanti en moyenne pour la ration alimentaire. Ceci dit, finaliser la rédaction d'une oeuvre de plus de 100 pages n'est pas aisé pour beaucoup de ces écrivains potentiels.

    Plusieurs éditeurs attestent que les jeunes ont de difficultés en français à l'écrit et leur redressement par la commission de lecture est la cause principale du silence ou du désistement des jeunes écrivains. Aussi, dans un pays où la culture du livre n'est pas développée, s'installer comme éditeur indépendant est un pari risqué. La responsable du centre Al-Mouna, lors de notre interview avoue que sans l'assistance financière extérieure aléatoire, l'édition à compte d'éditeur, qui est prisée au Tchad se fait toujours à perte. La seule occasion de spéculation du livre est le jour de la dédicace. Un autre aspect à relever du côté des éditeurs est l'insuffisance de biens propres et de financement pour s'installer à son propre compte. Au Tchad, seules les éditions Sao sont indépendantes et multidisciplinaires. Pour le seul prétexte que « les livres ne se vendent pas au Tchad », les entrepreneurs et opérateurs économiques refusent d'envahir ce domaine. La vérité est que se doter d'une telle institution nécessite de fonds qui ne sont pas à la portée des Tchadiens moyens.

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    La situation économique désastreuse du pays a un effet sur l'émergence de la littérature. Il faudra peut-être aider les jeunes à produire des oeuvres de fiction. Le pouvoir public peut créer une maison d'édition publique et accorder de crédits ou de résidence d'écriture aux lauréats des concours annuels de littérature. Ces propositions, matérialisées peuvent améliorer les talents des jeunes écrivains.

    En aval la scolarisation et l'alphabétisation fonctionnelle doivent être vivement encouragées. L'un des moyens pour crédibiliser la littérature tchadienne est la lutte pour l'enseignement et l'insertion des oeuvres d'auteurs tchadiens aux programmes d'enseignement : défi de l'ASET depuis le premier colloque des écrivains tchadiens. En économie, la loi du marché est impitoyable. Quand la demande est faible ou timide, l'offre est limitée. Le ministère en charge de la culture manque de techniques de communication pour l'essor de la littérature et la prolifération des instances de production. Il n'est plus question de se plaindre ad nauseam qu'il manque de talents, de volonté et de financement.

    En amont, les Tchadiens peuvent cultiver la lecture. La bibliothèque ne doit pas continuer par être un objet de luxe. Si malgré la pauvreté, les Tchadiens équipent leurs maisons de conforts matériels onéreux, les livres ne coûtent pas si chers. D'ailleurs la fréquence de parution, nous l'avons signalée très haut est faible. Brigitte Masson lance cet appel : « Intellectuels, artistes, enseignants, décideurs, arrêtons de geindre et proposons d'urgence à notre société nouvellement industrialisée un système efficace de garde-fou et de contrepoids ! » (Masson, in Notre Libraire n° 114, 1993 : 159). Une prise de conscience collective (chez les producteurs, éditeurs, diffuseurs, consommateurs) permettra de revigorer l'image de la littérature tchadienne.

    2.2 La crise économique et l'ajustement structurel

    Le texte littéraire comme produit a un marché, celui du « bien symbolique ». Il est soumis aux lois du marché économique puisque : « la littérature se définit entre autres par la publication, sous forme d'édition ou de représentation, ce qui l'insère dans le système des échanges sociaux rémunérés» (Aron, 2000 : 352). La commercialisation des certains produits de l'agriculture et de l'élevage a pris un coup après la dévaluation du franc CFA en 1994. La crise économique s'est installée.

    La crise économique est une rupture d'équilibre entre la production et la consommation. Ce brusque changement économique se manifeste par la surproduction qui conduit à la mévente ou par la précarité qui fait une flambée des prix (surtout en cas de produits de première nécessité). Une pareille situation n'est pas favorable pour l'émergence

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    de la littérature. Nous démontrerons dans cette partie que la crise économique tchadienne a retardé la mise en place rapide d'une institution littéraire dynamique dénuée de tout tâtonnement. En temps de situation économique désastreuse et persistante, l'oeuvre de l'esprit ou de la culture est négligée. Le tissu social devient fragile cédant place à des stratégies de survie. Des familles se sont divisées, des progénitures ont échappé aux contrôles des parents en temps de crise au Tchad : la débauche, le vol, l'alcoolisme ont fait surface. Les fonctionnaires, avec les retards de salaires comme conséquence de la crise, ne sont pas épargnés. Le manque dû à la dévaluation de 1994 et la cherté des denrées sur les marchés poussent à la débrouillardise excluant la consommation des oeuvres de l'esprit : « La crise a favorisé, pour des familles nombreuses la naissance des solutions originales, des pistes indispensables à l'éclosion de l'autopromotion, sans exclure l'affirmation d'une volonté de vivre unis » (Laoro, in Tchad et Culture n° 142, 1995: 3).

    En effet, les ministres africains des finances de la zone Franc se sont réunis à Dakar au Sénégal en 1994, au tour du ministre français de la coopération pour écouter l'annonce de la dévaluation de 50% du Franc CFA par rapport au Franc français. Cette opération est présentée par Pierre Fandio comme « la panacée au marasme économique que connaît alors l'ensemble des pays du « pré-carré » (Fandio, 2006 : 182). Les pays représentés ont doublé mécaniquement les coûts des produits importés. Les intrants utilisés dans la fabrication du livre ont subi cette flambée rendant le prix du livre inabordable pour une majorité de la masse lisant potentielle. En plus des taxes, ces intrants importés ont ralenti voire freiné la volonté de produire au niveau local. On assiste en plus à une augmentation générale des prix sur les marchés. L'IPC17 prélevé en 2008 par l'AFRISTAT au Tchad estime cela à 70%. Une année auparavant, la FAO démontrait que les pays pauvres ont connu une hausse moyenne de 37%.

    Le FMI s'est engagé pour un soutien financier au Tchad en relançant une politique de redressement économique du gouvernement et en redémarrant les aides financières d'autres bailleurs de fonds, en particulier de la France. Le 1er septembre 1995, il approuve une série des prêts en faveur du Tchad d'un montant total de $ 74 millions (environ 37 milliards de francs CFA) pour une FASR18. Une année après le financement, le rapport financier et

    17 Indice des Prix à la Consommation, Instrument qui sert à mesurer l'évolution des prix de certains biens représentatifs des dépenses de consommation des ménages et dons d'apprécier la variation du coût de la vie pour les consommateurs

    18 Source : Marchés Tropicaux n° 2600, 1995, p. 1908

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    économique annuel du FMI dénote une amélioration de la crise. Le FMI s'est fixé des axes politiques : « Maintenir la stabilité macro-économique, notamment en renforçant l'épargne et en développant le secteur privé» (Marchés Tropicaux n° 2600, 1995 : 1908). Il a prévu des reformes administratives en matières de gestion de finances publiques, une classification des dépenses publiques et des renforcements des régies financiers. Son PAS n'as pas été de moindre utilité dans la gestion de cette crise qui a ruiné le pays. Les financements du FMI et de la BM ont concouru à la stabilité socio-économique du Tchad pour trois raisons :

    - Les productions agropastorales et cotonnières ont connu une croissance entre 1995 et 1997 ;

    - Le marché du bétail et de la viande a repris de nouveau ;

    - Les perspectives pétrolières engagées avec l'exploitation du pétrole devaient garantir des avenirs meilleurs pour le Tchad avec environ 13 millions de tonnes de pétrole brut à exporter par an pendant 30 ans.

    La conséquence est que l'environnement de l'investissement s'est amélioré, le budget de l'État s'est rénové. Bref, les finances publiques sont renouvelées et les projets sont légions :

    Une relance des investissements publics a pu être effectuée à la faveur d'un retour des bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux. Le gouvernement compte sur une table ronde des bailleurs des fonds [...] sous l'égide du PNUD, pour des nouveaux financements dans le cadre d'un programme d'investissement et de développement sur 5 ans en cours de finalisation (Gilguy, in Marchés Tropicaux n° 2697, 1997 : 1567).

    Entre 1995 et 1997, le pays commence à appliquer les recommandations du FMI et de la BM dans le cadre de son programme d'ajustement structurel. Pour arriver à cette situation, la crise économique est due à l'évasion fiscale et le fait que le secteur informel a pris la cime sur le formel après la transition politique de 1990. En 1994, la dévaluation du franc CFA est venue s'ajouter à la liste, malgré les remises des dettes et les crédits au niveau international. Les conséquences sont la perte de confiance des fournisseurs de l'État, les arriérés de salaires et les grèves généralisées qui ne favorisent plus l'écriture et la publication du livre. Il fallait en ce temps :

    Remettre de l'ordre dans l'économie, combattre la fraude, mettre de l'ordre dans
    les finances publiques, augmenter les recettes, minimiser les dépenses, en

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    prenant en compte un certain nombre de mesures : la restructuration des services de douanes, qui représentent plus de 40% des recettes de l'État, la réforme des structures des impôts et le recentrage des dépenses. (Gilguy, in Marchés Tropicaux n° 2697, 1997 : 1567)

    Les résultats du PAS ont été intéressants au niveau financier, les recettes ont été multipliées par trois (de 25 milliards de francs CFA en 1994 à 75 milliards en 1997) car les mesures prises étaient draconiennes : entre 1995 et 1997, il y a eu le gèle de l'augmentation des salaires, des avancements et du recrutement à la Fonction Publique. Ce phénomène a failli freiner le développement de la littérature tchadienne.

    2.3 Le boom pétrolier et le flux de production littéraire

    L'exploitation commerciale des gisements pétroliers de Doba, dans le Sud du Tchad, à partir des années 2000 a un impact sur la vie socio-économique, politique et culturelle de la population tchadienne. Elle est un espoir pour juguler la crise économique. En 2009, plus de 132000 barils du pétrole brut tchadien sont sur le marché international par jour.

    Au Tchad, la décennie suivant celle de l'ère démocratique, de l'arrivée de Déby au pouvoir a été consacrée à l'exploitation pétrolière. Ce qui donne une prospérité soudaine et factice au pays. Nous avons préféré utiliser le mot anglo-américain Boom pour parler de cette hausse de l'économie de l'État qui a une influence certaine sur la littéraire. Parlant de l'économie et de son enjeu littéraire, nous avons dit que la stabilité et la montée croissante du niveau de l'économie nationale permet d'une part aux acteurs du livre (éditeurs, imprimeurs, libraires et bibliothécaires, etc.) de s'installer aisément, d'investir dans le domaine culturel et d'avoir de financement et d'autre part aux jeunes d'avoir de professions susceptibles de leur permettre d'écrire, de publier et de diffuser leurs oeuvres, s'ils le désirent. Une fois de plus le boom pétrolier permet un flux19 de production littéraire.

    Pour justifier notre raisonnement, un travail statistique s'impose. Considérons un ouvrage critique comme le Panorama critique de la littérature tchadienne d'Ahmad Taboye pour cette étude chiffrée.

    19 De l'étymologie latine fluxus, « flux » désigne « écoulement ».Nous l'utilisons ici au sens figuré pour designer « une grande quantité »

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    En théâtre, de 1962 (date de la publication de la première pièce) à 1998 (année de la publication de la dernière pièce), 19 pièces de théâtres ont été enregistrées par 06 dramaturges, parmi lesquelles 03 sont inédites et 02 publiées dans une revue. Ceci pour 36 ans de production. Nous avons en moyenne sensiblement une pièce par an. Par décennie, 03 pièces ont paru pendant les trois premières décennies et 08 pendant la dernière (1990-1998). Cela se justifierait par la liberté d'expression et d'opinion accordée en cette période d'exercice démocratique au Tchad.

    En nouvelle, de 1973 à 1994, 09 novelles, dont 03 non publiées et 01 dans un ensemble de textes réédités, sont écrites par quatre nouvellistes. Pour cette durée de 21 ans, nous trouvons en moyenne sensiblement une nouvelle par an. 03 nouvelles en moyenne ont paru par décennie.

    En autobiographie, de 1962 à 1998, 08 autobiographies ont été publiées par six personnes pour cette durée de 36 ans. Nous avons en moyenne sensiblement une oeuvre par an (soit 01 tous les 04 ans) autrement dit 02 textes par décennie pendant quatre fois. Il est aussi à noter que 04 de ces textes ont paru pendant la décennie 80-90 et aucune pendant la décennie précédant.

    En roman, de 1998 à 2003, 08 romans ont été produits par sept personnes, 1,6 roman par an (à peine 02). C'est toujours l'époque démocratique qui est à l'origine de cela.

    En poésie, de 1987 à 2000, 09 recueils ont été produits par 05 poètes soit sensiblement 02 recueils par an.

    En conte, enfin, pendant 33 ans, Joseph Brahim Seid a publié Au Tchad sous les étoiles en 1962 et Koulsy Lamko Le repos des masques en 1995.

    L'histogramme suivant nous permet de justifier l'idée selon laquelle l'avènement de la démocratie en 1990 et l'exploitation des puits pétroliers après 2003 ont favorisé une production littéraire croissante.

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    25 20 15 10 5 0

     
     

    Théâtre de 1962 à 1998 Nouvelle de 1973 à 1994 Autobiographie de 1962 à 1998 Roman de 1998 à 2006 Poésie de 1987 à 2000

    1962-1972 1972-1982 1982-1992 1992-2002 2002-2010

     

    Histogramme réalisé à base des informations tirées du Panorama de Taboye (2003)20.

    Au vu de cet histogramme, nous pouvons déduire qu'après les quelques cinq pièces et autobiographies qui ont traité des faits historico-politiques sous le règne de Tombalbaye, la génération du CTI et du concours de la meilleure nouvelle de langue française ont maintenu le cap de trois pièces et trois nouvelles par décennies pendant trois fois. Les productions des décennies 1972-1982 et 1982-1992 sont celles produites par RFI chez Hatier ou par les lauréats chez CLÉ. À l'ère de la démocratie, la décennie suivante, les écrivains auraient profité de la liberté d'expression et du projet de l'association « Pour mieux connaître le Tchad » pour publier les pièces de théâtre et de nouvelle jusque-là jugées subversives, après quoi la crise économique s'installe. Entre 1992 et 2002, nous pouvons lire ses effets sur la production. Les règnes de Habré (1980) et de Déby (1990) ont généré quelques cinq

    20 Nota bene : L'Anthologie de Bourdette-Donon (2003) et la Bibliographie du Fonds-Littérature du CCF nous ont permis d'avoir des informations sur la dernière période.

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    autobiographies. Enfin, le roman (suivi de la nouvelle) devient le genre de prédilection en pleine ère pétrolière. C'est le flux de production littéraire.

    La décennie qui vient de finir est riche en titres, s'agissant des oeuvres littéraires au Tchad. 08 des textes analysés par Taboye ont paru en 2000 et 2003. Ceci, loin d'être l'effet du boom pétrolier, serait le fruit de la gestion démocratique du pouvoir politique. Cela est valable pour la majorité des textes recueillis dans l'anthologie de Bourdette-Donon. Denis Pryen, directeur général de L'Harmattan de Paris reconnait que sa maison d'édition a publié une douzaine d'oeuvres de fiction tchadienne pendant ces dix dernières années. (Entretien du 23/11/2009).

    Pour ne pas battre la campagne et le pavé, nous choisissons les oeuvres éditées par les éditions du Sao ces dix dernières années, (celles même de leur installation) pour démontrer qu'il y a eu flux littéraire. Mais avant cela, il faut reconnaître comme postulat que les quatre premières décennies de la littérature tchadienne ont une production moyenne de 01 oeuvre par an, soit 01 oeuvre par an pendant la décennie 60 ; 01 oeuvre pendant la décennie 70 ; 03 oeuvres la décennie 80 et 03 oeuvres la décennie 90. Le haut record en oeuvres par décennie est celui des années 90 : 03 oeuvres par an)21

    En effet, les éditions Sao qui ont la particularité d'être la seule maison indépendante ont été fonctionnelles en 2000, une année après l'autorisation à fonctionner, avec pour objectif : promouvoir la culture tchadienne (par les livres d'éducation, de formation et d'information). Sao, par ses quatre collections (Manuels pédagogiques, Histoire du Tchad, Points de vue et Littérature tchadienne) estime que « le sens de la vie est dans le livre » (slogan publicitaire de Sao). Pour ce faire, une trentaine d'oeuvres ont paru chez Sao ces dix dernières années « pétrolières », malgré les troubles et les guerres à répétition qui se sont soldés, plus de trois fois, par des fuites, déguerpissements et déménagements de la population et des institutions.

    La bibliographie Fonds-Tchad littéraire du CCF de N'Djaména en date de 24/11/2009 compte 61 oeuvres d'auteurs tchadiens publiées après 2000, dont 39 relevant de la littérature écrite d'expression française. Parmi celles-ci, 10 oeuvres portent les marques des éditions

    21 Source : TABOYE, Ahmad, Panorama critique de la littérature tchadienne, N'Djaména, Al-Mouna, 2003 (pages 18-19 ; 112 ; 129-130 ; 169-170 ; 2048-249 et 344

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    Sao : 02 en 2000, 02 en 2006, 03 en 2008 et 03 en 2009 (soit une moyenne d'un livre par an). Parmi les 18 ouvres de cette bibliographie, publiées par L'Harmattan, 12 appartiennent à la littérature tchadienne écrite d'expression française, soit un livre produit par an.

    À considérer ces 39 oeuvres de la bibliothèque du CCF, produites par Sao (une oeuvre par an en moyenne), L'Harmattan (une oeuvre par an en moyenne) et d'autres éditeurs, la production d'oeuvres passe des 03 oeuvres par an de la décennie précédente ci-haut analysé à 04 oeuvres par an la décennie 2000. Le oeuvres inédites évoquées par Bourdette-Donon dans son anthologie et celles en instance d'édition chez Sao et L'Harmattan dépassent largement, selon nos enquêtes de terrain, une cinquantaine d'oeuvres. Il faut signaler que la prospérité littéraire au Tchad n'est pas seulement l'oeuvre de Sao et de L'Harmattan. SEDIA, le CEFOD, le CNAR et Al-Mouna, etc. reçoivent et publient des oeuvres estimées à un livre par an par centre : soit plus de quatre oeuvre par an. Mais pour une question de rationalité et de fiabilité d'informations, nous n'avons considéré que les informations publiées.

    Toute cette prolifération, ce flux de productions littéraires est à mettre à l'actif de la démocratie et de la prospérité économique générée par l'exploitation du pétrole. En 2002, on apprend que « le projet apportera au Tchad des retombés économiques allant de 2.5 à 8.5 milliards de dollars pour la durée prévue durant la durée de vie du projet estimée entre 25 et 30 ans » (Bérilingar, in Collectif, 2002 : 131), soit une production de 224 000 baril par jour.

    Trois ans après cette estimation, le Tchad a encaissé plus que prévu. La littérature fera davantage, dans la mesure où les jeunes ont la facilité d'avoir des emplois et de pouvoir se faire publier à l'extérieur comme à l'extérieur du Tchad. La bibliographie du Fonds-Tchad en Littérature, dont nous faisions allusion, présente 21 romans, 10 nouvelles et 4 autobiographies publiés pendant la période 2000 -2010. Dans son anthologie, Bourdette-Donon a recensé des nombreux textes inédits rédigés après 2000. Tout ceci porte à croire que la production va crescendo.

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    3. Les réalités culturelles

    L'ethnie, l'oralité et la démocratie sont des réalités culturelles qui méritent d'être comprises du point de vue de leur influence sur la littérature. Le Tchad est une juxtaposition d'une centaine de langues et d'ethnies distinctes les unes des autres. Chaque groupe ethnique a une base foncière et territoriale fixe, une culture et des institutions traditionnelles. Nous avons fait allusion aux royaumes baguirmiens, ouaddéens, aux regroupements sociopolitiques au Kanem, au Mayo-kebbi, etc. qui ont leurs manières de vivre et de faire différentes les unes des autres. Cette dissimilitude mérite d'être étudiée pour combattre l'extrémisme et prôner l'unité dans la diversité. Escarpit disant que « Le mode de diffusion le plus primitif est le bouche à oreille. C'est lui qui exige le moins d'initiative à la réception» (Escarpit, 1970 : 19) reconnait également qu'il est un élément culturel qui empêche la culture de l'imprimé dans les pays à tradition orale. Nous le démontrerons. La littérature étant, selon les termes de Madame de Staël, « l'expression de la société », celle du Tchad est marquée par l'ère de la démocratie, tant dans ses conditions de production que dans les thèmes développés.

    3.1 La diversité ethnique

    Le Dictionnaire de l'Ethnologie et de l'Anthropologie définit l'ethnie comme : « un ensemble linguistique, culturel et territorial d'une certaine taille. Entérite discrète dotée d'une culture, d'une langue et d'une psychologie spécifiques» (Bonté et al, 2008 :247). Dans notre travail, le mot « ethnie » est l'équivalent de clan, race ou tribu. Les tribus au Tchad se repoussent et s'acceptent par endroit. Il n'est pas facile de faire la différence entre les conflagrations linguistiques, ethniques, religieuses et tribales qui participent toutes à diviser les enfants du Tchad. La conséquence, cependant, sur le plan religion et social est visible : l'apparition des lieux de culte et d'associations ethniques. Cette séparation implique des problèmes qu'il faut analyser et auxquels il faut prévoir des solutions afin d'éviter des grandes crises sociétales. Heureusement, aucune culture, malgré le narcissisme culturel, n'a essayé d'imposer sa domination aux autres ethnies.

    Le groupe sara constitue 28% de la population totale et les Arabes font 13%. Le premier groupe, majoritaire a eu la faveur politique et administrative des dix-huit premières années de l'indépendance et le dernier, tout le reste du temps, avec l'usage de sa langue dans le domaine religieux et commercial (les cultes et les débats religieux musulmans sont organisés en arabe tout comme l'achat et la vente des produits sur les marchés nationaux). Mais d'une manière officielle, aucune de ces entités n'a essayé de vouloir ériger sa culture en

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    culture dominante. La richesse d'une littérature nationale réside dans la diversité des cultures et des langues d'écriture. Or au Tchad, l'exercice du pouvoir a favorisé quelques ethnies au détriment des autres. Dans ce cas, les horizons d'attentes de l'écrivain francophone tchadien se trouvent limités.

    Le découpage arbitraire colonial a créé des minorités et des majorités dans les divisions administratives. Le tribalisme est renforcé par la division par chefferies traditionnelles conservée. Et, il y a une erreur dans la répartition de la mosaïque d'ethnies. Des 250 ethnies enregistrées au Recensement Général de 1993, le « sara » et l' « arabe » sont loin d'être des pôles ethniques majoritaires pour représenter respectivement le Sud et le Nord du pays. Malheureusement, on appelle d'une manière péjorative les populations du Sud des sudistes ou saras et celles du Nord des nordistes ou arabes. À côté de cette erreur qui ne favorise pas l'unité, il y a un problème d'insertion des tribus dites étrangères. Haoussa, Bornou, Peuls, etc., groupes ethniques qui existent au Tchad bien avant la proclamation de la République, en 1958 sont quelques fois accusés d'être étrangers, malgré leur long séjour au pays et leur participation à la construction de l'État-nation. Pour prôner l'unité et la solidarité, le juriste tchadien Mahamat-Seid Abazène martèle qu'il est bien vrai que « la terre appartient aux premiers occupants, mais faudrait-il qu'ils aient occupé toute la terre. La terre vacante qui est sans maître peut valablement être occupée par un autre» (Abazène, in Collectif, 2002 :37)

    Ces erreurs conduisent inévitablement à la discrimination22et au tribalisme23 qui n'ont pas manqué d'être critiqués. Dans l'un de ses rapports sur la discrimination, Félix Eboué affirme : « Les habitants du Kanem, du Batha et du Ouaddaï se considèrent comme d'essence supérieure aux Sar[a]s, Bananas, Baguirmiens et Hadjaraï» (Éboué cité par Boudjedra, 1992 :10). Ce constat est repris par Buijtenhuijs qui préfère sonner la cloche d'alarme contre la discrimination en ces termes : « Au Tchad, il y a une partie qui paie l'impôt et il y a une partie qui ne paie pas, et c'est dans celle-ci qu'on construit des écoles, des écoles qui restent malheureusement vides ou abritent des animaux f...] Les Tchadiens doivent mener une lutte de libération intérieure pour ne pas être esclaves d'autres Tchadiens» (Buijtenhuijs, 1998: 150). Beyem Roné, dans la même logique constate que les orchestres composés des jeunes du Sud chantent en arabe dialectal, pour une large audience, mais leurs chansons ne passent

    22 Tendance à distinguer et à favoriser un groupe ethnique au détriment d'autres

    23 L'organisation de la vie publique avec pour base la tribu

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    presque pas aux tranches d'heures destinées à la communauté arabo-musulmane. Il reconnaît aussi qu'« aucun musicien du Nord n'utilise les langues du Sud» (Beyem, 2000 : 204). C'est le melting pot national qui prend ainsi le coup. Les écrivains doivent, à cet effet, disposer de témoignages concordants pour exposer ce phénomène au grand jour.

    Le tribalisme comporte des risques certains pour la stabilité sociopolitique. La majorité des tenants du pouvoir ont formé une solidarité ethnique. Rappelons que Tombalbaye (Sara madjingaye) « a sélectionné pour gérer l'État principalement des ressortissants de sa région natale» (Varsia, 1994 : 18), que sous Habré (Gorane), « les Goranes prennent le pouvoir et l'exercent sur des bases véritablement ethniques » (Benodjita, 1997 : 49) et que et sous Déby (Zaghawa) « les membres du MPS pratiquent le pillage ou encore sèment la panique en sillonnant spécialement les quartiers de Sara Moursal» (Varsia, 1994 : 69-70). Malloum (Mbaye) et Goukouni (Toubou) ont privilégié leurs proches. Le pouvoir était devenu selon Beyem « un instrument de promotion politique, économique et sociale des ressortissants de l'ethnie du chef de l'État. Et c'est cela le tribalisme» (Beyem, 2000 : 238). D'une manière instinctive, ces autorités ont cru que leur sécurité, leurs secrets et leurs biens ne peuvent être bien gardés que par les leurs. Ainsi, la notion de « nation » devient vaine. Le Tchad ne devient qu'une constellation d'ethnies qui cohabitent sans partage.

    La diversité ethnique en soi n'est pas un mal. Mais, quand chaque groupe abuse des services de l'État au profit de ses membres, au su et au vu des autres groupes, il y a lieu de dénoncer, d'écrire pour arrêter. Les ethnies tchadiennes présentent des caractéristiques communes dans le domaine de langues, des us et coutumes et de la gestion du terroir. Leur harmonisation et leur « dissolution » dans la solidarité nationale peuvent faciliter la mise sur pied d'une nation unifiée au sens propre du terme. Pour Dubois (1978), un peuple doit digérer les apports culturels hétérogènes et forger un corpus homogène imprégné d'une vision nationale uniforme.

    Le système éducatif, le commerce et la religion sont les issues exploitables par les écrivains qui ont le désir de véhiculer des messages de solidarité dans leurs oeuvres.

    3.2 La culture de l'oralité

    Le dictionnaire du littéraire définit l'oralité comme « un modèle de communication fondé sur la parole humaine et sans autre moyen de conservation que la mémoire individuelle. Par extension, l'oralité désigne ce qui, dans le texte écrit témoigne de la parole et de la tradition orale» (Aron et al., 2002: 410). Le même dictionnaire définit la culture

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    comme « l'ensemble des systèmes symbolique transmissible dans et par une collectivité quelle qu'elle soit, les sociétés primitives y comprise » (Aron et al., 2002 :129).

    Ainsi la culture de l'oralité est un ensemble de valeurs et de connaissances transmises de bouche à oreille susceptibles de changer dans le temps et dans l'espace faute de moyens collectifs de conservation. La mémoire individuelle est renforcée dans sa tâche de rétention d'informations par une instance populaire: la palabre. Ce mot vient de l'espagnol « palabra » et a ironiquement, selon Mamadou Bella, le sens de « parole, conversation longue et oiseuse» (Mamadou, 2008 :64). Pour ce dernier, cette définition prend sa source dans la conception européenne selon laquelle la parole africaine est bavardage. En vérité, le concept a toute une autre signification en Afrique. Et il ajoute : « On pourrait définir la palabre comme une discussion qui permet d'aboutir à un consensus ou comme un mouvement qui arrête la violence après une discussion vive » (Mamadou, 2008 : 64). L'arbre à palabre, lieu de la sagesse et de formation est un tribunal coutumier par excellence et non un lieu de bavardage.

    Au Tchad, il y a des palabres « iréniques » qui sont tenues en dehors de tout conflit, à l'occasion de mariage, vente, prise de décisions et des palabres « agnostiques » qui font suite à un différend, pour reprendre les termes de Jacques Famé (1985). Il est à déplorer la perte de ces informations et la volonté de continuer à les garder dans une mémoire individuelle, corruptible et mortelle. Les Tchadiens préfèrent parler, « palabrer », « discourir » et non écrire. Ceci est un facteur défavorable pour l'émergence de la littérature écrite. Il est aussi une réponse à notre hypothèse de départ. Depuis l'indépendance, la littérature tchadienne écrite d'expression française ne compte qu'une demi-centaine de textes et de surcroit publiés à l'extérieur parce que les Tchadiens n'ont pas la culture de l'écriture. Notre fiche de questionnaire donne 70% de jeunes qui n'écrivent pas par manque d'inspiration pourtant l'un d'entre eux reconnaît avoir à son actif une trentaine de contes sur le thème de la famine. Celui-ci ignore la puissance et le rôle du verbe qu'il y a en lui. Il aurait pu publier ces textes oraux s'il n'a pas à écrire « pour rendre compte du chaos et dénoncer l'aliénation dont le peuple est victime» (Bourdette-Donon, 2000 : 171) comme l'on fait d'autres. Le fait que les maisons d'édition indépendantes soient rares au pays est évoqué comme un élément qui pousse au silence. C'est pour cela que « de centaines de manuscrits dorment sous l'oreiller de centaines d'écrivains potentiels ou accomplis » (Koulsy, in Collectif, 2009 : 49).

    Il y a dans le système éducatif traditionnel des éléments qui n'émulent pas la production écrite. Dans ce système, la formation est orale. La famille et la communauté sont les seules institutions d'encadrement. Selon les textes oraux, l'enfant idéal est celui qui

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    respecte les grandes personnes, rend service, « retient sa langue », ne parle pas avant les éminentes personnes, moins curieux, pas agressif et querelleur. B. Roné avoue que la tradition vise ces résultats par un support oral : la parole. Pour lui, de nombreux contes magnifient l'enfant loyal et montrent que celui-ci s'en sort toujours, même dans les situations les plus enchevêtrées. Les hommes et les dieux veillent sur lui. Roné ajoute qu'il est appelé « à vivre très longtemps, alors que pour un enfant de caractère, rien ne peut être facile dans la vie : il doit à chaque pas, subir les pires vicissitudes de la vie, pour un jour, terminer de manière dramatique, avec une durée de vie la plus courte possible. (Beyem, 2000 : 320). Dans le cas d'espèce, l'enfant est formé à l'obéissance. La curiosité, la turbulence, la timidité et la témérité font partie d'une ribambelle d'interdits liés à la mort et à la religion. Avant l'initiation,24 l'enfant est écarté, en cas de prise de décisions suite à un problème sérieux. Il trouve sa place auprès de sa mère, à la cuisine, à en croire A. Clair (1986). Cette formation qui est basée sur la discrétion et le respect des grands n'est pas favorable pour l'inspiration à l'écriture. Elle musèle les enfants et les pousse à la jouissance, à la recréation et à l'alcoolisme avant l'âge dit « de la sagesse ». Dans un tel contexte, la littérature écrite ne peut être que l'apanage des adultes, des vieillards. Or, ceux-ci, de tradition orale, n'ont pas cette culture. La littérature tchadienne pour s'implanter d'une manière dynamique doit cultiver, par le biais des décideurs politiques et éducatifs la culture de l'écriture. Ceux-ci jetteront un pont entre l'oralité et l'écriture, grâce à l'école.

    Inscrire la littérature, les oeuvres littéraires dans une perspective des textes oraux légués par la tradition est une autre richesse intarissable. Nous pensons à la manière d'insérer les éléments de l'oralité dans les oeuvres de la littérature écrite comme le fait Ahmadou Kourouma (les répétitions, les accumulations, les intrusions de l'auteur - comme celles du conteur au cours des veillées -, l'emploi des proverbes et les tournures grammaticales qui associent l'africanisme au français). De tous ce qui précède, si les écoles et les parents d'élèves ne réussissent pas à valoriser les produits de l'imprimé, la littérature restera longtemps une activité élitiste au Tchad.

    24 L'initiation est une école gérontocratique qui se passe en brousse pendant au moins trois mois et destinée uniquement aux garçons de plus de douze ans et dont le contenu varie d'un groupe ethnique à un autre.

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    3.3 La démocratie et l'éducation à la citoyenneté

    La démocratie, cette notion qui est un « régime politique que l'Aristocrate Clisthène établie pour la première fois durablement en 508 avant Jésus Christ dans l'État-cité grecque d'Athènes» (Dumn, 1993: 77) est d'une récente acquisition en Afrique. Elle signifie selon Michalon, une identification totale entre le gouvernant et les gouvernés. Puisque les citoyens choisissent parmi eux leurs gouvernants, contrairement à la dictature où il est question de « la volonté unilatérale d'un homme, d'un groupe d'hommes» (Michalon, 1984 : 44). La démocratie comme « organisation de la concurrence pacifique en vue de l'exercice du pouvoir » (Aron et al., 1997: 36) a vu le jour au Tchad, le 1er décembre 1990, avec l'arrivée au pouvoir d'Idriss Déby : « je ne vous apporte ni or, ni argent, mais la liberté, » (Masra et Béral, 2008 : 77-78) dira-t-il dans son premier discours à la nation. La démocratie est souvent utilisée à la place de la liberté car les principes qu'elle véhicule sont relatifs à la liberté. Nous faisons dans cette partie l'état des lieux de la citoyenneté dans cette nouvelle « forme de vie politique qui donne la plus grande liberté du plus grand nombre, qui protège et reconnait la plus grande diversité possible» (Tourain, 1994 : 25). Celle-ci est indispensable pour l'écriture. Dans ce régime, il faut reconnaître le rôle non négligeable de la liberté que peuvent avoir les citoyens de lire, d'écrire et de parler. Le citoyen étant « titulaire d'une parcelle de la souveraineté nationale » (Constant, 2000 : 27), il bénéficie de l'exercice des droits politiques et des valeurs citoyennes. Fred Constant définit la citoyenneté comme étant une sous-partie de la nationalité (laquelle désigne pour Guillien le « lien juridique qui rattache une personne physique à un État particulier » (Guillien et Vincent, 1988 : 333). Bana Barka reconnaît si bien l'importance de la liberté d'expression : « L'institution de la liberté d'expression aura pour conséquence directe l'atténuation, voire la disparition dans certains secteurs, de la censure gouvernementale» (Bana, 2000 : 59).

    Après plusieurs années de combat, de déstabilisation des institutions familiales, sociales et publiques, la valeur citoyenne de l'amour du pays est prêchée par les politiciens, les musiciens et les enseignants pour orienter les Tchadiens vers l'unité et le civisme, l'altérité, etc. la littérature est le lieu de culture citoyenne par excellence. Les écrivains prônent l'unité, le mariage Nord-Sud et Chrétien-Musulman. Il est vrai que les Tchadiens vivent une crise de citoyenneté aigüe qui transparait dans leur comportement et leur mode de vie. Cependant, des efforts sont déployés pour la vulgarisation des valeurs citoyennes tant du côté de l'État que de la société civile. Vu que la démocratie est une pratique récente qui laisse progressivement de places aux champs littéraire et culturel, nous n'évoquons dans ce travail

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    que la présence des institutions publiques et parapubliques oeuvrant pour la mise en place d'un processus qui va être utile pour l'institutionnalisation de la littérature. Il reste à savoir que la démocratisation ne doit pas seulement s'appliquer aux institutions, mais aussi aux pratiques de la gestion quotidienne de la société, de la communication et de la culture comme l'envisage N'Gangbet : « l'authenticité de la démocratie en Afrique doit résider dans la reconnaissance indiscutable et effective des droits de l'Homme et surtout à la renonciation à toute différence basée sur la race, l'ethnie, la religion, la culture, le sexe et la langue» (Kosnaye, 1993 : 178)

    Depuis 2004 est créé le ministère chargé du contrôle de l'État et de la moralisation de la vie publique. Ce ministère cultive chez les Tchadiens les sentiments de défense de l'intérêt public et de protection des biens publics, sensibilise sur de valeurs citoyennes et donne une piste d'inspiration aux écrivains. Les leaders religieux participent également dans cette tâche de la formation des citoyens tchadiens. Le ministère a, grâce au concours du CNC, réalisé un ouvrage d'instruction civique pour le cours élémentaire. Ce manuel développe le sens de l'intérêt général, le respect de la loi, l'amour de la patrie. On y trouve les règles de la vie démocratiques et leurs fondements. De concert, les organisations de la société civile (associations, syndicats, organisations, etc.) oeuvrent pour l'éducation citoyenne. Les associations de droits de l'Homme ont vulgarisé des textes sur les droits et les devoirs du citoyen. Elles assistent les justiciables et accordent une attention particulière aux couches vulnérables: femmes et enfants. C'est le cas de CELIAF, ATPDH, AFJT, APLFT, etc. Les syndicats forment les employeurs et les salariés sur leurs droits et obligations. Une fois l'éducation de base reçue dans la cellule familiale et scolaire, une idée sur la valeur citoyenne obtenue, le citoyen peut bénéficier aisément de l'exercice des droits politiques. La violence, les comportements déviants et les clivages seront atténués et l'effort de la littérature pour la cohésion sociale, la solidarité nationale sera un acquis. Le balisage de cette notion de citoyen dans un État de droit n'a pas pris en compte les manquements existants : vols, viol, pillages, détournements, injustice, etc. Nous estimons que la jeune démocratie tchadienne, une fois rendue dynamique, les écrivains produiront de textes. C'est pour cette raison que la démocratie est un atout pour la production littéraire et la paix qui conditionne la consommation du livre.

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    Nous avons démontré dans ce chapitre que les conflits armés, l'analphabétisme et la corruption sont des facteurs qui ont freinés l'épanouissement de la littérature. Selon le RGPH de 1993, les mamelles de l'économie nationale, l'agriculture et l'élevage sont pratiqués en zones rurales où l'analphabétisme est à plus de 80%. Cela n'est pas de nature à favoriser la création et la diffusion des oeuvres littéraires.

    Le Tchad compte plusieurs ethnies qui s'affrontent et se rejettent mais toutes préfèrent garder leurs histoires, leurs exploits et leurs idéologies par la transmission de bouche à oreille. Et de toutes les façons, les langues nationales, comme le démontre Elsa Schifano (2003), restent toujours orales, puis qu'elles ne sont rarement enseignées à l'école.

    Le résultat qui nous satisfait est l'amélioration de la situation socio-économique et culturelle du pays. La guerre, à en croire les hommes politiques et militaires, est maîtrisable par un processus national de paix et de réconciliation. Depuis 2000, le gouvernement a fait de la scolarisation gratuite et de la lutte contre la corruption ses priorités. Hélas, « les auteurs ont par conséquent eux-mêmes un rapport éminemment oral avec leur langues nationale et sont des analphabètes dans leur propre langue » (Schifano, 2003 : 56). Le boom pétrolier a permis un flux de production littéraire dans des instances locales, ce qui veut dire que les membres de ces multiples ethnies tchadiennes ont vu la nécessité de se faire connaître par le livre. D'ailleurs, le processus de démocratisation favorise la mise sur pied des instances politiques, économiques et culturelles favorables à l'écriture et à l'éducation citoyenne. Le contexte de production étant connu, il reste à étudier tout ce qui a conditionné la production littéraire.

    Cette première partie a dressé un tableau favorable à la réalisation des activités littéraires malgré quelques insuffisances qui pourront être revues et corrigées par les acteurs du champ littéraire. D'une situation politique stable avant les indépendances, le Tchad est arrivé à l'ère de la démocratie, laissant derrière lui un passé instable fait de troubles politico-militaires défavorables à l'institution d'une littérature nationale.

    S'agissant des domaines socioéconomique et culturel, l'étude a démontré que de la situation de crises sociales, économiques et culturelles de départ, le Tchad tend vers une amélioration. Nous avons découvert ce qui a freiné l'épanouissement de la littérature tchadienne d'expression française écrite : instabilité politique, crises sociales, économiques et culturelles. Ce résultat nous permet de rechercher dans la deuxième partie, les éléments propulseurs de cette littérature.

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    DEUXIÈME PARTIE : CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE

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    Plusieurs facteurs conditionnent la littérature nationale : la production de l'ancien colonisateur avec pour ancrage référentiel le pays, les événements littéraires, historiques et associatifs, la formation des écrivains et leurs distinctions, etc.

    Salaka parle de la littérature nationale en termes de centre et de périphérie. Cela se justifie par les conditions de production de la littérature. L'émergence est toujours conditionnée par la dépendance des périphéries au centre, la capitale du pays concerné ou celle du pays de l'ancien colonisateur. Elle est aussi conditionnée par le discours de celui-ci. Il y a un lien entre l'histoire d'une nation et la constitution de son champ littéraire. C'est la dépendance originelle de la littérature à l'égard de la nation-mère qui explique cet état de chose. Le nationalisme africain a, selon lui, développé progressivement une volonté et une fierté d'appartenir à un pays :

    En effet, le renforcement de l'indépendance de chaque pays africain s'est accompagné d'une volonté d'affirmation sur le sur le plan culturel; la littérature a un rôle à y jouer comme facteur d'identification et participe à ce que nous avons appelé « lutte patriote » des Africains » (Salaka, 2003 : 4).

