UNIVERSITÉ DE NGAOUNDÉRÉ
THE UNIVERSITY OF NGAOUNDERE
FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DÉPARTEMENT DE LETTRES
B.P 454
FACULTY OF ARTS, LETTERS AND SOCIAL SCIENCES
DEPARTMENT OF LETTERS P. O. BOX 454
LA PRODUCTION LITTÉRAIRE
TCHADIENNE
ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE :
tement de français
ESSAI D'ANALYSE SOCIOLOGIQUE
Thèse présentée en vue de
l'obtention du Master ès Lettres Option : Littérature
négro-africaine
Par
Robert MAMADI
Sous la direction de
M. Gilbert
ZOUYANE
Chargé de Cours
Année académique 2009-2010
Papa Jean Guidjara,
De biens et de bonté, tu m'as
toujours couvert!
Endurci en comptant sur ta félicité,
Six
janvier 2010, tu m'as imbu de regret
En me laissant avec un projet
débuté.
Seul parmi des femmes qui pleurent, tu m'as
oublié :
Dames qui pleurent mon désir, par ta mort,
recouvert.
Grâce à la foi, la patience et
l'amitié,
Voici la fin du projet par toi découvert.
A toi,
cette thèse est, par moi, de tout coeur, dédiée.
II
Remerciements
Pour que ce travail se réalise, il a fallu la
volonté bienfaisante de plusieurs personnes auxquelles j'adresse ma
profonde reconnaissance et mes sincères remerciements.
J'ai été marqué par le sérieux que
le Docteur Gilbert ZOUYANE a accordé à cet ouvrage. À
toutes les fois que j'ai décidé d'abandonner faute de moyens
financiers et de sources documentaires, l'expérience et les conseils de
cet homme simple, accueillant et compréhensif ne m'ont pas
été de moindre utilité. Par ses orientations,
encouragements et documents, il a su en bon pédagogue, malgré ses
multiples occupations, diriger mes pas dans la recherche. Du fond de mon coeur,
je lui dis des salamalecs tout en lui restant reconnaissant.
La collaboration et la simplicité de ceux qui m'ont
encadré depuis le Master I ne me laissent pas indifférent. Que
les professeurs Félix Nicodème BIKOÏ, Maxime METO'O, Joseph
NDINDA; les Docteurs Clément DILI PALAÏ, Daouda PARÉ et
Jean-Marie WOUNFA reçoivent ici l'expression de mon respect pour leur
générosité dans le partage du savoir.
Je remercie les amis, compatriotes et frères qui ont
contribué moralement, financièrement et matériellement
pour la finalisation de ce document. Je pense aux sieurs ANDJAFFA Djaldi S.,
BAMDIRAM Victor, Barnabas KOUTCHOUNA B., BOUDOUNA Kadji, FOULLA
Dieudonné P., ISSA J. Laougué, KADESSOU Djarmatna,
KOSS-ADOUMNODJI Y., GALAPNA Edouard, LABARA Michel, LIZINA Kongué, NADJI
J. ASSANE, Paul DJARMATNA et à Mlle Félicité GOUDOUM.
Aux enseignants du Département de Lettres Modernes de
l'Université de N'Djaména et à tous ceux dont la liste est
en annexe 4, je dis Merci pour m'avoir formé et informé.
Il serait ingrat d'oublier ceux qui ont partagé avec
moi les difficultés. Qu'AMINATOU Moussa, Bodering LABE, BOUBA
Timothée A., KOUAGO Abdoulaye et BEASMBAYE Thomas reçoivent au
nom de la promotion de Master Lettres 2008-2010 ma reconnaissance. Merci
à la mère de mes enfants pour la compréhension et les
encouragements.
Enfin, que tous ceux qui ont, d'une manière ou d'une
autre, apporté leur modeste contribution et dont les noms ne sont pas
inscrits sur cette page ne se sentent pas oubliés.
III
Résumé
Pour l'essor de la littérature tchadienne écrite
d'expression française sous-développée, il nous a
semblé opportun de mener une étude sociologique de son processus
de création. Afin de répondre à cette
préoccupation, le présent travail vise un triple objectif.
D'abord, il compte démontrer que les contextes politique et
socioéconomique du pays n'ont pas seulement été sources
d'inspiration. Ils ont retardé la constitution d'une chaîne du
livre dynamique. Ensuite, il établit que des facteurs littéraires
et historiques, contrairement à ceux linguistiques, religieux et
culturels conditionnent positivement la mise sur pied d'une institution
littéraire. Enfin, il vise une étude des instances de production
et du statut de leurs acteurs pour permettre de vérifier leur existence
et leur interaction dans le champ littéraire au Tchad.
Mots-clés : production
littéraire, analyse sociologique, contextes, conditions, instances et
acteurs, Tchad.
Abstract
For the rise of the Chadian literature written underdeveloped
French expression, it seemed convenient to us to undertake a sociological study
of its process of creation. In order to meet this need, this work aims at
triple object. First, it intends to show that political and socio-economic
contexts of the country were not only sources of inspiration. They delayed the
constitution of a dynamic book chain. Then, it establishes that literary and
historical factors, contrary to those linguistic, religious and cultural
positively conditioned the setting-up of a literary institution. At last, it
aims at a study of the establishments of production and statute of their actors
to permit the verification of their existence and their interaction in the
literary field in Chad.
Keys-words: literary production, sociological
analysis, contexts, conditions, establishments and actors, Chad.
Sigles
ACCT : Agence de Coopération
Culturelle et Technique
ADELIT : Association des Amis de la
Littérature
AFJT : Association de Femmes Juristes du
Tchad
AFRISTAT: Organisation Africaine des
Statistiques
AGB-Imprimerie : Ahmat Goni
Bichara-Imprimerie
APLFT : Association pour la Promotion des
Libertés Fondamentales au Tchad
ASET : Association des Écrivains
Tchadiens
ATPDH : Association Tchadienne pour la
Promotion et la Défense des Droits de l'Homme
CAPCEG : Certificat d'Aptitude Professionnel
pour les Collèges d'Enseignement Général
CAPEL : Certificat d'Aptitude Professionnel
pour l'Enseignement au Lycée
CCF : Centre Culturel Français
CCIAMA : Chambre de Commerce, d'Industrie,
d'Agriculture, des Mines et d'Artisanat
CÉAC : Cercle des Écrivains et
Artistes Chrétiens
CEC : Certificat d'Entrepreneur Culturel
CED : Centre pour l'Éducation à
la Démocratie
CÉDA : Centre d'Édition et de
Diffusion Africaine
ATPDH : Association Tchadienne Pour la
Défense de Droits de l'Homme
BÉAC : Banque des États de
l'Afrique Centrale
BÉPC : Brevet d'Etudes du Premier Cycle
BET : Borkou-Ennedi-Tibesti
BM : Banque Mondiale
BTS : Brevet de Technicien Supérieur
BUDRA : Bureau de Droit d'Auteurs
CEFOD : Centre de Formation pour le
Développement
iv
CEG : Collège d'Enseignement
Général
CELIAF: Cellule de Liaison et d'Information des
Associations Féminines CÉL: Centre
d'Étude Linguistique
CEPE : Certificat d'Etudes Primaires et
Elémentaires
CLAC : Centre de Lecture et d'Animation
Culturelle
CLÉ : Centre de Littérature
Évangélique
CNAR : Centre National Appui à la
Recherche
CNC : Centre National du Curricula CNS
: Conférence Nationale Souveraine
COFACE : Compagnie Française d'Assurances
pour le Commerce Extérieur
CRP : Centre de Recherches Pédagogiques
CSM : Conseil Supérieur Militaire
CTI : Concours Théâtral
Interafricain
CTS : Compagnies Tchadiennes de
Sécurité
DDS : Direction de la Documentation et de
la Sécurité
DÉA : Diplôme d'Études
Approfondies
DÉSS : Diplôme Études
Supérieures Spécialisées
DEUG : Diplôme d'Études
Universitaires Générales
ÉDICEF : Édition Classique
d'Expression Française
Email : Electronique Mail
ÉNA : École Normale
d'Administration
ENSAC : Ecole Normale Supérieure de
l'Afrique Centrale
V
FAN : Forces Armées du Nord
FAO : Food and Agricultural Organisation
(Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture)
FAP : Forces Armées Populaires
FAR : Fédération Action pour la
République
FASR : Facilité d'Ajustement
Structurel Renforcée
FIJPA : Festival International de la jeune
poésie africaine
FLSH : Faculté de Lettres et Sciences
Humaines
FMI : Fonds Monétaire International
FROLINAT : Front de Libération
Nationale
GIT : Grande Imprimerie du Tchad
GROFAT : Groupe des Officiers des Forces
Armées Tchadiennes
Groupe SIL : Groupe de Soutien aux
Initiatives Littéraires
GUNT : Gouvernement d'Union Nationale de
Transition
HCC : Haut Conseil de la Communication
HDR : Habitation à Diriger les
Recherches
PAS : Programme d'Ajustement Structurel
IDT : Imprimerie du Tchad
INSH : Institut National des Sciences
Humaines
Internet : International Network (réseau
international)
IPC : Indice des Prix à la Consommation
IPN : Institut Pédagogique National
IS: Imprimerie Scolaire
ISSED : Institut Supérieur des Sciences
de l'Education
LFÉ: Lycée Félix
Eboué
LTC : Lycée Technique Commercial
MALT : Magazine littéraire du Tchad
MASA : Marché des Arts du Spectacle
Africain
MNRCS : Mouvement National pour la
Révolution Culturelle et Sociale
PNUD : Programme des Nations Unies pour le
Développement
PPT : Parti Progressiste Tchadien
RDA : Rassemblement Démocratique
Africain
RFI : Radio France Internationale
RGPH : Recensement Général de la
Population et de l'Habitat
RLPT : Réseau de Lecture Publique au
Tchad
SBL : Salon des Belles Lettres
SÉDIA : Service Édition-ADELIT
SIL : Société Internationale de
Linguistique
UDÉAC : Union Douanière et
Économique de l'Afrique Centrale
UJPT : Union des Jeunes Poètes
Tchadiens
Redressement National au Tchad MPS : Mouvement
Patriotique du Salut MSF : Médecins Sans
Frontières NÉA : Nouvelles Éditions
Africaines NÉI : Nouvelles Éditions
Ivoiriennes
vi
UNESCO : United Nations Educational,
Scientific and Cultural Organisation (Organisation des Nations Unis pour
l'Éduction, la Santé et la Culture)
UNIR : Union Nationale pour l'Independence et
la Révolution
UST : Union des Syndicats du Tchad WEB:
World Wide Web
VII
Table des illustrations
I. Histogramme
Histogramme réalisé à base des
informations tirées du Panorama de Taboye (2003) .55
II. Tableaux
Tableau I : Les dramaturges de renom suivis de leurs
pièces représentatives 122
Tableau II : Les romanciers de renom suivis de leurs oeuvres
représentatives 130
Tableau III : Les autobiographes de renom suivis de leurs
oeuvres représentatives 132
Tableau IV : Les nouvellistes de renom suivis de leurs oeuvres
représentatives 135
Tableau V : Les poètes de renom suivis de leurs recueils
représentatifs 140
Tableau VI : Les grands centres d?édition au Tchad
(Annexe 1, question 23) 159
Tableau VII : Les grandes imprimeries au Tchad (Annexe 1,
question 23) 163
VIII
Sommaire
Dédicace i
Remerciements ii
Résumé iii
Sigles iv
Table des illustrations vii
Sommaire viii
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE
TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE
17
Chapitre 1 : Le contexte politique 19
1. De la période coloniale à la stabilité
politique 21
1.1 Les réalités historiques de la
littérature tchadienne 22
1.2 La première république 24
1.3 Les dérives et critiques 26
2. Les coups d'État ou l'instabilité politique
30
2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième
république » (Malloum Félix Ngakoutou) 30
2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième république
(Goukouni Weddeye) 32
2.3 De 1982 à 1990 : la troisième république
(H. Habré) 33
3. L'ère de la démocratisation : La
quatrième République 36
3.1 Déby et la prise du pouvoir en 1990 36
3.2 La critique des moeurs politiques débyiennes 36
3.3 Le chemin vers la liberté d'écriture 38
Chapitre 2 : Le contexte socio-économique et culturel
41
1. Les crises sociales 41
1.1 La guerre et ses conséquences 41
1.2 L'analphabétisme et l'illettrisme 44
1.3 La corruption 45
2. La situation économique 48
2.1 Le contexte économique et la production
littéraire 48
2.2 La crise économique et l'ajustement structurel 50
2.3 Le boom pétrolier et le flux de production
littéraire 53
3. Les réalités culturelles 58
3.1 La diversité ethnique 58
3.2 La culture de l'oralité 60
3.3 La démocratie et l'éducation à la
citoyenneté 63
ix
DEUXIÈME PARTIE : CONDITIONS DE PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE
TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION FRANÇAISE
66
Chapitre 3 : Les facteurs littéraires et historiques
68
1. Les écrits du colonisateur sur le Tchad. 68
1.1 Les écrits à caractère
pédagogique et spirituel 69
1.2 Les écrits à caractère militaire 71
1.3 Les écrits à caractère exotique 73
2. Les événements littéraires à
caractère historique 75
2.1 Les activités des associations littéraires
75
2.2 Les concours littéraires, représentations et
prix 77
2.3 Les sources d'inspiration 82
3. Le niveau intellectuel et distinctions des écrivains
85
3.1 Les dramaturges : niveau intellectuel, distinctions diverses
et enjeu littéraire 85
3.2 Les autobiographes et nouvellistes :
niveau intellectuel et distinctions diverses :
enjeu littéraire 88
3.3 Les poètes : niveau intellectuel, distinctions
diverses et enjeu littéraire 90
Chapitre 4 : Les facteurs linguistiques, religieux et
culturels 93
1. Les contraintes linguistiques 94
1.1 La diversité linguistique : enjeux et perspectives
94
1.2 Le bilinguisme du Tchad 97
1.3 L'arabe : une tentative d'écriture élitiste
99
2. Regard sur les religions 102
2.1 Les religions révélées : le
Christianisme et l'Islam 103
2.2 La pratique religieuse : le conflit 105
2.3 Les religions : prises de position en littérature
107
3. De l'hétérogénéité
culturelle à la culture nationale 110
3.1 L'identité culturelle 110
3.2 La notion de culture nationale 112
3.3 La littérature au service de la nation 114
X
TROISIÈME PARTIE : ACTEURS ET INSTANCES DE
PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION
FRANÇAISE 117
Chapitre 5 : Les écrivains et les formes d'expression
119
1. Les dramaturges : statut, grandes figures et pièces
représentatives 120
1.1 Les dramaturges de renommée internationale 120
1.2 Les dramaturges au niveau local 123
1.3 La situation professionnelle et le lieu de résidence
: effet littéraire 125
2. Les romanciers, autobiographes et nouvellistes : statut,
grandes figures et oeuvres
représentatives. 128
2.1 Les romanciers 128
2.2 Les autobiographes 130
2.3 Les nouvellistes 134
3. Les poètes, statut, grandes figures et textes
représentatifs 137
3.1 Les poètes de renommée internationale 137
3.2 Les poètes au niveau national 141
3.3 Les poètes : situation professionnelle et lieu de
résidence, effet littéraire 141
Chapitre 6 : Les instances techniques de réalisation
d'ouvrage 144
1. Étude historique et fonctionnelle de l'édition
et de l'impression 144
1.1 L'impression 144
1.2 L'édition 147
1.3 L'internet et autres acteurs de production 149
2. Les structures d'édition à l'étranger
152
2.1 Les structures africaines d'édition 152
2.2 Les structures européennes : en France 154
2.3 Les éditeurs français et les oeuvres
tchadiennes 156
3. Les structures d'édition et d'impression au Tchad
158
3.1 Les structures d'édition au Tchad 158
3.2 Les structures d'impression au Tchad 162
3.3 Le financement des écrivains et des éditeurs
166
CONCLUSION GÉNÉRALE 170
GLOSSAIRE 180
BIBLIOGRAPHIE 183
ANNEXES 193
Annexe 1: Exploitation du questionnaire I
Annexe 2 : Protocole d'entretien (aux responsables des
maisons d'édition) IV
Annexe 3 : Protocole d'entretien (aux responsables
d'imprimeries) V
Annexe 4 : Liste des personnes ressources
enquêtées VI
2
Le Tchad a connu des crises sociopolitiques et
économiques qui ont eu des conséquences très
fâcheuses sur le développement de sa littérature. Dans ce
pays souverain depuis le 11 août 1960, plus d'un quart de siècle
est passé sans qu'on n'assiste à un véritable essor de la
littérature. Cependant, plusieurs textes littéraires produits par
des Tchadiens ont arraché l'admiration des instances de
consécration littéraire1.
Autour des années 2000, une volonté de
reconstitution de cette littérature va se faire sentir tant chez les
« hommes de lettres » que chez les politiciens. Au niveau de la
création, de la production des oeuvres et des instances de publication,
un progrès est visible. Au moment où Ahmed Taboye2 et
Marcel Bourdette-Donon3 mènent des recherches sur la
littérature tchadienne respectivement dans Panorama critique de la
littérature tchadienne (N'Djaména, Al-Mouna, 2003) et
Anthologie de la littérature et des arts tchadiens (Paris,
L'Harmattan, 2003), celle- ci a plus de 40 auteurs, soixante ouvrages de
fiction et 40 années d'existence, si nous considérons La Dot
de Palou Bebnoné et Au Tchad sous les étoiles de
Joseph Brahim Seid (Paris Présence Africaine, 1962) comme les
premières publications. Sept ans après la publication des textes
critiques ci-haut cités, les chiffres pourraient être revus
à la hausse selon le directeur des éditions Sao qui estime que la
littérature tchadienne était au départ l'oeuvre d'un
nombre limité d'écrivains qui, par la force des choses se sont
retrouvés en Europe où les conditions de production sont
favorables pour la production, la diffusion et la consommation de la
littérature. Pour ce dernier, tout va crescendo.
1 Il faut citer à titre d'exemple les
oeuvres de Baba Moustapha : Makarie aux épines
(théâtre, Grand prix du 6e CTI de 1972, Paris, RFI/ACCT,
1972, réédité en 1979 par NÉA/CLÉ,
Sortilèges dans les ténèbres (Nouvelle, Premier
prix de Jeux Floraux de Touraine), La Couture de Paris (Nouvelle,
2e prix du 5e concours de la meilleure nouvelle de la
langue française, 1979, RFI/ACCT, Paris,1980, Hatier,1986) et Le
Commandant Chaka (théâtre, Prix spécial du Jury au
11e CTI, Hatier collection « Monde noir poche » Paris,
1983 ; et de Maoundoé Naindouba : La Double détresse
(Nouvelle, 6e Prix de la meilleure nouvelle de langue
française de 1973 ; Nota Bene : Tous les sigles sont à consulter
à une liste au début du présent travail entre le
Résumé et la table des illustrations.
2 Enseignant-chercheur tchadien à
l'Université de N'Djaména, au département de Lettres
Modernes, actuel Ministre de l'Enseignement Supérieur.
3 Enseignant et critique français ayant
enseigné à l'Université de N'Djaména dans le cadre
de la Coopération française et produit plusieurs ouvrages sur la
littérature Tchadienne.
Ce point de vue optimiste est confirmé par le
responsable des éditions du Centre Al-Mouna qui estime que la
volonté d'écrire commence à animer les Tchadiens. Il
suffit que des efforts soient conjugués en vue de la promotion de la
littérature tchadienne :
Depuis 1996, nous avons publié au moins un livre
par an et cela pour la promotion de la culture tchadienne. Au niveau
national nous recevons des manuscrits des plumistes moins nantis qui ont le
plaisir de lire un jour leur propre oeuvre littéraire, mais nous sommes
limités par les moyens et notre orientation éditoriale pour
répondre à toutes ces sollicitations (Entretien du 29 -04-
2010, au Centre Al-Mouna à N'Djaména).
Le Directeur des éditions L'Harmattan, lors de son
passage à N'Djaména, dans le cadre de la fête du livre, a
été clair sur le flux d'auteurs tchadiens qui publient ces
derniers temps chez L'Harmattan. Il en est arrivé à envisager
très prochainement une représentation de cette maison
d'édition à N'Djaména.4
Eu égard à ces propos optimistes des
éditeurs qui entendent braver le « désert littéraire
» tchadien, il est nécessaire de mener une analyse sociologique,
analyse qui prend en compte les éléments externes aux textes pour
voir ce qui est à l'origine de l'émergence de la
littérature dans ce pays. En dehors des exigences temporelles et
académiques du moment, des travaux approfondis dans ce domaine peuvent
être utiles pour la connaissance de l'institution littéraire au
Tchad. C'est ainsi que nous formulons notre sujet : La production
littéraire tchadienne écrite d'expression française :
essai d'analyse sociologique.
Robert Escarpit définit la production littéraire
comme : « le fait d'une population d'écrivains qui, à
travers les siècles, est soumise à des fluctuations analogues
à celles de tous les groupes démographiques : vieillissement,
rajeunissement, surpopulation, dépeuplement, etc.» (Escarpit,
1968 : 29). Le mot production n'est pas seulement pris comme une
finalité ou un produit (ensemble des oeuvres ou des ouvrages produits
par un groupe), mais aussi comme le processus de réalisation dynamique
et mécanique, dans la mesure où il se limite dans le temps et
dans l'espace et suit un schéma régulier presque connu de tous :
un créateur appelé auteur propose un texte, fruit de son
imagination ou de son expérience sociale à un éditeur qui
en juge la qualité en fonction des attentes d'un public consommateur
appelé lecteur et le met sur le marché pour le
bénéfice et le plaisir de celui-ci. Cette chaîne engage des
acteurs pour la
3
4 Entretien réalisé par nous le 23 -11-
2009 au CCF (N'Djaména)
4
production et la diffusion du livre. Les acteurs de la
production avec les outils et les instances institutionnalisées qui les
accueillent font l'ossature de ce travail. L'appellation du texte qu'ils
produisent varie selon son genre et la discipline dans laquelle il est issu. La
page de couverture porte la marque de ces éléments. Nous
traiterons des oeuvres littéraires. Si la littérature est
l'expression des préoccupations humaines, ces préoccupations ne
peuvent être que d'ordre social, économique, politique et
culturel. Cela veut dire que chaque peuple, chaque pays aura sa
littérature. Il est donc illusoire de vouloir connaître le
processus de production sans opérer de choix.
Par « analyse sociologique », nous faisons allusion
à une étude du fait littéraire par une démarche
sociologique. Les sociologues Raymond Quivy et Luc Van Campenhoudt
témoignent que la démarche de recherche en sciences sociales est
rigoureuse : « Il importe que le chercheur soit avant tout capable de
concevoir et de mettre en oeuvre un dispositif d'élucidation du
réel c'est-à-dire, dans son sens le plus large, une
démarche de travail» (Quivy et Campenhoudt, 1995 : 3). Nous
nous sommes outillé, pour mener à bien cette analyse, d'une
démarche de travail qui se veut efficiente. Nous n'avons pas l'ambition
d'épuiser le traitement du fait littéraire dans sa
généralité. Un seul aspect, la production
littéraire, a constitué notre réflexion.
Nous étudions les rapports que la littérature
d'un pays africain (le Tchad) entretient avec les instances de production et de
légitimation extérieures ( françaises par exemple) avant
de nous appesantir sur le cadre institutionnel local et ses acteurs, parce que
cette littérature est née à l'extérieur. À
cet effet, l'analyse sociologique s'avère incontournable. Cette
étude traite du contexte sociopolitique dans lequel évolue la
littérature et fait une lumière sur les différentes
instances qui participent à sa vie. Il ne s'agit pas de réaliser
une étude immanente et systématique de ces oeuvres, mais de
centrer plutôt l'intérêt sur leurs processus de
création, de publication et les facteurs d'émergence. Car pour
que le livre existe, il faut la collaboration entre l'auteur et
l'éditeur comme l'affirme Christian Kingué Épanya :
La réussite d'un livre est très souvent -
mais pas seulement ! - le fruit d'une rencontre entre un créateur et un
éditeur, deux partenaires qui ne partagent pas toujours la même
façon de voir : l'un est tout en affectivité et
subjectivité (on touche à son oeuvre et, par-delà,
à sa personnalité) et l'autre a des contraintes
financières. Pourtant, ils travaillent tous les
deux pour un seul et même objectif : le succès d'une publication
(Notre Librairie n° 149, 2003 : 83).
5
Dans le champ littéraire négro-africain, la
présente recherche est orientée sous l'angle de « la
problématique des littératures nationales »
réservé à la production. Pierre Bourdieu définit le
champ littéraire comme : « Un réseau ou une
configuration de relations objectives entre des positions» (Bourdieu
étarquant, 1992 : 72). Ainsi défini, il est un espace de
compétition entre producteurs. Le choix de ce thème est le
résultat d'un constat sur l'intérêt et la portée de
la notion de champ littéraire en Afrique, cet espace dans lequel
s'opèrent des rapports entre le monde réel et le monde des
idées. Bernard Mouralis essaye de situer l'importance du contexte de
production dans l'étude du fait littéraire en ces termes :
La critique et la recherche ont [...]
développé une démarche de globalisation qui visait
à souligner le caractère homogène de la culture
négro-africaine et de l'expérience historique vécue par
les peuples noirs à travers la colonisation. La littérature
étant perçue comme une réponse globale à cette
expérience, on tendait ainsi à sous-estimer le contexte
d'énonciation et à mettre l'accent sur la fonction expressive et
la fonction référentielle de cette littérature. Cette
attitude [...] conduisait à accorder peu d'attention aux situations
individuelles des écrivains (Mouralis et al, 2001 : 47-48).
Il est vrai qu'à travers les oeuvres
négro-africaines peuvent se lire les éléments culturels et
linguistiques du continent. Mais dans ce grand groupe, il y a des
particularités qui sont non négligeables pour l'analyse des
textes littéraires. Nous voulons accorder plus de crédits
à ces éléments que sont les contextes, les acteurs et les
instances de production propres à un seul pays. Si les textes d'un pays
ne sont produits que dans un contexte de guerre, leurs auteurs vivent à
l'extérieur à cause de l'insécurité et que quelques
centres servent de lieu de publication, nous ne pouvons pas avoir la même
finalité esthétique ou thématique que ceux d'un pays
doté d'une institution dynamique de production, de diffusion et de
légitimation. La formation des auteurs, leur conception de la
littérature et leur situation sociale peuvent déjà
influencer la quantité et la qualité des textes mis sur le
marché.
Ayant opté pour la production littéraire d'un
seul pays pour étudier sa spécificité, nous participons
à la diversification et à l'enrichissement du champ
littéraire africain. Ambroise Kom déclare à cet effet :
« Spécificité n'est pas cloisonnement [...] Il va de soi
que [des] comparaisons et [des] rapprochement divers doivent (sic) être
recherchés entre les créations littéraires»
(Kom, 1993 : 10). C'est dans ce contexte qu'on parle de l'existence en
Afrique
des littératures nationales, définissables par
des critères externes ou internes aux textes. Ce champ s'élargit
par la recherche philologique, thématique, linguistique, culturelle,
postcoloniale, intertextuelle, etc. Mais la question de littérature
nationale est restée complexe malgré le nombre pléthorique
des ouvrages qui lui sont consacrés. Ce concept provient du vocable
nation qui désigne, en géographie, une communauté
d'hommes appartenant à un même pays, ayant la même
organisation sociale, les mêmes lois et étant nés
généralement sur le même territoire5.
Dans le domaine littéraire, la notion de
nationalité prime sur les diversités observables
à l'intérieur d'un territoire. C'est pour cela que moult
documents critiques et anthologiques s'intéressent à la
littérature nationale, une littérature propre à une nation
ou produite par des auteurs d'une nationalité commune. Cette appellation
suppose un nombre d'écrivains et d'oeuvres publiées, une
continuité dans le traitement thématique et l'existence des
traits communs entre ces oeuvres qui partagent la même histoire. En
effet, cette approche nationale de l'émergence d'une littérature
tend à faire l'unanimité dans le monde littéraire.
Beaucoup d'écrivains estiment qu'ils produisent des textes pour affirmer
leur identité : cet « ensemble des composantes grâce
auxquelles il est établi qu'une personne est bien celle qui se dit ou
que l'on présume comme tel» (Guillien et Vincent, 1990 : 261).
En lisant donc les textes des auteurs tchadiens, on constate que ceux-ci
invitent à une prise de conscience et à un sentiment de
cohésion sociale. Nous suivons ici un vieux débat de quelques
trois décennies légitimé par la publication des
anthologies nationales. La production littéraire tchadienne peut,
à cet effet, faire l'objet d'une question de recherche.
Nous constatons que la littérature entretient des
relations socio-idéologiques avec des institutions. Le champ conceptuel
approprié pour cette étude est « l'institution
littéraire ». Étudier les rapports que la littérature
entretient avec les instances de production et de légitimation est une
ancienne préoccupation de la sociologie de la littérature. Les
critiques à l'instar de Taine et de Madame de Staël, au
XIXe siècle déjà, ont étudié
cette corrélation. En 1978, Jacques Dubois traite, dans
L'institution de la littérature, les faits comme : les
sphères de production, fonctions de la littérature, instances de
production, instances de légitimation,
6
5 Baud, Pascal; Bourgeat, Serge; Bras, Catherine,
Dictionnaire de géographie, Paris, Hatier, 1997, 2è
édition.
7
statut de l'écrivain et du texte, la lecture et les
conditions de lisibilité. Cette étude a le mérite de
montrer le contexte sociopolitique dans lequel évolue la
littérature et faire une lumière sur les différentes
instances qui participent à sa promotion. Plusieurs critiques ont
traité le rapport entre le social et le littéraire. Nous faisons
allusion à Pierre Bourdieu, Robert Escarpit, Fabrice Themerel, H. Robert
Jauss, Pierre Fandio, Alain Viala, etc. qui ont, chacun à sa
manière, développé un aspect de cette question
sociologique.
Quelques raisons qui justifient l'intérêt du
sujet nous ont poussé à travailler sur la littérature
nationale tchadienne et surtout à mener des recherches en institution
littéraire définie par Salaka Sanou comme « ensemble de
règles et de codes qui définissent le fonctionnement de la
littérature ». (Salaka, 2003 : 4)
À la période coloniale, les Noirs africains
francophones se sont imposés dans le champ littéraire colonial
par des mouvements associatifs et idéologiques. La publication
d'Orphée noir, préface de L'anthologie de la
poésie nègre et malgache de Léopold Sedar Senghor,
par Jean Paul Sartre, en 1948, chez Présence Africaine, justifie cette
volonté de créer le mouvement de la négritude pour la
défense des valeurs nègres. La littérature africaine a
donc été, à ses débuts, dominée par un
discours anticolonialiste : détruire les préjugés raciaux
et donner une vision du monde du colonisé, telles étaient les
préoccupations idéologiques des auteurs africains. Après
les indépendances, les nouveaux dirigeants africains vont faire l'objet
d'une critique acerbe. Mais cet état de chose ne continuera pas toujours
par être l'apanage des nouvelles générations
d'écrivains et des critiques africains. La nationalité
littéraire se rétrécira davantage.
Quelques décennies après « les soleils des
indépendances », le paysage littéraire africain
connaît une modification sérieuse à cause de la
productivité des auteurs et de la diversité des problèmes
débattus. On assiste à des figurations diverses et
éclatées de la réalité. La notion de
nationalité comprise comme groupe humain uni par une communauté
de territoire, de langue et de tradition pose problème et se
résume davantage à un pays qu'à un continent. La critique
se diversifie et la tendance est à la littérature dite de
nationalité ou d'identité. Si le français a pendant
longtemps servi de langue d'asservissement, il deviendra un outil de promotion
culturelle, non seulement d'un continent mais d'un pays comme le note
Kadima-Nzuji cité par Jacques Chevrier :
8
Chaque pays vit une situation particulière à
laquelle il tente d'apporter une réponse spécifique en fonction
de ses intérêts et de ses objectifs. Dès lors, la
littérature qui est, elle-même, une manière de
répondre aux sollicitations, voire aux défis de notre
environnement et de notre temps, s'imprègne tout naturellement des
courants idéologiques qui informent et sous-tendent son lieu de
production [...] D'où la nécessité et l'urgence de fonder
un discours critique pouvant désigner et décrire avec bonheur ce
phénomène nouveau qu'est l'émergence des
littératures nationales (Chevrier, 1984 :230).
Ce point de vue extrait de la préface de
L'Anthologie de la poésie camerounaise d'expression
française, compilée sous le titre Poèmes de
demain, par Paul Dakeyo admet non seulement l'intérêt que
doit porter le chercheur aux textes nationaux, mais la
spécificité de chaque littérature qui mérite qu'une
critique (voire sociologique comme la présente) lui soit
réservée. En 1997, le Congolais Jean Baptiste Tati-Loutard
propose pour son pays une anthologie nationale. La même année,
Roger et Arlette Chemain publient Le Panorama critique de la
littérature congolaise chez Présence Africaine. La revue
Notre librairie a également consacré quelques
numéros spéciaux6 à cette littérature
dite de nationalité. Il faut noter qu'avant et après ces
parutions, des numéros ont été uniquement
consacrés, par cette revue, à un seul pays comme le Congo, le
Sénégal, le Gabon etc. Dans les anthologies et les ouvrages
critiques africains, le Tchad est toujours le grand absent, s'il n'est pas
représenté par un ou deux auteurs7. Le nombre minime
des ouvrages critiques sur les oeuvres littéraires tchadiennes le
prouve. Il faut donc une « pierre » pour sa visibilité tant
à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Après les années 2000, la production
littéraire tchadienne devient progressivement riche en qualité et
en quantité grâce à l'implantation des éditions Sao,
de la volonté d'écrire
6 N° 83 : littérature nationales :
mode ou problématique, N° 84 : littérature
nationales : langues et frontières et N° 85 :
littérature nationales : identité et histoire.
7 Chevrier Jacques, Littérature nègre,
Paris, Armand colin, 1974 : A. Bangui, N. Naindouba et B. Moustapha y sont
juste évoqués ; P. N. Nkashama, Comprendre la
littérature africaine écrite, Paris, Saint-Paul, 1979 :
Aucun auteur tchadien ; Chevrier Jacques, Anthologie africaine, Paris,
Hatier, 1981 : Aucun auteur tchadien ; Chevrier, Jacques,
Littérature africaine (Histoire et grands
thèmes), Paris, Hatier, 1990 : J. B. Seid, A. Bangui, N. N.
N'Djékéry et B. Moustapha ;
Kesteloot Lilyan, Anthologie négro-africaine,
Paris, ÉDICEF, 1997 : Aucun auteur tchadien.
9
des jeunes « plumistes » et de la production
à notre époque d'un nombre croissant de textes critiques. Le
discours littéraire s'intensifie ainsi que la lecture. Mais nous
constatons que peu de recherches académiques ont été
faites sur la littérature au Tchad. Notre souci est de définir le
lieu d'inscription de l'oeuvre dans le social, c'est-à-dire
décrire le contexte sociopolitique de la production et d'interroger les
rapports que la littérature entretient avec les institutions de la
place. Analyser ce qui se dit, se fait et s'écrit sur la vie
littéraire au Tchad fait également partie de notre
préoccupation. Ce secteur d'étude est encore, à notre
connaissance, vierge et mérite un investissement. Il est
intéressant d'étudier la chaîne du livre littéraire
qui englobe les structures de production, de distribution et de consommation
des textes littéraires. Autrement dit, qui produit quelle oeuvre, par
qui celui-ci est-il soutenu dans la réalisation et la circulation de
l'oeuvre et comment celle-ci est-elle accueillie par le public? Cette question
nous conduira certainement à repérer les instances de production,
organisations et associations qui animent la vie littéraire d'une part
et à connaître les oeuvres et savoir les classer par genres et
thèmes majeurs d'autre part.
La lecture des travaux critiques sur la littérature
tchadienne et sur le domaine que nous envisageons exploiter, à savoir la
production littéraire tchadienne nous permettra de comprendre les
différents aspects pris en compte par les chercheurs et d'orienter
l'analyse.
Quelques ouvrages publiés par Ahmad Taboye et Marcel.
Bourdette-Donon font l'état de lieux de la production littéraire
tchadienne :
En 2000, M. Bourdette-Donon publie chez L'Harmattan Les
enfants des brasiers ou les cris de la poésie tchadienne.
L'ambition de cet auteur est de recenser les recueils de poèmes
d'auteurs tchadiens et d'opérer un classement thématique. Ce
travail a permis d'interpréter les inquiétudes majeures des
Tchadiens. Pour l'auteur, cette poésie s'oriente vers trois axes :
rendre compte du chaos et dénoncer l'aliénation dont le peuple
est victime (M. Mougnan et A. Nébardoum), concéder une place
prépondérante au rythme et aux phénomènes sonores
(Nimrod), et révéler un poète hanté par
l'intolérance et la barbarie, horrifié par la violence de la
jungle humaine (Koulsy).
Deux ans plus tard, le même auteur, chez le même
éditeur publie La Tentation autobiographique ou la genèse de
la littérature tchadienne. Il y est question de démontrer
que l'engagement individuel des premiers auteurs autobiographes tchadiens est
à l'origine de la naissance de la littérature au Tchad. Ceux-ci,
en réalité, ont été poussés à
l'écriture par la force de l'Histoire. C'est une sorte de prise de
conscience et de volonté de dévoiler l'injustice,
10
la dictature et la répression de l'époque. Cette
écriture du moi marque la genèse de l'engagement
individuel qui est une orientation capitale de la littérature
tchadienne
Une année après La Tentation
autobiographique, M. Bourdette-Donon enrichit l'ensemble de la production
littéraire tchadienne en publiant une fois de plus chez L'Harmattan
Anthologie de la littérature et des arts tchadiens. Cet ouvrage
est un état des lieux d'un ensemble de textes de quarante-neuf auteurs.
Il y introduit des textes d'auteurs d'autres modes d'expressions (peinture,
sculpture, cinéma, etc.) qui, selon lui, « éclairent les
thèmes littéraires et contribuent à mieux cerner
l'aventure artistique tchadienne de l'indépendance à nos jours
» (Bourdette-Donon, 2003 : 19)
La même année, A. Taboye publie au centre
Al-Mouna de N'Djaména un Panorama critique de la littérature
tchadienne. Cet ouvrage est une analyse éponyme qui met l'accent
sur le traitement des genres et des thèmes. Le chercheur nous fait lire
tout ce qui a marqué l'histoire de la littérature du Tchad et
valide la thèse de son existence.
L'économie de ces travaux montre que presque rien
d'extérieur au texte, proprement sociologique, n'a été
envisagé dans ces recherches faites sur la littérature
tchadienne. Par ailleurs d'autres travaux à l'échelle
sous-régionale et internationale ont traité le rapport entre le
social et le littéraire. Nous considérons entre autres quelques
recherches d'envergure :
Bana Barka présente un mémoire de maîtrise
ès lettres à l'université de Ngaoundéré sous
le thème : « La création littéraire dans le
Cameroun septentrional : analyse sociologique de la production
littéraire» Il passe en revue les conditions de production de
la littérature, les facteurs de son développement et les
critères de son évaluation dans sa zone d'étude. Il
démontre que non seulement la littérature du Septentrion existe
mais que beaucoup de recherches sont en train d'être faites pour son
insertion dans le champ social.
Salaka Sanou dans « L'Institution littéraire
au Burkina Faso » (rapport de synthèse en vue de
l'HDR8) présenté à Limoges en 2003) analyse la
production littéraire et la réception des textes
littéraires de son pays. Il étudie en effet un ensemble
d'éléments qui définissent le fonctionnement de cette
littérature et l'inscrivent dans la société. Il y fait
également mention du statut de l'écrivain.
8 Désormais, les abréviations sont
renvoyées à une liste alphabétique au début du
présent travail entre le Résumé et la table des
illustrations.
11
La même piste est exploitée par Pierre Fandio
dans La littérature camerounaise dans le champ social (Paris,
L'Harmattan, 2006). Ce dernier étudie « l'ensemble de
paramètres humains et matériels qui concourent à
l'existence du livre littéraire» (Fandio, 2006 : 16 ).
L'institution littéraire au Cameroun y est détaillée de
1940 à 1990. Il ne laisse pas de côté les discours
critiques et habitudes de lectures. Les questions du statut de
l'écrivain, de l'édition et de l'imprimerie occupent une bonne
place dans cet ouvrage.
En dehors des critiques ci-haut cités, nous rencontrons
dans tels ou tels ouvrages généraux des parties
réservées à des éléments qui feront l'objet
de notre analyse : Schifano Elsa dans L'Édition africaine en France
: Portraits (Paris, L'Harmattan, 2003) traite la question de
l'édition, le numéro hors-série d'avril-juin 2002 de
Notre Libraire intitulé Guide pratique du
Bibliothécaire, celle de la diffusion, etc. La particularité
de notre travail réside dans la collecte d'informations quelquefois
inédites sur les institutions littéraires tchadiennes en vue
d'évaluer la vie littéraire.
Ces travaux nous ouvrent un champ de recherche vaste et
vierge, pour ce qui est de la littérature tchadienne. Dans le cadre de
cette recherche nous faisons une étude sommaire sur l'existence des
organes qui facilitent la vie littéraire au Tchad. Dès lors, il
est nécessaire de préciser clairement ce qui constitue pour nous
la question de recherche.
En effet, la littérature tchadienne est récente
et dispose d'une institution fragile et méconnue. Il nous échoit
de nous demander ce qui a freiné son épanouissement avant
d'analyser les facteurs propulseurs du moment. Étudier cette
littérature du point de vue de son rapport avec la société
nous amène à soulever des questions liées au contexte de
production, aux conditions d'émergence, aux acteurs et instances de
production, etc. La littérature tchadienne est née à
l'extérieur du pays. Cela est-il dû aux crises sociopolitiques, au
manque de structures de production locales, à une mauvaise
volonté politique et culturelle ou à des habitudes rebelles
à l'écriture et à la lecture ? Face à ces multiples
préoccupations, les atouts humains et matériels doivent
être passés en revue pour faire ressortir ce qui constitue un
obstacle aux conditions ci-haut énumérées. Autrement dit,
qu'est-ce qui a retardé l'institutionnalisation de la littérature
au Tchad et qu'est-ce qui est en train d'être fait (ou peut être
fait) pour combler le vide ou corriger les erreurs du passé ?
Il faut, pour ce problème posé, une
résolution anticipée et provisoire qui nous permettra de le
résoudre. Ainsi nous formulons l'hypothèse suivante :
12
Le contexte sociopolitique, économique et culturel du
Tchad a influencé négativement la production littéraire.
La chaine du livre a été à cet effet « rompue
».
Vu le caractère globalisant de cette hypothèse,
nous lui adjoignons trois autres secondaires :
- Une relecture des oeuvres tchadiennes laisse entrevoir
l'image des éléments sociopolitiques, littéraires et
culturels fédérateurs à l'origine de ces
récurrences thématiques en littérature (les contextes,
conditions et lieux de production de ces oeuvres);
- Une étude des instances de production
détermine, en amont l'investissement humain et matériel, la
fréquence et la qualité des oeuvres, puis en aval les habitudes
des consommateurs, le traitement de genres (et de thèmes) et
l'orientation des discours critiques;
- Les instances de production existantes n'évoluent pas
en synergie, créant un désordre dans la chaîne du livre.
Pour ces genres de travaux, il faut une démarche
rigoureuse et objective. Le domaine de recherche étant moins
exploré, nous choisissons faire une descente sur le terrain pour la
collecte des données orales brutes, faisant suffisamment recours aux
termes clés et techniques de la recherche en sociologie. Ainsi, nous
nous sommes doté d'un appareil enregistreur pour la sauvegarde
intégrale des informations en vue d'un traitement au cours de cette
analyse. Nous avons opté pour deux sortes d'enquêtes : une
enquête extensive et une enquête intensive. Selon Raymond Quivy,
l'enquête consiste à : « poser à un ensemble des
répondants, le plus souvent représentatifs d'une population, une
série de questions relatives à leurs situations sociales,
professionnelles ou familiale, à leurs opinions[...],ou sur tout autre
point qui intéresse le chercheur» (Quivy et Campenhoudt, 1995
: 190). Il faut noter que cette tâche se distingue du simple sondage.
Au niveau de l'enquête extensive, celle qui convient
à tout le monde sans distinction, nous ciblons des élèves,
étudiants et autres utilisateurs ou acteurs de la chaîne du livre
non concernés par la production. La méthode sociologique
d'enquête prévoit à cet effet un échantillon. Cent
personnes bénéficierons chacune d'un questionnaire pour nous
permettre de faire une comptabilité d'intentions. Car, comme l'affirme
Robert Escarpit : « Une définition [d'un travail] en
littérature suppose une convergence d'intérêts entre
l'auteur et le lecteur, une définition plus large exige au moins une
comptabilité d'intentions.» (Escarpit, 1968 : 29).
13
Cette comptabilité nous permettra d'avoir en
pourcentage des points des vues sur les contextes, les conditions, les acteurs
et les instances de la production littéraire au Tchad. Bref nous aurons
des informations fiables et traitables sur le processus de la production.
Un travail de cette envergure ne peut se faire sans les points
de vue des personnes ressources9. D'où la
nécessité d'enquête intensive, celle rigoureuse
menée auprès des personnes qualifiées. Pour cette phase,
nous avons prévu des entretiens qui seront exploités et
cités. La liste de ces personnes est présentée à
l'annexe de ce travail. Un protocole d'entretien adaptable suivi du
questionnaire nous permettra de justifier nos hypothèses et
résoudre le problème posé. Cela est un palliatif pour
combler le silence textuel que nous offre les bibliothèques en ce
domaine. Il ne nous dispense en aucun cas d'autres sources du savoir.
En littérature, la grille méthodologique
indiquée pour cette cause est la sociologie de la littérature. Le
travail consistera à faire la sociologie de la production10.
Depuis le XIXe siècle déjà, plusieurs critiques
ont étudié cette corrélation. Le marxisme comme
théorie a également influencé le courant sociologique qui
a pour branches : la sociologie de la littérature, la sociocritique, la
socio-poétique, etc. Pour les marxistes, l'oeuvre est l'expression d'une
vision du monde propre à la classe sociale à laquelle appartient
l'auteur qui pense et sent cette vision. La pertinence de la sociologie de
littérature réside dans le fait qu'elle établit et
décrit des rapports entre la société et l'oeuvre
littéraire comme le fait savoir Jean-Yves Tadié, parlant de
celle-ci : « La société existe avant l'oeuvre, parce que
l'écrivain est conditionné par elle, la reflète,
l'exprime, cherche à la transformer ; elle existe dans l'oeuvre
où l'on trouve sa trace, et sa description... » (Tadié,
1987 :155).
La première théorisation en ce domaine est celle
de Georges Lukacs. En 1920, Lukacs estime, dans La théorie du roman
(Paris, Gauthier, 1963, traduction), que le roman est le reflet d'un monde
disloqué, l'épopée d'un monde sans dieux. Dans Le
Roman historique, (Paris, Payot, 1965, traduction), il présente son
point de vue méthodologique ainsi qu'il suit : « La recherche
de l'action réciproque entre le développement économique
et social et la conception du monde et la forme artistique qui en dérive
» (cité par Tadié, 1987 : 169).
9 Auteurs, éditeurs, imprimeurs, enseignants,
chercheurs, etc.
10 Démarche et en même temps branche
de la sociologie de la littérature qui s'occupe de la production
littéraire et artistique.
14
En 1959, Lucien Goldmann qui a vulgarisé les
idées de Lukacs pense que : « les véritables sujets de
la création culturelle sont les groupes sociaux et non les individus
isolés » (Goldmann, 1956 : 12).
La méthode de Goldmann consiste à chercher les
rapports entre l'oeuvre et les classes sociales de son temps puis à la
comprendre elle-même dans sa signification propre. Dans Pour une
sociologie du roman (Paris, Gallimard, 1964), il démontre que les
véritables sujets de la création culturelle sont les groupes
sociaux et non pas les individus isolés. Il ajoute que l'auteur ne
connaît pas mieux que d'autres la signification et la valeur de ses
écrits. Il faut une étude immanente à comparer à la
réalité socioéconomique de l'époque. Cela Goldmann
le met en pratique dans Le Dieu caché (Paris, Gallimard, 1956).
Une seule chose est à l'actif de l'auteur, la valeur esthétique
de l'oeuvre.
La sociologie de la littérature applique les
méthodes de la sociologie à la production, à la diffusion,
à l'institution littéraire, aux groupes professionnels tels
qu'écrivains, professeurs ou critiques, en un mot à tout ce qui,
dans la littérature, n'est pas le texte lui-même. Elle a une
sous-discipline qui se considère comme une des méthodes des
sciences de la littérature, méthode critique tournée vers
le texte, et vers la signification de celui-ci. Elle élargit la
compréhension par la prise en compte des phénomènes
sociaux, de structures mentales et de formes de savoir. Des idées
semblables seront ensuite développées par Jacques Dubois dans
L'institution de la littérature. Il y traite : les
sphères de production, fonctions de la littérature, instances de
production, instances de légitimation, statut de l'écrivain et du
texte, la lecture et les conditions de lisibilité etc. Pour lui,
« en tant qu'institution, la littérature n'obéit
à aucune charte, n'est dotée que d'une faible visibilité,
mais ses mécanismes et ses effets peuvent se mesurer» (Dubois,
1978 : 9). J. Dubois se fonde principalement sur la théorie du
«champ» à la manière de P. Bourdieu pour mener une
étude extratextuelle réservée au contexte de production et
à la consommation du livre. Cette approche montre comment s'organisent
les instances et les systèmes sociaux de légitimation, les
stratégies d'émergence des acteurs, etc. Ces pistes nous seront
utiles pour démontrer et illustrer notre étude.
La sociologie de la littérature délaisse le
texte pour s'occuper du contexte social de l'oeuvre. Jacques Dubois affirme
à cet effet :
Accaparée par la recherche du
référent exact de l'oeuvre, sollicitée par la comparaison
avec d'autres écrits et d'autres faits sociaux, la critique sociologique
court le risque de se voir déportée vers une
périphérie où le
15
littéraire se trouve confondu à des
phénomènes d'une autre nature. (Dubois, in Escarpit, 1970 :
55)
En ce moment où la tendance est à l'étude
immanente, la sociocritique qui a le mérite de décrire et
d'interpréter le texte va être suffisamment convoquée par
les chercheurs pour l'analyse du fait et des textes littéraires. La
sociologie de la littérature reste cependant complète et valable
pour être appliquée à l'étude du contexte de
production, surtout si nous nous en tenons à la démarche
adoptée par Robert Escarpit dans Sociologie de la littérature
(Paris, PUF, 1958) Nous emprunterons des concepts principalement aux
auteurs cités.
Notre travail est organisé en trois parties
réparties comme suit :
La première partie traite des « contextes de
production de la littérature tchadienne écrite d'expression
française ». Il est question des contextes politique,
socio-économique et culturel.
Dans le premier chapitre réservé au «
contexte politique », nous voulons d'une part étudier les
éléments sociopolitiques et histoires et d'autre part
démontrer en quoi ceux-ci ont été sources d'inspiration
littéraire. Les textes historiques attestent que de la période
coloniale à la première république il y a eu une
stabilité politique qui a été suivie des dérives et
des coups d'État. L'élite politique et intellectuelle n'a pas
été indifférente face à cela dans ses oeuvres.
C'est d'ailleurs pendant la période de 1960 à 1990 que sont
produites les autobiographies politiques au Tchad. À l'ère de la
démocratisation, la liberté de presse a permis à quelques
Tchadiens de produire, même au niveau national des oeuvres sur la gestion
du pouvoir et la critique des moeurs sociales.
Au deuxième chapitre concernant le « contexte
socio-économique et culturel », il est question de démontrer
que sur le plan social, les guerres, causes directes des crises sociales ont
favorisé l'analphabétisme, la corruption, l''injustice sociale et
bien d'autres pratiques sociales déviantes déjà
existantes. La situation économique du Tchad au début de
l'indépendance n'a pas été propice à la production
des oeuvres de l'esprit. Les besoins ont été encore alimentaires.
Sur le plan économique, la deuxième partie du chapitre voudrait
démontrer que la crise économique (bas salaire et ajustement
structurel) a renforcé les clous et que le boom pétrolier
pourrait être un avantage pour le flux de production littéraire.
Et la partie finale justifie que les réalités culturelles comme
la lutte de classes, l'hétérogénéité
16
culturelle et la diversité ethnique ne sont pas de
nature à encourager l'émergence de la littérature
tchadienne écrite.
La deuxième partie est réservée aux
« conditions de production de la littérature tchadienne
écrite d'expression française » et comprend deux
chapitres.
Un chapitre est consacré aux « facteurs
littéraires et historiques ». Nous y démontrons que les
associations, les événements, les rencontres, les festivals et
les concours littéraires, sans oublier les écrits des
expatriés sont des facteurs certains pour la production des textes
littéraires, on ne peut les perdre de vue.
Le chapitre consacré aux « facteurs linguistiques,
religieux et culturels » est l'occasion d'analyser les contraintes et
diversité linguistique au Tchad et de dire que malgré la
tentative d'écriture en arabe, le français s'impose comme langue
d'écriture. La dictature militaire et les guerres produisent une
portée idéologique et politique non négligeable.
L'adversité politique devient source de création, d'engagement et
l'innovation littéraire. La religion (le Christianisme et l'Islam)
mérite, en dernier lieu, un regard critique. Elle pousse à
l'autocensure. Les clivages ethniques et la culture traditionnelle ne
favorisent pas l'unité et l'identité nationale.
La troisième partie est intitulée : «
Acteurs et instances de production de la littérature tchadienne
écrite d'expression française » et est consacrée
à la fonction créatrice et éditoriale.
Le chapitre consacré aux « écrivains et les
formes d'expression » traite de la fonction créatrice. Il est le
lieu de parler des dramaturges, romanciers, autobiographes, nouvellistes et des
poètes, etc. Leurs statuts, distinctions diverses, situations
professionnelles et lieu de résidence sont des éléments
constitutifs du chapitre. Une partie prendra en compte les grandes figures et
les pièces représentatives.
La fonction éditoriale occupe le dernier chapitre
dénommé : « instances techniques de réalisation
d'ouvrage ». Pour arriver à l'édition et à
l'imprimerie au Tchad, il est préférable de connaitre leur
histoire et leur fonction dans la société. Ces instances sont
divisées dans ce travail en structures d'édition et d'impression
à l'étranger, (Africaine, Europe) et au Tchad. Le financement de
la production littéraire est une question que nous jugeons utile pour ce
travail.
17
PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE DE PRODUCTION DE LA
LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION
FRANÇAISE
18
La littérature est fille de son temps. Pour la
comprendre, il faut connaître le contexte historique et politique du
moment. De l'étymologie latine contexere, tisser ensemble, le
mot « contexte » désigne un ensemble de circonstances qui
accompagnent ou génèrent un événement (historique,
politique, économique ou socioculturel). La sociologie des faits
littéraires s'est traditionnellement posé le problème des
relations entre, d'une part les productions textuelles et leurs auteurs, de
l'autre leurs conditions d'émergence (socioculturelles,
économiques, politiques, idéologiques, etc.).
Á la suite de Taine et de Lanson, l'histoire
littéraire s'est attachée à reconstituer l'histoire de la
littérature et des auteurs, parallèle à l'histoire
proprement dite, dans l'intention d'expliquer ou de comprendre les oeuvres
à partir des éléments externes à elles. Les
analyses sociologiques à tendance marxiste cherchent toujours à
situer l'oeuvre littéraire dans le milieu qui l'a produite. Les travaux
de Lukacs, Goldman, Escarpit, Bourdieu, Dubois, etc. traitent les circonstances
historiques, politiques et socioculturels dans lesquelles vivent les auteurs et
qui les inspirent. Les critiques africanistes tels J. Chevrier et L. Kesteloot
ont également intégré ces éléments dans
leurs études. Cette dernière a réservé quelques
pages aux « nombreux événements qui ont agité le
continent noir» (Kesteloot, 1997 : 414) et aux « obstacles
de toutes espèces, sur le plan social, économique, politique !
Coups d'Etat militaires en cascade, guerres de sécessions, guerres
frontalières, guerres d'indépendance» (Kesteloot, 1997
: 414). Pour elle, les dictatures et les boursouflures des pouvoirs
arbitraires, les répressions, corruptions, détournement, la
quête d'argent, la sécheresse, la montée des prix, etc.
sont des éléments dont les écrivains rendront compte.
Nous nous sommes imprégné de ces travaux pour
expliquer dans cette partie le contexte politique, socio-économique et
culturel de la littérature tchadienne. Le premier chapitre
développe les événements politiques sous la colonisation
et les différents régimes tout en faisant ressortir
l'évolution historique et les dérives des dirigeants. Le
deuxième chapitre analyse les influences de la guerre, de
l'analphabétisme, de la corruption sur la production sur la production
littéraire, les jeux économiques (précarité et
amélioration) et quelques réalités culturelles (l'ethnie,
l'oralité et la démocratie) qui, bien gérées,
pourraient être des atouts pour l'institutionnalisation de la
littérature tchadienne.
19
Chapitre 1 : Le contexte politique
Le dictionnaire du littéraire
définissant la politique comme « art de gouverner la
cité » (Aron et al., 2002 : 454), ajoute que « les
relations entre politique et littérature forment la matière de
nombreuses études aux différentes phases de leur histoire [...]
En soi, aucune forme littéraire n'est étrangère à
la fonction politique » (Aron et al, 2002 : 454). Moursal postule
également que :
Les phénomènes sociaux, ethniques,
historiques inspirent les auteurs et sous-entendent leurs préoccupations
littéraires et idéologiques. Ceux-ci pénètrent au
tréfonds de l'imaginaire sociopolitique afin de donner un nouvel
éclairage de la société. Hormis les autres disciplines,
certains aspects de la réalité sociale circulant dans les
discours, véhiculés dans les messages et cristallisés dans
les conduites des individus, sont pris en compte par les travaux
littéraires (Moursal, 2009 : 82).
Nous cherchons à démontrer cette
corrélation en conviant à une lecture de l'histoire politique du
Tchad.
Des réalités politiques qui ont influencé
la production littéraire tchadienne, nous avons retenu la période
des royaumes qui ont résisté à la
pénétration coloniale comme point de départ. Les
français ont dirigé le territoire tchadien depuis 1920. Cette
colonisation a eu des conséquences positives parmi lesquelles
l'école et la langue française qui nous permettent aujourd'hui
d'exprimer nos pensées et de produire des textes littéraires. La
langue au départ était un obstacle pour la production. Mais,
après le 11 août 1960, l'indépendance a permis aux
Tchadiens de penser au développement, à la scolarisation de
masse. Ce défi est d'actualité.
Après l'administration coloniale, des mouvements
politiques se sont créés avec comme défaut commun
l'impossibilité de s'arracher à l'ethnie pour tenir un discours
nationaliste. De la stabilité politique de 1960 à la
démocratie débyienne en passant par la période des coups
d'État et des chefs militaires, l'histoire du Tchad ne sera faite que
des dérives qui vont servir de sources d'inspiration aux
écrivains tchadiens, si elles ne poussent pas ceux-ci au silence ou
à l'exil.
À l'époque postcoloniale, les personnages sont
généralement pris dans le tourbillon de la politique avant
d'être sévèrement punis par ceux dont ils présentent
un bilan extrêmement négatif. Vu le réalisme et la
vérité dans la prise de position des écrivains, le moment
était, comme nous le démontrerons, propice à
l'autobiographie. Dans le cas d'espèce, c'est
20
d'ailleurs elle qui a animé la littérature
tchadienne à ses débuts. Le critique français Marcel
Bourdette-Donon qualifie l'autobiographie d'une « forme vivante »
qui permet aux victimes de témoigner de la période de crise
sociopolitique et économique. Pour lui, « les cinq textes qui
dominent la production littéraire tchadienne à ses débuts
présentent tous des caractéristiques autobiographiques
communes» (Bourdette-Donon, 2002 : 7-8).
Ce débat politique oppose écrivains et
politiciens au moment de la lutte pour l'authenticité tchadienne
(MNRCS). M. N'Gangbet Kosnaye, Toura Gaba et bien d'autres intellectuels ont
fait mention de ce comportement dit moyenâgeux dans leurs textes.
N'Gangbet pense qu' « une révolution visant aux retours aux
sources, aux traditions du passé est un non-sens [...] et implique dans
les termes mêmes où elle se formule, une évidence
contradictoire» (Kosnaye, 1993 : 162), ceci contrairement au «
père de la nation » de l'époque qui trouve que « Le
retour aux traditions, aux sources, préconisé par la
Révolution Culturelle Tchadienne, est une invitation aux Tchadiens
à chercher à redécouvrir, et à puiser dans la
matrice même de leur pays» (Kosnaye, 1993 : 163). Toura Gaba
tourne en dérision cette politique d'authenticité de Tombalbaye.
Il estime que c'est « un prétexte pour camoufler les
incommensurables carences politiques, économiques, sociales et
culturelles» (Toura, 1998 : 20)
Nous ferons en premier lieu une analyse allant de la
période coloniale à la stabilité politique, traitant des
réalités historiques de la littérature tchadienne, de la
première république et de ses dérives. En deuxième
lieu nous traiterons des coups d'État et de l'instabilité
politique de 1975 à 1979 (Malloum Félix Ngakoutou), de 1979
à 1982 (Goukouni Weddeye) et de 1982 à 1990 (H. Habré) :
la troisième république. La prise du pouvoir, la critique des
moeurs politiques et le chemin vers la liberté d'écriture sous la
quatrième république (l'ère de la démocratisation)
nous intéresseront en dernier lieu.
21
1. De la période coloniale à la
stabilité politique
Le territoire de l'actuel Tchad était un vieux
carrefour entre le Sahara et l'Afrique tropicale. Il servait de lieu
d'échanges commerciaux entre l'Afrique du Nord blanche et celle du Sud
noire. Les historiens témoignent de la vie des populations nombreuses
depuis le néolithique jusqu'à nos jours dans cette partie de
l'Afrique. Les débris de la civilisation Sao, du crâne du plus
ancien homme de la planète « Toumaï » et
plusieurs autres découvertes faites par les archéologues en font
foi.
Avant la colonisation, le Tchad a été
divisé en royaumes qui se battaient entre eux jusqu'à
l'arrivée des Européens qui ont combattu pour la stabilité
du pays. Ainsi, le remplacement ou l'élévation d'un Tchadien
à la place du Blanc-colonisateur ne peut pas se faire sans
difficultés. Les premiers dirigeants se sont confrontés à
des oppositions sérieuses des milices ethniques armées. Cela fait
que :
Plusieurs régimes se succèdent durant une
période d'instabilité qui débouche sur une série de
crises violentes, sanglantes, symptomatiques des déchirements d'une
époque qui, en dépit de toutes les difficultés
rencontrées, demeurent un moment de l'histoire du Tchad
(Bourdette-Donon, 2002 : 7).
Nous assistons à des changements qui sont la source
d'inspiration de plusieurs textes littéraires. Ce contexte, bien que
défavorable à la situation sociale des écrivains et des
élites intellectuelles du pays, favorise paradoxalement
l'épanouissement de la littérature écrite. Il est surtout
le moment idoine pour la publication de témoignages et
d'autobiographies. Dans lesdits textes les écrivains ne manquent de
développer les crises sociales dont les populations ont
été victimes. Quand le narrateur de Le Souffle de l'harmattan
se demande : « il y a-t-il seulement une place pour l'amour et
l'amitié dans ce pays ? » (Moustapha, 2000 : 331), c'est une
manière de mettre en exergue les troubles qui ont ébranlé
la conscience du peuple tchadien à un moment précis de son
histoire.
Dans cette partie, nous traiterons de la période
coloniale et des différents régimes (hégémoniques,
claniques ou à tendance démocratique) qui ont dirigé le
Tchad. Du 11 août 1960 au 13 avril 1973, le premier président
Tombalbaye a instauré un gouvernement autoritaire. Un conseil
supérieur militaire dirigé par Félix Malloum gère
le pouvoir après le coup d'État du 13 avril 1973.
22
En 1979, la guerre civile déstabilise les FAN au profit
de Goukouni Oueddei qui renvoie Malloum et H. Habré et s'empare du
pouvoir. En 1982, H. Habré revient renvoyer Goukouni avec force. Le 7
juin 1982 est vu par les Tchadiens comme le jour de la fin des
instabilités politico-militaires. Le 1er décembre
1990, Idriss Déby prend le pouvoir à la faveur d'un coup
d'État et impose son parti : le MPS.
Ces différents régimes sont la source et l'objet
d'écriture des élites tchadiennes, dans la mesure où les
tenants du pouvoir et leurs acolytes commettent des actes qui ont des
conséquences sociales sérieuses ne laissant personne
indifférent. Les textes que nous allons exploiter sont des sortes de
réquisitoires contre ces régimes. À l'image de la
société et de la politique tchadienne qui sont en mutation, les
écrits tchadiens sont divers et en mutation.
A. Bangui affirme à cet effet: « Je ne pouvais
pas rester inactif, sans élever la voix contre ce que j'observais en ce
qui concerne les violations des droits de l'homme» (Bangui,
cité par Bourdette-Donon, 2002 : 11). Nous démontrerons le lien
qu'a la littérature émergente du Tchad avec ce long vécu
politique.
1.1 Les réalités historiques de la
littérature tchadienne
Le territoire qui constitue aujourd'hui Tchad a
été occupé par des populations nomades à
l'époque néolithique. On peut encore lire des gravures rupestres
au Tibesti vers le nord du pays. Dans la vallée du Chari, divers textes
retracent l'histoire de la civilisation Sao au XVIe siècle.
À la période précoloniale, il est créé des
royaumes dynamiques qui vont, non seulement s'affronter mais, attaquer le
colonisateur plus tard. Il est question du royaume de Kanem, le sultanat de
Baguirmi, l'empire du Ouaddaï, etc. La rivalité entre les
Ouaddéens et les Baguirmiens à l'époque a favorisé
la pénétration coloniale.
Les troupes coloniales françaises ont livré
bataille à Rabah et à Mbang Gaourang, conquérant et roi
résistants qu'ils ont trouvé au Tchad autour des années
1900. Les auteurs tchadiens en font mention dans leurs oeuvres, quand ils
veulent comparer la dictature des années 60 et 70 à cette
période. Dans Le Commandant Chaka, (Paris, Hatier, 1983), Baba
Moustapha fait la représentation des maîtres du pouvoir. Il fait
allusion aux révolutions progressistes qui ont suivi, selon A. Taboye,
les indépendances africaines. Celles-ci, pour réussir adoptent le
modèle de lutte anticoloniale :
Cette pièce rappelle l'époque des
libérations nationales, celles des
révolutionnaires
progressistes. Une période où se cachent comme dans toutes
les
révolutions des personnages incultes, opportunistes
surtout simplement mal intentionnés (Taboye, 2003 : 34).
L'histoire de Mbang Gaourang, le roi du Baguirmi, est
réécrite par Palou Bebnoné dans la pièce
éponyme. La pièce paraît en 1974. Bebnoné
représente « un roi juste, humain, réaliste
tolérant et proche de son peuple» (Taboye, 2003: 39). On y
fait allusion à l'invasion du royaume baguirmien par Rabah à la
fin du XIXe siècle. Dans l'oeuvre, Rabah se serait
suicidé sous la pression de Padja qui dirige le combat, victorieux. Or
l'histoire réelle du Tchad montre que Rabah fut tué le 22 avril
1900, à Kousseri par les troupes françaises.
L'histoire de Chaka et Mbang Gaourang est reprise pour exciter
à la lutte révolutionnaire d'une part et moraliser les dirigeants
intransigeants d'autre part. En 1920, les conquérants combattus, le
Tchad devient une colonie française. Le christianisme a
été à cette époque favorable à
l'assimilation. Fort-Lamy11 fut donné comme nom à la
capitale du Tchad, l'actuel N'Djamena. Le 16 août 1960, le Tchad devient
à l'initiative du gouverneur Félix Éboué, un des
territoires d'Afrique Noire, à se rallier à la cause de la France
libre.
En effet, ce qui nous intéresse dans cette occupation
coloniale, c'est l'imposition de la langue, et donc de l'écriture par
l'école française. Avant la colonisation, chaque peuple avait sa
forme d'école traditionnelle orale. La première école
nouvelle au Tchad est implantée à Mao, par l'administration
coloniale. La forme d'école traditionnelle est basée sur les
pratiques religieuses et initiatiques qui varient d'un peuple à un
autre. Une étude en littérature orale ou en histoire peut faire
ressortir toutes ces diversités. Ayant appris à lire,
écrire et à compter, les écoliers vont écrire pour
sauvegarder les richesses intarissables de l'oralité. C'est dans ce
contexte qu'est née la littérature tchadienne. Les
diversités culturelles, linguistiques et religieuses vont permettre aux
auteurs et chercheurs de doter le Tchad d'une littérature orale riche et
variée, mais non publiée, donc inaccessible à tous. C'est
en 1962 que Joseph Brahim Seid publie Au Tchad sous les étoiles
et Palou Bedonne, La Dot.
L'école française et l'écriture, à
cette époque n'ont pas arraché l'unanimité de la
population. Leur acceptation a été une lutte sérieuse. La
conséquence directe du refus de l'école est
l'analphabétisme. Le taux d'analphabétisme au Tchad, depuis le
règne de Tombalbaye est resté supérieur à 80%. Pour
produire une oeuvre de qualité acceptable, il faut
23
11 Nom du chef de la troupe française qui a
tué Rabah
24
bénéficier d'une éducation
conséquente. Cela n'a pas été le cas pour le Tchad au
début de son indépendance.
En dépit de la situation linguistique compliquée
adjointe au niveau d'instruction, la littérature tchadienne va se
développer en français. Il faut se dire que le recours au
français est un choix réaliste. On écrit pour participer
aux concours, pour être édité pour être lu. Quelques
auteurs, malgré leur qualification dans d'autres domaines du savoir ont
produit des textes littéraires pour rendre compte de la souffrance, de
la violence et de la misère dans lesquelles est placé le peuple.
Baba Moustapha résume leur préoccupation en ces termes :
En ce moment de notre histoire, si artiste, je devais
produire des oeuvres qui ne seraient que belles ; je ne le ferais pas. Mais
faire quelque chose qui rende compte de la souffrance de tout un peuple aux
prises avec un destin cruel, un immense cri inexprimé. Notre art doit
faire peser sur chacun le poids d'une responsabilité (Moustapha,
1979 : 66).
L'auteur veut dire qu'en ce temps de trouble,
l'écrivain est semeur de liberté. L'esthétique
littéraire n'est pas toujours sa préoccupation première.
L'écrit est ici antidote au désespoir du peuple et non
évasion.
1.2 La première république
À la fin de la deuxième guerre mondiale, le
Tchad devient « Territoire d'outre-mer » de la
république française. Il n'est plus divisé en royaumes
comme au début du siècle. La région du
Borkou-Ennedi-Tibesti par exemple n'a presque jamais été sous
contrôle tchadien. L'armée française laissera cette zone en
1965. Les forces politico-militaires en dissidence se feront aider par le
Soudan et la Libye pour déstabiliser le pouvoir en place.
En effet, l'espoir renait le 11 août 1960. Le Tchad
devenait indépendant avec comme premier président François
Tombalbaye. Ce dernier a un passé politique qui témoigne de son
intérêt pour l'émancipation sociale et économique du
Tchad. Cependant, le nouveau chef de l'État hérite un pays
divisé par des crises claniques et politiques. Il ne parviendra pas
à unifier ou à rassembler le peuple tchadien autour de lui.
Dès le départ de l'administration coloniale, des mouvements
politiques se sont constitués contre sa volonté. Mais ceux-ci
avaient en commun « l'incapacité de s'arracher à
l'esprit de clan, pour atteindre une vision nationale des
problèmes» (Varsia, 1994 : 17).
Autour des années 60-70, des manifestations ont
commencé à surgir, très prématurément, tant
à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Tout
méfiant, Tombalbaye crée un
groupement de Compagnies Tchadiennes de Sécurité
en 1967. Ce bouclier militaire est une force qui fera passer aux contestations
individuelles et collectives. Nous assistons à un climat de frustration
et de contestation que Varsia démontre en ces termes :
Au sein de l'armée régulière
s'installe un climat de frustration ; des incidents de quelque portée se
produisent parmi diverses unités qui, sans avoir un effet politique,
inquiètent toute la société. Le mécontentement des
militaires est estimé assez dangereux pour que le Parti Progressiste
Tchadien, dont le secrétaire général est, rappelons-le,
François Tombalbaye, adopte lors de son congrès tenu à
Doyaba, en 19971, une résolution surprenante : faire entrer des
militaires au bureau politique du parti afin qu'ils puissent tenir compte des
doléances de l'armée (Varsia, 1994 : 19).
Ceci est une erreur politique qui donnera plus de
liberté aux militaires qui commenceront à vouloir diriger le
Tchad. Cet état de chose est renforcé par « les
grèves des élèves des lycées
Félix-Eboué et technique Commerciale » (Varsia, 1994 :
19) qui brandirent, semble-t-il, des pancartes portant des slogans «
L'armée au pouvoir !»
Les populations du BET se sont vues troublées par les
exactions des forces militaires françaises puis tchadiennes
installées dans leur région. Ayant une idée clanique de la
gestion du pouvoir public à leur défaveur et n'étant pas
d'accord avec les impôts obligatoires, elles deviennent favorables
à la mutinerie. En octobre 1965, au marché de Mangalmé,
300 paysans moubis12 attaquent les collecteurs d'impôts au
couteau et à la sagaie tuant deux fonctionnaires et six gendarmes. La
répression est féroce. Les populations dites « Goranes
» se soulèvent. C'est dans ce contexte de crise sociopolitique
qu'Ibrahim Abatcha, originaire de Mangalmé va fonder le FROLINAT.
Plusieurs sources historiques montrent que la Libye a ouvert ses
frontières aux rebelles du FROLINAT et leur a apporté une aide
matérielle et logistique pour la déstabilisation du régime
de François Tombalbaye. Celui-ci était en incidence diplomatique
avec la Libye.
Tombalbaye a toujours été accusé d'avoir
choisi de gérer le pouvoir avec les ressortissants de sa région
natale et de constituer une police spécialisée pour emprisonner
ceux qu'il qualifie d'opposants politiques. Parmi les victimes, un bon nombre
est composé des
25
12 Groupe ethnique de la localité
26
ressortissants des régions du Nord, musulmans.
Bourdette-Donon affirme que les tendances hégémoniques du
Président Tombalbaye sont visibles :
Celles-ci se manifestent à travers sa
volonté d'écarter systématiquement le Nord, musulman, de
la gestion du pays, l'arrestation, en septembre 1963 de nombreuses
personnalités musulmanes ainsi que par l'instauration d'un gouvernement
autoritaire fondé sur le système du parti unique qui va miner le
pays et conduire peu à peu aux guerres civiles (Bourdette-Donon,
2002 : 8-9).
La méfiance exclut dans ce cas la critique, le point de
vue opposé. Les ministres et hauts fonctionnaires, désireux de
conserver leurs sièges sont condamnés à une soumission
totale. Ceux tenant à l'honneur et à la dignité vont
démissionner. Masra Succès et Béral M. Le grand estiment
que l'impasse sociopolitique et culturelle du Tchad trouve sa source dans cette
ivresse patriotique de ceux qui ont dirigé le pays à l'aube des
indépendances. Ces « premiers cadres » du pays ont
péché d'avoir pris leurs premières réussites
culturelles pour de la maturité intellectuelle et politique. On peut
bien être patriote et amoureux de sa terre mère, mais il faut une
clairvoyance et une certaine lucidité dans la gestion du pouvoir pour ne
pas se voir emprisonné dans une gouvernance charismatique et
intransigeante :
Cette intelligentsia embryonnaire composée
d'Instituteurs, d'Infirmiers vétérinaires, de Moniteurs
agricoles, d'Interprètes et autres Soldats ou Gardiens de la Paix et qui
constituent la crème intellectuelle du pays, a dû obéir
mécaniquement au mouvement protestataire d'ensemble qui traversent
l'Afrique noire au nom du « Soleil des Indépendances ». Les
premiers [...] ont fait naître dans leurs esprits, l'agitante illusion de
la compétence politique... (Masra et Béral, 2008 : 12).
Le président Tombalbaye, instituteur comptait parmi ces
intellectuels.
1.3 Les dérives et critiques
Dès les premiers jours de l'indépendance, les
rivalités claniques et politiques sont visibles. Le pays ne dispose
cependant pas suffisamment des cadres intellectuels politiques et
administratifs pour analyser les causes de ces divisions et leur trouver de
solutions durables. Or, dans ce cas, il suffit d'un débat sincère
qui minimise les intérêts individuels au profit de la
cohésion nationale. Plusieurs documents historiques et critiques que
nous citerons dans cette
27
partie attestent que juste après le départ
officiel du colonisateur, des mouvements politiques se sont constitués.
Leur création en soi n'est pas un mal, mais la base de ces regroupements
a toujours été clanique. Même si le discours officiel
prône l'unité nationale, la vision nationale des problèmes
ne peut être juste et équitable que dans la diversité
ethnique autour d'un projet étatique commun. Dès lors,
Tombalbaye, pour avoir choisi un ancien parti : le PPT, créé en
1947, (regroupement politique d'obédience nationale) a été
le borgne de la classe politique tchadienne, à la veille des
indépendances. Selon Varsia, « l'expression "au pays des
aveugles, les borgnes sont rois "se trouve amplement vérifiée
dans la pratique politique pré et postindépendance du Tchad»
(Varsia, 1994 : 17)
Il est regrettable que Tombalbaye se soit entouré des
ressortissants de sa région natale pour la gestion de l'Etat. Il a
constitué injustement une police spéciale pour l'arrestation des
personnes indésirables, les « opposants politiques ». Les
arrestations sont arbitraires et visent beaucoup plus les cadres du Nord, du
Centre, de l'Est et du grand Mayo-Kebbi. Cet état de chose ne peut pas
laisser indifférents les intellectuels. Ceux-ci vont produire des
essais, des autobiographies, des tracts et des discours contraires
malgré la dictature. Pour mettre définitivement fin à ces
contestations intarissables, Tombalbaye procède par une série
d'actions visant à pérenniser sa politique. Nous nous proposons
d'analyser celles qui, sur le plan historique ou politique, ont une influence
certaine sur les conditions de production de la littérature tchadienne.
Ces erreurs nous les appelons ici dérives. Ne pouvant faire
l'économie des « ratés » d'une gestion publique dans ce
travail, nous choisirons ceux qui ont fait l'objet de critique de la part des
écrivains tchadiens : le parti unique, le yondo, les travaux
forcés, l'anticlérical et le changement de noms.
Tombalbaye dissout le PPT et crée le MNRCS dans le but
de susciter un sursaut national d'union. Le changement de nom fait partie de
cette « révolution culturelle » que prône le nouveau
parti. Pierre Toura Gaba précise les circonstances de la dissolution du
PPT, branche du RDA : « Il a été dissous par Tombalbaye
le 07 juillet 1973 au cours d'une mobilisation des masses populaires»
(Toura, 1998 : 14). Il estime que : « le PPT dont Tombalbaye
s'était vanté pendant 14 ans d'être le seul chef spirituel,
ne pouvait être dissous statutairement que par une décision
majoritaire d'un congrès après consultation du Bureau Politique
Nationale» (Toura, 1998 :14). Ce nouvel esprit de gouvernance
supprime le multipartisme. Masra et Béral ont trouvé que :
Monsieur F. Tombalbaye n'a pas attendu plus de trois
années après son sacre
pour faire un pied de nez au régime politique
hérité de la colonisation. Sans
28
explication autre que celle évidente et manifeste
de son allergie à la contradiction, Monsieur F. Tombalbaye supprima sans
autre forme de procès le multipartisme... (Masra et Béral,
2008 : 16).
Ils reconnaissent que cette décision de dissoudre l'ancien
parti et le multipartisme est
une erreur, un manque de discernement, une faute. On ne doit
pas diriger une nation comme une classe d'un troupeau de grimauds.
L'État selon eux est un « boulevard d'une infinité de
diversités, voire de contradictions que des hommes se doivent de
parvenir nécessairement à concilier dans un élan à
la fois de relativisme et de fermeté ; relativisme et donc douceur du
coeur, mais aussi fermeté d'esprit ». (Masra et Béral,
2008 14). Face à ce remue-ménage, les Tchadiens demeurent
sceptiques et voient en ce nouveau parti « un lion habillé en peau
de mouton ». Malheureusement, le scepticisme du peuple ne va pas
empêcher le MNRCS de faire son chemin. Le chaos s'installe, comme le
constate Varsia Kovana :
Tombalbaye ne se contente pas d'avoir transformé le
Parti Progressiste Tchadien (PPT) en MNRCS, mouvement au service de sa
propagande et la police en appareil de répression (CST) il modifie
également le rôle de l'Assemblée nationale pour l'ajuster
à son projet personnel (Varsia, 1994 : 21).
Tombalbaye dans son grand programme « culturel » veut
reconvertir le peuple au
yondo, rite d'initiation des Sara au Tchad. Mais il semble peu
soucieux de la signification philosophique de ce rite initiatique. Ce qui
l'intéresse c'est le retour aux sources : « il organise donc le
départ obligatoire et massif des fonctionnaires dans les villages pour y
être convertis [...] au yondo » (Varsia, 1994 : 22).
Contrairement aux principes de cette ancienne institution sara qui
privilégie la formation de l'enfant via les règles sacrées
qui lui y sont communiquées, les brimades morale et physique
prévalent chez le président. Masra et Béral
définissant le yondo comme « un rituel initiatique masculin
propre à quelques tribus du Sud du pays et dont l'objectif serait
d'enseigner le courage, l'endurance, la dignité et le sens du secret
» (Masra et Béral, 2008 : 20), ne le trouvent pas comme une
valeur à même de faire partager à tout un peuple la
même culture du secret : « Cette fabuleuse pratique initiatique,
vaudrait peut être bien son pesant d'or, en son terroir originel ; [...]
combien en connaissons nous, de ces hommes, passés par le rituel,
trembler comme des feuilles par un temps venteux devant des simulations
bénignes ? » (Masra et Béral, 2008 : 23).
Il faut reconnaître que le caractère sexiste et
discriminatoire du « yondo » ne le rend pas unificateur en ce sens
qu'il exclut les femmes et les étrangers des centres de décisions
pour la
29
gestion de l'État. Et, « le départ
massif des fonctionnaires au « yondo » paralyse la fonction publique
et met en veilleuse une série d'activités économiques
» (Varsia, 1994 : 23).
Tombalbaye institue les travaux forcés. Tous les
fonctionnaires devaient se rendre au champ présidentiel de Kalkoa. Pour
une autosuffisance alimentaire, il met en valeur les terres cultivables
contraignant hommes, femmes, enfants et vieillards à travailler dans un
champ commun. Cet enrôlement des ministres, parlementaires et
fonctionnaires « engendre » davantage de désordre que de
productivité. Dans ce jeu, même les chauffeurs de taxis sont
affectés négativement par le transport obligatoire et gratuit des
cultivateurs au site de travail.
Tombalbaye a fait enterrer vivants des chrétiens.
Plusieurs ouvrages à l'instar de celui de Masra et Béral
attestent que « nombre de pasteurs protestants ont d'ailleurs
chèrement payé leur farouche défense de la Bible... »
(Masra et Béral, 2008 : 26). Ces pasteurs sont classés parmi
les intellectuels et hommes politiques qui ont eu l'outrecuidance de contester
et de dire non aux bavures du régime de Tombalbaye. Cela nous
dévoile l'image tyrannique du dirigeant et infirme la vision de ceux qui
estimaient à l'époque que le président voulait phagocyter
le Nord, musulman et imposer une domination sudiste, chrétienne.
En vue d'effacer les traces de la colonisation récente,
Tombalbaye a préféré « rebaptiser » les noms
tchadiens. Il ordonne à tous les Tchadiens et Tchadiennes d'abandonner
les prénoms français. Pourtant la partie nord est majoritairement
musulmane et ne véhicule que des prénoms arabes. L'abandon des
patronymes français ne résout apparemment aucun problème.
Masra et Béral s'interrogent sur le rapport qui peut exister entre nom
et révolution sociale et culturelle et concluent qu'« Il serait
absolument débile et superstitieux de soupçonner quelques
rapports de causalité que ce soit entre conduite sociale et
patronyme» (Masra et Béral, 2008 : 21). Ils
renchérissent que le baptême par exemple d'un enfant pygmée
au nom de Galilée ou de Copernic ne peut pas le pousser à une
révolution éponyme.
30
2. Les coups d'État ou l'instabilité
politique
Après le coup d'État militaire du 13 Avril 1975,
le Tchad sera dirigé par un conseil militaire avec à sa
tête le général Félix Malloum : c'est la
deuxième république. Mais avant ce conseil, les officiers de
l'armée tchadienne ont d'abord mis sur pied un organe de pouvoir
provisoire, le GROFAT. Ce renversement de régime a donné lieu
à beaucoup d'exactions et autres abus. V. Kovana estime que les soldats
vainqueurs ont pillé des édifices publics pour emporter les
mobiliers et les étagères. Il ne perd pas de vue le
règlement de compte et la rétrogradation des officiers des
groupements des CTS au rang de simples soldats. C'est le début de
l'instabilité, des coups d'État au Tchad.
L'espoir et le changement à ce niveau deviennent
sombres et hypothétiques pour la population Tchadienne. Les militaires
au pouvoir sont discrets et méfiants. Les médias sont
contrôlés. Le torchon va brûler : « les rapports
entre le militaires et fonctionnaires s'enveniment car les militaires faisant
fi des lois et règlements constitutionnelles se heurtent au
légalisme des fonctionnaires» (Varsia, 1994 : 32).
2.1 De 1975 à 1979 : La « deuxième
république » (Malloum Félix Ngakoutou)
Le GROFAT, lors d'un conseil accorde le fauteuil
présidentiel à Malloum. Le conseil en choisissant Malloum a
estimé qu'il est compétent et honnête et c'est cela qui le
fait passer pour rebelle aux yeux de Tombalbaye. Il est, pour eux, la personne
la mieux indiquée pour ce pays qui a de nombreux projets. Dans le
tâtonnement, les militaires au pouvoir n'ont pas vite su qu'entre la
politique et la carrière militaire l'écart est grand. La
population est restée frustrée mais docile par peur de la
répression. Béral Le grand estime que la raison de ce silence est
le manque de lucidité de celle-ci quant à la citoyenneté
et au patriotisme. La conséquence certaine est le départ en
rébellion. Malloum tend la main aux groupes ennemis avec pour devise :
la recherche de l'unité du Tchad dans le respect de sa diversité.
Ainsi il entre en négociation avec les responsables du FROLINAT à
travers les pays voisins. C'est ainsi qu'est signée le 17 septembre 1977
à El-Geneina, en Libye une charte dite « fondamentale » entre
les FAN et CSM. Un GUNT voit le jour et favorise le retour de H. Habré
à la primature. Habré dans un discours prononcé
après un voyage officiel du président en Chine avoue que son
union avec le président est de courte durée13.
13 Varsia Kovana, Précis des guerres et
conflits au Tchad, Paris, L'Harmattan, 1994, p.36.
31
Un incident qui va être référentiel dans
l'histoire de la nation tchadienne survient le 12 février 1979. Il
s'agit d'une bagarre entre lycéens et professeurs au lycée
Félix Eboué. En ce moment, les FAN qui n'ont pas
été intégrées dans les forces nationales,
situées juste à Sabangali, en face dudit lycée,
interviennent pour gérer le conflit. Une autre force, celle qui n'a pas
été de moindre inutilité lors du coup d'État du 13
Avril 1975 intervient et la bagarre civile se transforme en combat armée
qui dure toute la journée. Les FAP de Goukouni Weddeye et les autres
groupes armés du FROLINAT font front aux côtés des FAN de
Habré contre l'armée gouvernementale de Malloum. Les populations
civiles quittent la capitale. Le règlement de compte entre les clivages
s'installe. Habré a constitué une machine pour la prise du
pouvoir. Ce temps est trop court pour que les officiers du CSM ne puissent s'en
rendre compte. La guerre civile va être à l'actif du projet de
Habré. Malloum ne pouvant supporter la crise, a choisi faire le saint en
s'envolant vers le Nigeria voisin, laissant le Tchad à la guerre.
Au moment où Malloum et Habré participent
à des séries de médiations et de réconciliations au
Nigeria, Lol Mahamat Choua est nommé président provisoire. Il
dirige le pays jusqu'à « L'accord de Lagos » signé par
les chefs des onze tendances politico-militaires du Tchad, le 18 Août
1979.
Les deux premiers règnes ont été
considérés par la majorité des leaders nordistes comme une
sorte d'impérialisme qu'il fallait à tout prix détruire.
Ceux-ci reconnaissent en outre que le originaires du Sud disposaient à
cette époque d'un important capital intellectuel. Le Nord est
orienté beaucoup plus vers l'école coranique en arabe, or
l'administration a été dirigée en français. Si
quelques Sudistes (appellation péjorative désignant les
originaires du Sud) ont vu en leurs frères Nordistes des barbares, le
comportement des deux premiers présidents et leurs actions en faveur de
l'Unité nationale démontrent cependant une forte
altérité.
Quand H. Habré est arrivé avec une idée
de vengeance et de restauration d'un pouvoir Nordiste, Wadal Abdelkader, un
Sudiste, complice de Malloum forme en 1979, une sorte de forces armées
pour sécuriser sa région d'origine. Car la guerre détruit
les infrastructures du pays : « école, dispensaire, et magasins
passèrent sous la main pédiatre d'un peuple qui écrasait,
tuait, massacrait et brisait aveuglement, un peuple qui venait ainsi de se
mettre au pâturage d'une détresse profonde » (Masra et
Béral, 2008 : 44.)
2.2 De 1979 à 1982 : La deuxième
république (Goukouni Weddeye)
Les négociations de Lagos, le 18 août 1979,
prévoient la formation d'un GUNT. Ce gouvernement composé de tous
les groupes signataires, après dix-huit mois doit laisser la place
à un autre, représentatif des communautés nationales. Le
11 novembre 1979, le GUNT est mis en place et présidé par
Goukouni Weddeye, le chef des FAP. Habré est en ce temps Ministre de la
défense du GUNT. Le pouvoir est enfin entre les mains des Nordistes. Ce
qui est prévisible, c'est une éventuelle agitation politique, vu
que le chef rebelle Habré, au ministère de la défense est
à un pas de son rêve, celui de diriger le pays.
En ce temps, le Colonel Khadafi, malgré sa signature
pour la non-ingérence dans le conflit Tchadien lors de l'accord de
Lagos, arme des forces rebelles contre Habré qu'il trouve persona
non grata. Ayant constaté ces troubles, Joël Rim-Assbé
Oulatar estime que :
Le Gouvernement d'Union nationale de Transition fut la
juxtaposition des incapacités individuelles au niveau de chacune des
tendances. Chacune d'entre elles a reçu sur son territoire la sanction
de son échec. Il restait à l'étaler sur la scène
nationale et internationale par le biais de ce gouvernement.
(Rim-Assbé Oulatar, 2002 :42)
R. Oulatar est parvenu à ce résultat au vu de ce
qui a suivi la mise sur pied du GUNT. Chacune de ces tendances n'avait pour
ambition que de gérer le Tchad à seule. L'accord de Lagos I
était un bluff. Il sera blackboulé par les chefs des groupes
armés et N'Djaména divisé en « Zones ». La
guerre s'installe à la capitale pendant près de quatre ans entre
les différentes forces armées. Le 20 mars 1980, les forces
pro-libyennes s'unissent. La Libye leur envoie de renfort. Les affrontements
dureront et obligeront les populations civiles à quitter une fois de
plus la capitale tchadienne. Le 12 décembre 1980, les FAN
décident de quitter N'Djaména. Deux jours après,
Aramkolé héberge les FAN. Le GUNT proclame une loi martiale
poussant les jeunes à un départ massif vers les bases du
FAN.14
C'est ainsi que Varsia Kovana traite le GUNT de «
gouvernement d'un état fantôme, dont la mission se ramène
à entretenir les armées du Frolinat et à combattre Hissein
Habré » (Varsia, 1994 : 46). Le mois de juin 1982 reste
inoubliable dans la vie de l'ex-président Weddeye. Après moult
troubles, Habré « arrache » son pouvoir. Ce moment est le
plus
32
14Un Tchadien à l'aventure, Paris,
l'Harmattan, 1992 de Mahamat Hassan Abakar en fait mention.
33
mouvementé de l'histoire du Tchad. Ces militaires qui
« défilent » au pouvoir n'ont pas nécessairement des
programmes politiques dignes de ce nom, mais sont guidés par la
volonté de gouverner. Pour sûr, le clientélisme, le
népotisme, le clanisme et le régionalisme ne sont pas absents
dans les valises politiques de ceux-ci.
C'est de cette histoire mouvementée du Tchad que
prennent source les travaux de plusieurs auteurs tchadiens. Prise de pouvoir,
rébellion, guerre, fuite de la population civile, etc. sont des
thèmes qui vont proliférer dans les oeuvres littéraires
tchadiennes.
2.3 De 1982 à 1990 : la troisième
république (H. Habré)
Les FAN de Habré, après leur retrait à
Aramkolé, ont lutté contre les forces libyennes et celles du GUNT
à Abéché. Le GUNT signe un acte de fusion, le 06 Janvier
1980, avec la Libye. Les jeunes tchadiens découragés se tournent
vers la rébellion salvatrice de Habré. Celui-ci déploie
ses forces pour prendre le pouvoir.
Habré a résisté aux forces libyennes,
à l'occupation, l'annexion, puis la dissolution du Tchad au profit de la
Libye. Habré est un intellectuel, un politique et un militaire de renom.
Il semble disposer d'atouts pour réussir la mission de
réconciliation nationale. Cependant, la population est restée
sceptique, malgré ce qu'il appelle « Libération du Tchad
» d'entre les mains des Libyens. En 1972 et 1980, elle a vu les
dégâts, les charniers, la chasse aux chrétiens, les combats
dans la capitale.
Pour connaître les ambitions réelles de H.
Habré, il suffit de réfléchir sur la dénomination
de son mouvement : FAN qui paraît vindicative et régionaliste.
Masra et Béral affirment à propos que : « la simple
dénomination des forces armées du nord affirme clairement que la
région septentrionale du Tchad était une région
opprimée, une région à libérer de la
supposé, hégémonie sudiste» (Masra et
Béral, 2008 : 49). Ils avouent qu'il n'est pas question de
libérer un Nord opprimé. Si c'est le cas, Habré aurait
proposé une scission lors de son entrée triomphale. Il aurait
profité de la guerre civile de 1979 pour se déclarer chef du
Nord. Pour eux, son seul projet était d'anéantir le pouvoir
sudiste afin d'ériger une domination nordiste.
La population sera déçue plus tard par les
réponses arbitraires aux problèmes ethniques. Habré prend
conscience de son impossibilité de rallier les populations du Tchad dans
leur diversité ethnique, religieuse et politique, à son
mouvement, le FAN sur lequel pèse
34
l'histoire négative de la rébellion. C'est ainsi
qu'il propose l'UNIR. C'est dans ce cadre que prônant l'unité
nationale, Habré, place " la personne qu'il faut à la place
qu'il faut" créant des frustrations dans le champ des
illettrés et incompétents qui dirigeaient le pays parce
qu'anciens membres du FAN.
Le nouveau parti va avoir son temps de dérive quand il
devient résolument parti unique et dictatorial avec des groupes d'hommes
qui prêchent son idéologie. Le parti unique a une police politique
: la DDS. Mahamat Hassan Abakar (nommé président de « la
commission d'enquête sur les crimes et détournement commis par
l'ex-Président Hissène Habré, ses coauteurs et complices
» en date du 29 novembre 1990) publie trois ans pus tard, chez
L'Harmattan, un ouvrage éponyme. Ce texte démontre qu'il y a eu
des bavures, des exactions et des exécutions sous le règne de H.
Habré. Il démontre comment l'ethnie du président a
bénéficié des privilèges. Les membres de celle-ci
ont occupé des édifices publics ou privés de force. Ils
avaient la facilité de s'installer partout sur l'étendue du
territoire sans titre. M. H. Abakar atteste qu'ils avaient eu des
privilèges juridiques : gagner des procès et exiger des sommes
exorbitantes par exemple.
Le régime de Habré a été
répressif. La DDS entretient une section de tortionnaires qui disposent
des techniques de torture comme les châtiments électriques.
Tous les Zaghawa « sans distinctions sont
soupçonnés, emprisonnés et beaucoup d'entre eux
exécutés» (Taboye, 2003 : 163). C'est dans ce cadre que
Zakaria Fadoul a été arrêté en 1989. Il eut une
source d'inspiration pour dénoncer la dictature « habreiste»
dans Les Moments difficiles. Z F Khidir est arrêté
à cause des soupçons sur son entourage professionnel. Dans ces
prisons, les cadavres sont laissés jusqu'à putréfaction.
En prison, pendant la torture et l'interrogatoire, il étudie la
personnalité des tortionnaires. Une analyse psychanalytique de l'oeuvre
nous fait penser aux personnages bibliques d'Abel et de Joseph. Il est question
d'un complexe de Caïn, dans la mesure où les Goranes et les Zaghawa
sont des frères proches.
Plusieurs écrivains ont montré que Habré
a quelquefois foulé aux pieds des règles de droits humains.
L'application de la justice sous ce régime dépasse l'entendement.
On accuse et arrête quelqu'un simplement parce qu'on ne l'apprécie
pas. Masra et Béral mettent l'accent sur les tueries. Ils reconnaissent
que des garçonnets de tous âges se sont vus, au mépris de
leur innocence, fusiller comme des lapins sans état d'âme aucun.
Pour ceux, cette tuerie est
35
orientée. Des femmes sudistes furent violées
sans autre forme de procès, sans doute pour la raison que leur anatomie
est attrayante ; mais aussi pour souiller la dignité de leurs maris et
occuper leurs maisons. Des Goranes, au nom d'Habré, organisent des
arrestations massives pour s'emparer des biens des personnes
arrêtées.
Varsia Kovana fait une comparaison entre Habré et
Tombalbaye et trouve que, malgré leurs formations intellectuelles et
morales différentes, les deux présidents ont géré
des dictatures qui se ressemblent par le renouvellement de leurs partis, par la
création des polices politiques et par les faveurs accordées
à leurs ethnies. Tout ceci justifie la prise de position radicale de
certains auteurs qui prônent, au bas de l'échelle sociologique,
une égalité devant le service public et à une jouissance
équitable des biens communs. Seule la gestion démocratique de
l'État peut répondre à des telles aspirations.
36
3. L'ère de la démocratisation : La
quatrième République
Sous la menace d'Idriss Déby, chef militaire
ressortissant du Nord, H. Habré est aux abois. Le
1erdécembre 1990, il quitte le pouvoir alors que les troupes
débyiennes sont fortement installées à 700 Km au Nord de
la capitale, N'Djaména. Des groupes ethniques et militaires ont
profité de la crise sociale du moment pour gonfler les rangs des
mécontents de son régime. En ce dernier décembre du
règne de Habré, plusieurs observations ont attesté que
beaucoup de militaires ont refusé de combattre. Leur solde n'a pas
été versée pendant longtemps.
3.1 Déby et la prise du pouvoir en 1990
La fin du régime d'Hissène Habré fut le
produit de plusieurs facteurs. D'abord, les relations du président
tchadien avec la France se détériorèrent en 1990. Il faut
se souvenir de l'attitude de Habré lors du sommet franco-africain, tenu
à La Baule. Il s'opposait alors durement au Président Mitterrand
sur la question de la démocratisation, avec une agressivité et
une aigreur peu commune : H. Habré a refusé le
néocolonialisme qui se cache derrière l'imposition de la
démocratie. Enfin, il refuse les recommandations de la Conférence
des Chefs d'État de France et d'Afrique, tenue en juin 1990. En bon
dictateur il n'a pu accepter ce que le président Français
Mitterrand prêche comme nouvelle philosophie. Mitterrand prônait la
démocratie avec un schéma tout prêt : système
représentatif, multipartisme, liberté de la presse,
indépendance de la magistrature, refus de la censure, etc.
Cette attitude intransigeante réveilla des très
mauvais souvenirs sur les actes criminels du président tchadien avant et
après son accession au pouvoir et sur les multiples humiliations qu'il
avait fait subir aux troupes françaises du dispositif
Épervier, pourtant ses alliées. Idriss Déby, chef
rebelle et ancien collaborateur de H. Habré, ayant déjà
des partisans au sein de l'armée nationale (il avait fait l'École
de guerre à Paris en 1985-1986) et des services de renseignements, part
favoris. Il lance la marche sur N'Djaména et occupe le fauteuil
présidentiel le 1er décembre avec la «
bénédiction » de la France.
3.2 La critique des moeurs politiques débyiennes
Déby, bien qu'ayant participé au gouvernement de
Habré, s'est fait sauveur. Il proclame la liberté d'expression et
d'association, dissout la police politique et autorise le multipartisme. Varsia
fait allusion aux services de renseignements qui ressemblent fort bien à
la DDS de H. Habré, à la répression dans le sang, de la
guerre, à la répartition ethnico-
37
religieuse des places à la fonction publique et
à la gestion dictatoriale du multipartisme. La relation Tchad-Libye a
inquiété plus d'un. À peine arrivé au pouvoir,
Déby libère neuf cents prisonniers libyens et reçoit la
visite de plusieurs missionnaires et investisseurs libyens.
Deux ans après la prise du pouvoir, les institutions
politiques ne sont pas remises en place et aucun forum n'a été
prévu pour un débat franc et sincère entre les fils du
pays. La liberté de presse et d'expression n'est pas effectuée et
matérialisée. Alors qu'à l'occasion de son premier
discours, Déby disait : « je ne vous apporte ni or, ni argent,
mais la liberté ! » (Masra et Béral, 2008 : 77-78).
Cette liberté devient problématique selon les défenseurs
de droits de l'homme qui estiment qu'une année après ce discours
la grève des étudiants a été
sévèrement interdite et sanctionnée.
Plusieurs écrivains à l'instar de Masra et
Béral dénoncent la fusion Zaghawa-Goranes au service d'une
satisfaction matérialiste égoïste : « ce fut comme
si sur le pays, s'était soudainement abattue une tribu de
matérialistes obsédés, particulièrement
passionnés de motos ! » (Masra et Béral, 2008 : 79).
À la tombée de la nuit, des hommes en tenues abattent les motards
pour un engin. Amusant, Béral pense qu'au lieu de donner la
liberté, les tenants du régime sont venus, sans or, ni argent,
prendre le peu d'argent dont disposerait le peuple. Ce point de vue est
discutable.
Sur le plan politique, les chefs des partis à
l'opposition réfléchissent beaucoup plus aux postes
ministériels à la solde débyienne. Ainsi, ils ne peuvent
pas opposer une lutte démocratique sérieuse pour la prise du
pouvoir. En 1993, les dirigeants de l'UST sont suspendus. Ces membres ont perdu
leurs emplois pour avoir organisé une grève des agents de la
fonction publique.
Parlant de la liberté de la presse, l'organe
régulation des médias, le HCC, dirigé par des proches du
parti au pouvoir distribue des sanctions à la presse privée pour
la garder hors de la danse royale organisée par la presse publique. Les
journalistes qui ont cru en la liberté d'expression l'ont payé de
leur vie. Maxime Kladoumbaye, journaliste à l'Agence Tchadienne de
presse est assassiné en janvier 1992. A. Madjigoto, journaliste à
la Radio nationale est abattu à tout portant le 04 octobre 1992. La
liste des assassinats est longue.
Sur le plan économique, aucune politique rentable n'a
été définie en 1990. La douane et la Cotontchad, les deux
mamelles de l'économie tchadienne ne profitent pas exclusivement
à l'État, mais à des individus. L'État compte
beaucoup plus sur la Libye, le Soudan et la
38
France pour devenir politiquement et économiquement
stable. La CNS tenue du 15 janvier au 12 avril 1993 essaye de revoir le
problème tchadien de la division Nord-Sud. Les jeunes tchadiens vont
vivre, dans leur majorité, le chômage. Les partis politiques ne
pensent qu'à la démission du « nouveau
général des corps d'armées, chef suprême des
armées, président du conseil des ministres chef de l'Etat, son
excellence Idriss Déby» (Masra et Béral, 2008 : 89)
qui, lui, a reçu sa mission par les armes. Le ralliement des partis
autour de la table présidentielle commencent après 1996 en masse.
Seul le parti FAR de Yorongar a pu tenir à l'opposition radicale avec
des discours impressionnants.
Avec l'avènement du PAS, l'éducation nationale a
été une priorité de l'État. Malheureusement
l'école tchadienne a formé, en plus des citoyens consciencieux,
nationalistes et dévoués, des nullards, irresponsables et
malhonnêtes qui n'ont pas le sens du bien public. La corruption, des
élèves à l'administration en passant par les enseignants,
met à mal le système éducatif Tchadien. Quelques nouveaux
parvenus, malgré leur grille salariale moyenne construisent des villas,
achètent des voitures de luxe et font des dépenses sans
égal lors des cérémonies. Le détournement devient
leur règle de jeu.
3.3 Le chemin vers la liberté d'écriture
Parler de la littérature tchadienne en terme de
liberté, c'est faire référence à la censure qui a
sévi sur les oeuvres littéraires en temps de dictature,
étudier les effets des grandes et longues guerres fratricides qui ont
poussé les intellectuels à l'exil et qui n'ont pas
été favorables à la mise en place des instances de
production, de diffusion et de consommation de la littérature. Asguet
Mah affirme cependant que la liberté était l'objet de recherche
des écrivains tchadiens : « Dans un pays où l'individu
est traqué, affamé, il est de tout temps en exil, la
liberté constitue un outil de démarcation et
d'épanouissement» (Asguet, 2007 : 2). Cette quête de
liberté et de justice est une piste de recherche dans les textes de
fiction d'auteurs tchadiens qui ont produit en dehors du Tchad.
En effet, en ce temps de trouble et
d'insécurité, personne ne pouvait penser à l'oeuvre de
l'esprit. Seuls ceux qui ont pu sortir hors des frontières nationales
ont produit des oeuvres de fiction. Au niveau du pays, beaucoup de personnes
ont dû, de temps en temps, quitter la ville pour trouver refuge au
village auprès des leurs parents.
La démocratie et la liberté «
véhiculées » par le président Idriss Déby ont
été favorables à la mise sur pied d'une institution de la
littérature dynamique. C'est d'ailleurs
39
pour cette raison que nous avons préféré
faire une analyse sociologique de la littérature tchadienne, de ses
instituions pour voir ce qui existe et ce qui manque pour une
littérature nationale digne de ce nom.
L'activité d'édition n'a été
entreprise au Tchad que sous Déby. Que ce soit les actions des
missionnaires xavériens de Pala, du CEL et du CRP de Sarh, en province
ou de l'ADELIT, du CCF, du RLPT, du SBL à N'Djaména, leur
début ne remonte pas avant l'ère débyienne. Du coté
des écrivains, les plumes sont « déliées ». La
seule maison d'édition, Sao a édité, en dix ans, une
vingtaine d'oeuvres littéraires dans sa collection «
littérature tchadienne ». Ceci est la moitié de ce que les
Tchadiens ont produit pendant quarante ans, en Europe, en Afrique et au niveau
du pays. Ce progrès n'est pas seulement à mettre à l'actif
de cette maison, mais aussi au compte des centaines de jeunes qui ont pris
connaissance de la nécessité d'écrire et jouissent
actuellement de la totale liberté d'expression pour produire des
oeuvres. Cette réalité est valable pour ceux qui se sont
tournés vers le centre Al-Mouna, le CEFOD ou à l'extérieur
pour écrire des textes comme République à vendre,
sans être gêné.