    Il ajoute qu'« il n'est pas étonnant que cette évolution politique va (sic) avoir des conséquences durables sur l'histoire littérature du pays» (Salaka, 2003 : 61).

    Pour le cas tchadien, il y a d'une part, les facteurs littéraires et historiques (les écrits des Blancs ayant séjourné au pays, les événements festifs, associatifs et honorifiques) qui ont été des atouts et d'autre part, les facteurs linguistiques (diversité, bilinguisme mythique, difficulté d'intercommunication), religieux (conflits entre les religions révélées : le Christianisme et l'Islam) et culturels (la difficulté d'asseoir une culture et une littérature nationales avec les diversités culturelles concurrentes) qui apparaissent comme des obstacles à surmonter pour la richesse de la littérature nationale.

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    Chapitre 3 : Les facteurs littéraires et historiques

    L'émergence d'une littérature dans un contexte postcolonial pose non seulement « un problème de ses rapports avec la littérature du pays colonisateur, mais aussi celui du cadre institutionnel dans lequel elle va se développer» (Salaka, 2003 : 4). C'est pour cela qu'il est préférable de voir les pensées développées par quelques Français ayant vécu au Tchad afin de dire en quoi ils ont influencé (ou non) les écrivains tchadiens. Le champ littéraire étant « un espace de concurrence dans lequel s'affrontent pour avoir un profit matériel et/ou symbolique, des producteurs dont les positions, à un moment donné de l'histoire du champ, dépendent à la fois de leurs dispositions initiales et de la permanence de leur prise de position» (Mouralis, 2001 : 50). Cette notion devient réellement opératoire qu'à partir du moment où ce champ devient autonome par rapport aux champs politique et économique. Les associations, les concours, les représentations et les prix auxquels une étude est consacrée sont les conséquences de cette indépendance. Les problèmes linguistique, religieux et culturel sont au contraire des éléments externes au champ littéraire mais qui méritent d'être analysés parce que selon leur appréhension, ils influencent aussi négativement que positivement la production littéraire.

    1. Les écrits du colonisateur sur le Tchad.

    Les Blancs ont plusieurs visées quand ils entreprennent des voyages ou des longs séjours en Afrique : l'exploitation des riches au profit de leurs pays d'origine, l'instruction des Noirs, l'évangélisation, l'assistance militaire et technique, le tourisme, etc. Expatriés, en contact avec l'Afrique, ils ont une formation ou une prédisposition leur permettant de s'intégrer dans un domaine par plaisir personnel ou en respectant l'ordre de leurs supérieurs hiérarchiques. Ceci est une piste de recherche en ce qui concerne les écrits coloniaux. Au début du 19e siècle, l'esprit colonialiste de la 3e République française ont fait du Noir un « vrai sauvage », un primitif, un barbare. Malgré cela, le contact du colon avec l'indigène produira en lui un esprit d'altérité. Vera-t-il devant lui un autre Moi, bon à découvrir. C'est pour cela que le XXe siècle marquera un regain d'intérêt et de curiosité pour les peuples et les civilisateurs exotiques. Le zèle colonial apostolique et militaire poussera les européens à produire des oeuvres classées dans les lignages de la littérature coloniale, de l'exotisme. Pour Jacques Chevrier :

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    Le héros romanesque de toutes ces oeuvres est le soldat français exilé, dont la présence n'est le plus souvent qu'un prétexte permettant de dévoiler le monde malsain de la colonie où cohabitent sur un fond différencié de misère indigène, toute une faune de déclassés et d'aventuriers déchus par l'action conjuguée de l'alcool, de la drogue et des femmes. (Chevrier, 1984 : 17)

    Dans cette logique s'inscrivent également les textes de : Ernest Psichari (Terres de soleil et de sommeil), Maurice Delafosse (L'âme nègre), André Gide (Voyage au Congo et Le Retour au Tchad), Michel Leiris (L'Afrique fantôme), Victor Segelen (Immémoriaux), Albert Londres (Terre d'ébènes), sans oublier ceux de Joseph Conrad et de François Céline. Ces oeuvres ont inspiré les premiers écrivains africains. De même, au Tchad, il y a une littérature coloniale publiée en France, fruit des séjours des occidentaux au pays dans le cadre de l'armée, de la religion chrétienne et des voyages d'aventure et de stage pour le ministre des colonies. Ces oeuvres que nous regroupons ici en trois catégories ont permis aux Tchadiens de savoir qu'il est aisé d'écrire des textes littéraires avec pour ancrages référentiels son propre pays. Dans ce cas, l'existence des écrits d'auteurs venant d'ailleurs est un facteur non négligeable à la connaissance de la genèse de la littérature tchadienne écrite d'expression française et au choix de Paris comme ville d'édition.

    1.1 Les écrits à caractère pédagogique et spirituel

    L'instruction et l'oeuvre pastorale sont une forme d'humanisme de la part des Blancs qui, dans le cadre de la coopération, décident de mettre leur connaissance académique et religieuse à la disposition du Noir.

    Andrée Clair25 s'installe à Bongor au Tchad, après le Congo Brazzaville. Ses oeuvres Moudaïna (Dakar-Paris, NÉA-ÉDICEF, 1986) et Tchinda, la soeur de Moudaïna (Dakar-Paris, NÉA-ÉDICEF, 1988) sont des romans de formation, tout comme Ursu, l'enfant de la brousse (Paris, Alsatia, 1961) du père Gabriel Rey, écrit un temps bien avant. Moudaïna et Ursu, les protagonistes sont deux jeunes Massa26 qui ont suivi l'initiation et l'école nouvelle, et espèrent à une profession d'enseignant ou de médecin. Clair, enseignante et Gabriel Rey,

    25 Française, titulaire d'une licence ès-lettres spécialisée en sciences humaines et professeur de lycée.

    26 Ethnie majoritairement installée au Mayo-kebbi, au Sud du Tchad.

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    prêtre (alias Buna Valamu) donnent, chacun dans son oeuvre, sa vision du monde. Moudaïna, le roman réaliste de A. Clair est construit autour d'une intrigue simple : en 1945, au Tchad, à Bongor, un enfant de 9 ans vit heureux, avec pour activités quotidiennes la pêche, la chasse et l'école. Madame Libert vient au collège comme professeur avec sa fille Hélène, qui sera amie à Moudaïna. D'aventures en aventures, Clair a voulu montrer dans son livre « que les gens, à travers le monde, quelles que soient leurs différences ont tant de ressemblances... » (Clair, 1986 : préface). La preuve est que Moudaïna, le fils de Tchouka et de Sounigué vit dans une famille avec Yassedi, son aînée, ses petits frères Soudsia et Tchaidoum et sa petite soeur Tchinda. L'auteur décrit la vie et les activités des Massa : la pêche, la chasse, l'agriculture, l'élevage, l'habitat et le ménage. Son personnage Hélène admire « les femmes Peules [...], les jolies Arabes [...], les femmes Saras [...], les Hohos [...], les femmes Massas, etc.» (Clair, 1986 :36).Elle regarde aussi les hommes : « Les Musulmans [...], les Massas [...], les fonctionnaires etc.» (Clair, 1986 :36). Moudaïna, quant à lui est embarrassé. Après l'initiation il reçoit des instructions : « Ne parle jamais du laba à ceux qui ne sont pas initiés. Si tu en parles, tu mourras. Ceux qui ne sont pas initiés [...], les fillettes, les jeunes garçons, les femmes, les Blancs.» (Clair, 1986 : 76). C'est la discrétion. Pour que Moudaïna puisse devenir docteur, l'auteure donne une visée pédagogique à son livre : « Il n'y a pas d'écoles en Afrique. Trop d'enfants y restent illettrés. Mme Libert se jure en elle-même qu'elle fera tout son possible pour que Moudaïna ne le reste pas» (Clair, 1986 : 61).

    Pour finir avec l'instruction reçue par les Massas, Clair choisit d'écrire Tchinda, la petite soeur de Moudaïna. Ce sont les aventures (voyages, tornades, apparition de lions, fuites devant un rhinocéros, naufrage, etc.) qui donnent un caractère exotique a ce roman. Tchinda est l'histoire d'une famille heureuse en pays massa, au moment où le modernisme n'a pas encore ébranlé les traditions. C'est la continuité de l'histoire du collégien Moudaïna. La fillette éponyme s'occupe de ses frères et observe avec attention les activités féminines qui seront les siennes un jour à l'autre. Elle est passionnée par la chasse, la pêche et les soins que sa mère accorde aux animaux. En somme, les Massas sont un peuple comme les autres au centre de l'Afrique. Ils ne sont pas, selon Clair, si sauvages pour être colonisés et civilisés.

    Buna Valamu est ému dès sa dédicace à sa mère, qui lui dit toujours : « Il ne faut mépriser personne. L'humble haillon peut cacher un coeur d'or.» (Valamu, 1961 : dédicace). Les réalités africaines sont chantées à travers les épisodes d'Ursu, fils de Figaussou : palabres, querelles, garde de chèvres ou des boeufs, tornade, initiation, etc. La représentation humaniste

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    se lit ainsi dès la dédicace, où Buna ajoute en reproduisant le point de vue de l'un de ses amis du Centre de l'Afrique, à qui il dédie le texte en second lieu :

    Des blancs qui entrent en contact avec notre race, les uns jugent au premier coup d'oeil, ils disent .
    · « - Les sauvage ! Ils vivent nus.» d'autres nous regardent et disent, avec condescendance qui se voudrait paternelle .
    · «- Ce sont des enfants» Enfin quelques-uns, mais, rares se taisent d'abord et, lorsqu'ils ont vécu près de nous et avec nous, et parce qu'ils nous aiment, pensent et, quelques fois disent .
    · «-

    Ce sont des hommes comme tous les hommes ; ils valent autant que quiconque.» (Valamu, 1961 : dédicace)

    Buna Valamu est de ceux qui estiment que les Noirs sont des « hommes comme tous les hommes », malgré sa lutte sans cesse contre le paganisme ancestral. À force d'observer Ursu, Buna, le missionnaire, l'a recréé avec une philosophie nouvelle, celle de l'humanisme, de l'admiration et de l'intelligence des « sauvages ». À travers sa vie, l'auteur donne à lire une information suffisante sur la vie du peuple autochtone massa : la famille, l'agriculture, la dot, les rites et coutumes, etc. La garde des troupeaux, la qualité thérapeutique de la médecine traditionnelle que le médecin admire « ils ont parfois d'excellents remèdes [...] ce répulsif a sauvé la vie de l'enfant » (Valamu, 1961 : 33) et la maîtrise des travaux physiques sont des acquis pour le protagoniste. Le ménage, la garde des chèvres, voici une formation complète et ordonnée pour tous les Ursu du monde massa. La profession fixe du jeune survient après l'initiation. C'est à ce peuple « civilisé » que le missionnaire Buna a affaire pour l'évangile du salut. Ce schéma éducatif traditionnel exclut l'idée de la sauvagerie africaine.

    Dans cette logique s'inscrivent les oeuvres de Marie Christine Koundja et de Haggar qui prônent l'unité, la solidarité et l'amour du prochain. Ces derniers donnent leur vision de la formation et de la religion au Tchad comme l'ont fait Clair et Buna. Un peu avant eux, Bangui a décrit d'une manière autobiographique la formation de l'enfant dans Les Ombres des Kôh.

    1.2 Les écrits à caractère militaire

    La chasse civile et militaire constitue une occasion pour les militaires occidentaux de peindre leurs aventures par le biais de la fiction. L'écriture devient pour ces derniers une sorte d'exutoire, de distraction pendant les factions. La narration des histoires de guerres et de protection des populations constitue un très bon ensemble d'écriture de l'espionnage et de la chasse civile ou guerrière.

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    La faune par sa diversité intéresse les européens sur le sol africain, qu'ils soient militaires ou civils d'autant plus que la protection des animaux n'est pas l'affaire d'État sous ce soleil en période coloniale. Le roman de Nimir de Louis Courtek (Paris, Dauphin, 1951), Mirages au Tchad de Germain Chambost (Paris, Jean Picollec, 1991), Rush sur Faya de Baudouin Chailley (Paris, Fleuve-Noir, Espionnage, 1990) et La Citadelle du désert de Jean Bourdier (Paris, Presses de la cité, 1986) illustrent cet état de chose.

    Louis Courtek est un colonel qui a la chance de découvrir l'Afrique dans ce qu'elle a de plus grandiose et de plus captivant, la brousse et parmi toutes les brousses l'une des plus sympathiques : celle du Tchad. Le roman de Nimir : panthère du Tchad rapporte ses observations, ses aventures. L'auteur signale que cela s'est passé à l'époque où les allemands firent leur passage. Mais laisse-t-il de côté la guerre : « J'ai estimé cependant que les choses de la nature étaient trop belles, trop pures pour y mêler l'histoire de la folie des hommes. Que le lecteur ne s'étonne pas si je n'ai pratiquement pas parlé de la guerre : c'est un oubli volontaire » (Courtek, 1951 :10). Tout au long du livre, girafes, gazelle, dama, antilopes, panthères, oryx, phacochères côtoient les villageois, les distraient, les animent, les surprennent, les écoeurent, mais l'image de la panthère reste fascinante, amicale et nostalgique aux yeux de l'écrivain vu le titre et le contenu de l'oeuvre. Le roman se ferme sur un adieu à Nimir (Panthère en arabe) : « Pressons-nous! Ces moments-là, comme tous les moments d'adieux doivent être écourtés le plus possible [...] Adieu Nimir, à jamais ! » (Courtek, 1951 : 170-171)

    A côté de cette description civile, Chambost, Bourdier et Baudouin adjoignent un objectif militaire.

    Germain Chambost est un ancien pilote militaire, grand reporter au Sud-ouest et président de l'association des journalistes de l'aéronautique et de l'espace. Étant membre de l'académie nationale de l'air et de l'espace, il écrit Mirages au Tchad. Il s'agit de quatre pilotes qui font la guerre au Tchad, montant des factions avec pour mission : empêcher l'invasion libyenne au Tchad. Ils attendent l'adversaire tout en obéissant aux ordres militaires et politiques. Sous ce lainage militaire, l'auteur ne laisse pas de côté les jeux de l'amour, les états d'âmes et les sentiments des pilotes. Ces éléments « donnent envie à l'homme blanc de quitter ses oripeaux de civilisé » (Chambost, 1991 : 10). Le texte se ferme sur une déception française lors d'une fête. À cause d'Isabelle, la dulcinée de Laurent, l'un des pilotes, le Général président vocifère : « ce soi, nous, nous réglons nos affaires d'hommes à l'homme»

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    (Chambost, 1991 : 190). Est-ce cela qui est à l'origine du départ annoncé de l'armée française dans le texte ? Rien ne le dit. Mais, cela a inspiré Chambost pour l'écriture du roman.

    Jean Bourdier est journaliste écrivain, auteur de plusieurs autres ouvrages d'histoires militaires contemporaines. Dans La citadelle du désert, il est question de la pacification du territoire militaire du Tchad après sa conquête en 1906. Si Samory et Rabah ont été vaincus, d'autres conquérants peuvent se préparer pour la relève. Le personnage de Laurent Boutier en est convaincu. Cette folle aventure qu'il engage au nom de l'honneur, en allant monter faction dans une citadelle à Bouaké au Borkou, au Nord du Tchad manquera de lui coûter sa carrière, sa vie, mais lui fera aussi connaître des amours inattendues.

    Dans cet élan réaliste, Baudouin Chailley écrit un roman d'espionnage : Rush sur Faya. Ce texte secret présente des faits réels qui se déroulent en 1988 au Tchad, lit-on à la quatrième de couverture. Après Faya Largeau, les forces libyennes ont perdu un matériel considérable et plusieurs « conseillers » soviétiques se trouvent en fastidieuses postures. Montclar, agent du Service « Action » réussira-t-il à exfiltrer un de ces « conseillers » avant qu'il ne soit capturé par les forces tchadiennes ? Telle est la question qui trouve sa réponse dans le roman.

    Les multiples guerres ont poussé les auteurs tchadiens à maîtriser ce langage militaire pour décrire les événements. Nimrod, Moustapha, N'Djékéry et A. Haggar se sont spécifiés en cela dans leurs oeuvres romanesques. La chasse a également fait l'objet d'un traitement chez ceux-ci. J. B. Seid, enfin a préféré des personnages animaliers pour critiquer les moeurs.

    1.3 Les écrits à caractère exotique

    La découverte et l'entreprenariat ont servi de motif pour nombre d'européens ayant quitté leur pays. Les aventures de ceux-ci sont accompagnées d'oeuvres de développement. L'Afrique, et en particulier le Tchad a servi de lieu de loisirs, de découverte, de stage et d'entreprenariat pour les citoyens français de la période coloniale.

    Au Tchad, Ivonne de Coppet et Michel Planchon se sont penchés sur ces genres de voyages. Pour le Général Marchand, le préfacier d'Au pays du Tchad d'Ivonne de Coppet, « les jeunes lecteurs fermeront le livre avec la résolution de traverser les mers pour connaitre notre plus grande France » (De Coppet, 1931 : préface). Le roman retrace l'aventure de Fréderic et de Diamantin qui embarquent pour le Tchad. Des pays, des peuples, des animaux, le voyage d'exploration continue. Le texte énonce que toutes les activités des

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    peuples autochtones intéressent les jeunes occidentaux qui s'adonnent et parviennent à de bons rendements (ménage, chasse, pêche, agriculture, etc.). De Fort-Archambault, actuel Sarh au Lac-Tchad en passant par Fort-Lamy, actuel N'Djaména, les animaux sauvages et aquatiques agrémentent les exploits des jeunes voyageurs. Une fois à Paris, le Tchad est pour eux un pays à découvrir dans ses multiples facettes, si on leur offre la chance d'y revenir dans le cadre de la carrière coloniale : « Il[s] parlai[en]t avec enthousiasme de cette Afrique si belle et si mystérieuse dont il[s] avai[en]t déjà la nostalgie » (De Coppet, 1931 : 180)

    Dans L'arbre et le voyageur (Paris, Gallimard, 1962), Michel Planchon retrace l'histoire d'un entrepreneur, propriétaire d'une briqueterie à proximité de Fort-Lamy. En même temps chasseur et pêcheur, le spectacle de la souffrance des hommes et des animaux décimés par la soif l'incite à partir avec des matériels de forage établir de points d'eau dans les régions les plus déshéritées. Aidé par trois de ses compagnons africains et d'une jeune fille fulbé, il retrace le périple dans le livre : « Lorsque je contemple les africains qui travaillent avec moi, j'envie parfois leur dénuement [-...-] et leur irresponsabilité dans un univers à leur taille où ils jouissent du privilège d'une certaine innocence » (Planchon, 1962 : 18). Le personnage est dans la peau d'un agent de développement qui propose et participe au projet de développement des compagnons africains. Cet humaniste a accepté de vivre modestement parmi les misérables cultivateurs et éleveurs du Tchad et du Cameroun. En faisant l'analyse de ces oeuvres d'auteurs étrangers ayant séjourné sur le sol tchadien, nous avons, d'une part, cherché à savoir leur source d'inspiration et leur lieu d'édition et, d'autre part, démontrer en quoi ces textes de la première heure ont été un facteur bénéfique pour les Tchadiens qui veulent se lancer dans l'écriture.

    Ces textes coloniaux sont antérieurs à ceux des écrivains tchadiens. Cependant, il est impossible de faire un rapprochement systématique entre toutes ces oeuvres et celles produites par les Tchadiens quelques années plus tard, même s'ils ont quelquefois pu servir d'inspiration. Les personnages mis en scène ne seront plus les Blancs « bienfaiteurs », mais des Noirs qui tiennent un discours de contestation, de valorisation des cultures noires, bref une rupture thématique. Ceci se justifie par l'inscription des écrivains locaux dans des courants littéraires négro-africains au début des « soleils » des indépendances. À la faveur des concours internationaux, qui sont des facteurs d'émergence pour la littérature tchadienne, le genre de prédilection sera le théâtre et non le roman comme l'ont fait les expatriés.

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    2. Les événements littéraires à caractère historique

    Lucien Goldmann affirme dans « Introduction aux premiers écrit de Georges Lukacs » que « tout fait humain se présente à la fois comme une structure significative, compréhensible par l'analyse des relations constitutives entre les éléments qui la composent [...] et comme élément constitutif d'un certain nombre d'autres structures plus vastes qui l'embrassent et l'intègrent» (Lukacs, 1962 : 157). Ce qui veut dire que tout fait humain est dynamique et ne saurait être compris que par l'étude de sa composition et son évolution interne et par la place qu'il occupe dans un grand groupe, la société. Nous estimons que les événements historiques à visée littéraire pourront nous aider à comprendre le fait littéraire tchadien.

    2.1 Les activités des associations littéraires

    L'écrivain, comme le dit Catherine Wieder « écrit à une certaine époque, dans un certain milieu, pour un certain public. Il est soumis à un conditionnement sociologique, économique, idéologique. En même temps, un écrivain vient après et à côté d'autres écrivains» (Wieder, 1988 : 151). Les salons, par exemple contribuent à structurer le champ littéraire comme le feront en d'autres états du champ, les revues ou les éditeurs. Bourdieu parle d'imbrication profonde du champ littéraire et du champ politique « par le travers des écrivains et du salon» (Bourdieu, 1998 : 89). Une étude sociologique du fait littéraire ne peut pas à cet effet faire abstraction des événements associatifs. Au Tchad, les chercheurs ont relevé qu'il n'existe pas de grandes écoles idéologiques au sens de « regroupement d'écrivains autour d'un programme esthétique et, souvent des moyens éditoriaux.» (Aron et al. 2002 : 162). Chaque écrivain s'est fait des archétypes et s'efforce à les imiter. Si les sources d'inspiration sont semblables, disons avec Wieder, une fois de plus que « les livres se répondent les uns les autres à l'intérieur d'une histoire propre de la littérature qui s'ajoute à l'Histoire tout court» (Wieder, 1988 :151). Il existe cependant des petits regroupements de lecteurs, généralement des élèves et étudiants qu'on peut appeler salons, entendons « lieu[x] de réunion et de conversation » (ARON et al. 2002 : 539).

    Entre autres espaces d'échanges et de diffusion, il y a le RLPT, le SBL, l'ADELIT, l'UJPT, le Groupe SIL, le CEAC et l'ASET.

    Le SBL a été créé le 30 juin 1996, par un groupe ayant à sa tête Nafée Nelly Faigou, après un atelier d'écriture piloté par Koulsy Lamko. Par des séances de lectures, débats et rencontres avec les écrivains, le but de ce groupe est de promouvoir les écrivains tchadiens et

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    d'oeuvrer pour une renaissance de la littérature. L'ADELIT a été créée, autour des années 1990, par des jeunes décidés, autour de Samafou Digoulou, à travailler pour la diffusion de la

    littérature. L'UJPT est dirigée par Pafing Sobdibé Palou, et a pour devise « créer, promouvoir pour illuminer» Pour cela, elle organise des activités littéraires et des concours de poésie. Le Groupe SIL est fondé en 1994 par Patrick Kodibaye. Son objectif est de créer un cadre de production et de diffusion de littérature tchadienne. Le CEAC est créé, en 1992 par Sanodji Abiathar, dans le but de promouvoir la littérature d'inspiration biblique. Au début de tous ces groupements qui souffrent aujourd'hui de visibilité étaient le RLPT et le SBL. Nous avons sur les braises de la promotion littéraire la Compagnie Artistique « le cercle des amis » et l'ASET qui ont organisé en 2007 et 2009 deux colloques des écrivains tchadiens. En effet, les jeunes qui se sont retrouvés au SBL en 1996 pour présenter les textes des auteurs confirmés, s'échanger des manuscrits, se sont rendu compte que la vie socioprofessionnelle les a tellement occupés. Dinguemnaial, le Secrétaire de l'ASET, ancien membre du Salon, affirme à ce propos :

    On s'était rendu compte qu'il n'y a pas de temps pour se rencontrer, faire la

    lecture et l'échange de manuscrits. Cependant, ayant gardé la passion de l'écriture, on s'est dit que chacun se débrouille pour éditer. Certains d'entre nous ont édité et voilà nous avons laissé le Salon aux jeunes amateurs pour créer l'ASET. (Entretien réalisé avec Renaud Dinguemnaial le 09-08-2010 au Bureau du FAO à N'Djaména.)

    L'édition étant chère et les Tchadiens lisant peu, Dinguemnaial, conscient du fait que

    les oeuvres aux programmes d'enseignement au Tchad sont d'auteurs étrangers,

    ajoute : « Nous voulons faire ensemble pour inviter les jeunes à lire plus et faire des plaidoyers auprès des autorités administratives et éducatives pour que les oeuvres d'auteurs tchadiens soient au maximum introduites aux programmes d'enseignement. (Entretien avec R. Dinguemnaial, op. cit.). Se faire éditer est un défi pour les anciens membres du Salon, d'autant plus que Laring Bao, l'un de leurs collaborateurs a fondé les éditions Sao en 2000.

    L'ambition de l'ASET est de voir Le SBL faire la présentation des oeuvres de ses

    membres. Partager les expériences, les manuscrits, faire des plaidoyers pour la prise en compte des oeuvres produites par les écrivains tchadiens dans le programme scolaire et faire la promotion de la littérature nationale sont des objectifs nobles pour cette jeune institution littéraire. Une bonne vingtaine d'écrivains reconnus pilotent ce plan. L'ASET a un projet de

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    rédaction d'un recueil de nouvelles collectif pour la commémoration du cinquantenaire de l'indépendance du Tchad. Le club Rafigui (de l'arabe, mon ami) et le SBL sont une pépinière pour l'association. Les écrivains sont selon le Secrétaire Général de l'ASET, en train de vouloir faire savoir à l'État que construire le pays est une bonne chose. Mais construire l'État c'est aussi construire les hommes. Ceux-ci se construisent par les idées et les idées sont dans les livres : « on ne peut pas vouloir construire et oublier d'éveiller la conscience à travers la littérature» (Entretien avec Renaud Dinguemnaial. op. cit.).

    Toutes ces associations, par les séances de lecture publique, l'échange d'idées et l'organisation des concours, ont favorisé la création et la production littéraire au Tchad. Leurs membres ont eu le désir d'écrire, d'être lus et ont fait la connaissance des écrivains et des éditeurs disposés à les aider à publier leurs textes.

    Nous ne saurions conclure sans avouer que le rôle joué par les quotidiens et les périodiques n'a pas été de moindre utilité pour la publication des textes littéraires au Tchad. Les magazines et les revues ne sont pas non plus en reste. Le MALT et les revues Carrefour et Tchad et Culture réservent toujours quelques-unes de leurs colonnes à la poésie ou à la nouvelle. Plusieurs textes d'auteurs tchadiens ont paru par épisodes dans ces illustres revues. C'est le cas de Chronique tchadienne (Carrefour) et Goudangou (Tchad et Culture) de Noël Nétonon N'Djékéry.

    2.2 Les concours littéraires, représentations et prix

    La littérature est un fait social et historique qui a une existence matérielle qui peut être un objet de savoir et de mémoire. Son aspect historique ou existentiel et celui des faits créés par elle mérite une interrogation. Elle n'est pas seulement processus de création des oeuvres, comme production ou ensemble des oeuvres elles-mêmes prises comme produits, mais aussi l'activité de l'homme de lettres, du littéraire. Les concours littéraires, la représentation (ou mises en scène) et le prix sont quelques-uns de ces faits qui ont aussi leur propre histoire. Quels rapports entretiennent ces faits avec la production littéraire ? Salaka estime que les prix et les récompenses au niveau international et national stimulent la créativité littéraire.

    Pour tester la littérarité ou la compétence des jeunes auteurs, des concours littéraires sont organisés par des institutions, des associations et des instances politiques, culturelles ou littéraires tant au niveau local, national qu'international. Un ensemble de critères de sélection permet au jury de classer les candidats mis en compétition par ordre d'excellence (cela en

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    fonction des respects des normes littéraires). Les meilleurs sont primés. En même temps, certaines troupes ou groupes d'amis mettent en scène ou interprètent des textes d'auteurs (connus ou pas). Le prix littéraire est la conséquence de ces épreuves de présentation ou de représentations des oeuvres. Il est la récompense accordée aux gagnants pour le mérite ou l'excellence dans le domaine littéraire. Pour solutionner à la question du rapport entre ces faits littéraires qui relèveraient plutôt de la consécration ou de la légitimation de la littérature et la production littéraire, notre réponse est sans ambages : ils stimulent la production et la publication des oeuvres littéraires.

    Dans le cas d'espèce, nous verrons que les concours ont poussé les jeunes à la création littéraire. Beaucoup voulaient gagner des prix en nouvelle, poésie ou théâtre. La production devient dense pendant la période des concours. Les lauréats sont encouragés à faire éditer leurs textes. Des fois, les textes primés sont publiés dans un recueil collectif. La représentation et l'interprétation des pièces de théâtre produisent les mêmes effets. Les manuscrits qui gagnent l'admiration du public (ou du jury) à la mise en scène sont publiables et ne peuvent pas manquer d'avoir de financement pour leur publication. D'ailleurs, vu que la publication est « l'acte de rendre public un texte ou un objet » (Aron et al, 2002 : 48), la représentation avec succès d'une pièce devant un public assez nombreux anticipe et répond d'une manière ou d'une autre à sa finalité. Une pièce, même éditée est faite pour être mise en scène pour gagner l'admiration, l'adhésion du public, le former au sens du « castigat ridendo mores »27. L'auteur, l'éditeur, le mécène, le promoteur culturel ne tardent pas, le plus souvent, à matérialiser en support papier ou électronique le résultat de cet acte. Enfin cette distinction pousse les lauréats à perpétuer l'activité littéraire pour des fins honorifiques ou mercantiles.

    2.2.1 Les concours et prix littéraires internationaux

    Ce sont les concours littéraires au niveau international qui ont intéressé premièrement les jeunes. Le CTI et le Concours de la meilleure nouvelle de langue française, avec leurs retombées pécuniaires et la possibilité d'édition et de distribution à grande échelle, ont vu la

    27 Locution latine qui veut dire « elle corrige les moeurs en riant », devise de la comédie imaginée par le poète Santeul et donnée à l'Arlequin Dominique pour qu'il la mît sur la toile de son théâtre, devenu credo de Jean Baptiste Poquelin dit Molière, auteur dramatique français au 17e siècle).

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    participation de beaucoup de Tchadiens. Ces concours ont servi de tremplin pour une création littéraire indépendante. Tous ces textes sont publiés par des grandes maisons d'édition internationalement reconnues, cela parait flatteur.

    Au commencement était le concours de la meilleure nouvelle de la langue française de RFI. Ce concours a vu la participation de beaucoup de jeunes tchadiens. Le prix et la publication des nouvelles primées étaient des occasions ultimes pour l'émergence de la littérature d'un pays qui est resté longtemps après l'indépendance sans maison d'édition. Les nouvelles primées et éditées en France étaient diffusées sur les antennes des radios et télévisions francophones. Il est convenable de citer quelques lauréats de la décennie 70 : En 1973, Maoundoé Naindouba a produit La Double détresse (Paris, ORTF/ACCT, 1975) et a gagné le 6e prix de la meilleure nouvelle de la langue française. En 1976, Noël Nétonon N'Djékéry gagne le 5e prix du 3e concours de la meilleure nouvelle de langue française avec Les Trouvailles de Bemba (Paris, Hatier, Monde noir, poche, 1977). En 1978, La Lèpre (introuvable) de Maoundoé Naindouba arrache le 5e prix. En 1979, Baba Moustapha gagne le 2e prix du 5e concours avec La Couture de Paris, (Paris, Hatier, Monde noir, poche, 1983). Les deux décennies suivantes ont également été bénéfiques pour les tchadiens. En 1982, c'est le tour de N.N.N'Djékéry de gagner le 7e prix avec La Descente aux enfers (Paris, Hatier, Monde Noir, Poche, 1982). En 1984, La Carte du parti de N.N.N'Djékéry gagne le 6e prix du 8e concours. Parallèlement, B. Moustapha gagne le 1er prix des Jeux Floraux de Touraine avec Sortilèges dans les ténèbres (1980, introuvable). En 1985, Djékorédom Nabam Koopa est lauréat du concours « Dialogue des générations » organisé par l'ACCT. En marge de ce concours, Epître posthume est classée nouvelle finaliste au concours « Les inédits 94 » de RFI/ACCT au compte de Djédouboum Sadoum en 1994. En 1996, Samafou Diguilou Bondong a eu le prix international de la littérature « Goccia di Luna » à la Spezia en Italie.

    Le concours au niveau international est dominé par le CTI de RFI. En 1978, L'Etudiant de Soweto (Paris, Hatier, Monde Noir, Poche, 1981) de M. Naindouba a eu le Grand prix du 9e CTI. En 1984, c'est Illusions (Paris, RFI, 1984) qui est primée et diffusée sur les antennes dans le cadre de l'émission : première chance sur les ondes. Elle est la signature de Nocky Djédanoum. En 1987, Le Camp tend la Sébile de Koulsy Lamko, (Paris, Lansman, 1993) est sélectionnée au 15e concours. En 1989, Ndo Kela ou l'initiation avortée de Koulsy est primée. En 1993, c'est Makarie aux épines de B. Moustapha (Yaoundé, Clé, 1989) qui obtient le Grand Prix du 6e concours. Mon fils de mon frère et La Ziggourat de

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    Babel sont sélectionnées respectivement au 17e et 18e concours, signés de Koulsy Lamko. Kaltouma et Mbang Gaourang, le roi du Baguirmi de Palou Bebnoné et Le Commandant Chaka de B. Moustapha ont été produits dans le cadre de ce concours de théâtre.

    En dehors du CTI, Vangdar Dorsouma Ismaël a gagné en 1993 et 1997, le 2e prix du concours du Monde rural pour la pièce La Solitude est un fardeau et le 2e prix du « Lotus d'argent » lors du Sommet de la Francophonie au Cambodge, pour la pièce intitulée : Abrasse-Afine ou la confidence. En 1998, La Malédiction est sortie finaliste du concours « découverte » RFI-Théâtre-Sud 98 » sous la signature de Ouaga Balle Danaï;

    La poésie est fille pauvre des concours internationaux : en 1985, Djimtola Nelli est lauréat du 3e Festival International de la jeune poésie africaine (FETIPO) à Grand-Bassam. La même année, Sauve ton peuple de Ali Abdel Rhamane Haggar, pièce censurée à N'Djaména sera représentée à Bangui en Centrafrique. En 1992, Dinguemnaial Renaud est lauréat du Concours de poésie de la ville de Garoua.

    2.2.2 Les concours et prix littéraires nationaux

    Au Tchad, il existait un prix national de poésie par voie de concours. En 1989, Samafou Diguilou Bondong a été lauréat. Dès lors, il est oublié, et c'est peut-être à cause des troubles dus au changement de régime l'année suivante. Le centre Dombao de Moundou organise des concours littéraires et imprime quelquefois à l'ex-imprimerie de Koutou les textes des lauréats. Bégoto Boydi Clément a, en 1990 gagné le premier prix de théâtre avec sa pièce intitulée Manu ou la vie d'un élève. Il gagne le 3e Prix de théâtre en 1992 avec Le retraité, le 1er Prix de la poésie avec Madame la guerre en 1993 et le 2e Prix en 1995 avec Le destin tragique. Djikoloum Nang en 1990 a vu son poème "Tchad mon pays" primé lors du concours littéraire organisé par ce centre. La même année, au même centre, Mahamat Djeddid Ahmat fut primé pour ses poèmes. En 1992, Les parias de Mbaïdam Boguy eurent le premier prix d'écriture théâtrale lors d'un concours organisé par le centre Dombao.

    À N'Djaména, en plus de la semaine du livre qui se veut nationale,28 il y a le RLPT, l'ADELIT et le CCF qui s'efforcent, bon gré mal gré, à l'organisation des concours et la

    28Hourmadji Moussa Doumgor, par exemple, a été lauréat de cette manifestation en 1996 avec deux nouvelles.

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    publication en collectif des oeuvres primées. Parlant du RLPT, Faigou Nafée Nelly a été en 1996, lauréate du Grand Prix de la nouvelle. En 1997, Le Choix de Kadji d'Elkatib Abdou a été retenu et publiée dans un recueil collectif des concours du Réseau. L'ADELIT a toujours organisé des concours de poésie, de nouvelle et de théâtre : en 1992 Kodibaye Patrick a été lauréat du concours théâtral avec Ceux qui n'ont droit qu'à l'enfer. L'année suivante, c'est Saleh Adoum Nguérébaye qui l'emporte avec sa pièce Triple coup au Pari-vente. Une année après, Djérareou Mekoulnodji Priscille est primée pour sa nouvelle intitulée Mission inachevée. Le CCF, en plus de la mise de sa riche médiathèque à la disposition de la jeunesse tchadienne et de l'organisation assez régulière des ateliers de lecture et d'écriture, fait également dans le concours et la publication des meilleurs textes. Avec un programme dénommé « La fureur de lire », il a consigné un nombre important de textes dans des documents collectifs imprimés. En 1993, la nouvelle intitulée L'Enfant rebelle de Palouma Zilhoubé a été primée lors de « La fureur de lire » et publiée dans un ouvrage collectif intitulé Nouvelles du Tchad, la même année. Lors de ce concours, Djékorédom Nabam Koopa a gagné le 2e prix avec La Porte bleue (nouvelle). El Katib Abdou est aussi auteur de nouvelles inédites primées par le CCF lors de ce concours littéraire (parmi lesquelles Le Bonheur chez soi, primée et publiée dans l'ouvrage collectif). En 1994, Djédouboum Sadoum, l'auteur de la nouvelle Épitre Posthume est lauréat du concours organisé dans le cadre de cette manifestation intitulée « la fureur de lire » au CCF avec L'Appel du tam-tam. Cette nouvelle fut publiée la même année dans l'ouvrage collectif Nouvelle du Tchad.

    Il est clair que les concours, représentations et prix littéraires participent de la production et de la publication des oeuvres reconnues et appréciées favorablement. En plus des instances culturelles ci-haut nommées, il faut invoquer les revues (Rafigui, Carrefour et Tchad et Culture) qui publient des nouvelles et des poèmes presque régulièrement dans leurs colonnes réservées à la littérature. Les associations littéraires, les lycées et collèges organisent de temps en temps des concours dont les textes des lauréats ne sont pas nécessairement publiés. C'est pour cette raison qu'ils ont été délaissés dans cette étude au profit de ceux qui ont participé au « reverdissement » du paysage littéraire.

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    2.2.3 La mise en scène et prix sur le plan international

    En 1995, La Malédiction d'Ouaga Bale Danaï est jouée par la troupe de l'Université de Bouaké dans le cadre de la 12e édition du Festival du théâtre scolaire et universitaire de Côte d'Ivoire, à Yamoussoukro. La même année, l'auteur de La malédiction obtient le prix de la mise en scène lors du 12e Festival National de la Côte dIvoire avec L'Enfant de Frica. En 1997, Illusions de Nocky Djédanoum est représentée par Logone-Chari-Théâtre, au MASA d'Abidjan et est retenue pour la participation de la troupe au Fest'Africa de Lille. En 1997, Samafou Diguilou Bondong reçoit le Prix Rencontres « Iles des poètes » à Sainte-Geneviève des Bois, et le 16e Grand Prix International de la société des amis de la poésie à Bergerac, puis le 3e prix de poésie libre du concours international de Wallonie. En 1999, c'est le tour de Nimrod d'accepter le Prix Louise Labé des gens de lettres à paris (06 décembre).

    2.3 Les sources d'inspiration

    Les contextes de production de la littérature tchadienne écrite d'expression française ont inspiré les auteurs et se laissent d'ailleurs lire à travers leurs oeuvres. Le contexte est l'ensemble des circonstances, des événements qui se passent au moment de la production des oeuvres. Ils sont généralement un fait « marquant » qui transparaît en thème dans l'oeuvre littéraire. La guerre, la critique des systèmes politique, des traditions, des pratiques et des moeurs, la rencontre avec les autres cultures, la pandémie du Sida, etc. sont des événements marquants qui transparaissent dans les oeuvres de fiction au Tchad.

    La guerre est liée à l'histoire politique du pays. Après un demi-siècle d'indépendance et de succession de régimes, on constate que sur les six présidents, en dehors de Tombalbaye et de Lol qui sont venus au pouvoir, l'un par les urnes et l'autre par consensus, les autres sont venus par la violence. Cette violence a affecté la population et est décriée dans beaucoup d'oeuvres littéraires. Ce contexte de guerre et de dictature a inspiré Nimrod, Mougnan et Nébardoum. La dernière partie du 5e chapitre de la présente thèse traite du cri de désespoir suivi de l'appel à la paix, à l'unité et à la démocratie lancé par ces auteurs. La guerre civile est une source d'inspiration chez N'Djékéry et Nimrod. La descente aux enfers de N.N.N'Djékéry s'inspire de la guerre civile de 1979. Le texte fait implicitement mention : « le chant de la mort, le lugubre chant dont les ndjamenois (sic) connaissaient tous les couplets, animait le ballet aérien des projectiles sans discontinuer» (N'Djékéry, 1984 :5). Bourdette-Donon pour résumer l'oeuvre déclare que c'est la peinture de la « chute sociale et morale d'un petit commerçant qui perd peu à peu ses biens, son épouse et sa vie » (Bourdette-Donon,

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    2003 : 224). Les Jambes d'Alice de Nimrod s'inscrit dans le cadre de la fuite devant cette guerre civile. La description est, on ne peut plus clair, dans ce roman. Fuyant la guerre, le professeur de français suit Alice. Cependant, « la fuite de N'Djaména donne lieu à une quête amoureuse qui ne laisse que très peu de place à la guerre (la réalité), véritable raison de la fuite» (Taboye, 2003 : 197). Un autre aspect de la guerre à relever est le génocide. La Phalène de collines de Koulsy Lamko s'inspire du génocide rwandais de 1994. Il a écrit par « devoir de mémoire», « pour honorer son engagement au Rwanda » reconnaît Taboye (Taboye, in Continental n° 89, février 2010 : 93).

    La critique des systèmes politiques, résultante d'une mauvaise gestion se lit dans les oeuvres autobiographiques d'Antoine Bangui, N'Gangbet Kosnaye, Ahmet Kotoko, etc., « font part des usages politiques et des valeurs d'une société à une époque donnée, retracent les traumatismes du Moi, lequel est l'expression directe de l'auteur et des fais (sic) réels» (Asguet Mah, 2007 :3). À sa manière, Taboye déclare à cet effet que les oeuvres autobiographiques tchadiennes laissent entrevoir les imperfections politiques : « aucun auteur tchadien n'a écrit une autobiographie dénuée de tout sens politique» (Taboye, 2003 :11). À la période des concours théâtraux, les écrivains ont été intéressés par des phénomènes à caractère international comme le système politique raciste de l'apartheid en Afrique du Sud. Maoundoé Naindouba avec L'Étudiant de Soweto dénonce ce système politique.

    La dictature est inspiratrice. Les dramaturges, ne pouvant pas « désigner le chat par son nom » en pleine dictature mettent en scène des rois exceptionnels. Le Commandant Chaka de B. Moustapha est une réécriture de l'histoire de Chaka, un chef guerrier qui a combattu pour la libération de l'Afrique. L'auteur présente une époque et un chef, au Tchad « où se cachent, comme dans toutes les révolutions, des personnages incultes, opportunistes ou tout simplement mal intentionnés» (Taboye, 2003 :34). Goudangou de N. N.N'Djékéry est l'histoire récente du Tchad, de l'Afrique. Le sous-titre en dit plus : « ou les vicissitudes du pouvoir ». Taboye fait un rapprochement entre la pièce et un fait réel : « les personnages de Goudangou, de Madina et le complot du mouton noir font penser au complot ourdi par Tombalbaye contre Kaltouma Nguembang sous le régime du Mouvement National pour la Révolution Culturelle et Sociale» (Taboye, 2003 : 48). P. Bebnoné, comme B. Moustapha, réécrit l'histoire de Mbang Gaourang. Son souci, en ce temps de dictature est de présenter un roi modèle, juste, démocrate. Taboye trouve que : « le personnage du roi apparaît, dans cette pièce, rassurant. Il n'est ni excentrique, ni extravagant. Il est hors des clichés, capable de

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    pardon et de patriotisme » (Taboye, 2003 : 46). Un tel roi est une création de Bebnoné, sa volonté de « démocratiser » ou disons mieux, moraliser en tournant en dérision les premiers dirigeants charismatiques et intransigeants. Pendant le règne dictatorial, les militaires ont cette liberté de violer éperdument les droits de l'Homme. En écrivant Aubade des coqs, Nocky reconnaît qu'il s'est inspiré de la souffrance de ceux qui labourent le coton au Sud du pays. Ceux-ci sont maltraités par les militaires. Pour Bourdette-Donon, « il engendre dans sa ronde verbale les libertés politiques, sexuelles et langagières et dénonce l'exploitation des paysans engendrée par la culture du coton importé par les colons» (Bourdette-Donon, 203 :106).

    La tradition a inspiré Koulsy Lamko. Celui-ci estime qu'elle a des valeurs désuètes. C'est pour cela que Ndo Kela est une contestation. Pour lui, le texte doit « s'enraciner dans un contenant fort tiré des traditions africaines » (Koulsy, in Carrefour, n° 18, 2003 : 5).

    Les auteurs tchadiens estiment qu'après l'indépendance, il y a des comportements claniques et réfractaires. Les bipolarismes ethniques et religieux leur servent de sources d'inspiration. Le fait accompli que Nocky nous propose dans Illusions est le fruit d'un constat. Les Tchadiens sont divisés en Nordistes et Sudistes29, Chrétiens et Musulmans. Le mariage clivé est presque impossible à cause des confessions religieuses différentes. Le dramaturge appelle à l'unité, dans cette pièce, par ce genre de mariage. Le Souffle de l'harmattan de Moustapha et Al-Istifack de. Koundja sont observation et critique de cette

    division. Imbus de nationalisme, ceux-ci veulent prôner l'unité dans le mariage
    interconfessionnel et interethnique. La production de ces dernières années introduit la lutte contre le sida au centre des débats. Dans Comme des Flèches, c'est le sida qui inspire Koulsy.

    L'impossibilité de faire un classement systématique des sources d'inspiration réside dans le fait que l'auteur peut s'inspirer de son séjour dans un milieu étranger comme l'a fait Ali Abdel-Rhamane Haggar30 ou d'un fait anodin comme une dispute pour écrire comme l'a fait B. Moustapha.31 En somme, une condition peut pousser l'écrivain à s'inspirer d'un élément qui n'a pas de rapport avec le contexte de production. Celle-ci peut ne pas être connue et comprise par le critique.

    29Pour parler des ressortissants du Nord et du Sud

    30 Haggar s'inspire de son temps d'études en Russie pour engager une trilogie. Dans sa quête de savoir et d'espoir (Le Mendiant de l'espoir -1998-), Youssouf se rend compte que son rêve est démesuré (Le Prix du rêve -2003-) et se lance dans une quête d'humanisme quand les Tchadiens s'entretuent à Hadjer Marfa-ine (2008)

    31 B. Moustapha, dans La couture de Paris part d'une dispute entre deux couturiers au marché à mil, à N'Djaména et une fille éprise de mode pour critiquer l'imitation servile des valeurs occidentales.

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    3. Le niveau intellectuel et distinctions des écrivains

    Le niveau intellectuel est compris dans le sens de niveau d'instruction (Baccalauréat, études supérieures, études littéraires), ce qui pourrait être selon Salaka « un gage de qualité de [leurs] productions littéraires, du fait non seulement de la maîtrise de la langue mais aussi de la connaissance et de l'étude des genres littéraires » (Salaka, 2003 : 66). Le problème de langue est crucial pour une sociologie authentique de la culture dans la mesure où la corrélation entre le social et le littéraire s'établit à travers une activité linguistique. Le style et le niveau de langue en usage pour l'écriture d'un traité, d'une thèse, d'un roman ou d'une correspondance ne sont jamais les mêmes. Ils trahissent l'identité, le niveau et la position de celui qui écrit dans le champ. C'est pour cela que la non-maîtrise ou l'analphabétisme en une langue officielle ou d'écriture constitue à la fois un problème sociologique et institutionnel. L'étude biographique permet selon Salaka (2006) de mesurer ce qui a fait le succès de l'écrivain. Cette étude qui s'étend sur les dramaturges, les romanciers, les nouvellistes, les autobiographes et les poètes nous permettra également d'évaluer la qualité des textes d'auteurs tchadiens. La distinction est une conséquence de la maîtrise de la langue d'écriture et des formes littéraires en vogue ou en compétition. Par ailleurs cette logique n'est pas formelle. Dans le domaine littéraire, l'écrivain autodidacte peut produire, comme l'a fait Ousmane Sembene, des oeuvres sans pareilles.

    3.1 Les dramaturges : niveau intellectuel, distinctions diverses et enjeu littéraire

    Le classement établi par les enquêtés (Annexe 1 : question 16) est une ligne de force pour l'étude du niveau intellectuel des dramaturges de renom et de leurs diverses distinctions. En effet, le résultat de l'enquête donne six grandes figures du Théâtre tchadien qui ont, en dehors de l'administrateur civil Moustapha, l'informaticien N'Djékéry et le journaliste Nocky, ont, chacun un diplôme supérieur orienté en enseignement littéraire. Maoundoé, Koulsy et Bebnoné sont des enseignants.

    Maoundoé Naindouba, cité en premier lieu par sa popularité, la visibilité et la disponibilité de ses textes est né en 1948 au Sud du Tchad. Après le CEPE en 1962 à Bénoye et le BEPC en 1968 à Moundou, il obtient le Baccalauréat littéraire en 1970 et entre à l'ENSAC de Brazzaville d'où il sort en 1972 avec un CAPCEG), option : histoire-géographie-français. Major de sa promotion, il est admis à la section des professeurs des lycées et collèges. Ce background intellectuel lui a permis de commettre prodigieusement L'Étudiant

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    de Soweto. Avec cette pièce, il a connu en Afrique et en Europe une popularité incontestable. Elle a été primée au 9e CTI. Ces deux nouvelles La Détresse et La Lèpre ont été également retenues aux 2e et 4e Concours de la Meilleure Nouvelle de langue française. Ces distinctions ont flatté les futurs producteurs. Baba Moustapha est né en 1952. Après les études primaires et secondaires à Bogo et à N'Djaména, il obtient le diplôme de l'ENA de N'Djaména en 1975. Baba Moustapha meurt tout jeune en France où il suit des cours de droit. Il a, avec Makarie aux épines, eu le grand prix du CTI en 1973. Le Commandant Chaka a reçu le prix spécial du 11e CTI en 1983. Sa formation, sa profession et ses prix le rendent incontestable. Koulsy Lamko, né en 1959 à Dadouar est titulaire d'un DEA en Textes et langage, d'un Certificat d'Entrepreneur Culturel et d'un Doctorat en dramaturgie. Ce conteur-poète, romancier et comédien-nouvelliste est enseignant-chercheur et entrepreneur cultuel. Tous ces diplômes et spécialités littéraires l'auraient prédisposé à cette carrière littéraire prometteuse. Palou Bebnoné est animateur culturel et professeur de lycées et homme de lettres. Ses pièces, La Dot (1962), Kaltouma (1965) et Mbang-Gaourang (1974) ont été produites pour le CTI organisé par la RFI. Elles restent jusque-là, parce que non publiées, la propriété de celle-ci. Décédé en 1979 à Bongor, Palou n'a pas eu des distinctions remarquables dans le domaine littéraire. Mais à travers ses oeuvres théâtrales, se laisse lire la volonté de former et de moraliser, liée à ses activités professionnelles ci-haut citées. Nocky Djédanoum, journaliste de formation né à Gounou-Gaya en 1959, est depuis 1994 directeur artistique du festival Fest'Africa qui a connu un succès sans pareil à N'Djaména en 2005 (Fest'Africa sous les étoiles). Cet événement a donné une distinction particulière à l'enfant du pays qui a réussi loin des siens et qui est revenu organiser une fête qui regroupe une centaine d'écrivains, des journalistes et des hommes de culture pour découvrir le Tchad. Nocky a écrit Illusions pour le CTI. Par sa formation journalistique et d'animateur artistique, il est « disposé » à des actions pour la formation de masse comme il le fait maintenant. Ses voyages professionnels sont aménagés par l'écriture des textes littéraire et journalistiques. Le journaliste est un interrogateur de conscience, un moralisateur. N'Djékéry est un mathématicien qui a suivi une formation en informatique. Cet originaire de Moundou, né en 1956, traite dans toutes ces pièces le thème du pouvoir. Il n'est entouré que des prix littéraires. La nouvelle lui a fait gagner plus de cinq prix de la meilleure nouvelle de la langue française. Vu que « la descente aux enfers » constitue un thème de prédilection de la littérature négro-africaine et que ce jeune tchadien en a fait le titre d'une nouvelle si attrayante et engagée contre les guerres civiles qui

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    ont des conséquences néfastes sur les populations africaines, il ne peut qu'être populaire. Après le grand prix du 7e concours de la meilleure nouvelle de langue française, La Descente aux enfers a été diffusée sur des ondes des radios francophones d'Afrique. N'Djékéry est un écrivain à la quête de son identité à Lausanne loin de son Moundou natal. Il est le prototype de ceux qui arrivent à l'écriture par passion et non après une formation littéraire.

    Au niveau national, il y a des dramaturges qui ont des niveaux intellectuels convenables et des distinctions sur le plan politique et littéraire.

    Dans le domaine culturel, il y a les comédiens, animateur, journalistes comme Abaye, Garandi, Boydi, et Nguérébaye qui ont soit le Baccalauréat soit un diplôme professionnel. Abakar Adoum Abaye a fini ses études secondaires avant de se consacrer à la comédie. Ses pièces sont représentées dans plusieurs villes du pays. Dahwé Garandi après son baccalauréat s'est engagé comme animateur et entrepreneur culturel. Bégoto Boydi Clément a effectué des études littéraires avant de suivre une formation en communication au Centre Diocésain Audiovisuel pour l'Éducation. Saleh Adoum Nguérébaye a, après ses études secondaires, a suivi de stages en Allemagne où il a obtenu un diplôme d'animateur et un certificat de langue allemande, à l'Institut de langue de Dortmund. Au Tchad, il a eu de promotions dans les domaines journalistique et politique. En littérature, il obtient en1993, le Grand Prix de théâtre de l'ADELIT. Il a concouru en 1994 et 1996 au festival international de théâtre pour le développement, à Ouagadougou. Il est acteur des deux premiers films de fiction tchadien : Maral Tanié de Mahamat Saleh Haroun et Un taxi pour Aouzou de Serge Issa Coelo. Il a gagné plusieurs prix littéraires au centre Dombao de Moundou.

    Dans le domaine de l'enseignement, il y a Kodidjé, Kari, et Haggar. Djimadoum Kotidjé est scolarisé à Sarh. Après un baccalauréat au lycée Félix Eboué, il obtient en 1987 une licence de lettres. La carrière enseignante est sa passion, la défense des droits de l'Homme, son devoir. Cette passion il l'a partagé avec Djimet Kari et Ali Abdel-Rhamane Haggar qui, l'un détenteur d'une maîtrise ès lettres, préparée à Orléans en France et l'autre titulaire d'un PH/D d'économie obtenu à Leningrad en Russie, ménagent un peu de leur temps d'enseignement pour lutter en faveur de la non-violence. Ce dernier est citoyen d'honneur de l'État d'Oklahoma au (USA). Ali Adel-Rhamane espère en la jeunesse et s'efforce pour sa formation. Sa distinction est plus visible sur le plan politique que littéraire. N. M. Priscille est quant à elle titulaire d'une maîtrise de linguistique. Elle est très appréciée, à en croire Bourdette-Donon, dans le milieu protestant. En littérature elle a eu comme distinction un prix

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    ADELIT en 1994, pour sa nouvelle intitulée Mission inachevée. Elle se distingue par la lutte contre la violence et propose à cet effet Pour un pas vers la non-violence au Tchad (1997). Elle est également du côté de ceux qui souffrent et des handicapés.

    Dans le domaine de l'édition, il y a Bao et Samafou. Laring Baou est un homme d'une grande culture. Après quelques années d'embauche à la l'IDT, il crée sa propre maison d'édition en 1999. Actuellement les éditions Sao sont l'unique maison d'édition spécialisée en littérature au Tchad. Laring occupe une place de choix dans le monde littéraire tchadien. Les jeunes écrivains le considèrent comme conseiller. Samafou, responsable du service de l'édition de l'ADELIT a eu le prix national de la meilleure poésie d'expression française en 1989; le prix international de littérature en Italie en 1996 ; le prix Rencontres, à Sainte Geneviève des Bois en 1997, le 16e grand prix international de la société des amis de la poésie en 1997, le troisième prix de poésie libre etc. Ainsi entouré de distinctions, Samafou est visible dans le monde littéraire sans être beaucoup lu.

    L'étude de ses auteurs nous a permis de savoir que la formation de ceux-ci en science humaine et surtout en littérature a guidé leur projet d'écriture et leur succès littéraire.

    3.2 Les autobiographes et nouvellistes : niveau intellectuel et distinctions diverses

    : enjeu littéraire

    3.2.1 Les autobiographes : niveau intellectuel, distinctions diverses et enjeu littéraire

    La classification faite par les enquêtés (annexe 1, question 18) présente un docteur en linguistique, deux juristes, un économiste et un infirmier. Zakaria Fadoul Khidir a effectué des études supérieures à Kinshasa, Dakar et à Paris où il sort docteur de troisième cycle en linguistique. Il est victime de la dictature de l'ex-président Habré. Antoine Bangui obtient le baccalauréat en 1954 et entre à la faculté des sciences de Grenoble, rompt les études et s'inscrit à l'Ecole Normale d'instituteur de Caen. Mahamat Hassan Abakar, après son diplôme d'instituteur bilingue, obtient une licence à Damas en Syrie et un DEA en droit pénal à Paris en France en 1982. Il rentre au pays avec un diplôme de l'Ecole Nationale de Magistrature et consacre le reste de sa vie à la défense de droits de l'Homme, après avoir occupé des hauts postes politiques sous le règne de Déby. Michel N'Gangbet Kosnaye est diplômé en sciences économiques et politiques. Ahmed Kotoko a effectué des études au Tchad, au Cameroun et en France. Il a un diplôme d'infirmier-préparateur. Il est décoré de la médaille de la Résistance française en 1945 et de la légion d'honneur en 1960.

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    3.2.2 Les nouvellistes : niveau intellectuel, distinctions diverses et enjeu littéraire

    N'Djékéry, Moustapha, Koulsy et Maoundoé, les quatre nouvellistes de renom (annexe 1 question 19) et ceux dont les oeuvres sont imprimées au niveau local et introuvables, Abakar Adam Abaye, Djimet Kari, Saleh Adoum Nguérébaye et Samafou Diguilou Bondong ont fait l'objet d'une étude dans la première partie de ce chapitre réservée aux dramaturges. Les autres sont détenteurs au moins d'un diplôme universitaire après le baccalauréat en anglais, économie, droit, littérature, journalisme, bureautique et pétrochimie, etc. Ceci est suffisant pour la maîtrise de la langue française et des genres littéraires. Dinguemnaial Renaud a entamé ses études secondaires à Garoua pour les terminer à N'Djaména où il prépare une licence en anglais. Il est lauréat du concours de la poésie de la ville de Garoua en 1992. Djikoloum, lui, s'est distingué par L'appel du tam-tam, primée au concours organisé dans le cadre de « fureur de lire » publiée dans Nouvelles du Tchad en 1994. Il est également finaliste de « les inédits 94 » de RFI avec Épitre Posthume parue dans l'Encrier Renversé, Paris, 1994). Djékorédom Nabam Koopa a un DEUG en gestion et techniques économiques quand il a produit son oeuvre. Il a suivi de formations en programmation, télé-information et en contrôle de gestion assisté par l'ordinateur à N'Djaména et à Paris. Il a été lauréat du concours « dialogue des générations » de l'ACCT en 1985. Il est aussi lauréat du prix du concours organisé par le CCF en 1993, dans le cadre de « la fureur de lire ». Djimong Kodibaye Frank a préparé une licence en droit et techniques juridiques à l'université de N'Djaména. El Katib Abdou a un BTS de production pétrolière à l'Institut de Pétrole de Bagdad. Il a été également primé en 1993 par le CCF pour Le Bonheur chez soi. La première femme nouvelliste, Nafée Nelly Faigou est titulaire d'une maîtrise sur le théâtre africain contemporain. Elle a eu le Grand Prix de la nouvelle organisé par le RLPT en 1996. Elle animait en ce temps le SBL. Hourmadji Moussa Doumgor, diplômé de l'École Supérieure Internationale de Journalisme de Yaoundé, a à son compte une nouvelle primée lors de la semaine du livre en 1996 : Le Devoir d'aîné de la famille. Kodibaye Patrick, titulaire une licence en droit et techniques juridiques obtenue à l'université de N'Djaména, a participé à l'atelier d'écriture de l'ADELIT, en 1992 avec Ceux qui n'ont droit qu'à l'enfer. Palouma Zilhoubé, la deuxième nouvelliste femme de la liste est assistante de direction. Sa nouvelle L'Enfant rebelle a été primée lors de la « la fureur de lire » en 1993 et publiée l'année suivante dans Nouvelles du Tchad (N'Djaména, PACT, 1994). Vangdar Dorsouma, enfin, est connu pour sa détermination à défendre les droits de l'Homme.

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    3.3 Les poètes : niveau intellectuel, distinctions diverses et enjeu littéraire

    L'enquête donne une liste de quatre poètes de renom (annexe 1, question 20). Il s'agit de deux enseignants-chercheurs, philosophe et dramaturge et de deux politologues de formation. Nimrod est auteur d'une thèse de doctorat en philosophie soutenue en France en 1996. Il a obtenu en 1989, le prix de la Vocation pour son recueil de poèmes intitulé Pierre, poussière (Paris, Obsidiane, Sens, 1989). Il est rédacteur en chef d'une revue semestrielle, artistique, philosophique et littéraire dénommée Aleph Beth en France. Ceci est une distinction qui mérite d'être signalée. Les deux dernières décennies du 20e siècle sont ses années d'inspiration littéraire : un roman, trois recueils de poèmes, un essai et une vingtaine d'articles parus dans des revues spécialisées en France. Koulsy Lamko, fils d'instituteur, a vu ses études secondaires interrompues par la guerre civile de 1979. Sur le chemin de l'exil, il a eu son baccalauréat au Burkina-Faso où il amorça des études supérieures. Il obtint en 1988 une maîtrise de lettres à Ouagadougou. Il est titulaire d'un certificat d'entrepreneur culturel puis d'un doctorat sur l'émergence d'un théâtre de la participation en Afrique noire francophone. L'homme le plus riche en titres au sein de la littérature tchadienne des années 1990, il est comblé distinctions. Après la bourse de la Fondation Beaumarchais qu'il obtient en 1993, pour une résidence d'écriture à Limoges, son talent n'est pas à contester. Il participe à plusieurs festivals et décroche autant de prix : prix Rfi-Théâtre en 1989, prix du concours "Afrique trente ans d'indépendance" en 1990, prix Unicef Musée en 1992, etc. Si Koulsy a un doctorat sur les nouvelles esthétiques théâtrales en Afrique noire francophone, il s'affirme aussi comme griot par la poésie, la musique et le cinéma et compte parmi les novateurs. Malgré ses nombreuses activités, Koulsy a été membre du jury du CTI de RFI en 1994, ainsi que membre du jury des 3es jeux de la francophonie de Madagascar. Bourdette-Donon analysant ce qui fait la particularité de Koulsy, affirme en ces termes : « Tout le mérite de Koulsy consiste à être parvenu à partir des scènes privées, à porter l'art sur le terrain de l' action politique en relatant l'agonie, entrecoupée de cris, de douleur et de révolte, d'un peuple dressé contre la cruauté et la corruption» (Bourdette-Donon 2000 : 128). Koulsy, dans ce cas, lutte comme Mougnan et Nébardoum contre le silence, l'indifférence et appelle à la justice, la lucidité et à l'engagement. Ceci, il l'exprime lors de son passage à N'Djaména en 1998 : « Il y a une indifférence à se boucher l'oreille, une honte à se fermer les yeux, un crime à se taire.» (Benadji, in Malt, n° 005, 1998 : 7). N'Djékornondé Moise Mougnan, fils d'André Mougnan, homme politique mort dans les geôles de Tombalbaye, est un politologue et

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    journaliste de formation qui a lutté pour le panafricanisme et les droits de l'Homme. Son premier recueil de poèmes, interdit au Tchad sous Habré, est enseigné en République démocratique du Congo, aux USA et à Haïti. Ces textes sont, selon Bourdette, une révolte contre l'injustice : « Ces poèmes vont de l'hommage à Sankara, au salut adressé à Mandela en passant par la dénonciation de l'oppression des femmes ou le rejet des dictatures. Ils crient la douleur tenace de l'exil, exaltent l'encre et la plume, les outils et les mots du poète pour rappeler le sang versé sur tout le continent» (Bourdette-Donon, 2003 : 230). Après les études secondaires débutées au Lycée Félix Éboué à N'Djaména et achevées à Libreville, Mougnan poursuit ses études supérieures au Canada. Cette ouverture sur le monde anglophone est rendu possible grâce à un séjour d'apprentissage de la langue de Shakespeare au Nigeria. La popularité de Mougnan réside dans sa volonté, depuis le Canada, de faire l'éloge des grandes figures qui ont combattu l'injustice, le racisme, la guerre et le sous-développement. À eux, il dédie Des Mots à dire, son livre écrit contre la dictature et l'oppression. En plus de la littérature, la lutte associative pour la liberté, l'égalité et les droits de l'Homme est un pan de la philosophie politique de Mougnan. Nébardoum Derlemari Abdias a achevé ses études secondaires, interrompues par la guerre civile de 1979, à N'Djaména, au Togo. Là il suit des études de droit et s'oriente en Sciences Politiques et Administration Publique, formation qu'il achèvera plus tard au Canada. Politologue diplômé des sciences sociales, ce chercheur s'intéresse à la «diplomatie de population» en Relation Internationale au détriment de la «diplomatie d'État». Comme Mougnan, il s'intéresse dans ses écrits à l'Afrique et particulièrement au Tchad et rêve voir une Afrique dépourvue de disputes et de clivages. Il est un poète de développement. Au Tchad, il est moins connu, mais les critiques littéraires font de lui une figure de la lutte non armée contre l'oppression et l'injustice. Sa poésie est pour Bourdette-Donon « un acte de connaissance et d'éclaircissement politique qui propulse l'image phare du poète prophète» (Bourdette-Donon, 2003 :236). Nébardoum de son «là-bas» se voit obligé de dire l'«ici» et cela gagne l'admiration de Bourdette. Pour ce dernier, « tous les textes se nourrissent de l'absence et de ce qui hante l'artiste, de la libération de paroles refoulées ou réprimées pour faire de la poésie le noeud dramatique du poète à son histoire personnelle comme à l'autre, la grande, l'Histoire» (Bourdette-Donon, 2000 : 100). A. Taboye avoue également que l'engagement du poète est incontestable dans la mesure où il dénonce les catastrophes du pays. Il ajoute que le poète ne fait pas que dénoncer, mais accuse et crie. Car son espoir réside dans l'écriture du cri

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    qui est : « l'expression la plus immédiate de la douleur et la plus accessible à tout le monde» (Taboye, 2003 : 290). Nocky Djédanoum est connu comme journaliste de formation, fondateur du Festival Fest'Africa. Sa popularité tient de l'organisation et de la réalisation du «Fest'Africa sous les étoiles». Ce festival qui a eu lieu à N'Djaména a réuni en 2005 des éminentes personnalités de la littérature, de l'art et de la presse. Avant cela, son oeuvre intitulée Illusions, primée en 1984, a été diffusée sur les ondes de la Radio France Internationale dans le cadre de l'émission « premières chance sur les ondes». En 1997, sa pièce L'Aubade des coqs a été représentée par le Logone-Chari Théâtre au MASA d'Abidjan et est retenue par cette troupe pour participer, la même année, au Fest'Africa de Lille.

    Au niveau local, la poésie est produite par des intellectuels pas des moindres. Mais il serait tôt de parler de distinction littéraire pour ces jeunes poètes en quête d'éditeurs. Amine Idriss Adoum est licencié en Histoire et archéologie et titulaire d'un diplôme supérieur de Management. Djikoloum Nang a été rendu populaire après Tchad mon pays, recueil de poèmes primé, publié et diffusé par le Centre Dombao de Moundou. Mahamat Djeddid Ahmat a eu une licence à la faculté de lettres, à l'université de N'Djaména, en 1996 et a obtenu un diplôme de l'ENA option : diplomatie, en 1997. Il a été primé en 1990 par le centre Dombao de Moundou pour l'ensemble de ses poèmes. Mbaïdam Boguy a les mêmes diplômes que Djeddid, ci-haut cité. Sa poésie est rendue publique grâce au journal N'Djaména-Hebdo.

    Dans ce chapitre, nous avons démontré que les expatriés, par leurs productions littéraires, ont posé les jalons de la littérature tchadienne écrite d'expression française. Les concours, représentations et prix au niveau international ont participé à la popularité des auteurs. Six associations littéraires et quelques centres culturels ont soutenu des activités littéraires. Il a aussi été question de dévoiler quelques sources d'inspiration qui sont motivées par des événements sociopolitiques. Le niveau intellectuel des écrivains tchadiens est appréciable, car la grande majorité des écrivains ont au moins le Baccalauréat, une formation universitaire ou équivalente. La plupart d'entre eux ont suivi des études littéraires. Ceci peut être un gage non seulement pour la qualité de la production, mais aussi pour la connaissance et l'étude des genres littéraires. Il se trouve qu'il y a des facteurs défavorables pour la mise sur pied d'une institution de la littérature. Le champ littéraire est jalonné d'obstacles d'ordre linguistique, religieux et culturel. Le chapitre suivant a pour objet l'analyse de ces éléments et la proposition de quelques solutions à ses obstacles afin de permettre l'éclosion de la production littéraire au Tchad.

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    Chapitre 4 : Les facteurs linguistiques, religieux et culturels

    En Afrique, la plupart des écrivains s'adressent à leurs publics dans la langue de l'ancien colonisateur malgré eux. Tchicaya U Tamsi, poète congolais résume cette contrainte en ces termes : « écrire en français n'a pas été le fait d'un choix intérieur, mais procède d'une exigence externe» (Schifano32, 2003 : 56). Les exigences extérieures sont entre autres le refus de la plupart des éditeurs à éditer les textes en langues locales. Ainsi, « l'écrivain du continent africain écrit généralement dans une langue qui n'est pas la sienne et pour un public donc la majorité ne sait pas lire» (Schifano, 2003 : 51). Sartre, Senghor, Tchicaya, Kesteloot, à l'instar de plusieurs critiques et écrivains, après avoir soulevé le problème linguistique, ont opté pour le français. Au Tchad, le français n'est utilisé couramment que par un groupe d'intellectuels très restreint. Le reste de la population est en majorité analphabète tant en langues nationales qu'en langues étrangères. Or, il se pose, entre ces langues, une question d'intercompréhension. C'est de ce paradoxe qu'il s'agit dans ce chapitre. Étudiant le rapport littérature-culture, Salaka obtient que :

    La culture est un ensemble des formes, des manières, ou méthodes matérielles

    ou immatérielles, concrètes ou abstraites, par lesquelles les hommes, de façon individuelle ou collective, manifestent, expriment d'une part leurs rapports avec leur environnement et d'autre part leurs rapports entre eux. (Salaka, 2003 : 53). Elle est le lieu de dépôt des manières de faire et de penser. Pour Chevrier, le fait

    d'« utiliser une langue d'emprunt pour exprimer sa propre culture aboutit non seulement à une transformation du message mais à une véritable trahison» (Chevrier, 1984 : 208). Il reconnaît par la suite que le choix d'une langue vernaculaire est possible à condition que les politiciens et les linguistes s'entendent et en vulgarisent une. Après l'état des lieux, notre souhait est d'arriver à un tel résultat.

    En ce qui concerne la religion, sa pratique par les membres d'une même famille, d'un même village ou d'un pays pose généralement des problèmes de cohabitation. Quand un conflit issu de la religion est bien géré, nous bénéficions d'un enrichissement culturel mutuel. Au cas contraire, il peut entraîner la ségrégation, le rejet de ceux qui ne pratiquent pas la même religion que soi. Dans ce travail, l'enrichissement culturel est notre projet.

    32In Manessy, Gabriel, Le français en Afrique noire : mythe, stratégies, Paris, L'Harmattan, cité par Schifano

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    1. Les contraintes linguistiques

    Penser une langue en termes d'hétérogénéité, de pluralité et de créativité peut conduire à un composite riche mais pas toujours homogène. En Afrique, les langues locales s'imbriquent au français et lui donnent une couleur locale. Au Tchad, hormis l'usage du français classique en zones administratives et celui du « petit français » (français vernaculaire tchadien) dans les places publiques en milieu urbain, les populations rurales donnent au français une place élitiste, il est moins utilisé dans les échanges. La diversité linguistique, le bilinguisme et l'analphabétisme dans une des langues officielles sont des contraintes surmontables. Cette difficulté mérite d'être passée en revue.

    La diversité linguistique est de prime abord une richesse dans la mesure où chaque langue garde en elle les valeurs culturelles du groupe ethnique qui la génère. Mais elle peut se poser avec une grande acuité comme problème quand les peuples qui occupent le territoire, au lieu de s'entendre, cherchent chacun à montrer son hégémonie. Le bilinguisme est une solution pour l'échange sociopolitique, économique et culturel, mais la présente étude vise à démontrer que celui du Tchad est mal géré.

    Dans un tel contexte, le français reste la langue de prédilection pour la production des textes littéraires et leur consommation au Tchad. L'arabe, selon les recherches, a fait son essai en production littéraire, mais son alphabet et son écriture sont restés très élitistes pour la majorité de la population tchadienne.

    1.1 La diversité linguistique : enjeux et perspectives

    La diversité linguistique est la présence ou l'usage en un lieu donné d'une variété de langues. Le Tchad compte plus d'une centaine de langues utilisées. Ce multilinguisme n'a pas que des conséquences positives. Sur les plans politique, économique, socioculturel et éducatif, les langues peuvent freiner le développement, la communication et l'unité. L'intérêt de cette préoccupation tient du fait que la littérature n'est consommée que par un groupe restreint de locuteurs francophones.

    Sur le plan politique, les conflits Nord-Sud sont dus, en partie, à la mauvaise gestion des langues. L'imposition d'une langue au plan national au détriment des autres peut causer un conflit ethnico-linguistique. Si l'arabe, par exemple utilisé pour la communication politique est compris par tous les Tchadiens et que la politique de la communication est orientée vers l'unité, la paix et le développement du pays peuvent être envisageables. Or, au

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    Tchad, les modèles politiques légués par les afflictions de la guerre civile ne sont pas de nature à rendre aisée la volonté d'acceptation du point de vue des adversaires politiques d'origine et de langue autres que les nôtres, même si ceux-ci ont raison.

    Cette inter-communicabilité linguistique peut conduire à une politique économique. Quand la langue pose des problèmes ségrégationnistes le pays régresse. Bref la politique linguistique commune, nationale favorise la tolérance et le commerce. Les peuples qui échangent biens et valeurs doivent se sentir heureux et libres en groupe. La division Nord-Sud tant décriée à fait d'Abéché (la capitale du Ouaddaï) le pôle économique arabo-musulman et de Moundou (au Logone occidental) le principal centre économique du Sud. Les données tendent cependant à changer ces dix dernières années.

    Sur le plan socioculturel, la société, la famille, la culture et la religion d'autrui assaillent, si l'altérité cède sa place à la haine. L'Autre est une valeur, un ami potentiel. Le brassage est indispensable. Les termes « doum », « saray » et « banana » ont au Tchad une connotation péjorative qui divise les concitoyens. Baba Moustapha (Le Souffle de l'harmattan), Nocky Djédanoum (Illusions) et Marie Christine Koundja (Al-Istifack ou l'idylle de mes amis), etc. ont prôné l'unité par le mariage mixte malgré l'opposition sociale, culturelle, politique et religieuse. C'est vrai. Mais combien de Tchadiens ont franchi le premier pas ? Les quartiers des villes sont toujours restés séparés. Le refus de la différence et l'intolérance divisent le pays et fragilisent l'effort littéraire. Le souhait de tout écrivain est d'être lu en premier par le plus grand nombre possible de ses compatriotes. Si les hommes politiques placent les langues officielles au centre des initiatives, leur développement va favoriser la visibilité de la littérature sur le plan national. Les religieux et les politiques ne doivent pas voir en elles des véhicules de clivage et de division. La rentabilité économique favorisera la production, la diffusion et la lecture des oeuvres d'auteurs tchadiens.

    Au plan éducatif, la culture de la lecture et de l'unité nationale n'est pas encore effective. La liberté religieuse, culturelle et d'opinion est en voie d'acquisition. Les langues sont nombreuses, mais seul l'arabe, la deuxième langue et l'unique après le français aux programmes scolaires est reconnu et placé optionnel malgré l'effort des instituteurs. Une chose à revoir est l'usage abusif de l'arabe local dans la vie socioprofessionnelle. Une descente dans des lieux publics tels que l'école peut être décourageante dans la mesure où, en l'absence du maître ou du professeur, les élèves, qui pourtant refusent le cours d'arabe

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    littéraire ne se communiquent qu'en arabe local, qui est dans beaucoup de foyers la langue maternelle. En conséquence, après la terminale, les élèves sont illettrés en arabe littéraire, passables en français.

    En perspective, pour la stabilité et le développement du Tchad, que les autorités politiques initient des projets de valorisation et de classification des langues. La réalité nord-sud est un bluff politique. La séparation ou l'usage d'une seule de ces langues à la radiodiffusion, à la télévision ou sur les papiers officiels est une injustice linguistique. Si notre langue, notre ethnie, notre religion nous empêchent de « commercer » avec autrui, nous sommes loin de la recherche de l'unité, d'ailleurs le premier mot de la devise du Tchad (Unité - Travail - Patrie). Le Tchadien francophone écrit des oeuvres, quelquefois primées, mais celle-ci ne sont pas lues, voire touchées par son voisin musulman du quartier parce que celui-ci est analphabète en français ou qu'il pense ne pas consommer les valeurs occidentales, chrétiennes, nuisibles à sa foi de fervent musulman. Le bilinguisme doit être équilibré pour tous les citoyens : c'est-à-dire lire et écrire en arabe et en français.

    Une fois les langues nationales cultivées, valorisées, la diversité linguistique sera une richesse et non une source de cloisonnement. L'arabe et le français véhiculeront certes les civilisations arabo-musulmanes et judéo-chrétiennes occidentalisées mais ouvriront aussi des chances de formation à la jeunesse dépourvue de structures techniques. Ces valeurs doivent être selon Bangui, transmises, vécues, remaniées, animées et enrichies. Il souligne, lors du colloque célébrant le 30ème anniversaire de la Fondation de INSH de l'Université du Tchad, tenu à N'Djamena du 25 au 27 novembre 1991, que : « L'éducation est une occasion privilégiée d'acquisition d'une culture et de réflexion sur ses produits. Beaucoup de pays considèrent que c'est là une manière d'acquérir et d'affirmer une unité nationale qui se cherche » (Bangui, 1994 : 28). Les langues moulues par l'école bénéficient de production, de traduction et d'adaptation littéraire. La littérature ne sera plus en français seulement mais aussi en langues locales.

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    1.2 Le bilinguisme du Tchad

    Les langues officielles du Tchad sont le français et l'arabe, malgré l'existence d'une centaine de langues nationales et de dialectes. L'usage de ces langues officielles pose problème dans la mesure où le taux d'analphabétisme s'élève à 80 %33. La diversité culturelle pose un autre problème auquel seuls les citadins peuvent échapper : les nomades éleveurs ; les sédentaires, agriculteurs ; les montagnards, chasseurs et les lacustres, pêcheurs, etc. ont, en zones rurales, une diversité de modes de vie et de production qui les éloignent les uns des autres. Vu que la scolarisation n'est pas à son apogée dans les villages, chaque groupe culturel et ethnique campe sur sa langue. Si les citadins échappent probablement au cloisonnement linguistique, un enjeu religieux du bilinguisme les divise. L'arabe et le français véhiculent respectivement l'Islam et le Christianisme. Il est clair que toutes ces deux religions viennent de l'Orient, mais le passage du Christianisme par l'Occident lui a fait prendre la culture occidentale ou française (pour les francophones). L'Islam, prêché en arabe, véhicule quant à lui, la culture arabe.

    Dans les villes, les originaires du Sud occupant les quartiers sud, ont un mode vestimentaire occidental, parlent généralement français et sont majoritairement chrétiens. Les quartiers nord sont occupés par les originaires du Nord, musulmans, arabophones généralement en « Djellabas ». 34 Ce phénomène n'est pas de nature à encourager la cohésion sociale.

    La guerre civile de 1979 a renforcé davantage cette séparation qui met en danger l'unité. Les conditions géographiques ont une influence sur la langue et la religion, rendant ainsi la création littéraire bipolaire. Les instituteurs arabophones sont musulmans et se tournent vers les milieux « nordistes », s'ils ne sont pas engagés au service de l'État au Sud. Les instituteurs « sudistes », francophones et en majorité chrétiens font autant pour leur zone. La création littéraire en français est incontestable, mais atteint moins des lecteurs. La pratique orale de l'arabe, au contraire est visible mais ne donne pas lieu à une littérature tchadienne d'expression arabe quantitativement et qualitativement reconnue.

    33 Selon le Recensement Général de la Population et de l'Habitat organisé en 1993

    34Habits d'apparat choyés par les musulmans pour leur longueur qui couvre une grande partie du corps, communément appelé djallabias.

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    Plusieurs chercheurs estiment aujourd'hui que la « désislamisation » de l'arabe et la « déchristianisation » du français dans l'esprit des apprenants pourront donner une poussée d'espoir au bilinguisme équilibré à l'oral et à l'écrit pour tous les Tchadiens. Le bilinguisme ne veut en aucun cas dire que chaque Tchadien peut choisir d'apprendre et de parler l'une de deux langues. Beyem Roné martèle que « le caractère officiel des deux les rend obligatoires pour tous» (Beyem, 2000 : 408). Autrement dit, il est difficile de travailler dans un même pays, un même bureau ou assister à une même conférence en utilisant deux langues différentes, sans inter-communicabilité.

    Pour Beyem, il ne suffit pas simplement d'apprendre une seule langue ou d'apprendre juste à parler l'arabe ou le français et maîtriser le parlé et l'écrit de l'autre langue. Une langue n'est pas seulement un aspect linguistique. Elle est une culture puis une civilisation. Joseph Tubiana déclare à cet effet : « l'information véhiculée [par une langue] englobe la totalité de la culture matérielle de la communauté qui parle la langue et au-delà la totalité de la culture tout court : modèle de comportements, valeurs, croyances, et aussi la totalité de l'histoire de cette communauté. (Tubiana, 1981, cité par Beyem, 2000 : 289).