Il faut néanmoins reconnaître que la
littérature tchadienne dans ce domaine de la production est
sous-développée. Il y a des difficultés au niveau
linguistique, poussant les créateurs au doute de franchir les portes des
maisons d'édition qualifiées. Ces maisons ont aussi de
problème d'expérience et de diffusion au niveau du marché
intérieur. Nous réitérons les propos de Chevrier pour dire
que :
Si la multiplication au cours de ces dernières
années de maisons d'édition
africaines a permis à certains auteurs d'être
publiés sur place, les conditions du marché sont telles que le
livre demeure encore pour la plupart des Africains un objet de luxe inabordable
en raison de son prix élevé. Cette situation s'explique par
plusieurs raisons : le manque d'expérience des éditeurs, la
médiocrité du circuit de diffusion et surtout l'absence criante
d'une réelle politique de la lecture publique, seule susceptible de
familiariser l'opinion avec la chose littéraire. (Chevrier, 1981 :
9).
L'économie est une des causes de la sous-production.
L'acquisition du moyen financier est incontournable pour l'éveil d'une
volonté d'écriture. C'est elle qui conditionne la large
distribution du produit. Malgré le nombre restreint de tirage par titre
(200 à 500 copies), au début des années 2000 chez Sao,
à N'Djaména, le stock reste inépuisable. On est encore
loin d'une idée de réédition au niveau local. Le prix et
le nombre de pages donnent matière à
40
réflexion chez ceux qui n'ont pas l'habitude de lire.
Sao est cependant disposé à éditer en arabe et en
ngambaye.
Ce chapitre nous a permis d'identifier les différentes
étapes de l'histoire politique du Tchad. Les colonisateurs ont
trouvé des rois et des conquérants redoutables lors de leur
pénétration au Tchad. Ceux-ci les ont combattus pour «
stabiliser » le pays. Après les indépendances, il y a eu une
période de stabilité au début du règne de
Tombalbaye, puis ont survenu des rebellions à
répétition.
Les dissensions politiques et les luttes armées qui ont
ensanglanté le pays ont poussé les créateurs à
partir pour l'Europe, le Canada et l'Afrique de l'Ouest. Volontaires ou
contraints, ces jeunes ont erré sur le chemin de l'exil. Témoins
des situations sociopolitiques, les écrivains se nourrissent de ces
souffrances et puisent leur force dans cette exclusion.
Depuis 1990, la démocratie porte des fruits admirables.
Malgré quelques mécontentements et des coups d'État
manqués, le Tchad tend vers une stabilité politique. Les
romanciers, poètes, nouvellistes, autobiographes, essayistes et
critiques ont commenté ces époques, ont utilisé leurs
ancrages spatiaux et temporels pour produire leurs textes et critiquer ou
moraliser les Tchadiens. Une étude intertextuelle peut
révéler des ressemblances et des parodies certaines (au vue de
notre lecture).
Le résultat obtenu dans ce chapitre est que le pouvoir
politique a été un facteur de violence. Il a freiné
l'épanouissement de la littérature par les coups d'État,
les guerres civiles et militaires. Ces conflits, non seulement ne permettaient
pas aux tchadiens de s'aimer et de s'unir pour le développement
socio-économique, mais ils ont rendu inutiles les efforts de ceux qui
voulaient s'installer à leur compte dans le domaine littéraire.
Car en temps de troubles, l'insécurité, la répression et
les moyens financiers ne permettent pas aux écrivains de nourrir,
sécuriser les proches parents et progénitures, et d'écrire
des livres. Donc, le contexte politique n'a pas été favorable
à l'écriture et il n'existait pas des instances de production
reconnues avant l'avènement de la démocratie en 1990. Ceci nous
conduit à l'étude du contexte socio-économique et culturel
de la production littéraire tchadienne écrite d'expression
française.
41
Chapitre 2 : Le contexte socio-économique et
culturel
Situer l'oeuvre littéraire dans le milieu qui l'a
produite est une ancienne préoccupation de la sociologie de la
littérature. Les éléments sociaux, économiques et
culturels sont des pistes de recherche dans ce domaine. Dubois (1978) analysait
la littérature en tant qu'institution culturelle qui a des
mécanismes et des effets mesurables. Les sphères de production,
pour lui, subissent le poids des institutions politiques et économiques.
Nous voulons démontrer l'influence de ce contexte sur la production,
comme processus de fabrication des oeuvres littéraires. La guerre,
l'analphabétisme, l'illettrisme et la corruption sont traités
dans la première partie, la situation économique dans la
deuxième et les réalités culturelles dans la
dernière partie de ce chapitre. Cette étude est non
négligeable pour justifier la lenteur dans la mise sur pied des
instances de production et la volonté croissante de consigner les
pensées sur des supports modernes de conservation et de vulgarisation
des idées.
1. Les crises sociales
La guerre, l'analphabétisme, l'illettrisme et la
corruption sont des faits qui dégradent la société et la
rend infertile au marché du « donner et de recevoir »
senghorièn. Ils sont des crises sociales et de ce fait affectent la
littérature qui est aussi une pratique sociale.
1.1 La guerre et ses conséquences
La guerre est le recours à la force armée pour
dénouer une situation problématique entre deux ou plusieurs
groupes organisés. Au niveau étatique, elle est la violence d'un
groupe d'individus qui entrent en rébellion contre le régime en
place. Plus souvent, les considérations religieuses, idéologiques
et ethniques sous-tendent la volonté de libération nationale
entreprise par les mécontents. Ces genres de conflits fratricides
mettent l'économie de l'État en faillite, déstabilisent la
société, rendent le pouvoir fragile et alimentent le débat
littéraire, tout en démolissant les instances de production
littéraire locales.
La guerre au Tchad est intimement liée à la
prise du pouvoir. Il nous est important de faire le synopsis de toutes les
guerres qui ont eu un tel objectif. Mais, il faut reconnaître que depuis
1965, il y a toujours une ligne de violences, de sang qui relie les quatre
républiques successives. En 1993, un rapport d'Amnesty
International-Tchad intitulé « Le Cauchemar continu »,
décrit ce phénomène en ces termes : « Depuis
1965, le Tchad ne parvient pas à rompre avec la violence, parce que la
force armée y est considérée comme le seul moyen de
résoudre les différends politiques et que jamais les responsables
d'atrocités n'ont été traduits
42
en justice» (Varsia, 1994 :141). Le traitement
de la guerre est ainsi lié à l'histoire politique. Trente ans
d'indépendance, six présidents. En dehors de Tombalbaye et de Lol
qui sont venus, l'un par les urnes et l'autre par le consensus, Herdeï
Doboubou confirme le fait que les autres sont venus par la violence. Malloum
Ngakoutou Béhindi, dirige le pays après le coup d'État du
13 avril 1975, mettant terme au règne de F. Tombalbaye qui a fait face,
depuis 1960, à la rébellion du FROLINAT. Le 12 février
1979, une guerre civile « la plus meurtrière et la plus
mémorable que les Tchadiens ont connu, éclate à N'djamena
entre les éléments fidèles à Habré et les
forces loyalistes du général Malloum »
(Hérdeï, in Notre Temps n° 328, 2008 : 5).
L'insécurité politique a poussé Malloum à
démissionner après quatre années de règne. Les
pourparlers de Kano I, pour finir la négociation entre une dizaine de
groupes armés cède la magistrature suprême à Lol
Mahamat Choua et 8 mois plus tard à Goukouni Weddeye (août 1979),
un des chefs rebelles du Nord. Le 21 mars 1980, la guerre éclate,
à nouveau, à N'Djaména entre les éléments de
Habré et ceux de Goukouni. En 1982, sous la menace habrèenne,
Goukouni quitte N'Djaména, après quatre ans de règne, en
pirogue en direction du Cameroun, cédant place à Habré.
Huit ans après l'arrivée de celui-ci au contrôle,
Déby entre à la capitale le 1er décembre 1990.
Habré se réfugie au Sénégal en passant par le
Cameroun.
Loin de faire une histoire politique, nous avons gardé
l'ossature de la succession au pouvoir au Tchad pour démontrer qu'elle
s'est toujours faite dans le sang. Chacun de ces dirigeants, entre son
arrivée et sa sortie par les armes, a dû faire face à de
nombreuses factions rebelles qui ont pour objectif la marche sur la capitale.
Les écrivains ont saisi l'occasion pour écrire des oeuvres qui
ont pour seul but, selon Oumar Nadji, d'« inviter le lecteur à
haïr la guerre, ce monstre qui déstabilise notre terre et augmente
le nombre des orphelins, des veufs, des veuves» (Oumar, 2009 : 7).
Cette instabilité politique a trois causes plausibles intimement
liées : l'influence de la colonisation française sur la culture
arabo-islamique en place, la division Nord-Sud et la volonté
égoïste des dirigeants. En effet, les conflits religieux et
linguistiques représentés par l'opposition Christianisme-Islam et
arabe-français ont une origine politique. Les populations du Sud,
chrétiennes se tournent vers la culture occidentale et se forment en
français, celles du Nord, musulmanes ont une culture islamique et se
forment en arabe. En voulant imposer le français à l'arabe, le
colonisateur a épuisé la vigilance des musulmans qui ont une base
éducationnelle traditionnelle et coranique. Abazène, juriste
tchadien arabisant pense que c'est la formation d'une élite francophone
qui a fait de l'administration un adversaire de l'élite ancienne qui
s'est rebellée. Il déclare à cet effet que «
Depuis lors le débat sur l'officialisation de l'arabe n'a pas
cessé d'alimenter les
43
divergences entre l'élite francophone à
prédominance sudiste et chrétienne et l'élite arabophone
à prédominance nordiste et musulmane» (Abazène,
in Collectif, 2002 : 38). Cette division Nord-Sud est exploitée par les
opposants aux régimes de Tombalbaye et de Malloum pour recruter leurs
militants « marxistes-islamistes ». Le FROLINAT d'Idriss Abatcha,
formé au Caire, les FAP de Goukouni Weddeye et Les FAN de Habré,
ces forces auxquelles il faut adjoindre le MPS de Déby, se sont
distinguées par la volonté de prendre le pouvoir par tous les
moyens.
Les conséquences de ces agissements sont toujours les
moins attendues et les plus dévastatrices. L'économie du pays a
souvent été détruite et dilapidée par et pour la
guerre, des millions de Tchadiens ont quitté le pays et la guerre a
favorisé un type d'écriture : l'écriture de la guerre ou
écriture en temps de guerre. Cette problématique a fait l'objet
d'études littéraires. Nous reconnaissons, d'une part, que les
conflits armés ont détruit les bases de la jeune
littérature nationale initiée par Joseph Brahim Seid, Palou
Bebnoné et Baba Moustapha,
etc. et ont poussé les jeunes «
plumistes » et « écrivants » en exil et d'autre part que
la guerre est un facteur émergent pour la littérature tchadienne.
A cause de la guerre, de l'insécurité politique, il n'y a pas eu
au Tchad, un demi-siècle après l'indépendance, une
institution littéraire dynamique. Heureusement, les Tchadiens
exilés, volontaires ou contraints, parce qu'ils n'admettaient pas la
guerre et souffraient du manque de liberté, ont produit des textes
inspirés de ces guerres à répétition. Nimrod,
Mougnan, Nébardoum et Koulsy, les figures représentatives de la
poésie tchadienne, ont connu la guerre civile et l'exil, «
leurs Chants expriment, selon Bourdette-Donon, des tensions et des situations
conflictuelles, se nourrissent de ces souffrances et puisent leur force dans
cette exclusion» (Bourdette-Donon, 2000 : 16). Kotoko, Bangui,
Kosnaye, Zakaria et Mahamat Abakar, les autobiographes ont décrit les
effets de ces troubles sur leur personnalité et leur entourage. Ceux-ci
ont séjourné à l'extérieur du pays, alors qu'ils
produisaient leurs oeuvres. Les romanciers N'Djékéry, Moustapha,
Nimrod, Koundja, Haggar, Ouaga, etc. ont réécrit les
conséquences des guerres, comme l'ont fait les nouvellistes à
l'instar de N'Djékéry (La Descente aux enfers). Les
essayistes : Joël Rim-Assbé Oulatar (Tchad, le poison et
l'antidote), Pierre Toura Gaba (Non à Tombalbaye), Masra
et Béral (Tchad, Eloges des lumières obscures), etc.,
n'ont pas, de par les titres de leurs essais, tardé à nommer les
auteurs et les causes de ces guerres.
44
1.2 L'analphabétisme et l'illettrisme
La situation du système éducatif demeure
critique, un siècle après l'implantation de la première
école française, à Mao, au Nord du Tchad (1911) alors que
« l'éducation est l'un des secteurs prioritaires auxquels le
gouvernement accorde une grande importance » (Bandoumal, in
Collectif, 2002 : 142). Cette situation joue à la fois contre le
développement économique, contre l'accès du plus grand
nombre de la population aux opportunités des revenus et contre sa
participation effective à la gestion du développement comme
l'estime Bérilingar Dathol Antoine (Bérilingar, in Collectif,
2002 : 142). À la base de cette crise, nous avons
l'analphabétisme et l'illettrisme. Dans les pays
développés, la scolarisation obligatoire s'est étendue
à l'ensemble de la population depuis près d'un siècle. Au
Tchad, la solarisation est encore un luxe, il y a des gens qui n'ont jamais
été à l'école, d'autres y partent mais ressortent
sitôt pour apprendre un métier, d'autres encore refusent
l'école occidentale sous toutes ses formes, à cause d'une
certaine confession religieuse qu'ils estiment incompatible avec l'école
française qui véhiculerait les valeurs chrétiennes.
Les premiers sont analphabètes. Sont
considérés comme tels ceux qui ne savent ni lire ni
écrire, ceux qui ne connaissent pas l'alphabet parce qu'ils ne l'ont
jamais appris. Ceux-ci sont nombreux en zone rurale. C'est une des
caractéristiques des pays pauvres. Des villages et les cantons sont
encore sans écoles ou sont dotés d'écoles sans
instituteurs.
Les seconds, ceux qui abandonnent tôt l'école
seront illettrés, incapables de lire une petite annonce publicitaire ou
une quelconque directive avec l'âge. En 1984, en France, un rapport
officiel adressé au premier ministre intitulé « Des
illettrés en France » révèle qu' « un nombre
important de(s) personnes francophones, ayant été
scolarisés, ont des sérieuses difficultés avec la langue
écrite au point d'être incapables de comprendre un simple
exposé de faits en rapport avec la vie quotidienne»
(Esperendieu, in Fourier, 2000 : 42). L'illettrisme apparaît sous
diverses formes, mais on utilise ce terme pour designer « les
personnes qui, malgré un passage par l'instruction scolaire, sont
démunies face à l'écrit » (Fourier, 2000 : 42).
L'illettrisme tout comme l'analphabétisme est un obstacle à la
productivité littéraire et économique, un facteur
obscurantiste dans l'exercice des droits civiques, dans la participation
à la vie économique et culturelle, l'épanouissement de soi
et la liberté individuelle.
Les derniers enfin, ceux qui ont refusé à une
certaine époque l'école française sous toutes ses formes
à cause d'une certaine confession religieuse ; les populations du Nord,
puisque qu'il s'agit d'elles, étaient malheureusement
analphabètes en arabe. Selon les auteurs du Contentieux linguistique
française-arabe (N'Djaména, Al-Mouna, 1997), 10% de la
45
population tchadienne seulement est scolarisée en
arabe, la deuxième langue de partage du savoir après le
français. L'État tchadien a revu le système
éducatif pour lutter contre la baisse de niveau, l'analphabétisme
et l'illettrisme. Cependant les programmes scolaires, le cursus, les
méthodes d'enseignement et le personnel doivent être revus.
Parlant du personnel, Molelmbaye déclare : « On peut avoir de
l'argent, des bonnes méthodes d'enseignement et des moyens
matériels mais s'il manque un personnel qualifié, on ne peut pas
aboutir à un bon résultat» (Molelmbaye, in Tchad et
culture, n° 250, 2006 : 3).
L'alphabétisation est une réponse sur le plan
culturel et humain à l'analphabétisme, après la
scolarisation obligatoire et gratuite des enfants. Ce fléau
émanent du sous-développement touche tous les secteurs de la vie
d'un pays. L'alphabétisation fonctionnel, celle qui consiste à
aider les adultes ouvriers à bien connaître leur métier,
est un atout, surtout pour un pays comme le Tchad où 80% de la
population est rurale. Traquer l'illettrisme, c'est lutter contre
l'échec scolaire dont les causes ne sont pas souvent claires. Le Tchad a
hérité d'un système éducatif non adapté
à la réalité traditionnelle dans laquelle il vit. Selon
les complaintes des acteurs du livre, un bon nombre d'élèves et
étudiants, vu la pression d'ordre académique, lisent
généralement pour valider des unités de valeurs et passer
en classe supérieure. La recherche de la connaissance
générale, d'une acquisition suffisante du savoir est
minimisée. La demande au marché du livre est dans ce cas faible,
c'est pourquoi l'offre est limitée. Si tout le monde est
alphabétisé, scolarisé voire instruit et adonné
à la recherche du savoir par le biais du livre, chacun aura sa petite
bibliothèque et ni les écrivains, ni les éditeurs,
à notre connaissance, ne se plaindraient d'un quelconque manque
d'intérêt à la chose culturelle, littéraire. R.
Escarpit dans « Littérature et développement »
déclare qu'« il ne sert à rien de tirer une population
de l'analphabétisme si on ne lui fournit un flot constant de
matières à lire avec les moyens nécessaires pour
l'utiliser et les motivations indispensables pour le vouloir»
(Escarpit, 1970 : 248). Mettre des livres à la disposition de la
population est une nécessité, qu'il s'agisse d'apprentissage de
la lecture au niveau de la scolarisation primaire ou de campagne
d'alphabétisation au niveau de l'éducation des adultes.
1.3 La corruption
La corruption est l'action d'agir contre son devoir, le
résultat de cette action. Pour R. Toriaïra, sociologue tchadien,
elle est « le fait de solliciter, de payer ou d'accepter des dessus de
table, de pots de vin, dans le but d'obtenir des avantages et pour des fins
privées» (Toriaïra, 2000 : 1). La corruption est toujours
assimilée au "don", la volonté bienfaisante d'aider ou de
remercier quelqu'un par l'octroi d'un bien. Le don n'a rien de prohibé.
Il vient
46
après une amitié, un service rendu. Du point de
vue de la législation, la corruption est une atteinte commise à
l'administration publique par les fonctionnaires ou par les particuliers. La
loi n° 004 qualifie de corrompu : « quiconque pour obtenir soit,
l'accomplissement, l'ajustement ou obtention d'un acte, soit une faveur ou un
avantage, fait des promesses, offre don, présents ou cède
à des sollicitations tendant à la corruption» (Loi
n° 004/PR/2000 du 16 février 2000, Article 915). Ainsi,
la corruption touche tous les domaines.
Au Tchad, la gestion du pays est rendue dure par la
corruption. Les principes de dignité et de rigueur sont
abandonnés au profit des biens acceptés ou exigés pour
rendre service. Il se pose un problème d'honneur et d'éthique. Le
pouvoir public est abusé à des fins personnelles. Cependant les
populations sont restées indifférentes ou complices soit parce
qu'elles ne sont pas prêtes à réclamer leur droit, soit
parce qu'elles y trouvent leur compte. La situation de guerres a
légitimé le prélèvement massif dans les caisses de
l'État et des sociétés parapubliques. La justice ne fait
presque pas son travail en matière de prévention et de
répression à en croire les responsables des associations de
droits de l'Homme. L'analyse de la situation sociopolitique faite par les
différentes forces politiques atteste que la corruption ruine le
système administratif. Mais les décisions d'assainissement,
à l'exemple de celles initiées sous Idriss Déby Itno,
n'ont pas mis fin au phénomène. Le bilan du règne de
Tombalbaye, selon Toriaïra, fait par le CSM après le coup
d'État de 1975, révèle la pratique de la corruption
existante dans l'administration des finances. Le conseil estime que :
« La corruption est un danger qu'il faut circonscrire dès
maintenant sous peine de la voir prendre des proportions alarmantes»
(Toriaïra, 2000 : 197). Quinze ans plus tard, l'enquête sur le
règne de l'ex-président Hissein Habré montre que la
pratique s'est empirée : « La gabegie, la corruption, la
confusion totale des biens de l'État à ceux des tenants du
pouvoir [...] étaient les principales caractéristiques de ce
régime» (Collectif, 1992 : 33). Toriaïra fait allusion
à un blanchissement d'argent et de corruption sous le régime de
Déby et déclare qu'« au début de l'année
2000, la COFACE [...] a non sans raison classé le Tchad au rang des pays
où les difficultés de payement et les retours sur
l'investissement sont difficiles» (Toriaïra, 2000 : 198). Depuis
quarante ans, ces pratiques qui justifient la prise du pouvoir se
reproduisent.
Parmi les causes de la corruption, nous citons les
conséquences économiques de la guerre civile. Pour survivre, les
agents de l'État sont obligés d'accepter ou de réclamer de
pots
15 Loi portant répression des
détournements des biens publics, de la corruption, de la concussion, des
trafics d'influences et des infractions assimilées.
47
de vins. Au temps de Habré, l'effort de guerre et les
retards de salaires ont favorisé la corruption. La dévaluation du
Franc CFA, la flambée des prix et le freinage du recrutement à la
Fonction Publique ne sont pas en reste. Les agents de l'État, qui
prétendent gagner peu d'argent, mettent en place des pratiques
illicites, pour « joindre les deux bouts ». Dans un tel contexte,
l'oeuvre de l'esprit n'est pas une nécessité. Il faut
reconnaître que hormis le premier président, les dirigeants venus
au contrôle par la grâce des frères armés sont
obligés d'attribuer des postes aux rescapés de la guerre,
même les bergers analphabètes au détriment des
diplômés. Dans l'histoire du Tchad, il était possible de
voir des directeurs ou des chefs de service ne sachant ni lire, ni
écrire. Impunité, injustice sociale, pillage, vols, viols ne
peuvent être sanctionnés quand le neveu, ancien guérillero
en est l'auteur. Les critères de sélections, le mérite et
l'ancienneté sont foulés aux pieds. La corruption devient un
obstacle grave quand presque tout le monde la pratique, l'accepte.
La lutte anticorruption n'est pas seulement une affaire de
droit. Les acteurs de la corruption se font entourer de décideurs de
haut niveau (députés, directeurs, ministres, etc.) pour leur
défense en cas de complication juridique. Rare sont ceux qui dans des
pareilles postures passent 72 heures en geôle. Les agents du
ministère de la moralisation ne peuvent pas mener des enquêtes
n'importe où, de peur de laisser leur éthique et/ou leur peau
quelque part. Seul le Tchadien lambda est exposé et
réprimé. Il lui faut peut-être une éducation
civique. La solution est d'en parler. Débattre de la corruption dans les
lieux publics et éducatifs, la dénoncer, punir sans distinctions
les personnes coupables et complices sont là des moyens envisageables.
S'il existe au Tchad depuis 2000, une loi anticorruption, une justice assainie
doit l'appliquer efficacement pour réduire le fléau.
Malheureusement, la corruption ne fait pas souvent partie des procès
rendus publics. La cause selon Djékodjimgogo est que « le
recrutement à la magistrature tend de nos jours à obéir
à aucun critère de compétence f...] les
conséquences fâcheuses affectent non seulement la carrière
mais toute la machine judiciaire» (Djékodjimgogo, in Tchad
et Culture, n° 253, 2007 : 8). La corruption paraît, telle que
décrite, une approche thématique à exploiter. Les
écrivains sont à cet effet à l'oeuvre.
48
2. La situation économique
Par « situation économique » nous entendons
faire l'analyse du champ économique tchadien, ses actions et son
évolution. Pierre Fandio traitant les conséquences de la crise
économique sur la littérature camerounaise déclare :
La situation économique du Cameroun, à
l'image de celle des autres pays de l'Afrique francophone en ces années
90, est marquée par une grande crise économique [...] la crise
structurelle est aggravée par une crise conjoncturelle [...] qui a fini
par sinistrer (sic) une économie déjà mal en point.
L'impact de la nouvelle parité entre le Franc CFA et le Franc
français est loin de combler les attentes des opérateurs
économiques dont ceux du secteur du livre littéraire»
(Fandio, 2006 :182).
Il nous échoit de dire que la situation de crise dont
fait allusion Fandio est comparable à celle qui avait sévi au
Tchad avant l'ère pétrolière. Nous analysons ici
l'économie du pays en rapport avec la production littéraire
avant, pendant et après la crise des années 90.
2.1 Le contexte économique et la production
littéraire
L'économie est l'ensemble des activités d'un
groupe humain, évaluables en termes de production et de consommation des
richesses. Par analogie, « économie » renvoie à la
richesse ou aux sources de richesses. Au Tchad, les piliers de
l'économie sont l'agriculture et l'élevage. La mise en
exploitation du pétrole depuis 2003 au sud du pays est une autre source
d'entrée pour l'économie du pays. Le pétrole
représente 80%16 des exportations nationales. Le Tchad
consacre 70% de son budget total aux programmes prioritaires de
réduction de la pauvreté.
Notre préoccupation, loin de traiter un sujet
d'économie, est de mesurer l'enjeu de l'économie tchadienne sur
la production littéraire. La littérature tchadienne connaît
quelques problèmes liés notamment à la production et
à l'édition. En 48 ans de production, il est surprenant de voir
que le champ littéraire compte une vingtaine d'auteurs qui ont rarement
plus de 02 oeuvres à leur actif en moyenne, avec une fréquence de
02 oeuvres par an pour
16 Source : groupe Guy-vérité Je
connais mon pays : le Tchad, fascicule de connaissance
générale.
49
l'ensemble d'écrivains. Ce calcul est la
résultante de l'analyse des ouvrages critiques sur la littérature
tchadienne.
Le problème de la production affilié à
l'économie est celui de manque de moyens financiers pour la production,
l'édition et la publication. Nous avons dit que les piliers de
l'économie tchadienne sont l'agriculture et l'élevage, or ces
activités sont vulgarisées dans les zones rurales où 83.3
% de la population active réside. Dans ces zones,
l'analphabétisme et l'illettrisme sont à plus de 3/4 de la
population. L'écriture devient une activité élitiste.
Vu le faible taux de la scolarisation de la population
tchadienne, les difficultés ne font que s'agrandir. Elles s'appellent
chômage, pauvreté, absence des maisons d'édition
indépendantes, etc.
La Fonction Publique recrute peu de jeunes et, la corruption
et le tribalisme rendent l'accès « sacré » pour ceux
qui n'ont pas de moyens financiers et des personnes influentes au sein du
ministère concerné. Il n'est pas rare de voir un titulaire d'une
licence passer dix ans en instance d'intégration. Quelques
privilégiés se disputent les 30, 50 ou 100 places
réservées à l'intégration dans tel ou tel
ministère par an.
Les jeunes citadins instruits s'adonnent à la
débrouillardise, la seule issue possible pour garantir le pain
quotidien. Ceci réduit la volonté de se lancer en plein temps
dans le métier de l'écriture. Actuellement à
N'Djaména, une page de texte est saisie à 500 F CFA dans les
« secrétariats publics », ce coût est le budget
journalier garanti en moyenne pour la ration alimentaire. Ceci dit, finaliser
la rédaction d'une oeuvre de plus de 100 pages n'est pas aisé
pour beaucoup de ces écrivains potentiels.
Plusieurs éditeurs attestent que les jeunes ont de
difficultés en français à l'écrit et leur
redressement par la commission de lecture est la cause principale du silence ou
du désistement des jeunes écrivains. Aussi, dans un pays
où la culture du livre n'est pas développée, s'installer
comme éditeur indépendant est un pari risqué. La
responsable du centre Al-Mouna, lors de notre interview avoue que sans
l'assistance financière extérieure aléatoire,
l'édition à compte d'éditeur, qui est prisée au
Tchad se fait toujours à perte. La seule occasion de spéculation
du livre est le jour de la dédicace. Un autre aspect à relever du
côté des éditeurs est l'insuffisance de biens propres et de
financement pour s'installer à son propre compte. Au Tchad, seules les
éditions Sao sont indépendantes et multidisciplinaires. Pour le
seul prétexte que « les livres ne se vendent pas au Tchad »,
les entrepreneurs et opérateurs économiques refusent d'envahir ce
domaine. La vérité est que se doter d'une telle institution
nécessite de fonds qui ne sont pas à la portée des
Tchadiens moyens.
50
La situation économique désastreuse du pays a un
effet sur l'émergence de la littérature. Il faudra
peut-être aider les jeunes à produire des oeuvres de fiction. Le
pouvoir public peut créer une maison d'édition publique et
accorder de crédits ou de résidence d'écriture aux
lauréats des concours annuels de littérature. Ces propositions,
matérialisées peuvent améliorer les talents des jeunes
écrivains.
En aval la scolarisation et l'alphabétisation
fonctionnelle doivent être vivement encouragées. L'un des moyens
pour crédibiliser la littérature tchadienne est la lutte pour
l'enseignement et l'insertion des oeuvres d'auteurs tchadiens aux programmes
d'enseignement : défi de l'ASET depuis le premier colloque des
écrivains tchadiens. En économie, la loi du marché est
impitoyable. Quand la demande est faible ou timide, l'offre est limitée.
Le ministère en charge de la culture manque de techniques de
communication pour l'essor de la littérature et la prolifération
des instances de production. Il n'est plus question de se plaindre ad
nauseam qu'il manque de talents, de volonté et de financement.
En amont, les Tchadiens peuvent cultiver la lecture. La
bibliothèque ne doit pas continuer par être un objet de luxe. Si
malgré la pauvreté, les Tchadiens équipent leurs maisons
de conforts matériels onéreux, les livres ne coûtent pas si
chers. D'ailleurs la fréquence de parution, nous l'avons signalée
très haut est faible. Brigitte Masson lance cet appel : «
Intellectuels, artistes, enseignants, décideurs, arrêtons de
geindre et proposons d'urgence à notre société
nouvellement industrialisée un système efficace de garde-fou et
de contrepoids ! » (Masson, in Notre Libraire n° 114, 1993 :
159). Une prise de conscience collective (chez les producteurs,
éditeurs, diffuseurs, consommateurs) permettra de revigorer l'image de
la littérature tchadienne.
2.2 La crise économique et l'ajustement
structurel
Le texte littéraire comme produit a un marché,
celui du « bien symbolique ». Il est soumis aux lois du marché
économique puisque : « la littérature se définit
entre autres par la publication, sous forme d'édition ou de
représentation, ce qui l'insère dans le système des
échanges sociaux rémunérés» (Aron, 2000 :
352). La commercialisation des certains produits de l'agriculture et de
l'élevage a pris un coup après la dévaluation du franc CFA
en 1994. La crise économique s'est installée.
La crise économique est une rupture d'équilibre
entre la production et la consommation. Ce brusque changement économique
se manifeste par la surproduction qui conduit à la mévente ou par
la précarité qui fait une flambée des prix (surtout en cas
de produits de première nécessité). Une pareille situation
n'est pas favorable pour l'émergence
51
de la littérature. Nous démontrerons dans cette
partie que la crise économique tchadienne a retardé la mise en
place rapide d'une institution littéraire dynamique dénuée
de tout tâtonnement. En temps de situation économique
désastreuse et persistante, l'oeuvre de l'esprit ou de la culture est
négligée. Le tissu social devient fragile cédant place
à des stratégies de survie. Des familles se sont divisées,
des progénitures ont échappé aux contrôles des
parents en temps de crise au Tchad : la débauche, le vol, l'alcoolisme
ont fait surface. Les fonctionnaires, avec les retards de salaires comme
conséquence de la crise, ne sont pas épargnés. Le manque
dû à la dévaluation de 1994 et la cherté des
denrées sur les marchés poussent à la
débrouillardise excluant la consommation des oeuvres de l'esprit :
« La crise a favorisé, pour des familles nombreuses la
naissance des solutions originales, des pistes indispensables à
l'éclosion de l'autopromotion, sans exclure l'affirmation d'une
volonté de vivre unis » (Laoro, in Tchad et Culture
n° 142, 1995: 3).
En effet, les ministres africains des finances de la zone
Franc se sont réunis à Dakar au Sénégal en 1994, au
tour du ministre français de la coopération pour écouter
l'annonce de la dévaluation de 50% du Franc CFA par rapport au Franc
français. Cette opération est présentée par Pierre
Fandio comme « la panacée au marasme économique que
connaît alors l'ensemble des pays du « pré-carré
» (Fandio, 2006 : 182). Les pays représentés ont
doublé mécaniquement les coûts des produits
importés. Les intrants utilisés dans la fabrication du livre ont
subi cette flambée rendant le prix du livre inabordable pour une
majorité de la masse lisant potentielle. En plus des taxes, ces intrants
importés ont ralenti voire freiné la volonté de produire
au niveau local. On assiste en plus à une augmentation
générale des prix sur les marchés. L'IPC17
prélevé en 2008 par l'AFRISTAT au Tchad estime cela à 70%.
Une année auparavant, la FAO démontrait que les pays pauvres ont
connu une hausse moyenne de 37%.
Le FMI s'est engagé pour un soutien financier au Tchad
en relançant une politique de redressement économique du
gouvernement et en redémarrant les aides financières d'autres
bailleurs de fonds, en particulier de la France. Le 1er septembre
1995, il approuve une série des prêts en faveur du Tchad d'un
montant total de $ 74 millions (environ 37 milliards de francs CFA) pour une
FASR18. Une année après le financement, le rapport
financier et
17 Indice des Prix à la Consommation,
Instrument qui sert à mesurer l'évolution des prix de certains
biens représentatifs des dépenses de consommation des
ménages et dons d'apprécier la variation du coût de la vie
pour les consommateurs
18 Source : Marchés Tropicaux n°
2600, 1995, p. 1908
52
économique annuel du FMI dénote une
amélioration de la crise. Le FMI s'est fixé des axes politiques :
« Maintenir la stabilité macro-économique, notamment en
renforçant l'épargne et en développant le secteur
privé» (Marchés Tropicaux n° 2600, 1995 :
1908). Il a prévu des reformes administratives en matières de
gestion de finances publiques, une classification des dépenses publiques
et des renforcements des régies financiers. Son PAS n'as pas
été de moindre utilité dans la gestion de cette crise qui
a ruiné le pays. Les financements du FMI et de la BM ont concouru
à la stabilité socio-économique du Tchad pour trois
raisons :
- Les productions agropastorales et cotonnières ont
connu une croissance entre 1995 et 1997 ;
- Le marché du bétail et de la viande a repris de
nouveau ;
- Les perspectives pétrolières engagées
avec l'exploitation du pétrole devaient garantir des avenirs meilleurs
pour le Tchad avec environ 13 millions de tonnes de pétrole brut
à exporter par an pendant 30 ans.
La conséquence est que l'environnement de
l'investissement s'est amélioré, le budget de l'État s'est
rénové. Bref, les finances publiques sont renouvelées et
les projets sont légions :
Une relance des investissements publics a pu être
effectuée à la faveur d'un retour des bailleurs de fonds
multilatéraux et bilatéraux. Le gouvernement compte sur une table
ronde des bailleurs des fonds [...] sous l'égide du PNUD, pour des
nouveaux financements dans le cadre d'un programme d'investissement et de
développement sur 5 ans en cours de finalisation (Gilguy, in
Marchés Tropicaux n° 2697, 1997 : 1567).
Entre 1995 et 1997, le pays commence à appliquer les
recommandations du FMI et de la BM dans le cadre de son programme d'ajustement
structurel. Pour arriver à cette situation, la crise économique
est due à l'évasion fiscale et le fait que le secteur informel a
pris la cime sur le formel après la transition politique de 1990. En
1994, la dévaluation du franc CFA est venue s'ajouter à la liste,
malgré les remises des dettes et les crédits au niveau
international. Les conséquences sont la perte de confiance des
fournisseurs de l'État, les arriérés de salaires et les
grèves généralisées qui ne favorisent plus
l'écriture et la publication du livre. Il fallait en ce temps :
Remettre de l'ordre dans l'économie, combattre la
fraude, mettre de l'ordre dans
les finances publiques, augmenter les
recettes, minimiser les dépenses, en
53
prenant en compte un certain nombre de mesures : la
restructuration des services de douanes, qui représentent plus de 40%
des recettes de l'État, la réforme des structures des
impôts et le recentrage des dépenses. (Gilguy, in
Marchés Tropicaux n° 2697, 1997 : 1567)
Les résultats du PAS ont été
intéressants au niveau financier, les recettes ont été
multipliées par trois (de 25 milliards de francs CFA en 1994 à 75
milliards en 1997) car les mesures prises étaient draconiennes : entre
1995 et 1997, il y a eu le gèle de l'augmentation des salaires, des
avancements et du recrutement à la Fonction Publique. Ce
phénomène a failli freiner le développement de la
littérature tchadienne.
2.3 Le boom pétrolier et le flux de production
littéraire
L'exploitation commerciale des gisements pétroliers de
Doba, dans le Sud du Tchad, à partir des années 2000 a un impact
sur la vie socio-économique, politique et culturelle de la population
tchadienne. Elle est un espoir pour juguler la crise économique. En
2009, plus de 132000 barils du pétrole brut tchadien sont sur le
marché international par jour.
Au Tchad, la décennie suivant celle de l'ère
démocratique, de l'arrivée de Déby au pouvoir a
été consacrée à l'exploitation
pétrolière. Ce qui donne une prospérité soudaine et
factice au pays. Nous avons préféré utiliser le mot
anglo-américain Boom pour parler de cette hausse de
l'économie de l'État qui a une influence certaine sur la
littéraire. Parlant de l'économie et de son enjeu
littéraire, nous avons dit que la stabilité et la montée
croissante du niveau de l'économie nationale permet d'une part aux
acteurs du livre (éditeurs, imprimeurs, libraires et
bibliothécaires, etc.) de s'installer aisément, d'investir dans
le domaine culturel et d'avoir de financement et d'autre part aux jeunes
d'avoir de professions susceptibles de leur permettre d'écrire, de
publier et de diffuser leurs oeuvres, s'ils le désirent. Une fois de
plus le boom pétrolier permet un flux19 de production
littéraire.
Pour justifier notre raisonnement, un travail statistique
s'impose. Considérons un ouvrage critique comme le Panorama critique
de la littérature tchadienne d'Ahmad Taboye pour cette étude
chiffrée.
19 De l'étymologie latine fluxus, «
flux » désigne « écoulement ».Nous
l'utilisons ici au sens figuré pour designer « une grande
quantité »
54
En théâtre, de 1962 (date de la publication de la
première pièce) à 1998 (année de la publication de
la dernière pièce), 19 pièces de théâtres ont
été enregistrées par 06 dramaturges, parmi lesquelles 03
sont inédites et 02 publiées dans une revue. Ceci pour 36 ans de
production. Nous avons en moyenne sensiblement une pièce par an. Par
décennie, 03 pièces ont paru pendant les trois premières
décennies et 08 pendant la dernière (1990-1998). Cela se
justifierait par la liberté d'expression et d'opinion accordée en
cette période d'exercice démocratique au Tchad.
En nouvelle, de 1973 à 1994, 09 novelles, dont 03 non
publiées et 01 dans un ensemble de textes réédités,
sont écrites par quatre nouvellistes. Pour cette durée de 21 ans,
nous trouvons en moyenne sensiblement une nouvelle par an. 03 nouvelles en
moyenne ont paru par décennie.
En autobiographie, de 1962 à 1998, 08 autobiographies
ont été publiées par six personnes pour cette durée
de 36 ans. Nous avons en moyenne sensiblement une oeuvre par an (soit 01 tous
les 04 ans) autrement dit 02 textes par décennie pendant quatre fois. Il
est aussi à noter que 04 de ces textes ont paru pendant la
décennie 80-90 et aucune pendant la décennie
précédant.
En roman, de 1998 à 2003, 08 romans ont
été produits par sept personnes, 1,6 roman par an (à peine
02). C'est toujours l'époque démocratique qui est à
l'origine de cela.
En poésie, de 1987 à 2000, 09 recueils ont
été produits par 05 poètes soit sensiblement 02 recueils
par an.
En conte, enfin, pendant 33 ans, Joseph Brahim Seid a
publié Au Tchad sous les étoiles en 1962 et Koulsy Lamko
Le repos des masques en 1995.
L'histogramme suivant nous permet de justifier l'idée
selon laquelle l'avènement de la démocratie en 1990 et
l'exploitation des puits pétroliers après 2003 ont
favorisé une production littéraire croissante.
55
25 20 15 10 5 0
|
|
Théâtre de 1962 à 1998 Nouvelle de 1973
à 1994 Autobiographie de 1962 à 1998 Roman de 1998 à 2006
Poésie de 1987 à 2000
|
1962-1972 1972-1982 1982-1992 1992-2002 2002-2010
|
|
Histogramme réalisé à base des
informations tirées du Panorama de Taboye
(2003)20.
Au vu de cet histogramme, nous pouvons déduire
qu'après les quelques cinq pièces et autobiographies qui ont
traité des faits historico-politiques sous le règne de
Tombalbaye, la génération du CTI et du concours de la meilleure
nouvelle de langue française ont maintenu le cap de trois pièces
et trois nouvelles par décennies pendant trois fois. Les productions des
décennies 1972-1982 et 1982-1992 sont celles produites par RFI chez
Hatier ou par les lauréats chez CLÉ. À l'ère de la
démocratie, la décennie suivante, les écrivains auraient
profité de la liberté d'expression et du projet de l'association
« Pour mieux connaître le Tchad » pour publier les
pièces de théâtre et de nouvelle jusque-là
jugées subversives, après quoi la crise économique
s'installe. Entre 1992 et 2002, nous pouvons lire ses effets sur la production.
Les règnes de Habré (1980) et de Déby (1990) ont
généré quelques cinq
20 Nota bene : L'Anthologie de
Bourdette-Donon (2003) et la Bibliographie du Fonds-Littérature du CCF
nous ont permis d'avoir des informations sur la dernière
période.
56
autobiographies. Enfin, le roman (suivi de la nouvelle)
devient le genre de prédilection en pleine ère
pétrolière. C'est le flux de production littéraire.
La décennie qui vient de finir est riche en titres,
s'agissant des oeuvres littéraires au Tchad. 08 des textes
analysés par Taboye ont paru en 2000 et 2003. Ceci, loin d'être
l'effet du boom pétrolier, serait le fruit de la gestion
démocratique du pouvoir politique. Cela est valable pour la
majorité des textes recueillis dans l'anthologie de Bourdette-Donon.
Denis Pryen, directeur général de L'Harmattan de Paris reconnait
que sa maison d'édition a publié une douzaine d'oeuvres de
fiction tchadienne pendant ces dix dernières années. (Entretien
du 23/11/2009).
Pour ne pas battre la campagne et le pavé, nous
choisissons les oeuvres éditées par les éditions du Sao
ces dix dernières années, (celles même de leur
installation) pour démontrer qu'il y a eu flux littéraire. Mais
avant cela, il faut reconnaître comme postulat que les quatre
premières décennies de la littérature tchadienne ont une
production moyenne de 01 oeuvre par an, soit 01 oeuvre par an pendant la
décennie 60 ; 01 oeuvre pendant la décennie 70 ; 03 oeuvres la
décennie 80 et 03 oeuvres la décennie 90. Le haut record en
oeuvres par décennie est celui des années 90 : 03 oeuvres par
an)21
En effet, les éditions Sao qui ont la
particularité d'être la seule maison indépendante ont
été fonctionnelles en 2000, une année après
l'autorisation à fonctionner, avec pour objectif : promouvoir la culture
tchadienne (par les livres d'éducation, de formation et d'information).
Sao, par ses quatre collections (Manuels pédagogiques, Histoire du
Tchad, Points de vue et Littérature tchadienne) estime que « le
sens de la vie est dans le livre » (slogan publicitaire de Sao). Pour ce
faire, une trentaine d'oeuvres ont paru chez Sao ces dix dernières
années « pétrolières », malgré les
troubles et les guerres à répétition qui se sont
soldés, plus de trois fois, par des fuites, déguerpissements et
déménagements de la population et des institutions.
La bibliographie Fonds-Tchad littéraire du CCF de
N'Djaména en date de 24/11/2009 compte 61 oeuvres d'auteurs tchadiens
publiées après 2000, dont 39 relevant de la littérature
écrite d'expression française. Parmi celles-ci, 10 oeuvres
portent les marques des éditions
21 Source : TABOYE, Ahmad, Panorama critique de la
littérature tchadienne, N'Djaména, Al-Mouna, 2003 (pages
18-19 ; 112 ; 129-130 ; 169-170 ; 2048-249 et 344
57
Sao : 02 en 2000, 02 en 2006, 03 en 2008 et 03 en 2009 (soit
une moyenne d'un livre par an). Parmi les 18 ouvres de cette bibliographie,
publiées par L'Harmattan, 12 appartiennent à la
littérature tchadienne écrite d'expression française, soit
un livre produit par an.
À considérer ces 39 oeuvres de la
bibliothèque du CCF, produites par Sao (une oeuvre par an en moyenne),
L'Harmattan (une oeuvre par an en moyenne) et d'autres éditeurs, la
production d'oeuvres passe des 03 oeuvres par an de la décennie
précédente ci-haut analysé à 04 oeuvres par an la
décennie 2000. Le oeuvres inédites évoquées par
Bourdette-Donon dans son anthologie et celles en instance d'édition chez
Sao et L'Harmattan dépassent largement, selon nos enquêtes de
terrain, une cinquantaine d'oeuvres. Il faut signaler que la
prospérité littéraire au Tchad n'est pas seulement
l'oeuvre de Sao et de L'Harmattan. SEDIA, le CEFOD, le CNAR et Al-Mouna, etc.
reçoivent et publient des oeuvres estimées à un livre par
an par centre : soit plus de quatre oeuvre par an. Mais pour une question de
rationalité et de fiabilité d'informations, nous n'avons
considéré que les informations publiées.
Toute cette prolifération, ce flux de productions
littéraires est à mettre à l'actif de la démocratie
et de la prospérité économique
générée par l'exploitation du pétrole. En 2002, on
apprend que « le projet apportera au Tchad des retombés
économiques allant de 2.5 à 8.5 milliards de dollars pour la
durée prévue durant la durée de vie du projet
estimée entre 25 et 30 ans » (Bérilingar, in Collectif,
2002 : 131), soit une production de 224 000 baril par jour.
Trois ans après cette estimation, le Tchad a
encaissé plus que prévu. La littérature fera davantage,
dans la mesure où les jeunes ont la facilité d'avoir des emplois
et de pouvoir se faire publier à l'extérieur comme à
l'extérieur du Tchad. La bibliographie du Fonds-Tchad en
Littérature, dont nous faisions allusion, présente 21 romans, 10
nouvelles et 4 autobiographies publiés pendant la période 2000
-2010. Dans son anthologie, Bourdette-Donon a recensé des nombreux
textes inédits rédigés après 2000. Tout ceci porte
à croire que la production va crescendo.
58
3. Les réalités culturelles
L'ethnie, l'oralité et la démocratie sont des
réalités culturelles qui méritent d'être comprises
du point de vue de leur influence sur la littérature. Le Tchad est une
juxtaposition d'une centaine de langues et d'ethnies distinctes les unes des
autres. Chaque groupe ethnique a une base foncière et territoriale fixe,
une culture et des institutions traditionnelles. Nous avons fait allusion aux
royaumes baguirmiens, ouaddéens, aux regroupements sociopolitiques au
Kanem, au Mayo-kebbi, etc. qui ont leurs manières de vivre et de faire
différentes les unes des autres. Cette dissimilitude mérite
d'être étudiée pour combattre l'extrémisme et
prôner l'unité dans la diversité. Escarpit disant que
« Le mode de diffusion le plus primitif est le bouche à
oreille. C'est lui qui exige le moins d'initiative à la
réception» (Escarpit, 1970 : 19) reconnait également
qu'il est un élément culturel qui empêche la culture de
l'imprimé dans les pays à tradition orale. Nous le
démontrerons. La littérature étant, selon les termes de
Madame de Staël, « l'expression de la société »,
celle du Tchad est marquée par l'ère de la démocratie,
tant dans ses conditions de production que dans les thèmes
développés.
3.1 La diversité ethnique
Le Dictionnaire de l'Ethnologie et de l'Anthropologie
définit l'ethnie comme : « un ensemble linguistique,
culturel et territorial d'une certaine taille. Entérite discrète
dotée d'une culture, d'une langue et d'une psychologie
spécifiques» (Bonté et al, 2008 :247). Dans notre
travail, le mot « ethnie » est l'équivalent de clan, race ou
tribu. Les tribus au Tchad se repoussent et s'acceptent par endroit. Il n'est
pas facile de faire la différence entre les conflagrations
linguistiques, ethniques, religieuses et tribales qui participent toutes
à diviser les enfants du Tchad. La conséquence, cependant, sur le
plan religion et social est visible : l'apparition des lieux de culte et
d'associations ethniques. Cette séparation implique des problèmes
qu'il faut analyser et auxquels il faut prévoir des solutions afin
d'éviter des grandes crises sociétales. Heureusement, aucune
culture, malgré le narcissisme culturel, n'a essayé d'imposer sa
domination aux autres ethnies.
Le groupe sara constitue 28% de la population totale et les
Arabes font 13%. Le premier groupe, majoritaire a eu la faveur politique et
administrative des dix-huit premières années de
l'indépendance et le dernier, tout le reste du temps, avec l'usage de sa
langue dans le domaine religieux et commercial (les cultes et les débats
religieux musulmans sont organisés en arabe tout comme l'achat et la
vente des produits sur les marchés nationaux). Mais d'une manière
officielle, aucune de ces entités n'a essayé de vouloir
ériger sa culture en
59
culture dominante. La richesse d'une littérature
nationale réside dans la diversité des cultures et des langues
d'écriture. Or au Tchad, l'exercice du pouvoir a favorisé
quelques ethnies au détriment des autres. Dans ce cas, les horizons
d'attentes de l'écrivain francophone tchadien se trouvent
limités.
Le découpage arbitraire colonial a créé
des minorités et des majorités dans les divisions
administratives. Le tribalisme est renforcé par la division par
chefferies traditionnelles conservée. Et, il y a une erreur dans la
répartition de la mosaïque d'ethnies. Des 250 ethnies
enregistrées au Recensement Général de 1993, le «
sara » et l' « arabe » sont loin d'être des pôles
ethniques majoritaires pour représenter respectivement le Sud et le Nord
du pays. Malheureusement, on appelle d'une manière péjorative les
populations du Sud des sudistes ou saras et celles du Nord des nordistes ou
arabes. À côté de cette erreur qui ne favorise pas
l'unité, il y a un problème d'insertion des tribus dites
étrangères. Haoussa, Bornou, Peuls, etc., groupes ethniques qui
existent au Tchad bien avant la proclamation de la République, en 1958
sont quelques fois accusés d'être étrangers, malgré
leur long séjour au pays et leur participation à la construction
de l'État-nation. Pour prôner l'unité et la
solidarité, le juriste tchadien Mahamat-Seid Abazène
martèle qu'il est bien vrai que « la terre appartient aux
premiers occupants, mais faudrait-il qu'ils aient occupé toute la terre.
La terre vacante qui est sans maître peut valablement être
occupée par un autre» (Abazène, in Collectif, 2002
:37)
Ces erreurs conduisent inévitablement à la
discrimination22et au tribalisme23 qui n'ont pas
manqué d'être critiqués. Dans l'un de ses rapports sur la
discrimination, Félix Eboué affirme : « Les habitants du
Kanem, du Batha et du Ouaddaï se considèrent comme d'essence
supérieure aux Sar[a]s, Bananas, Baguirmiens et Hadjaraï»
(Éboué cité par Boudjedra, 1992 :10). Ce constat est
repris par Buijtenhuijs qui préfère sonner la cloche d'alarme
contre la discrimination en ces termes : « Au Tchad, il y a une partie
qui paie l'impôt et il y a une partie qui ne paie pas, et c'est dans
celle-ci qu'on construit des écoles, des écoles qui restent
malheureusement vides ou abritent des animaux f...] Les Tchadiens doivent mener
une lutte de libération intérieure pour ne pas être
esclaves d'autres Tchadiens» (Buijtenhuijs, 1998: 150). Beyem
Roné, dans la même logique constate que les orchestres
composés des jeunes du Sud chantent en arabe dialectal, pour une large
audience, mais leurs chansons ne passent
22 Tendance à distinguer et à favoriser
un groupe ethnique au détriment d'autres
23 L'organisation de la vie publique avec pour base la
tribu
60
presque pas aux tranches d'heures destinées à la
communauté arabo-musulmane. Il reconnaît aussi qu'« aucun
musicien du Nord n'utilise les langues du Sud» (Beyem, 2000 : 204).
C'est le melting pot national qui prend ainsi le coup. Les
écrivains doivent, à cet effet, disposer de témoignages
concordants pour exposer ce phénomène au grand jour.
Le tribalisme comporte des risques certains pour la
stabilité sociopolitique. La majorité des tenants du pouvoir ont
formé une solidarité ethnique. Rappelons que Tombalbaye (Sara
madjingaye) « a sélectionné pour gérer
l'État principalement des ressortissants de sa région
natale» (Varsia, 1994 : 18), que sous Habré (Gorane),
« les Goranes prennent le pouvoir et l'exercent sur des bases
véritablement ethniques » (Benodjita, 1997 : 49) et que et
sous Déby (Zaghawa) « les membres du MPS pratiquent le pillage
ou encore sèment la panique en sillonnant spécialement les
quartiers de Sara Moursal» (Varsia, 1994 : 69-70). Malloum (Mbaye) et
Goukouni (Toubou) ont privilégié leurs proches. Le pouvoir
était devenu selon Beyem « un instrument de promotion
politique, économique et sociale des ressortissants de l'ethnie du chef
de l'État. Et c'est cela le tribalisme» (Beyem, 2000 : 238).
D'une manière instinctive, ces autorités ont cru que leur
sécurité, leurs secrets et leurs biens ne peuvent être bien
gardés que par les leurs. Ainsi, la notion de « nation »
devient vaine. Le Tchad ne devient qu'une constellation d'ethnies qui
cohabitent sans partage.