    Qui accepte la langue accepte ipso facto la culture d'origine. Or, au Tchad, le bilinguisme est une question de guerre entre la civilisation arabo-islamique et celle franco-chrétienne que l'arabe et le français représentent. Les arabophones apprennent, malgré eux le français pour l'exercice de leurs fonctions professionnelles. Les francophones ne cherchent presque pas à apprendre l'arabe littéraire. À la CNS comme à l'adoption de l'arabe la question du type d'arabe à utiliser s'est posée. Les francophones pensaient à l'arabe dialectal. Mahamat Hissène justifie cet état de chose :

    Les francophones effrayés par la perspective d'apprendre un autre alphabet

    avec l'officialisation de la langue ont tenté de détourner la difficulté en arguant

    que cet arabe est l'arabe véhiculaire que tous les Tchadiens apprennent. Mais

    ils ne se sont pas demandé en quel alphabet on écrirait cet arabe. (Mahamat, in

    Contentieux, 1998 : 199)

    Nous remarquons qu'il y a eu d'hypocrisie à propos du bilinguisme. Vingt et un ans

    après l'officialisation de l'arabe (de 1978 à 1997), 10% de Tchadiens seulement sont scolarisés en cette langue. Le paradoxe est que même les défenseurs de l'arabe envoient leurs enfants à l'école française.

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    Il y a un problème d'emploi et d'exercice de métier qui se pose comme conséquence directe de cette « bipolarisation linguistique ». La durée et la rigueur dans la formation ne peuvent pas être les mêmes. Le français a été officialisé en 1958 avec la proclamation de la République. Mais l'unique département de Lettres Modernes de la FLSH de l'Université de N'Djaména, au Tchad peine à former une demi-douzaine d'étudiants candidats à la maîtrise de Lettres et de Linguistiques. L'arabe, de 1978 (année de son officialisation) à nos jours, "fabrique" des « docteurs made in N'Djaména ». Pourtant c'est la seule Fonction Publique qui embauche, et avec les mêmes critères. L'arabe bénéficie d'un privilège démesuré et exerce une pression sur les institutions de l'État. Dans les lieux publics comme à la maison, l'arabe tend à gagner le champ linguistique tchadien. Dans le cadre de ce travail de recherche, notre objectif n'a pas été de prendre position contre l'arabe au profit du français et de lui jeter l'anathème, mais de constater et de démontrer que l'inégalité dans l'usage du bilinguisme au Tchad n'est pas favorable à la production et la consommation de la littérature.

    1.3 L'arabe : une tentative d'écriture élitiste

    Le dictionnaire du littéraire de Paul Aron, définissant la littérature nationale, met l'accent sur l'aspect linguistique : « le terme littérature nationale sert à désigner l'ensemble des traits thématiques et linguistiques qui permettent de rattacher un corpus d'oeuvres et de pratiques à un groupe ou une communauté historiquement et politiquement constitués » (Aron et al., 2000 : 393). L'aspect linguistique qui permet de rattacher la littérature tchadienne à sa communauté est complexe. L'arabe, tout comme le français, n'est pas une langue vulgarisée. 10% de la population tchadienne savent lire et écrire en arabe. Parler aujourd'hui d'une littérature tchadienne d'expression arabe, c'est aller à la découverte d'une littérature élitiste, introuvable, pour ne pas dire morte. Les bibliothécaires et libraires du Tchad ignorent l'existence d'une telle littérature. Les Lettres arabes sont assimilées aux textes sacrés de l'Islam. Pourtant quelques poètes arabophones ont produit des textes qui souffrent de visibilité. Personne ne peut exactement dire à quelle époque est née cette écriture poétique au Tchad. Mais Henri Pérès reconnaît que « la littérature arabe moderne éprouve quelques gênes à se réaliser pleinement » (Pérès, 1999 : 12).

    Selon le Professeur Abdallah Ahmadnallah, enseignant-chercheur à l'université de N'Djaména, Ibrahim Alkanemy serait le premier poète arabophone tchadien. Abdoulaye Moustapha, enseignant-chercheur au département de lettres et linguistique arabes de l'Université de N'Djaména affirme que « l'épanouissement de la poésie tchadienne du point

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    de vue technique a commencé à voir le jour, surtout lors des conférences littéraires mondiales» (Moustapha, A., in collectif, 2009 : 68). Parmi les poètes reconnus au niveau mondial, Moustapha cite Abbas Mahamat Abdel Wahid (Al Malamih); Mahamat Oumar Al Fall (As'Dâ'Annafs ou l'écho de l'âme). Hassaballah Mahdi Fadla (Nabadatou Oummatî ou les battements de ma communauté); Issa Abdallah (Hazma mâ qâlat Hazâmi ou vers ce qu'a dit Hazâmi), Abdel Wahid Hassan Assenoussi ; Abdel Kadre Mahamat Abba (I'Sâroun Fî Fou' âdine ou tourbillon dans un coeur) etc. Ces poètes ont développé des thèmes d'amour, d'humanisme, de guerre, de sous-développement et de politique.

    S'agissant des thèmes ci-haut énumérés, c'est Abdel Wahid Hassan qui, dans « Ohazal ou l'élégie d'amour » traite de l'amour en faisant le portrait moral et physique de sa dulcinée. Al Fall, quant à lui chante « l'amour de la patrie » dans un texte éponyme. Atié Djawid Djarannabi, dans «... dirigeants idiots », s'en prend aux hommes qui ne songent pas au sort de la population. Le suivisme à l'occidentale (phénomène combattu) est un thème traité par Issa Abdallah dans « Le Bâton de Moussa ».

    Atié Djawid Djarannabi estime que « la démocratie est une des formes du néocolonialisme ». C'est sous cette démocratie que surviennent les guerres qui ont poussé Mahamat Djarma Khatir à écrire « l'Afrique du Révolutionnaire », appelant à la révolution, à la lutte. Un texte d'Ibn Yacoub Attardjani décrit le comportement colonial et ses enjeux. Yacoub Abou Kouwéissé et Abbas Abdel Wahid pleurent, l'un son père et l'autre son ami, dans leurs poèmes.

    Cette reconstruction de la littérature tchadienne d'expression arabe a ses difficultés qui sont liées à la disponibilité des textes, à leur visibilité dans le champ littéraire tchadien, à leur traduction en français (langue qui véhicule la littérature tchadienne depuis plus d'un demi-siècle), au développement d'autres genres que la poésie, à la lecture, l'édition et la diffusion des textes.

    Pour que les textes soient disponibles et la littérature visible, il faut l'institutionnalisation de la chaîne du livre. Les travaux d'Abdoulaye Moustapha, lors du colloque des écrivains tchadiens tenu à N'Djaména du 03 au 07 décembre 2007, sont le début de la récupération et de la valorisation des textes disparates. Pour lui, le choix de la poésie par les écrivains n'est pas le fruit du hasard. La littérature arabe, dominée par la poésie, l'éloge, la description et l'apparat sont des sous-genres de la poésie. Vu la faible consommation de la

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    littérature tchadienne d'expression arabe, la poésie cadre bien avec les attentes des jeunes qui sont prêts à passer des journées à suivre des jeux ou la télévision et non à lire les centaines de pages d'un livre. Nous avons affaire à une écriture élitiste réservée à quelques personnes, généralement des chercheurs et des chefs religieux musulmans.

    La diversité linguistique poussera certainement les acteurs à produire et traduire des textes en arabe tchadien par exemple pour une visibilité équilibrée des textes tchadiens des deux langues officielles : l'arabe et le français. Ce qui reste à faire, en plus de l'appel à l'écriture en arabe, est la définition des critères de la constitution d'un corpus de la littérature tchadienne qui puisse prendre en compte la politique du bilinguisme. Car, comme le dit Gervais Baldal : « communiquer avec son public et aller à la conquête d'autres publics demeure l'objectif de l'auteur. L'écrivain perdra toute sa notoriété s'il prêche dans le désert» (Baldal, in Collectif, 2009 :106)

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    2. Regard sur les religions

    La religion désigne l'ensemble de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré. Chaque religion a des pratiques et des rites qui lui sont propres. Il existe une multitude de religions à travers le monde, révélées ou non : le Christianisme, l'Islam, le Bouddhisme, l'Animisme, etc. Parmi les religions au Tchad, l'étude vise à choisir le Christianisme et l'Islam pour démontrer qu'il se pose entre eux un problème de coexistence qu'il est nécessaire de résoudre. De cela dépend l'émergence d'une littérature nationale. L'animisme est négligé dans ce travail pour la simple raison qu'il n'entretient pas de rapports conflictuels avec le Christianisme et l'Islam. Il fait bon ménage avec l'Islam dont la pratique n'exclut pas les valeurs cultuelles traditionnelles. Même si le Christianisme recrute là ses adeptes, il y a une sorte de cohabitation pacifique entre eux et leurs frères animistes

    J. Chapelle préfère le terme « animisme » pour désigner plus volontiers les « religions traditionnelles africaines ». Il trouve le pluriel vague et l'expression fausse dans la mesure où toute religion est traditionnelle. Selon lui, l'animisme est « un terme commode mais transitoire, déjà rejeté après avoir supplanté le paganisme, le fétichisme, le culte des ancêtres et autres définitions » (Chapelle, 1986 : 126). C'est la singularisation de ces croyances qui ont pourtant des différents aspects. L'animisme serait la religion non révélée de chaque groupe d'individus dans un lieu précis, le rapprochement de ce peuple vers le sacré. Les animistes font des sacrifices et adorent des dieux, des morts ou des ancêtres, des génies, etc.

    Les conflits au Tchad n'existent apparemment qu'entre le Christianisme et L'islam. Pour la simple raison que « l'animisme n'a rien à défendre contre la religion chrétienne qui espère toujours le récupérer aidé dans ces efforts par les pouvoirs publics, qui, pour contrecarrer les manoeuvres musulmanes cherchent à empêcher les « fétichismes » de devenir musulmans.»(Abazène, in Collectif, 2002 : 38). Abazène estime que l'État est très proche du christianisme et tente de qualifier d'animistes toutes les pratiques musulmanes traditionnelles. Ceci est une prise de position qui pourrait être contredite par d'autres personnes chrétiennes. Il soulève un problème de définitions qui, selon lui, peut être une cause de conflit religieux.

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    2.1 Les religions révélées : le Christianisme et l'Islam

    La diversité religieuse n'est pas d'emblée une source de conflit. C'est l'usage que les hommes en font qui créé la ségrégation. La rencontre avec l'Autre est un creuset d'enrichissement mutuel. Cette question se trouve au centre des récits de bon nombre d'écrivains tchadiens. Al-Istifack ou l'Idylle de mes amis de M. C. Koundja, (Yaoundé, Clé, 2001) et Le Souffle de l'harmattan de B. Moustapha (Paris, L'Harmattan, 2000) illustrent clairement le conflit entretenu au nom du Christianisme et de l'Islam. Après une présentation de chacune d'elle, il faudra démontrer en quoi consiste le conflit lié à leur pratique.

    2.1.1 Le Christianisme

    Le christianisme est la religion chrétienne (de Christ) née en Judée et prêchée dans le monde entier par les apôtres de Jésus après sa mort. Il prêche l'amour du prochain et la croyance en Jésus, « fils de Dieu » pour le gain du salut éternel après la mort physique. La bible est la parole sainte recommandée à cet effet.

    D'après John Baur, c'est à partir de 1920 que les missionnaires protestants, évangéliques et artistes américains ont mis pied sur le sol tchadien avec la Bible qui enseigne sur la vie de Jésus Christ et des saints :

    Le christianisme est d'abord arrivé au Tchad par cinq missions protestantes, principalement des américains autour des années 20. Ils ont formé une élite religieuse sociale et politique digne de respect. L'évangélisation catholique a commencé en 1938 avec deux Capucins expulsés de l'Éthiopie. C'est en 1947 que le territoire fut attribué par Rome à des sociétés de missionnaires : le Sud-ouest aux Capucins et Oblats, le reste avec la capitale aux Jésuites.» (Baur, in Collectif, 2001 : 392).

    Les chrétiens sont rassemblés en deux groupes : les catholiques et les protestants. On peut aujourd'hui en dénommer plus. Moundou, la capitale du Logone occidental, est le premier centre catholique avec l'ordination du premier prêtre et du premier évêque tchadien, monseigneur Mathias Ngartéri Mayadi en 1985. En 1993. Le RGPH montre que sur les 6 millions de tchadiens à l'époque, 25 % de la population était chrétienne, contre 25 % d'animistes et 50 % des musulmans.

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    2.1.2 L'Islam

    L'Islam est la religion fondée dans l'Arabie du VIIe siècle après Jésus-Christ par Mahomet35. Les Musulmans croient qu'il y a un seul Dieu, Allah, qu'il y a des anges pour célébrer les louanges, que le Coran est la seule Parole divine digne de foi. Ils croient qu'à chaque époque, Dieu a établi des prophètes pour diriger les hommes, que tout ce qui arrive, de bon ou de mauvais est prédestiné par la volonté d'Allah et que celui-ci, nous attend au grand jour du Jugement pour peser nos oeuvres (bonnes ou mauvaises) afin de nous accorder le paradis ou l'enfer. Tout musulman doit observer cinq prières par jour, suivies de la confession de foi, pratiquer l'aumône, le jeûne, aller, au moins une fois dans sa vie, à la Mecque. Ce sont là les « Cinq piliers de l'Islam ».Avant d'aller au cas tchadien de la pratique religieuse, il nous faut voir ce qui fait la différence entre l'Islam et le Christianisme.

    S'agissant des livres saints, certaines personnes reconnaissent que le Coran est en harmonie avec la Bible. Or les enseignements sont contradictoires. Un même Dieu aurait-il donc pu inspirer deux livres contenant beaucoup de points contradictoires ? D. Masson déclare que : « Le Coran, livre sacré des musulmans, a été transmis au prophète, instrument passif de la révélation, tel qu'il est conservé au Ciel, de toute éternité, sur la Table gardée [...] ; il est inimitable ». (Masson, apnm36 : 17). Les chrétiens estiment qu'il n'y a autre nom en dehors de celui de Jésus auquel on peut avoir le salut. La manipulation sociopolitique de cette contradiction a toujours des conséquences fâcheuses.

    Colt Vuvu dans Un regard sur l'Islam trouve qu' « il ressort de l'étude comparative de l'étude du Coran et de la Bible que l'Islam est fondamentalement différent du christianisme comme la nuit l'est du jour. (Vuvu : apnm : 16). Il postule que le Dieu révélé par les deux livres sacrés n'est pas le même, tout comme la divinité de Jésus. Il conclue que « le moyen du salut proposé par l'islam est tout à fait différent de celui proclamé par le christianisme » (Vuvu : apnm : 22). Toutefois ces éléments ne doivent par influencer sur la gestion de la cité, du pays. Malheureusement, le contraire divise les citoyens.

    35 Mahomet était très insatisfait de l'idolâtrie et de ses conditions morales et sociales. Les habitants d'Arabie étaient idolâtres. Il se retirait souvent en dehors de la Mecque pour méditer dans une grotte. Là, il reçoit de l'ange Gabriel son inspiration religieuse, l'Islam. Son enseignement a connu succès en Méditerranée et au Moyen-Orient par le Jihad (Guerre sainte) et la conquête des terres.

    36 Année de publication non mentionnée

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    2.2 La pratique religieuse : le conflit

    Au Tchad la diversité religieuse n'est pas pour la majorité des cas, source d'enrichissement, mais de conflit. Beyem Roné voit ce conflit en termes d'opposition culture négro-occidentale et culture arabo-islamique. Pour lui, ces cultures divisent le Tchad en Nord-Sud et cela empêche la construction de la nation tchadienne. Les aspirations culturelles du Sud tendent vers une civilisation occidentale beaucoup plus chrétienne. Au Nord, la tendance de la société est d'adopter la religion des arabes, leurs moeurs, noms et langues ; et si possible se lier aux autres peuples arabes musulmans. Pourtant, le Tchad est un pays laïc: « Le Tchad est une république souveraine, indépendante, laïque, sociale, une et indivisible, fondée sur le principe de la démocratie, le règne de la loi et de la justice. Il est affirmé la séparation des religions et de l'Etat» (Collectif, Constitution du 31 mars 1996 : article 1.). De surcroit, « L'État laïc respecte la liberté de religions des citoyens et garantit le libre exercice de leur culte mais n'établit pas de distinction parmi les citoyens selon leur religion. De même, le choix des dirigeants ne prend pas en compte de telles considérations» (Michalon, 1984 : 3)

    Il est indispensable, dans un tel contexte, de relever les aspects linguistique et social de cette division.

    Le premier aspect du conflit est linguistique. Au Sud, les prêches et communications peuvent se faire en français ou en langues locales dans les églises. Au Nord, même dans les mosquées les plus « tribalisées », dans lesquelles tout le monde, - les fidèles, le fakir et le muezzin, etc. - est d'une même ethnie, où on refuse quasiment les autres ethnies musulmanes, les cultes et les informations se passent toujours en arabe, prétendue unique langue de l'Islam. Celui qui ne fait pas usage de cette langue est d'office rejeté. Ceci est une copie servile de la pratique religieuse telle qu'elle se passe en Arabie Saoudite. Bangui, dans « Bilinguisme...dictat ou consensus ? » revient sur ces rivalités profondément ancrées dans la réalité historique d'un pays où les différences linguistiques renvoient à des dissemblances culturelles rendant la coexistence problématique, voire conflictuelle :

    L'arabe, dans l'esprit d'un grand nombre de compatriotes, est assimilé à l'islam et à la langue des conquérants [...] à un moment où une partie de la population a le sentiment d'être colonisée par des nouveaux arrivants de culture arabo-islamique qui, bien que tchadiens, se conduisent en pays conquis» (Bangui, in Collectif, 1998 : 78).

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    Ceci est valable pour l'autre partie de la population qui déteste le français, voyant en lui le véhicule de la civilisation occidentale chrétienne.

    Le deuxième aspect est social. Il s'agit des pratiques anodines comme aller à la douche

    du pied gauche et en ressortir du pied droit, à l'inverse de ce qui se passe à la mosquée. Ces éléments religieusement neutres pour les Chrétiens, mais prépondérants pour les Musulmans rendent la cohabitation difficile. Le Père Coudray donne quelques exemples de pratiques de ce genre :

    Partager son repas avec un chrétien, consommer de la viande égorgée par un

    non-musulman, accueillir dans sa concession une veillée funèbre chrétienne ou aller à la sépulture d'un non-musulman, tous les gestes seront considérés comme illicites en dépit des textes, de toute façon ignorés par une bonne proportion de musulmans. Uriner débout, ne pas user de la sakhane (bouilloire) pour se purifier après être allé au cabinet, porter des vêtements occidentaux sont des gestes qui seront souvent considérés comme impies. Célébrer la naissance, le mariage et la mort selon des rites autres que ceux de l'islam tchadien est une menace de marginalisation sociale (Coudray, in Islamochristiano (sic), 1992 : 175-234).

    Ces pratiques intolérantes, il faut le dire, poussent le non musulman au repli sur soi

    pour éviter l'affrontement. Il faut noter avec B. Roné que « la population musulmane à une

    majorité écrasante (97,3%) et les proportions par préfecture vont de 88,5% dans le Chari-Baguirmi rural et 72,7% à Ndjaména (à cause des sudistes qui y vivent) à 99% à Biltine» (Beyem, 2000: 192). Ainsi ces pratiques banales interdites par une partie de la population font des frustrés. C'est pour cela qu'Abderrahmann Ayoub dans « L'épopée au Maghreb : unité et diversité » affirme que :

    L'Islam était depuis le VIIe siècle, un ciment unificateur de peuples aux substrats multiples. Unificateur certes il l'était ; néanmoins [...], l'islam ne parvient pas à abolir les différences que représentaient certains comportements humains et croyances populaires [...] lesquels entraient dans la composition du tissu socioculturel des peuples. (Abderrahmann, in Notre Librairie n° 83, avril-juin 1986 : 57)

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    L'école française ouvre une voie au christianisme, mais elle est, de par ses programmes, laïque et généralement officielle. L'éducation des enfants est beaucoup plus basée sur la morale que sur les préceptes religieux qui peuvent faire des « intégristes ». B. Roné écrit à propos que : « Pour chaque enfant sudiste aujourd'hui, cette morale est un mélange de traditions de son ethnie et d'apport occidental véhiculé par l'école qui laisse beaucoup de liberté à l'individu » (Beyem, 2000 : 193). Plusieurs penseurs conçoivent que le christianisme n'est pas trop politique. Au lieu de s'intéresser à la vie en société, la gestion de la cité, il s'occupe du Salut de l'âme. Il suffit que l'école arabe arrive à se « dés-islamiser » pour qu'elle soit une source d'attraction pour le reste de la population tchadienne non musulmane. Il faut dire que contrairement à ce que nous constatons des cultures occidentales qui s'entrecroisent, l'Islam et le Christianisme au Tchad s'annulent presque et constituent une source d'inspiration pour les écrivains.

    2.3 Les religions : prises de position en littérature

    La prise en charge du discours religieux par les écrivains n'obéit à aucun critère préétabli. Il y a des auteurs qui défendent l'une des religions au détriment de l'autre, d'autres critiquent le fanatisme et d'autres encore prêchent l'entente et l'acceptation d'autrui malgré la différence. Deux écrivains de confession musulmane ont démontré cet état de chose qui se justifie par l'évolution des mentalités. Contre la position radicale de Kotoko, contemporain de Tombalbaye, Zakaria, sous la démocratie débyienne propose la tolérance. Dans Le Destin de Hamaï ou le long Chemin vers l'Indépendance du Tchad d'Ahmed Kotoko le protagoniste, musulman, dévoile sa volonté de ne prendre en mariage qu'une fille intellectuelle de la même confession religieuse que lui. Il dit somme toute qu' « il était très rare de trouver une jeune fille instruite ayant une culture musulmane au Tchad même. C'est pourquoi mon choix s'est fixé sur une jeune fille soudanaise » (Kotoko, 1989, cité par Bourdette, 2002 : 89).

    Cette position de Kotoko démontre ce qui se passe dans le milieu musulman au Tchad. Le musulman n'est pas prêt à donner sa fille à un non musulman, d'aller chercher une chrétienne ou une occidentalisée. C'est pour cette raison qu'à défaut de la fille qui réunit les deux conditions de Hamaï : musulmane et intellectuelle, il se tourne vers le Soudan, laissant derrière lui des millions de filles tchadiennes. Gago, dans Tribulations d'un jeune tchadien, Paris, l'Harmattan, 1993) de Michel N'Gangbet Kosnaye présente la religion protestante comme une tradition familiale : « le dimanche étant le jour du repos, je me rends au Temple

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    [...] Chez nous, nous sommes tous protestants (N'Gangbet, cité par Bourdette, 2002 : 204). Ceci est également sa prise de position religieuse de l'auteur.

    Zakaria Fadoul Khidir a réussi dans Les Moments difficiles de revoir les dimensions religieuses conservatrices de l'Islam. Il s'auto-accuse d'avoir accepté une version pervertie de l'Islam, le fanatisme : « je suivais des cours religieux en ville et j'étais très fanatique. J'avais un esprit tordu et un raisonnement boiteux.» (Fadoul, cité Bourdette-Donon, 2002 : 351). Pour Bourdette, c'est par souci de vérité que l'écrivain a confessé ses erreurs.

    Les deux religions sont pratiquées, mais la cohabitation n'est pas toujours pacifique. La critique religieuse est de part et d'autre contradictoire. Une des raisons pour les musulmans de rejeter le christianisme, selon Jean Pierre Makouta Mboukou, est que : « Le christianisme par son dogme de la trinité est considéré comme ayant nié l'unicité divine, le christianisme apparaît à ses yeux comme associationniste ». (Makouta, 1984 : 116). Cette pensée favorise le conflit, la difficulté de vivre ensemble. C'est pour cela que dans Le Souffle de l'harmattan, de Baba Moustapha, un personnage chrétien se fait une image négative des musulmans :

    Chaque fois que les peuples négro-africains authentiques, par leur génie propre, construisent une civilisation pacifique et développée, acceptent au nom de la fraternité africaine, de vivre avec d'autres ethnies, il se trouve toujours des fanatiques musulmans pour venir au nom de l'Islam semer [...] la pagaille (Moustapha, 2000 :237).

    C'est le comportement de quelques fanatiques qui pousse à abhorrer l'Islam. Quelques personnes, pour des raisons personnelles, ne favorisent pas, au nom de l'Islam, la cohabitation. Ce personnage reçoit une riposte presque immédiate de la part d'un musulman qui estime que le problème de la paix n'a rien à voir avec un certain fanatisme religieux : « C'est faux ! C'est une extrapolation abusive qui tend à dénaturer la lutte des peuples [...]. Qu'on ne vienne pas camoufler sa carence sous le prétexte d'un quelconque fanatisme religieux allégrement prêté à ses adversaires. (Moustapha, 2000 : 237)

    C'est de cette manière que les religieux au Tchad se campent chacun dans son camp pour jeter le discrédit sur le frère de l'autre religion. La réplique du personnage musulman dans ce texte taxe carrément les adeptes de la religion voisine d'« adversaires ». Il dévoile sa belligérance vis-à-vis des autres. Ces deux personnages archétypes des religions tchadiennes surestiment chacun sa religion et dévalorisent celle de l'autre.

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    Koundja et Moustapha conseillent l'entente, l'acceptation, l'intolérance religieuse, la

    cohabitation pacifique et le mariage mixte. Les religions n'acceptent pas les mariages clivés. Elles prônent la soumission des autres personnes à leurs principes, jamais le contraire. Dans Al-Istifack, le mariage interreligieux n'est pas possible. « Nous ne pouvons pas donner notre fille à un non chrétien. La religion musulmane interdit le mariage entre Chrétiens et Musulmans» déclare un des protagonistes. (Koundja, 2001 :63).

    Marie Koundja dévoile sa position en faveur de l'unité nationale. Le succès du mariage clivé chrétien-musulman dans son oeuvre est un pas en faveur de la cohésion sociale. Elle le dit par la voix du narrateur en ces termes:

    Chrétiens, Musulmans, nous sommes tous Tchadiens. Sara ou Ngambaye, Gorane ou Arabe, nous sommes tous frères tchadiens [...] Et nous devons cohabiter unis dans notre diversité [...]. C'est ainsi que l'amour entre tchadiens naitra et ira grandissant. Ce grand amour nous permettra de bâtir le Tchad de demain, afin que nos enfants ou nos petits enfants vivent dans la prospérité. (Koundja, 2001 : 77-78).

    Au moment de la sécheresse, Haroun, dans Le Souffle de l'harmattan de Moustapha,

    avoue que la religion chrétienne vaut au même titre la religion musulmane. Il prie pour

    qu'Allah épargne son bétail de la sécheresse et demande à son ami chrétien Ganda de prier pour que Dieu exauce leurs voeux. Faisant un pas de plus vers l'unité, Haroun est choqué par le fait que les quartiers soient séparés en groupes religieux : «les quartiers que j'ai traversés, situés au nord de la ville, semblent presqu'entièrement peuplés de musulmans et qu'ici on a l'impression d'être dans un quartier chrétien f...]. Cette ségrégation m'énerve.» (Moustapha, 2000 : 99). Ce discours tenu sur la société du livre est difficile à mettre en pratique dans la

    société des auteurs. Néanmoins, il certifie la volonté des écrivains de ne pas rester indifférents

    aux conflits religieux qui génèrent souvent des batailles ethniques. Les auteurs tchadiens dans leur ensemble militent pour la quête de l'unité et rejettent l'exclusion sociale. Un appel est lancé à l'attention des jeunes : « que les jeunes [...] comprennent que les clivages ethniques et religieux ne sont pas irréductibles et que l'avenir de l'humanité toute entière est entre leurs mains selon une nouvelle vision des choses.» (Koundja, 2001 : 140).

    Les Tchadiens doivent s'approcher les uns des autres. L'amour de son prochain est un principe religieux qu'il faut mettre en pratique. Il faut arriver au raisonnement selon lequel les deux religions sont complémentaires.

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    3. De l'hétérogénéité culturelle à la culture nationale

    Le Tchad regroupe sur un même territoire des peuples aux cultures et identités très variées. Plusieurs ethnies, religions et langues y trouvent leur place. Cependant, deux cultures dominantes tentent de diviser le pays en groupes. Il s'agit de la culture judéo-chrétienne au Sud et celle arabo-islamique au Nord. Cette division est devenue très pointue après la colonisation. Car bien avant, chaque groupe ethnique était organisé en empire, en royaume, en chefferie etc., d'où la présence des Mbang, (Bédaya, Baguirmi), de Ngong (Léré), de Doré (Fianga), des sultans (Kanem, Ouaddaï). Ces différents États précoloniaux regroupaient en eux des sous-groupes ethniques fiers d'être sous leur autorité et leur protection. Les lois et les règles de ces groupes et sous-groupes sont du Nord au Sud différentes les unes des autres. Plusieurs personnes pensent que les cultures étrangères sont plus ségrégationnistes que les cultures identitaires locales. Il n'est en aucun cas question d'une symbiose ou d'une homogénéité culturelle à envisager pour arriver à une identité nationale digne de ce nom.

    3.1 L'identité culturelle

    M. a. M. Ngal définit l'identité comme « un espace intérieur, psychologique, social, non lié nécessairement à la présence physique et géographique sur un territoire national» (Ngal, in Notre Librairie n° 83, avril-juin 1986 : 42). Cependant cette notion renvoie en droit civil à « un ensemble des composantes grâce auxquelles il est établi qu'une personne est bien celle qui se dit ou que l'on présume telle» (Guillien et Vincent, 1990 : 261) Ces éléments comportent le nom, les prénoms, la nationalité et la filiation, etc. La nationalité et la filiation prennent appui sur la culture ethnique et atavique dans un espace donné. C'est pour cette raison qu'elles méritent d'être étudiées pour une culture nationale.

    Le dictionnaire du littéraire définit la culture comme « un ensemble de connaissances qui distinguent l'homme cultivé de l'homme inculte, à savoir un patrimoine philosophique, artistique et littéraire» (Aron, et al. 2002 :129). Cette définition met en exergue un certain nombre de connaissances acquises lors de la vie en société et utiles pour le commerce ou l'échange d'idées entre les membres de cette société. Le même dictionnaire propose une autre définition qui prend en compte les valeurs mêmes traditionnelles transmises pour la formation de l'enfant. La culture est « un ensemble des systèmes symboliques transmissibles dans et par une collectivité quelle qu'elle soit, les sociétés primitives y comprises » (Aron et al, 2002 : 129).

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    Les valeurs et l'individu qui les acquiert appartiennent tous à une société donnée. La société étant un ensemble d'individus vivant en groupes organisés, ce groupe ne peut être constitué sans institutions, ni lois et règles propres. C'est pour cette raison que dans un pays qui regorge d'une pluralité d'ethnies, on assiste à une diversité de cultures, c'est-à-dire d'institutions, de lois et de règles pour gérer ses sociétés. C'est ainsi qu'au Tchad il y a une hétérogénéité culturelle remarquable. Après l'analyse des diverses structures, il ressort qu'il y a des antagonismes qui ne favorisent pas la vie en société. La conception des cultes, des aliments, des délits, du vestimentaire n'est jamais la même partout. L'identité nationale exige une culture et une littérature nationale comme supports. Comment concilier les diversités culturelles et la culture nationale ? Telle est la question qui sous-tend cette démarche.

    Si les cultures locales ne sont pas un obstacle à l'unité, l'influence extérieure divise le peuple tchadien. Les jeunes du Nord gardent les modes vestimentaires, les cultures alimentaires, musicales et religieuses copiées sur le modèle des pays arabes de l'Est où ils sont allés étudier. Ceci contrairement à ceux du Sud qui imitent les valeurs occidentales. Comment concilier ces valeurs antinomiques ? Une symbiose de ces cultures constitue une richesse tant intellectuelle que morale pour un peuple qui aspire à une unité nationale via une prise de conscience collective nationale. Malheureusement, l'école, la religion, la langue, l'administration et les frontières (ou les découpages) ont été imposés.

    Eu égard à la recrudescence de la violence dans le monde, l'unification et l'homogénéité culturelle sont envisageables. Les cultures traditionnelles et ethniques prônent toujours des divisions. Ceux qui se sentent marginalisés ou lésés se rebellent contre les autres ethnies ou contre le pouvoir central. C'est là généralement que les conflits armés prennent leur source. Les divisions Nord-Sud, Éleveur-Agriculteur, Chrétien-Musulman s'y abreuvent. Les événements de Bébalem, de Mangalmé et de N'Djaména sont Les exemples de conflits de cultures sur un fond politique.

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    3.2 La notion de culture nationale

    La notion de culture nationale est basée sur des éléments communs au peuple tchadien. Ce peuple a en commun Les ancêtres tels que Toumaï, Lucy et la civilisation Sao. Il a subi la souffrance et l'humiliation sous la colonisation. Pour une unité, le Tchad a besoin de promouvoir une identité culturelle nationale en faisant la somme des cultures judéo-chrétiennes, arabo-islamiques et traditionnelles locales.

    Par la littérature, les jeunes tchadiens ont réussi à représenter le Tchad aux concours internationaux et gagner des prix au nom De leur pays. Ils ne se sont point présentés comme Chrétiens ou Musulmans, Nordistes ou Sudistes, etc. Mais comme Tchadiens tout court. Ceci réhabilite la culture et l'identité nationales.

    L'identité est le caractère de ce qui est un, uni à soi-même tout en présentant plusieurs aspects. C'est ce qui permet de reconnaître la personne. Cette reconnaissance implique une ressemblance à autrui, surtout un ensemble de critères qui vous sont propres et vous différencient des autres. Avant la colonisation il n'était pas possible de parler d'identité nationale. Il n'y avait pas une nation. Il n'y avait que des empires, des royaumes, des chefferies qui avaient la volonté d'annexer les terres voisines et les armées du roi adversaire. Chaque peuple ou ethnie était jaloux de sa culture et de son identité sectaire et intolérante.

    La notion de nation tchadienne n'existait pas car pour parler de nation, il faut un peuple, un territoire et une volonté de vivre ensemble. La nation est à cet effet :

    Un groupement d'hommes ayant entre eux des affinités tenant à des éléments communs à la fois objectifs (race, langue, religion, mode de vie) et subjectifs (souvenirs communs, sentiment de parenté spirituelle, désir de vivre ensemble) qui les unissent et les distinguent des hommes appartenant aux autres groupements nationaux» (Guillien et Vincent, 1988 : 307).

    Ces éléments communs, objectifs ou subjectifs n'ont pu unifier la nation tchadienne avant la colonisation.

    Thierry Michalon avoue que c'est au moment des indépendances qu'il était admis que les sociétés hétérogènes africaines s'organisent en un modèle étatique. L'État sera le dénominateur commun de ces sociétés diverses. Dans ce cas, il affirme :

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    L'État peut ne plus recouvrir une seule nation mais plusieurs, englobant des populations hétérogènes qui se différencient par la langue, la culture et l'histoire. L'État se dote alors d'institutions très fortement [dé]centralisées afin de respecter la diversité nationale» (Michalon, 1984 :28).

    L'État est un legs de la colonisation tout comme les frontières qui sont taillées au bon vouloir du colon. Pour cette raison, il ne peut exister une nation tchadienne mais des identités ethniques et sociales. La colonisation a unifié ces États précoloniaux dans un territoire : « Tchad ». Les Tchadiens doivent être fiers de l'être. Ils doivent oeuvrer pour l'unité nationale.

    En 1960, le Tchad accède à la souveraineté nationale avec un État plurinational et pluriethnique. Les conflits ethniques n'ont jamais pris fin depuis cette époque postcoloniale. Il fallait faire de l'école nouvelle un cadre de formation citoyenne. Tel fut l'objectif fondamental de tous les régimes qui se sont succédé.

    Ce sentiment national a produit sous Tombalbaye la « révolution culturelle » ou le retour aux sources, à l'authenticité, au moment du MNRCS. Malheureusement les premiers dirigeants du pays se sont caractérisés par la dictature, le parti unique, favorisant leur ethnie, leur regroupement au détriment des autres : « L'État devient l'affaire d'un seul homme et les réactions en chaîne se précipitent pour aboutir à la banqueroute sur tous les plans, les minorités contestataires, n'ayant aucun moyen de s'exprimer, s'exilent ou prennent le maquis» (Bangui, 1980 : 2-3)

    114

    3.3 La littérature au service de la nation

    La littérature, quand elle est au service de la nation, joue un rôle très important. Le concept est actuellement vulgarisé puisque reconnu par les littéraires. Le terme « littérature nationale » désigne l' « ensemble des traits thématiques et linguistiques qui permettent de rattacher un corpus d'oeuvres et de pratiques à un groupe ou une communauté historiquement et politiquement constituée» (Aron et al., 2002 : 393).

    Le Tchad, à la suite d'autres pays d'Afrique, utilise la littérature pour l'homogénéité culturelle, l'unification nationale. Les auteurs, par des oeuvres de fiction, affirment l'identité tchadienne. La colonisation, par l'école, a imposé la langue française comme véhicule des cultures. Les écrivains l'utilisent pour transmettre des valeurs nationales.

    La littérature tchadienne existe sous la forme orale et écrite en langue française. La forme écrite invite les lecteurs à un sentiment de cohésion et de prise de conscience nationale. Antoine Bangui estime en écrivant Les Ombres de Kôh que l'histoire de son récit se passe à Bodo, mais peut être utile pour les voisins les plus proches et lointains. Il nomme expressément Béboto, Bédjondjo, Batha et le Tibesti. Ces lieux représentent les quatre coins du pays. Pour lui, il faut que la mémoire, qui renaît après les affres des guerres patriarcales, devienne « le miroir vivant de tous les enfants du Tchad » (Quatrième de couverture).

    Cette volonté d'unification et de valorisation de la richesse culturelle tchadienne se lit à travers Au Tchad sous les étoiles (Paris, Présence Africaine, 1962.) de J. B. Seid. Dans la préface, l'auteur présente le Tchad avec ses saisons, sa géographie, son histoire. Ces histoires se déroulent dans les quatorze préfectures du Tchad. En quatrième de couverture, nous pouvons lire : « les innombrables enfants du Tchad, par la voix de l'un des leurs, vous invitent, cher lecteur, à venir vous asseoir parmi eux [...] Ils vous demandent une chose : c'est vouloir partager avec eux la joie de leur candeur et de leur innocence».

    Après la guerre de 1979, plusieurs écrivains tchadiens réclament la paix, l'innocence à laquelle fait allusion J.B.Seid. Baba Moustapha, Marie Christine Koundja et N. Djédanoum (Illusions) présentent deux sociétés balkanisées en Nord-Sud, Chrétien-Musulman, jeune-vieux. Tous ces écrivains, en choisissant comme toile de fond l'amour entre les jeunes de ces deux camps séparés, ont réussi à proposer leur point de vue basé sur l'unité, les mariages interreligieux et interethniques. Pour eux, l'unité ne peut passer que par ce genre d'action.

    115

    À travers Haroun et Ganda, B. Moustapha nous présente deux groupes de familles séparées par la religion, la culture et l'ethnie mais vivant sur un même territoire. C'est le destin qui a voulu que les deux personnages évoluent et réussissent toujours ensemble. Le père de Ganda vétérinaire et celui d'Haroun, éleveur. Une complémentarité, sauf que la famille de Ganda est chrétienne et celle de Haroun, musulmane. Le mariage a été impossible entre les deux familles. Pour renforcer les liens, ces jeunes organiseront des montages pour prendre leurs parents au dépourvu par un mariage clivé.

    L'école est sans doute le lien de dialogue des différentes cultures. C'est dans ce cadre que les jeunes d'ethnies, de religions et de régions différentes se rencontrent pour bénéficier, filles et garçons, d'un système unique. L'unité, la solidarité et la concorde nationale y font objet de partage. L'homogénéité du programme éducatif est le support d'une homogénéité de culture. Cela veut dire que l'école est l'un des piliers sur lesquels les Tchadiens doivent s'appuyer pour l'édification d'une culture nationale. Les écrivains forgent un autre pilier aussi dynamique que l'école : l'écriture, la conséquence d'une éducation bien assumée. La famille, les lieux de culte (églises, mosquées, arbres à fétiches, etc.) constituent pour eux des terrains de mise en scène, de description des faits qui constituent des noyaux d'éducation et de formation dans une perspective unitaire et nationaliste.

    Pour conclure, les oeuvres des expatriés produites au Tchad, les événements littéraires associatifs ont été des atouts pour la production littéraire. La diversité linguistique, religieuse et culturelle quant à elle, freine l'épanouissement de la littérature. Nous espérons qu'une littérature nationale au service d'une culture nationale constituée des diversités tant linguistique, religieuse et culturelle constitue un objectif à atteindre pour la cohésion sociale et la culture de la paix. Salaka ayant étudié la situation des écrivains, pris individuellement (biographie, bibliographie, lieu de résidence, niveau d'instruction, etc.) et collectivement (les différentes formes d'organisations qu'ils ont créées) pour avoir une idée de leur place dans la société, parvient à la conclusion selon laquelle ils participent à l'éducation. Pour lui, « la littérature existe parce qu'il y a au point de départ un créateur, une personne, une subjectivité qui décide de partager ses sentiments, son expérience, ses réflexions avec d'autres personnes : c'est l'écrivain» (Salaka, 2003 : 59). Celui-ci peut, dans le cas tchadien, lutter contre les antagonismes socioculturels. Les contextes et conditions de productions étant connus, les instances et les acteurs de la production peuvent faire l'objet d'étude.

    116

    Dans cette deuxième partie du travail, nous avons démontré qu'il y a des facteurs favorables et d'autres défavorables pour la production de la littérature tchadienne.

    Dans le domaine littéraire, l'apport des enseignants, prêtres, militaires, touristes et entrepreneurs français qui ont vécu au Tchad ; les rencontres, festivals, concours et prix ont inspiré des écrivains. Ceux-ci ont un niveau intellectuel satisfaisant et sont bradés des distinctions sociopolitiques et de renommée dans les différentes formes d'expression. Nous avons réservé une étude diachronique à ces atouts dans le premier chapitre de la partie.