La diversité ethnique en soi n'est pas un mal. Mais,
quand chaque groupe abuse des services de l'État au profit de ses
membres, au su et au vu des autres groupes, il y a lieu de dénoncer,
d'écrire pour arrêter. Les ethnies tchadiennes présentent
des caractéristiques communes dans le domaine de langues, des us et
coutumes et de la gestion du terroir. Leur harmonisation et leur «
dissolution » dans la solidarité nationale peuvent faciliter la
mise sur pied d'une nation unifiée au sens propre du terme. Pour Dubois
(1978), un peuple doit digérer les apports culturels
hétérogènes et forger un corpus homogène
imprégné d'une vision nationale uniforme.
Le système éducatif, le commerce et la religion
sont les issues exploitables par les écrivains qui ont le désir
de véhiculer des messages de solidarité dans leurs oeuvres.
3.2 La culture de l'oralité
Le dictionnaire du littéraire définit
l'oralité comme « un modèle de communication
fondé sur la parole humaine et sans autre moyen de conservation que la
mémoire individuelle. Par extension, l'oralité désigne ce
qui, dans le texte écrit témoigne de la parole et de la tradition
orale» (Aron et al., 2002: 410). Le même dictionnaire
définit la culture
61
comme « l'ensemble des systèmes symbolique
transmissible dans et par une collectivité quelle qu'elle soit, les
sociétés primitives y comprise » (Aron et al., 2002
:129).
Ainsi la culture de l'oralité est un ensemble de
valeurs et de connaissances transmises de bouche à oreille susceptibles
de changer dans le temps et dans l'espace faute de moyens collectifs de
conservation. La mémoire individuelle est renforcée dans sa
tâche de rétention d'informations par une instance populaire: la
palabre. Ce mot vient de l'espagnol « palabra » et a
ironiquement, selon Mamadou Bella, le sens de « parole, conversation
longue et oiseuse» (Mamadou, 2008 :64). Pour ce dernier, cette
définition prend sa source dans la conception européenne selon
laquelle la parole africaine est bavardage. En vérité, le concept
a toute une autre signification en Afrique. Et il ajoute : « On
pourrait définir la palabre comme une discussion qui permet d'aboutir
à un consensus ou comme un mouvement qui arrête la violence
après une discussion vive » (Mamadou, 2008 : 64). L'arbre
à palabre, lieu de la sagesse et de formation est un tribunal coutumier
par excellence et non un lieu de bavardage.
Au Tchad, il y a des palabres « iréniques »
qui sont tenues en dehors de tout conflit, à l'occasion de mariage,
vente, prise de décisions et des palabres « agnostiques » qui
font suite à un différend, pour reprendre les termes de Jacques
Famé (1985). Il est à déplorer la perte de ces
informations et la volonté de continuer à les garder dans une
mémoire individuelle, corruptible et mortelle. Les Tchadiens
préfèrent parler, « palabrer », « discourir »
et non écrire. Ceci est un facteur défavorable pour
l'émergence de la littérature écrite. Il est aussi une
réponse à notre hypothèse de départ. Depuis
l'indépendance, la littérature tchadienne écrite
d'expression française ne compte qu'une demi-centaine de textes et de
surcroit publiés à l'extérieur parce que les Tchadiens
n'ont pas la culture de l'écriture. Notre fiche de questionnaire donne
70% de jeunes qui n'écrivent pas par manque d'inspiration pourtant l'un
d'entre eux reconnaît avoir à son actif une trentaine de contes
sur le thème de la famine. Celui-ci ignore la puissance et le rôle
du verbe qu'il y a en lui. Il aurait pu publier ces textes oraux s'il n'a pas
à écrire « pour rendre compte du chaos et
dénoncer l'aliénation dont le peuple est victime»
(Bourdette-Donon, 2000 : 171) comme l'on fait d'autres. Le fait que les
maisons d'édition indépendantes soient rares au pays est
évoqué comme un élément qui pousse au silence.
C'est pour cela que « de centaines de manuscrits dorment sous
l'oreiller de centaines d'écrivains potentiels ou accomplis »
(Koulsy, in Collectif, 2009 : 49).
Il y a dans le système éducatif traditionnel des
éléments qui n'émulent pas la production écrite.
Dans ce système, la formation est orale. La famille et la
communauté sont les seules institutions d'encadrement. Selon les textes
oraux, l'enfant idéal est celui qui
62
respecte les grandes personnes, rend service, « retient
sa langue », ne parle pas avant les éminentes personnes, moins
curieux, pas agressif et querelleur. B. Roné avoue que la tradition vise
ces résultats par un support oral : la parole. Pour lui, de nombreux
contes magnifient l'enfant loyal et montrent que celui-ci s'en sort toujours,
même dans les situations les plus enchevêtrées. Les hommes
et les dieux veillent sur lui. Roné ajoute qu'il est
appelé « à vivre très longtemps, alors que pour
un enfant de caractère, rien ne peut être facile dans la vie : il
doit à chaque pas, subir les pires vicissitudes de la vie, pour un jour,
terminer de manière dramatique, avec une durée de vie la plus
courte possible. (Beyem, 2000 : 320). Dans le cas d'espèce,
l'enfant est formé à l'obéissance. La curiosité, la
turbulence, la timidité et la témérité font partie
d'une ribambelle d'interdits liés à la mort et à la
religion. Avant l'initiation,24 l'enfant est écarté,
en cas de prise de décisions suite à un problème
sérieux. Il trouve sa place auprès de sa mère, à la
cuisine, à en croire A. Clair (1986). Cette formation qui est
basée sur la discrétion et le respect des grands n'est pas
favorable pour l'inspiration à l'écriture. Elle musèle les
enfants et les pousse à la jouissance, à la recréation et
à l'alcoolisme avant l'âge dit « de la sagesse ». Dans
un tel contexte, la littérature écrite ne peut être que
l'apanage des adultes, des vieillards. Or, ceux-ci, de tradition orale, n'ont
pas cette culture. La littérature tchadienne pour s'implanter d'une
manière dynamique doit cultiver, par le biais des décideurs
politiques et éducatifs la culture de l'écriture. Ceux-ci
jetteront un pont entre l'oralité et l'écriture, grâce
à l'école.
Inscrire la littérature, les oeuvres littéraires
dans une perspective des textes oraux légués par la tradition est
une autre richesse intarissable. Nous pensons à la manière
d'insérer les éléments de l'oralité dans les
oeuvres de la littérature écrite comme le fait Ahmadou Kourouma
(les répétitions, les accumulations, les intrusions de l'auteur -
comme celles du conteur au cours des veillées -, l'emploi des proverbes
et les tournures grammaticales qui associent l'africanisme au français).
De tous ce qui précède, si les écoles et les parents
d'élèves ne réussissent pas à valoriser les
produits de l'imprimé, la littérature restera longtemps une
activité élitiste au Tchad.
24 L'initiation est une école
gérontocratique qui se passe en brousse pendant au moins trois mois et
destinée uniquement aux garçons de plus de douze ans et dont le
contenu varie d'un groupe ethnique à un autre.
63
3.3 La démocratie et l'éducation à la
citoyenneté
La démocratie, cette notion qui est un «
régime politique que l'Aristocrate Clisthène établie pour
la première fois durablement en 508 avant Jésus Christ dans
l'État-cité grecque d'Athènes» (Dumn, 1993: 77)
est d'une récente acquisition en Afrique. Elle signifie selon Michalon,
une identification totale entre le gouvernant et les gouvernés. Puisque
les citoyens choisissent parmi eux leurs gouvernants, contrairement à la
dictature où il est question de « la volonté
unilatérale d'un homme, d'un groupe d'hommes» (Michalon, 1984
: 44). La démocratie comme « organisation de la concurrence
pacifique en vue de l'exercice du pouvoir » (Aron et al., 1997: 36) a
vu le jour au Tchad, le 1er décembre 1990, avec
l'arrivée au pouvoir d'Idriss Déby : « je ne vous
apporte ni or, ni argent, mais la liberté, » (Masra et
Béral, 2008 : 77-78) dira-t-il dans son premier discours à la
nation. La démocratie est souvent utilisée à la place de
la liberté car les principes qu'elle véhicule sont relatifs
à la liberté. Nous faisons dans cette partie l'état des
lieux de la citoyenneté dans cette nouvelle « forme de vie
politique qui donne la plus grande liberté du plus grand nombre, qui
protège et reconnait la plus grande diversité possible»
(Tourain, 1994 : 25). Celle-ci est indispensable pour l'écriture.
Dans ce régime, il faut reconnaître le rôle non
négligeable de la liberté que peuvent avoir les citoyens de lire,
d'écrire et de parler. Le citoyen étant « titulaire
d'une parcelle de la souveraineté nationale » (Constant, 2000
: 27), il bénéficie de l'exercice des droits politiques et des
valeurs citoyennes. Fred Constant définit la citoyenneté comme
étant une sous-partie de la nationalité (laquelle désigne
pour Guillien le « lien juridique qui rattache une personne physique
à un État particulier » (Guillien et Vincent, 1988 :
333). Bana Barka reconnaît si bien l'importance de la liberté
d'expression : « L'institution de la liberté d'expression aura
pour conséquence directe l'atténuation, voire la disparition dans
certains secteurs, de la censure gouvernementale» (Bana, 2000 :
59).
Après plusieurs années de combat, de
déstabilisation des institutions familiales, sociales et publiques, la
valeur citoyenne de l'amour du pays est prêchée par les
politiciens, les musiciens et les enseignants pour orienter les Tchadiens vers
l'unité et le civisme, l'altérité,
etc. la littérature est le lieu de
culture citoyenne par excellence. Les écrivains prônent
l'unité, le mariage Nord-Sud et Chrétien-Musulman. Il est vrai
que les Tchadiens vivent une crise de citoyenneté aigüe qui
transparait dans leur comportement et leur mode de vie. Cependant, des efforts
sont déployés pour la vulgarisation des valeurs citoyennes tant
du côté de l'État que de la société civile.
Vu que la démocratie est une pratique récente qui laisse
progressivement de places aux champs littéraire et culturel, nous
n'évoquons dans ce travail
64
que la présence des institutions publiques et
parapubliques oeuvrant pour la mise en place d'un processus qui va être
utile pour l'institutionnalisation de la littérature. Il reste à
savoir que la démocratisation ne doit pas seulement s'appliquer aux
institutions, mais aussi aux pratiques de la gestion quotidienne de la
société, de la communication et de la culture comme l'envisage
N'Gangbet : « l'authenticité de la démocratie en Afrique
doit résider dans la reconnaissance indiscutable et effective des droits
de l'Homme et surtout à la renonciation à toute différence
basée sur la race, l'ethnie, la religion, la culture, le sexe et la
langue» (Kosnaye, 1993 : 178)
Depuis 2004 est créé le ministère
chargé du contrôle de l'État et de la moralisation de la
vie publique. Ce ministère cultive chez les Tchadiens les sentiments de
défense de l'intérêt public et de protection des biens
publics, sensibilise sur de valeurs citoyennes et donne une piste d'inspiration
aux écrivains. Les leaders religieux participent également dans
cette tâche de la formation des citoyens tchadiens. Le ministère
a, grâce au concours du CNC, réalisé un ouvrage
d'instruction civique pour le cours élémentaire. Ce manuel
développe le sens de l'intérêt général, le
respect de la loi, l'amour de la patrie. On y trouve les règles de la
vie démocratiques et leurs fondements. De concert, les organisations de
la société civile (associations, syndicats, organisations, etc.)
oeuvrent pour l'éducation citoyenne. Les associations de droits de
l'Homme ont vulgarisé des textes sur les droits et les devoirs du
citoyen. Elles assistent les justiciables et accordent une attention
particulière aux couches vulnérables: femmes et enfants. C'est le
cas de CELIAF, ATPDH, AFJT, APLFT, etc. Les syndicats forment les employeurs et
les salariés sur leurs droits et obligations. Une fois
l'éducation de base reçue dans la cellule familiale et scolaire,
une idée sur la valeur citoyenne obtenue, le citoyen peut
bénéficier aisément de l'exercice des droits politiques.
La violence, les comportements déviants et les clivages seront
atténués et l'effort de la littérature pour la
cohésion sociale, la solidarité nationale sera un acquis. Le
balisage de cette notion de citoyen dans un État de droit n'a pas pris
en compte les manquements existants : vols, viol, pillages,
détournements, injustice, etc. Nous estimons que la jeune
démocratie tchadienne, une fois rendue dynamique, les écrivains
produiront de textes. C'est pour cette raison que la démocratie est un
atout pour la production littéraire et la paix qui conditionne la
consommation du livre.
65
Nous avons démontré dans ce chapitre que les
conflits armés, l'analphabétisme et la corruption sont des
facteurs qui ont freinés l'épanouissement de la
littérature. Selon le RGPH de 1993, les mamelles de l'économie
nationale, l'agriculture et l'élevage sont pratiqués en zones
rurales où l'analphabétisme est à plus de 80%. Cela n'est
pas de nature à favoriser la création et la diffusion des oeuvres
littéraires.
Le Tchad compte plusieurs ethnies qui s'affrontent et se
rejettent mais toutes préfèrent garder leurs histoires, leurs
exploits et leurs idéologies par la transmission de bouche à
oreille. Et de toutes les façons, les langues nationales, comme le
démontre Elsa Schifano (2003), restent toujours orales, puis qu'elles ne
sont rarement enseignées à l'école.
Le résultat qui nous satisfait est
l'amélioration de la situation socio-économique et culturelle du
pays. La guerre, à en croire les hommes politiques et militaires, est
maîtrisable par un processus national de paix et de
réconciliation. Depuis 2000, le gouvernement a fait de la scolarisation
gratuite et de la lutte contre la corruption ses priorités.
Hélas, « les auteurs ont par conséquent eux-mêmes
un rapport éminemment oral avec leur langues nationale et sont des
analphabètes dans leur propre langue » (Schifano, 2003 : 56).
Le boom pétrolier a permis un flux de production littéraire dans
des instances locales, ce qui veut dire que les membres de ces multiples
ethnies tchadiennes ont vu la nécessité de se faire
connaître par le livre. D'ailleurs, le processus de
démocratisation favorise la mise sur pied des instances politiques,
économiques et culturelles favorables à l'écriture et
à l'éducation citoyenne. Le contexte de production étant
connu, il reste à étudier tout ce qui a conditionné la
production littéraire.
Cette première partie a dressé un tableau
favorable à la réalisation des activités
littéraires malgré quelques insuffisances qui pourront être
revues et corrigées par les acteurs du champ littéraire. D'une
situation politique stable avant les indépendances, le Tchad est
arrivé à l'ère de la démocratie, laissant
derrière lui un passé instable fait de troubles
politico-militaires défavorables à l'institution d'une
littérature nationale.
S'agissant des domaines socioéconomique et culturel,
l'étude a démontré que de la situation de crises sociales,
économiques et culturelles de départ, le Tchad tend vers une
amélioration. Nous avons découvert ce qui a freiné
l'épanouissement de la littérature tchadienne d'expression
française écrite : instabilité politique, crises sociales,
économiques et culturelles. Ce résultat nous permet de rechercher
dans la deuxième partie, les éléments propulseurs de cette
littérature.
66
DEUXIÈME PARTIE : CONDITIONS DE PRODUCTION DE
LA LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE D'EXPRESSION
FRANÇAISE
67
Plusieurs facteurs conditionnent la littérature
nationale : la production de l'ancien colonisateur avec pour ancrage
référentiel le pays, les événements
littéraires, historiques et associatifs, la formation des
écrivains et leurs distinctions, etc.
Salaka parle de la littérature nationale en termes de
centre et de périphérie. Cela se justifie par les conditions de
production de la littérature. L'émergence est toujours
conditionnée par la dépendance des périphéries au
centre, la capitale du pays concerné ou celle du pays de l'ancien
colonisateur. Elle est aussi conditionnée par le discours de celui-ci.
Il y a un lien entre l'histoire d'une nation et la constitution de son champ
littéraire. C'est la dépendance originelle de la
littérature à l'égard de la nation-mère qui
explique cet état de chose. Le nationalisme africain a, selon lui,
développé progressivement une volonté et une fierté
d'appartenir à un pays :
En effet, le renforcement de l'indépendance de
chaque pays africain s'est accompagné d'une volonté d'affirmation
sur le sur le plan culturel; la littérature a un rôle à y
jouer comme facteur d'identification et participe à ce que nous avons
appelé « lutte patriote » des Africains » (Salaka,
2003 : 4).
Il ajoute qu'« il n'est pas étonnant que cette
évolution politique va (sic) avoir des conséquences durables sur
l'histoire littérature du pays» (Salaka, 2003 : 61).
Pour le cas tchadien, il y a d'une part, les facteurs
littéraires et historiques (les écrits des Blancs ayant
séjourné au pays, les événements festifs,
associatifs et honorifiques) qui ont été des atouts et d'autre
part, les facteurs linguistiques (diversité, bilinguisme mythique,
difficulté d'intercommunication), religieux (conflits entre les
religions révélées : le Christianisme et l'Islam) et
culturels (la difficulté d'asseoir une culture et une littérature
nationales avec les diversités culturelles concurrentes) qui
apparaissent comme des obstacles à surmonter pour la richesse de la
littérature nationale.
68
Chapitre 3 : Les facteurs littéraires et
historiques
L'émergence d'une littérature dans un contexte
postcolonial pose non seulement « un problème de ses rapports
avec la littérature du pays colonisateur, mais aussi celui du cadre
institutionnel dans lequel elle va se développer» (Salaka,
2003 : 4). C'est pour cela qu'il est préférable de voir les
pensées développées par quelques Français ayant
vécu au Tchad afin de dire en quoi ils ont influencé (ou non) les
écrivains tchadiens. Le champ littéraire étant «
un espace de concurrence dans lequel s'affrontent pour avoir un profit
matériel et/ou symbolique, des producteurs dont les positions, à
un moment donné de l'histoire du champ, dépendent à la
fois de leurs dispositions initiales et de la permanence de leur prise de
position» (Mouralis, 2001 : 50). Cette notion devient
réellement opératoire qu'à partir du moment où ce
champ devient autonome par rapport aux champs politique et économique.
Les associations, les concours, les représentations et les prix auxquels
une étude est consacrée sont les conséquences de cette
indépendance. Les problèmes linguistique, religieux et culturel
sont au contraire des éléments externes au champ
littéraire mais qui méritent d'être analysés parce
que selon leur appréhension, ils influencent aussi négativement
que positivement la production littéraire.
1. Les écrits du colonisateur sur le
Tchad.
Les Blancs ont plusieurs visées quand ils entreprennent
des voyages ou des longs séjours en Afrique : l'exploitation des riches
au profit de leurs pays d'origine, l'instruction des Noirs,
l'évangélisation, l'assistance militaire et technique, le
tourisme, etc. Expatriés, en contact avec l'Afrique, ils ont une
formation ou une prédisposition leur permettant de s'intégrer
dans un domaine par plaisir personnel ou en respectant l'ordre de leurs
supérieurs hiérarchiques. Ceci est une piste de recherche en ce
qui concerne les écrits coloniaux. Au début du 19e
siècle, l'esprit colonialiste de la 3e République
française ont fait du Noir un « vrai sauvage », un primitif,
un barbare. Malgré cela, le contact du colon avec l'indigène
produira en lui un esprit d'altérité. Vera-t-il devant lui un
autre Moi, bon à découvrir. C'est pour cela que le
XXe siècle marquera un regain d'intérêt et de
curiosité pour les peuples et les civilisateurs exotiques. Le
zèle colonial apostolique et militaire poussera les européens
à produire des oeuvres classées dans les lignages de la
littérature coloniale, de l'exotisme. Pour Jacques Chevrier :
69
Le héros romanesque de toutes ces oeuvres est le
soldat français exilé, dont la présence n'est le plus
souvent qu'un prétexte permettant de dévoiler le monde malsain de
la colonie où cohabitent sur un fond différencié de
misère indigène, toute une faune de déclassés et
d'aventuriers déchus par l'action conjuguée de l'alcool, de la
drogue et des femmes. (Chevrier, 1984 : 17)
Dans cette logique s'inscrivent également les textes de
: Ernest Psichari (Terres de soleil et de sommeil), Maurice Delafosse
(L'âme nègre), André Gide (Voyage au Congo et
Le Retour au Tchad), Michel Leiris (L'Afrique fantôme),
Victor Segelen (Immémoriaux), Albert Londres (Terre
d'ébènes), sans oublier ceux de Joseph Conrad et de
François Céline. Ces oeuvres ont inspiré les premiers
écrivains africains. De même, au Tchad, il y a une
littérature coloniale publiée en France, fruit des séjours
des occidentaux au pays dans le cadre de l'armée, de la religion
chrétienne et des voyages d'aventure et de stage pour le ministre des
colonies. Ces oeuvres que nous regroupons ici en trois catégories ont
permis aux Tchadiens de savoir qu'il est aisé d'écrire des textes
littéraires avec pour ancrages référentiels son propre
pays. Dans ce cas, l'existence des écrits d'auteurs venant d'ailleurs
est un facteur non négligeable à la connaissance de la
genèse de la littérature tchadienne écrite d'expression
française et au choix de Paris comme ville d'édition.
1.1 Les écrits à caractère
pédagogique et spirituel
L'instruction et l'oeuvre pastorale sont une forme d'humanisme
de la part des Blancs qui, dans le cadre de la coopération,
décident de mettre leur connaissance académique et religieuse
à la disposition du Noir.
Andrée Clair25 s'installe à Bongor au
Tchad, après le Congo Brazzaville. Ses oeuvres Moudaïna
(Dakar-Paris, NÉA-ÉDICEF, 1986) et Tchinda, la soeur de
Moudaïna (Dakar-Paris, NÉA-ÉDICEF, 1988) sont des
romans de formation, tout comme Ursu, l'enfant de la brousse (Paris,
Alsatia, 1961) du père Gabriel Rey, écrit un temps bien avant.
Moudaïna et Ursu, les protagonistes sont deux jeunes Massa26
qui ont suivi l'initiation et l'école nouvelle, et espèrent
à une profession d'enseignant ou de médecin. Clair, enseignante
et Gabriel Rey,
25 Française, titulaire d'une licence
ès-lettres spécialisée en sciences humaines et professeur
de lycée.
26 Ethnie majoritairement installée au
Mayo-kebbi, au Sud du Tchad.
70
prêtre (alias Buna Valamu) donnent, chacun dans son
oeuvre, sa vision du monde. Moudaïna, le roman réaliste de
A. Clair est construit autour d'une intrigue simple : en 1945, au Tchad,
à Bongor, un enfant de 9 ans vit heureux, avec pour activités
quotidiennes la pêche, la chasse et l'école. Madame Libert vient
au collège comme professeur avec sa fille Hélène, qui sera
amie à Moudaïna. D'aventures en aventures, Clair a voulu montrer
dans son livre « que les gens, à travers le monde, quelles que
soient leurs différences ont tant de ressemblances... »
(Clair, 1986 : préface). La preuve est que Moudaïna, le fils
de Tchouka et de Sounigué vit dans une famille avec Yassedi, son
aînée, ses petits frères Soudsia et Tchaidoum et sa petite
soeur Tchinda. L'auteur décrit la vie et les activités des Massa
: la pêche, la chasse, l'agriculture, l'élevage, l'habitat et le
ménage. Son personnage Hélène admire « les femmes
Peules [...], les jolies Arabes [...], les femmes Saras [...], les Hohos [...],
les femmes Massas, etc.» (Clair, 1986 :36).Elle regarde aussi les
hommes : « Les Musulmans [...], les Massas [...], les fonctionnaires
etc.» (Clair, 1986 :36). Moudaïna, quant à lui est
embarrassé. Après l'initiation il reçoit des instructions
: « Ne parle jamais du laba à ceux qui ne sont pas
initiés. Si tu en parles, tu mourras. Ceux qui ne sont pas
initiés [...], les fillettes, les jeunes garçons, les femmes, les
Blancs.» (Clair, 1986 : 76). C'est la discrétion. Pour que
Moudaïna puisse devenir docteur, l'auteure donne une visée
pédagogique à son livre : « Il n'y a pas d'écoles
en Afrique. Trop d'enfants y restent illettrés. Mme Libert se jure en
elle-même qu'elle fera tout son possible pour que Moudaïna ne le
reste pas» (Clair, 1986 : 61).
Pour finir avec l'instruction reçue par les Massas,
Clair choisit d'écrire Tchinda, la petite soeur de
Moudaïna. Ce sont les aventures (voyages, tornades, apparition de
lions, fuites devant un rhinocéros, naufrage, etc.) qui donnent un
caractère exotique a ce roman. Tchinda est l'histoire d'une
famille heureuse en pays massa, au moment où le modernisme n'a pas
encore ébranlé les traditions. C'est la continuité de
l'histoire du collégien Moudaïna. La fillette éponyme
s'occupe de ses frères et observe avec attention les activités
féminines qui seront les siennes un jour à l'autre. Elle est
passionnée par la chasse, la pêche et les soins que sa mère
accorde aux animaux. En somme, les Massas sont un peuple comme les autres au
centre de l'Afrique. Ils ne sont pas, selon Clair, si sauvages pour être
colonisés et civilisés.
Buna Valamu est ému dès sa dédicace
à sa mère, qui lui dit toujours : « Il ne faut
mépriser personne. L'humble haillon peut cacher un coeur d'or.»
(Valamu, 1961 : dédicace). Les réalités africaines
sont chantées à travers les épisodes d'Ursu, fils de
Figaussou : palabres, querelles, garde de chèvres ou des boeufs,
tornade, initiation, etc. La représentation humaniste
71
se lit ainsi dès la dédicace, où Buna
ajoute en reproduisant le point de vue de l'un de ses amis du Centre de
l'Afrique, à qui il dédie le texte en second lieu :
Des blancs qui entrent en contact avec notre race, les uns
jugent au premier coup d'oeil, ils disent .
· « - Les sauvage !
Ils vivent nus.» d'autres nous regardent et disent, avec condescendance
qui se voudrait paternelle .
· «- Ce sont des enfants» Enfin
quelques-uns, mais, rares se taisent d'abord et, lorsqu'ils ont vécu
près de nous et avec nous, et parce qu'ils nous aiment, pensent et,
quelques fois disent .
· «-
Ce sont des hommes comme tous les hommes ; ils valent
autant que quiconque.» (Valamu, 1961 : dédicace)
Buna Valamu est de ceux qui estiment que les Noirs sont des
« hommes comme tous les hommes », malgré sa lutte sans cesse
contre le paganisme ancestral. À force d'observer Ursu, Buna, le
missionnaire, l'a recréé avec une philosophie nouvelle, celle de
l'humanisme, de l'admiration et de l'intelligence des « sauvages ».
À travers sa vie, l'auteur donne à lire une information
suffisante sur la vie du peuple autochtone massa : la famille, l'agriculture,
la dot, les rites et coutumes, etc. La garde des troupeaux, la qualité
thérapeutique de la médecine traditionnelle que le médecin
admire « ils ont parfois d'excellents remèdes [...] ce
répulsif a sauvé la vie de l'enfant » (Valamu, 1961 :
33) et la maîtrise des travaux physiques sont des acquis pour le
protagoniste. Le ménage, la garde des chèvres, voici une
formation complète et ordonnée pour tous les Ursu du monde massa.
La profession fixe du jeune survient après l'initiation. C'est à
ce peuple « civilisé » que le missionnaire Buna a affaire pour
l'évangile du salut. Ce schéma éducatif traditionnel
exclut l'idée de la sauvagerie africaine.
Dans cette logique s'inscrivent les oeuvres de Marie Christine
Koundja et de Haggar qui prônent l'unité, la solidarité et
l'amour du prochain. Ces derniers donnent leur vision de la formation et de la
religion au Tchad comme l'ont fait Clair et Buna. Un peu avant eux, Bangui a
décrit d'une manière autobiographique la formation de l'enfant
dans Les Ombres des Kôh.
1.2 Les écrits à caractère
militaire
La chasse civile et militaire constitue une occasion pour les
militaires occidentaux de peindre leurs aventures par le biais de la fiction.
L'écriture devient pour ces derniers une sorte d'exutoire, de
distraction pendant les factions. La narration des histoires de guerres et de
protection des populations constitue un très bon ensemble
d'écriture de l'espionnage et de la chasse civile ou
guerrière.
72
La faune par sa diversité intéresse les
européens sur le sol africain, qu'ils soient militaires ou civils
d'autant plus que la protection des animaux n'est pas l'affaire d'État
sous ce soleil en période coloniale. Le roman de Nimir de Louis
Courtek (Paris, Dauphin, 1951), Mirages au Tchad de Germain Chambost
(Paris, Jean Picollec, 1991), Rush sur Faya de Baudouin Chailley
(Paris, Fleuve-Noir, Espionnage, 1990) et La Citadelle du désert
de Jean Bourdier (Paris, Presses de la cité, 1986) illustrent cet
état de chose.
Louis Courtek est un colonel qui a la chance de
découvrir l'Afrique dans ce qu'elle a de plus grandiose et de plus
captivant, la brousse et parmi toutes les brousses l'une des plus sympathiques
: celle du Tchad. Le roman de Nimir : panthère du Tchad
rapporte ses observations, ses aventures. L'auteur signale que cela s'est
passé à l'époque où les allemands firent leur
passage. Mais laisse-t-il de côté la guerre : « J'ai
estimé cependant que les choses de la nature étaient trop belles,
trop pures pour y mêler l'histoire de la folie des hommes. Que le lecteur
ne s'étonne pas si je n'ai pratiquement pas parlé de la guerre :
c'est un oubli volontaire » (Courtek, 1951 :10). Tout au long du
livre, girafes, gazelle, dama, antilopes, panthères, oryx,
phacochères côtoient les villageois, les distraient, les animent,
les surprennent, les écoeurent, mais l'image de la panthère reste
fascinante, amicale et nostalgique aux yeux de l'écrivain vu le titre et
le contenu de l'oeuvre. Le roman se ferme sur un adieu à Nimir
(Panthère en arabe) : « Pressons-nous! Ces moments-là,
comme tous les moments d'adieux doivent être écourtés le
plus possible [...] Adieu Nimir, à jamais ! » (Courtek, 1951 :
170-171)
A côté de cette description civile, Chambost,
Bourdier et Baudouin adjoignent un objectif militaire.
Germain Chambost est un ancien pilote militaire, grand
reporter au Sud-ouest et président de l'association des
journalistes de l'aéronautique et de l'espace. Étant membre de
l'académie nationale de l'air et de l'espace, il écrit
Mirages au Tchad. Il s'agit de quatre pilotes qui font la guerre au
Tchad, montant des factions avec pour mission : empêcher l'invasion
libyenne au Tchad. Ils attendent l'adversaire tout en obéissant aux
ordres militaires et politiques. Sous ce lainage militaire, l'auteur ne laisse
pas de côté les jeux de l'amour, les états d'âmes et
les sentiments des pilotes. Ces éléments « donnent envie
à l'homme blanc de quitter ses oripeaux de civilisé »
(Chambost, 1991 : 10). Le texte se ferme sur une déception
française lors d'une fête. À cause d'Isabelle, la
dulcinée de Laurent, l'un des pilotes, le Général
président vocifère : « ce soi, nous, nous réglons
nos affaires d'hommes à l'homme»
73
(Chambost, 1991 : 190). Est-ce cela qui est à l'origine
du départ annoncé de l'armée française dans le
texte ? Rien ne le dit. Mais, cela a inspiré Chambost pour
l'écriture du roman.
Jean Bourdier est journaliste écrivain, auteur de
plusieurs autres ouvrages d'histoires militaires contemporaines. Dans La
citadelle du désert, il est question de la pacification du
territoire militaire du Tchad après sa conquête en 1906. Si Samory
et Rabah ont été vaincus, d'autres conquérants peuvent se
préparer pour la relève. Le personnage de Laurent Boutier en est
convaincu. Cette folle aventure qu'il engage au nom de l'honneur, en allant
monter faction dans une citadelle à Bouaké au Borkou, au Nord du
Tchad manquera de lui coûter sa carrière, sa vie, mais lui fera
aussi connaître des amours inattendues.
Dans cet élan réaliste, Baudouin Chailley
écrit un roman d'espionnage : Rush sur Faya. Ce texte secret
présente des faits réels qui se déroulent en 1988 au
Tchad, lit-on à la quatrième de couverture. Après Faya
Largeau, les forces libyennes ont perdu un matériel considérable
et plusieurs « conseillers » soviétiques se trouvent en
fastidieuses postures. Montclar, agent du Service « Action »
réussira-t-il à exfiltrer un de ces « conseillers »
avant qu'il ne soit capturé par les forces tchadiennes ? Telle est la
question qui trouve sa réponse dans le roman.
Les multiples guerres ont poussé les auteurs tchadiens
à maîtriser ce langage militaire pour décrire les
événements. Nimrod, Moustapha, N'Djékéry et A.
Haggar se sont spécifiés en cela dans leurs oeuvres romanesques.
La chasse a également fait l'objet d'un traitement chez ceux-ci. J. B.
Seid, enfin a préféré des personnages animaliers pour
critiquer les moeurs.
1.3 Les écrits à caractère
exotique
La découverte et l'entreprenariat ont servi de motif
pour nombre d'européens ayant quitté leur pays. Les aventures de
ceux-ci sont accompagnées d'oeuvres de développement. L'Afrique,
et en particulier le Tchad a servi de lieu de loisirs, de découverte, de
stage et d'entreprenariat pour les citoyens français de la
période coloniale.
Au Tchad, Ivonne de Coppet et Michel Planchon se sont
penchés sur ces genres de voyages. Pour le Général
Marchand, le préfacier d'Au pays du Tchad d'Ivonne de Coppet,
« les jeunes lecteurs fermeront le livre avec la résolution de
traverser les mers pour connaitre notre plus grande France » (De
Coppet, 1931 : préface). Le roman retrace l'aventure de Fréderic
et de Diamantin qui embarquent pour le Tchad. Des pays, des peuples, des
animaux, le voyage d'exploration continue. Le texte énonce que toutes
les activités des
74
peuples autochtones intéressent les jeunes occidentaux
qui s'adonnent et parviennent à de bons rendements (ménage,
chasse, pêche, agriculture, etc.). De Fort-Archambault, actuel Sarh au
Lac-Tchad en passant par Fort-Lamy, actuel N'Djaména, les animaux
sauvages et aquatiques agrémentent les exploits des jeunes voyageurs.
Une fois à Paris, le Tchad est pour eux un pays à
découvrir dans ses multiples facettes, si on leur offre la chance d'y
revenir dans le cadre de la carrière coloniale : « Il[s]
parlai[en]t avec enthousiasme de cette Afrique si belle et si
mystérieuse dont il[s] avai[en]t déjà la nostalgie »
(De Coppet, 1931 : 180)
Dans L'arbre et le voyageur (Paris, Gallimard, 1962),
Michel Planchon retrace l'histoire d'un entrepreneur, propriétaire d'une
briqueterie à proximité de Fort-Lamy. En même temps
chasseur et pêcheur, le spectacle de la souffrance des hommes et des
animaux décimés par la soif l'incite à partir avec des
matériels de forage établir de points d'eau dans les
régions les plus déshéritées. Aidé par trois
de ses compagnons africains et d'une jeune fille fulbé, il retrace le
périple dans le livre : « Lorsque je contemple les africains
qui travaillent avec moi, j'envie parfois leur dénuement [-...-] et leur
irresponsabilité dans un univers à leur taille où ils
jouissent du privilège d'une certaine innocence » (Planchon,
1962 : 18). Le personnage est dans la peau d'un agent de développement
qui propose et participe au projet de développement des compagnons
africains. Cet humaniste a accepté de vivre modestement parmi les
misérables cultivateurs et éleveurs du Tchad et du Cameroun. En
faisant l'analyse de ces oeuvres d'auteurs étrangers ayant
séjourné sur le sol tchadien, nous avons, d'une part,
cherché à savoir leur source d'inspiration et leur lieu
d'édition et, d'autre part, démontrer en quoi ces textes de la
première heure ont été un facteur bénéfique
pour les Tchadiens qui veulent se lancer dans l'écriture.
Ces textes coloniaux sont antérieurs à ceux des
écrivains tchadiens. Cependant, il est impossible de faire un
rapprochement systématique entre toutes ces oeuvres et celles produites
par les Tchadiens quelques années plus tard, même s'ils ont
quelquefois pu servir d'inspiration. Les personnages mis en scène ne
seront plus les Blancs « bienfaiteurs », mais des Noirs qui tiennent
un discours de contestation, de valorisation des cultures noires, bref une
rupture thématique. Ceci se justifie par l'inscription des
écrivains locaux dans des courants littéraires
négro-africains au début des « soleils » des
indépendances. À la faveur des concours internationaux, qui sont
des facteurs d'émergence pour la littérature tchadienne, le genre
de prédilection sera le théâtre et non le roman comme l'ont
fait les expatriés.
75
2. Les événements littéraires à
caractère historique
Lucien Goldmann affirme dans « Introduction aux premiers
écrit de Georges Lukacs » que « tout fait humain se
présente à la fois comme une structure significative,
compréhensible par l'analyse des relations constitutives entre les
éléments qui la composent [...] et comme élément
constitutif d'un certain nombre d'autres structures plus vastes qui
l'embrassent et l'intègrent» (Lukacs, 1962 : 157). Ce qui veut
dire que tout fait humain est dynamique et ne saurait être compris que
par l'étude de sa composition et son évolution interne et par la
place qu'il occupe dans un grand groupe, la société. Nous
estimons que les événements historiques à visée
littéraire pourront nous aider à comprendre le fait
littéraire tchadien.
2.1 Les activités des associations
littéraires
L'écrivain, comme le dit Catherine Wieder «
écrit à une certaine époque, dans un certain milieu, pour
un certain public. Il est soumis à un conditionnement sociologique,
économique, idéologique. En même temps, un écrivain
vient après et à côté d'autres
écrivains» (Wieder, 1988 : 151). Les salons, par exemple
contribuent à structurer le champ littéraire comme le feront en
d'autres états du champ, les revues ou les éditeurs. Bourdieu
parle d'imbrication profonde du champ littéraire et du champ politique
« par le travers des écrivains et du salon»
(Bourdieu, 1998 : 89). Une étude sociologique du fait
littéraire ne peut pas à cet effet faire abstraction des
événements associatifs. Au Tchad, les chercheurs ont
relevé qu'il n'existe pas de grandes écoles idéologiques
au sens de « regroupement d'écrivains autour d'un programme
esthétique et, souvent des moyens éditoriaux.» (Aron et
al. 2002 : 162). Chaque écrivain s'est fait des archétypes et
s'efforce à les imiter. Si les sources d'inspiration sont semblables,
disons avec Wieder, une fois de plus que « les livres se
répondent les uns les autres à l'intérieur d'une histoire
propre de la littérature qui s'ajoute à l'Histoire tout
court» (Wieder, 1988 :151). Il existe cependant des petits
regroupements de lecteurs, généralement des élèves
et étudiants qu'on peut appeler salons, entendons « lieu[x] de
réunion et de conversation » (ARON et al. 2002 : 539).
Entre autres espaces d'échanges et de diffusion, il y a
le RLPT, le SBL, l'ADELIT, l'UJPT, le Groupe SIL, le CEAC et l'ASET.
Le SBL a été créé le 30 juin 1996,
par un groupe ayant à sa tête Nafée Nelly Faigou,
après un atelier d'écriture piloté par Koulsy Lamko. Par
des séances de lectures, débats et rencontres avec les
écrivains, le but de ce groupe est de promouvoir les écrivains
tchadiens et
76
d'oeuvrer pour une renaissance de la littérature.
L'ADELIT a été créée, autour des années
1990, par des jeunes décidés, autour de Samafou Digoulou,
à travailler pour la diffusion de la
littérature. L'UJPT est dirigée par Pafing
Sobdibé Palou, et a pour devise « créer, promouvoir pour
illuminer» Pour cela, elle organise des activités
littéraires et des concours de poésie. Le Groupe SIL est
fondé en 1994 par Patrick Kodibaye. Son objectif est de créer un
cadre de production et de diffusion de littérature tchadienne. Le CEAC
est créé, en 1992 par Sanodji Abiathar, dans le but de promouvoir
la littérature d'inspiration biblique. Au début de tous ces
groupements qui souffrent aujourd'hui de visibilité étaient le
RLPT et le SBL. Nous avons sur les braises de la promotion littéraire la
Compagnie Artistique « le cercle des amis » et l'ASET qui ont
organisé en 2007 et 2009 deux colloques des écrivains tchadiens.
En effet, les jeunes qui se sont retrouvés au SBL en 1996 pour
présenter les textes des auteurs confirmés, s'échanger des
manuscrits, se sont rendu compte que la vie socioprofessionnelle les a
tellement occupés. Dinguemnaial, le Secrétaire de l'ASET, ancien
membre du Salon, affirme à ce propos :
On s'était rendu compte qu'il n'y a pas de temps pour
se rencontrer, faire la
lecture et l'échange de manuscrits. Cependant,
ayant gardé la passion de l'écriture, on s'est dit que chacun se
débrouille pour éditer. Certains d'entre nous ont
édité et voilà nous avons laissé le Salon aux
jeunes amateurs pour créer l'ASET. (Entretien réalisé
avec Renaud Dinguemnaial le 09-08-2010 au Bureau du FAO à
N'Djaména.)
L'édition étant chère et les Tchadiens
lisant peu, Dinguemnaial, conscient du fait que
les oeuvres aux programmes d'enseignement au Tchad sont d'auteurs
étrangers,
ajoute : « Nous voulons faire ensemble pour inviter
les jeunes à lire plus et faire des plaidoyers auprès des
autorités administratives et éducatives pour que les oeuvres
d'auteurs tchadiens soient au maximum introduites aux programmes
d'enseignement. (Entretien avec R. Dinguemnaial, op. cit.). Se faire
éditer est un défi pour les anciens membres du Salon, d'autant
plus que Laring Bao, l'un de leurs collaborateurs a fondé les
éditions Sao en 2000.
L'ambition de l'ASET est de voir Le SBL faire la
présentation des oeuvres de ses
membres. Partager les expériences, les manuscrits,
faire des plaidoyers pour la prise en compte des oeuvres produites par les
écrivains tchadiens dans le programme scolaire et faire la promotion de
la littérature nationale sont des objectifs nobles pour cette jeune
institution littéraire. Une bonne vingtaine d'écrivains reconnus
pilotent ce plan. L'ASET a un projet de
77
rédaction d'un recueil de nouvelles collectif pour la
commémoration du cinquantenaire de l'indépendance du Tchad. Le
club Rafigui (de l'arabe, mon ami) et le SBL sont une pépinière
pour l'association. Les écrivains sont selon le Secrétaire
Général de l'ASET, en train de vouloir faire savoir à
l'État que construire le pays est une bonne chose. Mais construire
l'État c'est aussi construire les hommes. Ceux-ci se construisent par
les idées et les idées sont dans les livres : « on ne
peut pas vouloir construire et oublier d'éveiller la conscience à
travers la littérature» (Entretien avec Renaud Dinguemnaial.
op. cit.).
Toutes ces associations, par les séances de lecture
publique, l'échange d'idées et l'organisation des concours, ont
favorisé la création et la production littéraire au Tchad.
Leurs membres ont eu le désir d'écrire, d'être lus et ont
fait la connaissance des écrivains et des éditeurs
disposés à les aider à publier leurs textes.
Nous ne saurions conclure sans avouer que le rôle
joué par les quotidiens et les périodiques n'a pas
été de moindre utilité pour la publication des textes
littéraires au Tchad. Les magazines et les revues ne sont pas non plus
en reste. Le MALT et les revues Carrefour et Tchad et
Culture réservent toujours quelques-unes de leurs colonnes à
la poésie ou à la nouvelle. Plusieurs textes d'auteurs tchadiens
ont paru par épisodes dans ces illustres revues. C'est le cas de
Chronique tchadienne (Carrefour) et
Goudangou (Tchad et Culture) de Noël Nétonon
N'Djékéry.
2.2 Les concours littéraires, représentations
et prix
La littérature est un fait social et historique qui a
une existence matérielle qui peut être un objet de savoir et de
mémoire. Son aspect historique ou existentiel et celui des faits
créés par elle mérite une interrogation. Elle n'est pas
seulement processus de création des oeuvres, comme production ou
ensemble des oeuvres elles-mêmes prises comme produits, mais aussi
l'activité de l'homme de lettres, du littéraire. Les concours
littéraires, la représentation (ou mises en scène) et le
prix sont quelques-uns de ces faits qui ont aussi leur propre histoire. Quels
rapports entretiennent ces faits avec la production littéraire ? Salaka
estime que les prix et les récompenses au niveau international et
national stimulent la créativité littéraire.
Pour tester la littérarité ou la
compétence des jeunes auteurs, des concours littéraires sont
organisés par des institutions, des associations et des instances
politiques, culturelles ou littéraires tant au niveau local, national
qu'international. Un ensemble de critères de sélection permet au
jury de classer les candidats mis en compétition par ordre d'excellence
(cela en
78
fonction des respects des normes littéraires). Les
meilleurs sont primés. En même temps, certaines troupes ou groupes
d'amis mettent en scène ou interprètent des textes d'auteurs
(connus ou pas). Le prix littéraire est la conséquence de ces
épreuves de présentation ou de représentations des
oeuvres. Il est la récompense accordée aux gagnants pour le
mérite ou l'excellence dans le domaine littéraire. Pour
solutionner à la question du rapport entre ces faits littéraires
qui relèveraient plutôt de la consécration ou de la
légitimation de la littérature et la production
littéraire, notre réponse est sans ambages : ils stimulent la
production et la publication des oeuvres littéraires.
Dans le cas d'espèce, nous verrons que les concours ont
poussé les jeunes à la création littéraire.
Beaucoup voulaient gagner des prix en nouvelle, poésie ou
théâtre. La production devient dense pendant la période des
concours. Les lauréats sont encouragés à faire
éditer leurs textes. Des fois, les textes primés sont
publiés dans un recueil collectif. La représentation et
l'interprétation des pièces de théâtre produisent
les mêmes effets. Les manuscrits qui gagnent l'admiration du public (ou
du jury) à la mise en scène sont publiables et ne peuvent pas
manquer d'avoir de financement pour leur publication. D'ailleurs, vu que la
publication est « l'acte de rendre public un texte ou un objet »
(Aron et al, 2002 : 48), la représentation avec succès d'une
pièce devant un public assez nombreux anticipe et répond d'une
manière ou d'une autre à sa finalité. Une pièce,
même éditée est faite pour être mise en scène
pour gagner l'admiration, l'adhésion du public, le former au sens du
« castigat ridendo mores »27. L'auteur, l'éditeur,
le mécène, le promoteur culturel ne tardent pas, le plus souvent,
à matérialiser en support papier ou électronique le
résultat de cet acte. Enfin cette distinction pousse les lauréats
à perpétuer l'activité littéraire pour des fins
honorifiques ou mercantiles.
2.2.1 Les concours et prix littéraires
internationaux
Ce sont les concours littéraires au niveau
international qui ont intéressé premièrement les jeunes.
Le CTI et le Concours de la meilleure nouvelle de langue française, avec
leurs retombées pécuniaires et la possibilité
d'édition et de distribution à grande échelle, ont vu
la
27 Locution latine qui veut dire « elle
corrige les moeurs en riant », devise de la comédie imaginée
par le poète Santeul et donnée à l'Arlequin Dominique pour
qu'il la mît sur la toile de son théâtre, devenu credo de
Jean Baptiste Poquelin dit Molière, auteur dramatique français au
17e siècle).
79
participation de beaucoup de Tchadiens. Ces concours ont servi
de tremplin pour une création littéraire indépendante.
Tous ces textes sont publiés par des grandes maisons d'édition
internationalement reconnues, cela parait flatteur.
Au commencement était le concours de la meilleure
nouvelle de la langue française de RFI. Ce concours a vu la
participation de beaucoup de jeunes tchadiens. Le prix et la publication des
nouvelles primées étaient des occasions ultimes pour
l'émergence de la littérature d'un pays qui est resté
longtemps après l'indépendance sans maison d'édition. Les
nouvelles primées et éditées en France étaient
diffusées sur les antennes des radios et télévisions
francophones. Il est convenable de citer quelques lauréats de la
décennie 70 : En 1973, Maoundoé Naindouba a produit La Double
détresse (Paris, ORTF/ACCT, 1975) et a gagné le
6e prix de la meilleure nouvelle de la langue française. En
1976, Noël Nétonon N'Djékéry gagne le 5e
prix du 3e concours de la meilleure nouvelle de langue
française avec Les Trouvailles de Bemba (Paris, Hatier, Monde
noir, poche, 1977). En 1978, La Lèpre (introuvable) de
Maoundoé Naindouba arrache le 5e prix. En 1979, Baba Moustapha gagne le
2e prix du 5e concours avec La Couture de Paris, (Paris,
Hatier, Monde noir, poche, 1983). Les deux décennies suivantes ont
également été bénéfiques pour les tchadiens.
En 1982, c'est le tour de N.N.N'Djékéry de gagner le
7e prix avec La Descente aux enfers (Paris, Hatier, Monde
Noir, Poche, 1982). En 1984, La Carte du parti de
N.N.N'Djékéry gagne le 6e prix du 8e concours.
Parallèlement, B. Moustapha gagne le 1er prix des Jeux
Floraux de Touraine avec Sortilèges dans les ténèbres
(1980, introuvable). En 1985, Djékorédom Nabam Koopa est
lauréat du concours « Dialogue des générations »
organisé par l'ACCT. En marge de ce concours, Epître posthume
est classée nouvelle finaliste au concours « Les
inédits 94 » de RFI/ACCT au compte de Djédouboum Sadoum en
1994. En 1996, Samafou Diguilou Bondong a eu le prix international de la
littérature « Goccia di Luna » à la Spezia en
Italie.
Le concours au niveau international est dominé par le
CTI de RFI. En 1978, L'Etudiant de Soweto (Paris, Hatier, Monde Noir,
Poche, 1981) de M. Naindouba a eu le Grand prix du 9e CTI.
En 1984, c'est Illusions (Paris, RFI, 1984) qui est primée
et diffusée sur les antennes dans le cadre de l'émission :
première chance sur les ondes. Elle est la signature de Nocky
Djédanoum. En 1987, Le Camp tend la Sébile de Koulsy
Lamko, (Paris, Lansman, 1993) est sélectionnée au 15e
concours. En 1989, Ndo Kela ou l'initiation avortée de Koulsy
est primée. En 1993, c'est Makarie aux épines de B.
Moustapha (Yaoundé, Clé, 1989) qui obtient le Grand Prix du
6e concours. Mon fils de mon frère et La
Ziggourat de
80
Babel sont sélectionnées respectivement
au 17e et 18e concours, signés de Koulsy Lamko.
Kaltouma et Mbang Gaourang, le roi du Baguirmi de Palou
Bebnoné et Le Commandant Chaka de B. Moustapha ont
été produits dans le cadre de ce concours de
théâtre.
En dehors du CTI, Vangdar Dorsouma Ismaël a gagné
en 1993 et 1997, le 2e prix du concours du Monde rural pour la
pièce La Solitude est un fardeau et le 2e prix du
« Lotus d'argent » lors du Sommet de la Francophonie au Cambodge,
pour la pièce intitulée : Abrasse-Afine ou la confidence.
En 1998, La Malédiction est sortie finaliste du concours
« découverte » RFI-Théâtre-Sud 98 » sous la
signature de Ouaga Balle Danaï;
La poésie est fille pauvre des concours internationaux
: en 1985, Djimtola Nelli est lauréat du 3e Festival
International de la jeune poésie africaine (FETIPO) à
Grand-Bassam. La même année, Sauve ton peuple de Ali
Abdel Rhamane Haggar, pièce censurée à N'Djaména
sera représentée à Bangui en Centrafrique. En 1992,
Dinguemnaial Renaud est lauréat du Concours de poésie de la ville
de Garoua.
2.2.2 Les concours et prix littéraires nationaux
Au Tchad, il existait un prix national de poésie par
voie de concours. En 1989, Samafou Diguilou Bondong a été
lauréat. Dès lors, il est oublié, et c'est peut-être
à cause des troubles dus au changement de régime l'année
suivante. Le centre Dombao de Moundou organise des concours littéraires
et imprime quelquefois à l'ex-imprimerie de Koutou les textes des
lauréats. Bégoto Boydi Clément a, en 1990 gagné le
premier prix de théâtre avec sa pièce intitulée
Manu ou la vie d'un élève. Il gagne le 3e
Prix de théâtre en 1992 avec Le retraité, le
1er Prix de la poésie avec Madame la guerre en 1993
et le 2e Prix en 1995 avec Le destin tragique. Djikoloum Nang en
1990 a vu son poème "Tchad mon pays" primé lors du
concours littéraire organisé par ce centre. La même
année, au même centre, Mahamat Djeddid Ahmat fut primé pour
ses poèmes. En 1992, Les parias de Mbaïdam Boguy eurent le
premier prix d'écriture théâtrale lors d'un concours
organisé par le centre Dombao.
À N'Djaména, en plus de la semaine du livre qui
se veut nationale,28 il y a le RLPT, l'ADELIT et le CCF qui
s'efforcent, bon gré mal gré, à l'organisation des
concours et la
28Hourmadji Moussa Doumgor, par exemple, a
été lauréat de cette manifestation en 1996 avec deux
nouvelles.
81
publication en collectif des oeuvres primées. Parlant
du RLPT, Faigou Nafée Nelly a été en 1996, lauréate
du Grand Prix de la nouvelle. En 1997, Le Choix de Kadji d'Elkatib
Abdou a été retenu et publiée dans un recueil collectif
des concours du Réseau. L'ADELIT a toujours organisé des concours
de poésie, de nouvelle et de théâtre : en 1992 Kodibaye
Patrick a été lauréat du concours théâtral
avec Ceux qui n'ont droit qu'à l'enfer. L'année
suivante, c'est Saleh Adoum Nguérébaye qui l'emporte avec sa
pièce Triple coup au Pari-vente. Une année après,
Djérareou Mekoulnodji Priscille est primée pour sa nouvelle
intitulée Mission inachevée. Le CCF, en plus de la mise
de sa riche médiathèque à la disposition de la jeunesse
tchadienne et de l'organisation assez régulière des ateliers de
lecture et d'écriture, fait également dans le concours et la
publication des meilleurs textes. Avec un programme dénommé
« La fureur de lire », il a consigné un nombre important de
textes dans des documents collectifs imprimés. En 1993, la nouvelle
intitulée L'Enfant rebelle de Palouma Zilhoubé a
été primée lors de « La fureur de lire » et
publiée dans un ouvrage collectif intitulé Nouvelles du
Tchad, la même année. Lors de ce concours,
Djékorédom Nabam Koopa a gagné le 2e prix avec
La Porte bleue (nouvelle). El Katib Abdou est aussi auteur de
nouvelles inédites primées par le CCF lors de ce concours
littéraire (parmi lesquelles Le Bonheur chez soi, primée
et publiée dans l'ouvrage collectif). En 1994, Djédouboum Sadoum,
l'auteur de la nouvelle Épitre Posthume est lauréat du
concours organisé dans le cadre de cette manifestation intitulée
« la fureur de lire » au CCF avec L'Appel du tam-tam. Cette
nouvelle fut publiée la même année dans l'ouvrage collectif
Nouvelle du Tchad.