    Dans les domaines linguistique, religieux et culturel, il y a des difficultés qui gênent l'épanouissement de la littérature tchadienne écrite d'expression française. Le Tchad a plus d'une centaine de langues nationales qui ne sont pas vulgarisées et institutionnalisées. Le bilinguisme arabe-français, legs des civilisations arabo-musulmanes et européennes, est non équilibré. Autant le français n'est pas écrit et lu par une grande moitié de la population, autant l'écriture arabe souffre de visibilité et de traduction du point de vue littéraire. Par ailleurs, les deux religions révélées s'entremêlent difficilement et font l'objet de critique de la part des auteurs qui les trouvent non avantageux pour la production littéraire. Aussi, la multitude des cultures différemment gérées favorise les clivages.

    Les obstacles à la libre consommation des textes littéraires produits dans une langue étrangère : le français sont ainsi connus. Nous avons jugé mieux de proposer la littérature comme outil au service de la culture nationale et de l'unité. Cela est réalisable grâce à la scolarisation massive et pérenne en arabe et en français, et à la vulgarisation de toutes les langues et les cultures nationales. Les contextes sociopolitiques, économiques ont influencé la production littéraire. Il y a eu cependant des facteurs favorables et défavorables qui n'ont pas manqué d'être passés en revue. Maintenant, il faut chercher à voir ce qui existe comme instances de production (éditions, imprimeries, centres culturels, etc.). Mais avant cela, il est nécessaire de connaître les producteurs. Un classement par genre sera fait à cet effet.

    117

    TROISIÈME PARTIE : ACTEURS ET INSTANCES DE PRODUCTION
    DE LA LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION

    FRANÇAISE

    118

    Pour comprendre la réelle signification d'une oeuvre littéraire ou philosophique, Goldmann affirme qu'« il faudrait la rattacher à l'ensemble de la vie sociale et économique de son temps» (Goldmann, 1959 : 55). Cette vie obéit à une logique. En sociologie de la littérature, comme le reconnaît Escarpit :

    Tout fait de littérature suppose des écrivains, des livres et des lecteurs ou, pour parler d'une manière plus générale des créateurs, des oeuvres et un public. Il constitue un circuit d'échanges qui, au moyen d'un appareil de transmission extrêmement complexe, tenant à la fois de l'art, de la technologie et du commerce, unit les individus biens définis (sinon toujours nommément connus) à une collectivité plus ou moins anonyme (mais limitée). (Escarpit, 1968 : 32).

    La présence des créateurs, la médiation des oeuvres et l'existence du public-lecteur pose des problèmes d'ordre sociopolitique, économique et culturel d'où la nécessité de consacrer à ces éléments une étude spécifique. L'histoire littéraire s'en est tenue à l'étude des hommes et oeuvres laissant de côté les perspectives sociologiques qui considèrent la littérature comme la branche production de l'industrie du livre, comme la lecture en est la branche consommation. L'invention de l'imprimerie, le développement de l'industrie du livre, le recul de l'analphabétisme font objet d'étude chez Escarpit.

    La question de la naissance de l'auteur, du prix littéraire, du lieu de résidence, de profession et de décoration des producteurs a été traitée par Bourdieu. Cette étude vise, selon lui, à « constituer la population des auteurs reconnus par le grand public intellectuel» (Bourdieu, 1998 : 256-257). Il étudie également « les rapports entre les auteurs ou les artistes et les éditeurs ou les directeurs de galerie» (Bourdieu, 1998 : 354).

    À leur suite, cette partie est consacrée aux écrivains et les formes d'expression, à l'étude de la situation professionnelle et des lieux de résidence des écrivains, d'une part ; à l'étude des instances techniques de réalisation d'oeuvres littéraires (édition, imprimerie) et à la connaissance de leurs acteurs d'autre part.

    119

    Chapitre 5 : Les écrivains et les formes d'expression

    Le mot « écrivain », du latin scribanus, celui qui écrit, est appliqué à des rôles sociaux qui varient dans les différentes cultures et à différents moments de l'histoire. À l'époque moderne, il désigne « l'auteur d'une oeuvre littéraire reconnue.» (Aron et al., 2002 :164). Il jouit de la valeur matérielle et symbolique de l'oeuvre. Le mot « auteur » garantit par ailleurs la valeur juridique et concerne les rapports de propriétés, de droits. Par formes d'expression, nous entendons les genres, «cadres littéraires légués par la tradition et qui ont l'avantage de bien mettre en valeur une inspiration dominante déterminée.» (Theveau, P. et Lecomte, J., 1968 : 74). Cette étude nous permettra de connaître les genres de prédilection.

    Il sera ici question de théâtre, roman, autobiographie, nouvelle et poésie. Cette classification est justifiée par le résultat du questionnaire et surtout par la visibilité des textes. L'enquête nous donne les pourcentages suivants : Le théâtre (30%) et le roman (25%) prennent le dessus sur l'autobiographie (20%), la poésie (10%) et les autres genres (15%), parmi lesquels la nouvelle occupe les 5%. Le statut de l'écrivain est consacré par les consommateurs de ses oeuvres. Nous nous somme approché des élèves, étudiants, enseignants et des professionnels de la chaine du livre pour avoir leur point de vue sur les écrivains tchadiens. La situation professionnelle que nous voulons étudier ici découle du niveau de la formation. Comme le confirme Salaka, les écrivains exercent des professions qui rentrent dans la communication sociale : « En effet, dit-il, ils utilisent la littérature comme instrument d'éducation et de formation de l'homme, de la société. C'est ce qui justifie la démarche pédagogique qu'ils adoptent dans leurs créations.» (Salaka, 2003 : 66-67).

    Le rapport entre formation professionnelle et pratique littéraire chez les écrivains est une voie à exploiter, car il est susceptible d'orienter la thématique et la démarche créatrice des écrivains. Le lieu de résidence est d'autant plus intéressant à étudier dans le cadre d'une littérature émergente. Salaka rassure que ce critère associé à ceux du niveau d'instruction et de la situation socioprofessionnelle explique que la grande majorité des écrivains se trouvent concentrés dans la capitale : « cadres supérieures exerçant des responsabilités administratives et parfois politiques, la plupart des écrivains résident dans la capitale, lieu de concentration des infrastructures de production et de promotion littéraire» (Salaka, 2003 : 68).

    120

    1. Les dramaturges : statut, grandes figures et pièces représentatives

    Alain Viala (1997) affirme qu'il y a quatre sens possibles du mot théâtre. Pour lui le théâtre désigne : le lieu du spectacle (il peut s'agir du bâtiment ou de la partie de l'édifice où les acteurs meuvent) ; il désigne la pratique qui s'y déroule (parlera-t-on du théâtre de la rue, théâtre italien, populaire, etc.) ; il est l'ensemble des activités qui s'y rattachent (quand on parle de festival de théâtre, on évoque à la fois des lieux, des spectacles, des troupes, des pièces ; il est enfin, en sens dérivé et spécialisé, l'ensemble des oeuvres écrites pour le théâtre. C'est ce sens qui nous intéresse pour le moment. Ainsi, le théâtre est une littérature, un ensemble de textes faits pour la représentation scénique. Le dramaturge est un écrivain producteur de pièce de théâtre. Ne pouvant établir un panorama de théâtre dans ce travail, nous voulons, aidé par le questionnaire, présenter les personnalités remarquables de ce genre au Tchad avec leurs pièces de renom.

    1.1 Les dramaturges de renommée internationale

    Les dramaturges tchadiens de renom sont recrutés parmi ceux qui ont été édités par Hatier (Monde noir Poche), c'est-à-dire les lauréats du CTI de RFI. La raison de leur popularité tient, non de leur présence ou de celle de leur oeuvre au Tchad, mais de la place qui leur est accordée dans le panorama critique d'Ahmad Taboye publié au niveau local. L'enquête menée a permis de mettre en relief six grands noms : Maoundoé Naindouba, Baba Moustapha, Koulsy Lamko, Palou Bebnoné, Nocky Djédanoum et Nétonon N'Djékéry. (Annexe 1, question 16)

    Maoundoé Naindouba, professeur d'histoire de son état a produit pour le 9e CTI de RFI.L'étudiant de Soweto. Cette pièce primée par RFI publiée chez Hatier en 1981met à nu le système raciste mis en place en Afrique du Sud par les Blancs. Les Etudiants refusent la formation séparée en langues locales proposée par les colons. Elle a été représentée par plusieurs troupes du continent noir et est inscrite au programme tchadien (en Terminal) depuis la première décennie après sa publication. Pour cette raison, Maoundoé est, avec cette pièce, une grande figure de la dramaturge tchadienne. 40% des enquêtés la reconnaissent.

    Le juriste, dramaturge Baba Moustapha a commencé à écrire des pièces de théâtre tout adolescent. Il a connu une renommée internationale lors de sa participation aux CTI organisés par RFI. De ses quatre pièces, la plus connue est Achta ou le drame d'une fille mère (30%). Cette pièce publiée par la Revue Tchad et Culture en 1972 met en garde les jeunes contre les

    121

    dérives de la vie, expose les parents qui ne pensent qu'à la valeur marchande de leur progéniture et ne laisse personne indifférent. En 1983 parait chez CLÉ à Yaoundé Le Commandant Chaka de B. Moustapha. Cette pièce historique gagne en second lieu l'admiration du public. L'oeuvre a remporté le prix spécial du jury, au 11e CTI. Produite pendant le régime d'Habré, un dictateur qui a remplacé des chefs charismatiques que sont Malloum et Tombalbaye, la pièce ne peut passer inaperçue. Même son titre est un programme. L'oeuvre est connue à 10%. Le Maître des djinns, publiée chez CLÉ à Yaoundé en 1977, Grand Prix au CTI en 1973, est la troisième pièce de Moustapha, connue à 5 % par nos enquêtés. La pièce retrace le retour de Barka à Makarie pour le développement de ce village. Il y fait la connaissance de la jolie Ziréga avec qui, il va combattre les problèmes de la vie. Ces trois textes sont les pièces les plus connues de Baba Moustapha.

    Koulsy Lamko est reconnu par ses quatre pièces représentatives : Ndo Kela, ou l'initiation avortée ; Mon fils de mon frère ; Comme les flèches et Tout bas, si bas, connues respectivement à 20%, 5%, 5% et 5%. Le dramaturge comédien Koulsy gagne l'admiration et l'adhésion du public lecteur avec Ndo Kela, éditée par Lansman en 1993. Dans cette pièce, un groupe de jeunes décident de lutter pour le développement du village Bagoua, malgré les anciens de la tribu qui exploitent celle-ci. Avec la lutte engagée par le groupe dirigé par Sankadi, le renouveau est possible. Mon fils de mon frère est la deuxième oeuvre représentative de Koulsy Lamko. La pièce est éditée chez Lansman en 1990 et a été sélectionnée dans le cadre du 17ème CTI de RFI. Le thème de la stérilité revient comme un leitmotiv. Les femmes sont frustrées par les hommes qui les taxent de stériles. Cette situation de stérilité pousse les anciens à laisser la chance aux jeunes pour "fertiliser" les femmes de leurs frères. Cela donnera des "fils de leurs frères" d'où le titre de la pièce. Avec Comme des flèches publiée chez Lansman en 1996, Koulsy émeut tout le monde et lance une lutte acharnée contre le sida qui nous attaque et nous élimine aussi vite que les flèches. C'est une question de société. Une année avant cette pièce chez Lansman, Koulsy, grand créateur d'histoires, monte en pièce l'histoire d'une femme de 75 ans qui donne naissance à un enfant au bras pyrogravé. Cet enfant est un espoir pour un monde accroupi sous la misère et la domination des maîtres (Tout bas, si bas).

    Palou Bebnoné, avec Kaltouma et Mbang Gaourang, le roi du Baguirmi occupe une bonne place dans le classement. Ces deux pièces connues respectivement par 10% et 5% des enquêtés font de lui un dramaturge sociopolitique. Kaltouma est écrite en février 1965 pour le

    122

    CTI. Bebnoné a avec cette pièce réussi à retracer minutieusement les méfaits de la polygamie. Dix ans plus tard, Bebnoné produit pour le même concours Mbang Gaourang. Pour cette pièce politique, Bebnoné invite les dirigeants au pardon, au patriotisme et dans une certaine mesure à la démocratie et à la liberté.

    Le journaliste Nocky est cité grâce à Illusions et L'Aubade des coqs, connues, chacune à 5%. Illusions est écrite pour le CTI. Elle a été primée en 1984. À la manière de M.

    C. Koundja, Nocky propose « le fait accompli » comme solution au refus de partition de la société tchadienne. Pour l'auteur les jeunes doivent lutter contre les illusions des familles divisées pour parvenir à l'unité nationale, à la solidarité. L'Aube des coqs, la deuxième pièce est inédite, mais a été mise en scène plusieurs fois à N'Djaména et à Abidjan en 1997. Elle invite au travail. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt le matin. Nocky s'inspire de ceux qui labourent les champs de coton au sud du Tchad pour lancer cet appel au travail.

    Noël Nétonon N'Djékéry, enfin est rendu populaire par sa nouvelle La Descente aux enfers, grand prix du 7e concours de la meilleure nouvelle de langue française en 1982. Sa pièce Goudangou..., qui retient l'attention des enquêtes à 10%, a été publiée deux ans plus tôt par la revue Tchad et Culture. L'oeuvre retrace les moments de coups d'État des " père de la nation".

    Cette analyse peut être représentée de la manière suivante :

    Auteurs

    OEuvres

    Pourcentage

    Achat

    Visibilité

    Lecture

    1

    Maoundoé Naindouba

    Etudiant de Soweto

    30

    40

    30

    2

    Baba Moustapha

    Achta

    5

    30

    5

    Commandant Chaka

     

    10

     

    Le Maître des Djinns

    5

    5

     

    3

    Koulsy Lamko

    Ndo Kela

    5

    20

    30

    Mon fils de mon frère

     

    5

     

    Comme des flèches

     

    5

     

    Tout bas, si bas

     

    5

     

    4

    Palou Bebnoné

    Kaltouma

     

    10

     

    Mbang Gaourang

     

    5

     

    5

    Nocky Djédanoum

    Illusions

     

    5

     

    Aubade

     

    5

     

    6

    Nétonon N'Djékéry

    Goudangou

     

    10

     

    Tableau I : Les dramaturges de renom suivis de leurs pièces représentatives

    123

    1.2 Les dramaturges au niveau local

    Il y a des dramaturges "en herbe" qui écrivent dans l'anonymat parce que leurs oeuvres ne sont pas éditées. Nous pensons à 11 d'entre eux qui ont produit plus de 12 pièces de théâtre : Adam Abaye Abakar, Laring Bao, Garandi Dahwé, Boydi Clément Bégoto, Djimadoum Kotidjé, Djimet Kari, Ali Abdel-Rhamane Haggar, Christophe Moyangar, Priscille Djérareou, Adoum Nguérébaye, Samafou Diguilou Bondong, etc.

    Ces dramaturges sont soit des enseignants, des éditeurs et des comédiens metteur en scène, soit des journalistes, des économistes, des agents de développement. Mais leur ardeur pour la littérature les place au-devant de la scène en matière de théâtre à N'Djaména où ils vivent. Ainsi ils ont acquis le statut de dramaturges sans être trop célèbres ni publiés (en majorité).

    Abakar Adam Abbaye s'illustre par son oeuvre Le départ de Koraré de César qui dénonce la corruption et l'indifférence des autorités traditionnelles face à la domination coloniale française.

    À ce moment où Mme Mbaïlamdana Marie-Thérèse est maire de la ville de N'Djaména, poste toujours occupé que par des hommes, on peut dire sans se tromper que Madame le Maire37 de Laring Bao est une pièce d'avant-garde. Laring a eu le privilège de prédire dix ans avant le règne de la femme par une pièce de théâtre. En effet, Moussa officier de la police judiciaire ne veut pas voir sa femme travailler et de surcroit occuper une fonction de maire de la ville. Il est le prototype de beaucoup d'hommes. Amina, sa femme, malgré tous les obstacles devient maire. Par sa victoire, le dramaturge pousse les femmes à l'action.

    Si avec Un four à la barre, Dahwé Garandi gagne l'adhésion des spectateurs de la troupe Maoundôh-culture (dirigée par lui) en 1992, Boydi Clément Bégoto a eu le même succès et a été primé par le centre Dombao de Moundou pour Manu ou la vie d'un élève en 1990. B. C. Bégoto est un moralisateur à la manière de Molière.

    Par L'Exode38, Djimadoum Kotidjé fait une « littérature à thèse », celle d'apporter des âmes à Christ. En effet, il présente un protagoniste qui échoue en ville pour s'être adonné à l'alcool, la vie mondaine. « Le fils du pasteur », le nomme-t-il, n'avait pas ce comportement

    37 N'Djaména, Sao, 2000, Collection littérature tchadienne, théâtre

    38 Moundou, Imprimerie de Koutou, 1980

    corrompu au village. Il a fallu la visite d'un évangéliste dans les boîtes de nuit pour récupérer cette « brebis égarée ».

    Le crime de la dot39 de Djimet Kari est un discours au détriment de la dot. Dans certains milieux, la jeune fille est considérer comme une marchandise à livrer au plus offrant. Ceci participe à la chosification de la femme. Il en est de même pour les oeuvres d'A. Haggar : Je veux la paix (1981), Tribalisme au diable ! (1981), Sauve ton peuple (1985), etc. dont les titres constituent le résumé. Le régime de l'époque a préféré censurer la dernière pièce. Haggar fait voir d'une part le luxe dans lequel vit Le Beau du Ministre (1981) et d'autre part la misère de Moussa Bégoto (1992) dans des pièces éponymes.

    Moyangar Christophe est compté parmi les dramaturges-moralisateurs. C'est A qui la faute ?qui le consacre. Le personnage de Baba traite sa femme Catherine avec rigueur au nom de la supériorité masculine, malgré ses manquements, défauts et caprices. Sur scène, un couple « bis » donne sa vision du mariage, provoquant une prise de conscience collective.

    Le titre Mardochée, le juif (1980) de Djérareou Mekoulnodji Priscille est tout un programme qui renvoie à la « littérature à la thèse » prônée par Djimadoum Kotidjé. L'épouse du pasteur Djérareou trouve par la Bible un moyen de moraliser.

    Saleh Adoum Nguérébaye fait jouer un théâtre de satire sociale et morale dans Triple coup au pari-vente qui est sa pièce principale. Celui qui lit ou assiste à la représentation de cette pièce n'enviera jamais les actions et le sort révolus à Ousmane, le personnage volage et infidèle.

    Samafou Diguilou estime que le rôle de l'écrivain est de « sensibiliser pour mieux informer» Pour lui, « le théâtre donne la possibilité au public de voir, de s'interroger et d'y apporter la solution adéquate en se modifiant ». (Bourdette, 2003 :264). C'est pour cette raison qu'il adapte la littérature à la lutte contre le sida avec la publication des plaquettes des textes littéraires au Service d'Édition de l'ADELIT.

    124

    39 N'Djaména, UNESCO, 1972

    125

    1.3 La situation professionnelle et le lieu de résidence : effet littéraire

    Bourdieu a traité le lieu de résidence, la profession et la décoration de l'auteur et des autres producteurs. Cette étude vise à « constituer la population des auteurs reconnus par le grand public intellectuel» (Bourdieu, 1998 : 256-257). Elle permet également de justifier l'hypothèse selon laquelle, les écrivains tchadiens les plus connus sont paradoxalement ceux qui vivent, travaillent et écrivent à l'extérieur du pays. La preuve est que l'enquête n'a considérée comme dramaturges de renom que ceux qui vivent à l'extérieur (Annexe 1, question 16). C'est par ces informations qu'on peut reconnaître les grands noms de la littérature. Loin de faire une bibliographie d'auteurs, cette partie a pour objet de donner des informations sur la profession et le lieu de résidence de ceux-ci. Elle suit l'ordre établit pour le traitement de la partie précédente réservée au statut de dramaturges de renom et à leurs pièces représentatives au niveau international et national.

    Maoundoé a exercé à la Fonction Publique tchadienne comme professeur de lycée et collège. Du Sud au Nord du pays, il a été tantôt chef d'établissement, tantôt enseignant. Il a enseigné l'histoire au Lycée Félix Eboué et y a occupé le poste de bibliothécaire. Il a effectué des travaux à caractère linguistique sur la toponymie ngambaye ou la linguistique de l'histoire en 1980. Ceci est un projet de recherche qu'il a monté lors de son séjour à Brazzaville, la même année, pour préparer un CAPEL à l'Institut des Sciences de l'Éducation. Pendant ses dernières décennies, N'Djaména fut sa ville de résidence. Maoundoé a rendu l'âme à Moundou le 13 janvier 2003.

    De son vrai nom Mahamat Moustapha, Baba est nommé à sa sortie de l'ENA de N'Djaména en 1975, préfet adjoint du Chari Baguirmi. Il a laissé ses fonctions pour suivre les études en France où il meurt en 1982, en pleine préparation d'un doctorat en droit international. Sa vie a été partagée entre Paris, la ville d'études et N'Djaména.

    Koulsy Lamko est enseignant installé au Burkina Faso. Il a travaillé comme agent de conception à l'Institut des Peuples Noirs en 1993, avant de créer l'année suivante une agence d'administration culturelle. Au Burkina Faso, il est comédien, assistant et metteur en scène. Il a organisé plusieurs ateliers d'écriture. La même année, Koulsy a eu une bourse de la fondation Beaumarchais pour une résidence d'écriture à Limoges. Ceci grâce au 10e festival international des francophonies au Limousin.

    126

    Palou Bebnoné était directeur au collège de Koumra où il dirigeait un centre culturel et une troupe qu'il a créée. Après des formations en France en 1963, il est décédé à Bongor, après la guerre civile au Tchad.

    Nocky Djédanoum, journaliste de formation, est installé à Lille où il a fondé le Festival Fest'Africa.

    Noël Nétonon N'Djékéry, mathématicien et informaticien de formation, travaille chez Bobst SA à Lausanne en Suisse.

    En plus des dramaturges de renommée internationale que nous venons de passer en revue, il y a au niveau local des jeunes qui produisent çà et là des pièces de théâtre.

    À N'Djaména, le comédien, conteur et metteur en scène Adam Abaye Abakar a produit plusieurs pièces inédites représentées au CCF de N'Djaména, à Abéché, Bol et Mao. (Citons entre autres Ali et sa carte, L'aventure d'un villageois et La peau du caméléon.

    Laring Bao, l'auteur de la pièce, Madame le Maître (Édition Sao, N'Djaména, 2000) est le promoteur de la maison d'édition Sao. Installé à N'Djaména à son propre compte, il est éditeur-écrivain.

    Garandi Dahwé, auteur d'Un fou la barre (1991) est comédien, metteur en scène et animateur à Médecins Sans Frontières.

    L'auteur de Manu ou la vie d'un élève (1990) de Le retraité (1992) et de Le destin tragique (1995), Boydi Clément Dégoto est un comédien, metteur en scène installé à Moundou où il enseigne de 1992 à 1995. Ces pièces inédites sont respectivement primées premier, troisième et deuxième prix du concours théâtral organisé par le centre Dombao de Moundou.

    L'homme qui a produit en 1980 et 1982 L'exode et Une vie brisée, Djimadoum dit Kotidjé-fils est professeur de français puis proviseur au LTC entre 1992 et 1995. Jusqu'en 2002, Djimadoum est resté secrétaire de l'ATPDH à N'Djaména.

    Djimet Kari, l'auteur de Le crime de la dot (N'Djaména, UNESCO, 1972) et d'Adel Fayda ou Saïd El-Goni (1975, inédit) est professeur certifié au Lycée de la Liberté à N'Djaména.

    127

    Ali Abdel-Rhamane Haggar a produit plusieurs pièces de théâtre inédites représentées à N'Djaména : Je veux la paix (1981) ; Tribalisme au Diable (1981), Sauve ton peuple (1985), Le beau frère du ministre (1981) et de Moussa Bégoto (1992). Économiste (PH/D à Leningrad, Ali Haggar est enseignant chercheur à l'université de N'Djaména et promoteur de HEC-Tchad (Haute École de Communication). Il a exercé des fonctions politiques et administratives importantes :

    Il a été successivement : secrétaire général du parlement provisoire pendant la transition ; puis conseiller aux relations internationales à la Présidence ; secrétaire général à la présidence de la république, enfin administrative provisoire de la société nationale sucrière du Tchad (Sonasut) (Taboye, 2003 : 202).

    Christophe Moyangar, auteur de Le prix d'une vie (1988) et d'A qui la faute ? (1992) est professeur de français au collège du Sacré-Coeur (après une licence en droit à l'université de N'Djaména) avant d'être administrateur civil à la fonction publique et contrôleur financier au Ministère des Finances. Comédien-metteur en scène, Moyangar réside à N'Djaména.

    Priscille Djérareou Mekoulnodji qui a produit Dana et Henriette (1980) et Mardochée, le juif (1980), après un DEUG en lettres et une licence de linguistique a enseigné au collège Notre Dame de Moundou. Elle a vécu au Texas où elle a préparé une maîtrise à l'université d'Arlington. De retour au Tchad en 1989, Priscille enseigne au Collège vangélique à N'Djaména.

    Adoum Nguérébaye Saleh a écrit Triple coup au pari-vente était un journaliste à la radio nationale tchadienne (animateur puis rédacteur en chef et sous-directeur des programmes). Il a été conseiller, attaché de presse à la Primature entre 1992 et 1997.

    Enfin, Samafou Diguilou Bondong a produit Kroidy, Les Réfugiés et Luttons contre le sida en 1990. Il est le président de l'ADELIT, responsable du journal Choc culture et du Service Édition-ADELIT. Samafou anime un atelier de littérature au CCF de N'Djaména. Il réside à la capitale du Tchad.

    128

    2. Les romanciers, autobiographes et nouvellistes : statut, grandes figures et oeuvres représentatives.

    Les oeuvres narratives dans la littérature tchadienne sont classées par priorité et visibilité entre le Théâtre et la Poésie. En roman, les résultats de l'enquête donnent 8 auteurs de dix romans reconnus, sept autobiographes qui ont, (hormis Zakaria F. Khidir, qui a deux textes autobiographiques), chacun une oeuvre. En nouvelle, le questionnaire nous donne quatre noms représentés chacun par au moins deux titres au niveau international et quatorze nouvellistes qui produisent dans l'anonymat au Tchad. La situation professionnelle et lieu de résidence de ses auteurs aident davantage à la compréhension de leurs textes.

    2.1 Les romanciers

    Les romanciers : statut, grandes figures et oeuvres représentatives

    Il est nécessaire de classer sous ce vocable les auteurs de tout texte littéraire traitant toute sorte de sujets reconnu par les éditeurs comme roman. Car pour la promotion de la culture tchadienne, il arrive de fois qu'un témoignage ou une autobiographie porte ledit nom. Les investigations menées donnent une liste de huit grandes figures du roman tchadien avec leurs oeuvres représentatives respectives : Ali Abdel-Rhamane Haggar, Nimrod Bena Djanrang, Baba Moustapha, Koulsy Lamko, Noël Nétonon N'Djékéry, Marie Christine Koundja, Tedambe Isaac et Mouimou Djékoré. (Annexe 1, question 17)

    Ali Abdel-Rhamane Haggar est reconnu romancier pour avoir publié chez Al-Mouna Le Mendiant de l'espoir (1998) et Le Prix du rêve (2002). Récemment il a publié Hadjer-Marfa-ine chez Sao. Ces romans sont connus respectivement à 35%, 5% et 5%.

    Le premier livre retrace le voyage « aller-retour » de Youssouf en URSS pour les études. C'est un roman de quête qui s'achève sur un découragement (Le Tchad n'a pas changé) et sur un projet d'insertion sociale. Le Prix du rêve est le deuxième roman de la trilogie. Il est rempli d'un réalisme que Taboye qualifie de créatif. Le retour de Youssouf au pays s'apparente à une descente aux séjours des morts. Le rêve n'est pas réalisé. Il faut le reconstruire. Hadjar Marfa-ine détruit le peu d'espoir. C'est la guerre à l'Est du Tchad qui gêne l'unité nationale, la cohésion sociale.

    Nimrod écrit Les Jambes d'Alice40 qui provoque la réaction du monde. Le fait de fuir la guerre est presque anodin pour un pays instable comme le Tchad où en temps de guerre, les populations urbaines quittent les lieux pour se réfugier aux villages. Mais fuir pour suivre les silhouettes d'une fille, (Alice), la suivre et la posséder, étant professeur de français et l'abandonner tôt, cela a une explication philosophique à rechercher. Les critiques à l'instar de Taboye n'ont pas tardé à condamner cette liberté d'écrire le sexe. Ce roman est connu par 30% des enquêtés.

    Baba Moustapha, avant de mourir a écrit Le Souffle de l'harmattan qui sera édité à titre posthume par l'association « Pour mieux connaître le Tchad » en 2000 chez Sépia. L'harmattan est un vent sec et chaud mais qui a ses vertus. Il mûrit les grains. Haroun et Ganda vivent dans cette chaleur mais s'aiment, luttent pour l'unité, la solidarité, détruisent les fondements des clivages et prônent le mariage interethnique et interreligieux. L'oeuvre est connue à 30%.

    Koulsy Lamko a écrit La Phalène des collines, (connue par 25 % des enquêtés) par devoir de mémoire pour le Rwanda, dans le cadre de Fest'Africa. Le texte est publié chez Kuljaama au Rwanda en 2000 et réédité chez le Serpent à la plume en 2002. C'est l'histoire d'une phalène qui erre de colline en colline en quête d'une sépulture. L'errance, l'assistance, l'exil et le génocide sont la trame de l'histoire. L'héroïne tuée par un prêtre est devenue phalène en attendant sa sépulture. À travers son voyage au Rwanda, le romancier observe et critique.

    La même année, N'Djékéry produit Sang de kola (Paris, L'Harmattan). Dans cette oeuvre, la politique et la guerre sont vivement dénoncées. Par la kola, l'auteur propose une réconciliation. Ce roman est reconnu par 20% des enquêtés. Cette volonté d'unifier le pays, de prôner l'unité nationale a été reproduite par Marie Christine Koundja, la première femme tchadienne écrivaine dans Al-Istifack ou l'idylle de mes amis, (Yaoundé, CLE, 2001). Pour Koundja, il faut lutter contre les clivages, les divisions Nord/Sud et Chrétien/Musulman. Le mariage entre Allatoidji et Fatimé est un mariage d'unité. Malheureusement 10% des enquêtés seulement ont entendu parler de l'oeuvre. Isaac Tedambé et Mouimou Djékoré changent le ton avec République à vendre et Le Candidat au paradis refoulé (publiés chez L'Harmattan),

    129

    40 Paris, Acte Sud, 2001

    130

    connus chacun à 5%. La politique africaine est orientée vers la répression, les intérêts égoïstes. Ces deux auteurs trouvent à dénoncer les tares qui bloquent le sursaut, le développement socio-économique. La situation professionnelle et le lieu de résidence de ces auteurs ont été étudiés dans la première partie de ce chapitre réservée à la dramaturgie parce qu'ils sont en même temps dramaturges et romanciers. Seul Nimrod trouvera sa place parmi les poètes auxquels nous consacrons la dernière partie du chapitre.

    Ce commentaire peut être illustré par le tableau suivant :

    Auteurs

    OEuvres

    Pourcentage

    Achat

    visibilité

    Lecture

    1

    Abdel-Rhamane Haggar

    Le Mendiant de l'espoir

    10

    35

    10

    Le Prix du rêve

     

    5

    5

    Hadjar Marfa-ine

     

    5

     

    2

    Nimrod B. Djanrang

    Les Jambes d'Alice

     

    30

    25

    3

    Baba Moustapha

    Le Souffle de l'harmattan

     

    30

    10

    4

    Koulsy Lamko

    La Phalène de colline

    10

    25

    25

    5

    N. Nétonon

    N'Djékéry

    Sang de Kola

     

    20

    15

    6

    M. Christine

    Koundja

    Al-Istifack

    5

    10

    25

    7

    Tedambe Isaac

    République à vendre

    5

    5

    5

    8

    Mouimou Djékoré

    Le Candidat au paradis

    refoulé

     

    5

    5

    Tableau II : Les romanciers de renom suivis de leurs oeuvres représentatives 2.2 Les autobiographes

    2.2.1. Les autobiographes : statut, grandes figures et oeuvres représentatives

    Le résultat des recherches présentent sept autobiographes parmi lesquels Joseph Brahim Seid et Hinda Deby Itno (annexe 1, question 18) trouvent leur place.

    L'Enfant du Tchad, signé du premier aux éditions Segerep, en 1962, est la première oeuvre autobiographique, mais introuvable. Elle est connue à 10%. Rappelons cependant que Joseph Brahim Seid est une grande figure de la littérature tchadienne. Il est l'un des premiers

    131

    écrivains tchadiens avec Au Tchad sous les étoiles.41 De Fort Lamy au Caire en passant par Brazzaville, il finit ses études secondaires et obtient en 1949 le Baccalauréat. Arrivé en France, il finit une licence en droit en 1955 et prépare un brevet de l'École Nationale de la France d'Outre-Mer. Il termine ses études en France avec une thèse de doctorat en droit. Il a travaillé au Tchad comme magistrat avant d'être nommé ambassadeur puis ministre de la justice. J.B. Seid a résidé à N'Djaména.

    Hinda Deby Itno a été classée parmi les autobiographes tchadiens après la publication de La Main sur le coeur, en 200842. L'oeuvre est moins connue et lue par les enquêtés : 5%. Après un Bac D au Lycée Sacré-Coeur, à N'Djaména, en 1999, Hinda a étudié la finance et la comptabilité à l'Institut du Génie Appliqué de Rabat, au Maroc en 2003. Elle est titulaire d'un BTS en finance et banque obtenu à l'Institut d'Administration et des Études commerciales à Lomé, au Togo (en 2001). Hinda a effectué des stages à la BEAC. C'est en 2003 qu'elle est nommée chef comptable au ministère de la santé. En 2005, elle épouse Idriss Deby Itno.

    Les cinq autres autobiographes reconnus sont Zakaria Fadoul Khidir, Antoine Bangui, Mahamat Hassan Abakar, Michel N'Gangbet Kosnaye et Ahmed Kotoko.

    Zakaria Fadoul Khidir est une grande figure de l'autobiographie tchadienne. 75% des enquêtés reconnaissent avoir lu Loin de moi-même43 et 5% Les Moments difficiles (dans les prisons d'Hissène Habré en 198944) contre 20% qui ont juste entendu parler.

    Prisonnier de Tombalbaye45 d'Antoine Bangui a été lu par 70% des enquêtés, 15% estiment avoir lu Les Ombres de Kôh (Paris, Hatier, 1983, Collection Monde noir, Poche). 15% n'ont pas du tout lu. Signalons qu'il est l'auteur de Tchad, Elections sous contrôle, 19961997 (Paris, L'Harmattan, 1999).

    41 Paris, Présence africaine, 1962

    42 Madrid-Paris-New-York, les éditions continentales, collection « Femmes d'excellence ».

    43 Paris, L'Harmattan, 1989

    44 Paris, Sépia, 1998

    45 Paris, Hatier, 1980, collection Monde noir, Poche

    132

    Mahamat Hassan Abakar, l'auteur d'Un Tchadien à l'aventure (Paris, L'Harmattan, 1992) est aussi une figure représentative. Ce texte est lu par 20% des enquêtés. En matière d'ouvrages et d'articles, cet auteur n'est pas le dernier.

    Michel N'Gangbet Kosnaye avec Tribulation d'un jeune tchadien (Paris, L'Harmattan, 1993) a gagné une popularité. 15% de nos enquêtés reconnaissent avoir lu cette autobiographie.

    Enfin, Ahmed Kotoko a produit Le Destin de Hamaï ou le long chemin vers l'indépendance du Tchad (Paris, L'Harmattan, collection Mémoires africaines, 1989) qui est reconnue et lue par 10% de nos enquêtés.

    Le tableau suivant récapitule les textes autobiographiques de ces sept auteurs

    Auteurs

    OEuvres

    Pourcentage

    Achat

    Visibilité

    Lecture

    1

    Joseph Brahim Seid

    L'Enfant du Tchad

     

    10

     
     

    Hinda Déby Itno

    La Main sur le coeur

    5

    5

     
     

    Zakaria Fadoul

    Khidir.

    Loin de moi-même

     

    75

    75

    2

    Les Moments difficiles

     

    5

    5

    3

    Antoine Bangui

    Prisonnier de

    Tombalbaye

    15

    70

    70

    4

    Les Ombres de Kôh

     

    15

    15

    5

    M. Hassan Abakar

    Un Tchadien à l'aventure

     

    20

    20

    6

    Michel

    N'Gangbet Kosnaye

    Tribulation d'un jeune

    tchadien

     

    15

    15

    7

    Ahmed Kotoko

    Le Destin de Hamaï

     

    10

    10

    Tableau III : Les autobiographes de renom suivis de leurs oeuvres représentatives

    Ces autobiographies, comme nous les constatons, ont été éditées à Paris. Au niveau du Tchad, les écrivains sont tournés beaucoup vers la poésie, la nouvelle et le théâtre (peut-être à cause des éventuels et sporadiques prix attribués aux lauréats de ces genres).

    133

    2.2.2. Les autobiographes : la situation professionnelle et lieu de résidence : effet littéraire

    Zakaria Fadoul Khidir a enseigné au LFE et à l'INSH, avant d'occuper le poste de Vice-recteur de l'université de N'Djaména. Parallèlement, il enseigne la linguistique à la faculté des lettres.

    Antoine Bangui a enseigné les mathématiques à Bangui en Centrafrique et à Bongor au Tchad entre 1957 et 1960. De là à 1972, il est resté pendant dix ans directeur de cabinet au ministère de l'éducation nationale. Il a été plusieurs fois ministre et ambassadeur du Tchad. Il vit depuis 1999 en France, étant chef d'un parti politique : MORENAT. Après s'être rendu indésirable aux yeux du premier président tchadien, il a travaillé à l'UNESCO entre 19811993.

    Mahamat Hassan Abakar, de son retour au Tchad, après ses études en France, a occupé de 1983 à 1989 les postes de conseiller à la cour suprême, de procureur de la république, de président du tribunal de première instance, de conseiller à la cour spéciale de justice et de premier substitut du procureur général de la république du Tchad. Il a été, en 1990, le président de la commission d'enquête nationale du ministère tchadien de la justice sur les « crimes et détournements de l'ex-président Habré et de ses complices ».

    Michel N'Gangbet Kosnaye fut plusieurs fois ministre sous le règne de Tombalbaye. Exilé sous Habré, il rentre en 1987 et occupe des postes de responsabilité à l'UDEAC. Il fonde en 1993 un bureau d'études pour la promotion économique et sociale à N'Djaména et décède en juillet 2001.

    Ahmet Kotoko a occupé des postes ministériels sous la première République. Il a été ministre de l'éducation nationale et des finances de 1959 à 1961. Renvoyé "persona non grata" par Tombalbaye, il a exercé comme chargé des affaires à l'ambassade du Cameroun à Djeddah en Arabie Saoudite de 1966 à 1972. Il meurt à Kousseri, au Cameroun, le 07 octobre 1988.

    134

    2.3 Les nouvellistes

    2.3.1 Les nouvellistes : statuts, figures et oeuvres représentatives

    Les enquêtes présentent quatre noms représentés chacun par au moins deux titres. Il s'agit de N. N. N'Djékéry, Baba Moustapha, K. Lamko et M. Naindouba (annexe 1, question 19). Ce genre est important en quantité après le théâtre malgré le nombre négligeable d'auteurs. Ceux-ci sont, au niveau du Tchad, (puisque deux sont morts, un au Burkina Faso et l'autre en Suisse), suivis par quelques nouvellistes amateurs. Des instances de légitimation ont oeuvré pour rendre ce genre abondant.

    Noël Nétonon N'Djékéry est la grande figure qui a des textes représentatifs, très populaires. En réalité, Maoundoé Naindouba est le plus ancien, le premier à écrire une nouvelle au Tchad, mais ses oeuvres La double détresse et La lèpre, connues respectivement à 10% et 5% sont introuvables. Les talents de N'Djékéry sont confirmés par RFI avec ses prix de la meilleure nouvelle de la langue française : Les Trouvailles de Bemba (5eprix du 3e concours), La Descente aux enfers (Grand Prix du 7e concours), La Carte du parti (6e prix du 8e concours) etc.

    La Descente aux enfers (Paris, Hatier, 1982) est l'oeuvre qui consacre davantage le nouvelliste. 55% des enquêtés la reconnaissent comme l'oeuvre phare de N. N. N'Djékéry, suivie de Les Trouvailles de Bemba (10%) et La Carte du parti (5%). La Descente aux enfers, selon les termes de Bourdette-Donon « peint la chute sociale et morale d'un petit commerçant qui perd peu à peu ses biens, son épouse et sa vie » (Bourdette-Donon, 2003 : 224). C'est dans un cadre villageois, Bémoundou, où l'imposition de la culture du coton et l'abus d'autorité des militaires font peur à la population que Bemba fait ses trouvailles. La dénonciation du parti unique se fait ouvertement dans La Carte du parti. N'Djékéry oppose les vieux dictateurs, cupides et jaloux à la jeune génération représentée par Belembaye et son épouse, formés en Europe et pleins de force pour servir l'Etat. « Si le blé ne meurt, il ne peut sortir de terre » disent les chrétiens. N'Djékéry a semé l'engagement.

    Baba Moustapha est reconnu nouvelliste grâce à La Couture de Paris, reconnue à 35% par nos enquêtes et Sortilèges dans les ténèbres, à 15%. La Couture de Paris est une critique de la civilisation sans base, de la modernité, du développement à une vitesse imposée par l'extérieur. Sortilèges dans les ténèbres est introuvable.

    Le talent de nouvelliste du dramaturge de Koulsy Lamko est reconnu grâce à Le Regard dans une larme : 25%, Aurore : 10% et Un Cadavre sur l'épaule à 5%.