Il est clair que les concours, représentations et prix
littéraires participent de la production et de la publication des
oeuvres reconnues et appréciées favorablement. En plus des
instances culturelles ci-haut nommées, il faut invoquer les revues
(Rafigui, Carrefour et Tchad et Culture) qui publient des
nouvelles et des poèmes presque régulièrement dans leurs
colonnes réservées à la littérature. Les
associations littéraires, les lycées et collèges
organisent de temps en temps des concours dont les textes des lauréats
ne sont pas nécessairement publiés. C'est pour cette raison
qu'ils ont été délaissés dans cette étude au
profit de ceux qui ont participé au « reverdissement » du
paysage littéraire.
82
2.2.3 La mise en scène et prix sur le plan
international
En 1995, La Malédiction d'Ouaga Bale
Danaï est jouée par la troupe de l'Université de
Bouaké dans le cadre de la 12e édition du Festival du
théâtre scolaire et universitaire de Côte d'Ivoire, à
Yamoussoukro. La même année, l'auteur de La malédiction
obtient le prix de la mise en scène lors du 12e Festival
National de la Côte dIvoire avec L'Enfant de Frica.
En 1997, Illusions de Nocky Djédanoum est représentée par
Logone-Chari-Théâtre, au MASA d'Abidjan et est retenue pour la
participation de la troupe au Fest'Africa de Lille. En 1997, Samafou Diguilou
Bondong reçoit le Prix Rencontres « Iles des poètes »
à Sainte-Geneviève des Bois, et le 16e Grand Prix
International de la société des amis de la poésie à
Bergerac, puis le 3e prix de poésie libre du concours
international de Wallonie. En 1999, c'est le tour de Nimrod d'accepter le Prix
Louise Labé des gens de lettres à paris (06 décembre).
2.3 Les sources d'inspiration
Les contextes de production de la littérature
tchadienne écrite d'expression française ont inspiré les
auteurs et se laissent d'ailleurs lire à travers leurs oeuvres. Le
contexte est l'ensemble des circonstances, des événements qui se
passent au moment de la production des oeuvres. Ils sont
généralement un fait « marquant » qui transparaît
en thème dans l'oeuvre littéraire. La guerre, la critique des
systèmes politique, des traditions, des pratiques et des moeurs, la
rencontre avec les autres cultures, la pandémie du Sida, etc. sont des
événements marquants qui transparaissent dans les oeuvres de
fiction au Tchad.
La guerre est liée à l'histoire politique du
pays. Après un demi-siècle d'indépendance et de succession
de régimes, on constate que sur les six présidents, en dehors de
Tombalbaye et de Lol qui sont venus au pouvoir, l'un par les urnes et l'autre
par consensus, les autres sont venus par la violence. Cette violence a
affecté la population et est décriée dans beaucoup
d'oeuvres littéraires. Ce contexte de guerre et de dictature a
inspiré Nimrod, Mougnan et Nébardoum. La dernière partie
du 5e chapitre de la présente thèse traite du cri de
désespoir suivi de l'appel à la paix, à l'unité et
à la démocratie lancé par ces auteurs. La guerre civile
est une source d'inspiration chez N'Djékéry et Nimrod. La
descente aux enfers de N.N.N'Djékéry s'inspire de la guerre
civile de 1979. Le texte fait implicitement mention : « le chant de la
mort, le lugubre chant dont les ndjamenois (sic) connaissaient tous les
couplets, animait le ballet aérien des projectiles sans
discontinuer» (N'Djékéry, 1984 :5). Bourdette-Donon
pour résumer l'oeuvre déclare que c'est la peinture de la
« chute sociale et morale d'un petit commerçant qui perd peu
à peu ses biens, son épouse et sa vie »
(Bourdette-Donon,
83
2003 : 224). Les Jambes d'Alice de Nimrod s'inscrit
dans le cadre de la fuite devant cette guerre civile. La description est, on ne
peut plus clair, dans ce roman. Fuyant la guerre, le professeur de
français suit Alice. Cependant, « la fuite de N'Djaména
donne lieu à une quête amoureuse qui ne laisse que très peu
de place à la guerre (la réalité), véritable raison
de la fuite» (Taboye, 2003 : 197). Un autre aspect de la guerre
à relever est le génocide. La Phalène de collines
de Koulsy Lamko s'inspire du génocide rwandais de 1994. Il a
écrit par « devoir de mémoire», « pour honorer
son engagement au Rwanda » reconnaît Taboye (Taboye, in
Continental n° 89, février 2010 : 93).
La critique des systèmes politiques, résultante
d'une mauvaise gestion se lit dans les oeuvres autobiographiques d'Antoine
Bangui, N'Gangbet Kosnaye, Ahmet Kotoko, etc., « font part des usages
politiques et des valeurs d'une société à une
époque donnée, retracent les traumatismes du Moi, lequel est
l'expression directe de l'auteur et des fais (sic) réels»
(Asguet Mah, 2007 :3). À sa manière, Taboye déclare
à cet effet que les oeuvres autobiographiques tchadiennes laissent
entrevoir les imperfections politiques : « aucun auteur tchadien n'a
écrit une autobiographie dénuée de tout sens
politique» (Taboye, 2003 :11). À la période des
concours théâtraux, les écrivains ont été
intéressés par des phénomènes à
caractère international comme le système politique raciste de
l'apartheid en Afrique du Sud. Maoundoé Naindouba avec
L'Étudiant de Soweto dénonce ce système
politique.
La dictature est inspiratrice. Les dramaturges, ne pouvant pas
« désigner le chat par son nom » en pleine dictature mettent
en scène des rois exceptionnels. Le Commandant Chaka de B.
Moustapha est une réécriture de l'histoire de Chaka, un chef
guerrier qui a combattu pour la libération de l'Afrique. L'auteur
présente une époque et un chef, au Tchad « où se
cachent, comme dans toutes les révolutions, des personnages incultes,
opportunistes ou tout simplement mal intentionnés» (Taboye,
2003 :34). Goudangou de N. N.N'Djékéry est l'histoire
récente du Tchad, de l'Afrique. Le sous-titre en dit plus : «
ou les vicissitudes du pouvoir ». Taboye fait un rapprochement entre
la pièce et un fait réel : « les personnages de
Goudangou, de Madina et le complot du mouton noir font penser au complot ourdi
par Tombalbaye contre Kaltouma Nguembang sous le régime du Mouvement
National pour la Révolution Culturelle et Sociale» (Taboye,
2003 : 48). P. Bebnoné, comme B. Moustapha, réécrit
l'histoire de Mbang Gaourang. Son souci, en ce temps de dictature est de
présenter un roi modèle, juste, démocrate. Taboye trouve
que : « le personnage du roi apparaît, dans cette pièce,
rassurant. Il n'est ni excentrique, ni extravagant. Il est hors des
clichés, capable de
84
pardon et de patriotisme » (Taboye, 2003 : 46).
Un tel roi est une création de Bebnoné, sa volonté de
« démocratiser » ou disons mieux, moraliser en tournant en
dérision les premiers dirigeants charismatiques et intransigeants.
Pendant le règne dictatorial, les militaires ont cette liberté de
violer éperdument les droits de l'Homme. En écrivant Aubade
des coqs, Nocky reconnaît qu'il s'est inspiré de la
souffrance de ceux qui labourent le coton au Sud du pays. Ceux-ci sont
maltraités par les militaires. Pour Bourdette-Donon, « il
engendre dans sa ronde verbale les libertés politiques, sexuelles et
langagières et dénonce l'exploitation des paysans
engendrée par la culture du coton importé par les colons»
(Bourdette-Donon, 203 :106).
La tradition a inspiré Koulsy Lamko. Celui-ci estime
qu'elle a des valeurs désuètes. C'est pour cela que Ndo Kela
est une contestation. Pour lui, le texte doit « s'enraciner dans
un contenant fort tiré des traditions africaines » (Koulsy, in
Carrefour, n° 18, 2003 : 5).
Les auteurs tchadiens estiment qu'après
l'indépendance, il y a des comportements claniques et
réfractaires. Les bipolarismes ethniques et religieux leur servent de
sources d'inspiration. Le fait accompli que Nocky nous propose dans
Illusions est le fruit d'un constat. Les Tchadiens sont divisés
en Nordistes et Sudistes29, Chrétiens et Musulmans. Le
mariage clivé est presque impossible à cause des confessions
religieuses différentes. Le dramaturge appelle à l'unité,
dans cette pièce, par ce genre de mariage. Le Souffle de l'harmattan
de Moustapha et Al-Istifack de. Koundja sont observation et
critique de cette
division. Imbus de nationalisme, ceux-ci veulent prôner
l'unité dans le mariage
interconfessionnel et interethnique. La
production de ces dernières années introduit la lutte contre le
sida au centre des débats. Dans Comme des Flèches, c'est
le sida qui inspire Koulsy.
L'impossibilité de faire un classement
systématique des sources d'inspiration réside dans le fait que
l'auteur peut s'inspirer de son séjour dans un milieu étranger
comme l'a fait Ali Abdel-Rhamane Haggar30 ou d'un fait anodin comme
une dispute pour écrire comme l'a fait B. Moustapha.31 En
somme, une condition peut pousser l'écrivain à s'inspirer d'un
élément qui n'a pas de rapport avec le contexte de production.
Celle-ci peut ne pas être connue et comprise par le critique.
29Pour parler des ressortissants du Nord et du Sud
30 Haggar s'inspire de son temps d'études en
Russie pour engager une trilogie. Dans sa quête de savoir et d'espoir
(Le Mendiant de l'espoir -1998-), Youssouf se rend compte que son
rêve est démesuré (Le Prix du rêve -2003-)
et se lance dans une quête d'humanisme quand les Tchadiens s'entretuent
à Hadjer Marfa-ine (2008)
31 B. Moustapha, dans La couture de Paris
part d'une dispute entre deux couturiers au marché à mil,
à N'Djaména et une fille éprise de mode pour critiquer
l'imitation servile des valeurs occidentales.
85
3. Le niveau intellectuel et distinctions des
écrivains
Le niveau intellectuel est compris dans le sens de niveau
d'instruction (Baccalauréat, études supérieures,
études littéraires), ce qui pourrait être selon Salaka
« un gage de qualité de [leurs] productions littéraires,
du fait non seulement de la maîtrise de la langue mais aussi de la
connaissance et de l'étude des genres littéraires »
(Salaka, 2003 : 66). Le problème de langue est crucial pour une
sociologie authentique de la culture dans la mesure où la
corrélation entre le social et le littéraire s'établit
à travers une activité linguistique. Le style et le niveau de
langue en usage pour l'écriture d'un traité, d'une thèse,
d'un roman ou d'une correspondance ne sont jamais les mêmes. Ils
trahissent l'identité, le niveau et la position de celui qui
écrit dans le champ. C'est pour cela que la non-maîtrise ou
l'analphabétisme en une langue officielle ou d'écriture constitue
à la fois un problème sociologique et institutionnel.
L'étude biographique permet selon Salaka (2006) de mesurer ce qui a fait
le succès de l'écrivain. Cette étude qui s'étend
sur les dramaturges, les romanciers, les nouvellistes, les autobiographes et
les poètes nous permettra également d'évaluer la
qualité des textes d'auteurs tchadiens. La distinction est une
conséquence de la maîtrise de la langue d'écriture et des
formes littéraires en vogue ou en compétition. Par ailleurs cette
logique n'est pas formelle. Dans le domaine littéraire,
l'écrivain autodidacte peut produire, comme l'a fait Ousmane Sembene,
des oeuvres sans pareilles.
3.1 Les dramaturges : niveau intellectuel, distinctions
diverses et enjeu littéraire
Le classement établi par les enquêtés
(Annexe 1 : question 16) est une ligne de force pour l'étude du niveau
intellectuel des dramaturges de renom et de leurs diverses distinctions. En
effet, le résultat de l'enquête donne six grandes figures du
Théâtre tchadien qui ont, en dehors de l'administrateur civil
Moustapha, l'informaticien N'Djékéry et le journaliste Nocky,
ont, chacun un diplôme supérieur orienté en enseignement
littéraire. Maoundoé, Koulsy et Bebnoné sont des
enseignants.
Maoundoé Naindouba, cité en premier lieu par sa
popularité, la visibilité et la disponibilité de ses
textes est né en 1948 au Sud du Tchad. Après le CEPE en 1962
à Bénoye et le BEPC en 1968 à Moundou, il obtient le
Baccalauréat littéraire en 1970 et entre à l'ENSAC de
Brazzaville d'où il sort en 1972 avec un CAPCEG), option :
histoire-géographie-français. Major de sa promotion, il est admis
à la section des professeurs des lycées et collèges. Ce
background intellectuel lui a permis de commettre prodigieusement
L'Étudiant
86
de Soweto. Avec cette pièce, il a connu en
Afrique et en Europe une popularité incontestable. Elle a
été primée au 9e CTI. Ces deux nouvelles La
Détresse et La Lèpre ont été
également retenues aux 2e et 4e Concours de la
Meilleure Nouvelle de langue française. Ces distinctions ont
flatté les futurs producteurs. Baba Moustapha est né en 1952.
Après les études primaires et secondaires à Bogo et
à N'Djaména, il obtient le diplôme de l'ENA de
N'Djaména en 1975. Baba Moustapha meurt tout jeune en France où
il suit des cours de droit. Il a, avec Makarie aux épines, eu
le grand prix du CTI en 1973. Le Commandant Chaka a reçu le
prix spécial du 11e CTI en 1983. Sa formation, sa profession
et ses prix le rendent incontestable. Koulsy Lamko, né en 1959 à
Dadouar est titulaire d'un DEA en Textes et langage, d'un Certificat
d'Entrepreneur Culturel et d'un Doctorat en dramaturgie. Ce
conteur-poète, romancier et comédien-nouvelliste est
enseignant-chercheur et entrepreneur cultuel. Tous ces diplômes et
spécialités littéraires l'auraient
prédisposé à cette carrière littéraire
prometteuse. Palou Bebnoné est animateur culturel et professeur de
lycées et homme de lettres. Ses pièces, La Dot (1962),
Kaltouma (1965) et Mbang-Gaourang (1974) ont
été produites pour le CTI organisé par la RFI. Elles
restent jusque-là, parce que non publiées, la
propriété de celle-ci. Décédé en 1979
à Bongor, Palou n'a pas eu des distinctions remarquables dans le domaine
littéraire. Mais à travers ses oeuvres théâtrales,
se laisse lire la volonté de former et de moraliser, liée
à ses activités professionnelles ci-haut citées. Nocky
Djédanoum, journaliste de formation né à Gounou-Gaya en
1959, est depuis 1994 directeur artistique du festival Fest'Africa qui a connu
un succès sans pareil à N'Djaména en 2005 (Fest'Africa
sous les étoiles). Cet événement a donné une
distinction particulière à l'enfant du pays qui a réussi
loin des siens et qui est revenu organiser une fête qui regroupe une
centaine d'écrivains, des journalistes et des hommes de culture pour
découvrir le Tchad. Nocky a écrit Illusions pour le CTI.
Par sa formation journalistique et d'animateur artistique, il est «
disposé » à des actions pour la formation de masse comme il
le fait maintenant. Ses voyages professionnels sont aménagés par
l'écriture des textes littéraire et journalistiques. Le
journaliste est un interrogateur de conscience, un moralisateur.
N'Djékéry est un mathématicien qui a suivi une formation
en informatique. Cet originaire de Moundou, né en 1956, traite dans
toutes ces pièces le thème du pouvoir. Il n'est entouré
que des prix littéraires. La nouvelle lui a fait gagner plus de cinq
prix de la meilleure nouvelle de la langue française. Vu que « la
descente aux enfers » constitue un thème de prédilection de
la littérature négro-africaine et que ce jeune tchadien en a fait
le titre d'une nouvelle si attrayante et engagée contre les guerres
civiles qui
87
ont des conséquences néfastes sur les
populations africaines, il ne peut qu'être populaire. Après le
grand prix du 7e concours de la meilleure nouvelle de langue
française, La Descente aux enfers a été
diffusée sur des ondes des radios francophones d'Afrique.
N'Djékéry est un écrivain à la quête de son
identité à Lausanne loin de son Moundou natal. Il est le
prototype de ceux qui arrivent à l'écriture par passion et non
après une formation littéraire.
Au niveau national, il y a des dramaturges qui ont des niveaux
intellectuels convenables et des distinctions sur le plan politique et
littéraire.
Dans le domaine culturel, il y a les comédiens,
animateur, journalistes comme Abaye, Garandi, Boydi, et
Nguérébaye qui ont soit le Baccalauréat soit un
diplôme professionnel. Abakar Adoum Abaye a fini ses études
secondaires avant de se consacrer à la comédie. Ses pièces
sont représentées dans plusieurs villes du pays. Dahwé
Garandi après son baccalauréat s'est engagé comme
animateur et entrepreneur culturel. Bégoto Boydi Clément a
effectué des études littéraires avant de suivre une
formation en communication au Centre Diocésain Audiovisuel pour
l'Éducation. Saleh Adoum Nguérébaye a, après ses
études secondaires, a suivi de stages en Allemagne où il a obtenu
un diplôme d'animateur et un certificat de langue allemande, à
l'Institut de langue de Dortmund. Au Tchad, il a eu de promotions dans les
domaines journalistique et politique. En littérature, il obtient en1993,
le Grand Prix de théâtre de l'ADELIT. Il a concouru en 1994 et
1996 au festival international de théâtre pour le
développement, à Ouagadougou. Il est acteur des deux premiers
films de fiction tchadien : Maral Tanié de Mahamat Saleh Haroun
et Un taxi pour Aouzou de Serge Issa Coelo. Il a gagné
plusieurs prix littéraires au centre Dombao de Moundou.
Dans le domaine de l'enseignement, il y a Kodidjé,
Kari, et Haggar. Djimadoum Kotidjé est scolarisé à Sarh.
Après un baccalauréat au lycée Félix Eboué,
il obtient en 1987 une licence de lettres. La carrière enseignante est
sa passion, la défense des droits de l'Homme, son devoir. Cette passion
il l'a partagé avec Djimet Kari et Ali Abdel-Rhamane Haggar qui, l'un
détenteur d'une maîtrise ès lettres, préparée
à Orléans en France et l'autre titulaire d'un PH/D
d'économie obtenu à Leningrad en Russie, ménagent un peu
de leur temps d'enseignement pour lutter en faveur de la non-violence. Ce
dernier est citoyen d'honneur de l'État d'Oklahoma au (USA). Ali
Adel-Rhamane espère en la jeunesse et s'efforce pour sa formation. Sa
distinction est plus visible sur le plan politique que littéraire. N. M.
Priscille est quant à elle titulaire d'une maîtrise de
linguistique. Elle est très appréciée, à en croire
Bourdette-Donon, dans le milieu protestant. En littérature elle a eu
comme distinction un prix
88
ADELIT en 1994, pour sa nouvelle intitulée Mission
inachevée. Elle se distingue par la lutte contre la violence et
propose à cet effet Pour un pas vers la non-violence au Tchad
(1997). Elle est également du côté de ceux qui
souffrent et des handicapés.
Dans le domaine de l'édition, il y a Bao et Samafou.
Laring Baou est un homme d'une grande culture. Après quelques
années d'embauche à la l'IDT, il crée sa propre maison
d'édition en 1999. Actuellement les éditions Sao sont l'unique
maison d'édition spécialisée en littérature au
Tchad. Laring occupe une place de choix dans le monde littéraire
tchadien. Les jeunes écrivains le considèrent comme conseiller.
Samafou, responsable du service de l'édition de l'ADELIT a eu le prix
national de la meilleure poésie d'expression française en 1989;
le prix international de littérature en Italie en 1996 ; le prix
Rencontres, à Sainte Geneviève des Bois en 1997, le
16e grand prix international de la société des amis de
la poésie en 1997, le troisième prix de poésie libre etc.
Ainsi entouré de distinctions, Samafou est visible dans le monde
littéraire sans être beaucoup lu.
L'étude de ses auteurs nous a permis de savoir que la
formation de ceux-ci en science humaine et surtout en littérature a
guidé leur projet d'écriture et leur succès
littéraire.
3.2 Les autobiographes et nouvellistes : niveau
intellectuel et distinctions diverses
: enjeu littéraire
3.2.1 Les autobiographes : niveau intellectuel,
distinctions diverses et enjeu littéraire
La classification faite par les enquêtés (annexe
1, question 18) présente un docteur en linguistique, deux juristes, un
économiste et un infirmier. Zakaria Fadoul Khidir a effectué des
études supérieures à Kinshasa, Dakar et à Paris
où il sort docteur de troisième cycle en linguistique. Il est
victime de la dictature de l'ex-président Habré. Antoine Bangui
obtient le baccalauréat en 1954 et entre à la faculté des
sciences de Grenoble, rompt les études et s'inscrit à l'Ecole
Normale d'instituteur de Caen. Mahamat Hassan Abakar, après son
diplôme d'instituteur bilingue, obtient une licence à Damas en
Syrie et un DEA en droit pénal à Paris en France en 1982. Il
rentre au pays avec un diplôme de l'Ecole Nationale de Magistrature et
consacre le reste de sa vie à la défense de droits de l'Homme,
après avoir occupé des hauts postes politiques sous le
règne de Déby. Michel N'Gangbet Kosnaye est diplômé
en sciences économiques et politiques. Ahmed Kotoko a effectué
des études au Tchad, au Cameroun et en France. Il a un diplôme
d'infirmier-préparateur. Il est décoré de la
médaille de la Résistance française en 1945 et de la
légion d'honneur en 1960.
89
3.2.2 Les nouvellistes : niveau intellectuel, distinctions
diverses et enjeu littéraire
N'Djékéry, Moustapha, Koulsy et Maoundoé,
les quatre nouvellistes de renom (annexe 1 question 19) et ceux dont les
oeuvres sont imprimées au niveau local et introuvables, Abakar Adam
Abaye, Djimet Kari, Saleh Adoum Nguérébaye et Samafou Diguilou
Bondong ont fait l'objet d'une étude dans la première partie de
ce chapitre réservée aux dramaturges. Les autres sont
détenteurs au moins d'un diplôme universitaire après le
baccalauréat en anglais, économie, droit, littérature,
journalisme, bureautique et pétrochimie, etc. Ceci est suffisant pour la
maîtrise de la langue française et des genres littéraires.
Dinguemnaial Renaud a entamé ses études secondaires à
Garoua pour les terminer à N'Djaména où il prépare
une licence en anglais. Il est lauréat du concours de la poésie
de la ville de Garoua en 1992. Djikoloum, lui, s'est distingué par
L'appel du tam-tam, primée au concours organisé dans le
cadre de « fureur de lire » publiée dans Nouvelles du
Tchad en 1994. Il est également finaliste de « les
inédits 94 » de RFI avec Épitre Posthume parue dans
l'Encrier Renversé, Paris, 1994). Djékorédom Nabam Koopa a
un DEUG en gestion et techniques économiques quand il a produit son
oeuvre. Il a suivi de formations en programmation,
télé-information et en contrôle de gestion assisté
par l'ordinateur à N'Djaména et à Paris. Il a
été lauréat du concours « dialogue des
générations » de l'ACCT en 1985. Il est aussi lauréat
du prix du concours organisé par le CCF en 1993, dans le cadre de «
la fureur de lire ». Djimong Kodibaye Frank a préparé une
licence en droit et techniques juridiques à l'université de
N'Djaména. El Katib Abdou a un BTS de production
pétrolière à l'Institut de Pétrole de Bagdad. Il a
été également primé en 1993 par le CCF pour Le
Bonheur chez soi. La première femme nouvelliste, Nafée Nelly
Faigou est titulaire d'une maîtrise sur le théâtre africain
contemporain. Elle a eu le Grand Prix de la nouvelle organisé par le
RLPT en 1996. Elle animait en ce temps le SBL. Hourmadji Moussa Doumgor,
diplômé de l'École Supérieure Internationale de
Journalisme de Yaoundé, a à son compte une nouvelle primée
lors de la semaine du livre en 1996 : Le Devoir d'aîné de la
famille. Kodibaye Patrick, titulaire une licence en droit et techniques
juridiques obtenue à l'université de N'Djaména, a
participé à l'atelier d'écriture de l'ADELIT, en 1992 avec
Ceux qui n'ont droit qu'à l'enfer. Palouma Zilhoubé, la
deuxième nouvelliste femme de la liste est assistante de direction. Sa
nouvelle L'Enfant rebelle a été primée lors de la
« la fureur de lire » en 1993 et publiée l'année
suivante dans Nouvelles du Tchad (N'Djaména, PACT, 1994).
Vangdar Dorsouma, enfin, est connu pour sa détermination à
défendre les droits de l'Homme.
90
3.3 Les poètes : niveau intellectuel, distinctions
diverses et enjeu littéraire
L'enquête donne une liste de quatre poètes de
renom (annexe 1, question 20). Il s'agit de deux enseignants-chercheurs,
philosophe et dramaturge et de deux politologues de formation. Nimrod est
auteur d'une thèse de doctorat en philosophie soutenue en France en
1996. Il a obtenu en 1989, le prix de la Vocation pour son recueil de
poèmes intitulé Pierre, poussière (Paris,
Obsidiane, Sens, 1989). Il est rédacteur en chef d'une revue
semestrielle, artistique, philosophique et littéraire
dénommée Aleph Beth en France. Ceci est une distinction
qui mérite d'être signalée. Les deux dernières
décennies du 20e siècle sont ses années
d'inspiration littéraire : un roman, trois recueils de poèmes, un
essai et une vingtaine d'articles parus dans des revues
spécialisées en France. Koulsy Lamko, fils d'instituteur, a vu
ses études secondaires interrompues par la guerre civile de 1979. Sur le
chemin de l'exil, il a eu son baccalauréat au Burkina-Faso où il
amorça des études supérieures. Il obtint en 1988 une
maîtrise de lettres à Ouagadougou. Il est titulaire d'un
certificat d'entrepreneur culturel puis d'un doctorat sur l'émergence
d'un théâtre de la participation en Afrique noire francophone.
L'homme le plus riche en titres au sein de la littérature tchadienne des
années 1990, il est comblé distinctions. Après la bourse
de la Fondation Beaumarchais qu'il obtient en 1993, pour une résidence
d'écriture à Limoges, son talent n'est pas à contester. Il
participe à plusieurs festivals et décroche autant de prix : prix
Rfi-Théâtre en 1989, prix du concours "Afrique trente ans
d'indépendance" en 1990, prix Unicef Musée en 1992, etc. Si
Koulsy a un doctorat sur les nouvelles esthétiques
théâtrales en Afrique noire francophone, il s'affirme aussi comme
griot par la poésie, la musique et le cinéma et compte parmi les
novateurs. Malgré ses nombreuses activités, Koulsy a
été membre du jury du CTI de RFI en 1994, ainsi que membre du
jury des 3es jeux de la francophonie de Madagascar. Bourdette-Donon
analysant ce qui fait la particularité de Koulsy, affirme en ces termes
: « Tout le mérite de Koulsy consiste à être
parvenu à partir des scènes privées, à porter l'art
sur le terrain de l' action politique en relatant l'agonie, entrecoupée
de cris, de douleur et de révolte, d'un peuple dressé contre la
cruauté et la corruption» (Bourdette-Donon 2000 : 128).
Koulsy, dans ce cas, lutte comme Mougnan et Nébardoum contre le silence,
l'indifférence et appelle à la justice, la lucidité et
à l'engagement. Ceci, il l'exprime lors de son passage à
N'Djaména en 1998 : « Il y a une indifférence à
se boucher l'oreille, une honte à se fermer les yeux, un crime à
se taire.» (Benadji, in Malt, n° 005, 1998 : 7).
N'Djékornondé Moise Mougnan, fils d'André Mougnan, homme
politique mort dans les geôles de Tombalbaye, est un politologue et
91
journaliste de formation qui a lutté pour le
panafricanisme et les droits de l'Homme. Son premier recueil de poèmes,
interdit au Tchad sous Habré, est enseigné en République
démocratique du Congo, aux USA et à Haïti. Ces textes sont,
selon Bourdette, une révolte contre l'injustice : « Ces
poèmes vont de l'hommage à Sankara, au salut adressé
à Mandela en passant par la dénonciation de l'oppression des
femmes ou le rejet des dictatures. Ils crient la douleur tenace de l'exil,
exaltent l'encre et la plume, les outils et les mots du poète pour
rappeler le sang versé sur tout le continent»
(Bourdette-Donon, 2003 : 230). Après les études secondaires
débutées au Lycée Félix Éboué
à N'Djaména et achevées à Libreville, Mougnan
poursuit ses études supérieures au Canada. Cette ouverture sur le
monde anglophone est rendu possible grâce à un séjour
d'apprentissage de la langue de Shakespeare au Nigeria. La popularité de
Mougnan réside dans sa volonté, depuis le Canada, de faire
l'éloge des grandes figures qui ont combattu l'injustice, le racisme, la
guerre et le sous-développement. À eux, il dédie Des
Mots à dire, son livre écrit contre la dictature et
l'oppression. En plus de la littérature, la lutte associative pour la
liberté, l'égalité et les droits de l'Homme est un pan de
la philosophie politique de Mougnan. Nébardoum Derlemari Abdias a
achevé ses études secondaires, interrompues par la guerre civile
de 1979, à N'Djaména, au Togo. Là il suit des
études de droit et s'oriente en Sciences Politiques et Administration
Publique, formation qu'il achèvera plus tard au Canada. Politologue
diplômé des sciences sociales, ce chercheur s'intéresse
à la «diplomatie de population» en Relation Internationale au
détriment de la «diplomatie d'État». Comme Mougnan, il
s'intéresse dans ses écrits à l'Afrique et
particulièrement au Tchad et rêve voir une Afrique
dépourvue de disputes et de clivages. Il est un poète de
développement. Au Tchad, il est moins connu, mais les critiques
littéraires font de lui une figure de la lutte non armée contre
l'oppression et l'injustice. Sa poésie est pour Bourdette-Donon
« un acte de connaissance et d'éclaircissement politique qui
propulse l'image phare du poète prophète»
(Bourdette-Donon, 2003 :236). Nébardoum de son
«là-bas» se voit obligé de dire l'«ici» et
cela gagne l'admiration de Bourdette. Pour ce dernier, « tous les
textes se nourrissent de l'absence et de ce qui hante l'artiste, de la
libération de paroles refoulées ou réprimées pour
faire de la poésie le noeud dramatique du poète à son
histoire personnelle comme à l'autre, la grande, l'Histoire»
(Bourdette-Donon, 2000 : 100). A. Taboye avoue également que
l'engagement du poète est incontestable dans la mesure où il
dénonce les catastrophes du pays. Il ajoute que le poète ne fait
pas que dénoncer, mais accuse et crie. Car son espoir réside dans
l'écriture du cri
92
qui est : « l'expression la plus immédiate de
la douleur et la plus accessible à tout le monde» (Taboye,
2003 : 290). Nocky Djédanoum est connu comme journaliste de formation,
fondateur du Festival Fest'Africa. Sa popularité tient de l'organisation
et de la réalisation du «Fest'Africa sous les étoiles».
Ce festival qui a eu lieu à N'Djaména a réuni en 2005 des
éminentes personnalités de la littérature, de l'art et de
la presse. Avant cela, son oeuvre intitulée Illusions,
primée en 1984, a été diffusée sur les ondes de la
Radio France Internationale dans le cadre de l'émission «
premières chance sur les ondes». En 1997, sa pièce
L'Aubade des coqs a été représentée par le
Logone-Chari Théâtre au MASA d'Abidjan et est retenue par cette
troupe pour participer, la même année, au Fest'Africa de Lille.
Au niveau local, la poésie est produite par des
intellectuels pas des moindres. Mais il serait tôt de parler de
distinction littéraire pour ces jeunes poètes en quête
d'éditeurs. Amine Idriss Adoum est licencié en Histoire et
archéologie et titulaire d'un diplôme supérieur de
Management. Djikoloum Nang a été rendu populaire après
Tchad mon pays, recueil de poèmes primé, publié
et diffusé par le Centre Dombao de Moundou. Mahamat Djeddid Ahmat a eu
une licence à la faculté de lettres, à l'université
de N'Djaména, en 1996 et a obtenu un diplôme de l'ENA option :
diplomatie, en 1997. Il a été primé en 1990 par le centre
Dombao de Moundou pour l'ensemble de ses poèmes. Mbaïdam Boguy a
les mêmes diplômes que Djeddid, ci-haut cité. Sa
poésie est rendue publique grâce au journal
N'Djaména-Hebdo.
Dans ce chapitre, nous avons démontré que les
expatriés, par leurs productions littéraires, ont posé les
jalons de la littérature tchadienne écrite d'expression
française. Les concours, représentations et prix au niveau
international ont participé à la popularité des auteurs.
Six associations littéraires et quelques centres culturels ont soutenu
des activités littéraires. Il a aussi été question
de dévoiler quelques sources d'inspiration qui sont motivées par
des événements sociopolitiques. Le niveau intellectuel des
écrivains tchadiens est appréciable, car la grande
majorité des écrivains ont au moins le Baccalauréat, une
formation universitaire ou équivalente. La plupart d'entre eux ont suivi
des études littéraires. Ceci peut être un gage non
seulement pour la qualité de la production, mais aussi pour la
connaissance et l'étude des genres littéraires. Il se trouve
qu'il y a des facteurs défavorables pour la mise sur pied d'une
institution de la littérature. Le champ littéraire est
jalonné d'obstacles d'ordre linguistique, religieux et culturel. Le
chapitre suivant a pour objet l'analyse de ces éléments et la
proposition de quelques solutions à ses obstacles afin de permettre
l'éclosion de la production littéraire au Tchad.
93
Chapitre 4 : Les facteurs linguistiques, religieux et
culturels
En Afrique, la plupart des écrivains s'adressent
à leurs publics dans la langue de l'ancien colonisateur malgré
eux. Tchicaya U Tamsi, poète congolais résume cette contrainte en
ces termes : « écrire en français n'a pas
été le fait d'un choix intérieur, mais procède
d'une exigence externe» (Schifano32, 2003 : 56). Les
exigences extérieures sont entre autres le refus de la plupart des
éditeurs à éditer les textes en langues locales. Ainsi,
« l'écrivain du continent africain écrit
généralement dans une langue qui n'est pas la sienne et pour un
public donc la majorité ne sait pas lire» (Schifano, 2003 :
51). Sartre, Senghor, Tchicaya, Kesteloot, à l'instar de plusieurs
critiques et écrivains, après avoir soulevé le
problème linguistique, ont opté pour le français. Au
Tchad, le français n'est utilisé couramment que par un groupe
d'intellectuels très restreint. Le reste de la population est en
majorité analphabète tant en langues nationales qu'en langues
étrangères. Or, il se pose, entre ces langues, une question
d'intercompréhension. C'est de ce paradoxe qu'il s'agit dans ce
chapitre. Étudiant le rapport littérature-culture, Salaka obtient
que :
La culture est un ensemble des formes, des
manières, ou méthodes matérielles
ou immatérielles, concrètes ou abstraites,
par lesquelles les hommes, de façon individuelle ou collective,
manifestent, expriment d'une part leurs rapports avec leur environnement et
d'autre part leurs rapports entre eux. (Salaka, 2003 : 53). Elle est le
lieu de dépôt des manières de faire et de penser. Pour
Chevrier, le fait
d'« utiliser une langue d'emprunt pour exprimer sa
propre culture aboutit non seulement à une transformation du message
mais à une véritable trahison» (Chevrier, 1984 : 208).
Il reconnaît par la suite que le choix d'une langue vernaculaire est
possible à condition que les politiciens et les linguistes s'entendent
et en vulgarisent une. Après l'état des lieux, notre souhait est
d'arriver à un tel résultat.
En ce qui concerne la religion, sa pratique par les membres
d'une même famille, d'un même village ou d'un pays pose
généralement des problèmes de cohabitation. Quand un
conflit issu de la religion est bien géré, nous
bénéficions d'un enrichissement culturel mutuel. Au cas
contraire, il peut entraîner la ségrégation, le rejet de
ceux qui ne pratiquent pas la même religion que soi. Dans ce travail,
l'enrichissement culturel est notre projet.
32In Manessy, Gabriel, Le français en
Afrique noire : mythe, stratégies, Paris, L'Harmattan, cité
par Schifano
94
1. Les contraintes linguistiques
Penser une langue en termes
d'hétérogénéité, de pluralité et de
créativité peut conduire à un composite riche mais pas
toujours homogène. En Afrique, les langues locales s'imbriquent au
français et lui donnent une couleur locale. Au Tchad, hormis l'usage du
français classique en zones administratives et celui du « petit
français » (français vernaculaire tchadien) dans les places
publiques en milieu urbain, les populations rurales donnent au français
une place élitiste, il est moins utilisé dans les
échanges. La diversité linguistique, le bilinguisme et
l'analphabétisme dans une des langues officielles sont des contraintes
surmontables. Cette difficulté mérite d'être passée
en revue.
La diversité linguistique est de prime abord une
richesse dans la mesure où chaque langue garde en elle les valeurs
culturelles du groupe ethnique qui la génère. Mais elle peut se
poser avec une grande acuité comme problème quand les peuples qui
occupent le territoire, au lieu de s'entendre, cherchent chacun à
montrer son hégémonie. Le bilinguisme est une solution pour
l'échange sociopolitique, économique et culturel, mais la
présente étude vise à démontrer que celui du Tchad
est mal géré.
Dans un tel contexte, le français reste la langue de
prédilection pour la production des textes littéraires et leur
consommation au Tchad. L'arabe, selon les recherches, a fait son essai en
production littéraire, mais son alphabet et son écriture sont
restés très élitistes pour la majorité de la
population tchadienne.
1.1 La diversité linguistique : enjeux et
perspectives
La diversité linguistique est la présence ou
l'usage en un lieu donné d'une variété de langues. Le
Tchad compte plus d'une centaine de langues utilisées. Ce multilinguisme
n'a pas que des conséquences positives. Sur les plans politique,
économique, socioculturel et éducatif, les langues peuvent
freiner le développement, la communication et l'unité.
L'intérêt de cette préoccupation tient du fait que la
littérature n'est consommée que par un groupe restreint de
locuteurs francophones.
Sur le plan politique, les conflits Nord-Sud sont dus, en
partie, à la mauvaise gestion des langues. L'imposition d'une langue au
plan national au détriment des autres peut causer un conflit
ethnico-linguistique. Si l'arabe, par exemple utilisé pour la
communication politique est compris par tous les Tchadiens et que la politique
de la communication est orientée vers l'unité, la paix et le
développement du pays peuvent être envisageables. Or, au
95
Tchad, les modèles politiques légués par
les afflictions de la guerre civile ne sont pas de nature à rendre
aisée la volonté d'acceptation du point de vue des adversaires
politiques d'origine et de langue autres que les nôtres, même si
ceux-ci ont raison.
Cette inter-communicabilité linguistique peut conduire
à une politique économique. Quand la langue pose des
problèmes ségrégationnistes le pays régresse. Bref
la politique linguistique commune, nationale favorise la tolérance et le
commerce. Les peuples qui échangent biens et valeurs doivent se sentir
heureux et libres en groupe. La division Nord-Sud tant décriée
à fait d'Abéché (la capitale du Ouaddaï) le
pôle économique arabo-musulman et de Moundou (au Logone
occidental) le principal centre économique du Sud. Les données
tendent cependant à changer ces dix dernières années.
Sur le plan socioculturel, la société, la
famille, la culture et la religion d'autrui assaillent, si
l'altérité cède sa place à la haine. L'Autre est
une valeur, un ami potentiel. Le brassage est indispensable. Les termes «
doum », « saray » et « banana
» ont au Tchad une connotation péjorative qui divise les
concitoyens. Baba Moustapha (Le Souffle de l'harmattan), Nocky
Djédanoum (Illusions) et Marie Christine Koundja
(Al-Istifack ou l'idylle de mes amis), etc. ont prôné
l'unité par le mariage mixte malgré l'opposition sociale,
culturelle, politique et religieuse. C'est vrai. Mais combien de Tchadiens ont
franchi le premier pas ? Les quartiers des villes sont toujours restés
séparés. Le refus de la différence et l'intolérance
divisent le pays et fragilisent l'effort littéraire. Le souhait de tout
écrivain est d'être lu en premier par le plus grand nombre
possible de ses compatriotes. Si les hommes politiques placent les langues
officielles au centre des initiatives, leur développement va favoriser
la visibilité de la littérature sur le plan national. Les
religieux et les politiques ne doivent pas voir en elles des véhicules
de clivage et de division. La rentabilité économique favorisera
la production, la diffusion et la lecture des oeuvres d'auteurs tchadiens.
Au plan éducatif, la culture de la lecture et de
l'unité nationale n'est pas encore effective. La liberté
religieuse, culturelle et d'opinion est en voie d'acquisition. Les langues sont
nombreuses, mais seul l'arabe, la deuxième langue et l'unique
après le français aux programmes scolaires est reconnu et
placé optionnel malgré l'effort des instituteurs. Une chose
à revoir est l'usage abusif de l'arabe local dans la vie
socioprofessionnelle. Une descente dans des lieux publics tels que
l'école peut être décourageante dans la mesure où,
en l'absence du maître ou du professeur, les élèves, qui
pourtant refusent le cours d'arabe
96
littéraire ne se communiquent qu'en arabe local, qui
est dans beaucoup de foyers la langue maternelle. En conséquence,
après la terminale, les élèves sont illettrés en
arabe littéraire, passables en français.
En perspective, pour la stabilité et le
développement du Tchad, que les autorités politiques initient des
projets de valorisation et de classification des langues. La
réalité nord-sud est un bluff politique. La séparation ou
l'usage d'une seule de ces langues à la radiodiffusion, à la
télévision ou sur les papiers officiels est une injustice
linguistique. Si notre langue, notre ethnie, notre religion nous
empêchent de « commercer » avec autrui, nous sommes loin de la
recherche de l'unité, d'ailleurs le premier mot de la devise du Tchad
(Unité - Travail - Patrie). Le Tchadien francophone écrit des
oeuvres, quelquefois primées, mais celle-ci ne sont pas lues, voire
touchées par son voisin musulman du quartier parce que celui-ci est
analphabète en français ou qu'il pense ne pas consommer les
valeurs occidentales, chrétiennes, nuisibles à sa foi de fervent
musulman. Le bilinguisme doit être équilibré pour tous les
citoyens : c'est-à-dire lire et écrire en arabe et en
français.
Une fois les langues nationales cultivées,
valorisées, la diversité linguistique sera une richesse et non
une source de cloisonnement. L'arabe et le français véhiculeront
certes les civilisations arabo-musulmanes et judéo-chrétiennes
occidentalisées mais ouvriront aussi des chances de formation à
la jeunesse dépourvue de structures techniques. Ces valeurs doivent
être selon Bangui, transmises, vécues, remaniées,
animées et enrichies. Il souligne, lors du colloque
célébrant le 30ème anniversaire de la Fondation
de INSH de l'Université du Tchad, tenu à N'Djamena du 25 au 27
novembre 1991, que : « L'éducation est une occasion
privilégiée d'acquisition d'une culture et de réflexion
sur ses produits. Beaucoup de pays considèrent que c'est là une
manière d'acquérir et d'affirmer une unité nationale qui
se cherche » (Bangui, 1994 : 28). Les langues moulues par
l'école bénéficient de production, de traduction et
d'adaptation littéraire. La littérature ne sera plus en
français seulement mais aussi en langues locales.
97
1.2 Le bilinguisme du Tchad
Les langues officielles du Tchad sont le français et
l'arabe, malgré l'existence d'une centaine de langues nationales et de
dialectes. L'usage de ces langues officielles pose problème dans la
mesure où le taux d'analphabétisme s'élève à
80 %33. La diversité culturelle pose un autre problème
auquel seuls les citadins peuvent échapper : les nomades éleveurs
; les sédentaires, agriculteurs ; les montagnards, chasseurs et les
lacustres, pêcheurs, etc. ont, en zones rurales, une diversité de
modes de vie et de production qui les éloignent les uns des autres. Vu
que la scolarisation n'est pas à son apogée dans les villages,
chaque groupe culturel et ethnique campe sur sa langue. Si les citadins
échappent probablement au cloisonnement linguistique, un enjeu religieux
du bilinguisme les divise. L'arabe et le français véhiculent
respectivement l'Islam et le Christianisme. Il est clair que toutes ces deux
religions viennent de l'Orient, mais le passage du Christianisme par l'Occident
lui a fait prendre la culture occidentale ou française (pour les
francophones). L'Islam, prêché en arabe, véhicule quant
à lui, la culture arabe.
Dans les villes, les originaires du Sud occupant les quartiers
sud, ont un mode vestimentaire occidental, parlent généralement
français et sont majoritairement chrétiens. Les quartiers nord
sont occupés par les originaires du Nord, musulmans, arabophones
généralement en « Djellabas ». 34 Ce
phénomène n'est pas de nature à encourager la
cohésion sociale.
La guerre civile de 1979 a renforcé davantage cette
séparation qui met en danger l'unité. Les conditions
géographiques ont une influence sur la langue et la religion, rendant
ainsi la création littéraire bipolaire. Les instituteurs
arabophones sont musulmans et se tournent vers les milieux « nordistes
», s'ils ne sont pas engagés au service de l'État au Sud.
Les instituteurs « sudistes », francophones et en majorité
chrétiens font autant pour leur zone. La création
littéraire en français est incontestable, mais atteint moins des
lecteurs. La pratique orale de l'arabe, au contraire est visible mais ne donne
pas lieu à une littérature tchadienne d'expression arabe
quantitativement et qualitativement reconnue.
33 Selon le Recensement Général de la
Population et de l'Habitat organisé en 1993
34Habits d'apparat choyés par les musulmans
pour leur longueur qui couvre une grande partie du corps, communément
appelé djallabias.
98
Plusieurs chercheurs estiment aujourd'hui que la «
désislamisation » de l'arabe et la « déchristianisation
» du français dans l'esprit des apprenants pourront donner une
poussée d'espoir au bilinguisme équilibré à l'oral
et à l'écrit pour tous les Tchadiens. Le bilinguisme ne veut en
aucun cas dire que chaque Tchadien peut choisir d'apprendre et de parler l'une
de deux langues. Beyem Roné martèle que « le
caractère officiel des deux les rend obligatoires pour tous»
(Beyem, 2000 : 408). Autrement dit, il est difficile de travailler dans un
même pays, un même bureau ou assister à une même
conférence en utilisant deux langues différentes, sans
inter-communicabilité.
Pour Beyem, il ne suffit pas simplement d'apprendre une seule
langue ou d'apprendre juste à parler l'arabe ou le français et
maîtriser le parlé et l'écrit de l'autre langue. Une langue
n'est pas seulement un aspect linguistique. Elle est une culture puis une
civilisation. Joseph Tubiana déclare à cet effet : «
l'information véhiculée [par une langue] englobe la
totalité de la culture matérielle de la communauté qui
parle la langue et au-delà la totalité de la culture tout court :
modèle de comportements, valeurs, croyances, et aussi la totalité
de l'histoire de cette communauté. (Tubiana, 1981, cité par
Beyem, 2000 : 289).
Qui accepte la langue accepte ipso facto la culture d'origine.
Or, au Tchad, le bilinguisme est une question de guerre entre la civilisation
arabo-islamique et celle franco-chrétienne que l'arabe et le
français représentent. Les arabophones apprennent, malgré
eux le français pour l'exercice de leurs fonctions professionnelles. Les
francophones ne cherchent presque pas à apprendre l'arabe
littéraire. À la CNS comme à l'adoption de l'arabe la
question du type d'arabe à utiliser s'est posée. Les francophones
pensaient à l'arabe dialectal. Mahamat Hissène justifie cet
état de chose :
Les francophones effrayés par la perspective
d'apprendre un autre alphabet
avec l'officialisation de la langue ont tenté de
détourner la difficulté en arguant
que cet arabe est l'arabe véhiculaire que tous les
Tchadiens apprennent. Mais
ils ne se sont pas demandé en quel alphabet on
écrirait cet arabe. (Mahamat, in
Contentieux, 1998 : 199)
Nous remarquons qu'il y a eu d'hypocrisie à propos du
bilinguisme. Vingt et un ans
après l'officialisation de l'arabe (de 1978 à
1997), 10% de Tchadiens seulement sont scolarisés en cette langue. Le
paradoxe est que même les défenseurs de l'arabe envoient leurs
enfants à l'école française.
99
Il y a un problème d'emploi et d'exercice de
métier qui se pose comme conséquence directe de cette «
bipolarisation linguistique ». La durée et la rigueur dans la
formation ne peuvent pas être les mêmes. Le français a
été officialisé en 1958 avec la proclamation de la
République. Mais l'unique département de Lettres Modernes de la
FLSH de l'Université de N'Djaména, au Tchad peine à former
une demi-douzaine d'étudiants candidats à la maîtrise de
Lettres et de Linguistiques. L'arabe, de 1978 (année de son
officialisation) à nos jours, "fabrique" des « docteurs made in
N'Djaména ». Pourtant c'est la seule Fonction Publique qui
embauche, et avec les mêmes critères. L'arabe
bénéficie d'un privilège démesuré et exerce
une pression sur les institutions de l'État. Dans les lieux publics
comme à la maison, l'arabe tend à gagner le champ linguistique
tchadien. Dans le cadre de ce travail de recherche, notre objectif n'a pas
été de prendre position contre l'arabe au profit du
français et de lui jeter l'anathème, mais de constater et de
démontrer que l'inégalité dans l'usage du bilinguisme au
Tchad n'est pas favorable à la production et la consommation de la
littérature.
1.3 L'arabe : une tentative d'écriture
élitiste
Le dictionnaire du littéraire de Paul Aron,
définissant la littérature nationale, met l'accent sur l'aspect
linguistique : « le terme littérature nationale sert à
désigner l'ensemble des traits thématiques et linguistiques qui
permettent de rattacher un corpus d'oeuvres et de pratiques à un groupe
ou une communauté historiquement et politiquement constitués
» (Aron et al., 2000 : 393). L'aspect linguistique qui permet de
rattacher la littérature tchadienne à sa communauté est
complexe. L'arabe, tout comme le français, n'est pas une langue
vulgarisée. 10% de la population tchadienne savent lire et écrire
en arabe. Parler aujourd'hui d'une littérature tchadienne d'expression
arabe, c'est aller à la découverte d'une littérature
élitiste, introuvable, pour ne pas dire morte. Les
bibliothécaires et libraires du Tchad ignorent l'existence d'une telle
littérature. Les Lettres arabes sont assimilées aux textes
sacrés de l'Islam. Pourtant quelques poètes arabophones ont
produit des textes qui souffrent de visibilité. Personne ne peut
exactement dire à quelle époque est née cette
écriture poétique au Tchad. Mais Henri Pérès
reconnaît que « la littérature arabe moderne
éprouve quelques gênes à se réaliser pleinement
» (Pérès, 1999 : 12).
Selon le Professeur Abdallah Ahmadnallah, enseignant-chercheur
à l'université de N'Djaména, Ibrahim Alkanemy serait le
premier poète arabophone tchadien. Abdoulaye Moustapha,
enseignant-chercheur au département de lettres et linguistique arabes de
l'Université de N'Djaména affirme que «
l'épanouissement de la poésie tchadienne du point
100
de vue technique a commencé à voir le jour,
surtout lors des conférences littéraires mondiales»
(Moustapha, A., in collectif, 2009 : 68). Parmi les poètes reconnus
au niveau mondial, Moustapha cite Abbas Mahamat Abdel Wahid (Al
Malamih); Mahamat Oumar Al Fall (As'Dâ'Annafs ou l'écho
de l'âme). Hassaballah Mahdi Fadla (Nabadatou Oummatî ou
les battements de ma communauté); Issa Abdallah (Hazma mâ
qâlat Hazâmi ou vers ce qu'a dit Hazâmi), Abdel Wahid
Hassan Assenoussi ; Abdel Kadre Mahamat Abba (I'Sâroun Fî Fou'
âdine ou tourbillon dans un coeur) etc. Ces poètes ont
développé des thèmes d'amour, d'humanisme, de guerre, de
sous-développement et de politique.
S'agissant des thèmes ci-haut
énumérés, c'est Abdel Wahid Hassan qui, dans «
Ohazal ou l'élégie d'amour » traite de l'amour en
faisant le portrait moral et physique de sa dulcinée. Al Fall, quant
à lui chante « l'amour de la patrie » dans un texte
éponyme. Atié Djawid Djarannabi, dans «... dirigeants
idiots », s'en prend aux hommes qui ne songent pas au sort de la
population. Le suivisme à l'occidentale (phénomène
combattu) est un thème traité par Issa Abdallah dans «
Le Bâton de Moussa ».
Atié Djawid Djarannabi estime que « la
démocratie est une des formes du néocolonialisme ». C'est
sous cette démocratie que surviennent les guerres qui ont poussé
Mahamat Djarma Khatir à écrire « l'Afrique du
Révolutionnaire », appelant à la révolution,
à la lutte. Un texte d'Ibn Yacoub Attardjani décrit le
comportement colonial et ses enjeux. Yacoub Abou Kouwéissé et
Abbas Abdel Wahid pleurent, l'un son père et l'autre son ami, dans leurs
poèmes.
Cette reconstruction de la littérature tchadienne
d'expression arabe a ses difficultés qui sont liées à la
disponibilité des textes, à leur visibilité dans le champ
littéraire tchadien, à leur traduction en français (langue
qui véhicule la littérature tchadienne depuis plus d'un
demi-siècle), au développement d'autres genres que la
poésie, à la lecture, l'édition et la diffusion des
textes.
Pour que les textes soient disponibles et la
littérature visible, il faut l'institutionnalisation de la chaîne
du livre. Les travaux d'Abdoulaye Moustapha, lors du colloque des
écrivains tchadiens tenu à N'Djaména du 03 au 07
décembre 2007, sont le début de la récupération et
de la valorisation des textes disparates. Pour lui, le choix de la
poésie par les écrivains n'est pas le fruit du hasard. La
littérature arabe, dominée par la poésie, l'éloge,
la description et l'apparat sont des sous-genres de la poésie. Vu la
faible consommation de la
101
littérature tchadienne d'expression arabe, la
poésie cadre bien avec les attentes des jeunes qui sont prêts
à passer des journées à suivre des jeux ou la
télévision et non à lire les centaines de pages d'un
livre. Nous avons affaire à une écriture élitiste
réservée à quelques personnes, généralement
des chercheurs et des chefs religieux musulmans.
La diversité linguistique poussera certainement les
acteurs à produire et traduire des textes en arabe tchadien par exemple
pour une visibilité équilibrée des textes tchadiens des
deux langues officielles : l'arabe et le français. Ce qui reste à
faire, en plus de l'appel à l'écriture en arabe, est la
définition des critères de la constitution d'un corpus de la
littérature tchadienne qui puisse prendre en compte la politique du
bilinguisme. Car, comme le dit Gervais Baldal : « communiquer avec son
public et aller à la conquête d'autres publics demeure l'objectif
de l'auteur. L'écrivain perdra toute sa notoriété s'il
prêche dans le désert» (Baldal, in Collectif, 2009
:106)
102
2. Regard sur les religions
La religion désigne l'ensemble de croyances et de
dogmes définissant le rapport de l'homme avec le sacré. Chaque
religion a des pratiques et des rites qui lui sont propres. Il existe une
multitude de religions à travers le monde, révélées
ou non : le Christianisme, l'Islam, le Bouddhisme, l'Animisme, etc. Parmi les
religions au Tchad, l'étude vise à choisir le Christianisme et
l'Islam pour démontrer qu'il se pose entre eux un problème de
coexistence qu'il est nécessaire de résoudre. De cela
dépend l'émergence d'une littérature nationale. L'animisme
est négligé dans ce travail pour la simple raison qu'il
n'entretient pas de rapports conflictuels avec le Christianisme et l'Islam. Il
fait bon ménage avec l'Islam dont la pratique n'exclut pas les valeurs
cultuelles traditionnelles. Même si le Christianisme recrute là
ses adeptes, il y a une sorte de cohabitation pacifique entre eux et leurs
frères animistes
J. Chapelle préfère le terme « animisme
» pour désigner plus volontiers les « religions
traditionnelles africaines ». Il trouve le pluriel vague et l'expression
fausse dans la mesure où toute religion est traditionnelle. Selon lui,
l'animisme est « un terme commode mais transitoire, déjà
rejeté après avoir supplanté le paganisme, le
fétichisme, le culte des ancêtres et autres définitions
» (Chapelle, 1986 : 126). C'est la singularisation de ces croyances
qui ont pourtant des différents aspects. L'animisme serait la religion
non révélée de chaque groupe d'individus dans un lieu
précis, le rapprochement de ce peuple vers le sacré. Les
animistes font des sacrifices et adorent des dieux, des morts ou des
ancêtres, des génies, etc.
Les conflits au Tchad n'existent apparemment qu'entre le
Christianisme et L'islam. Pour la simple raison que « l'animisme n'a
rien à défendre contre la religion chrétienne qui
espère toujours le récupérer aidé dans ces efforts
par les pouvoirs publics, qui, pour contrecarrer les manoeuvres musulmanes
cherchent à empêcher les « fétichismes » de
devenir musulmans.»(Abazène, in Collectif, 2002 : 38).
Abazène estime que l'État est très proche du christianisme
et tente de qualifier d'animistes toutes les pratiques musulmanes
traditionnelles. Ceci est une prise de position qui pourrait être
contredite par d'autres personnes chrétiennes. Il soulève un
problème de définitions qui, selon lui, peut être une cause
de conflit religieux.
103
2.1 Les religions révélées : le
Christianisme et l'Islam
La diversité religieuse n'est pas d'emblée une
source de conflit. C'est l'usage que les hommes en font qui créé
la ségrégation. La rencontre avec l'Autre est un creuset
d'enrichissement mutuel. Cette question se trouve au centre des récits
de bon nombre d'écrivains tchadiens. Al-Istifack ou l'Idylle de mes
amis de M. C. Koundja, (Yaoundé, Clé, 2001) et Le
Souffle de l'harmattan de B. Moustapha (Paris, L'Harmattan, 2000)
illustrent clairement le conflit entretenu au nom du Christianisme et de
l'Islam. Après une présentation de chacune d'elle, il faudra
démontrer en quoi consiste le conflit lié à leur
pratique.
2.1.1 Le Christianisme
Le christianisme est la religion chrétienne (de Christ)
née en Judée et prêchée dans le monde entier par les
apôtres de Jésus après sa mort. Il prêche l'amour du
prochain et la croyance en Jésus, « fils de Dieu » pour le
gain du salut éternel après la mort physique. La bible est la
parole sainte recommandée à cet effet.
D'après John Baur, c'est à partir de 1920 que
les missionnaires protestants, évangéliques et artistes
américains ont mis pied sur le sol tchadien avec la Bible qui enseigne
sur la vie de Jésus Christ et des saints :
Le christianisme est d'abord arrivé au Tchad par
cinq missions protestantes, principalement des américains autour des
années 20. Ils ont formé une élite religieuse sociale et
politique digne de respect. L'évangélisation catholique a
commencé en 1938 avec deux Capucins expulsés de
l'Éthiopie. C'est en 1947 que le territoire fut attribué par Rome
à des sociétés de missionnaires : le Sud-ouest aux
Capucins et Oblats, le reste avec la capitale aux Jésuites.»
(Baur, in Collectif, 2001 : 392).
Les chrétiens sont rassemblés en deux groupes :
les catholiques et les protestants. On peut aujourd'hui en dénommer
plus. Moundou, la capitale du Logone occidental, est le premier centre
catholique avec l'ordination du premier prêtre et du premier
évêque tchadien, monseigneur Mathias Ngartéri Mayadi en
1985. En 1993. Le RGPH montre que sur les 6 millions de tchadiens à
l'époque, 25 % de la population était chrétienne, contre
25 % d'animistes et 50 % des musulmans.
104
2.1.2 L'Islam
L'Islam est la religion fondée dans l'Arabie du
VIIe siècle après Jésus-Christ par
Mahomet35. Les Musulmans croient qu'il y a un seul Dieu, Allah,
qu'il y a des anges pour célébrer les louanges, que le Coran est
la seule Parole divine digne de foi. Ils croient qu'à chaque
époque, Dieu a établi des prophètes pour diriger les
hommes, que tout ce qui arrive, de bon ou de mauvais est
prédestiné par la volonté d'Allah et que celui-ci, nous
attend au grand jour du Jugement pour peser nos oeuvres (bonnes ou mauvaises)
afin de nous accorder le paradis ou l'enfer. Tout musulman doit observer cinq
prières par jour, suivies de la confession de foi, pratiquer
l'aumône, le jeûne, aller, au moins une fois dans sa vie, à
la Mecque. Ce sont là les « Cinq piliers de l'Islam ».Avant
d'aller au cas tchadien de la pratique religieuse, il nous faut voir ce qui
fait la différence entre l'Islam et le Christianisme.
S'agissant des livres saints, certaines personnes
reconnaissent que le Coran est en harmonie avec la Bible. Or les enseignements
sont contradictoires. Un même Dieu aurait-il donc pu inspirer deux livres
contenant beaucoup de points contradictoires ? D. Masson déclare que :
« Le Coran, livre sacré des musulmans, a été
transmis au prophète, instrument passif de la révélation,
tel qu'il est conservé au Ciel, de toute éternité, sur la
Table gardée [...] ; il est inimitable ». (Masson,
apnm36 : 17). Les chrétiens estiment qu'il n'y a autre nom en
dehors de celui de Jésus auquel on peut avoir le salut. La manipulation
sociopolitique de cette contradiction a toujours des conséquences
fâcheuses.
Colt Vuvu dans Un regard sur l'Islam trouve qu'
« il ressort de l'étude comparative de l'étude du Coran
et de la Bible que l'Islam est fondamentalement différent du
christianisme comme la nuit l'est du jour. (Vuvu : apnm : 16). Il postule
que le Dieu révélé par les deux livres sacrés n'est
pas le même, tout comme la divinité de Jésus. Il conclue
que « le moyen du salut proposé par l'islam est tout à
fait différent de celui proclamé par le christianisme »
(Vuvu : apnm : 22). Toutefois ces éléments ne doivent par
influencer sur la gestion de la cité, du pays. Malheureusement, le
contraire divise les citoyens.
35 Mahomet était très insatisfait de
l'idolâtrie et de ses conditions morales et sociales. Les habitants
d'Arabie étaient idolâtres. Il se retirait souvent en dehors de la
Mecque pour méditer dans une grotte. Là, il reçoit de
l'ange Gabriel son inspiration religieuse, l'Islam. Son enseignement a connu
succès en Méditerranée et au Moyen-Orient par le Jihad
(Guerre sainte) et la conquête des terres.
36 Année de publication non
mentionnée
105
2.2 La pratique religieuse : le conflit
Au Tchad la diversité religieuse n'est pas pour la
majorité des cas, source d'enrichissement, mais de conflit. Beyem
Roné voit ce conflit en termes d'opposition culture
négro-occidentale et culture arabo-islamique. Pour lui, ces cultures
divisent le Tchad en Nord-Sud et cela empêche la construction de la
nation tchadienne. Les aspirations culturelles du Sud tendent vers une
civilisation occidentale beaucoup plus chrétienne. Au Nord, la tendance
de la société est d'adopter la religion des arabes, leurs moeurs,
noms et langues ; et si possible se lier aux autres peuples arabes musulmans.
Pourtant, le Tchad est un pays laïc: « Le Tchad est une
république souveraine, indépendante, laïque, sociale, une et
indivisible, fondée sur le principe de la démocratie, le
règne de la loi et de la justice. Il est affirmé la
séparation des religions et de l'Etat» (Collectif,
Constitution du 31 mars 1996 : article 1.). De surcroit, «
L'État laïc respecte la liberté de religions des citoyens et
garantit le libre exercice de leur culte mais n'établit pas de
distinction parmi les citoyens selon leur religion. De même, le choix des
dirigeants ne prend pas en compte de telles considérations»
(Michalon, 1984 : 3)
Il est indispensable, dans un tel contexte, de relever les
aspects linguistique et social de cette division.
Le premier aspect du conflit est linguistique. Au Sud, les
prêches et communications peuvent se faire en français ou en
langues locales dans les églises. Au Nord, même dans les
mosquées les plus « tribalisées », dans lesquelles tout
le monde, - les fidèles, le fakir et le muezzin, etc. - est d'une
même ethnie, où on refuse quasiment les autres ethnies musulmanes,
les cultes et les informations se passent toujours en arabe, prétendue
unique langue de l'Islam. Celui qui ne fait pas usage de cette langue est
d'office rejeté. Ceci est une copie servile de la pratique religieuse
telle qu'elle se passe en Arabie Saoudite. Bangui, dans «
Bilinguisme...dictat ou consensus ? » revient sur ces rivalités
profondément ancrées dans la réalité historique
d'un pays où les différences linguistiques renvoient à des
dissemblances culturelles rendant la coexistence problématique, voire
conflictuelle :
L'arabe, dans l'esprit d'un grand nombre de compatriotes,
est assimilé à l'islam et à la langue des
conquérants [...] à un moment où une partie de la
population a le sentiment d'être colonisée par des nouveaux
arrivants de culture arabo-islamique qui, bien que tchadiens, se conduisent en
pays conquis» (Bangui, in Collectif, 1998 : 78).
106
Ceci est valable pour l'autre partie de la population qui
déteste le français, voyant en lui le véhicule de la
civilisation occidentale chrétienne.
Le deuxième aspect est social. Il s'agit des pratiques
anodines comme aller à la douche
du pied gauche et en ressortir du pied droit, à
l'inverse de ce qui se passe à la mosquée. Ces
éléments religieusement neutres pour les Chrétiens, mais
prépondérants pour les Musulmans rendent la cohabitation
difficile. Le Père Coudray donne quelques exemples de pratiques de ce
genre :
Partager son repas avec un chrétien, consommer de la
viande égorgée par un
non-musulman, accueillir dans sa concession une
veillée funèbre chrétienne ou aller à la
sépulture d'un non-musulman, tous les gestes seront
considérés comme illicites en dépit des textes, de toute
façon ignorés par une bonne proportion de musulmans. Uriner
débout, ne pas user de la sakhane (bouilloire) pour se purifier
après être allé au cabinet, porter des vêtements
occidentaux sont des gestes qui seront souvent considérés comme
impies. Célébrer la naissance, le mariage et la mort selon des
rites autres que ceux de l'islam tchadien est une menace de marginalisation
sociale (Coudray, in Islamochristiano (sic), 1992 : 175-234).
Ces pratiques intolérantes, il faut le dire, poussent le
non musulman au repli sur soi
pour éviter l'affrontement. Il faut noter avec B.
Roné que « la population musulmane à une
majorité écrasante (97,3%) et les
proportions par préfecture vont de 88,5% dans le Chari-Baguirmi rural et
72,7% à Ndjaména (à cause des sudistes qui y vivent)
à 99% à Biltine» (Beyem, 2000: 192). Ainsi ces
pratiques banales interdites par une partie de la population font des
frustrés. C'est pour cela qu'Abderrahmann Ayoub dans «
L'épopée au Maghreb : unité et diversité »
affirme que :
L'Islam était depuis le VIIe
siècle, un ciment unificateur de peuples aux substrats multiples.
Unificateur certes il l'était ; néanmoins [...], l'islam ne
parvient pas à abolir les différences que représentaient
certains comportements humains et croyances populaires [...] lesquels entraient
dans la composition du tissu socioculturel des peuples. (Abderrahmann, in
Notre Librairie n° 83, avril-juin 1986 : 57)
107
L'école française ouvre une voie au
christianisme, mais elle est, de par ses programmes, laïque et
généralement officielle. L'éducation des enfants est
beaucoup plus basée sur la morale que sur les préceptes religieux
qui peuvent faire des « intégristes ». B. Roné
écrit à propos que : « Pour chaque enfant sudiste
aujourd'hui, cette morale est un mélange de traditions de son ethnie et
d'apport occidental véhiculé par l'école qui laisse
beaucoup de liberté à l'individu » (Beyem, 2000 : 193).
Plusieurs penseurs conçoivent que le christianisme n'est pas trop
politique. Au lieu de s'intéresser à la vie en
société, la gestion de la cité, il s'occupe du Salut de
l'âme. Il suffit que l'école arabe arrive à se «
dés-islamiser » pour qu'elle soit une source d'attraction pour le
reste de la population tchadienne non musulmane. Il faut dire que contrairement
à ce que nous constatons des cultures occidentales qui s'entrecroisent,
l'Islam et le Christianisme au Tchad s'annulent presque et constituent une
source d'inspiration pour les écrivains.
2.3 Les religions : prises de position en
littérature
La prise en charge du discours religieux par les
écrivains n'obéit à aucun critère
préétabli. Il y a des auteurs qui défendent l'une des
religions au détriment de l'autre, d'autres critiquent le fanatisme et
d'autres encore prêchent l'entente et l'acceptation d'autrui
malgré la différence. Deux écrivains de confession
musulmane ont démontré cet état de chose qui se justifie
par l'évolution des mentalités. Contre la position radicale de
Kotoko, contemporain de Tombalbaye, Zakaria, sous la démocratie
débyienne propose la tolérance. Dans Le Destin de Hamaï
ou le long Chemin vers l'Indépendance du Tchad d'Ahmed Kotoko le
protagoniste, musulman, dévoile sa volonté de ne prendre en
mariage qu'une fille intellectuelle de la même confession religieuse que
lui. Il dit somme toute qu' « il était très rare de
trouver une jeune fille instruite ayant une culture musulmane au Tchad
même. C'est pourquoi mon choix s'est fixé sur une jeune fille
soudanaise » (Kotoko, 1989, cité par Bourdette, 2002 : 89).
Cette position de Kotoko démontre ce qui se passe dans
le milieu musulman au Tchad. Le musulman n'est pas prêt à donner
sa fille à un non musulman, d'aller chercher une chrétienne ou
une occidentalisée. C'est pour cette raison qu'à défaut de
la fille qui réunit les deux conditions de Hamaï : musulmane et
intellectuelle, il se tourne vers le Soudan, laissant derrière lui des
millions de filles tchadiennes. Gago, dans Tribulations d'un jeune
tchadien, Paris, l'Harmattan, 1993) de Michel N'Gangbet Kosnaye
présente la religion protestante comme une tradition familiale :
« le dimanche étant le jour du repos, je me rends au
Temple
108
[...] Chez nous, nous sommes tous protestants
(N'Gangbet, cité par Bourdette, 2002 : 204). Ceci est
également sa prise de position religieuse de l'auteur.
Zakaria Fadoul Khidir a réussi dans Les Moments
difficiles de revoir les dimensions religieuses conservatrices de l'Islam.
Il s'auto-accuse d'avoir accepté une version pervertie de l'Islam, le
fanatisme : « je suivais des cours religieux en ville et
j'étais très fanatique. J'avais un esprit tordu et un
raisonnement boiteux.» (Fadoul, cité Bourdette-Donon, 2002 :
351). Pour Bourdette, c'est par souci de vérité que
l'écrivain a confessé ses erreurs.
Les deux religions sont pratiquées, mais la
cohabitation n'est pas toujours pacifique. La critique religieuse est de part
et d'autre contradictoire. Une des raisons pour les musulmans de rejeter le
christianisme, selon Jean Pierre Makouta Mboukou, est que : « Le
christianisme par son dogme de la trinité est considéré
comme ayant nié l'unicité divine, le christianisme apparaît
à ses yeux comme associationniste ». (Makouta, 1984 : 116).
Cette pensée favorise le conflit, la difficulté de vivre
ensemble. C'est pour cela que dans Le Souffle de l'harmattan, de Baba
Moustapha, un personnage chrétien se fait une image négative des
musulmans :
Chaque fois que les peuples négro-africains
authentiques, par leur génie propre, construisent une civilisation
pacifique et développée, acceptent au nom de la fraternité
africaine, de vivre avec d'autres ethnies, il se trouve toujours des fanatiques
musulmans pour venir au nom de l'Islam semer [...] la pagaille (Moustapha,
2000 :237).
C'est le comportement de quelques fanatiques qui pousse
à abhorrer l'Islam. Quelques personnes, pour des raisons personnelles,
ne favorisent pas, au nom de l'Islam, la cohabitation. Ce personnage
reçoit une riposte presque immédiate de la part d'un musulman qui
estime que le problème de la paix n'a rien à voir avec un certain
fanatisme religieux : « C'est faux ! C'est une extrapolation abusive
qui tend à dénaturer la lutte des peuples [...]. Qu'on ne vienne
pas camoufler sa carence sous le prétexte d'un quelconque fanatisme
religieux allégrement prêté à ses adversaires.
(Moustapha, 2000 : 237)
C'est de cette manière que les religieux au Tchad se
campent chacun dans son camp pour jeter le discrédit sur le frère
de l'autre religion. La réplique du personnage musulman dans ce texte
taxe carrément les adeptes de la religion voisine d'« adversaires
». Il dévoile sa belligérance vis-à-vis des autres.
Ces deux personnages archétypes des religions tchadiennes surestiment
chacun sa religion et dévalorisent celle de l'autre.
109
Koundja et Moustapha conseillent l'entente, l'acceptation,
l'intolérance religieuse, la
cohabitation pacifique et le mariage mixte. Les religions
n'acceptent pas les mariages clivés. Elles prônent la soumission
des autres personnes à leurs principes, jamais le contraire. Dans
Al-Istifack, le mariage interreligieux n'est pas possible. «
Nous ne pouvons pas donner notre fille à un non chrétien. La
religion musulmane interdit le mariage entre Chrétiens et
Musulmans» déclare un des protagonistes. (Koundja, 2001
:63).
Marie Koundja dévoile sa position en faveur de
l'unité nationale. Le succès du mariage clivé
chrétien-musulman dans son oeuvre est un pas en faveur de la
cohésion sociale. Elle le dit par la voix du narrateur en ces termes:
Chrétiens, Musulmans, nous sommes tous Tchadiens.
Sara ou Ngambaye, Gorane ou Arabe, nous sommes tous frères tchadiens
[...] Et nous devons cohabiter unis dans notre diversité [...]. C'est
ainsi que l'amour entre tchadiens naitra et ira grandissant. Ce grand amour
nous permettra de bâtir le Tchad de demain, afin que nos enfants ou nos
petits enfants vivent dans la prospérité. (Koundja, 2001 :
77-78).
Au moment de la sécheresse, Haroun, dans Le Souffle de
l'harmattan de Moustapha,
avoue que la religion chrétienne vaut au même titre
la religion musulmane. Il prie pour
qu'Allah épargne son bétail de la
sécheresse et demande à son ami chrétien Ganda de prier
pour que Dieu exauce leurs voeux. Faisant un pas de plus vers l'unité,
Haroun est choqué par le fait que les quartiers soient
séparés en groupes religieux : «les quartiers que j'ai
traversés, situés au nord de la ville, semblent
presqu'entièrement peuplés de musulmans et qu'ici on a
l'impression d'être dans un quartier chrétien f...]. Cette
ségrégation m'énerve.» (Moustapha, 2000 : 99).
Ce discours tenu sur la société du livre est difficile à
mettre en pratique dans la
société des auteurs. Néanmoins, il certifie
la volonté des écrivains de ne pas rester indifférents
aux conflits religieux qui génèrent souvent des
batailles ethniques. Les auteurs tchadiens dans leur ensemble militent pour la
quête de l'unité et rejettent l'exclusion sociale. Un appel est
lancé à l'attention des jeunes : « que les jeunes [...]
comprennent que les clivages ethniques et religieux ne sont pas
irréductibles et que l'avenir de l'humanité toute entière
est entre leurs mains selon une nouvelle vision des choses.»
(Koundja, 2001 : 140).
Les Tchadiens doivent s'approcher les uns des autres. L'amour
de son prochain est un principe religieux qu'il faut mettre en pratique. Il
faut arriver au raisonnement selon lequel les deux religions sont
complémentaires.
110
3. De l'hétérogénéité
culturelle à la culture nationale
Le Tchad regroupe sur un même territoire des peuples aux
cultures et identités très variées. Plusieurs ethnies,
religions et langues y trouvent leur place. Cependant, deux cultures dominantes
tentent de diviser le pays en groupes. Il s'agit de la culture
judéo-chrétienne au Sud et celle arabo-islamique au Nord. Cette
division est devenue très pointue après la colonisation. Car bien
avant, chaque groupe ethnique était organisé en empire, en
royaume, en chefferie etc., d'où la présence des Mbang,
(Bédaya, Baguirmi), de Ngong (Léré), de Doré
(Fianga), des sultans (Kanem, Ouaddaï). Ces différents États
précoloniaux regroupaient en eux des sous-groupes ethniques fiers
d'être sous leur autorité et leur protection. Les lois et les
règles de ces groupes et sous-groupes sont du Nord au Sud
différentes les unes des autres. Plusieurs personnes pensent que les
cultures étrangères sont plus ségrégationnistes que
les cultures identitaires locales. Il n'est en aucun cas question d'une
symbiose ou d'une homogénéité culturelle à
envisager pour arriver à une identité nationale digne de ce
nom.
3.1 L'identité culturelle
M. a. M. Ngal définit l'identité comme
« un espace intérieur, psychologique, social, non lié
nécessairement à la présence physique et
géographique sur un territoire national» (Ngal, in Notre
Librairie n° 83, avril-juin 1986 : 42). Cependant cette notion
renvoie en droit civil à « un ensemble des composantes
grâce auxquelles il est établi qu'une personne est bien celle qui
se dit ou que l'on présume telle» (Guillien et Vincent, 1990 :
261) Ces éléments comportent le nom, les prénoms, la
nationalité et la filiation, etc. La nationalité et la filiation
prennent appui sur la culture ethnique et atavique dans un espace donné.
C'est pour cette raison qu'elles méritent d'être
étudiées pour une culture nationale.
Le dictionnaire du littéraire définit
la culture comme « un ensemble de connaissances qui distinguent
l'homme cultivé de l'homme inculte, à savoir un patrimoine
philosophique, artistique et littéraire» (Aron, et al. 2002
:129). Cette définition met en exergue un certain nombre de
connaissances acquises lors de la vie en société et utiles pour
le commerce ou l'échange d'idées entre les membres de cette
société. Le même dictionnaire propose une autre
définition qui prend en compte les valeurs mêmes traditionnelles
transmises pour la formation de l'enfant. La culture est « un ensemble
des systèmes symboliques transmissibles dans et par une
collectivité quelle qu'elle soit, les sociétés primitives
y comprises » (Aron et al, 2002 : 129).
111
Les valeurs et l'individu qui les acquiert appartiennent tous
à une société donnée. La société
étant un ensemble d'individus vivant en groupes organisés, ce
groupe ne peut être constitué sans institutions, ni lois et
règles propres. C'est pour cette raison que dans un pays qui regorge
d'une pluralité d'ethnies, on assiste à une diversité de
cultures, c'est-à-dire d'institutions, de lois et de règles pour
gérer ses sociétés. C'est ainsi qu'au Tchad il y a une
hétérogénéité culturelle remarquable.
Après l'analyse des diverses structures, il ressort qu'il y a des
antagonismes qui ne favorisent pas la vie en société. La
conception des cultes, des aliments, des délits, du vestimentaire n'est
jamais la même partout. L'identité nationale exige une culture et
une littérature nationale comme supports. Comment concilier les
diversités culturelles et la culture nationale ? Telle est la question
qui sous-tend cette démarche.
Si les cultures locales ne sont pas un obstacle à
l'unité, l'influence extérieure divise le peuple tchadien. Les
jeunes du Nord gardent les modes vestimentaires, les cultures alimentaires,
musicales et religieuses copiées sur le modèle des pays arabes de
l'Est où ils sont allés étudier. Ceci contrairement
à ceux du Sud qui imitent les valeurs occidentales. Comment concilier
ces valeurs antinomiques ? Une symbiose de ces cultures constitue une richesse
tant intellectuelle que morale pour un peuple qui aspire à une
unité nationale via une prise de conscience collective nationale.
Malheureusement, l'école, la religion, la langue, l'administration et
les frontières (ou les découpages) ont été
imposés.
Eu égard à la recrudescence de la violence dans
le monde, l'unification et l'homogénéité culturelle sont
envisageables. Les cultures traditionnelles et ethniques prônent toujours
des divisions. Ceux qui se sentent marginalisés ou lésés
se rebellent contre les autres ethnies ou contre le pouvoir central. C'est
là généralement que les conflits armés prennent
leur source. Les divisions Nord-Sud, Éleveur-Agriculteur,
Chrétien-Musulman s'y abreuvent. Les événements de
Bébalem, de Mangalmé et de N'Djaména sont Les exemples de
conflits de cultures sur un fond politique.
112
3.2 La notion de culture nationale
La notion de culture nationale est basée sur des
éléments communs au peuple tchadien. Ce peuple a en commun Les
ancêtres tels que Toumaï, Lucy et la civilisation Sao. Il a subi la
souffrance et l'humiliation sous la colonisation. Pour une unité, le
Tchad a besoin de promouvoir une identité culturelle nationale en
faisant la somme des cultures judéo-chrétiennes, arabo-islamiques
et traditionnelles locales.
Par la littérature, les jeunes tchadiens ont
réussi à représenter le Tchad aux concours internationaux
et gagner des prix au nom De leur pays. Ils ne se sont point
présentés comme Chrétiens ou Musulmans, Nordistes ou
Sudistes, etc. Mais comme Tchadiens tout court. Ceci réhabilite la
culture et l'identité nationales.
L'identité est le caractère de ce qui est un,
uni à soi-même tout en présentant plusieurs aspects. C'est
ce qui permet de reconnaître la personne. Cette reconnaissance implique
une ressemblance à autrui, surtout un ensemble de critères qui
vous sont propres et vous différencient des autres. Avant la
colonisation il n'était pas possible de parler d'identité
nationale. Il n'y avait pas une nation. Il n'y avait que des empires, des
royaumes, des chefferies qui avaient la volonté d'annexer les terres
voisines et les armées du roi adversaire. Chaque peuple ou ethnie
était jaloux de sa culture et de son identité sectaire et
intolérante.
La notion de nation tchadienne n'existait pas car pour parler
de nation, il faut un peuple, un territoire et une volonté de vivre
ensemble. La nation est à cet effet :
Un groupement d'hommes ayant entre eux des
affinités tenant à des éléments communs à la
fois objectifs (race, langue, religion, mode de vie) et subjectifs (souvenirs
communs, sentiment de parenté spirituelle, désir de vivre
ensemble) qui les unissent et les distinguent des hommes appartenant aux autres
groupements nationaux» (Guillien et Vincent, 1988 : 307).
Ces éléments communs, objectifs ou subjectifs
n'ont pu unifier la nation tchadienne avant la colonisation.
Thierry Michalon avoue que c'est au moment des
indépendances qu'il était admis que les sociétés
hétérogènes africaines s'organisent en un modèle
étatique. L'État sera le dénominateur commun de ces
sociétés diverses. Dans ce cas, il affirme :
113
L'État peut ne plus recouvrir une seule nation mais
plusieurs, englobant des populations hétérogènes qui se
différencient par la langue, la culture et l'histoire. L'État se
dote alors d'institutions très fortement [dé]centralisées
afin de respecter la diversité nationale» (Michalon, 1984
:28).
L'État est un legs de la colonisation tout comme les
frontières qui sont taillées au bon vouloir du colon. Pour cette
raison, il ne peut exister une nation tchadienne mais des identités
ethniques et sociales. La colonisation a unifié ces États
précoloniaux dans un territoire : « Tchad ». Les Tchadiens
doivent être fiers de l'être. Ils doivent oeuvrer pour
l'unité nationale.
En 1960, le Tchad accède à la
souveraineté nationale avec un État plurinational et
pluriethnique. Les conflits ethniques n'ont jamais pris fin depuis cette
époque postcoloniale. Il fallait faire de l'école nouvelle un
cadre de formation citoyenne. Tel fut l'objectif fondamental de tous les
régimes qui se sont succédé.
Ce sentiment national a produit sous Tombalbaye la «
révolution culturelle » ou le retour aux sources, à
l'authenticité, au moment du MNRCS. Malheureusement les premiers
dirigeants du pays se sont caractérisés par la dictature, le
parti unique, favorisant leur ethnie, leur regroupement au détriment des
autres : « L'État devient l'affaire d'un seul homme et les
réactions en chaîne se précipitent pour aboutir à la
banqueroute sur tous les plans, les minorités contestataires, n'ayant
aucun moyen de s'exprimer, s'exilent ou prennent le maquis» (Bangui,
1980 : 2-3)
114
3.3 La littérature au service de la nation
La littérature, quand elle est au service de la nation,
joue un rôle très important. Le concept est actuellement
vulgarisé puisque reconnu par les littéraires. Le terme «
littérature nationale » désigne l' « ensemble des
traits thématiques et linguistiques qui permettent de rattacher un
corpus d'oeuvres et de pratiques à un groupe ou une communauté
historiquement et politiquement constituée» (Aron et al., 2002
: 393).
Le Tchad, à la suite d'autres pays d'Afrique, utilise
la littérature pour l'homogénéité culturelle,
l'unification nationale. Les auteurs, par des oeuvres de fiction, affirment
l'identité tchadienne. La colonisation, par l'école, a
imposé la langue française comme véhicule des cultures.
Les écrivains l'utilisent pour transmettre des valeurs nationales.
La littérature tchadienne existe sous la forme orale et
écrite en langue française. La forme écrite invite les
lecteurs à un sentiment de cohésion et de prise de conscience
nationale. Antoine Bangui estime en écrivant Les Ombres de Kôh
que l'histoire de son récit se passe à Bodo, mais peut
être utile pour les voisins les plus proches et lointains. Il nomme
expressément Béboto, Bédjondjo, Batha et le Tibesti. Ces
lieux représentent les quatre coins du pays. Pour lui, il faut que la
mémoire, qui renaît après les affres des guerres
patriarcales, devienne « le miroir vivant de tous les enfants du Tchad
» (Quatrième de couverture).
Cette volonté d'unification et de valorisation de la
richesse culturelle tchadienne se lit à travers Au Tchad sous les
étoiles (Paris, Présence Africaine, 1962.) de J. B. Seid.
Dans la préface, l'auteur présente le Tchad avec ses saisons, sa
géographie, son histoire. Ces histoires se déroulent dans les
quatorze préfectures du Tchad. En quatrième de couverture, nous
pouvons lire : « les innombrables enfants du Tchad, par la voix de
l'un des leurs, vous invitent, cher lecteur, à venir vous asseoir parmi
eux [...] Ils vous demandent une chose : c'est vouloir partager avec eux la
joie de leur candeur et de leur innocence».
Après la guerre de 1979, plusieurs écrivains
tchadiens réclament la paix, l'innocence à laquelle fait allusion
J.B.Seid. Baba Moustapha, Marie Christine Koundja et N. Djédanoum
(Illusions) présentent deux sociétés
balkanisées en Nord-Sud, Chrétien-Musulman, jeune-vieux. Tous ces
écrivains, en choisissant comme toile de fond l'amour entre les jeunes
de ces deux camps séparés, ont réussi à proposer
leur point de vue basé sur l'unité, les mariages interreligieux
et interethniques. Pour eux, l'unité ne peut passer que par ce genre
d'action.
115
À travers Haroun et Ganda, B. Moustapha nous
présente deux groupes de familles séparées par la
religion, la culture et l'ethnie mais vivant sur un même territoire.
C'est le destin qui a voulu que les deux personnages évoluent et
réussissent toujours ensemble. Le père de Ganda
vétérinaire et celui d'Haroun, éleveur. Une
complémentarité, sauf que la famille de Ganda est
chrétienne et celle de Haroun, musulmane. Le mariage a été
impossible entre les deux familles. Pour renforcer les liens, ces jeunes
organiseront des montages pour prendre leurs parents au dépourvu par un
mariage clivé.
L'école est sans doute le lien de dialogue des
différentes cultures. C'est dans ce cadre que les jeunes d'ethnies, de
religions et de régions différentes se rencontrent pour
bénéficier, filles et garçons, d'un système unique.
L'unité, la solidarité et la concorde nationale y font objet de
partage. L'homogénéité du programme éducatif est le
support d'une homogénéité de culture. Cela veut dire que
l'école est l'un des piliers sur lesquels les Tchadiens doivent
s'appuyer pour l'édification d'une culture nationale. Les
écrivains forgent un autre pilier aussi dynamique que l'école :
l'écriture, la conséquence d'une éducation bien
assumée. La famille, les lieux de culte (églises,
mosquées, arbres à fétiches, etc.) constituent pour eux
des terrains de mise en scène, de description des faits qui constituent
des noyaux d'éducation et de formation dans une perspective unitaire et
nationaliste.
Pour conclure, les oeuvres des expatriés produites au
Tchad, les événements littéraires associatifs ont
été des atouts pour la production littéraire. La
diversité linguistique, religieuse et culturelle quant à elle,
freine l'épanouissement de la littérature. Nous espérons
qu'une littérature nationale au service d'une culture nationale
constituée des diversités tant linguistique, religieuse et
culturelle constitue un objectif à atteindre pour la cohésion
sociale et la culture de la paix. Salaka ayant étudié la
situation des écrivains, pris individuellement (biographie,
bibliographie, lieu de résidence, niveau d'instruction, etc.) et
collectivement (les différentes formes d'organisations qu'ils ont
créées) pour avoir une idée de leur place dans la
société, parvient à la conclusion selon laquelle ils
participent à l'éducation. Pour lui, « la
littérature existe parce qu'il y a au point de départ un
créateur, une personne, une subjectivité qui décide de
partager ses sentiments, son expérience, ses réflexions avec
d'autres personnes : c'est l'écrivain» (Salaka, 2003 : 59).
Celui-ci peut, dans le cas tchadien, lutter contre les antagonismes
socioculturels. Les contextes et conditions de productions étant connus,
les instances et les acteurs de la production peuvent faire l'objet
d'étude.
116
Dans cette deuxième partie du travail, nous avons
démontré qu'il y a des facteurs favorables et d'autres
défavorables pour la production de la littérature tchadienne.
Dans le domaine littéraire, l'apport des enseignants,
prêtres, militaires, touristes et entrepreneurs français qui ont
vécu au Tchad ; les rencontres, festivals, concours et prix ont
inspiré des écrivains. Ceux-ci ont un niveau intellectuel
satisfaisant et sont bradés des distinctions sociopolitiques et de
renommée dans les différentes formes d'expression. Nous avons
réservé une étude diachronique à ces atouts dans le
premier chapitre de la partie.
Dans les domaines linguistique, religieux et culturel, il y a
des difficultés qui gênent l'épanouissement de la
littérature tchadienne écrite d'expression française. Le
Tchad a plus d'une centaine de langues nationales qui ne sont pas
vulgarisées et institutionnalisées. Le bilinguisme
arabe-français, legs des civilisations arabo-musulmanes et
européennes, est non équilibré. Autant le français
n'est pas écrit et lu par une grande moitié de la population,
autant l'écriture arabe souffre de visibilité et de traduction du
point de vue littéraire. Par ailleurs, les deux religions
révélées s'entremêlent difficilement et font l'objet
de critique de la part des auteurs qui les trouvent non avantageux pour la
production littéraire. Aussi, la multitude des cultures
différemment gérées favorise les clivages.
Les obstacles à la libre consommation des textes
littéraires produits dans une langue étrangère : le
français sont ainsi connus. Nous avons jugé mieux de proposer la
littérature comme outil au service de la culture nationale et de
l'unité. Cela est réalisable grâce à la
scolarisation massive et pérenne en arabe et en français, et
à la vulgarisation de toutes les langues et les cultures nationales. Les
contextes sociopolitiques, économiques ont influencé la
production littéraire. Il y a eu cependant des facteurs favorables et
défavorables qui n'ont pas manqué d'être passés en
revue. Maintenant, il faut chercher à voir ce qui existe comme instances
de production (éditions, imprimeries, centres culturels, etc.). Mais
avant cela, il est nécessaire de connaître les producteurs. Un
classement par genre sera fait à cet effet.
117
TROISIÈME PARTIE : ACTEURS ET INSTANCES DE
PRODUCTION
DE LA LITTÉRATURE TCHADIENNE ÉCRITE
D'EXPRESSION
FRANÇAISE
118
Pour comprendre la réelle signification d'une oeuvre
littéraire ou philosophique, Goldmann affirme qu'« il faudrait
la rattacher à l'ensemble de la vie sociale et économique de son
temps» (Goldmann, 1959 : 55). Cette vie obéit à une
logique. En sociologie de la littérature, comme le reconnaît
Escarpit :
Tout fait de littérature suppose des
écrivains, des livres et des lecteurs ou, pour parler d'une
manière plus générale des créateurs, des oeuvres et
un public. Il constitue un circuit d'échanges qui, au moyen d'un
appareil de transmission extrêmement complexe, tenant à la fois de
l'art, de la technologie et du commerce, unit les individus biens
définis (sinon toujours nommément connus) à une
collectivité plus ou moins anonyme (mais limitée).
(Escarpit, 1968 : 32).
La présence des créateurs, la médiation
des oeuvres et l'existence du public-lecteur pose des problèmes d'ordre
sociopolitique, économique et culturel d'où la
nécessité de consacrer à ces éléments une
étude spécifique. L'histoire littéraire s'en est tenue
à l'étude des hommes et oeuvres laissant de côté les
perspectives sociologiques qui considèrent la littérature comme
la branche production de l'industrie du livre, comme la lecture en est
la branche consommation. L'invention de l'imprimerie, le
développement de l'industrie du livre, le recul de
l'analphabétisme font objet d'étude chez Escarpit.
La question de la naissance de l'auteur, du prix
littéraire, du lieu de résidence, de profession et de
décoration des producteurs a été traitée par
Bourdieu. Cette étude vise, selon lui, à « constituer la
population des auteurs reconnus par le grand public intellectuel»
(Bourdieu, 1998 : 256-257). Il étudie également «
les rapports entre les auteurs ou les artistes et les éditeurs ou les
directeurs de galerie» (Bourdieu, 1998 : 354).
À leur suite, cette partie est consacrée aux
écrivains et les formes d'expression, à l'étude de la
situation professionnelle et des lieux de résidence des
écrivains, d'une part ; à l'étude des instances techniques
de réalisation d'oeuvres littéraires (édition, imprimerie)
et à la connaissance de leurs acteurs d'autre part.
119
Chapitre 5 : Les écrivains et les formes
d'expression
Le mot « écrivain », du latin
scribanus, celui qui écrit, est appliqué à des
rôles sociaux qui varient dans les différentes cultures et
à différents moments de l'histoire. À l'époque
moderne, il désigne « l'auteur d'une oeuvre littéraire
reconnue.» (Aron et al., 2002 :164). Il jouit de la valeur
matérielle et symbolique de l'oeuvre. Le mot « auteur »
garantit par ailleurs la valeur juridique et concerne les rapports de
propriétés, de droits. Par formes d'expression, nous entendons
les genres, «cadres littéraires légués par la
tradition et qui ont l'avantage de bien mettre en valeur une inspiration
dominante déterminée.» (Theveau, P. et Lecomte, J.,
1968 : 74). Cette étude nous permettra de connaître les genres de
prédilection.
Il sera ici question de théâtre, roman,
autobiographie, nouvelle et poésie. Cette classification est
justifiée par le résultat du questionnaire et surtout par la
visibilité des textes. L'enquête nous donne les pourcentages
suivants : Le théâtre (30%) et le roman (25%) prennent le dessus
sur l'autobiographie (20%), la poésie (10%) et les autres genres (15%),
parmi lesquels la nouvelle occupe les 5%. Le statut de l'écrivain est
consacré par les consommateurs de ses oeuvres. Nous nous somme
approché des élèves, étudiants, enseignants et des
professionnels de la chaine du livre pour avoir leur point de vue sur les
écrivains tchadiens. La situation professionnelle que nous voulons
étudier ici découle du niveau de la formation. Comme le confirme
Salaka, les écrivains exercent des professions qui rentrent dans la
communication sociale : « En effet, dit-il, ils utilisent la
littérature comme instrument d'éducation et de formation de
l'homme, de la société. C'est ce qui justifie la démarche
pédagogique qu'ils adoptent dans leurs créations.»
(Salaka, 2003 : 66-67).
Le rapport entre formation professionnelle et pratique
littéraire chez les écrivains est une voie à exploiter,
car il est susceptible d'orienter la thématique et la démarche
créatrice des écrivains. Le lieu de résidence est d'autant
plus intéressant à étudier dans le cadre d'une
littérature émergente. Salaka rassure que ce critère
associé à ceux du niveau d'instruction et de la situation
socioprofessionnelle explique que la grande majorité des
écrivains se trouvent concentrés dans la capitale : «
cadres supérieures exerçant des responsabilités
administratives et parfois politiques, la plupart des écrivains
résident dans la capitale, lieu de concentration des infrastructures de
production et de promotion littéraire» (Salaka, 2003 : 68).
120
1. Les dramaturges : statut, grandes figures et
pièces représentatives
Alain Viala (1997) affirme qu'il y a quatre sens possibles du
mot théâtre. Pour lui le théâtre désigne : le
lieu du spectacle (il peut s'agir du bâtiment ou de la partie de
l'édifice où les acteurs meuvent) ; il désigne la pratique
qui s'y déroule (parlera-t-on du théâtre de la rue,
théâtre italien, populaire, etc.) ; il est l'ensemble des
activités qui s'y rattachent (quand on parle de festival de
théâtre, on évoque à la fois des lieux, des
spectacles, des troupes, des pièces ; il est enfin, en sens
dérivé et spécialisé, l'ensemble des oeuvres
écrites pour le théâtre. C'est ce sens qui nous
intéresse pour le moment. Ainsi, le théâtre est une
littérature, un ensemble de textes faits pour la représentation
scénique. Le dramaturge est un écrivain producteur de
pièce de théâtre. Ne pouvant établir un panorama de
théâtre dans ce travail, nous voulons, aidé par le
questionnaire, présenter les personnalités remarquables de ce
genre au Tchad avec leurs pièces de renom.
1.1 Les dramaturges de renommée internationale
Les dramaturges tchadiens de renom sont recrutés parmi
ceux qui ont été édités par Hatier (Monde noir
Poche), c'est-à-dire les lauréats du CTI de RFI. La raison de
leur popularité tient, non de leur présence ou de celle de leur
oeuvre au Tchad, mais de la place qui leur est accordée dans le panorama
critique d'Ahmad Taboye publié au niveau local. L'enquête
menée a permis de mettre en relief six grands noms : Maoundoé
Naindouba, Baba Moustapha, Koulsy Lamko, Palou Bebnoné, Nocky
Djédanoum et Nétonon N'Djékéry. (Annexe 1, question
16)
Maoundoé Naindouba, professeur d'histoire de son
état a produit pour le 9e CTI de RFI.L'étudiant de
Soweto. Cette pièce primée par RFI publiée chez
Hatier en 1981met à nu le système raciste mis en place en Afrique
du Sud par les Blancs. Les Etudiants refusent la formation
séparée en langues locales proposée par les colons. Elle a
été représentée par plusieurs troupes du continent
noir et est inscrite au programme tchadien (en Terminal) depuis la
première décennie après sa publication. Pour cette raison,
Maoundoé est, avec cette pièce, une grande figure de la
dramaturge tchadienne. 40% des enquêtés la reconnaissent.
Le juriste, dramaturge Baba Moustapha a commencé
à écrire des pièces de théâtre tout
adolescent. Il a connu une renommée internationale lors de sa
participation aux CTI organisés par RFI. De ses quatre pièces, la
plus connue est Achta ou le drame d'une fille mère (30%). Cette
pièce publiée par la Revue Tchad et Culture en 1972 met
en garde les jeunes contre les
121
dérives de la vie, expose les parents qui ne pensent
qu'à la valeur marchande de leur progéniture et ne laisse
personne indifférent. En 1983 parait chez CLÉ à
Yaoundé Le Commandant Chaka de B. Moustapha. Cette pièce
historique gagne en second lieu l'admiration du public. L'oeuvre a
remporté le prix spécial du jury, au 11e CTI. Produite
pendant le régime d'Habré, un dictateur qui a remplacé des
chefs charismatiques que sont Malloum et Tombalbaye, la pièce ne peut
passer inaperçue. Même son titre est un programme. L'oeuvre est
connue à 10%. Le Maître des djinns, publiée chez
CLÉ à Yaoundé en 1977, Grand Prix au CTI en 1973, est la
troisième pièce de Moustapha, connue à 5 % par nos
enquêtés. La pièce retrace le retour de Barka à
Makarie pour le développement de ce village. Il y fait la connaissance
de la jolie Ziréga avec qui, il va combattre les problèmes de la
vie. Ces trois textes sont les pièces les plus connues de Baba
Moustapha.
Koulsy Lamko est reconnu par ses quatre pièces
représentatives : Ndo Kela, ou l'initiation avortée ;
Mon fils de mon frère ; Comme les flèches et
Tout bas, si bas, connues respectivement à 20%, 5%, 5% et 5%.
Le dramaturge comédien Koulsy gagne l'admiration et l'adhésion du
public lecteur avec Ndo Kela, éditée par Lansman en
1993. Dans cette pièce, un groupe de jeunes décident de lutter
pour le développement du village Bagoua, malgré les anciens de la
tribu qui exploitent celle-ci. Avec la lutte engagée par le groupe
dirigé par Sankadi, le renouveau est possible. Mon fils de mon
frère est la deuxième oeuvre représentative de Koulsy
Lamko. La pièce est éditée chez Lansman en 1990 et a
été sélectionnée dans le cadre du
17ème CTI de RFI. Le thème de la
stérilité revient comme un leitmotiv. Les femmes sont
frustrées par les hommes qui les taxent de stériles. Cette
situation de stérilité pousse les anciens à laisser la
chance aux jeunes pour "fertiliser" les femmes de leurs frères. Cela
donnera des "fils de leurs frères" d'où le titre de la
pièce. Avec Comme des flèches publiée chez
Lansman en 1996, Koulsy émeut tout le monde et lance une lutte
acharnée contre le sida qui nous attaque et nous élimine aussi
vite que les flèches. C'est une question de société. Une
année avant cette pièce chez Lansman, Koulsy, grand
créateur d'histoires, monte en pièce l'histoire d'une femme de 75
ans qui donne naissance à un enfant au bras pyrogravé. Cet enfant
est un espoir pour un monde accroupi sous la misère et la domination des
maîtres (Tout bas, si bas).
Palou Bebnoné, avec Kaltouma et Mbang
Gaourang, le roi du Baguirmi occupe une bonne place dans le classement.
Ces deux pièces connues respectivement par 10% et 5% des
enquêtés font de lui un dramaturge sociopolitique. Kaltouma
est écrite en février 1965 pour le
122
CTI. Bebnoné a avec cette pièce réussi
à retracer minutieusement les méfaits de la polygamie. Dix ans
plus tard, Bebnoné produit pour le même concours Mbang
Gaourang. Pour cette pièce politique, Bebnoné invite les
dirigeants au pardon, au patriotisme et dans une certaine mesure à la
démocratie et à la liberté.
Le journaliste Nocky est cité grâce à
Illusions et L'Aubade des coqs, connues, chacune à 5%.
Illusions est écrite pour le CTI. Elle a été
primée en 1984. À la manière de M.
C. Koundja, Nocky propose « le fait accompli » comme
solution au refus de partition de la société tchadienne. Pour
l'auteur les jeunes doivent lutter contre les illusions des familles
divisées pour parvenir à l'unité nationale, à la
solidarité. L'Aube des coqs, la deuxième pièce
est inédite, mais a été mise en scène plusieurs
fois à N'Djaména et à Abidjan en 1997. Elle invite au
travail. L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt le
matin. Nocky s'inspire de ceux qui labourent les champs de coton au sud du
Tchad pour lancer cet appel au travail.
Noël Nétonon N'Djékéry, enfin est
rendu populaire par sa nouvelle La Descente aux enfers, grand prix du
7e concours de la meilleure nouvelle de langue française en
1982. Sa pièce Goudangou..., qui retient l'attention des
enquêtes à 10%, a été publiée deux ans plus
tôt par la revue Tchad et Culture. L'oeuvre retrace les moments
de coups d'État des " père de la nation".
Cette analyse peut être représentée de la
manière suivante :
N°
|
Auteurs
|
OEuvres
|
Pourcentage
|
Achat
|
Visibilité
|
Lecture
|
1
|
Maoundoé Naindouba
|
Etudiant de Soweto
|
30
|
40
|
30
|
2
|
Baba Moustapha
|
Achta
|
5
|
30
|
5
|
Commandant Chaka
|
|
10
|
|
Le Maître des Djinns
|
5
|
5
|
|
3
|
Koulsy Lamko
|
Ndo Kela
|
5
|
20
|
30
|
Mon fils de mon frère
|
|
5
|
|
Comme des flèches
|
|
5
|
|
Tout bas, si bas
|
|
5
|
|
4
|
Palou Bebnoné
|
Kaltouma
|
|
10
|
|
Mbang Gaourang
|
|
5
|
|
5
|
Nocky Djédanoum
|
Illusions
|
|
5
|
|
Aubade
|
|
5
|
|
6
|
Nétonon N'Djékéry
|
Goudangou
|
|
10
|
|
Tableau I : Les dramaturges de renom suivis de leurs
pièces représentatives
123
1.2 Les dramaturges au niveau local
Il y a des dramaturges "en herbe" qui écrivent dans
l'anonymat parce que leurs oeuvres ne sont pas éditées. Nous
pensons à 11 d'entre eux qui ont produit plus de 12 pièces de
théâtre : Adam Abaye Abakar, Laring Bao, Garandi Dahwé,
Boydi Clément Bégoto, Djimadoum Kotidjé, Djimet Kari, Ali
Abdel-Rhamane Haggar, Christophe Moyangar, Priscille Djérareou, Adoum
Nguérébaye, Samafou Diguilou Bondong, etc.
Ces dramaturges sont soit des enseignants, des éditeurs
et des comédiens metteur en scène, soit des journalistes, des
économistes, des agents de développement. Mais leur ardeur pour
la littérature les place au-devant de la scène en matière
de théâtre à N'Djaména où ils vivent. Ainsi
ils ont acquis le statut de dramaturges sans être trop
célèbres ni publiés (en majorité).
Abakar Adam Abbaye s'illustre par son oeuvre Le
départ de Koraré de César qui dénonce la
corruption et l'indifférence des autorités traditionnelles face
à la domination coloniale française.
À ce moment où Mme Mbaïlamdana
Marie-Thérèse est maire de la ville de N'Djaména, poste
toujours occupé que par des hommes, on peut dire sans se tromper que
Madame le Maire37 de Laring Bao est une pièce
d'avant-garde. Laring a eu le privilège de prédire dix ans avant
le règne de la femme par une pièce de théâtre. En
effet, Moussa officier de la police judiciaire ne veut pas voir sa femme
travailler et de surcroit occuper une fonction de maire de la ville. Il est le
prototype de beaucoup d'hommes. Amina, sa femme, malgré tous les
obstacles devient maire. Par sa victoire, le dramaturge pousse les femmes
à l'action.