    135

    À partir de cette analyse, nous pouvons avoir le tableau suivant :

    Auteurs

    OEuvres

    Pourcentage

    Achat

    Visibilité

    Lecture

    1

    N. N. N'Djékéry,

    La Descente aux enfers

    25

    55

    35

    Les Trouvailles

     

    10

    5

    La Carte du parti

    10

    5

    5

    2

    Baba Moustapha,

    La Couture de Paris

    10

    35

    10

    Sortilèges

     

    15

     

    3

    K. Lamko

    Le Regard dans une

    larme

     

    25

     

    Aurore

     

    10

     

    Un Cadavre sur l'épaule

     

    5

     

    4

    M. Naindouba

    La double détresse

     

    10

     

    La lèpre

     

    5

    5

    Tableau IV : Les nouvellistes de renom suivis de leurs oeuvres représentatives

    Faisant la lecture critique de toutes ces nouvelles, Taboye affirme qu'elles dénoncent soit la guerre civile (La Descente aux enfers), soit la politique (La Carte du parti) et le sous-développement (La Couture de Paris), soit encore les méfaits de la colonisation (Les Trouvailles de Bemba).

    La situation professionnelle et le lieu de résidence de ces nouvellistes, qui sont en même temps des dramaturges ont fait l'objet d'une étude dans la première partie de ce chapitre, réservée à la dramaturgie.

    Au Tchad, quatorze nouvellistes sont recensés : Abakar Adam Abbaye a écrit Ma mère ; Dinguemnaial Renaud est l'auteur de Mère pleure (1996) ; Les Yeux de lynx (1997), Un Corps blanc comme (1997), Visage sans-coeur (1998) et Au pays de grand-père (parue in Tchad au coeur, RLP, N'Djaména, 1998) ; Djédouboum Saloum a signé Le Clochard de Kabalaye (1993), Épitre posthume (1994) et Rupture (1995). Djékorédom Nabam Koopa publie La porte bleue en 1994. En 1997, Djimet Kari écrit Jeunesse africaine, porte ton deuil. La même année paraît Exilé de Djimong Kodibaye Franck (in Encres encrés, SBL, N'Djaména). El Katib Abdou a écrit Mari et femme, Le Bonheur chez soi, et Enfin libre en 1993 ; Le Bac en 1994, Le Choix de Kadi et Souvenir indélébile en 1997. La même année paraît Le Devoir d'aîné de famille (RLP, N'Djaména) de Hourmadji Moussa Doumgor. Kodibaye Patrick est l'auteur de Ceux qui n'ont droit qu'à l'enfer (1992), Le trésor (1996) et Tchad au coeur, en 1998 (in Tchad au coeur, RLP, N'Djaména). Dans ce collectif paraît également Samara de Faigou Nafée Nelly. Palouma Zilhoubé, la deuxième femme, produit

    136

    L'Enfant rebelle (in Nouvelle du Tchad, PACT, N'Djaména) en 1994. Saleh Adoum Nguérébaye a à son actif Shimkiri (in Tchad et Culture, n° 104-107 du 11/77 au 02/78). Samafou a écrit La N'djaménoise, Kamingdi et Vangdar Dorsouma Ismaël, Amour ou cauchemar ; Le mystère d'un nom ; Les yeux ; Qui aurait cru ?etc.

    2.3.2 Les nouvellistes : situation professionnelle et lieu de résidence

    La situation professionnelle et lieu de résidence d'A. Adam Abaye, de Djimet Kari, de S. Adoum Nguérébaye et de Samafou Diguilou ont été étudiés dans la première partie de ce chapitre réservée à la dramaturgie. Pour le reste, Renaud Dinguemnaial est correspondant permanent d'Équateur Média Group (société camerounaise de presse) et secrétaire de ASET. Après avoir oeuvré comme journaliste au Temps puis au Grenier, il travaille à la Chambre consulaire (chef de service communication), à la CCIAMA, Directeur Général), etc. Titulaire d'un DESS en management, il est actuellement assistant à FAO Tchad à N'Djaména.

    Djédouboum Saboum et Djékorédom résident à N'Djaména où ils se sont rendus populaires par l'écriture et la participation aux concours littéraires. Ce dernier, né en 1998 et est assistant à la Faculté de Droit, Gestion et Techniques Économiques de l'Université de N'Djaména. Il a exercé comme informaticien à la Cotontchad, à la Société des Télécommunications Internationales du Tchad, avant d'être nommé au Budget Chef de service puis Directeur des affaires Générales.

    Djimong Kodibaye Franck a vécu en 1997 à N'Djaména où il a vivement participé au SBL au moment où il préparait une licence en Droit.

    Abdelkérim Seidna, alias Abdou El Katib, après son séjour à Bagdad, revient avec un Brevet de Technicien Supérieur en production pétrolière s'installer à N'Djaména comme pharmacien.

    Faigou Nafée Nelly réside à N'Djaména où elle a participé de 1994 à 1998 aux concours littéraires organisés par le CCF, le RLP et a animé le SBL. C'est dans le cadre de ces organisations qu'elle a eu à publier ses oeuvres. En ce temps, Hourmadji Moussa Doumgor était directeur général du Ministère des Communications avant de prendre le contrôle de ce département. Il réside à N'Djaména où il occupe successivement plusieurs postes politiques.

    Kodibaye Patrick réside à N'Djaména où il est comédien, scénariste et maquettiste. Il est également le fondateur du Groupe SIL en 1995. Vangdar Dorsouma Ismaël, enfin est comédien, metteur en scène et dramaturge résidant à N'Djaména.

    137

    3. Les poètes, statut, grandes figures et textes représentatifs

    Au Tchad, la poésie est l'enfant pauvre de la famille littéraire. Elle n'est pas le genre qui attire le plus. Elle vient en cinquième position après le théâtre, l'autobiographie, le roman et la nouvelle. Le premier recueil de poèmes est édité en 1987. Cinq poètes de renom remplissent le paysage poétique tchadien : Nimrod Bena Djanrang, Koulsy Lamko, Moïse Mougnan, Nébardoum Derlemari Abdias et Nocky Djédanoum. D'autres écrivent à l'extérieur et à l'intérieur du pays, mais n'ont cependant pas fait éditer des recueils de poèmes. Au Tchad, Amine Idriss, Djikoloum, Mahamat Djeddid Ahmat et Mbaïdam écrivent.

    3.1 Les poètes de renommée internationale

    Les guerres et les violences politiques ont poussé des milliers de jeunes tchadiens à l'exil. Pendant la dictature, le manque de liberté et la recrudescence de l'oppression, ces jeunes, témoins de l'histoire sociopolitique retracent dans leurs poèmes les désespoirs et les espérances. Les oeuvres de ceux-ci, bien que produites et éditées à l'extérieur du Tchad, sont pleines du déséquilibre lié à l'éloignement. Quatre poètes au niveau international ont produit huit recueils de poèmes. Bourdette-Donon (2000) reconnait que :

    Que ce soit chez Nimrod, qui vit et écrit à Paris, chez Moïse Mougnan et Abdias Nébardoum refugiés à Montréal ou chez Koulsy Lamko, errant entre Lomé,

    Limoges et Ouagadougou, on retrouve au niveau des mondes forgés par ces poètes, un même tiraillement généré par leur appartenance souvent conflictuelle, à plusieurs cultures, à des systèmes de valeurs différents. (Bourdette-Donon, 2000 : 17)

    Le résultat de l'enquête présente les poètes suivants : Nimrod Bena Djanrang, Koulsy Lamko, Moïse Mougnan, Nébardoum Derlemari Abdias et Nocky Djédanoum. (Annexe 1, question 20).

    Le philosophe Nimrod Bena Djanrang est une grande figure en poésie tchadienne. Il s'impose dans ce domaine par Silence des chemins (Pensée universelle, 1987, connu par 10% des enquêtés, Pierre, poussière (Obsidiane, 1989), connu à 20% et Passage à l'infini (Obsidiane, 1999), connu à 10%. Le poète donne sens et vie au silence, celui du départ, de la peur, du découragement. Pour ne pas tomber dans le « silence totalitaire », dans son premier titre, le poète essaye de rendre compte du silence à travers les chemins. Pierre, poussière est l'évocation de la mort, cette mort qui est éternel recommencement. La plaine de Ham est de

    138

    refuge de la mort et l'harmattan est l'agent de celle-ci et l'herbe folle ses vestiges. Le poète est convaincu enfin que tout sur la terre est passage à l'infini, un cycle sans fin.

    Koulsy Lamko est dramaturge mais, occupe-t-il une bonne place parmi les poètes grâce à des poèmes engagés qu'il rédige, déclame et place quelquefois dans ses pièces de théâtre. Ces poèmes les plus célèbres sont La Danse du lab et Terre bois ton sang, tous deux parus dans Exil en 1994 et connus respectivement à 15% et 25% des enquêtés. On retrouve également le premier poème dans Mon fils de mon frère (pièce de théâtre). Les jeunes hommes sortis nouvellement de l'initiation dansent au lab. Terre bois ton sang est une chanson des morts errants à la recherche d'une sépulture. Elle est aussi une danse permettant aux revenants de rejoindre leur tombe dans La phalène des collines.

    Dans ces poèmes, on découvre une volonté de décrire l'ailleurs pour dissiper les souffrances. Dans Exils, le poète exprime correctement cette révolte en ces termes : « Le Tchad lui-même est un théâtre où se jouent toutes les passions inspirées par Thanatos ! Il y a tout pour bâillonner les muses, les faire s'envoler de toutes leurs petites ailes. Heureux que l'on puisse encore chanter, même dans la douleur» (Koulsy, 1994 : 28)

    Moïse Mougnan est le deuxième poète prolifique après Nimrod, mais il est moins lu au Tchad. Ses textes représentatifs Le Rythme du silence et Des Mots à dire (éditions d'Orphée, 1986 et 1987, Montréal) sont cités respectivement à 25% et 10% par les enquêtés. Ces deux recueils combattent de par leur contenu le silence qui est complice selon le poète. Il le substitue par le cri et les mots contre la dictature. Mougnan résume sa pensée inspiratrice dans Le Rythme du silence :

    En tant qu'être humain, je ne peux pas être insensible aux malheurs de millions de mes semblables [...]/Je ne peux pas être sourd aux cris de douleur des orphelins, des veuves, des opprimés [...]/ Et en tant que poète, je ne peux pas être silencieux au génocide de mon peuple car mon silence sera synonyme de complicité et de lâcheté. (Mougnan, 1986 : préambule).

    Dans Des Mots à dire, c'est toujours le thème de l'engagement, celui-ci est pour le poète, une obligation, un devoir : « Je crierai [...]/ Car de ma bouche sortira toujours une flèche [...]/Alors tous les hommes auront droit au soleil [...]/ Une femme criera « Liberté » [...]/Afin que la terre devienne terre» (Mougnan, 1986, op. cit, in Taboye, 2003: 318). Le poète reconnait qu'ils étaient plus de 500 000 personnes à partir. Mais il est optimiste quant à

    139

    l'issu de ce combat: « A travers les chemins qui vont de Sarh/Moundou/À Abéché/Se construiront des routes qui mèneront à bâtir/Un pays/Nouveau. (Mougnan, 1987,"croire encore" : 20). Ayant constaté que « les routes de l'exil/ ce sont toujours des routes de rupture. / [...] de fracture/ [...] de déchirure» (Mougnan, 1987, "l'Exil": 23), le poète désire, à la même page, être le dernier exilé : « Mon Dieu, faites de moi le dernier exilé de mon pays ! ».

    Nébardoum Derlemari Abdias voit en la poésie, une arme pour délivrer les opprimés. C'est pour cela qu'il s'engage aussi fermement que Moïse Mougnan. Abdias avait produit des textes critiques sur l'instabilité politique parmi lesquels Le Labyrinthe de l'instabilité politique au Tchad (Paris, L'harmattan, 1998). Il a d'autres ouvrages, analyses et synthèses de débats à son actif. Cris sonore (édition d'Orphée, Montréal, 1987) est le premier texte qu'il inscrit sur la liste des poètes tchadiens. Dans ce recueil cité par 10% de la population enquêtée, il dénonce la situation catastrophique du pays. Pour Taboye :

    Le poète ne fait pas que dénoncer l'imposture, la dictature, il accuse le monde et l'Afrique d'indifférence et de complicité. Il refuse de se résigner, et crie son incompréhension et son impuissance. Il continue d'espérer et l'espoir pour lui réside dans la poésie ; c'est là qu'il crie sa douleur et sa déception (Taboye, 2003 : 290).

    Le poète regrette qu' « Il y a un dictateur /Qui fait/Ces millions d'exilés/Ces millions de réfugiés/Ces millions d'apatrides... » (Nébardoum, 1987, "apatride" : 35.) Le poète regrette également que la France put abandonner le Tchad au chaos : « quelle nourrice/ Ne donne que pus/Au nourrisson affamé ?/Dites/Quel pasteur/Ne mène son troupeau/Que par les sols arides ?/ [...] Souffrance de sous-France/ N'en finit et/Souffrance de sous-France/ça saoule la France» (Nébardoum, 1987, "souffrance" :18) Pour ne pas garder le silence complice, le poète préfère écrire un poème qui ne sera fait ni de vers, ni de prose, moins encore de mots, mais de cri, le cri de son peuple. Il estime que ce cris éveillera ceux qui dorment sur les hécatombes des enfants de son peuple sera « Le cri/D'un enfant/Qui criera/LIBERTÉ» (Nébardoum, 1987, "J'écrierai un poème" : 50). Par un "je" maître du discours, le poète ne perd jamais espoir. Puisqu'un dictateur fait partir de millions de personnes, le poète peut défendre ceux-ci : « Puisque j'espère/Je me tiendrai/Devant le tribunal du monde/J'élèverai ma voix/Que ma voix retentisse jusqu'aux extrémités de la terre/

    140

    Je réclamerai/Justice/Paix/Liberté/Pour les millions de coeurs désespérés» (Nébardoum, 1987, "Puisque j'espère" : 20).

    L'auteur de la pièce : Illusions, primée par le CTI de RFI, Nocky Diombang Djédanoum est connu dans le monde littéraire par les oeuvres théâtrales et son engagement pour le festival de littérature des arts et médias qu'il dirige depuis 1994 dont il est le fondateur. Dans le cadre du projet collectif « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », il écrit Nyamirambo (Lille, Fest'Africa et Bamako, le figuier, 2000, le titre de ce recueil de poème est le nom d'un quartier de Kigali, la capitale rwandaise, et qui veut dire « amoncèlement de cadavres, colline ou montagne de cadavres, et cela bien avant même le génocide de 1994 » (Taboye, 2003 : 332). Ce texte connu par 25% de la population enquêtée fait de lui le poète de la mort, le dénonciateur des crimes. Les évènements de 1994 ont rendu le quartier de tous les espoirs un lieu de désespoir et de haine : « Depuis ce jour d'avril 1994/Où le soleil a éclipsé derrière des collines sans crier gare/ [...]/La terre de nos rêves/Est devenue terre que je peine à nommer » (Nocky, 2000, cité par Taboye, 2003 : 334). Le poète ne désespère pas malgré cette déception, il préfère réorganiser cette terre et donner espoir à ceux qui y vivent. C'est pourquoi il dit à cet effet : « Quoi que je dise/Quoi qu'elle fasse/Terre de tous les noms/Cette terre est mienne» (Nocky, 2000, cité par Taboye, 2003 :334.).

    L'analyse faite des poètes et de leurs oeuvres peut se présenter de la manière suivante :

    Auteurs

    OEuvres

    Pourcentage

    Achat

    Visibilité

    Lecture

    1

    Nimrod Bena Djanrang,

    Silence des chemins

     

    10

     

    Pierre, poussière

    5

    20

    5

    Passage à l'infini

     

    10

     

    2

    Koulsy Lamko,

    Danse du lab

     

    15

     

    Terre bois ton sang

     

    25

     

    3

    Moïse Mougnan,

    Le Rythme

     

    25

     

    Des Mots à dire

     

    10

     

    4

    N. Derlemari Abdias

    Cris sonore

     

    10

     
     

    Nocky Djédanoum

    Nyamirambo

     

    25

     

    Tableau V : Les poètes de renom suivis de leurs recueils représentatifs

    141

    3.2 Les poètes au niveau national

    Au niveau local, il n'est pas rare de voir un lycéen déclamer un poème lors d'une cérémonie ou à la radio. La presse écrite réserve quelques fois des colonnes à la poésie mais les recueils édités sont moins nombreux.

    Amine Idriss a écrit Eclats d'ombre (1997), Djikoloum, par la faveur du centre Dombao de Moundou a publié N'Dra (1991) ; Testament ; Ombre ; L'Enfant naturel et L'Afrique saigne, l'année suivante. La même année et au même centre, Mahamat Djeddid Ahmat a pu produire Jour d'espoir et Les Inventeurs de la mort. Mbaïdam, quant à lui n'a que des textes inédits : Pas de danse et danse infinie. Honte est le titre de ses poèmes rendus publiques grâce au numéro 1729 de Jeune Afrique (du 24 février au 02 mars 1994).

    3.3 Les poètes : situation professionnelle et lieu de résidence, effet littéraire 3.3.1 Les poètes de renommée internationale

    Nimrod Bena Djanrang, enseignant de philosophie est rédacteur en chef de la revue semestriel, artistique, philosophique et littéraire, Aleph beth, créée en 1997. En plus de cette activité, Nimrod se consacre à la littérature. En poésie, il est une vraie autorité, selon Taboye qui reconnait que sa poésie à renommée internationale est inspirée par sa formation en philosophie : « très marqué par la guerre, il semble opposer au chaos imposé par les armes un autre chaos que présente à l'homme la nature » (Taboye, 2003 : 16). Ce ton philosophique est poétisé d'une manière romancée dans son premier roman Les Jambes d'Alice (Paris, Acte sud, 2001). Le poète, romancier, essayiste originaire de Koyom (Hameau au Sud de Bongor, Tchad), après les études au Tchad et en Côte d'Ivoire vit actuellement en France.

    Koulsy Lamko, le poète le plus productif et prolifique est dramaturge, comédien, assistant et metteur en scène à l'atelier théâtre burkinabé. Il participe à des créations collectives et anime des ateliers d'écriture. Koulsy est selon les termes de Taboye : « installé au Burkina Faso depuis 1993 où il enseigne et est agent cadre de conception à l'institut des peuples noirs » (Taboye, 2003 : 56). Le poète est également conteur et romancier. Il a résidé au Tchad, au Burkina, au Togo, en Limousin (à Limoges) avant de repartir s'installer au Burkina où il met en pratique la formation d'entrepreneur culturel suivie à Lomé. En 1994, il met en place une agence d'administration culturelle.

    142

    Moïse Mougnan, journaliste politologue anime l'émission africaine de Radio Centre-Ville à Montréal. Là, il fonde avec le concours d'un ami zaïrois, le magazine Echos d'Afrique ainsi que la télévision africaine du Québec. Mougnan a travaillé au ministère de l'agriculture avant de se donner à la presse. Il est directeur des relations publiques du magazine Transatlantique (sous-titré « Le développement, la francophonie, le monde et nous ») puis rédacteur en chef du même magazine. À Montréal où il vit avec sa famille, il a été secrétaire général des étudiants africains au Canada, a lutté pour les droits de l'Homme et a collaboré au journal haïtien de Montréal, Présence.

    Nébardoum Derlemari Abdias, une fois les études de droits suivies au Togo et au Canada est devenu juriste publiciste internationaliste. Mais, il n'a pas laissé les activités artistiques et littéraires, qui l'ont poussé à abandonner les études scientifiques au profit des lettres et des sciences sociopolitiques. La poésie pour laquelle il a un fort penchant est un moyen de lutte politique. La passion double de chercheur artiste devient réalité grâce aux multiples publications : Labyrinthe de l'Instabilité politique au Tchad (Paris, L'Harmattan, 1998) dans lequel il propose le sérieux projet de développement pour lutter contre l'instabilité politique, Contribution à une politique de développement au Tchad (Paris, L'Harmattan, 2000) où il préfère "une diplomatie de population" et non d'État, etc.

    Nocky Djédanoum est le directeur artistique du festival dénommé Fest'Africa, dont il est le fondateur en collaboration avec Maïmouna Coulibaly depuis 1994. Il est installé à Lille en France où il travaille pour le Fest'Africa. Ce journaliste a une passion littéraire. Pour cette raison, il signe des pièces de théâtre, de recueils de poèmes et de romans. C'est grâce à ces deux occupations qu'il est reconnu au Tchad.

    3.3.2 Les poètes au niveau national

    Au niveau local, il n'est pas aisé de dire clairement qui joue quel rôle et où, puisque que les activités professionnelles et littéraires convergent et l'unité d'action n'est pas évidente. Quatre poètes ont produit neuf recueils de poèmes. Amine Idriss Adoum réside à N'Djaména où il est responsable d'un programme de vulgarisation des droits humains, au Centre pour l'éducation à la démocratie et journaliste au Renouveau. Comédien et metteur en scène, il dirige la troupe « Colombe ».Entre 1991 et 1993, Djikoloum résidait à Moundou. Là, il bénéficiait de tous les privilèges et les honneurs révolus à un poète. Mahamat Djeddid

    143

    enseigne depuis 1997 au lycée de la liberté à N'Djaména et son ami et camarade Mbaïdam Boguy au CEG de Déréssia, dans la Tandjilé).

    Nous avons dans ce chapitre eu recours à six dramaturges de renom vivant à l'extérieur du pays où ils ont eu la chance de se faire éditer dans des maisons d'édition qui leurs donnent une large diffusion. Onze autres, vivant à N'Djaména où ils font de l'écriture une activité de seconde place, écrivent pour reverdir le champ dramaturgique. Parmi les huit romanciers ci-haut cités, deux seulement exercent au pays comme chargés de cours en économie et en agronomie. Il s'agit d'A. A. Haggar et de Mouimou Djékoré. Sept autobiographes ont été étudiés. Parmi eux, seuls le docteur Z. F. Khidir et Hinda Déby vivent au pays. Quatorze des dix-huit nouvellistes évoqués vivent au pays. Cinq poètes de renom sont à l'extérieur du pays sur neuf.

    En global, l'étude nous permet de déduire que les écrivains tchadiens exercent l'écriture comme une activité de seconde fonction. Tous ont des diplômes universitaires, surtout spécialisés en sciences humaines et se recréent en instruisant par le livre. Ce dénombrement des écrivains par genres étant fait, il est utile de recenser les instances qui ont édité les oeuvres tchadiennes. Après un état des lieux des éditions qui ont accueilli des textes d'auteurs tchadiens au niveau international, les instances au niveau local seront analysées pour infirmer l'hypothèse d'une éventuelle absence d'instances et d'acteurs de production reconnus au Tchad.

    144

    Chapitre 6 : Les instances techniques de réalisation d'ouvrage

    Le marché des biens symboliques est un champ relativement autonome composé d'artistes et d'intellectuels décidés de libérer leur production ou leur métier de toute servitude externe (ordre clérical, pouvoir politique, domaine commercial, etc.). Dans ce champ, la valeur symbolique et marchande de l'objet culturel impose la division du champ en instances. C'est en s'appuyant sur cette pensée de P. Bourdieu (1998) que J. Dubois (19978) élabore une théorie de l'institution littéraire en s'interrogeant sur les modalités de fonctionnement des instances de production et de légitimation ainsi que sur le statut de l'écrivain. Sa démarche nous guidera dans ce travail.

    1. Étude historique et fonctionnelle de l'édition et de l'impression

    1.1 L'impression

    L'imprimerie est définie par Le dictionnaire du littéraire comme : « l'art de reporter les éléments graphiques - et d'abord des signes d'écriture, dont des textes- sur une surface plane, (de papier le plus souvent)». (Aron et al, 2002 : 292). Ce rapport s'est effectué pendant cinq siècles par pression d'où le nom imprimerie. Elle est pour Twyman Michael, « une des plus importantes inventions de tous les temps. Elle a changé le cours de l'histoire par son extraordinaire impact sur les plans intellectuel, social et artistique» (Twyman, 2007, préface). Au fil des siècles, ses applications se sont multipliées grâce à l'adaptation continue des procédés aux évolutions technologiques depuis la production manuelle jusqu'à la production mécanique puis électronique.

    1.1.1 Histoire de l'imprimerie et l'évolution des presses.

    Avant 144846, les usages du livre sont d'abord restés le monopole des clercs, copistes et jongleurs qui font usage de leurs mains pour écrire et multiplier les textes. Le livre, à ses origines progressait cahin-caha dans divers groupes sociaux. Mais ne sera-t-il pas uniquement l'apanage des religieux et des bourgeois. La cause de ce phénomène est l'accroissement des imprimeries. Des textes religieux aux textes prohibés, cyniques ou pornographiques en passant par ceux de formation, on constate de plus en plus la présence de l'imprimé. La presse faite au bois de Gutenberg est restée telle quelle pendant trois siècle et demi. Elle ne répond

    46 Date de l'invention de l'imprimerie par Gutenberg, en Italie

    point, d'après Gérard Martin, à l'idée qu'on se fait aujourd'hui d'une machine. Il la décrit ainsi : « Une table horizontale fixe, le « marbre », recevait « la forme imprimante », tandis qu'une seconde table, également horizontale mais mobile dans le plan vertical, la « platine » venait s'appliquer avec force sur le premier, avec une vis à gros, pas actionné à bras d'homme.» (Martin, 1975 :25). Au XVIe siècle, le marbre sera placé sur des glissières et deviendra mobile sur le plan horizontal.

    1.1.2 Le fonctionnement de l'imprimerie

    Tout procédé d'impression implique un rapprochement de deux systèmes physiques assurés par pression. L'un, le papier, solide et l'autre, l'encre, fluide. Le résultat attendu est le transfert du second système de couleur noire ou colorée sur le premier qui est toujours de couleur blanche ou claire. Le déplacement étant, selon Gérard Martin47, limité aux zones correspondant au texte et aux illustrations d'un ouvrage donné :

    Le transfert sélectif est exécuté au moyen des structures spécialisées « les formes

    imprimantes », qui sont conçues de manière à pouvoir, lorsqu'elles sont montées

    sur des machines adéquates (« les presseurs »), accepter l'encre dans certaines

    de leurs parties et rester vierges dans d'autres, puis céder facilement cette encre

    au papier qui vient à leur contact. (Martin, 1975 : 5).

    Cette démarcation entre les « zones imprimantes » et les « zones non imprimantes »

    des formes est rendue possible grâce à plusieurs techniques qui caractérisent, chacune, un procédé d'impression. Nous considérons ici trois types d'impressions : la typographie, l' « héliographie » et la « lithographie ». La « typographie », (procédé par lequel l'encre «prend» préférentiellement sur les « reliefs » est inventée dès le 15e siècle. Pour des raisons liées à leur évolution sociale et économique, les États-Unis ont, pour la plupart, développé des rotatives typographiques polychromes à fluide et bobine, dès avant la première guerre mondiale. Au même moment, l' « héliographie » (procédé par lequel l'encre « prend » dans des « dépressions » a vu le jour. Les machines hélio, polychromes ont commencé à se rependre au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Pour Tony Felman, l'impression typographique est « un procédé d'impression par répartition de l'encre sur des formes imprimantes en relief, mise en suite en contact avec le papier» (Felman, 1994 : 51). Il définit

    145

    47 Le directeur de la librairie Hachette de Paris, en France

    146

    à la même référence l'impression hélio ou l'héliogravure comme « un procédé dans lequel, les creux d'un cylindre sont remplis d'encre et le surplus retiré l'aide d'une l'âme. Le papier entre en contact avec le cylindre et « soulève » l'encre des creux ».Ce procédé est utilisé pour l'impression de qualité. La troisième méthode, la « lithographie » (devenue ultérieurement l'« offset ») n'est pas antérieure à 1800. Elle utilise des formes sans relief ni creux et est basée sur le comportement particulier de divers matériaux. Elle a été à l'origine une pierre de calcaire de Bavière, d'où son nom. Ce procédé est spécialement traité pour accepter l'encre dans certain endroit et la repousse dans l'autre. Pour Tony Felman, l'offset est « un procédé d'impression dans lequel on utilise un support intermédiaire pour reporter l'image à imprimer : ce support est généralement un blanchet en caoutchouc qui à son tour, reporté l'encre sur du papier. (Felman, 1994 :69)

    1.1.3. Les grands produits de l'imprimerie

    Le livre est la préoccupation finale de Gutenberg et de ses collaborateurs quand ils ont inventé au XVe l'art d'imprimer le papier. L'objectif est de produire le plus rapidement possible des livres. Ce procédé remplacerait la production manuscrite des textes. Selon Gérard Martin, d'un pays à un autre, pour des raisons historiques et techniques, l'imprimerie a fait appel à d'autres procédés pour faire des tirages périodiques. C'est l'ampleur du tirage qui fait le choix. Le livre renfermant des textes seuls, comme les romans et les essais ou avec illustrations, comme les ouvrages de sciences, était le domaine de la typographie. Mais la tendance actuelle est d'abandonner le procédé au profit de l'offset qui est également en état de forclusion. L'offset est sollicité pour « la facilité avec laquelle le procédé permet de serrer en lieu sûr, après emploi, les formes imprimantes qui occupent peu de place et peuvent être aisément « classés », puis de les remonter sur machine autant de fois que nécessaire pour assurer les impressions demandées » (Martin, 1975 :117). Le second avantage de l'offset est la latitude donnée aux éditeurs d'ajouter aux dessins aux traits imposés par la typographie des reproductions en demi-teinte qui sont rendues avec une grande fidélité sur tous types de supports. L'industrie graphique produit les journaux quotidiens, des périodiques et des livres ; des catalogues, des documents publicitaires et administratif, ainsi que des étiquettes commerciales diverses. Elle est mise à profit par le secteur de l'emballage parmi lequel le papier ne joue qu'un rôle de second plan. Cela exige des dispositions mécaniques bien conçues et aisément appliquées en héliogravure qu'en typographie.

    147

    1.2 L'édition

    L'édition comprend, selon le Comité d'organisation des industries, arts et commerce du livre cité par Jean-Marie Bouvaist,« les publications de toutes natures réalisées et communiquées au public sous quelque forme et sur quelque support que ce soit, de reproduction et de représentation » (Bouvaist, 1991 :11) L'éditeur, le moyen humain de l'édition est un « individu ou société qui, par accord avec les détenteurs des droits d'auteurs, fait paraître des produits ; conventionnellement, de tels produits sont des matériaux imprimés tels que les livres, les revues ou les journaux »(Le Meur et Malphettes, 1996 :33).

    1.2.1 La structure d'une maison d'édition

    Généralement, une maison d'édition est divisée en trois grands services de base : le service littéraire, le service technique et le service commercial. Le service littéraire recherche le manuscrit48 établit le contrat d'édition49 et entretient de contacts avec les agents littéraires, les éditeurs, le monde de la presse et les lecteurs. Le service technique « reçoit du service littéraire le manuscrit accepté prêt pour la publication. Il a pour mission de les transformer en livre » (Mondelo, 1989 : 54). La réalisation technique et artistique, le choix du papier l'incombe. Il tient des relations avec la chaîne de fabrication du livre et fixe le prix de revient technique du livre. Le service commercial décide le montant du tirage, s'occupe du lancement du livre, fait la publicité. Il entretient des relations entre les distributeurs, les diffuseurs, les libraires, les bibliothécaires, etc. Sans ce service, l'éditeur pourrait difficilement exister, car la clé de voûte de l'édition est la commercialisation des livres. Il s'occupe de la publicité, en cas de nouveauté et de la promotion du livre, de la vente.

    48 Du latin « manu scriptus » est un texte écrit à la main. Il est un texte original plus ou moins long écrit par un auteur en vue de sa publication. Ouvrage dactylographié, c'est un stade intermédiaire entre l'oeuvre originale écrite le plus souvent à la main et le livre imprimé en caractères typographiques.

    49 Contrat entre l'éditeur et le propriétaire de l'oeuvre que l'éditeur souhaite publier. Il établit les conditions de reproduction de l'oeuvre et les conditions de cession et fixe les taux de droit d'auteur à payer par l'éditeur.

    148

    1.2.2 La procédure d'édition

    Vu le nombre de manuscrits chez les éditeurs et le nombre de publication dans un temps donné, il faut être doté de certaines stratégies pour être édité. Alain Berthelot estime qu'il faut « soigner » la quatrième de couverture et mettre l'accent sur l'essentiel du livre, se renseigner sur sa personnalité, donner les raisons qui ont précédé l'écriture. Si possible toucher ce qui fascine l'éditeur, sa ligne éditoriale, pour être sélectionné. Il faut un résumé fascinant qui incite à découvrir le livre. Il s'agit là d'accrocher le lecteur, en premier lieu l'éditeur. Une fois le manuscrit chez l'éditeur, il passe par des étapes avant de tomber dans la corbeille des retours ou dans celle baptisée « contacter l'auteur ». Berthelot atteste que :

    Dans la plupart des maisons d'édition, un ou plusieurs permanentes (...) réceptionnent les manuscrits, se chargent de faire un premier tri. Les textes représentant des défauts évidents sont systématiquement écartés, mis sur des étagères où ils attendront quelques semaines voire quelques mois avant d'être retournés à leurs auteurs. (Berthelot, 1992 :115)

    Plus de la moitié des manuscrits ne franchissent pas cette barrière à cause de la précipitation et le manque d'informations des auteurs. Après ce premier tri, les rescapés de la corbeille des retours sont envoyés chez les lecteurs de la maison d'édition : professeurs de français, des journalistes, des bibliothécaires. Bref, « des gens qui possèdent une certaine culture et qui sont capables de déceler des qualités ou des défauts dans un manuscrit.» (Berthelot, 1992:115). Si le lecteur trouve le texte attrayant, il le recommande à l'éditeur qui le donne à son comité de lecture. Ce dernier siège, juge le texte et la majorité l'emporte s'il faut le refuser ou le publier. Tout cela se passe au service littéraire. Dans ce cas, l'auteur doit connaître le nom ou l'adresse du directeur ou du chef du service pour des informations ou des compléments. Au cas où il est un bon manuscrit, les services technique et commercial engagent leur responsabilité pour l'édition, la publication et la diffusion du produit final : le livre. Cette démarche peut être écourtée ou rendue plus complexe dans la mesure où il y a plusieurs types de maisons d'édition. En plus de la spécialisation de l'éditeur, il faut reconnaître qu'il y a la grande, la moyenne et la petite édition qui ne donnent jamais la même prestation. La durée, la qualité et le prix du produit final en dépendent.

    149

    La grande édition est la plus connue et la plus ancienne. Elle donne ses livres dans les prestigieuses librairies et bibliothèques et en fait la publicité. Ainsi, elle reçoit le plus grand nombre des manuscrits possibles. Mais, il faut reconnaître qu'elle publie rarement les auteurs inconnus et étrangers. Si elle prend le risque de le faire, il faut que vous ayez une critique favorable suivie d'une petite vente pour espérer être accepté au deuxième livre.

    La moyenne édition, sans être trop grande ni trop ancienne, a quelques années d'expérience. Elle a les mêmes critères de sélection que la grande et la lenteur dans le traitement des manuscrits est son propre. Elle publie moins de livres mais soutient mieux les auteurs que la grande édition. Elle peut, comme la grande édition vous refuser la publication du deuxième livre, si le premier est moins consommé.

    La petite édition est autrement appelée l'édition artisanale, marginale ou parallèle. Pour le jeune auteur, il est aisé de choisir une pareille maison. Joseph Maria Mondelo assure que: « Les petits éditeurs sont avant tout animés par leur passion de la création écrite et de sa diffusion, leur production, même si faible en quantité est très souvent de grande qualité. En fait de littérature, c'est souvent chez eux que ça se passe.» (Mondelo, 1989 : 56)

    1.3 L'internet et autres acteurs de production

    1.3.1 L'Internet

    L'internet est outil indispensable voire incontournable pour l'échange d'information. Les acteurs peuvent y produire et s'entretenir sur leurs oeuvres. Il rend la communication facile et rapide avec son public lecteur. L'invention de l'internet est fruit de l'évolution de la société de l'information. L'internet est une abréviation de « international network » (réseau international).Il est un réseau mondial de réseaux informatiques de toutes tailles reliés entre eux par une façon de communiquer. Il est une autoroute électronique qui héberge une bibliothèque virtuelle accessible gratuitement à tout le monde. Des « services internet » rendent aisée l'utilisation de ce moteur. Il s'agit, par exemple, du web (world wide web) et de l'email (électronique mail). Le premier service permet de déposer les informations qui, grâce au moteur web ou autre sont accessibles en ligne (dans certains cas imprimables, téléchargeables, et modifiables).Le deuxième est un courrier électronique (courriel) qui, grâce à une adresse, permet d'envoyer et de recevoir des messages à temps réel avec la rapidité suprême. Ces deux services sont les plus usuels et non négligeables pour un écrivain qui veut

    produire et communiquer, en un mot se rendre utile pour la société. Par le site web et la boîte email, l'écrivain peut être utile et populaire.

    En 1996, parlant des publications électroniques, l'UNESCO en donnait la définition suivante : « Utilisant des moyens de communication électronique pour mettre l'information à la disposition du public, les publications électroniques sont mises en mémoire dans des ordinateurs qui permettent soit de les afficher à l'écran soit de les imprimer.» (Archimag50, 2006 : préface). Cette définition qui voit en l'électronique un outil de production et de diffusion n'évoque ni le contenu ni l'usage du contenant. Il faut reconnaitre que l'histoire de la communication s'est accélérée ces quarante dernières années avec les moyens électroniques de représentation et de transmission de l'information. Aujourd'hui, les outils ont encore vu un progrès. Nous pensons à l'Open Access (accès libre) et au Creatif Commun (création collective) où les écrivains et les chercheurs peuvent accorder à leurs oeuvres ou résultats de recherche une plus large diffusion. Notre ambition est de présenter ces deux autres moteurs, de montrer leurs enjeux et d'expliquer leur usage en matière de création et production de textes.

    1.3.2 L'Open Access (accès libre)

    Ces cinq dernières années, on parle dans le milieu de communication scientifique de l'Open Access. Le modèle papier de diffusion des journaux scientifiques est en crise. Cela se justifie par l'augmentation assez souvent du coût de publication. Les auteurs des articles scientifiques ne sont pas bien payés. Leur rémunération est la reconnaissance de leurs travaux par leurs pairs et leurs employeurs pour recevoir des financements et d'avancements. Ils sont intéressés par la large diffusion qui a un impact sur leurs recherches. Dans le cadre de la diffusion sous forme imprimée caractérisée par des coûts de production importants, un pacte liait les écrivains aux éditeurs et imprimeurs :

    L'auteur cède ses droits à l'éditeur et renonce à toute rémunération; en contrepartie l'éditeur investit pour la production et la distribution puis amortit cet investissement par le biais de souscription (et dégage un bénéfice, le cas

    150

    50 Publication du groupe SERDA

    151

    échéant). La plus large diffusion est de l'intérêt des deux acteurs et finalement aussi du lecteur. (Schmit, in Archimag, 2006 : 9).

    L'interruption de l'intérêt et l'usage des moyens électroniques de diffusion remet en cause cette vieille habitude avec des supports contraignants et coûteux. Avec Open Access, les éditeurs ont des licences et contrôlent les accès. L'objectif de l'Open Access est, en plus de la question économique, la meilleure diffusion possible. Cette publication sans support papier à quatre fonctions essentielles : le système enregistre l'antériorité et la paternité du texte et valide par le biais des pairs les travaux, ces oeuvres sont visibles et accessibles pour tous et partout et enfin ils conservent à long terme le patrimoine intellectuel et scientifique.

    1.3.3 Les Creatives Commons (créations collectives)

    Les éditeurs traditionnels ont des exigences économiques, éditoriales et contractuelles. Cela a poussé les écrivains et chercheurs à trouver des solutions alternatives pour la libre circulation de l'information, pour sa publication et sa diffusion. Parmi celles-ci, il y a les créatives commons. Ce système met l'accent, chez les écrivains, sur la volonté d'être mieux connus que mieux rémunéré. Seules les licences font payer les auteurs et les éditeurs. Les creatives commons, comme leur nom l'indique, partagent les créations intellectuelles en communauté. Pour Didier Frochot, « ce système est en train de se reprendre à grande vitesse et déborder du seul cadre de la recherche scientifique pour atteindre toutes les zones où le partage du savoir l'emporte sur les intérêts commerciaux.» (Frochot, 2006 : 16). La licence creative common est : « un acte de cession par lequel l'auteur cède à l'avance une partie de ses droits d'auteur sur ses oeuvres dans les conditions limites de la licence attachée à celle-ci » (Frochot, 2006 : 16). L'auteur cède ses droits au profit de la communauté, mais les usagers ne doivent cependant pas passer outre les limites à l'usage concédé. Il n'y a pas mécanisme de contrôle du droit d'auteur au sens strict du terme. Cependant, l'auteur a, grâce à l'internet, la possibilité de retrouver ses textes, s'ils ont fait l'objet d'une réutilisation ne respectant les droits cédés. La cession est unilatérale, mais ne donne en aucun cas droit à une exploitation dépassant les limites de la simple citation. L'accès aux livres est très problématique en Afrique. L'internet ne peut pas résoudre ce manque d'autant plus que l'ordinateur est un luxe pour une bonne partie de la population. Mais, il permet néanmoins de résoudre les problèmes de l'accès aux informations. Il faudra donc reconnaître que des telles techniques sont en vogue pour la production des textes littéraires dans le monde.

    152

    2. Les structures d'édition à l'étranger

    2.1 Les structures africaines d'édition

    Pour connaître les structures éditoriales occidentales et leurs rôles dans la promotion de la culture des peuples d'Afrique et mesurer la détermination des écrivains africains à se tourner vers celles-ci, il est nécessaire de faire l'état des lieux de ce qui existe sur le continent en termes d'édition et d'impression. Beaucoup estiment que la France est le centre éditorial par excellence des écrivains africains, par ce qu'il n'existe pas d'instances de production locales. Or, le problème est plutôt du côté de la diffusion et de la légitimation, deux branches de la chaîne du livre qui rendent l'écrivain populaire, utile et riche. Il faut savoir pourquoi les auteurs tchadiens ne publient pas assez souvent en Afrique où pourtant ces instances existent.