Si avec Un four à la barre, Dahwé
Garandi gagne l'adhésion des spectateurs de la troupe
Maoundôh-culture (dirigée par lui) en 1992, Boydi Clément
Bégoto a eu le même succès et a été
primé par le centre Dombao de Moundou pour Manu ou la vie d'un
élève en 1990. B. C. Bégoto est un moralisateur
à la manière de Molière.
Par L'Exode38, Djimadoum Kotidjé
fait une « littérature à thèse », celle
d'apporter des âmes à Christ. En effet, il présente un
protagoniste qui échoue en ville pour s'être adonné
à l'alcool, la vie mondaine. « Le fils du pasteur », le
nomme-t-il, n'avait pas ce comportement
37 N'Djaména, Sao, 2000, Collection
littérature tchadienne, théâtre
38 Moundou, Imprimerie de Koutou, 1980
corrompu au village. Il a fallu la visite d'un
évangéliste dans les boîtes de nuit pour
récupérer cette « brebis égarée ».
Le crime de la dot39 de Djimet Kari est un
discours au détriment de la dot. Dans certains milieux, la jeune fille
est considérer comme une marchandise à livrer au plus offrant.
Ceci participe à la chosification de la femme. Il en est de même
pour les oeuvres d'A. Haggar : Je veux la paix (1981), Tribalisme
au diable ! (1981), Sauve ton peuple (1985), etc. dont les titres
constituent le résumé. Le régime de l'époque a
préféré censurer la dernière pièce. Haggar
fait voir d'une part le luxe dans lequel vit Le Beau du Ministre
(1981) et d'autre part la misère de Moussa Bégoto
(1992) dans des pièces éponymes.
Moyangar Christophe est compté parmi les
dramaturges-moralisateurs. C'est A qui la faute ?qui le consacre. Le
personnage de Baba traite sa femme Catherine avec rigueur au nom de la
supériorité masculine, malgré ses manquements,
défauts et caprices. Sur scène, un couple « bis » donne
sa vision du mariage, provoquant une prise de conscience collective.
Le titre Mardochée, le juif (1980) de
Djérareou Mekoulnodji Priscille est tout un programme qui renvoie
à la « littérature à la thèse »
prônée par Djimadoum Kotidjé. L'épouse du pasteur
Djérareou trouve par la Bible un moyen de moraliser.
Saleh Adoum Nguérébaye fait jouer un
théâtre de satire sociale et morale dans Triple coup au
pari-vente qui est sa pièce principale. Celui qui lit ou assiste
à la représentation de cette pièce n'enviera jamais les
actions et le sort révolus à Ousmane, le personnage volage et
infidèle.
Samafou Diguilou estime que le rôle de l'écrivain
est de « sensibiliser pour mieux informer» Pour lui, « le
théâtre donne la possibilité au public de voir, de
s'interroger et d'y apporter la solution adéquate en se modifiant
». (Bourdette, 2003 :264). C'est pour cette raison qu'il adapte la
littérature à la lutte contre le sida avec la publication des
plaquettes des textes littéraires au Service d'Édition de
l'ADELIT.
124
39 N'Djaména, UNESCO, 1972
125
1.3 La situation professionnelle et le lieu de
résidence : effet littéraire
Bourdieu a traité le lieu de résidence, la
profession et la décoration de l'auteur et des autres producteurs. Cette
étude vise à « constituer la population des auteurs
reconnus par le grand public intellectuel» (Bourdieu, 1998 :
256-257). Elle permet également de justifier l'hypothèse selon
laquelle, les écrivains tchadiens les plus connus sont paradoxalement
ceux qui vivent, travaillent et écrivent à l'extérieur du
pays. La preuve est que l'enquête n'a considérée comme
dramaturges de renom que ceux qui vivent à l'extérieur (Annexe 1,
question 16). C'est par ces informations qu'on peut reconnaître les
grands noms de la littérature. Loin de faire une bibliographie
d'auteurs, cette partie a pour objet de donner des informations sur la
profession et le lieu de résidence de ceux-ci. Elle suit l'ordre
établit pour le traitement de la partie précédente
réservée au statut de dramaturges de renom et à leurs
pièces représentatives au niveau international et national.
Maoundoé a exercé à la Fonction Publique
tchadienne comme professeur de lycée et collège. Du Sud au Nord
du pays, il a été tantôt chef d'établissement,
tantôt enseignant. Il a enseigné l'histoire au Lycée
Félix Eboué et y a occupé le poste de
bibliothécaire. Il a effectué des travaux à
caractère linguistique sur la toponymie ngambaye ou la linguistique de
l'histoire en 1980. Ceci est un projet de recherche qu'il a monté lors
de son séjour à Brazzaville, la même année, pour
préparer un CAPEL à l'Institut des Sciences de
l'Éducation. Pendant ses dernières décennies,
N'Djaména fut sa ville de résidence. Maoundoé a rendu
l'âme à Moundou le 13 janvier 2003.
De son vrai nom Mahamat Moustapha, Baba est nommé
à sa sortie de l'ENA de N'Djaména en 1975, préfet adjoint
du Chari Baguirmi. Il a laissé ses fonctions pour suivre les
études en France où il meurt en 1982, en pleine
préparation d'un doctorat en droit international. Sa vie a
été partagée entre Paris, la ville d'études et
N'Djaména.
Koulsy Lamko est enseignant installé au Burkina Faso.
Il a travaillé comme agent de conception à l'Institut des Peuples
Noirs en 1993, avant de créer l'année suivante une agence
d'administration culturelle. Au Burkina Faso, il est comédien, assistant
et metteur en scène. Il a organisé plusieurs ateliers
d'écriture. La même année, Koulsy a eu une bourse de la
fondation Beaumarchais pour une résidence d'écriture à
Limoges. Ceci grâce au 10e festival international des
francophonies au Limousin.
126
Palou Bebnoné était directeur au collège
de Koumra où il dirigeait un centre culturel et une troupe qu'il a
créée. Après des formations en France en 1963, il est
décédé à Bongor, après la guerre civile au
Tchad.
Nocky Djédanoum, journaliste de formation, est
installé à Lille où il a fondé le Festival
Fest'Africa.
Noël Nétonon N'Djékéry,
mathématicien et informaticien de formation, travaille chez Bobst SA
à Lausanne en Suisse.
En plus des dramaturges de renommée internationale que
nous venons de passer en revue, il y a au niveau local des jeunes qui
produisent çà et là des pièces de
théâtre.
À N'Djaména, le comédien, conteur et
metteur en scène Adam Abaye Abakar a produit plusieurs pièces
inédites représentées au CCF de N'Djaména, à
Abéché, Bol et Mao. (Citons entre autres Ali et sa
carte, L'aventure d'un villageois et La peau du
caméléon.
Laring Bao, l'auteur de la pièce, Madame le
Maître (Édition Sao, N'Djaména, 2000) est le promoteur
de la maison d'édition Sao. Installé à N'Djaména
à son propre compte, il est éditeur-écrivain.
Garandi Dahwé, auteur d'Un fou la barre (1991)
est comédien, metteur en scène et animateur à
Médecins Sans Frontières.
L'auteur de Manu ou la vie d'un élève
(1990) de Le retraité (1992) et de Le destin tragique
(1995), Boydi Clément Dégoto est un comédien, metteur
en scène installé à Moundou où il enseigne de 1992
à 1995. Ces pièces inédites sont respectivement
primées premier, troisième et deuxième prix du concours
théâtral organisé par le centre Dombao de Moundou.
L'homme qui a produit en 1980 et 1982 L'exode et
Une vie brisée, Djimadoum dit Kotidjé-fils est
professeur de français puis proviseur au LTC entre 1992 et 1995.
Jusqu'en 2002, Djimadoum est resté secrétaire de l'ATPDH à
N'Djaména.
Djimet Kari, l'auteur de Le crime de la dot
(N'Djaména, UNESCO, 1972) et d'Adel Fayda ou Saïd El-Goni
(1975, inédit) est professeur certifié au Lycée de la
Liberté à N'Djaména.
127
Ali Abdel-Rhamane Haggar a produit plusieurs pièces de
théâtre inédites représentées à
N'Djaména : Je veux la paix (1981) ; Tribalisme au Diable
(1981), Sauve ton peuple (1985), Le beau frère du
ministre (1981) et de Moussa Bégoto (1992).
Économiste (PH/D à Leningrad, Ali Haggar est enseignant chercheur
à l'université de N'Djaména et promoteur de HEC-Tchad
(Haute École de Communication). Il a exercé des fonctions
politiques et administratives importantes :
Il a été successivement : secrétaire
général du parlement provisoire pendant la transition ; puis
conseiller aux relations internationales à la Présidence ;
secrétaire général à la présidence de la
république, enfin administrative provisoire de la société
nationale sucrière du Tchad (Sonasut) (Taboye, 2003 : 202).
Christophe Moyangar, auteur de Le prix d'une vie
(1988) et d'A qui la faute ? (1992) est professeur de
français au collège du Sacré-Coeur (après une
licence en droit à l'université de N'Djaména) avant
d'être administrateur civil à la fonction publique et
contrôleur financier au Ministère des Finances.
Comédien-metteur en scène, Moyangar réside à
N'Djaména.
Priscille Djérareou Mekoulnodji qui a produit Dana
et Henriette (1980) et Mardochée, le juif (1980),
après un DEUG en lettres et une licence de linguistique a
enseigné au collège Notre Dame de Moundou. Elle a vécu au
Texas où elle a préparé une maîtrise à
l'université d'Arlington. De retour au Tchad en 1989, Priscille enseigne
au Collège vangélique à N'Djaména.
Adoum Nguérébaye Saleh a écrit Triple
coup au pari-vente était un journaliste à la radio nationale
tchadienne (animateur puis rédacteur en chef et sous-directeur des
programmes). Il a été conseiller, attaché de presse
à la Primature entre 1992 et 1997.
Enfin, Samafou Diguilou Bondong a produit Kroidy, Les
Réfugiés et Luttons contre le sida en 1990. Il est
le président de l'ADELIT, responsable du journal Choc culture
et du Service Édition-ADELIT. Samafou anime un atelier de
littérature au CCF de N'Djaména. Il réside à la
capitale du Tchad.
128
2. Les romanciers, autobiographes et nouvellistes :
statut, grandes figures et oeuvres représentatives.
Les oeuvres narratives dans la littérature tchadienne
sont classées par priorité et visibilité entre le
Théâtre et la Poésie. En roman, les résultats de
l'enquête donnent 8 auteurs de dix romans reconnus, sept autobiographes
qui ont, (hormis Zakaria F. Khidir, qui a deux textes autobiographiques),
chacun une oeuvre. En nouvelle, le questionnaire nous donne quatre noms
représentés chacun par au moins deux titres au niveau
international et quatorze nouvellistes qui produisent dans l'anonymat au Tchad.
La situation professionnelle et lieu de résidence de ses auteurs aident
davantage à la compréhension de leurs textes.
2.1 Les romanciers
Les romanciers : statut, grandes figures et oeuvres
représentatives
Il est nécessaire de classer sous ce vocable les
auteurs de tout texte littéraire traitant toute sorte de sujets reconnu
par les éditeurs comme roman. Car pour la promotion de la culture
tchadienne, il arrive de fois qu'un témoignage ou une autobiographie
porte ledit nom. Les investigations menées donnent une liste de huit
grandes figures du roman tchadien avec leurs oeuvres représentatives
respectives : Ali Abdel-Rhamane Haggar, Nimrod Bena Djanrang, Baba Moustapha,
Koulsy Lamko, Noël Nétonon N'Djékéry, Marie Christine
Koundja, Tedambe Isaac et Mouimou Djékoré. (Annexe 1, question
17)
Ali Abdel-Rhamane Haggar est reconnu romancier pour avoir
publié chez Al-Mouna Le Mendiant de l'espoir (1998) et Le
Prix du rêve (2002). Récemment il a publié
Hadjer-Marfa-ine chez Sao. Ces romans sont connus respectivement
à 35%, 5% et 5%.
Le premier livre retrace le voyage « aller-retour »
de Youssouf en URSS pour les études. C'est un roman de quête qui
s'achève sur un découragement (Le Tchad n'a pas changé) et
sur un projet d'insertion sociale. Le Prix du rêve est le
deuxième roman de la trilogie. Il est rempli d'un réalisme que
Taboye qualifie de créatif. Le retour de Youssouf au pays s'apparente
à une descente aux séjours des morts. Le rêve n'est pas
réalisé. Il faut le reconstruire. Hadjar Marfa-ine
détruit le peu d'espoir. C'est la guerre à l'Est du Tchad
qui gêne l'unité nationale, la cohésion sociale.
Nimrod écrit Les Jambes d'Alice40
qui provoque la réaction du monde. Le fait de fuir la guerre est presque
anodin pour un pays instable comme le Tchad où en temps de guerre, les
populations urbaines quittent les lieux pour se réfugier aux villages.
Mais fuir pour suivre les silhouettes d'une fille, (Alice), la suivre et la
posséder, étant professeur de français et l'abandonner
tôt, cela a une explication philosophique à rechercher. Les
critiques à l'instar de Taboye n'ont pas tardé à condamner
cette liberté d'écrire le sexe. Ce roman est connu par 30% des
enquêtés.
Baba Moustapha, avant de mourir a écrit Le Souffle
de l'harmattan qui sera édité à titre posthume par
l'association « Pour mieux connaître le Tchad » en 2000 chez
Sépia. L'harmattan est un vent sec et chaud mais qui a ses vertus. Il
mûrit les grains. Haroun et Ganda vivent dans cette chaleur mais
s'aiment, luttent pour l'unité, la solidarité, détruisent
les fondements des clivages et prônent le mariage interethnique et
interreligieux. L'oeuvre est connue à 30%.
Koulsy Lamko a écrit La Phalène des
collines, (connue par 25 % des enquêtés) par devoir de
mémoire pour le Rwanda, dans le cadre de Fest'Africa. Le texte est
publié chez Kuljaama au Rwanda en 2000 et réédité
chez le Serpent à la plume en 2002. C'est l'histoire d'une
phalène qui erre de colline en colline en quête d'une
sépulture. L'errance, l'assistance, l'exil et le génocide sont la
trame de l'histoire. L'héroïne tuée par un prêtre est
devenue phalène en attendant sa sépulture. À travers son
voyage au Rwanda, le romancier observe et critique.
La même année, N'Djékéry produit
Sang de kola (Paris, L'Harmattan). Dans cette oeuvre, la politique et
la guerre sont vivement dénoncées. Par la kola, l'auteur propose
une réconciliation. Ce roman est reconnu par 20% des
enquêtés. Cette volonté d'unifier le pays, de prôner
l'unité nationale a été reproduite par Marie Christine
Koundja, la première femme tchadienne écrivaine dans
Al-Istifack ou l'idylle de mes amis, (Yaoundé, CLE, 2001). Pour
Koundja, il faut lutter contre les clivages, les divisions Nord/Sud et
Chrétien/Musulman. Le mariage entre Allatoidji et Fatimé est un
mariage d'unité. Malheureusement 10% des enquêtés seulement
ont entendu parler de l'oeuvre. Isaac Tedambé et Mouimou
Djékoré changent le ton avec République à
vendre et Le Candidat au paradis refoulé (publiés
chez L'Harmattan),
129
40 Paris, Acte Sud, 2001
130
connus chacun à 5%. La politique africaine est
orientée vers la répression, les intérêts
égoïstes. Ces deux auteurs trouvent à dénoncer les
tares qui bloquent le sursaut, le développement socio-économique.
La situation professionnelle et le lieu de résidence de ces auteurs ont
été étudiés dans la première partie de ce
chapitre réservée à la dramaturgie parce qu'ils sont en
même temps dramaturges et romanciers. Seul Nimrod trouvera sa place parmi
les poètes auxquels nous consacrons la dernière partie du
chapitre.
Ce commentaire peut être illustré par le tableau
suivant :
N°
|
Auteurs
|
OEuvres
|
Pourcentage
|
Achat
|
visibilité
|
Lecture
|
1
|
Abdel-Rhamane Haggar
|
Le Mendiant de l'espoir
|
10
|
35
|
10
|
Le Prix du rêve
|
|
5
|
5
|
Hadjar Marfa-ine
|
|
5
|
|
2
|
Nimrod B. Djanrang
|
Les Jambes d'Alice
|
|
30
|
25
|
3
|
Baba Moustapha
|
Le Souffle de l'harmattan
|
|
30
|
10
|
4
|
Koulsy Lamko
|
La Phalène de colline
|
10
|
25
|
25
|
5
|
N. Nétonon
N'Djékéry
|
Sang de Kola
|
|
20
|
15
|
6
|
M. Christine
Koundja
|
Al-Istifack
|
5
|
10
|
25
|
7
|
Tedambe Isaac
|
République à vendre
|
5
|
5
|
5
|
8
|
Mouimou Djékoré
|
Le Candidat au paradis
refoulé
|
|
5
|
5
|
Tableau II : Les romanciers de renom suivis de leurs
oeuvres représentatives 2.2 Les autobiographes
2.2.1. Les autobiographes : statut, grandes figures et
oeuvres représentatives
Le résultat des recherches présentent sept
autobiographes parmi lesquels Joseph Brahim Seid et Hinda Deby Itno (annexe 1,
question 18) trouvent leur place.
L'Enfant du Tchad, signé du premier aux
éditions Segerep, en 1962, est la première oeuvre
autobiographique, mais introuvable. Elle est connue à 10%. Rappelons
cependant que Joseph Brahim Seid est une grande figure de la littérature
tchadienne. Il est l'un des premiers
131
écrivains tchadiens avec Au Tchad sous les
étoiles.41 De Fort Lamy au Caire en passant par
Brazzaville, il finit ses études secondaires et obtient en 1949 le
Baccalauréat. Arrivé en France, il finit une licence en droit en
1955 et prépare un brevet de l'École Nationale de la France
d'Outre-Mer. Il termine ses études en France avec une thèse de
doctorat en droit. Il a travaillé au Tchad comme magistrat avant
d'être nommé ambassadeur puis ministre de la justice. J.B. Seid a
résidé à N'Djaména.
Hinda Deby Itno a été classée parmi les
autobiographes tchadiens après la publication de La Main sur le
coeur, en 200842. L'oeuvre est moins connue et lue par les
enquêtés : 5%. Après un Bac D au Lycée
Sacré-Coeur, à N'Djaména, en 1999, Hinda a
étudié la finance et la comptabilité à l'Institut
du Génie Appliqué de Rabat, au Maroc en 2003. Elle est titulaire
d'un BTS en finance et banque obtenu à l'Institut d'Administration et
des Études commerciales à Lomé, au Togo (en 2001). Hinda a
effectué des stages à la BEAC. C'est en 2003 qu'elle est
nommée chef comptable au ministère de la santé. En 2005,
elle épouse Idriss Deby Itno.
Les cinq autres autobiographes reconnus sont Zakaria Fadoul
Khidir, Antoine Bangui, Mahamat Hassan Abakar, Michel N'Gangbet Kosnaye et
Ahmed Kotoko.
Zakaria Fadoul Khidir est une grande figure de
l'autobiographie tchadienne. 75% des enquêtés reconnaissent avoir
lu Loin de moi-même43 et 5% Les Moments
difficiles (dans les prisons d'Hissène Habré en
198944) contre 20% qui ont juste entendu parler.
Prisonnier de Tombalbaye45 d'Antoine
Bangui a été lu par 70% des enquêtés, 15% estiment
avoir lu Les Ombres de Kôh (Paris, Hatier, 1983, Collection
Monde noir, Poche). 15% n'ont pas du tout lu. Signalons qu'il est l'auteur de
Tchad, Elections sous contrôle, 19961997 (Paris, L'Harmattan,
1999).
41 Paris, Présence africaine, 1962
42 Madrid-Paris-New-York, les éditions
continentales, collection « Femmes d'excellence ».
43 Paris, L'Harmattan, 1989
44 Paris, Sépia, 1998
45 Paris, Hatier, 1980, collection Monde noir,
Poche
132
Mahamat Hassan Abakar, l'auteur d'Un Tchadien à
l'aventure (Paris, L'Harmattan, 1992) est aussi une figure
représentative. Ce texte est lu par 20% des enquêtés. En
matière d'ouvrages et d'articles, cet auteur n'est pas le dernier.
Michel N'Gangbet Kosnaye avec Tribulation d'un jeune tchadien
(Paris, L'Harmattan, 1993) a gagné une popularité. 15% de
nos enquêtés reconnaissent avoir lu cette autobiographie.
Enfin, Ahmed Kotoko a produit Le Destin de Hamaï ou le
long chemin vers l'indépendance du Tchad (Paris, L'Harmattan,
collection Mémoires africaines, 1989) qui est reconnue et lue par 10% de
nos enquêtés.
Le tableau suivant récapitule les textes autobiographiques
de ces sept auteurs
N°
|
Auteurs
|
OEuvres
|
Pourcentage
|
Achat
|
Visibilité
|
Lecture
|
1
|
Joseph Brahim Seid
|
L'Enfant du Tchad
|
|
10
|
|
|
Hinda Déby Itno
|
La Main sur le coeur
|
5
|
5
|
|
|
Zakaria Fadoul
Khidir.
|
Loin de moi-même
|
|
75
|
75
|
2
|
Les Moments difficiles
|
|
5
|
5
|
3
|
Antoine Bangui
|
Prisonnier de
Tombalbaye
|
15
|
70
|
70
|
4
|
Les Ombres de Kôh
|
|
15
|
15
|
5
|
M. Hassan Abakar
|
Un Tchadien à l'aventure
|
|
20
|
20
|
6
|
Michel
N'Gangbet Kosnaye
|
Tribulation d'un jeune
tchadien
|
|
15
|
15
|
7
|
Ahmed Kotoko
|
Le Destin de Hamaï
|
|
10
|
10
|
Tableau III : Les autobiographes de renom suivis de
leurs oeuvres représentatives
Ces autobiographies, comme nous les constatons, ont
été éditées à Paris. Au niveau du Tchad, les
écrivains sont tournés beaucoup vers la poésie, la
nouvelle et le théâtre (peut-être à cause des
éventuels et sporadiques prix attribués aux lauréats de
ces genres).
133
2.2.2. Les autobiographes : la situation professionnelle
et lieu de résidence : effet littéraire
Zakaria Fadoul Khidir a enseigné au LFE et à
l'INSH, avant d'occuper le poste de Vice-recteur de l'université de
N'Djaména. Parallèlement, il enseigne la linguistique à la
faculté des lettres.
Antoine Bangui a enseigné les mathématiques
à Bangui en Centrafrique et à Bongor au Tchad entre 1957 et 1960.
De là à 1972, il est resté pendant dix ans directeur de
cabinet au ministère de l'éducation nationale. Il a
été plusieurs fois ministre et ambassadeur du Tchad. Il vit
depuis 1999 en France, étant chef d'un parti politique : MORENAT.
Après s'être rendu indésirable aux yeux du premier
président tchadien, il a travaillé à l'UNESCO entre
19811993.
Mahamat Hassan Abakar, de son retour au Tchad, après
ses études en France, a occupé de 1983 à 1989 les postes
de conseiller à la cour suprême, de procureur de la
république, de président du tribunal de première instance,
de conseiller à la cour spéciale de justice et de premier
substitut du procureur général de la république du Tchad.
Il a été, en 1990, le président de la commission
d'enquête nationale du ministère tchadien de la justice sur les
« crimes et détournements de l'ex-président Habré et
de ses complices ».
Michel N'Gangbet Kosnaye fut plusieurs fois ministre sous le
règne de Tombalbaye. Exilé sous Habré, il rentre en 1987
et occupe des postes de responsabilité à l'UDEAC. Il fonde en
1993 un bureau d'études pour la promotion économique et sociale
à N'Djaména et décède en juillet 2001.
Ahmet Kotoko a occupé des postes ministériels
sous la première République. Il a été ministre de
l'éducation nationale et des finances de 1959 à 1961.
Renvoyé "persona non grata" par Tombalbaye, il a exercé comme
chargé des affaires à l'ambassade du Cameroun à Djeddah en
Arabie Saoudite de 1966 à 1972. Il meurt à Kousseri, au Cameroun,
le 07 octobre 1988.
134
2.3 Les nouvellistes
2.3.1 Les nouvellistes : statuts, figures et oeuvres
représentatives
Les enquêtes présentent quatre noms
représentés chacun par au moins deux titres. Il s'agit de N. N.
N'Djékéry, Baba Moustapha, K. Lamko et M. Naindouba (annexe 1,
question 19). Ce genre est important en quantité après le
théâtre malgré le nombre négligeable d'auteurs.
Ceux-ci sont, au niveau du Tchad, (puisque deux sont morts, un au Burkina Faso
et l'autre en Suisse), suivis par quelques nouvellistes amateurs. Des instances
de légitimation ont oeuvré pour rendre ce genre abondant.
Noël Nétonon N'Djékéry est la grande
figure qui a des textes représentatifs, très populaires. En
réalité, Maoundoé Naindouba est le plus ancien, le premier
à écrire une nouvelle au Tchad, mais ses oeuvres La double
détresse et La lèpre, connues respectivement
à 10% et 5% sont introuvables. Les talents de N'Djékéry
sont confirmés par RFI avec ses prix de la meilleure nouvelle de la
langue française : Les Trouvailles de Bemba (5eprix
du 3e concours), La Descente aux enfers (Grand Prix du 7e
concours), La Carte du parti (6e prix du 8e concours)
etc.
La Descente aux enfers (Paris, Hatier, 1982) est
l'oeuvre qui consacre davantage le nouvelliste. 55% des enquêtés
la reconnaissent comme l'oeuvre phare de N. N. N'Djékéry, suivie
de Les Trouvailles de Bemba (10%) et La Carte du parti (5%).
La Descente aux enfers, selon les termes de Bourdette-Donon «
peint la chute sociale et morale d'un petit commerçant qui perd peu
à peu ses biens, son épouse et sa vie »
(Bourdette-Donon, 2003 : 224). C'est dans un cadre villageois,
Bémoundou, où l'imposition de la culture du coton et l'abus
d'autorité des militaires font peur à la population que Bemba
fait ses trouvailles. La dénonciation du parti unique se fait
ouvertement dans La Carte du parti. N'Djékéry oppose les
vieux dictateurs, cupides et jaloux à la jeune génération
représentée par Belembaye et son épouse, formés en
Europe et pleins de force pour servir l'Etat. « Si le blé ne meurt,
il ne peut sortir de terre » disent les chrétiens.
N'Djékéry a semé l'engagement.
Baba Moustapha est reconnu nouvelliste grâce à
La Couture de Paris, reconnue à 35% par nos enquêtes et
Sortilèges dans les ténèbres, à 15%.
La Couture de Paris est une critique de la civilisation sans base, de
la modernité, du développement à une vitesse
imposée par l'extérieur. Sortilèges dans les
ténèbres est introuvable.
Le talent de nouvelliste du dramaturge de Koulsy Lamko est
reconnu grâce à Le Regard dans une larme : 25%,
Aurore : 10% et Un Cadavre sur l'épaule à
5%.
135
À partir de cette analyse, nous pouvons avoir le tableau
suivant :
N°
|
Auteurs
|
OEuvres
|
Pourcentage
|
Achat
|
Visibilité
|
Lecture
|
1
|
N. N. N'Djékéry,
|
La Descente aux enfers
|
25
|
55
|
35
|
Les Trouvailles
|
|
10
|
5
|
La Carte du parti
|
10
|
5
|
5
|
2
|
Baba Moustapha,
|
La Couture de Paris
|
10
|
35
|
10
|
Sortilèges
|
|
15
|
|
3
|
K. Lamko
|
Le Regard dans une
larme
|
|
25
|
|
Aurore
|
|
10
|
|
Un Cadavre sur l'épaule
|
|
5
|
|
4
|
M. Naindouba
|
La double détresse
|
|
10
|
|
La lèpre
|
|
5
|
5
|
Tableau IV : Les nouvellistes de renom suivis de leurs
oeuvres représentatives
Faisant la lecture critique de toutes ces nouvelles, Taboye
affirme qu'elles dénoncent soit la guerre civile (La Descente aux
enfers), soit la politique (La Carte du parti) et le
sous-développement (La Couture de Paris), soit encore les
méfaits de la colonisation (Les Trouvailles de Bemba).
La situation professionnelle et le lieu de résidence de
ces nouvellistes, qui sont en même temps des dramaturges ont fait l'objet
d'une étude dans la première partie de ce chapitre,
réservée à la dramaturgie.
Au Tchad, quatorze nouvellistes sont recensés : Abakar
Adam Abbaye a écrit Ma mère ; Dinguemnaial Renaud est
l'auteur de Mère pleure (1996) ; Les Yeux de lynx
(1997), Un Corps blanc comme (1997), Visage sans-coeur
(1998) et Au pays de grand-père (parue in Tchad au
coeur, RLP, N'Djaména, 1998) ; Djédouboum Saloum a
signé Le Clochard de Kabalaye (1993), Épitre
posthume (1994) et Rupture (1995). Djékorédom Nabam
Koopa publie La porte bleue en 1994. En 1997, Djimet Kari écrit
Jeunesse africaine, porte ton deuil. La même
année paraît Exilé de Djimong Kodibaye Franck (in
Encres encrés, SBL, N'Djaména). El Katib Abdou a écrit
Mari et femme, Le Bonheur chez soi, et Enfin libre
en 1993 ; Le Bac en 1994, Le Choix de Kadi et
Souvenir indélébile en 1997. La même année
paraît Le Devoir d'aîné de famille (RLP,
N'Djaména) de Hourmadji Moussa Doumgor. Kodibaye Patrick est l'auteur de
Ceux qui n'ont droit qu'à l'enfer (1992), Le trésor
(1996) et Tchad au coeur, en 1998 (in Tchad au coeur,
RLP, N'Djaména). Dans ce collectif paraît également
Samara de Faigou Nafée Nelly. Palouma Zilhoubé, la
deuxième femme, produit
136
L'Enfant rebelle (in Nouvelle du Tchad,
PACT, N'Djaména) en 1994. Saleh Adoum Nguérébaye a
à son actif Shimkiri (in Tchad et Culture, n°
104-107 du 11/77 au 02/78). Samafou a écrit La
N'djaménoise, Kamingdi et Vangdar Dorsouma Ismaël,
Amour ou cauchemar ; Le mystère d'un nom ; Les
yeux ; Qui aurait cru ?etc.
2.3.2 Les nouvellistes : situation professionnelle et lieu
de résidence
La situation professionnelle et lieu de résidence d'A.
Adam Abaye, de Djimet Kari, de S. Adoum Nguérébaye et de Samafou
Diguilou ont été étudiés dans la première
partie de ce chapitre réservée à la dramaturgie. Pour le
reste, Renaud Dinguemnaial est correspondant permanent d'Équateur
Média Group (société camerounaise de presse) et
secrétaire de ASET. Après avoir oeuvré comme journaliste
au Temps puis au Grenier, il travaille à la Chambre
consulaire (chef de service communication), à la CCIAMA, Directeur
Général), etc. Titulaire d'un DESS en management, il est
actuellement assistant à FAO Tchad à N'Djaména.
Djédouboum Saboum et Djékorédom
résident à N'Djaména où ils se sont rendus
populaires par l'écriture et la participation aux concours
littéraires. Ce dernier, né en 1998 et est assistant à la
Faculté de Droit, Gestion et Techniques Économiques de
l'Université de N'Djaména. Il a exercé comme informaticien
à la Cotontchad, à la Société des
Télécommunications Internationales du Tchad, avant d'être
nommé au Budget Chef de service puis Directeur des affaires
Générales.
Djimong Kodibaye Franck a vécu en 1997 à
N'Djaména où il a vivement participé au SBL au moment
où il préparait une licence en Droit.
Abdelkérim Seidna, alias Abdou El Katib, après
son séjour à Bagdad, revient avec un Brevet de Technicien
Supérieur en production pétrolière s'installer à
N'Djaména comme pharmacien.
Faigou Nafée Nelly réside à
N'Djaména où elle a participé de 1994 à 1998 aux
concours littéraires organisés par le CCF, le RLP et a
animé le SBL. C'est dans le cadre de ces organisations qu'elle a eu
à publier ses oeuvres. En ce temps, Hourmadji Moussa Doumgor
était directeur général du Ministère des
Communications avant de prendre le contrôle de ce département. Il
réside à N'Djaména où il occupe successivement
plusieurs postes politiques.
Kodibaye Patrick réside à N'Djaména
où il est comédien, scénariste et maquettiste. Il est
également le fondateur du Groupe SIL en 1995. Vangdar Dorsouma
Ismaël, enfin est comédien, metteur en scène et dramaturge
résidant à N'Djaména.
137
3. Les poètes, statut, grandes figures et textes
représentatifs
Au Tchad, la poésie est l'enfant pauvre de la famille
littéraire. Elle n'est pas le genre qui attire le plus. Elle vient en
cinquième position après le théâtre,
l'autobiographie, le roman et la nouvelle. Le premier recueil de poèmes
est édité en 1987. Cinq poètes de renom remplissent le
paysage poétique tchadien : Nimrod Bena Djanrang, Koulsy Lamko,
Moïse Mougnan, Nébardoum Derlemari Abdias et Nocky
Djédanoum. D'autres écrivent à l'extérieur et
à l'intérieur du pays, mais n'ont cependant pas fait
éditer des recueils de poèmes. Au Tchad, Amine Idriss, Djikoloum,
Mahamat Djeddid Ahmat et Mbaïdam écrivent.
3.1 Les poètes de renommée internationale
Les guerres et les violences politiques ont poussé des
milliers de jeunes tchadiens à l'exil. Pendant la dictature, le manque
de liberté et la recrudescence de l'oppression, ces jeunes,
témoins de l'histoire sociopolitique retracent dans leurs poèmes
les désespoirs et les espérances. Les oeuvres de ceux-ci, bien
que produites et éditées à l'extérieur du Tchad,
sont pleines du déséquilibre lié à
l'éloignement. Quatre poètes au niveau international ont produit
huit recueils de poèmes. Bourdette-Donon (2000) reconnait que :
Que ce soit chez Nimrod, qui vit et écrit à
Paris, chez Moïse Mougnan et Abdias Nébardoum refugiés
à Montréal ou chez Koulsy Lamko, errant entre
Lomé,
Limoges et Ouagadougou, on retrouve au niveau des mondes
forgés par ces poètes, un même tiraillement
généré par leur appartenance souvent conflictuelle,
à plusieurs cultures, à des systèmes de valeurs
différents. (Bourdette-Donon, 2000 : 17)
Le résultat de l'enquête présente les
poètes suivants : Nimrod Bena Djanrang, Koulsy Lamko, Moïse
Mougnan, Nébardoum Derlemari Abdias et Nocky Djédanoum. (Annexe
1, question 20).
Le philosophe Nimrod Bena Djanrang est une grande figure en
poésie tchadienne. Il s'impose dans ce domaine par Silence des
chemins (Pensée universelle, 1987, connu par 10% des
enquêtés, Pierre, poussière (Obsidiane, 1989),
connu à 20% et Passage à l'infini (Obsidiane, 1999),
connu à 10%. Le poète donne sens et vie au silence, celui du
départ, de la peur, du découragement. Pour ne pas tomber dans le
« silence totalitaire », dans son premier titre, le poète
essaye de rendre compte du silence à travers les chemins. Pierre,
poussière est l'évocation de la mort, cette mort qui est
éternel recommencement. La plaine de Ham est de
138
refuge de la mort et l'harmattan est l'agent de celle-ci et
l'herbe folle ses vestiges. Le poète est convaincu enfin que tout sur la
terre est passage à l'infini, un cycle sans fin.
Koulsy Lamko est dramaturge mais, occupe-t-il une bonne place
parmi les poètes grâce à des poèmes engagés
qu'il rédige, déclame et place quelquefois dans ses pièces
de théâtre. Ces poèmes les plus célèbres sont
La Danse du lab et Terre bois ton sang, tous deux parus dans
Exil en 1994 et connus respectivement à 15% et 25% des
enquêtés. On retrouve également le premier poème
dans Mon fils de mon frère (pièce de
théâtre). Les jeunes hommes sortis nouvellement de l'initiation
dansent au lab. Terre bois ton sang est une chanson des morts errants
à la recherche d'une sépulture. Elle est aussi une danse
permettant aux revenants de rejoindre leur tombe dans La phalène des
collines.
Dans ces poèmes, on découvre une volonté
de décrire l'ailleurs pour dissiper les souffrances. Dans
Exils, le poète exprime correctement cette révolte en
ces termes : « Le Tchad lui-même est un théâtre
où se jouent toutes les passions inspirées par Thanatos ! Il y a
tout pour bâillonner les muses, les faire s'envoler de toutes leurs
petites ailes. Heureux que l'on puisse encore chanter, même dans la
douleur» (Koulsy, 1994 : 28)
Moïse Mougnan est le deuxième poète
prolifique après Nimrod, mais il est moins lu au Tchad. Ses textes
représentatifs Le Rythme du silence et Des Mots à
dire (éditions d'Orphée, 1986 et 1987, Montréal) sont
cités respectivement à 25% et 10% par les enquêtés.
Ces deux recueils combattent de par leur contenu le silence qui est complice
selon le poète. Il le substitue par le cri et les mots contre la
dictature. Mougnan résume sa pensée inspiratrice dans Le
Rythme du silence :
En tant qu'être humain, je ne peux pas être
insensible aux malheurs de millions de mes semblables [...]/Je ne peux pas
être sourd aux cris de douleur des orphelins, des veuves, des
opprimés [...]/ Et en tant que poète, je ne peux pas être
silencieux au génocide de mon peuple car mon silence sera synonyme de
complicité et de lâcheté. (Mougnan, 1986 :
préambule).
Dans Des Mots à dire, c'est toujours le
thème de l'engagement, celui-ci est pour le poète, une
obligation, un devoir : « Je crierai [...]/ Car de ma bouche sortira
toujours une flèche [...]/Alors tous les hommes auront droit au soleil
[...]/ Une femme criera « Liberté » [...]/Afin que la terre
devienne terre» (Mougnan, 1986, op. cit, in Taboye, 2003: 318). Le
poète reconnait qu'ils étaient plus de 500 000 personnes à
partir. Mais il est optimiste quant à
139
l'issu de ce combat: « A travers les chemins qui vont
de Sarh/Moundou/À Abéché/Se construiront des routes qui
mèneront à bâtir/Un pays/Nouveau. (Mougnan,
1987,"croire encore" : 20). Ayant constaté que « les routes de
l'exil/ ce sont toujours des routes de rupture. / [...] de fracture/ [...] de
déchirure» (Mougnan, 1987, "l'Exil": 23), le
poète désire, à la même page, être le dernier
exilé : « Mon Dieu, faites de moi le dernier exilé de
mon pays ! ».
Nébardoum Derlemari Abdias voit en la poésie,
une arme pour délivrer les opprimés. C'est pour cela qu'il
s'engage aussi fermement que Moïse Mougnan. Abdias avait produit des
textes critiques sur l'instabilité politique parmi lesquels Le
Labyrinthe de l'instabilité politique au Tchad (Paris, L'harmattan,
1998). Il a d'autres ouvrages, analyses et synthèses de débats
à son actif. Cris sonore (édition d'Orphée,
Montréal, 1987) est le premier texte qu'il inscrit sur la liste des
poètes tchadiens. Dans ce recueil cité par 10% de la population
enquêtée, il dénonce la situation catastrophique du pays.
Pour Taboye :
Le poète ne fait pas que dénoncer
l'imposture, la dictature, il accuse le monde et l'Afrique
d'indifférence et de complicité. Il refuse de se résigner,
et crie son incompréhension et son impuissance. Il continue
d'espérer et l'espoir pour lui réside dans la poésie ;
c'est là qu'il crie sa douleur et sa déception (Taboye, 2003
: 290).
Le poète regrette qu' « Il y a un dictateur
/Qui fait/Ces millions d'exilés/Ces millions de
réfugiés/Ces millions d'apatrides... »
(Nébardoum, 1987, "apatride" : 35.) Le poète
regrette également que la France put abandonner le Tchad au chaos :
« quelle nourrice/ Ne donne que pus/Au nourrisson affamé
?/Dites/Quel pasteur/Ne mène son troupeau/Que par les sols arides ?/
[...] Souffrance de sous-France/ N'en finit et/Souffrance de
sous-France/ça saoule la France» (Nébardoum, 1987,
"souffrance" :18) Pour ne pas garder le silence complice, le poète
préfère écrire un poème qui ne sera fait ni de
vers, ni de prose, moins encore de mots, mais de cri, le cri de son peuple. Il
estime que ce cris éveillera ceux qui dorment sur les hécatombes
des enfants de son peuple sera « Le cri/D'un enfant/Qui
criera/LIBERTÉ» (Nébardoum, 1987, "J'écrierai un
poème" : 50). Par un "je" maître du discours, le poète ne
perd jamais espoir. Puisqu'un dictateur fait partir de millions de personnes,
le poète peut défendre ceux-ci : « Puisque
j'espère/Je me tiendrai/Devant le tribunal du
monde/J'élèverai ma voix/Que ma voix retentisse jusqu'aux
extrémités de la terre/
140
Je réclamerai/Justice/Paix/Liberté/Pour les
millions de coeurs désespérés»
(Nébardoum, 1987, "Puisque j'espère" : 20).
L'auteur de la pièce : Illusions,
primée par le CTI de RFI, Nocky Diombang Djédanoum est connu dans
le monde littéraire par les oeuvres théâtrales et son
engagement pour le festival de littérature des arts et médias
qu'il dirige depuis 1994 dont il est le fondateur. Dans le cadre du projet
collectif « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », il
écrit Nyamirambo (Lille, Fest'Africa et Bamako, le figuier,
2000, le titre de ce recueil de poème est le nom d'un quartier de
Kigali, la capitale rwandaise, et qui veut dire « amoncèlement
de cadavres, colline ou montagne de cadavres, et cela bien avant même le
génocide de 1994 » (Taboye, 2003 : 332). Ce texte connu par
25% de la population enquêtée fait de lui le poète de la
mort, le dénonciateur des crimes. Les évènements de 1994
ont rendu le quartier de tous les espoirs un lieu de désespoir et de
haine : « Depuis ce jour d'avril 1994/Où le soleil a
éclipsé derrière des collines sans crier gare/ [...]/La
terre de nos rêves/Est devenue terre que je peine à nommer »
(Nocky, 2000, cité par Taboye, 2003 : 334). Le poète ne
désespère pas malgré cette déception, il
préfère réorganiser cette terre et donner espoir à
ceux qui y vivent. C'est pourquoi il dit à cet effet : « Quoi
que je dise/Quoi qu'elle fasse/Terre de tous les noms/Cette terre est
mienne» (Nocky, 2000, cité par Taboye, 2003 :334.).
L'analyse faite des poètes et de leurs oeuvres peut se
présenter de la manière suivante :
N°
|
Auteurs
|
OEuvres
|
Pourcentage
|
Achat
|
Visibilité
|
Lecture
|
1
|
Nimrod Bena Djanrang,
|
Silence des chemins
|
|
10
|
|
Pierre, poussière
|
5
|
20
|
5
|
Passage à l'infini
|
|
10
|
|
2
|
Koulsy Lamko,
|
Danse du lab
|
|
15
|
|
Terre bois ton sang
|
|
25
|
|
3
|
Moïse Mougnan,
|
Le Rythme
|
|
25
|
|
Des Mots à dire
|
|
10
|
|
4
|
N. Derlemari Abdias
|
Cris sonore
|
|
10
|
|
|
Nocky Djédanoum
|
Nyamirambo
|
|
25
|
|
Tableau V : Les poètes de renom suivis de leurs
recueils représentatifs
141
3.2 Les poètes au niveau national
Au niveau local, il n'est pas rare de voir un lycéen
déclamer un poème lors d'une cérémonie ou à
la radio. La presse écrite réserve quelques fois des colonnes
à la poésie mais les recueils édités sont moins
nombreux.
Amine Idriss a écrit Eclats d'ombre (1997),
Djikoloum, par la faveur du centre Dombao de Moundou a publié N'Dra
(1991) ; Testament ; Ombre ; L'Enfant naturel
et L'Afrique saigne, l'année suivante. La même
année et au même centre, Mahamat Djeddid Ahmat a pu produire
Jour d'espoir et Les Inventeurs de la mort. Mbaïdam,
quant à lui n'a que des textes inédits : Pas de danse et
danse infinie. Honte est le titre de ses poèmes rendus
publiques grâce au numéro 1729 de Jeune Afrique (du 24
février au 02 mars 1994).
3.3 Les poètes : situation professionnelle et lieu
de résidence, effet littéraire 3.3.1 Les poètes de
renommée internationale
Nimrod Bena Djanrang, enseignant de philosophie est
rédacteur en chef de la revue semestriel, artistique, philosophique et
littéraire, Aleph beth, créée en 1997. En plus de
cette activité, Nimrod se consacre à la littérature. En
poésie, il est une vraie autorité, selon Taboye qui reconnait que
sa poésie à renommée internationale est inspirée
par sa formation en philosophie : « très marqué par la
guerre, il semble opposer au chaos imposé par les armes un autre chaos
que présente à l'homme la nature » (Taboye, 2003 : 16).
Ce ton philosophique est poétisé d'une manière
romancée dans son premier roman Les Jambes d'Alice (Paris, Acte
sud, 2001). Le poète, romancier, essayiste originaire de Koyom (Hameau
au Sud de Bongor, Tchad), après les études au Tchad et en
Côte d'Ivoire vit actuellement en France.
Koulsy Lamko, le poète le plus productif et prolifique
est dramaturge, comédien, assistant et metteur en scène à
l'atelier théâtre burkinabé. Il participe à des
créations collectives et anime des ateliers d'écriture. Koulsy
est selon les termes de Taboye : « installé au Burkina Faso
depuis 1993 où il enseigne et est agent cadre de conception à
l'institut des peuples noirs » (Taboye, 2003 : 56). Le poète
est également conteur et romancier. Il a résidé au Tchad,
au Burkina, au Togo, en Limousin (à Limoges) avant de repartir
s'installer au Burkina où il met en pratique la formation d'entrepreneur
culturel suivie à Lomé. En 1994, il met en place une agence
d'administration culturelle.
142
Moïse Mougnan, journaliste politologue anime
l'émission africaine de Radio Centre-Ville à Montréal.
Là, il fonde avec le concours d'un ami zaïrois, le magazine
Echos d'Afrique ainsi que la télévision africaine du
Québec. Mougnan a travaillé au ministère de l'agriculture
avant de se donner à la presse. Il est directeur des relations publiques
du magazine Transatlantique (sous-titré « Le
développement, la francophonie, le monde et nous ») puis
rédacteur en chef du même magazine. À Montréal
où il vit avec sa famille, il a été secrétaire
général des étudiants africains au Canada, a lutté
pour les droits de l'Homme et a collaboré au journal haïtien de
Montréal, Présence.
Nébardoum Derlemari Abdias, une fois les études
de droits suivies au Togo et au Canada est devenu juriste publiciste
internationaliste. Mais, il n'a pas laissé les activités
artistiques et littéraires, qui l'ont poussé à abandonner
les études scientifiques au profit des lettres et des sciences
sociopolitiques. La poésie pour laquelle il a un fort penchant est un
moyen de lutte politique. La passion double de chercheur artiste devient
réalité grâce aux multiples publications : Labyrinthe
de l'Instabilité politique au Tchad (Paris, L'Harmattan, 1998) dans
lequel il propose le sérieux projet de développement pour lutter
contre l'instabilité politique, Contribution à une politique
de développement au Tchad (Paris, L'Harmattan, 2000) où il
préfère "une diplomatie de population" et non d'État,
etc.
Nocky Djédanoum est le directeur artistique du festival
dénommé Fest'Africa, dont il est le fondateur en collaboration
avec Maïmouna Coulibaly depuis 1994. Il est installé à Lille
en France où il travaille pour le Fest'Africa. Ce journaliste a une
passion littéraire. Pour cette raison, il signe des pièces de
théâtre, de recueils de poèmes et de romans. C'est
grâce à ces deux occupations qu'il est reconnu au Tchad.
3.3.2 Les poètes au niveau national
Au niveau local, il n'est pas aisé de dire clairement
qui joue quel rôle et où, puisque que les activités
professionnelles et littéraires convergent et l'unité d'action
n'est pas évidente. Quatre poètes ont produit neuf recueils de
poèmes. Amine Idriss Adoum réside à N'Djaména
où il est responsable d'un programme de vulgarisation des droits
humains, au Centre pour l'éducation à la démocratie et
journaliste au Renouveau. Comédien et metteur en scène,
il dirige la troupe « Colombe ».Entre 1991 et 1993, Djikoloum
résidait à Moundou. Là, il bénéficiait de
tous les privilèges et les honneurs révolus à un
poète. Mahamat Djeddid
143
enseigne depuis 1997 au lycée de la liberté
à N'Djaména et son ami et camarade Mbaïdam Boguy au CEG de
Déréssia, dans la Tandjilé).
Nous avons dans ce chapitre eu recours à six
dramaturges de renom vivant à l'extérieur du pays où ils
ont eu la chance de se faire éditer dans des maisons d'édition
qui leurs donnent une large diffusion. Onze autres, vivant à
N'Djaména où ils font de l'écriture une activité de
seconde place, écrivent pour reverdir le champ dramaturgique. Parmi les
huit romanciers ci-haut cités, deux seulement exercent au pays comme
chargés de cours en économie et en agronomie. Il s'agit d'A. A.
Haggar et de Mouimou Djékoré. Sept autobiographes ont
été étudiés. Parmi eux, seuls le docteur Z. F.
Khidir et Hinda Déby vivent au pays. Quatorze des dix-huit nouvellistes
évoqués vivent au pays. Cinq poètes de renom sont à
l'extérieur du pays sur neuf.
En global, l'étude nous permet de déduire que
les écrivains tchadiens exercent l'écriture comme une
activité de seconde fonction. Tous ont des diplômes
universitaires, surtout spécialisés en sciences humaines et se
recréent en instruisant par le livre. Ce dénombrement des
écrivains par genres étant fait, il est utile de recenser les
instances qui ont édité les oeuvres tchadiennes. Après un
état des lieux des éditions qui ont accueilli des textes
d'auteurs tchadiens au niveau international, les instances au niveau local
seront analysées pour infirmer l'hypothèse d'une
éventuelle absence d'instances et d'acteurs de production reconnus au
Tchad.
144
Chapitre 6 : Les instances techniques de
réalisation d'ouvrage
Le marché des biens symboliques est un champ
relativement autonome composé d'artistes et d'intellectuels
décidés de libérer leur production ou leur métier
de toute servitude externe (ordre clérical, pouvoir politique, domaine
commercial, etc.). Dans ce champ, la valeur symbolique et marchande de l'objet
culturel impose la division du champ en instances. C'est en s'appuyant sur
cette pensée de P. Bourdieu (1998) que J. Dubois (19978) élabore
une théorie de l'institution littéraire en s'interrogeant sur les
modalités de fonctionnement des instances de production et de
légitimation ainsi que sur le statut de l'écrivain. Sa
démarche nous guidera dans ce travail.
1. Étude historique et fonctionnelle de
l'édition et de l'impression
1.1 L'impression
L'imprimerie est définie par Le dictionnaire du
littéraire comme : « l'art de reporter les
éléments graphiques - et d'abord des signes d'écriture,
dont des textes- sur une surface plane, (de papier le plus souvent)».
(Aron et al, 2002 : 292). Ce rapport s'est effectué pendant cinq
siècles par pression d'où le nom imprimerie. Elle est pour Twyman
Michael, « une des plus importantes inventions de tous les temps. Elle
a changé le cours de l'histoire par son extraordinaire impact sur les
plans intellectuel, social et artistique» (Twyman, 2007,
préface). Au fil des siècles, ses applications se sont
multipliées grâce à l'adaptation continue des
procédés aux évolutions technologiques depuis la
production manuelle jusqu'à la production mécanique puis
électronique.
1.1.1 Histoire de l'imprimerie et l'évolution
des presses.
Avant 144846, les usages du livre sont d'abord
restés le monopole des clercs, copistes et jongleurs qui font usage de
leurs mains pour écrire et multiplier les textes. Le livre, à ses
origines progressait cahin-caha dans divers groupes sociaux. Mais ne sera-t-il
pas uniquement l'apanage des religieux et des bourgeois. La cause de ce
phénomène est l'accroissement des imprimeries. Des textes
religieux aux textes prohibés, cyniques ou pornographiques en passant
par ceux de formation, on constate de plus en plus la présence de
l'imprimé. La presse faite au bois de Gutenberg est restée telle
quelle pendant trois siècle et demi. Elle ne répond
46 Date de l'invention de l'imprimerie par Gutenberg,
en Italie
point, d'après Gérard Martin, à
l'idée qu'on se fait aujourd'hui d'une machine. Il la décrit
ainsi : « Une table horizontale fixe, le « marbre »,
recevait « la forme imprimante », tandis qu'une seconde table,
également horizontale mais mobile dans le plan vertical, la «
platine » venait s'appliquer avec force sur le premier, avec une vis
à gros, pas actionné à bras d'homme.» (Martin,
1975 :25). Au XVIe siècle, le marbre sera placé sur
des glissières et deviendra mobile sur le plan horizontal.
1.1.2 Le fonctionnement de l'imprimerie
Tout procédé d'impression implique un
rapprochement de deux systèmes physiques assurés par pression.
L'un, le papier, solide et l'autre, l'encre, fluide. Le résultat attendu
est le transfert du second système de couleur noire ou colorée
sur le premier qui est toujours de couleur blanche ou claire. Le
déplacement étant, selon Gérard Martin47,
limité aux zones correspondant au texte et aux illustrations d'un
ouvrage donné :
Le transfert sélectif est exécuté au
moyen des structures spécialisées « les formes
imprimantes », qui sont conçues de manière
à pouvoir, lorsqu'elles sont montées
sur des machines adéquates (« les presseurs
»), accepter l'encre dans certaines
de leurs parties et rester vierges dans d'autres, puis
céder facilement cette encre
au papier qui vient à leur contact. (Martin, 1975
: 5).