    En ce qui concerne les activités d'édition, l'illettrisme, la dictature et le sous-développement en Afrique n'empêchent pas les éditeurs de s'installer. Des éditeurs de renom existent, malgré l'analphabétisme, le faible pouvoir d'achat, les taxes élevées sur l'encre et le papier. Seulement, ceux-ci ont des problèmes économiques ne leur permettant pas de se développer à l'échelle d'un continent ou même d'un pays. La Côte-d'Ivoire, estime Elsa Schifano, « est un rare de pays riche en maison d'édition et par conséquent riche en écrivains » (Schifano, 2003 : 109). Ce pays a pour principales maisons d'édition : le CÉDA et NÉI. Le Cameroun a depuis 1963 une prestigieuse maison d'édition créée par les églises protestantes, le CLE. En 1991, CLE a bénéficié d'un statut d'utilité publique et a plus de 400 titres à son actif. Il a le mérite d'avoir diffusé des auteurs de renom et d'avoir publié à son apogée plus de trente titres par an. Nous ne pouvons faire économie des éditions Hacho-Lomé, au Togo et Figuier-Bamako, au Mali qui reçoivent encore des textes d'écrivains africains. Chaque pays africain a sa liste d'éditeurs locaux. Aujourd'hui, des centaines d'écrivains produisent en Afrique. Malgré cette bonne volonté, les difficultés d'édition, de diffusion et de consommation les rattrapent au galop.

    Au Tchad, le constat paraît désolant. Ahmad Taboye affirme que : « Le Tchad n'a pas encore produit d'auteurs de la trempe d'un Ahmadou Kourouma, Cheik Hamidou Kane, Sony Labou Tansi, Mongo Béti... Mais beaucoup de jeunes écrivains comme Nimrod ou Koulsy Lamko écrivent à travers le monde et produisent des oeuvres reconnues ». (Taboye, 2003 : 14). Mais en matière d'édition, seul Ali Abdel-Rhamane Haggar a fait éditer Le mendiant de l'espoir et Le Prix du rêve au Tchad à Al-Mouna en 1998 et 2002. Aucune autre maison d'édition n'a pu accueillir les auteurs tchadiens à l'époque au Tchad. Pourtant, reconnaît-il : «

    153

    1962-2003, cela fait quarante et une années de littérature. Et environ vingt auteurs ont produit une soixantaine d'ouvrages de fiction», (Taboye, 2003 : 14). Une soixantaine de titres publiés à l'extérieur du pays. Ce phénomène mérite une étude.

    - Les oeuvres tchadiennes éditées en Afrique

    Pour ne s'en tenir qu'au Panorama de Taboye, deux romans seulement ont été publiés en Afrique. Il s'agit de la Phalène des collines de Koulsy Lamko, écrit dans le cadre d'un projet « écrire par devoir de mémoire, pour le Rwanda », initié et réalisé par le Fest'Africa. Le roman a été édité par les éditions Kuljaama (Université nationale du Rwanda en 2000), alors que l'écrivain se trouvait là-bas, après avoir collecté des informations sur le génocide rwandais. Rien n'est sûr qu'il ait pu choisir Kuljaama s'il était au Tchad. L'unique femme-écrivain qui anime le panorama taboyèen, Marie Christine Koundja est la seule à se faire édité au Cameroun chez CLÉ en 2001(Al Istifack ou l'idylle de mes amis). Cette oeuvre prône l'amour du prochain. La raison du choix d'éditeur est justifiée par la présence de Koundja en service à l'Ambassade du Tchad à Yaoundé au moment de l'édition.

    Aucune nouvelle et aucun recueil de poèmes n'ont pu être publiés en Afrique. En théâtre, seul Baba Moustapha a publié ses trois premières pièces chez CLÉ-Yaoundé : Makarie aux épines, en 1972, Le maître des djinns, en 1977, et Le Commandant Chaka, en 1983. L'auteur a préféré publier ces pièces qui ont eu des prix au CTI. En ce temps, CLE était la seule maison dynamique de son environnement proche, alors Préfet Adjoint du Chari-Baguirmi, au Tchad. Aussi, ses parents ont-ils vécu à Bogo où il fut né. La particularité de l'Anthologie (2003) de Bourdette-Donon réside dans le fait d'avoir fouillé des manuscrits et les oeuvres publiées dans les centres qui ont tenu lieu de maison d'édition au Tchad comme le CEFOD, le centre Al-Mouna, le centre Dombao de Moundou, etc. et d'avoir répertorié, en plus de Marie Christine Koundja, trois autres femmes écrivains : Faigou Nafée Nelly51, N'Djérareou Mekoulnodji Priscille52 et Palouma Zilhoubé53, et non d'avoir découvert un seul

    51 Comédienne, titulaire d'une licence de Lettres Modernes et lauréate du grand prix de la nouvelle organisé par RLP en 1996

    52 Titulaire d'une licence de linguistique, professeur de français et d'anglais au collège évangélique et responsable d'un programme de bourses pour jeunes handicapés à d'EIRENE-Tchad

    154

    titre publié en Afrique, en dehors du Tchad. Pourtant dit-il : « L'anthologie rassemble quarante-neuf textes d'auteurs que l'on peut qualifier de contemporains puisque la première oeuvre publiée est celle de Joseph Brahim Seid en 1962, ce qui confirme une fois la jeunesse de cette littérature» (Bourdette-Donon, 2003 : 19). Selon les recherches menées Taboye et Bourdette-Donon, la littérature compte une centaine de titres en 2003. Mais seuls K. Lamko,

    M. Christine Koundja et Baba Moustapha ont produit cinq oeuvres en Afrique. Beaucoup d'écrivains tchadiens ont produit en Europe, particulièrement en France.

    2.2 Les structures européennes : en France

    Quand il est question d'écriture et d'édition en Afrique, la question de centre et de

    périphérie est toujours posée. Ainsi les préoccupations de V. S. Naipaul, reprises par Elsa

    Schifano restent d'actualité :

    Pour inscrire votre nom sur le dos de l'objet matériel créé, vous avez besoin de maisons d'édition et d'éditeurs, de dessinateurs, d'imprimeurs, de relieurs ; de libraires, de critiques, de journaux et de revues [...] et naturellement d'acheteurs et de lecteurs [...] Ce genre de société n'existait pas à Trinité54. Si je voulais être écrivain et vivre de mes livres, il me fallait en conséquence partir [...]. Pour moi à cette époque, cela voulait dire partir en Angleterre55. Je voyageais de la périphérie, de la marge vers ce qui, à mes yeux, représentait le centre ; et mon espoir il y aurait de la place pour moi. (Schifano, 2003 : 67)

    Naipaul éprouve le même besoin que tous les auteurs africains à l'instar de ceux du

    Tchad. La France est le centre d'attraction des jeunes africains francophones, là est née la littérature africaine, la négritude, la revendication des valeurs noires. Les Africains après les indépendances sont confrontés à un problème d'édition. Ainsi les éditeurs européens et surtout français reçoivent les manuscrits provenant d'Afrique à nombre croissant.

    53 Assistante de direction à la Banque des États de l'Afrique Centrale, primée lors de « La fureur de lire», auteure de L'Enfant rebelle (N'Djaména, PACT, 1994)

    54 Disons au Tchad d'avant 2000.

    55 Disons France, pour les francophones.

    155

    - Les maisons d'édition françaises et les collections africaines

    Les éditeurs créent des collections africaines que plusieurs chercheurs critiquent et dénoncent l'amalgame, quand on rassemble des oeuvres qui n'ont rien de commun. Mais les éditeurs parlent de visibilité pour justifier le regroupement des auteurs inconnus de la périphérie. La maison d'édition Le serpent à plume, trouve anormale que moins d'attention soit accordée à la littérature africaine et ou francophone en France et s'intéresse aux "littératures périphériques". Les autres éditeurs se sont également intéressés et on assiste ainsi à une bataille éditoriale.

    Parmi les maisons d'édition spécialisées, nous citons en première place Présence Africaine, fondée en 1949 (deux ans après le premier numéro de la revue éponyme) par Alioune Diop. Cette maison a oeuvré pour la promotion de la littérature africaine. Présence Africaine a un objectif double dès sa création. Elle définit la spécificité africaine (surtout sur le plan culturel) et favorise l'insertion du continent dans le monde moderne. L'oeuvre de Présence Africaine est suivie par plusieurs petites maisons à caractère artisanal et parallèle à Paris pour l'édition des oeuvres d'Africains.

    En 1971, ÉDICEF voit le jour avec pour ambition de répondre aux attentes du public francophone de l'Afrique et de l'océan Indien. Cette édition est essentiellement scolaire. Néanmoins elle a une collection littéraire riche en titres.

    Les éditions L'Harmattan fondées en 1975, spécialisées en pluridisciplinarité ont une collection réservée à la littérature africaine : "Encres noires" pour la fiction et plusieurs autres : Polars noirs, Poètes des cinq continents, Théâtres des cinq continents, Légende des Mondes, Mémoires africaines, etc. L'Harmattan et Présence Africaine jouent un rôle de tremplin pour beaucoup d'écrivains africains.

    Karthala, créée en 1980 a une collection dénommée « lettres noires ». Elsa Schifano avoue que :

    Les éditions Karthala répondent à un besoin de nouvelles approches des problèmes de l'Afrique et des autres pays du Sud et cherchent ainsi à favoriser l'émergence de la réalité contemporaine de ces pays, qu'ils expriment dans la recherche et la réflexion scientifique, l'engagement politique, les domaines (agriculture, éducation, santé) ou l'écriture littéraire. (Schifano, 2003: 79)

    156

    Dans les maisons d'édition généralistes, la place de la littérature est aussi d'or. La collection Monde noir poche de Hatier (1980) a édité des textes d'auteurs africains, Le serpent à Plumes (1993) a révélé au monde plusieurs auteurs du continent noir (50% du fonds francophone, selon Elsa). Actes Sud, Gallimard, Moreau, Seuil, Albin Michel ne sont pas en reste. La collection Dapper-littéraire créée en 2000, la même année que la maison d'édition Dapper est également ouverte à la littérature africaine. En théâtre, deux maisons se sont spécialisées : Le bruit des autres (en 1991 à Limoges) et Lansman (Carrières, 1992).

    Malgré les efforts de ces maisons d'édition, la visibilité et l'unité des oeuvres africaines restent contestées : les voix sont trop éparpillées. Disons que quand les Africains passent d'éditeur en éditeur, ils deviennent moins repérables. Nous avons fait le tour des grandes maisons d'édition qui sont supposées avoir édité d'écrivains africains, en France. La liste n'est pas close mais ce qui nous intéresse est de savoir chez qui les Tchadiens, « imperceptibles » en Afrique, publient leurs oeuvres. Le pourquoi pourra s'en suivre.

    2.3 Les éditeurs français et les oeuvres tchadiennes

    En théâtre, les pièces des dramaturges tchadiens sont en majorité publiées chez Lansman par un seul dramaturge, Koulsy Lamko : Mon fils de mon père(1990), La Ziggourat de Badel (1991), Ndo kela ou l'initiative avortée (1993), Comme des flèches (1996), Tout bas, si bas (1995) et Le camp tend la sébile (1993) etc. Maoundoé Naindouba a publié L'étudiant de Soweto chez Hatier, en 1981. La Malédiction d'Ouaga Ballé Danaï est sortie chez L'Harmattan, en 1998. Les pièces inédites de Palou Bebnoné, produites dans le cadre du CTI sont restées la propriété de RFI. Il s'agit de La dot (1962), Kaltouma (1965) et de Mbang Gaourang, le Roi du Baguirmi (1974).

    Les nouvelles produites dans le cadre du Concours de la meilleure nouvelle de la langue française ont été publiées chez Hatier dans la collection Monde Noir Poche. En autobiographie, seul Antoine Bangui a publié Prisonnier de Tombalbaye (1980) et Les ombres des Kôh (1982) chez Hatier (collection Monde Noir Poche). Les autres autobiographes ont choisi L'Harmattan. Nous pouvons citer, entre autres textes : les Tribulations d'un jeune tchadien (1993) de Michel N'Gangbet Kosnaye, Un Tchadien à l'aventure d'Hassan Abakar, Le Destin de Hamaï ou le long chemin vers l'indépendance du Tchad (1989) d'Ahmet Kotoko

    157

    et Loin de moi-même (1989) de Zakaria Fadoul Khidir. Ce dernier a publié Les Moments difficiles chez Sépia, en 1998.

    En roman, seul Bena Djanrang dit Nimrod a préféré Acte Sud pour Les jambes d'Alice, en 2001. Noël Nétonon N'Djékéry (Sang de Kola, 2001), Baba Moustapha (Le souffle de l'harmattan, 2000, posthume) et d'Ouaga Ballé Danaï : (Mon amour, l'autre, 2002) ont été édités par L'Harmattan.

    En poésie, Moïse Mougnan, (Le Rythme du silence, 1986 et Des Mots à dire, 1987) et Nébardoum Derlemari Abdias (Cris sonore, 1987) ont publié chez Orphée (Montréal).Nimrod Bena Djanrang a publié chez Obsidiane (Pierre, poussière, en 1989 et Passage à l'infini, en 1999) et La Pensée Universelle (Silence des chemins (1987). Les poèmes de Koulsy Lamko sont incorporés dans Exils, paru chez Papillon de nuit et Le bruit des autres en 1994 (La danse du Lab et Terre, bois son sang).

    L'oeuvre tchadienne enregistrée chez Présence Africaine est le recueil de contes Au Tchad sous les étoiles de Joseph Brahim Seid publié en 1962.

    Les raisons du choix d'éditeurs

    Tout compte fait, c'est Hatier qui a édité plusieurs pièces de théâtre et des nouvelles d'autres tchadiens. Ceci est le travail de RFI qui, après les prix au Concours de la meilleure nouvelle de langue française et du CTI de chaque année publie les lauréats chez Hatier (collection Monde Noir Poche).

    Après Hatier, c'est L'Harmattan qui est l'éditeur des écrivains tchadiens. L'association « Pour mieux connaître le Tchad » publie les oeuvres qu'elle juge utiles pour la promotion de la culture tchadienne chez L'Harmattan et Sépia. Une autre raison du choix de cet éditeur par les écrivains tchadiens réside dans la souplesse de sa politique éditoriale. Le directeur de cette maison, Denis Pryen, avoue que ce qui compte c'est que le livre sera utile pour une centaine de personnes au moins. Là, 370 directeurs de collections oeuvrent pour publier en moyenne 2300 livres par an. L'accent est beaucoup plus mis sur la valeur économique et non seulement littéraire.

    158

    3. Les structures d'édition et d'impression au Tchad
    3.1 Les structures d'édition au Tchad

    Une littérature pour exister réellement a besoin d'une bonne condition d'écriture ou de production et de publication. Or, au Tchad, parler de production et de publication, le phénomène est à ses débuts. Au vu du Fonds-Tchad-littérature du CCF, L'Harmattan a publié une vingtaine des textes d'auteurs tchadiens dans les domaines politiques et socio-économiques, et plus d'une dizaine d'oeuvres de fiction après les années 2000. Au Tchad, hormis l'Imprimerie du Tchad qui a publié L'Humour populaire tchadien en 160 histoires drôles de Mabrouk Abakar Mahamat et Tranche de vie de Souleymane Abakar, en 2003, il y a neuf centres qui ont publié des textes (auxquels il faut ajouter le CNAR qui publie des articles de colloques et dirige la Revue Scientifique du Tchad).

    3.1.3. La « petite édition »

    Les missionnaires xavériens de Pala ont publié entre autres, Écureuil, le rusé : contes, histoires et proverbes Musey en 2006 ; le CEL de Sarh a édité des oeuvres sous la signature d'Adalta Djimet, Alcouta Daye, Elio Danna et Fortier Joseph en 1972, 1978 et 1983. Yousouf Sapoye André y publie également La vie au village en 1982. Dans la même ville, entre 1996 et 1997, Julien de Pommerol Patrice, Kladoumgué Jean Camille, Koutou Rémi, Mindengar Togueyadji et Fournier Maurice ont publié des contes au CRP.

    À N'Djaména, l'ADELIT publie des textes littéraires. Poésie tchadienne d'expression française en 1993 et Littérature Tchadienne contre MST/SIDA en 2002 sont quelques-unes de ses productions, généralement fruits des ateliers d'écriture. Le CCF, en plus de la publication des textes des lauréats du concours « La fureur de lire » entre 1993 et 1994, sous le titre de Nouvelles du Tchad, a publié des poèmes et des contes. C'est sous son égide que Thyrion Françoise a publié L'Enfant, L'arbre sacré, les plantes et les thérapeutes, et Ngonmag ou l'enfant sacré, en 2003. Le RLPT a publié en 2000 Lazonie, la petite ménagère de Moussa Adji et Tchad au coeur de Marie José. K. Lamko y a publié Larmes sèches : nouvelles francophones du Tchad en 2001, etc.

    De tous ces centres, peut-être ADELIT qui a un service d'édition peut oser récidiver en édition, sinon, l'activité d'édition tend à se professionnaliser. Quelques grands centres culturels, financés de l'extérieur du Tchad, en font, pour le moment, leur activité seconde.

    159

    3.1.4. La « moyenne édition »

    Dans le présent travail, l'étude est basée sur les éditions Sao et Al-Mouna et dans une certaine mesure sur le CNAR et les éditions du CEFOD qui sont les « grands centres d'édition » du moment. Ce choix s'explique, dans un premier temps, par la régularité et la qualification ou la spécialisation dans un domaine précis en édition et dans un deuxième temps, par le fait que les velléités du centre Dombao de Moundou, de la mission catholique de Fort-Lamy (actuel N'Djaména), du Groupe de recherche de Bousso et du SBL, en matière d'édition n'ont pas fait long feu. Le Salon par exemple, n'a eu ses lettres de noblesse qu'entre 1995 et 1997. Bourdette-Donon a essayé d'énumérer les quelques centres d'édition :

    Peu à peu ces textes, de Joseph Brahim Seid à Patrick Kodibaye, construisent un espace littéraire francophone au sein duquel, on écrit, on lit, on commente et

    édite localement, même si cette dernière action reste limitée aux quelques recueils publiés par le CEFOD, le Centre culturel Al-Mouna et les jeunes éditions Sao, relayés par la presse locale (Tchad et culture, Carrefour, Malt), le centre Dombao de Moundou ou quelques autre association n'djaménoise tel que

    le Salon des belles lettres ou Adelit. (Bourdette-Donon, 2003 : 9)

    Eu égard aux propos de Bourdette-Donon susmentionnés, une classification par spécialisation et par degré de visibilité auprès des consommateurs du livre paraît nécessaire.

    Le tableau suivant illustre que les résultats de l'enquête auprès des enseignants, étudiants acteurs du livre, etc. justifient le choix des maisons d'édition ci-haut citées au détriment de celles qui ne font que des publications temporaires et ce après des concours.

    Édition

    Année de
    création

    Domaine d'édition

    Production
    moyenne/an

    Visibilité/

    %

    1

    Al-Mouna

    1995

    Histoire, Littérature

    2

    80%

    2

    Sao

    2000

    Pédagogie, Histoire, Littérature, Politique

    4

    70%

    3

    CEFOD

    1989

    Droit, Histoire, Sociologie,

    Littérature

    4

    55%

    4

    CNAR

    ...

    Domaine Agro-sylvo-pastoral,

    Littérature

    6-8

    5%

    Tableau VI : Les grands centres d'édition au Tchad (Annexe 1, question 23)

    160

    Le CNAR est un centre étatique qui s'intéresse au domaine agro-sylvo-pastoral. Un comité composé d'experts nationaux et internationaux y pilote La Revue Scientifique du Tchad. Le centre a publié les Actes du 1er colloque des écrivains tchadiens et des 3es journées agro-sylvo-pastorales, parmi la vingtaine de titres à son actif depuis sa création. Selon Mahamat Hamdo, éditeur au CNAR : « En dehors des publications périodiques, le Centre enregistre entre six et huit textes d'auteurs tchadiens et étrangers par an ». (Entretien du 02/08/10)

    Les activités d'édition du CEFOD datent de 1989, avec des brochures et des fascicules. Les responsables de cette association qui sera reconnue d'utilité publique se sont rendus compte qu'au niveau du Tchad, il n'existe pas de maison d'édition en tant que telles. Or, la nécessité de produire des textes était là. Ce service d'édition a été créée pour mettre à la disposition des tchadiens des documents de vulgarisation pour leur permettre de connaître l'histoire de leur pays, la culture, le droit. Pour le responsable des éditions du CEFOD, « les oeuvres publiées ailleurs sont très chères. Mais grâce à notre politique sociale et éducative de vulgarisation, les prix sont bas. Nos produits répondent directement à la bourse et au besoin du public tchadien » (Entretien réalisé le 10/08/2010).

    Trois ans avant cette noble idée d'édition, le centre Al-Mouna (en arabe, le désir), une association à but non lucratif et d'obédience catholique a été créée par l'Archevêché de N'Djaména. C'est par les colloques et les conférences que le centre Al-Mouna, qui jadis était une bibliothèque, est amené à faire de l'édition. Les éditions dudit centre commencent en 1995 avec la publication des colloques sur Le conflit Nord-Sud, La laïcité, La grande guerre et Le Conseil Militaire Supérieur entre 1995 et 2009. Par ces titres, le centre a la volonté de reconstituer l'histoire contemporaine du Tchad méconnue. Parlant de la littérature, « c'est l'objectif spécifique, la promotion de la culture qui nous a poussé à publier des romans comme Le Mendiant de l'espoir (1999) et Le Prix du rêve (2003) de Ali Abdel-Rhamane Haggar et Les Chroniques tchadiennes de N.N.N'Djékéry », reconnaît Darma Sylvain, le responsable des éditions dudit centre (Entretien réalisé le 28/05/2010 au centre Al-Mouna). Ces centres, bénéficiant de quelques financements extérieurs, ont des domaines d'édition et des lignes précises à suivre. Le centre Al-Mouna est fasciné par l'Histoire et la culture tchadiennes avec sa revue Carrefour et ses fascicules « Cahiers d'histoires » qui traitent des défis de la société tchadienne et donnent une connaissance du Tchad dans sa diversité. Le CEFOD s'intéresse à son tour au Droit, à la Sociologie, à l'Histoire et à la Santé.

    161

    3.1.5. La place de la littérature au sein des centres de « moyenne édition »

    La littérature représente 10% des publications du centre Al-Mouna. (Entretien du 27/07/2010). Selon la responsable du centre, la demande est fortement élevée, mais le problème est du côté de l'entreprise qui préfère une édition à compte d'éditeur et ne dispose pourtant pas suffisamment de moyens financiers pour répondre à celle-ci : « l'édition se fait toujours à perte, nous n'arrivons généralement pas à rembourser les prix d'édition. Nous cherchons, malgré tout de l'argent pour éditer au maximum des oeuvres littéraires au moindre coût, de façon à rendre le livre accessible au grand public» (Entretien réalisé avec la responsable du centre Al-Mouna, le 27/07/2010).

    La place de la littérature est prépondérante aux éditions du CEFOD, estime le responsable du service édition. Le centre fait la vulgarisation de tous les produits locaux de l'esprit : « pour la publication, au niveau de l'édition, nous faisons deux nouvelles éditions, deux rééditions chaque année. Des oeuvres littéraires ont été publiées dans cette logique. Cependant la priorité est aux textes produits par les femmes.» (Entretien du 10/08/2010, op.cit.). Le centre n'a pas pour vocation la publication littéraire, mais de temps en temps, il publie des recueils de contes, de nouvelles, de proverbes, etc. Nous pensons aux récits de chasse de l'équipe de recherche de Bousso en 1993 ; Le Balai de la première épouse de Mbaïdam Ngaba et Ainsi parlaient nos ancêtres de Djimtola Nelli publiés en 1995 ; Entre honte et folie de Ndoboui Eugène (2000), et Autour du feu ; Parole d'hier et aujourd'hui, Amour coupable etc. Ce manque d'intérêt s'explique par le caractère social et non lucratif du centre et par la préférence des bailleurs. Le responsable estime que quand les partenaires ne peuvent pas apporter leur appui, le centre se voit obligé de revoir la politique de prix et les domaines de production. Généralement ce sont les textes de Droit qui y sont prisés.

    À défaut de financement et de subvention de la part de l'État, ces deux centres sont quelquefois obligés d'orienter les auteurs vers d'autres maisons plus spécialisées en littérature, comme Sao, au Tchad et L'Harmattan, en France. La demande est forte parce que le besoins d'écrire, de s'exprimer est criard au Tchad. Mais la particularité de ces centres réside dans leur système. Au Tchad, si on ne fait pas payer aux auteurs leur publication, il faut avoir le financement. Or tout cela est aléatoire pour lesdits centres. Il n'est pas évident que la publication à compte d'éditeur soit un avantage pour l'essor de la littérature. Il n'est pas aisé de s'endetter pour publier un livre et ne pas être sûr qu'il se vende. Les Tchadiens n'aiment pas acheter les livres, même les intellectuels. La raison est à la fois d'ordre économique et

    162

    culturel. Après une information sur le prix d'un livre, un fonctionnaire se demande : « vingt et sept milles ? Ça fait combien de sacs de maïs ? » (Entretien avec Darma Sylvain, responsable des éditions du centre Al-Mouna, le 28/05/2010). Si on doit évoluer avec une telle mentalité, rien ne va se publier sur place, ledit livre a été publié en France. S'il était édité et publié56 au Tchad, il ferait le double de ce prix. De prime abord, le bas salaire et la pauvreté semblent être à l'origine de ce manque de volonté pour la littérature. Pourtant, il y a des gens qui dépensent le double de ce montant dans l'alcool en un jour. Darma Sylvain renchérit qu'il y a des Mercédès qui coûtent plus chère que le prix total des livres dans une bibliothèque. Le Tchadien n'a donc pas la culture de la lecture.

    3.2 Les structures d'impression au Tchad

    L'inexistence d'instances de production peut pousser des potentiels écrivains à garder les manuscrits dans les tiroirs. Si l'impression doit se faire à l'extérieur du pays, l'écrivain ne pourra pas se donner cette peine d'autant plus que le cheminement commercial d'un livre est toujours éphémère. Celui qui publie un livre ne peut pas mesurer le degré d'attention que porteront les potentiels lecteurs à son oeuvre. Si l'auteur n'est pas prolifique et ses livres bestsellers, il ne peut compter vivre du métier d'écrivain. Pourquoi voudra-t-il investir des gros moyens pour la publication à compte d'auteur et avoir affaire enfin à un public qui n'a pas la culture du livre, de la lecture ? La présente étude vise à démontrer qu'il y a des imprimeurs disposés à partager le risque de perdre avec l'éventuel client-auteur ou éditeur. Ainsi l'hypothèse du retard de la production littéraire tchadienne occasionné par l'absence ou le manque d'instances de production est d'office annulée.

    3.2.1 L'existence de l'imprimerie au Tchad

    Traiter de l'existence des instances d'impression au Tchad, c'est juger l'effet de la guerre sur la mise en place desdites institutions du livre. Il faut reconnaître que n'eut été les

    56 Il est nécessaire de faire, comme R. Escarpit, cette différence : « En français le mot « éditer » et le mot « publier », qui sont souvent employés l'un pour l'autre, n'ont pas originellement le même sens. « Éditer » du latin edere, c'est littéralement mettre au monde, accoucher. « Publier » du latin publicare, c'est exposer sur la place publique à la disposition des passants anonymes. L'édition est dirigée vers l'oeuvre, la publication vers le lecteur inconnu. » (Escarpit 1972 : 129).

    163

    conflits armés qui ont toujours freiné les investissements au pays, le nombre d'imprimeries ne sera pas seulement celui que nous disposons après la descente sur le terrain. Il est aussi question de voir les atouts déjà sur place afin de replacer le débat sous une autre direction. Maintenant que les maisons d'édition et les imprimeurs existent sur place, est-ce qu'il n'est pas question de financement ? Á la question de savoir pourquoi n'écrivez-vous pas, 25% d'enquêtés évoquent le manque de moyens financiers, 10% le manque d'inspiration, 30% le manque de temps. Le manque de maisons d'édition rassurantes et évoqué à 15%, celui de sécurité à 10%. 10% d'enquêtés enfin ont des manuscrits aux tiroirs (Annexe 1, question 7). Il est possible qu'il soit une question d'habitude ou de culture, dans la mesure où 10% d'enquêtés, en majorité, littéraires de formation universitaire, seulement avouent avoir des manuscrits sous les bras. Ce qui réjouit, c'est que personne n'évoque l'absence d'instances et d'acteurs de production. Leur présence est un plus. Il faudra juste, comme l'estime Marius Ngartora Maryengué, le Directeur de la librairie La Source « donner le goût de l'écriture et de la lecture à la jeunesse et le livre aura une bonne place » (Entretien du 29/04/10).

    Le résultat de l'enquête extensive nomme les trois premières imprimeries citées dans

    ce tableau, installées à N'Djaména. Les autres ont été complétées lors des entretiens.

     

    N Imprimerie

    Création

    Domaine d'impression

    Visibilité

    1

    IDT

    ...

    Sciences humaines, politiques, économiques,
    naturelles, etc.

    50%

    2

    AGB

    1993

    Sciences humaines, politiques, économiques,
    naturelles, etc.

    10 %

    3

    Aubaine

    ...

    Sciences humaines, politiques, économiques,
    naturelles, etc.

    5%

    4

    IS

    1972

    Pédagogie, littérature, etc.

    ...

    5

    GIT

    1996

    Tout texte

    ...

    6

    Créative

    2010

     

    ...

    Tableau VII : Les grandes imprimeries au Tchad (Annexe 1, question 23)

    L'entretien avec le responsable de l'Imprimerie Scolaire nous a permis de prendre contact avec la GIT et l'Imprimerie Créative (qui vient à peine de s'installer). En plus de ces six imprimeries qui n'ont pas de représentation en province, il existerait une imprimerie dénommée Preinte-Tchad à N'Djaména. L'Eglise Catholique et la SIL disposeraient des machines à petites impressions pour la publication des textes religieux et linguistiques. Ces instances sont toutes privées.

    164

    3.2.2 Rappel historique de l'imprimerie au Tchad

    Au début des indépendances, l'État faisait ses propres impressions avant de les confier à l'IDT, alors dirigé par des prêtres. C'est avec la création en 1972 de l'IPN, actuel ISSED que fut créée une imprimerie scolaire pour la conception des matériels et guides pédagogiques. L'objectif de l'institution étant de palier au vide laissé par l'absence de maisons d'édition. Pour cela, l'IS a produit des textes de littérature, d'histoire, de géographie etc. en fonction des exigences du programme scolaire. En 1993, Ahmat Goni Bichara, 35 années d'expérience dans diverses activités commerciales et transitaires crée l'AGB, donnant les premières lettres de son nom au sigle de la structure. De deux machines à la création, AGB devient rapidement l'une des plus performantes et des mieux équipées instances d'impression au Tchad : « Dès le début, il y avait deux machines, une corde et une perceuse. Nous avons rénové avec plusieurs machines. Passons-nous de l'impression Offset à la sérigraphie» (Entretien avec Directeur général de l'AGB, le 31/07/2010, à N'Djaména.) Cette entreprise d'un personnel de 35 employés dirigés par un Français et un Belge, assistés par des Tchadiens, des Ghanéens et des Béninois, a été selon son directeur, le fruit du hasard : « Nous ne sommes pas imprimeur de formation. Nous somme transitaire. Ainsi, nous avons créé AGB-Transit en 1985 à l'UDEAC à Libreville au Gabon. Un ami béninois nous a proposé des machines, il fallait essayer, » déclare A. Goni Bichara (Entretien du 31/07/2010).

    En 1996, l'Imprimerie Nationale du Tchad sera privatisée et vendue. Pour éviter de confusion avec l'IDT, déjà existante, elle sera dénommée : Grande Imprimerie du Tchad.

    Toutes ces imprimeries s'intéressent à tous les domaines : politique, économique et social sans oublier la littérature. Parlant de la censure, toutes sont d'accord qu'on peut imprimer tout ce qui est imprimable. A. Goni Bichara reconnaît qu'auparavant, il n'y avait pas de liberté de presse. Il fallait imprimer que sur instruction du HCC. Mais « maintenant, la personne apporte n'importe quel texte en n'importe quelle langue, on s'entend, [...] et nous l'imprimons pourvu que cela ne choque pas trop » (Entretien du 31/07/2010).

    165

    3.2.3 La corrélation entre les imprimeurs tchadiens et leur relation avec le public

    Les imprimeurs essayent à tout prix de nouer des relations avec les autres acteurs du livre, non seulement comme commerçants mais comme promoteurs de la culture tchadienne. AGB entend lier un mariage avec L'Harmattan de Paris. Grâce à la paix et aux installations qui sont en train d'être faites, les livres que L'Harmattan juge utiles, il peut les envoyer sous presse au niveau local. Cela anéantit considérablement les frais de transport et de douane. Les premiers pas, selon le Directeur général de l'Imprimerie AGB, sont faits.

    Entre eux, les imprimeurs sont sur le point de créer une association ou un syndicat. La solidarité leur permettra de défendre leur droit et de négocier des marchés qui sont selon eux, confiés généralement à des individus ou à des imprimeurs en Occident. « Associés, nous pouvons négocier directement avec l'État pour éviter cette contrefaçon. Il n'est pas question, que des particuliers et des expatriés renvoient le marché de l'imprimé à l'extérieur, au moment où nous existons et payons l'impôt à l'État », déclare le directeur commercial de la GIT. (Entretien du 02/08/2010) Ces maisons relieront bientôt des représentations au Sud et au Nord du pays. La censure n'a pas sa place dans leurs activités, tout comme les subventions. Elles restent ouvertes pour collaborer avec les maisons d'édition, les universités, les librairies et les bibliothèques de la place. En cela, elles sont disposées à encourager les jeunes tchadiens à produire des textes littéraires et à les aider. Le Directeur Général de AGB-Imprimerie avoue qu'il a personnellement eu à faire des sacrifices pour des jeunes qui avaient des textes mais n'avaient pas de moyens pour les multiplier : «J'ai fait de rabais jusqu'à 50%. Il suffit que ces écrivains accèdent à la popularité et c'est tout. Leur production va être recherchée» (Entretien du 31/07/2010) La relation qu'entreprend AGB avec L'Harmattan sera utile pour la production littéraire au Tchad dans la mesure où Pryen lance cet appel : «Tous les jeunes qui ont des textes, qu'ils nous les envoient. S'ils gagnent notre agrément, nous allons financer la publication » (Entretien avec Denis Pryen, le 23/11/2009, à N'Djaména,). Cette affirmation nous donne de l'espoir dans la mesure où l'oeuvre littéraire est produite pour être lue et est-elle bel et bien connue et lue que quand elle est produite sur place. Si L'Harmattan ordonne l'impression d'un nombre suffisant de textes avec sa signature au niveau local, la consommation va être élargie à un grand public. En attendant, des imprimeries comme Créative ou Aubaine et Preinte-Tchad, etc., qui souffrent de visibilité et qui ouvriront bientôt leurs portes aux littéraires, la littérature tchadienne au niveau local ne pourra pas mourir par manque d'imprimeur.

    3.3 Le financement des écrivains et des éditeurs

    3.3.1 La question de mécénat

    Pour l'édition et la publication des oeuvres littéraires, les écrivains et les auteurs sont en droit de bénéficier d'un financement public ou privé. L'État pour la promotion de la culture, doit mettre une certaine somme à la disposition de ceux-ci afin de leur facilité la tâche. Malheureusement, aucun de ses acteurs, lors de nos prospections n'a reconnu avoir bénéficié de l'aide de l'État. Les auteurs ont, d'une manière ou d'une autre, bénéficié d'une assistance du secteur privé. Les éditeurs avouent également avoir été aidés par des personnes morale et physique. C'est le mécénat, entendons financement d'une activité dans un but généralement non lucratif, Le mécénat est pour Escarpit, l'« entretien de l'écrivain par une personne ou une institution qui le protègent mais attendent de lui en retour la satisfaction du besoin culturel» (Escarpit ,1968 :47). Du latin Maecenas et du nom de Mécène, chevalier romain, conseiller d'Auguste57, protecteur des lettres, désigne selon Le dictionnaire du littéraire « toute forme d'aide à un artiste pour le soutenir dans l'exercice de son art, que cette aide provienne de particuliers ou d'une puissance étatique» (Aron et al, 2002 :359). Ce dictionnaire reconnait qu'il est un acte gratuit qui a une visée ostentatoire puisqu'il n'est pas attribué par simple amour de l'art. Ainsi le mécénat pose un problème de rapport entre pouvoir économique et culture. Cet aspect est développé par Escarpit (1965) et Bourdieu (1998).

    Le financement produit un effet de dépendance qui peut être une nouvelle piste d'explication et de compréhension de l'oeuvre littéraire. Vu que la relation entre l'écrivain et/ou l'éditeur et le mécène, celui qui lui offre les capitaux de production peuvent se traduire dans l'oeuvre par le biais de l'éloge, la défense de son idéologie, sa vulgarisation, etc. La préface et les remerciements sont également des lieux d'expression de ces sentiments de reconnaissance. Le mécène peut être une source d'inspiration. Il nous intéresse car nous nous attardons sur les conditions de production des oeuvres. Dans le cas que nous évoquons, certains écrivains avouent que le mécène a été la source d'inspiration ou a influencé d'une manière particulière, au point d'être une référence implicite. Nous pouvons affirmer que la littérature entretient des rapports complexes avec l'argent et la politique. Un travail d'analyse sociologique gagnerait en étudiant cette relation tripartite politique-économie-culture.

    166

    57 Empereur romain né à Rome en 63 avant Jésus christ et mort en l'an 14 après celui-ci.

    167

    3.3.2 Le secteur privé et assistance aux écrivains

    Dans le cas des écrivains tchadiens, il n'est pas aisé de trouver en nombre suffisant ces bonnes volontés. La radiodiffusion française, par ses concours de théâtres et de nouvelles a participé à une éclosion de la littérature tchadienne. Les lauréats de ces concours ont vu leurs oeuvres publiées et diffusées dans le monde francophone. Nous avons développé cet élément dans le premier chapitre de la dernière partie de la présente thèse. Nous y avons également fait allusion à la publication des oeuvres des lauréats des différents concours au niveau national. À vrai dire cette pratique se différencie du mécénat qui est une aide accordée pour l'exercice, voir l'accomplissement de l'activité d'écriture ou d'édition. Mais il est ingrat de ne pas en parler, dans la mesure où la finalité de toutes ces aides est de voir une oeuvre accomplie. Les oeuvres publiées dans le cadre des concours n'auraient jamais vu le jour n'eut été l'assistance financière des organisateurs de ce concours et de leurs collaborateurs. Cet état de chose conditionne bel et bien la production littéraire. Roland Barthes disait à cet effet que « nul ne peut écrire sans prendre parti passionnément [...] sur tout ce qui va ou ne va pas dans le monde» (Barthes, 1994 : 14).

    L'association « Pour mieux connaître le Tchad », fondée le 30 janvier 1992, par des intellectuels tchadiens et français58 qui ont décidé d'oeuvrer pour faire progresser et diffuser la connaissance scientifique et pratique au Tchad par la publication des livres, et le cas échéant, de cassettes vidéo et audio ainsi que par l'organisation des conférences et d'expositions, est une institution non négligeable dans la production et la diffusion de la littérature tchadienne. Plusieurs écrivains tchadiens ont été publiés par cette association dont le siège est à Pairs. (Institut National des Langues et Civilisations Orientales). Elle a toujours presque fait éditer ses oeuvres par L'Harmattan et Sépia en France59. Les titres et la tendance autobiographique

    58 Mme et MM Abdelkerim Chérif, Robert Buijtenhuijs, Kadi Mahamat, Marie José Tubiana, Joseph Tubiana, Claude Durant, Nicole Vial, etc.

    59 En 1994, l'association publie chez L'Harmattan, avec la signature de Joseph Tubiana, Claude Arditi et de Claude Pairault, L'identité du Tchad. L'héritage des peuples et apports extérieurs. En 1998, chez L'Harmattan, Pierre Toura Gaba publie grâce à elle Non à Tombalbaye. La même année chez Sépia, l'association publie Les Moments difficiles de Zakaria Fadoul Khidir. Deux ans après, parait par son initiative à titre posthume Le souffle de l'harmattan de Baba Moustapha chez L'Harmattan et Sépia. En 2002, Joël Rim-Assbé Oulatar signe Tchad, le poison et antidote par sa faveur. En 2006, deux ans après la publication par Marie José et Tubiana des contes Zaghawa., Z. F. Khidir signe chez Sépia Le chef, le forgeron et le fakir

    168

    témoignent la volonté de connaître l'histoire politique du Tchad. Ces oeuvres littéraires sont tous à tendance autobiographique. L'association, à tendance marxiste, se classe du côté de la basse classe, des victimes, des innocents, pour dénoncer les exactions politiques et prôner l'unité. Tous les livres qui répondent à cette préoccupation sont financés. Les auteurs peuvent être fascinés par cette philosophie avant d'écrire. Celle-ci est une des associations oeuvrant dans le domaine de la production littéraire. Notre objectif n'est point d'épuiser la liste des mécènes, mais de démontrer que ceux-ci favorisent et conditionnent la production littéraire.

    3.3.3 Le secteur privé et assistance aux éditeurs

    Le champ littéraire occupe une place de dominé au sein du champ du pouvoir qui est un « espaces des rapports de force entre les agents ou les institutions ayant en commun de posséder le capital nécessaire pour occuper des positions dominantes dans les différents champs (économique ou culturel notamment)» (Bourdieu, 1998 : 353). Celui-ci, selon notre analyse précédente, n'a pas pourvu au besoin des acteurs de la production. Les éditeurs se sont tournés vers le secteur privé.

    Dans le domaine de la production, le Centre Al-Mouna, le CNAR et le CEFOD reconnaissent avoir bénéficié des financements privés, et extérieurs pour la publication de certains types de textes. Les bailleurs imposent le domaine, le genre et le volume des oeuvres qu'ils désirent financer. Ainsi, AL-Mouna est orienté vers l'Histoire contemporaine du Tchad, le CNAR, vers la publication des oeuvres scientifique et le CEFOD, vers le Droit, la Sociologie et l'Histoire. La seule maison d'édition qui s'intéresse à la littérature, les éditions Sao, par la voix de son directeur, reconnaît n'avoir pas encore eu un financement conséquent pour la promotion de la culture tchadienne. Les imprimeries existent et sont disposées à traiter des textes de tout genre. Il suffit d'avoir peu de volonté et de moyen pour que l'activité littéraire soit visible.

    Cette partie dernière nous a permis de connaître les écrivains de renom tant au niveau national qu'international par forme d'expression. La popularité de ceux-ci tient de l'édition et de la publication de leurs oeuvres dans une maison d'édition de célébrité incontestée et la disponibilité et à la consécration de ces textes au niveau local. Qui écrit ? Quelle place occupe-t-il dans la société ? Dans quel contexte organisationnel se trouve-t-il ? Etc. sont là les questions qui nous ont poussé à regrouper les écrivains et leurs oeuvres par genres. Parlant des particularités des genres, Bourdieu reconnaît que « la préférence est au roman par rapport à

    169

    la poésie» (Bourdieu, 1998 : 89) Cela se justifie dans le cas tchadien. Bref, nous avons classé les genres par degré de visibilité et de préférence auprès des consommateurs.

    Après une étude historique, nous avons recensé les instances d'édition et d'impression existant au Tchad. De 1972, date de l'implantation de l'imprimerie scolaire à l'IPN, le Tchad compte aujourd'hui (2010) sept imprimeries reconnues. Neuf centres ont depuis longtemps édité des oeuvres, mais il faut reconnaître qu'actuellement, seules les éditions Sao sont indépendantes et spécialisées en production littéraire. La fonction éditoriale peut se résumer par trois verbes: choisir, fabriquer, distribuer. Ces trois opérations qui forme un cycle qui constitue l'acte d'édition sont solidaires et, « chacune dépendant des autres en même temps

    qu'elle les conditionne.» (Escarpit 1968 :63). À chacune de ces trois opérations
    correspondent les trois services essentiels de l'édition : Le service littéraire, le service technique et le service commercial que nous avons développé.

    En dernier lieu, la question de financement nous permet de déduire que l'insécurité politique du pays a empêché les bailleurs de fonds d'investir dans le domaine de la production littéraire au profit des auteurs, des imprimeurs et des éditeurs. Le second métier où la profession sociale de l'auteur est pour nous un autofinancement, d'où l'étude de la formation professionnelle. Le danger de ce métier second, comme le démontre Escarpit est qu'« il réserve l'exercice du métier de l'écrivain à une seule catégorie socioprofessionnelle» (Escarpit 1968 : 59), celle des professeurs-écrivains par exemple. Mais, c'est grâce à ces métiers divers que les écrivains tchadiens ont pu faire éditer leurs oeuvres.

    170

    CONCLUSION GÉNÉRALE

    171

    Ce travail sur la littérature tchadienne tel que mené s'inscrit dans une perspective nouvelle, celle de la sociologie de la littérature qui s'intéresse aux contextes, processus et acteurs de la production littéraire. Dubois (1978) a interrogé un certain nombre de structures, notamment les sphères de production, les fonctions de la littérature, les instances de production, etc. et est arrivé à la conclusion selon laquelle tout texte littéraire porte en lui les marques de son inscription dans la société. Fandio saisit la littérature comme le produit d'une société historique et développe les rapports de classes assimilés à l'institution littéraire qu'il définit comme « un ensemble des paramètres humains et matériels qui concourent à l'existence du livre littéraire» (Fandio, 2006 : 16). Pour ceux-ci, les moyens techniques et les capacités intellectuelles et morales des producteurs sont des paramètres importants dans le processus de création. En leur consacrant une étude minutieuse, nous avons trouvé ces éléments essentiels et « déterminants pour l'avènement de la littérature écrite » (Fandio, 2006 : 20).

    La question de départ était de savoir ce qui a retardé l'institutionnalisation de la littérature au Tchad et ce qui est fait ou nécessite d'être fait pour corriger les erreurs du passé. D'emblée, le contexte sociopolitique instable est supposé être la cause du retard et la démocratie, celle du sursaut. Les résultats de cette recherche confirment ce postulat. La réussite de ce projet vient du fait que l'analyse est axée sur les notions de champ, d'institution et de production littéraires définies par P. Bourdieu, R. Escarpit et J. Dubois entre autres.

    La connaissance des réalités sociopolitiques et économiques du Tchad a été et reste indispensable pour l'étude du fait littéraire. En effet, la succession non pacifique au pouvoir a engendré une instabilité politique. Dans un tel contexte, les champs économique, littéraire et culturel n'ont pas pu être bien organisés. Cependant, la solarisation, l'alphabétisation, l'ajustement structurel, l'avènement de la démocratie et le boom pétrolier ont favorisé la reconstruction de ces champs perturbés par les conflits armés. L'étude des contextes de production a permis de justifier l'apport d'autres disciplines dans le domaine littéraire pour faciliter la compréhension des faits comme l'atteste Michel Vincent, parlant du roman : « Le roman, carrefour de représentations ne peut non plus bien se comprendre sans faire appel aux sciences humaines f...] dont les acquis éclairent maints aspects du travail littéraire» (Vincent, 1994 :3)

    172

    Aux termes de cette analyse, nous sommes arrivé à quelques résultats qu'il est nécessaire de présenter.

    Le contexte politique est en perpétuelle mutation pour être une source de recherche en littérature. Des rois, des conquérants et des colonisateurs se sont partagé le Tchad avant les indépendances. Ces derniers ont laissé comme legs la langue française et la culture de l'écriture.

    Parlant de la succession au pouvoir et son effet littéraire, nous avons trouvé que le premier président du Tchad, François Tombalbaye a lutté pour l'émancipation politique et économique du pays. Mais il a aussi été accusé de népotisme et de tribalisme. La dissolution du PPT-RDA a précédé à un programme culturel : le MNRSC. Plusieurs critiques et écrivains ont critiqué dans ce mouvement unitaire l'imposition du yondo comme pratique nationale obligatoire, les travaux forcés, l'emprisonnement des chrétiens et le changement de nom.

    Après la première république, cinq dirigeants ont eu, chacun à son passif, quelques dérives qui n'ont pas échappé à la loupe des écrivains.

    Le GROFAT a trouvé en Malloum la personne la mieux indiquée pour gérer les nombreux projets de l'État. Mais 12 février 1979, suite à un incident qui oppose les éléments de l'armée nationale à ceux de Habré, le Tchad sera plongé dans un chaos sociopolitique. Heureusement, avant l'accord de Lagos qui donne mandat à Goukouni de diriger le pays (18 aout 1979), Lol Mahamat Choua a été nommé par consensus président provisoire. De 1979 à 1982, la gestion de Goukouni n'a pas réussi à intégrer les factions rebelles dans l'armée nationale et leurs leaders le GUNT, comme prévu. Habré se retire en province et revient revendiquer avec succès le pouvoir le 07 juin 1982. Une paix morose et éphémère a précédé une dictature. Le tribalisme, la répression policière la redynamisation du parti unique, la guerre à répétition, etc. en ces temps ont été suffisamment critiqués par les écrivains. Le 1erdécembre 1990, Idriss Déby renverse Habré et instaure une gestion démocratique du pouvoir. Les auteurs ont critiqué à cette époque la répression, la gestion ethnico-religieuse de la fonction publique, l'insécurité et la dilapidation des biens publiques. Cependant, les résultats de l'enquête dévoilent que la liberté d'expression est un facteur émergent pour la littérature à cette époque. C'est cette stabilité politique qui a favorisé la mise sur pied d'une institution littéraire.

    173

    Aux dénouements de l'étude du contexte socio-économique et culturel, il ressort que :

    Au niveau social, il y a eu des crises parmi lesquelles la guerre et ses conséquences, l'analphabétisme, l'illettrisme et la corruption sont ciblés comme freins au développement de la littérature. La guerre est toujours liée à la prise de pouvoir au Tchad selon les sources documentaires consultées sur cette lutte armée. Les écrivains n'ont pas cessé de décrire ces guerres qui ont des conséquences néfastes sur l'économie du pays et sur le système éducatif. L'analphabétisme et l'illettrisme sont quelques-unes de leurs conséquences, n'étant pas de nature à favoriser la production et la consommation des oeuvres de l'esprit. La corruption est l'un des virus qui ralentissent le système sociopolitique. Elle est une autre conséquence des guerres civiles et des règnes claniques.

    Au niveau économique, il a été question de mesurer l'enjeu de l'économie tchadienne sur la production littéraire. En 48 ans de production littéraire, une vingtaine d'auteurs seulement ont pu produire chacun au maximum deux oeuvres littéraires reconnues. Une raison probable de cette lenteur est que la situation économique aléatoire a retardé la création des instances de productions. Il a suffi que ce contexte de précarité soit « renforcé » par une crise économique inévitable pour que l'écriture d'oeuvres de fiction soit retardée au profit de la recherche du pain quotidien. L'exploitation du pétrole a remonté le niveau de l'économie nationale et a permis aux acteurs du livre de s'installer. D'une oeuvre en moyenne produite par an avant 2000, on est actuellement à quatre oeuvres en moyenne par an.

    Au niveau culturel, il y a des réalités comme la diversité ethnique et la culture de l'oralité qui, au lieu d'être une richesse pour la production littéraire écrite, constituent des obstacles à celle-ci : La religion et les divisions administratives ont favorisé une division linguistique et idéologique. Le tribalisme et la discrimination ont découlé de cette séparation. L'école et la littérature ont intérêt à exploiter la diversité pour asseoir une paix durable. La culture de l'oralité, basée sur la transmission de bouche à oreille des informations ne peut pas résoudre ce problème. Les informations se perdent au cours du temps. Il est utile de les consigner sur papier pour leur sauvegarde. La démocratie est enfin de compte un facteur non négligeable pour la production et la consommation de la littérature. Elle lutte contre les antagonistes ethniques et religieux, tout en accordant la liberté d'expression qui a favorisé au Tchad la prolifération des discours critiques, littéraires et la naissance d'une société civile organisée.

    174

    Quelques conditions encourageantes ont mérité d'être connues. Il s'agit des événements littéraires (rencontres, festivals, concours, associations et prix), des apports des expatriés et du niveau intellectuel acceptable des créateurs, etc. qui ont revigoré le champ littéraire. Par contre les difficultés liées aux langues nationales et étrangères, aux religions révélées et aux cultures hétéroclites constituent jusque-là des facteurs défavorables à la production littéraire. En ce qui concerne les difficultés linguistiques par exemple, la sous-scolarisation est l'une des causes de la faible production littéraire au Tchad, surtout que les langues d'écriture sont des langues étrangères. À propos, la scolarisation de masse est l'une des solutions à envisager. Salaka reconnaît à cet effet que « les littératures émergeantes posent le problème des rapports aux langues coloniales f...] La scolarisation a pour objectif d'amener le scolarisé à la maîtrise d'une langue qui n'est pas la langue maternelle» (Salaka, 2003 : 36). Malheureusement, la volonté d'apprentissage du français est minime chez certaines couches de la population tchadienne. Les milieux populaires ne connaissent qu'un accès marginal aux livres, pire encore à son écriture et à sa publication. La littérature doit surmonter ces obstacles pour prôner une culture nationale fondée sur les diversités linguistiques, religieuses et culturelles, gages d'une richesse littéraire certaine.

    Les facteurs littéraires et historiques sont des atouts qui n'ont pas été oubliés dans cette analyse sociologique. Les européens ont porté un regard moins innocent sur les réalités sociopolitiques, économiques et culturelles des ex-colonies. Andrée Clair, Louis Courtek, Germain Chambost, Baudouin Chailley, Ivonne de Coppet et Michel Planchon, ayant, ayant vécu au Tchad, ont produit des oeuvres qui résument leurs séjours professionnels. Après eux, les jeunes écrivains tchadiens se sont donnés pour les concours littéraires organisés par des associations littéraires au niveau national et international. Deux revues (Carrefour et Tchad et Culture) et un magazine littéraire (Malt) ont mérité d'être cités pour leur apport à la production de la littérature.

    En ce qui concerne les concours au niveau international, six textes bénéficiaires du prix de la meilleure nouvelle de langue française et quatre ayant encaissé d'autres prix en nouvelle ont été cités. Neuf pièces ont été primées au CTI et trois à l'occasion d'autres concours de théâtre. En poésie, cinq textes ont arraché des prix de renommée internationale. En mise en scène, quatre pièces ont eu des prix de mise en scène au niveau international. Au niveau du pays, il est fait mention de trois recueils de poèmes, huit pièces et huit nouvelles

    175

    primés. Ces auteurs récompensés se sont inspirés des réalités politiques, historiques, socio-économiques et culturelles du Tchad.

    Dans cette logique, l'étude a démontré que le niveau intellectuel des écrivains tchadiens est acceptable. Parmi les quatorze dramaturges analysés, il y a deux docteurs en dramaturgie et en économie, quatre professeurs de lycées, deux administrateurs licenciés en droit, trois comédiens et trois communicateurs. En nouvelle et autobiographie, il y a deux licenciés en droit, un en anglais, un en télécommunication et deux titulaires de BTS en bureautique et en communication.

    Si les écrits des expatriés, les évènements littéraires et les associations ont été des atouts pour la production littéraire, il y a cependant les multiplicités linguistiques, religieuses et culturelles qui freinent l'épanouissement de la littérature.

    Sur le plan politique, économique et socioculturel, le multilinguisme constitue un obstacle. Un bon programme politique et éducatif peut faire de sorte que la diversité linguistique soit une richesse. Le bilinguisme arabe-français est mal géré et chacune de ces deux langues représente, selon plusieurs personnes enquêtées, l'islam ou le christianisme au point où les locuteurs de l'une ne fournissent pas d'efforts pour apprendre l'autre. Le phénomène n'étant pas de nature à encourager la cohésion sociale et la consommation des oeuvres littéraires, un effort d'apprentissage et de vulgarisation est un atout. Contrairement au français utilisé par la moitié de la population nationale, l'arabe littéraire n'est parlé que par 10% de la population (selon le RGPH de 1993).

    L'islam et le christianisme divisent le Tchad en groupes religieux et ethniques géographiquement antagonistes. Leur pratique crée un conflit social. Heureusement ils servent d'inspiration littéraire. L'étude a démontré que les littéraires ont une position très pointue contre l'intolérance et estiment instaurer son contraire par l'écriture.

    Enfin, nous avons relevé le fait qu'il y a une multitude de cultures qu'on peut vulgariser, d'où le concept de culture nationale au service duquel la littérature doit être employée. Il n'est pas facile d'envisager une unité culturelle. Il suffit de délaisser les éléments culturels jugés désuets par la majorité des cultures nationales et accepter ceux considérés dignes de modèles par beaucoup des concitoyens.

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    Les éléments qui ont retardé ou favorisé la mise en exercice du processus de production et de diffusion du livre littéraire tchadien dans tous ses genres sont désormais connus. Ce processus, son environnement et ses instances, suivies de leurs acteurs et de leurs moyens humains et techniques sont passé en revue. Malgré les quelques difficultés énumérées, il n'est pas impossible de redynamiser la chaîne du livre au Tchad. Les écrivains y occupent une situation particulière.

    Cette étude a pris en compte 28 auteurs de renommée internationale (dont 51 de leurs oeuvres sont reconnues et lues par les personnes enquêtées). Au niveau national, 11 dramaturges, 14 nouvellistes et 4 poètes qui s'efforcent pour reverdir le champ littéraire tchadien ont également fait l'objet d'analyse dans ce travail. Le total fait 57 auteurs étudiés. En effet, les auteurs tchadiens sont soit des littéraires, juristes, économistes ou agronomes enseignants au lycée ou à l'université, soit des éditeurs, animateurs culturels, journalistes, comédiens, metteurs en scène, soit encore des administrateurs civils. Leur formation et leur profession, généralement en rapport avec la littérature, font d'eux des formateurs.

    Il existe un nombre suffisant d'éditeurs et d'imprimeurs au niveau local. Seulement, tant que « les verres et les tasses des salons ne sont pas remplacés par des livres pour permettre aux enfants de lire dès le bas-âge» (Renaud Dinguemnaial, entretien réalisé le 09/08/2010), tant que « les lycées et les collèges ne sont pas dotés de bibliothèques garnies »(Ngartora Maryengué Marius, entretien réalisé le 29/04/2010) et tant que « les étudiants ne sont pas formés avec de bonnes bibliothèques » (La responsable du centre Al-Mouna, entretien du 27/07/2010), la production et le marché du livre littéraire vont toujours demeurer faibles. En conséquence, il serait difficile de s'installer en tant qu'auteur, éditeur ou imprimeur et prétendre gagner de l'argent en produisant ou en publiant des textes littéraires. Dès lors, la discussion franchit les limites de la production pour la consommation, une autre piste d'étude en sociologie de la littérature. Sur les 100 personnes enquêtées, les seules occasions indiquées pour la lecture sont les études des oeuvres aux programmes (25%) et le temps de vacances (25%). 25% d'enquêtés seulement prétendent lire à tout temps, 20% autres quand le livre parait et 5% lors de voyages (annexe 1, question 6). Il y a là un problème de réception ou d'habitude de lecteur.

    177

    L'analyse sociologique des écrivains a consisté à les regrouper par genres littéraires. Dans toutes les formes d'expression, le statut des écrivains, les textes phares et les distinctions académiques et littéraires ont été passés en revue. Ce travail a permis de connaître des talents :

    Six dramaturges de renom : M. Naindouba, B Moustapha, K. Lamko, P. Bebnoné, N. Djédanoum et N. N'Djékéry et une dizaine de dramaturges (enseignants, éditeurs, comédiens, metteurs en scène, journalistes, économistes, agents de développement, etc.) qui oeuvrent au niveau local pour reverdir le champ littéraire, dont les écrits ne bénéficient pas d'une réelle visibilité, sont découverts. La majorité de ceux-ci vivent à N'Djaména où ils exercent la profession d'écrivain comme activité seconde60.

    Huit romanciers ont été repérés par les enquêtes et ont fait l'objet d'une étude. Deux d'entre eux vivent au pays où ils sont enseignants en économie et en agronomie. Il s'agit des docteurs A. Haggar et Mouimou Djékoré. Les autres, informaticiens, diplomates, docteurs en philosophie et dramaturgie, etc. vivent à l'extérieur du pays (surtout en France). Là aussi, l'écriture est une activité seconde pour eux.

    Sept autobiographes s'arrachent la figure de star. Parmi eux, seuls le docteur Z.F. Khidir, vice-recteur de l'université de N'Djaména et Hinda Déby, l'épouse du président vivent au pays. Les autres sont soit morts, soit en exil.

    Quatre nouvellistes de renom et quatorze jeunes qui s'exercent en nouvelle et répondent de temps en temps aux concours dudit genre au niveau du Tchad sont répertoriés

    Cinq poètes ont une renommée internationale. Au niveau local, il y a de recueils inédits qui sont clamés par leurs auteurs, mais les recueils publiés des quatre poètes reverdissent le champ. Ceux-ci vivent à N'Djaména, au Tchad.

    Des acteurs concernés par la production, l'étude a été consacrée aux éditeurs et imprimeurs et à leurs instances. C'est auprès de ces derniers que sont collectées les

    60 Escarpit (1968) avoue qu'il faut considérer le second métier comme une solution acceptable mais qui ne peut absolument pas résoudre le problème de l'intégration du métier de lettres au système socio- économique.

    178

    informations techniques sur la réalisation d'ouvrages. L'annexe 4 réservé aux personnes ressources enquêtées en donne quelques noms.

    S'agissant des instances techniques, après une étude historique et fonctionnelle de l'édition et de l'imprimerie et quelques autres possibilités de publication comme l'internet (Open Access, Creatives Commons), l'étude a pris en compte l'existence des maisons d'édition en Europe et en Afrique, surtout celles qui ont ouvert leurs portes aux auteurs tchadiens. Bourdette et Taboye (2003) confirment le fait que la littérature tchadienne soit produite en majorité en Europe. Sur une centaine de titres recensés, seuls Koulsy, Koundja, et Moustapha ont produit quelques cinq oeuvres en Afrique, en dehors du Tchad. La majorité d'écrivains, à défaut des instances dynamiques au niveau national, ont choisi la France comme lieu d'édition. Le directeur des éditions Sao reconnaît ce fait et déclare:

    Au départ, la littérature tchadienne était l'apanage d'une poignée d'écrivains qui, par la force des choses se sont retrouvés en Europe, surtout en France, où les conditions de production sont enviables. Au Tchad, l'instabilité politique et la crise sociale n'ont pas été favorables pour la réalisation d'un tel rêve. Aujourd'hui, il faut reconnaître que quelque chose a changé. Cette dernière décennie, nous avons à notre actif vingt-quatre oeuvres dans la collection littérature tchadienne. (Entretien avec L. Bao, le 26/04/ 2010, aux Éditions Sao)

    L'étude sur les structures d'édition et d'impression au Tchad a permis de confirmer l'hypothèse selon laquelle les instances de production existent et méritent d'être encouragées, financées pour être dynamiques. Il y a un investissement humain et matériel appréciable : quatre maisons d'éditions (AL-Mouna, SAO, CEFOD, CNAR) et six imprimeries tchadiennes (IDT, AGB, GIT, Aubaine, Créative et IS). Selon les responsables de ces instances, l'apport de l'État dans leurs activités est toujours nul. Pourtant Escarpit, parlant du financement externe, qu'il développe en terme de mécénat (ou entretien des acteurs du livre par une personne ou une institution qui les protègent mais attendent d'eux, en retour, la satisfaction du besoin culturel) reconnaît que « tout au long des âges, le mécénat d'État s'est traduit par l'octroi de pensions plus ou moins régulières ou par l'attribution de fonctions officielles.» (Escarpit, 1968 :48). Ce « refus » de financement de l'activité littéraire peut faire l'objet d'une étude. C'est probablement ce manque d'attention de l'activité littéraire qui pousse les auteurs vers les pays qui accordent d'intérêt à la production, la consécration et la légitimation des

    179

    oeuvres littéraires. Le mécénat, comme le déclare Escarpit, « rend possible l'intégration de l'écrivain a un cycle économique où il n'avait pas sa place, et donc de lui permettre d'exister et de produire,» (Escarpit 1968 :48). Il est souvent mis à son actif une influence généralement heureuse sur les lettres. A cet effet, un effort est à faire dans ce domaine par l'État.

    La littérature tchadienne, malgré son immaturité est en voie de se constituer en champ autonome. Tous les acteurs et les composantes de la chaine du livre sont en place. L'objectif visé par eux est le degré d'autonomie de ce champ qui « peut se mesurer à l'aune de l'élasticité et ou de l'étroitesse de liens de dépendance qu'il entretient avec des champs concurrents dont le champ politique », comme l'estime Pascal Durand (Durand, in Fonkoua, 2001 : 12). Écrivains, éditeurs, imprimeurs, diffuseurs, libraires, bibliothécaires, etc. (pris individuellement ou collectivement, dans le champ littéraire ou en rapport avec d'autres champs - politique, économique, religieux ou culturel, etc.-) peuvent faire l'objet d'étude avec pour grille la sociologie de la littérature ou avec une autre méthode d'étude du fait littéraire. L'apprenant en sociologie de la littérature peut s'intéresser à l'étude comparée entre le champ littéraire et le champ politique ou culturel, à la question de génération d'écrivains, de diffusion ou de consommation, etc. de la littérature tchadienne écrite d'expression française. Il faut noter que ces pistes sont entre autres des possibilités d'élargissement du champ littéraire.

    Cette étude, il est vrai, a permis de collecter un certain nombre d'informations jusqu'à la inédites, mais elle est pour ce grand domaine de l'institution de la littérature, une ébauche d'analyse qui vaut la peine d'être perpétuer.

    GLOSSAIRE

    180

    181

    Acteur du livre : Toute personne qui contribue à la production ou la diffusion du livre.

    Analyse sociologique : Une étude du fait littéraire par une démarche sociologique. Dans le présent travail, les enquêtes extensive et intensive menées sont des techniques de collecte des informations en sociologie, entendons la science qui étudie les faits de société.

    Auteur : Producteur d'un texte écrit. Le mot « auteur » garantit la valeur juridique et concerne les rapports de propriétés, les droits d'auteurs. Le mot s'applique aujourd'hui à toute sorte de publication et se distingue de « écrivain » qui ne concerne que la littérature seule. Bibliographie : Ensemble de la production livresque d'une époque.

    Chaine du livre : Processus qui va de l'écrivain au lecteur en passant par l'éditeur, l'imprimeur, le libraire, le bibliothécaire et bien d'autres acteurs du livre.

    Champ littéraire : Réseau, ou configuration de relations objectives entre les positions. P. Bourdieu classe les classes sociales en champs politique, économique, culturel, littéraire, etc. A l'intérieur de ces domaines qui s'influencent et réclament, chacun, son autonomie, se trouvent les acteurs. Il a ses codes, ses valeurs et ses propres lois.

    Création littéraire : Activité productrice de lettres, ensemble des produits oraux et écrits de cette activité. La littérature est création littéraire, en ce sens qu'elle invente des idées, des images, des personnages voire de mondes nouveaux.

    Écriture : Terme qui renvoie à la littérature écrite, à l'action d'écrire des oeuvres littéraires. L'écriture est pour Barthes « une fonctions chargée d'exprimer le rapport entre la création et la société.

    Écrivain : Producteur d'un texte littéraire. Le terme reçoit une autre appellation en fonction des genres littéraires. On parlera de dramaturge pour l'auteur de pièces de théâtre, nouvelliste (nouvelle), romancier (roman), autobiographe (autobiographie), poète (poésie), etc. À l'époque moderne, il désigne « l'auteur d'une oeuvre littéraire reconnue.» (Aron et al, 2002 :164).

    Fait littéraire : La littéraire est un fait social et historique. Elle a une existence matérielle qui peut être un objet de savoir et de mémoire. Par ailleurs, elle est également création des faits présentés comme vrais ou comme imaginaires, et ceux-ci ont leur propre histoire.

    Formes d'expression : Genres dans lesquels les écrivains produisent.

    Institution littéraire : Notion qui recouvre bien plus que le concept de la vie littéraire. Selon Viala, « les institutions de la vie littéraire » ce sont les lois et les cadres sociaux de cette praxis, lesquels englobent à la fois les structures de production, de distribution du texte

    182

    littéraire et les différentes instances de légitimation qui existent dans la société. Le Dictionnaire international des termes littéraires définit l'institution comme un ensemble des structures organisées tendant à se perpétuer dans chaque secteur de l'activité sociale.

    Littérature nationale : Ensemble de traits thématiques et linguistiques qui permettent de rattacher un corpus d'oeuvres et de pratiques à un groupe ou une communauté historiquement et politiquement constituée.

    Livre littéraire : Après moult définitions du mot livre, Escarpit affirme qu' « il a pour but la multiplication de la parole en même temps que sa conservation» (Escarpit, 1968 : 18). Selon lui, le livre est « le mode de circulation le plus commode et le plus efficace de la pensée et de l'art» (Escarpit, 1972 : 58) Le livre est littéraire quand il « n'est pas un outil mais une fin en soi» (Escarpit, 1968: 21)

    Genres littéraires : cadres littéraires légués par la tradition et qui ont l'avantage de bien mettre en valeur une inspiration dominante déterminée.

    Prix littéraire: Récompenses au niveau international et national des producteurs des textes littéraires de qualité excellente. Cette reconnaissance dans le cas d'espèce a stimulé la créativité littéraire.

    Production littéraire : Ensemble des oeuvres ou des ouvrages produits par un groupe (finalité ou produit) ; processus de réalisation d'oeuvres littéraires. Elle suit un schéma régulier presque connu de tous : un créateur appelé auteur propose un texte, fruit de son imagination ou de son expérience sociale à un éditeur qui en juge la qualité en fonction des attentes d'un public consommateur appelé lecteur et le met sur le marché pour le bénéfice et le plaisir de celui-ci. Elle est le fait d'une population d'écrivains.

    Sociologie de la littérature : Branche de la sociologie qui s'intéresse aux faits littéraires, en essayant de les lier aux contextes sociopolitique, économique et culturel du milieu de l'écrivain. Etudier les rapports que la littérature entretient avec les instances de production et de légitimation est une de ses préoccupations. Elle applique les méthodes de la sociologie à la production, à la diffusion, à l'institution littéraire, aux groupes professionnels tels qu'écrivains, professeurs ou critiques, en un mot à tout ce qui, dans la littérature, n'est pas le texte lui-même. Elle est considérée comme une des méthodes des sciences de la littérature, méthode critique tournée vers le texte, et vers la signification de celui-ci.

    Visibilité : Connaissance, dans ce travail, des faits littéraires par les lecteurs, surtout ceux qui ont été enquêtés. Opposé de l'appellation nihiliste de « vacuité ».

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    ANNEXES

    Annexe 1: Exploitation du questionnaire

    Adresses

    Filière et profession : 15 enseignants, 10 élèves et 75 étudiants.

    Âge : entre 21 et 48 ans.

    Sexe : Masculin : 80, Féminin : 20.

    Faculté et école : FLSH de N'Djaména

    Département : de Lettres et d'Anglais et 3 lycées.

    Questions/ Réponses

    1- Qu'est-ce que la littérature ? Réponses :

    a- ensemble des oeuvres (écrites et orales) prises du point de vue d'un pays, d'une époque, d'un milieu ou du genre dans lequel elles s'inscrivent et auxquels on reconnait une finalité esthétique (65%) ;

    b- expression de la vision du monde d'un petit d'un peuple (20%) ;

    c- forme de représentation à travers l'imaginaire d'un créateur pour un meilleur avenir de la société (5%) ;

    d- domaines des lettres (5%);

    e- livres traitant des thèmes littéraires (5%).

    2- Avez-vous entendu parler de la littérature tchadienne? Oui : 100%

    3- Connaissez-vous quelques auteurs tchadiens ? Réponse : oui : 100 %

    4- Combien d'oeuvres avez-vous lues ? Réponse : entre 1 et 3en moyenne par personne enquêtée

    5- Lesquelles ? Réponse: 30 oeuvres parmi lesquelles Au Tchad sous les étoiles de B. Seid, La descentes aux enfers de N'Djékéry, L'Etudiant de Soweto de M. Naindouba et Ndo Kela de K. Lamko sont respectivement citées à 70%, 55%, 40% et 20%.

    6- À quelle occasion lisez-vous une oeuvre littéraire ? Réponse : étude des textes : 25%, vacances : 25%, disponibilité du livre : 20%, tous les jours : 10%, pour la culture : 10%, heures de pose : 5%, voyage : 5%.

    7- Pourquoi n'écrivez-vous pas de livres ? Réponse : par manque de temps : 30%, d'argent : 25%, d'inspiration : 10%, d'édition : 15%, de sécurité : 10% et 10% des enquêtés sont restés avec des manuscrits en mains.

    8- Avez-vous déjà acheté quelques oeuvres tchadiennes ?oui 95%, non : 5 %.

    II

    9- Lesquelles ? Réponse : 19 oeuvres sont de temps en temps achetées par les enquêtés, parmi lesquelles Au Tchad sous les étoiles de B. Seid, L'Etudiant de Soweto de M. Naindouba La Descente aux enfers de N. N'Djékéry, et Ndo Kela de K. Lamko occupent les premières place avec respectivement 70%, 30% 35% et 5%.

    10- Quel genre littéraire vous fascine plus? Réponse: roman: 25%, autobiographie: 20 % poésie 10%, théâtre 30%, conte 10% et autres : 5 %

    11- Avez-vous entendu parler d'une oeuvre censurée au Tchad? Oui : 20%, non : 80%.

    12- La ou lesquelles ? Réponse : Pour un Baril de pétrole de M. Naindouba : 10%, Deurkas de Moyoro Beassoum : 5% et Prisonnier de Tombalbaye d'A. Bangui : 5%.

    13- Citez quelques oeuvres qui ont eu un prix littéraire ou une consécration quelconque. Réponse : 15 oeuvres écrites par Koulsy, Naindouba, N'Djékéry, Moustapha, Nimrod et Nocky, primées par RFI, la fondation Louise Labé et celle de la Vocation en France.

    14- Selon vous quels, sont les obstacles à la production d'oeuvres au Tchad ? Réponses :

    a- contextes politiques : dictature, démocratie mal gérée, taxes élevées, guerre, insécurité, censure, manque d'encouragement, de maison d'édition, de politique du livre, de liberté d'expression, etc. ;

    b- contextes sociaux : analphabétisme, pauvreté, tradition, charges familiales, habitude de lecture, chômage, baisse de niveau, manque d'intérêt pour la lecture et de politique de vente conséquente ;

    c- contextes économiques : manque de moyens financiers et matériels pour la production, cherté du livre, faible pouvoir d'achat, problème d'électricité.

    15- Qu'est-ce qui selon vous favorise la production des oeuvres au Tchad ? Réponses :

    a- événements politiques : dictature, démocratie, événements (guerre, insécurité, exil, conflits, multipartisme), création des maisons d'édition, liberté d'expression, etc. ;

    b- événements littéraires : colloques, séminaires, festivals, concours, forums, conférences, activités des centres culturelles ;

    c- les associations : (ASET, CCF, CEFOD, SBL, ADELIT, « Pour mieux connaître le Tchad, mutuelles scolaires, cercles des écrivains en herbe), revues Carrefour, Tchad et Culture et MALT.

    16- Quelques 6 dramaturges de renom suivis de leurs 12 pièces : Naindouba (Etudiant de Soweto), Moustapha (Le Commandant Chaka, Achta..., Maître des Djinns), Koulsy

    III

    (Ndo Kela, Mon fils de mon père, Tout bas, si bas, Comme de flèches), Bebnoné (Kaltouma, Mbang Gaourang), Nocky (Illusion, Aubade) et N'Djékéry (Goudangou)

    17- Quelques 8 romanciers de renom suivis de leurs 10 oeuvres représentatives : Haggar (Le Mendiant de l'espoir, Le prix du rêve, Hadjar Marfa-ine), Nimrod (Les Jambes d'Alice), Moustapha (Le Souffle de l'harmattan), Koulsy (Phalène de colline), N'Djékéry (Sang de kola), Koundja (Al Istifack), Moustapha (Souffle de l'harmattan), Tedambe (République à vendre) et Mouimou (Candidat au paradis refoulé).

    18- Quelques 7 autobiographes de renom suivi de leurs 9 oeuvres représentatives : Zakaria (Loin de moi-même, Les Moments difficiles), Bangui (Prisonnier..., Les Ombres des Kôh), Abakar (Un Tchadien à l'aventure) Kosnaye (Tribulation d'un jeune tchadien), Seid (L'enfant du Tchad), Kotoko (Le Destin...) et Hinda (La main...)

    19- Quelques 4 nouvellistes de renom suivis de leurs 10 oeuvres représentatives ; N'Djékéry (La Descente.., La Carte..., Les Trouvailles), Moustapha (La Couture de Paris, Sortilèges), Koulsy (Regard dans une larme, Aurore, Un cadavre sur l'épaule), Naindouba (La Double détresse, La Lèpre).

    20- Quelques 5 poètes de renom suivi de leurs 10 recueils représentatifs : Nimrod (Pierre poussière, Silence de chemin, Passage à l'infini), Mougnan (Rythme du Silence, Des Mots à dire), Nocky (Nyamirambo), Nébardoum Derlemari (Cris sonore) et Koulsy (Terre bois ton sang, Danse du lab)

    21- Quelques 6 structures africaines ayant édité des oeuvres tchadiennes : CLÉ, NÉA, P.A., Fugier, Kuljaama et Nathan

    22- Quelques 15 structures européennes qui ont édité des oeuvres tchadiennes parmi lesquelles : L'Harmattan, Orphée, Actes Sud, Lansman et Sépia.

    23- Quelques 4 maisons d'éditions : AL-Mouna (80%), SAO (70%), CEFOD (55%), CNAR (5%) et 3 imprimeries tchadiennes : IDT (50%), AGB (10%) et Aubaine (5%) existent.

    IV

    Annexe 2 : Protocole d'entretien (aux responsables des maisons d'édition)

    I. Historique

    Historique de la Maison : création, objectifs, financements

    Ligne éditoriale ....

    II. Vision

    Quels sont les domaines concernés par l'édition ?1- .2- 3 -

    Quels sont les livres phares déjà édités? En quelle année ?

    Combien de titres ont paru de la création à ce jour ?

    Quelle est la place la littérature tchadienne dans cette édition?

    Quelques titres

    Enregistrez-vous des écrivains tchadiens avec des manuscrits ? Oui... ; Non

    Combien : /an ; /mois ; /jour

    III. Fonctionnement

    Comment fonctionnent vos éditions ?

    Personnel et interaction .

    Enregistrement des textes ..

    Traitement des textes .

    Lecture

    Impression .

    Avez-vous vu quelques-uns de vos livres censurés ? Non . Oui ..

    Lesquels ?

    IV. Perspectives

    Quels rapports entretenez-vous avec les instances locales du livre ?

    Éditions, imprimeries,

    Commissions de lecture,

    Librairie,

    Bibliothèques .

    Universités

    Quels sont vos projets pour la littérature tchadienne ?

    Avez-vous des représentations en province ? Non Oui Où ?

    Quels est l'apport de l'Etat dans vos actions ? % ; Nul

    V

    Annexe 3 : Protocole d'entretien (aux responsables d'imprimeries)

    I- Historique

    Historique de la structure : création, objectifs, financements

    Ligne particulière d'impression (code de refus ou d'acceptation des textes)

    II- Vision

    Quels sont les domaines concernés par l'impression ? 1 :...2 :...3 :...

    Quels sont les livres phares déjà imprimés? En quelle année ?

    Combien de titres ont paru de la création à ce jour ?

    Quelle est la place la littérature tchadienne dans cette publication?

    Quelques titres...

    Enregistrez-vous des éditeurs littéraires avec des manuscrits ?

    Combien /an ; /mois ; /jour

    III- Fonctionnement

    Comment fonctionne votre imprimerie ?

    Personnel et interaction.......

    Enregistrement des textes

    Traitement des textes

    Lecture...

    Impression

    Avez-vous vu quelques-uns de vos impressions censurés ?

    Lesquels ?

    IV- Perspectives

    Quels rapports entretenez-vous avec les instances locales du livre ?

    Editions, imprimeries,...

    Commissions de lecture

    Librairie

    bibliothèques

    Universités...

    Quels sont vos projets pour la littérature tchadienne ? Non.... Oui.... Lesquels....

    Avez-vous des représentations en province ? Non.... Oui.... Où ?

    Quel est l'apport de l'État dans vos actions ? %, Nul...

    VI

    Annexe 4 : Liste des personnes ressources enquêtées

    Nom et prénoms

    Fonction/Profession

    Occasion/lieu

    Date

    1

    ...

    Responsable Imprimerie/ISSED

    Entretien/ISSED

    30/04/10

    2

    ...

    Directrice Al-Mouna

    Entretien/AlMouna

    27/07/10

    3

    ...

    Directeur commercial/GIT

    Entretien/GIT

    02/08/10

    4

    ...

    Responsable Imprimerie scolaire

    Entretien/ISSED

    30/04/10

    5

    ...

    Éditeur au CEFOD

    Entretien/CEFOD

    10/08/10

    6

    Abakar Mahamat Mabrouk

    Inspecteur/CNC

    Entretien/CNC

    30/05/10

    7

    Abdias Koumagueyeng

    Directeur Adjoint/BUDRA

    Entretien/BUDRA

    20/07/10

    8

    Ahmat Goni Bichara

    Directeur Général AGB

    Entretien/ AGB

    31/07/10

    9

    Ahmet Bello

    Directeur du Livre

    Entretien/CLAC

    03/08/10

    10

    Armelle Riche

    Directrice

    commerciale/L'Harmattan

    Exposé/CCF

    22/11/09

    11

    Denis Pryen

    Directeur de L'Harmattan

    Fête-Livre/ CCF61

    23/11/09

    12

    Ernest Baiyabé Gong-ya

    Coordonnateur national/CLAC

    Entretien/CLAC

    29/04/10

    13

    Félix Asguet Mah

    Enseignant-chercheur

    Enquête / FLSH

    24/11/09

    14

    Félix Moulkogué Boulo

    Inspecteur/CNC

    Entretien au CNC

    24/05/09

    15

    Mahamat Hamdo

    Éditeur au CNAR

    Entretien/CNAR

    02/08/10

    16

    Marius Ngartora
    Maryengué

    Directeur de la librairie la

    Source

    Entretien/La Source

    29/04/10

    17

    Neldhy Santigal Tindé

    Chef du Service

    littéraire/BUDRA

    Entretien/BUDRA

    29/04/10

    18

    Ngarmadji Ndoryam

    Directeur du Livre/Adjoint

    Entretien/CLAC

    03/08/10

    19

    Renaud Dinguemnaial

    Secrétaire Général/ASET

    Entretien/FAO

    09/08/10

    20

    Riminan Nguemadjita

    Géographe-Bibliothécaire/CLE

    Enquête

    extensive/CLE

    24/11/09

    21

    Sylvain Darma

    Éditeur/Al-Mouna

    Entretien/AlMouna

    29/05/10

    61 Confrère sigles au début de la thèse entre le Résumé et la table d'illustration.






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