Cette démarcation entre les « zones imprimantes
» et les « zones non imprimantes »
des formes est rendue possible grâce à plusieurs
techniques qui caractérisent, chacune, un procédé
d'impression. Nous considérons ici trois types d'impressions : la
typographie, l' « héliographie » et la « lithographie
». La « typographie », (procédé par lequel l'encre
«prend» préférentiellement sur les « reliefs
» est inventée dès le 15e siècle. Pour des
raisons liées à leur évolution sociale et
économique, les États-Unis ont, pour la plupart,
développé des rotatives typographiques polychromes à
fluide et bobine, dès avant la première guerre mondiale. Au
même moment, l' « héliographie » (procédé
par lequel l'encre « prend » dans des « dépressions
» a vu le jour. Les machines hélio, polychromes ont commencé
à se rependre au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Pour
Tony Felman, l'impression typographique est « un procédé
d'impression par répartition de l'encre sur des formes imprimantes en
relief, mise en suite en contact avec le papier» (Felman, 1994 : 51).
Il définit
145
47 Le directeur de la librairie Hachette de Paris, en
France
146
à la même référence l'impression
hélio ou l'héliogravure comme « un procédé
dans lequel, les creux d'un cylindre sont remplis d'encre et le surplus
retiré l'aide d'une l'âme. Le papier entre en contact avec le
cylindre et « soulève » l'encre des creux ».Ce
procédé est utilisé pour l'impression de qualité.
La troisième méthode, la « lithographie » (devenue
ultérieurement l'« offset ») n'est pas antérieure
à 1800. Elle utilise des formes sans relief ni creux et est basée
sur le comportement particulier de divers matériaux. Elle a
été à l'origine une pierre de calcaire de Bavière,
d'où son nom. Ce procédé est spécialement
traité pour accepter l'encre dans certain endroit et la repousse dans
l'autre. Pour Tony Felman, l'offset est « un procédé
d'impression dans lequel on utilise un support intermédiaire pour
reporter l'image à imprimer : ce support est généralement
un blanchet en caoutchouc qui à son tour, reporté l'encre sur du
papier. (Felman, 1994 :69)
1.1.3. Les grands produits de l'imprimerie
Le livre est la préoccupation finale de Gutenberg et de
ses collaborateurs quand ils ont inventé au XVe l'art
d'imprimer le papier. L'objectif est de produire le plus rapidement possible
des livres. Ce procédé remplacerait la production manuscrite des
textes. Selon Gérard Martin, d'un pays à un autre, pour des
raisons historiques et techniques, l'imprimerie a fait appel à d'autres
procédés pour faire des tirages périodiques. C'est
l'ampleur du tirage qui fait le choix. Le livre renfermant des textes seuls,
comme les romans et les essais ou avec illustrations, comme les ouvrages de
sciences, était le domaine de la typographie. Mais la tendance actuelle
est d'abandonner le procédé au profit de l'offset qui est
également en état de forclusion. L'offset est sollicité
pour « la facilité avec laquelle le procédé
permet de serrer en lieu sûr, après emploi, les formes imprimantes
qui occupent peu de place et peuvent être aisément «
classés », puis de les remonter sur machine autant de fois que
nécessaire pour assurer les impressions demandées »
(Martin, 1975 :117). Le second avantage de l'offset est la latitude
donnée aux éditeurs d'ajouter aux dessins aux traits
imposés par la typographie des reproductions en demi-teinte qui sont
rendues avec une grande fidélité sur tous types de supports.
L'industrie graphique produit les journaux quotidiens, des périodiques
et des livres ; des catalogues, des documents publicitaires et administratif,
ainsi que des étiquettes commerciales diverses. Elle est mise à
profit par le secteur de l'emballage parmi lequel le papier ne joue qu'un
rôle de second plan. Cela exige des dispositions mécaniques bien
conçues et aisément appliquées en héliogravure
qu'en typographie.
147
1.2 L'édition
L'édition comprend, selon le Comité
d'organisation des industries, arts et commerce du livre cité par
Jean-Marie Bouvaist,« les publications de toutes natures
réalisées et communiquées au public sous quelque forme et
sur quelque support que ce soit, de reproduction et de représentation
» (Bouvaist, 1991 :11) L'éditeur, le moyen humain de
l'édition est un « individu ou société qui, par
accord avec les détenteurs des droits d'auteurs, fait paraître des
produits ; conventionnellement, de tels produits sont des matériaux
imprimés tels que les livres, les revues ou les journaux »(Le
Meur et Malphettes, 1996 :33).
1.2.1 La structure d'une maison d'édition
Généralement, une maison d'édition est
divisée en trois grands services de base : le service littéraire,
le service technique et le service commercial. Le service littéraire
recherche le manuscrit48 établit le contrat
d'édition49 et entretient de contacts avec les agents
littéraires, les éditeurs, le monde de la presse et les lecteurs.
Le service technique « reçoit du service littéraire le
manuscrit accepté prêt pour la publication. Il a pour mission de
les transformer en livre » (Mondelo, 1989 : 54). La
réalisation technique et artistique, le choix du papier l'incombe. Il
tient des relations avec la chaîne de fabrication du livre et fixe le
prix de revient technique du livre. Le service commercial décide le
montant du tirage, s'occupe du lancement du livre, fait la publicité. Il
entretient des relations entre les distributeurs, les diffuseurs, les
libraires, les bibliothécaires, etc. Sans ce service, l'éditeur
pourrait difficilement exister, car la clé de voûte de
l'édition est la commercialisation des livres. Il s'occupe de la
publicité, en cas de nouveauté et de la promotion du livre, de la
vente.
48 Du latin « manu scriptus »
est un texte écrit à la main. Il est un texte original plus
ou moins long écrit par un auteur en vue de sa publication. Ouvrage
dactylographié, c'est un stade intermédiaire entre l'oeuvre
originale écrite le plus souvent à la main et le livre
imprimé en caractères typographiques.
49 Contrat entre l'éditeur et le
propriétaire de l'oeuvre que l'éditeur souhaite publier. Il
établit les conditions de reproduction de l'oeuvre et les conditions de
cession et fixe les taux de droit d'auteur à payer par
l'éditeur.
148
1.2.2 La procédure d'édition
Vu le nombre de manuscrits chez les éditeurs et le
nombre de publication dans un temps donné, il faut être
doté de certaines stratégies pour être édité.
Alain Berthelot estime qu'il faut « soigner » la quatrième de
couverture et mettre l'accent sur l'essentiel du livre, se renseigner sur sa
personnalité, donner les raisons qui ont précédé
l'écriture. Si possible toucher ce qui fascine l'éditeur, sa
ligne éditoriale, pour être sélectionné. Il faut un
résumé fascinant qui incite à découvrir le livre.
Il s'agit là d'accrocher le lecteur, en premier lieu l'éditeur.
Une fois le manuscrit chez l'éditeur, il passe par des étapes
avant de tomber dans la corbeille des retours ou dans celle baptisée
« contacter l'auteur ». Berthelot atteste que :
Dans la plupart des maisons d'édition, un ou
plusieurs permanentes (...) réceptionnent les manuscrits, se chargent de
faire un premier tri. Les textes représentant des défauts
évidents sont systématiquement écartés, mis sur des
étagères où ils attendront quelques semaines voire
quelques mois avant d'être retournés à leurs auteurs.
(Berthelot, 1992 :115)
Plus de la moitié des manuscrits ne franchissent pas
cette barrière à cause de la précipitation et le manque
d'informations des auteurs. Après ce premier tri, les rescapés de
la corbeille des retours sont envoyés chez les lecteurs de la maison
d'édition : professeurs de français, des journalistes, des
bibliothécaires. Bref, « des gens qui possèdent
une certaine culture et qui sont capables de déceler des qualités
ou des défauts dans un manuscrit.» (Berthelot, 1992:115). Si
le lecteur trouve le texte attrayant, il le recommande à
l'éditeur qui le donne à son comité de lecture. Ce dernier
siège, juge le texte et la majorité l'emporte s'il faut le
refuser ou le publier. Tout cela se passe au service littéraire. Dans ce
cas, l'auteur doit connaître le nom ou l'adresse du directeur ou du chef
du service pour des informations ou des compléments. Au cas où il
est un bon manuscrit, les services technique et commercial engagent leur
responsabilité pour l'édition, la publication et la diffusion du
produit final : le livre. Cette démarche peut être
écourtée ou rendue plus complexe dans la mesure où il y a
plusieurs types de maisons d'édition. En plus de la
spécialisation de l'éditeur, il faut reconnaître qu'il y a
la grande, la moyenne et la petite édition qui ne donnent jamais la
même prestation. La durée, la qualité et le prix du produit
final en dépendent.
149
La grande édition est la plus connue et la plus
ancienne. Elle donne ses livres dans les prestigieuses librairies et
bibliothèques et en fait la publicité. Ainsi, elle reçoit
le plus grand nombre des manuscrits possibles. Mais, il faut reconnaître
qu'elle publie rarement les auteurs inconnus et étrangers. Si elle prend
le risque de le faire, il faut que vous ayez une critique favorable suivie
d'une petite vente pour espérer être accepté au
deuxième livre.
La moyenne édition, sans être trop grande ni trop
ancienne, a quelques années d'expérience. Elle a les mêmes
critères de sélection que la grande et la lenteur dans le
traitement des manuscrits est son propre. Elle publie moins de livres mais
soutient mieux les auteurs que la grande édition. Elle peut, comme la
grande édition vous refuser la publication du deuxième livre, si
le premier est moins consommé.
La petite édition est autrement appelée
l'édition artisanale, marginale ou parallèle. Pour le jeune
auteur, il est aisé de choisir une pareille maison. Joseph Maria Mondelo
assure que: « Les petits éditeurs sont avant tout animés
par leur passion de la création écrite et de sa diffusion, leur
production, même si faible en quantité est très souvent de
grande qualité. En fait de littérature, c'est souvent chez eux
que ça se passe.» (Mondelo, 1989 : 56)
1.3 L'internet et autres acteurs de production
1.3.1 L'Internet
L'internet est outil indispensable voire incontournable pour
l'échange d'information. Les acteurs peuvent y produire et s'entretenir
sur leurs oeuvres. Il rend la communication facile et rapide avec son public
lecteur. L'invention de l'internet est fruit de l'évolution de la
société de l'information. L'internet est une abréviation
de « international network » (réseau international).Il est un
réseau mondial de réseaux informatiques de toutes tailles
reliés entre eux par une façon de communiquer. Il est une
autoroute électronique qui héberge une bibliothèque
virtuelle accessible gratuitement à tout le monde. Des « services
internet » rendent aisée l'utilisation de ce moteur. Il s'agit, par
exemple, du web (world wide web) et de l'email (électronique mail). Le
premier service permet de déposer les informations qui, grâce au
moteur web ou autre sont accessibles en ligne (dans certains cas imprimables,
téléchargeables, et modifiables).Le deuxième est un
courrier électronique (courriel) qui, grâce à une adresse,
permet d'envoyer et de recevoir des messages à temps réel avec la
rapidité suprême. Ces deux services sont les plus usuels et non
négligeables pour un écrivain qui veut
produire et communiquer, en un mot se rendre utile pour la
société. Par le site web et la boîte email,
l'écrivain peut être utile et populaire.
En 1996, parlant des publications électroniques,
l'UNESCO en donnait la définition suivante : « Utilisant des
moyens de communication électronique pour mettre l'information à
la disposition du public, les publications électroniques sont mises en
mémoire dans des ordinateurs qui permettent soit de les afficher
à l'écran soit de les imprimer.»
(Archimag50, 2006 : préface). Cette
définition qui voit en l'électronique un outil de production et
de diffusion n'évoque ni le contenu ni l'usage du contenant. Il faut
reconnaitre que l'histoire de la communication s'est
accélérée ces quarante dernières années avec
les moyens électroniques de représentation et de transmission de
l'information. Aujourd'hui, les outils ont encore vu un progrès. Nous
pensons à l'Open Access (accès libre) et au Creatif Commun
(création collective) où les écrivains et les chercheurs
peuvent accorder à leurs oeuvres ou résultats de recherche une
plus large diffusion. Notre ambition est de présenter ces deux autres
moteurs, de montrer leurs enjeux et d'expliquer leur usage en matière de
création et production de textes.
1.3.2 L'Open Access (accès libre)
Ces cinq dernières années, on parle dans le
milieu de communication scientifique de l'Open Access. Le modèle papier
de diffusion des journaux scientifiques est en crise. Cela se justifie par
l'augmentation assez souvent du coût de publication. Les auteurs des
articles scientifiques ne sont pas bien payés. Leur
rémunération est la reconnaissance de leurs travaux par leurs
pairs et leurs employeurs pour recevoir des financements et d'avancements. Ils
sont intéressés par la large diffusion qui a un impact sur leurs
recherches. Dans le cadre de la diffusion sous forme imprimée
caractérisée par des coûts de production importants, un
pacte liait les écrivains aux éditeurs et imprimeurs :
L'auteur cède ses droits à l'éditeur
et renonce à toute rémunération; en contrepartie
l'éditeur investit pour la production et la distribution puis amortit
cet investissement par le biais de souscription (et dégage un
bénéfice, le cas
150
50 Publication du groupe SERDA
151
échéant). La plus large diffusion est de
l'intérêt des deux acteurs et finalement aussi du lecteur.
(Schmit, in Archimag, 2006 : 9).
L'interruption de l'intérêt et l'usage des moyens
électroniques de diffusion remet en cause cette vieille habitude avec
des supports contraignants et coûteux. Avec Open Access, les
éditeurs ont des licences et contrôlent les accès.
L'objectif de l'Open Access est, en plus de la question économique, la
meilleure diffusion possible. Cette publication sans support papier à
quatre fonctions essentielles : le système enregistre
l'antériorité et la paternité du texte et valide par le
biais des pairs les travaux, ces oeuvres sont visibles et accessibles pour tous
et partout et enfin ils conservent à long terme le patrimoine
intellectuel et scientifique.
1.3.3 Les Creatives Commons (créations
collectives)
Les éditeurs traditionnels ont des exigences
économiques, éditoriales et contractuelles. Cela a poussé
les écrivains et chercheurs à trouver des solutions alternatives
pour la libre circulation de l'information, pour sa publication et sa
diffusion. Parmi celles-ci, il y a les créatives commons. Ce
système met l'accent, chez les écrivains, sur la volonté
d'être mieux connus que mieux rémunéré. Seules les
licences font payer les auteurs et les éditeurs. Les creatives commons,
comme leur nom l'indique, partagent les créations intellectuelles en
communauté. Pour Didier Frochot, « ce système est en
train de se reprendre à grande vitesse et déborder du seul cadre
de la recherche scientifique pour atteindre toutes les zones où le
partage du savoir l'emporte sur les intérêts commerciaux.»
(Frochot, 2006 : 16). La licence creative common est : « un acte
de cession par lequel l'auteur cède à l'avance une partie de ses
droits d'auteur sur ses oeuvres dans les conditions limites de la licence
attachée à celle-ci » (Frochot, 2006 : 16). L'auteur
cède ses droits au profit de la communauté, mais les usagers ne
doivent cependant pas passer outre les limites à l'usage
concédé. Il n'y a pas mécanisme de contrôle du droit
d'auteur au sens strict du terme. Cependant, l'auteur a, grâce à
l'internet, la possibilité de retrouver ses textes, s'ils ont fait
l'objet d'une réutilisation ne respectant les droits
cédés. La cession est unilatérale, mais ne donne en aucun
cas droit à une exploitation dépassant les limites de la simple
citation. L'accès aux livres est très problématique en
Afrique. L'internet ne peut pas résoudre ce manque d'autant plus que
l'ordinateur est un luxe pour une bonne partie de la population. Mais, il
permet néanmoins de résoudre les problèmes de
l'accès aux informations. Il faudra donc reconnaître que des
telles techniques sont en vogue pour la production des textes
littéraires dans le monde.
152
2. Les structures d'édition à
l'étranger
2.1 Les structures africaines
d'édition
Pour connaître les structures éditoriales
occidentales et leurs rôles dans la promotion de la culture des peuples
d'Afrique et mesurer la détermination des écrivains africains
à se tourner vers celles-ci, il est nécessaire de faire
l'état des lieux de ce qui existe sur le continent en termes
d'édition et d'impression. Beaucoup estiment que la France est le centre
éditorial par excellence des écrivains africains, par ce qu'il
n'existe pas d'instances de production locales. Or, le problème est
plutôt du côté de la diffusion et de la légitimation,
deux branches de la chaîne du livre qui rendent l'écrivain
populaire, utile et riche. Il faut savoir pourquoi les auteurs tchadiens ne
publient pas assez souvent en Afrique où pourtant ces instances
existent.
En ce qui concerne les activités d'édition,
l'illettrisme, la dictature et le sous-développement en Afrique
n'empêchent pas les éditeurs de s'installer. Des éditeurs
de renom existent, malgré l'analphabétisme, le faible pouvoir
d'achat, les taxes élevées sur l'encre et le papier. Seulement,
ceux-ci ont des problèmes économiques ne leur permettant pas de
se développer à l'échelle d'un continent ou même
d'un pays. La Côte-d'Ivoire, estime Elsa Schifano, « est un rare
de pays riche en maison d'édition et par conséquent riche en
écrivains » (Schifano, 2003 : 109). Ce pays a pour principales
maisons d'édition : le CÉDA et NÉI. Le Cameroun a depuis
1963 une prestigieuse maison d'édition créée par les
églises protestantes, le CLE. En 1991, CLE a
bénéficié d'un statut d'utilité publique et a plus
de 400 titres à son actif. Il a le mérite d'avoir diffusé
des auteurs de renom et d'avoir publié à son apogée plus
de trente titres par an. Nous ne pouvons faire économie des
éditions Hacho-Lomé, au Togo et Figuier-Bamako, au Mali qui
reçoivent encore des textes d'écrivains africains. Chaque pays
africain a sa liste d'éditeurs locaux. Aujourd'hui, des centaines
d'écrivains produisent en Afrique. Malgré cette bonne
volonté, les difficultés d'édition, de diffusion et de
consommation les rattrapent au galop.
Au Tchad, le constat paraît désolant. Ahmad
Taboye affirme que : « Le Tchad n'a pas encore produit d'auteurs de la
trempe d'un Ahmadou Kourouma, Cheik Hamidou Kane, Sony Labou Tansi, Mongo
Béti... Mais beaucoup de jeunes écrivains comme Nimrod ou Koulsy
Lamko écrivent à travers le monde et produisent des oeuvres
reconnues ». (Taboye, 2003 : 14). Mais en matière
d'édition, seul Ali Abdel-Rhamane Haggar a fait éditer Le
mendiant de l'espoir et Le Prix du rêve au Tchad à
Al-Mouna en 1998 et 2002. Aucune autre maison d'édition n'a pu
accueillir les auteurs tchadiens à l'époque au Tchad. Pourtant,
reconnaît-il : «
153
1962-2003, cela fait quarante et une années de
littérature. Et environ vingt auteurs ont produit une soixantaine
d'ouvrages de fiction», (Taboye, 2003 : 14). Une soixantaine de
titres publiés à l'extérieur du pays. Ce
phénomène mérite une étude.
- Les oeuvres tchadiennes éditées en
Afrique
Pour ne s'en tenir qu'au Panorama de Taboye, deux
romans seulement ont été publiés en Afrique. Il s'agit de
la Phalène des collines de Koulsy Lamko, écrit dans le
cadre d'un projet « écrire par devoir de mémoire, pour le
Rwanda », initié et réalisé par le Fest'Africa. Le
roman a été édité par les éditions Kuljaama
(Université nationale du Rwanda en 2000), alors que l'écrivain se
trouvait là-bas, après avoir collecté des informations sur
le génocide rwandais. Rien n'est sûr qu'il ait pu choisir Kuljaama
s'il était au Tchad. L'unique femme-écrivain qui anime le
panorama taboyèen, Marie Christine Koundja est la seule à se
faire édité au Cameroun chez CLÉ en 2001(Al Istifack
ou l'idylle de mes amis). Cette oeuvre prône l'amour du prochain. La
raison du choix d'éditeur est justifiée par la présence de
Koundja en service à l'Ambassade du Tchad à Yaoundé au
moment de l'édition.
Aucune nouvelle et aucun recueil de poèmes n'ont pu
être publiés en Afrique. En théâtre, seul Baba
Moustapha a publié ses trois premières pièces chez
CLÉ-Yaoundé : Makarie aux épines, en 1972, Le
maître des djinns, en 1977, et Le Commandant Chaka, en
1983. L'auteur a préféré publier ces pièces qui ont
eu des prix au CTI. En ce temps, CLE était la seule maison dynamique de
son environnement proche, alors Préfet Adjoint du Chari-Baguirmi, au
Tchad. Aussi, ses parents ont-ils vécu à Bogo où il fut
né. La particularité de l'Anthologie (2003) de
Bourdette-Donon réside dans le fait d'avoir fouillé des
manuscrits et les oeuvres publiées dans les centres qui ont tenu lieu de
maison d'édition au Tchad comme le CEFOD, le centre Al-Mouna, le centre
Dombao de Moundou,
etc. et d'avoir répertorié, en
plus de Marie Christine Koundja, trois autres femmes écrivains : Faigou
Nafée Nelly51, N'Djérareou Mekoulnodji
Priscille52 et Palouma Zilhoubé53, et non d'avoir
découvert un seul
51 Comédienne, titulaire d'une licence de
Lettres Modernes et lauréate du grand prix de la nouvelle
organisé par RLP en 1996
52 Titulaire d'une licence de linguistique,
professeur de français et d'anglais au collège
évangélique et responsable d'un programme de bourses pour jeunes
handicapés à d'EIRENE-Tchad
154
titre publié en Afrique, en dehors du Tchad. Pourtant
dit-il : « L'anthologie rassemble quarante-neuf textes d'auteurs que
l'on peut qualifier de contemporains puisque la première oeuvre
publiée est celle de Joseph Brahim Seid en 1962, ce qui confirme une
fois la jeunesse de cette littérature» (Bourdette-Donon, 2003
: 19). Selon les recherches menées Taboye et Bourdette-Donon, la
littérature compte une centaine de titres en 2003. Mais seuls K.
Lamko,
M. Christine Koundja et Baba Moustapha ont produit cinq
oeuvres en Afrique. Beaucoup d'écrivains tchadiens ont produit en
Europe, particulièrement en France.
2.2 Les structures européennes : en France
Quand il est question d'écriture et d'édition en
Afrique, la question de centre et de
périphérie est toujours posée. Ainsi les
préoccupations de V. S. Naipaul, reprises par Elsa
Schifano restent d'actualité :
Pour inscrire votre nom sur le dos de l'objet
matériel créé, vous avez besoin de maisons
d'édition et d'éditeurs, de dessinateurs, d'imprimeurs, de
relieurs ; de libraires, de critiques, de journaux et de revues [...] et
naturellement d'acheteurs et de lecteurs [...] Ce genre de
société n'existait pas à Trinité54. Si
je voulais être écrivain et vivre de mes livres, il me fallait en
conséquence partir [...]. Pour moi à cette époque, cela
voulait dire partir en Angleterre55. Je voyageais de la
périphérie, de la marge vers ce qui, à mes yeux,
représentait le centre ; et mon espoir il y aurait de la place pour moi.
(Schifano, 2003 : 67)
Naipaul éprouve le même besoin que tous les
auteurs africains à l'instar de ceux du
Tchad. La France est le centre d'attraction des jeunes
africains francophones, là est née la littérature
africaine, la négritude, la revendication des valeurs noires. Les
Africains après les indépendances sont confrontés à
un problème d'édition. Ainsi les éditeurs européens
et surtout français reçoivent les manuscrits provenant d'Afrique
à nombre croissant.
53 Assistante de direction à la Banque des
États de l'Afrique Centrale, primée lors de « La fureur de
lire», auteure de L'Enfant rebelle (N'Djaména, PACT, 1994)
54 Disons au Tchad d'avant 2000.
55 Disons France, pour les francophones.
155
- Les maisons d'édition françaises et les
collections africaines
Les éditeurs créent des collections africaines
que plusieurs chercheurs critiquent et dénoncent l'amalgame, quand on
rassemble des oeuvres qui n'ont rien de commun. Mais les éditeurs
parlent de visibilité pour justifier le regroupement des auteurs
inconnus de la périphérie. La maison d'édition Le serpent
à plume, trouve anormale que moins d'attention soit accordée
à la littérature africaine et ou francophone en France et
s'intéresse aux "littératures périphériques". Les
autres éditeurs se sont également intéressés et on
assiste ainsi à une bataille éditoriale.
Parmi les maisons d'édition spécialisées,
nous citons en première place Présence Africaine, fondée
en 1949 (deux ans après le premier numéro de la revue
éponyme) par Alioune Diop. Cette maison a oeuvré pour la
promotion de la littérature africaine. Présence Africaine a un
objectif double dès sa création. Elle définit la
spécificité africaine (surtout sur le plan culturel) et favorise
l'insertion du continent dans le monde moderne. L'oeuvre de Présence
Africaine est suivie par plusieurs petites maisons à caractère
artisanal et parallèle à Paris pour l'édition des oeuvres
d'Africains.
En 1971, ÉDICEF voit le jour avec pour ambition de
répondre aux attentes du public francophone de l'Afrique et de
l'océan Indien. Cette édition est essentiellement scolaire.
Néanmoins elle a une collection littéraire riche en titres.
Les éditions L'Harmattan fondées en 1975,
spécialisées en pluridisciplinarité ont une collection
réservée à la littérature africaine : "Encres
noires" pour la fiction et plusieurs autres : Polars noirs, Poètes des
cinq continents, Théâtres des cinq continents, Légende des
Mondes, Mémoires africaines, etc. L'Harmattan et Présence
Africaine jouent un rôle de tremplin pour beaucoup d'écrivains
africains.
Karthala, créée en 1980 a une collection
dénommée « lettres noires ». Elsa Schifano avoue que
:
Les éditions Karthala répondent à un
besoin de nouvelles approches des problèmes de l'Afrique et des autres
pays du Sud et cherchent ainsi à favoriser l'émergence de la
réalité contemporaine de ces pays, qu'ils expriment dans la
recherche et la réflexion scientifique, l'engagement politique, les
domaines (agriculture, éducation, santé) ou l'écriture
littéraire. (Schifano, 2003: 79)
156
Dans les maisons d'édition généralistes,
la place de la littérature est aussi d'or. La collection Monde noir
poche de Hatier (1980) a édité des textes d'auteurs africains, Le
serpent à Plumes (1993) a révélé au monde plusieurs
auteurs du continent noir (50% du fonds francophone, selon Elsa). Actes Sud,
Gallimard, Moreau, Seuil, Albin Michel ne sont pas en reste. La collection
Dapper-littéraire créée en 2000, la même
année que la maison d'édition Dapper est également ouverte
à la littérature africaine. En théâtre, deux maisons
se sont spécialisées : Le bruit des autres (en 1991 à
Limoges) et Lansman (Carrières, 1992).
Malgré les efforts de ces maisons d'édition, la
visibilité et l'unité des oeuvres africaines restent
contestées : les voix sont trop éparpillées. Disons que
quand les Africains passent d'éditeur en éditeur, ils deviennent
moins repérables. Nous avons fait le tour des grandes maisons
d'édition qui sont supposées avoir édité
d'écrivains africains, en France. La liste n'est pas close mais ce qui
nous intéresse est de savoir chez qui les Tchadiens, «
imperceptibles » en Afrique, publient leurs oeuvres. Le pourquoi pourra
s'en suivre.
2.3 Les éditeurs français et les oeuvres
tchadiennes
En théâtre, les pièces des dramaturges
tchadiens sont en majorité publiées chez Lansman par un seul
dramaturge, Koulsy Lamko : Mon fils de mon père(1990), La
Ziggourat de Badel (1991), Ndo kela ou l'initiative avortée
(1993), Comme des flèches (1996), Tout bas, si bas
(1995) et Le camp tend la sébile (1993) etc.
Maoundoé Naindouba a publié L'étudiant de Soweto
chez Hatier, en 1981. La Malédiction d'Ouaga Ballé
Danaï est sortie chez L'Harmattan, en 1998. Les pièces
inédites de Palou Bebnoné, produites dans le cadre du CTI sont
restées la propriété de RFI. Il s'agit de La dot
(1962), Kaltouma (1965) et de Mbang Gaourang, le Roi du
Baguirmi (1974).
Les nouvelles produites dans le cadre du Concours de la
meilleure nouvelle de la langue française ont été
publiées chez Hatier dans la collection Monde Noir Poche. En
autobiographie, seul Antoine Bangui a publié Prisonnier de
Tombalbaye (1980) et Les ombres des Kôh (1982) chez Hatier
(collection Monde Noir Poche). Les autres autobiographes ont choisi
L'Harmattan. Nous pouvons citer, entre autres textes : les Tribulations
d'un jeune tchadien (1993) de Michel N'Gangbet Kosnaye, Un Tchadien
à l'aventure d'Hassan Abakar, Le Destin de Hamaï ou le
long chemin vers l'indépendance du Tchad (1989) d'Ahmet Kotoko
157
et Loin de moi-même (1989) de Zakaria Fadoul
Khidir. Ce dernier a publié Les Moments difficiles chez
Sépia, en 1998.
En roman, seul Bena Djanrang dit Nimrod a
préféré Acte Sud pour Les jambes d'Alice, en
2001. Noël Nétonon N'Djékéry (Sang de Kola,
2001), Baba Moustapha (Le souffle de l'harmattan, 2000, posthume) et
d'Ouaga Ballé Danaï : (Mon amour, l'autre, 2002) ont
été édités par L'Harmattan.
En poésie, Moïse Mougnan, (Le Rythme du
silence, 1986 et Des Mots à dire, 1987) et
Nébardoum Derlemari Abdias (Cris sonore, 1987) ont
publié chez Orphée (Montréal).Nimrod Bena Djanrang a
publié chez Obsidiane (Pierre, poussière, en 1989 et
Passage à l'infini, en 1999) et La Pensée Universelle
(Silence des chemins (1987). Les poèmes de Koulsy Lamko sont
incorporés dans Exils, paru chez Papillon de nuit et Le bruit
des autres en 1994 (La danse du Lab et Terre, bois son
sang).
L'oeuvre tchadienne enregistrée chez Présence
Africaine est le recueil de contes Au Tchad sous les étoiles de
Joseph Brahim Seid publié en 1962.
Les raisons du choix d'éditeurs
Tout compte fait, c'est Hatier qui a édité
plusieurs pièces de théâtre et des nouvelles d'autres
tchadiens. Ceci est le travail de RFI qui, après les prix au Concours de
la meilleure nouvelle de langue française et du CTI de chaque
année publie les lauréats chez Hatier (collection Monde Noir
Poche).
Après Hatier, c'est L'Harmattan qui est
l'éditeur des écrivains tchadiens. L'association « Pour
mieux connaître le Tchad » publie les oeuvres qu'elle juge utiles
pour la promotion de la culture tchadienne chez L'Harmattan et Sépia.
Une autre raison du choix de cet éditeur par les écrivains
tchadiens réside dans la souplesse de sa politique éditoriale. Le
directeur de cette maison, Denis Pryen, avoue que ce qui compte c'est que le
livre sera utile pour une centaine de personnes au moins. Là, 370
directeurs de collections oeuvrent pour publier en moyenne 2300 livres par an.
L'accent est beaucoup plus mis sur la valeur économique et non seulement
littéraire.
158
3. Les structures d'édition et d'impression au
Tchad
3.1 Les structures d'édition au Tchad
Une littérature pour exister réellement a besoin
d'une bonne condition d'écriture ou de production et de publication. Or,
au Tchad, parler de production et de publication, le phénomène
est à ses débuts. Au vu du Fonds-Tchad-littérature du CCF,
L'Harmattan a publié une vingtaine des textes d'auteurs tchadiens dans
les domaines politiques et socio-économiques, et plus d'une dizaine
d'oeuvres de fiction après les années 2000. Au Tchad, hormis
l'Imprimerie du Tchad qui a publié L'Humour populaire tchadien en
160 histoires drôles de Mabrouk Abakar Mahamat et Tranche de vie
de Souleymane Abakar, en 2003, il y a neuf centres qui ont publié
des textes (auxquels il faut ajouter le CNAR qui publie des articles de
colloques et dirige la Revue Scientifique du Tchad).
3.1.3. La « petite édition »
Les missionnaires xavériens de Pala ont publié
entre autres, Écureuil, le rusé : contes, histoires et
proverbes Musey en 2006 ; le CEL de Sarh a édité des oeuvres
sous la signature d'Adalta Djimet, Alcouta Daye, Elio Danna et Fortier Joseph
en 1972, 1978 et 1983. Yousouf Sapoye André y publie également
La vie au village en 1982. Dans la même ville, entre 1996 et
1997, Julien de Pommerol Patrice, Kladoumgué Jean Camille, Koutou
Rémi, Mindengar Togueyadji et Fournier Maurice ont publié des
contes au CRP.
À N'Djaména, l'ADELIT publie des textes
littéraires. Poésie tchadienne d'expression française
en 1993 et Littérature Tchadienne contre MST/SIDA en 2002
sont quelques-unes de ses productions, généralement fruits des
ateliers d'écriture. Le CCF, en plus de la publication des textes des
lauréats du concours « La fureur de lire » entre 1993 et 1994,
sous le titre de Nouvelles du Tchad, a publié des poèmes
et des contes. C'est sous son égide que Thyrion Françoise a
publié L'Enfant, L'arbre sacré, les plantes et les
thérapeutes, et Ngonmag ou l'enfant sacré, en 2003.
Le RLPT a publié en 2000 Lazonie, la petite ménagère
de Moussa Adji et Tchad au coeur de Marie José.
K. Lamko y a publié Larmes sèches : nouvelles
francophones du Tchad en 2001, etc.
De tous ces centres, peut-être ADELIT qui a un service
d'édition peut oser récidiver en édition, sinon,
l'activité d'édition tend à se professionnaliser. Quelques
grands centres culturels, financés de l'extérieur du Tchad, en
font, pour le moment, leur activité seconde.
159
3.1.4. La « moyenne édition »
Dans le présent travail, l'étude est
basée sur les éditions Sao et Al-Mouna et dans une certaine
mesure sur le CNAR et les éditions du CEFOD qui sont les « grands
centres d'édition » du moment. Ce choix s'explique, dans un premier
temps, par la régularité et la qualification ou la
spécialisation dans un domaine précis en édition et dans
un deuxième temps, par le fait que les velléités du centre
Dombao de Moundou, de la mission catholique de Fort-Lamy (actuel
N'Djaména), du Groupe de recherche de Bousso et du SBL, en
matière d'édition n'ont pas fait long feu. Le Salon par exemple,
n'a eu ses lettres de noblesse qu'entre 1995 et 1997. Bourdette-Donon
a essayé d'énumérer les quelques centres d'édition
:
Peu à peu ces textes, de Joseph Brahim Seid
à Patrick Kodibaye, construisent un espace littéraire francophone
au sein duquel, on écrit, on lit, on commente et
édite localement, même si cette
dernière action reste limitée aux quelques recueils
publiés par le CEFOD, le Centre culturel Al-Mouna et les jeunes
éditions Sao, relayés par la presse locale (Tchad et culture,
Carrefour, Malt), le centre Dombao de Moundou ou quelques autre association
n'djaménoise tel que
le Salon des belles lettres ou Adelit.
(Bourdette-Donon, 2003 : 9)
Eu égard aux propos de Bourdette-Donon
susmentionnés, une classification par spécialisation et par
degré de visibilité auprès des consommateurs du livre
paraît nécessaire.
Le tableau suivant illustre que les résultats de
l'enquête auprès des enseignants, étudiants acteurs du
livre, etc. justifient le choix des maisons d'édition ci-haut
citées au détriment de celles qui ne font que des publications
temporaires et ce après des concours.
N°
|
Édition
|
Année de création
|
Domaine d'édition
|
Production moyenne/an
|
Visibilité/
%
|
1
|
Al-Mouna
|
1995
|
Histoire, Littérature
|
2
|
80%
|
2
|
Sao
|
2000
|
Pédagogie, Histoire, Littérature, Politique
|
4
|
70%
|
3
|
CEFOD
|
1989
|
Droit, Histoire, Sociologie,
Littérature
|
4
|
55%
|
4
|
CNAR
|
...
|
Domaine Agro-sylvo-pastoral,
Littérature
|
6-8
|
5%
|
Tableau VI : Les grands centres d'édition au
Tchad (Annexe 1, question 23)
160
Le CNAR est un centre étatique qui s'intéresse
au domaine agro-sylvo-pastoral. Un comité composé d'experts
nationaux et internationaux y pilote La Revue Scientifique du Tchad.
Le centre a publié les Actes du 1er colloque des
écrivains tchadiens et des 3es journées
agro-sylvo-pastorales, parmi la vingtaine de titres à son actif depuis
sa création. Selon Mahamat Hamdo, éditeur au CNAR : « En
dehors des publications périodiques, le Centre enregistre entre six et
huit textes d'auteurs tchadiens et étrangers par an ».
(Entretien du 02/08/10)
Les activités d'édition du CEFOD datent de 1989,
avec des brochures et des fascicules. Les responsables de cette association qui
sera reconnue d'utilité publique se sont rendus compte qu'au niveau du
Tchad, il n'existe pas de maison d'édition en tant que telles. Or, la
nécessité de produire des textes était là. Ce
service d'édition a été créée pour mettre
à la disposition des tchadiens des documents de vulgarisation pour leur
permettre de connaître l'histoire de leur pays, la culture, le droit.
Pour le responsable des éditions du CEFOD, « les oeuvres
publiées ailleurs sont très chères. Mais grâce
à notre politique sociale et éducative de vulgarisation, les prix
sont bas. Nos produits répondent directement à la bourse et au
besoin du public tchadien » (Entretien réalisé le
10/08/2010).
Trois ans avant cette noble idée d'édition, le
centre Al-Mouna (en arabe, le désir), une association à but non
lucratif et d'obédience catholique a été
créée par l'Archevêché de N'Djaména. C'est
par les colloques et les conférences que le centre Al-Mouna, qui jadis
était une bibliothèque, est amené à faire de
l'édition. Les éditions dudit centre commencent en 1995 avec la
publication des colloques sur Le conflit Nord-Sud, La
laïcité, La grande guerre et Le Conseil Militaire
Supérieur entre 1995 et 2009. Par ces titres, le centre a la
volonté de reconstituer l'histoire contemporaine du Tchad
méconnue. Parlant de la littérature, « c'est l'objectif
spécifique, la promotion de la culture qui nous a poussé à
publier des romans comme Le Mendiant de l'espoir (1999) et Le Prix du
rêve (2003) de Ali Abdel-Rhamane Haggar et Les Chroniques tchadiennes de
N.N.N'Djékéry », reconnaît Darma Sylvain, le
responsable des éditions dudit centre (Entretien réalisé
le 28/05/2010 au centre Al-Mouna). Ces centres, bénéficiant de
quelques financements extérieurs, ont des domaines d'édition et
des lignes précises à suivre. Le centre Al-Mouna est
fasciné par l'Histoire et la culture tchadiennes avec sa revue
Carrefour et ses fascicules « Cahiers d'histoires » qui
traitent des défis de la société tchadienne et donnent une
connaissance du Tchad dans sa diversité. Le CEFOD s'intéresse
à son tour au Droit, à la Sociologie, à l'Histoire et
à la Santé.
161
3.1.5. La place de la littérature au sein des
centres de « moyenne édition »
La littérature représente 10% des publications
du centre Al-Mouna. (Entretien du 27/07/2010). Selon la responsable du centre,
la demande est fortement élevée, mais le problème est du
côté de l'entreprise qui préfère une édition
à compte d'éditeur et ne dispose pourtant pas suffisamment de
moyens financiers pour répondre à celle-ci : «
l'édition se fait toujours à perte, nous n'arrivons
généralement pas à rembourser les prix d'édition.
Nous cherchons, malgré tout de l'argent pour éditer au maximum
des oeuvres littéraires au moindre coût, de façon à
rendre le livre accessible au grand public» (Entretien
réalisé avec la responsable du centre Al-Mouna, le
27/07/2010).
La place de la littérature est
prépondérante aux éditions du CEFOD, estime le responsable
du service édition. Le centre fait la vulgarisation de tous les produits
locaux de l'esprit : « pour la publication, au niveau de
l'édition, nous faisons deux nouvelles éditions, deux
rééditions chaque année. Des oeuvres littéraires
ont été publiées dans cette logique. Cependant la
priorité est aux textes produits par les femmes.» (Entretien
du 10/08/2010, op.cit.). Le centre n'a pas pour vocation la publication
littéraire, mais de temps en temps, il publie des recueils de contes, de
nouvelles, de proverbes, etc. Nous pensons aux récits de chasse de
l'équipe de recherche de Bousso en 1993 ; Le Balai de la
première épouse de Mbaïdam Ngaba et Ainsi parlaient
nos ancêtres de Djimtola Nelli publiés en 1995 ; Entre
honte et folie de Ndoboui Eugène (2000), et Autour du feu
; Parole d'hier et aujourd'hui, Amour coupable etc. Ce manque
d'intérêt s'explique par le caractère social et non
lucratif du centre et par la préférence des bailleurs. Le
responsable estime que quand les partenaires ne peuvent pas apporter leur
appui, le centre se voit obligé de revoir la politique de prix et les
domaines de production. Généralement ce sont les textes de Droit
qui y sont prisés.
À défaut de financement et de subvention de la
part de l'État, ces deux centres sont quelquefois obligés
d'orienter les auteurs vers d'autres maisons plus spécialisées en
littérature, comme Sao, au Tchad et L'Harmattan, en France. La demande
est forte parce que le besoins d'écrire, de s'exprimer est criard au
Tchad. Mais la particularité de ces centres réside dans leur
système. Au Tchad, si on ne fait pas payer aux auteurs leur publication,
il faut avoir le financement. Or tout cela est aléatoire pour lesdits
centres. Il n'est pas évident que la publication à compte
d'éditeur soit un avantage pour l'essor de la littérature. Il
n'est pas aisé de s'endetter pour publier un livre et ne pas être
sûr qu'il se vende. Les Tchadiens n'aiment pas acheter les livres,
même les intellectuels. La raison est à la fois d'ordre
économique et
162
culturel. Après une information sur le prix d'un livre,
un fonctionnaire se demande : « vingt et sept milles ? Ça fait
combien de sacs de maïs ? » (Entretien avec Darma Sylvain,
responsable des éditions du centre Al-Mouna, le 28/05/2010). Si on doit
évoluer avec une telle mentalité, rien ne va se publier sur
place, ledit livre a été publié en France. S'il
était édité et publié56 au Tchad, il
ferait le double de ce prix. De prime abord, le bas salaire et la
pauvreté semblent être à l'origine de ce manque de
volonté pour la littérature. Pourtant, il y a des gens qui
dépensent le double de ce montant dans l'alcool en un jour. Darma
Sylvain renchérit qu'il y a des Mercédès qui coûtent
plus chère que le prix total des livres dans une bibliothèque. Le
Tchadien n'a donc pas la culture de la lecture.
3.2 Les structures d'impression au Tchad
L'inexistence d'instances de production peut pousser des
potentiels écrivains à garder les manuscrits dans les tiroirs. Si
l'impression doit se faire à l'extérieur du pays,
l'écrivain ne pourra pas se donner cette peine d'autant plus que le
cheminement commercial d'un livre est toujours éphémère.
Celui qui publie un livre ne peut pas mesurer le degré d'attention que
porteront les potentiels lecteurs à son oeuvre. Si l'auteur n'est pas
prolifique et ses livres bestsellers, il ne peut compter vivre du métier
d'écrivain. Pourquoi voudra-t-il investir des gros moyens pour la
publication à compte d'auteur et avoir affaire enfin à un public
qui n'a pas la culture du livre, de la lecture ? La présente
étude vise à démontrer qu'il y a des imprimeurs
disposés à partager le risque de perdre avec l'éventuel
client-auteur ou éditeur. Ainsi l'hypothèse du retard de la
production littéraire tchadienne occasionné par l'absence ou le
manque d'instances de production est d'office annulée.
3.2.1 L'existence de l'imprimerie au Tchad
Traiter de l'existence des instances d'impression au Tchad,
c'est juger l'effet de la guerre sur la mise en place desdites institutions du
livre. Il faut reconnaître que n'eut été les
56 Il est nécessaire de faire, comme R.
Escarpit, cette différence : « En français le mot «
éditer » et le mot « publier », qui sont souvent
employés l'un pour l'autre, n'ont pas originellement le même sens.
« Éditer » du latin edere, c'est littéralement mettre
au monde, accoucher. « Publier » du latin publicare, c'est exposer
sur la place publique à la disposition des passants anonymes.
L'édition est dirigée vers l'oeuvre, la publication vers le
lecteur inconnu. » (Escarpit 1972 : 129).
163
conflits armés qui ont toujours freiné les
investissements au pays, le nombre d'imprimeries ne sera pas seulement celui
que nous disposons après la descente sur le terrain. Il est aussi
question de voir les atouts déjà sur place afin de replacer le
débat sous une autre direction. Maintenant que les maisons
d'édition et les imprimeurs existent sur place, est-ce qu'il n'est pas
question de financement ? Á la question de savoir pourquoi
n'écrivez-vous pas, 25% d'enquêtés évoquent le
manque de moyens financiers, 10% le manque d'inspiration, 30% le manque de
temps. Le manque de maisons d'édition rassurantes et
évoqué à 15%, celui de sécurité à
10%. 10% d'enquêtés enfin ont des manuscrits aux tiroirs (Annexe
1, question 7). Il est possible qu'il soit une question d'habitude ou de
culture, dans la mesure où 10% d'enquêtés, en
majorité, littéraires de formation universitaire, seulement
avouent avoir des manuscrits sous les bras. Ce qui réjouit, c'est que
personne n'évoque l'absence d'instances et d'acteurs de production. Leur
présence est un plus. Il faudra juste, comme l'estime Marius Ngartora
Maryengué, le Directeur de la librairie La Source « donner le
goût de l'écriture et de la lecture à la jeunesse et le
livre aura une bonne place » (Entretien du 29/04/10).
Le résultat de l'enquête extensive nomme les
trois premières imprimeries citées dans
ce tableau, installées à N'Djaména. Les
autres ont été complétées lors des entretiens.
|
N Imprimerie
|
Création
|
Domaine d'impression
|
Visibilité
|
1
|
IDT
|
...
|
Sciences humaines, politiques,
économiques, naturelles, etc.
|
50%
|
2
|
AGB
|
1993
|
Sciences humaines, politiques,
économiques, naturelles, etc.
|
10 %
|
3
|
Aubaine
|
...
|
Sciences humaines, politiques,
économiques, naturelles, etc.
|
5%
|
4
|
IS
|
1972
|
Pédagogie, littérature, etc.
|
...
|
5
|
GIT
|
1996
|
Tout texte
|
...
|
6
|
Créative
|
2010
|
|
...
|
Tableau VII : Les grandes imprimeries au Tchad (Annexe
1, question 23)
L'entretien avec le responsable de l'Imprimerie Scolaire nous
a permis de prendre contact avec la GIT et l'Imprimerie Créative
(qui vient à peine de s'installer). En plus de ces six imprimeries
qui n'ont pas de représentation en province, il existerait une
imprimerie dénommée Preinte-Tchad à N'Djaména.
L'Eglise Catholique et la SIL disposeraient des machines à petites
impressions pour la publication des textes religieux et linguistiques. Ces
instances sont toutes privées.
164
3.2.2 Rappel historique de l'imprimerie au Tchad
Au début des indépendances, l'État
faisait ses propres impressions avant de les confier à l'IDT, alors
dirigé par des prêtres. C'est avec la création en 1972 de
l'IPN, actuel ISSED que fut créée une imprimerie scolaire pour la
conception des matériels et guides pédagogiques. L'objectif de
l'institution étant de palier au vide laissé par l'absence de
maisons d'édition. Pour cela, l'IS a produit des textes de
littérature, d'histoire, de géographie etc. en fonction des
exigences du programme scolaire. En 1993, Ahmat Goni Bichara, 35 années
d'expérience dans diverses activités commerciales et transitaires
crée l'AGB, donnant les premières lettres de son nom au sigle de
la structure. De deux machines à la création, AGB devient
rapidement l'une des plus performantes et des mieux équipées
instances d'impression au Tchad : « Dès le début, il y
avait deux machines, une corde et une perceuse. Nous avons rénové
avec plusieurs machines. Passons-nous de l'impression Offset à la
sérigraphie» (Entretien avec Directeur général
de l'AGB, le 31/07/2010, à N'Djaména.) Cette entreprise d'un
personnel de 35 employés dirigés par un Français et un
Belge, assistés par des Tchadiens, des Ghanéens et des
Béninois, a été selon son directeur, le fruit du hasard :
« Nous ne sommes pas imprimeur de formation. Nous somme transitaire.
Ainsi, nous avons créé AGB-Transit en 1985 à l'UDEAC
à Libreville au Gabon. Un ami béninois nous a proposé des
machines, il fallait essayer, » déclare A. Goni Bichara
(Entretien du 31/07/2010).
En 1996, l'Imprimerie Nationale du Tchad sera
privatisée et vendue. Pour éviter de confusion avec l'IDT,
déjà existante, elle sera dénommée : Grande
Imprimerie du Tchad.
Toutes ces imprimeries s'intéressent à tous les
domaines : politique, économique et social sans oublier la
littérature. Parlant de la censure, toutes sont d'accord qu'on peut
imprimer tout ce qui est imprimable. A. Goni Bichara reconnaît
qu'auparavant, il n'y avait pas de liberté de presse. Il fallait
imprimer que sur instruction du HCC. Mais « maintenant, la personne
apporte n'importe quel texte en n'importe quelle langue, on s'entend, [...] et
nous l'imprimons pourvu que cela ne choque pas trop » (Entretien du
31/07/2010).
165
3.2.3 La corrélation entre les imprimeurs tchadiens
et leur relation avec le public
Les imprimeurs essayent à tout prix de nouer des
relations avec les autres acteurs du livre, non seulement comme
commerçants mais comme promoteurs de la culture tchadienne. AGB entend
lier un mariage avec L'Harmattan de Paris. Grâce à la paix et aux
installations qui sont en train d'être faites, les livres que L'Harmattan
juge utiles, il peut les envoyer sous presse au niveau local. Cela
anéantit considérablement les frais de transport et de douane.
Les premiers pas, selon le Directeur général de l'Imprimerie AGB,
sont faits.
Entre eux, les imprimeurs sont sur le point de créer
une association ou un syndicat. La solidarité leur permettra de
défendre leur droit et de négocier des marchés qui sont
selon eux, confiés généralement à des individus ou
à des imprimeurs en Occident. « Associés, nous pouvons
négocier directement avec l'État pour éviter cette
contrefaçon. Il n'est pas question, que des particuliers et des
expatriés renvoient le marché de l'imprimé à
l'extérieur, au moment où nous existons et payons
l'impôt à l'État », déclare le directeur
commercial de la GIT. (Entretien du 02/08/2010) Ces maisons relieront
bientôt des représentations au Sud et au Nord du pays. La censure
n'a pas sa place dans leurs activités, tout comme les subventions. Elles
restent ouvertes pour collaborer avec les maisons d'édition, les
universités, les librairies et les bibliothèques de la place. En
cela, elles sont disposées à encourager les jeunes tchadiens
à produire des textes littéraires et à les aider. Le
Directeur Général de AGB-Imprimerie avoue qu'il a personnellement
eu à faire des sacrifices pour des jeunes qui avaient des textes mais
n'avaient pas de moyens pour les multiplier : «J'ai fait de rabais
jusqu'à 50%. Il suffit que ces écrivains accèdent à
la popularité et c'est tout. Leur production va être
recherchée» (Entretien du 31/07/2010) La relation
qu'entreprend AGB avec L'Harmattan sera utile pour la production
littéraire au Tchad dans la mesure où Pryen lance cet appel :
«Tous les jeunes qui ont des textes, qu'ils nous les envoient. S'ils
gagnent notre agrément, nous allons financer la publication »
(Entretien avec Denis Pryen, le 23/11/2009, à N'Djaména,).
Cette affirmation nous donne de l'espoir dans la mesure où l'oeuvre
littéraire est produite pour être lue et est-elle bel et bien
connue et lue que quand elle est produite sur place. Si L'Harmattan ordonne
l'impression d'un nombre suffisant de textes avec sa signature au niveau local,
la consommation va être élargie à un grand public. En
attendant, des imprimeries comme Créative ou Aubaine et Preinte-Tchad,
etc., qui souffrent de visibilité et qui ouvriront bientôt leurs
portes aux littéraires, la littérature tchadienne au niveau local
ne pourra pas mourir par manque d'imprimeur.
3.3 Le financement des écrivains et des
éditeurs
3.3.1 La question de mécénat
Pour l'édition et la publication des oeuvres
littéraires, les écrivains et les auteurs sont en droit de
bénéficier d'un financement public ou privé. L'État
pour la promotion de la culture, doit mettre une certaine somme à la
disposition de ceux-ci afin de leur facilité la tâche.
Malheureusement, aucun de ses acteurs, lors de nos prospections n'a reconnu
avoir bénéficié de l'aide de l'État. Les auteurs
ont, d'une manière ou d'une autre, bénéficié d'une
assistance du secteur privé. Les éditeurs avouent
également avoir été aidés par des personnes morale
et physique. C'est le mécénat, entendons financement d'une
activité dans un but généralement non lucratif, Le
mécénat est pour Escarpit, l'« entretien de
l'écrivain par une personne ou une institution qui le protègent
mais attendent de lui en retour la satisfaction du besoin culturel»
(Escarpit ,1968 :47). Du latin Maecenas et du nom de
Mécène, chevalier romain, conseiller
d'Auguste57, protecteur des lettres, désigne selon Le
dictionnaire du littéraire « toute forme d'aide à
un artiste pour le soutenir dans l'exercice de son art, que cette aide
provienne de particuliers ou d'une puissance étatique» (Aron
et al, 2002 :359). Ce dictionnaire reconnait qu'il est un acte gratuit qui a
une visée ostentatoire puisqu'il n'est pas attribué par simple
amour de l'art. Ainsi le mécénat pose un problème de
rapport entre pouvoir économique et culture. Cet aspect est
développé par Escarpit (1965) et Bourdieu (1998).
Le financement produit un effet de dépendance qui peut
être une nouvelle piste d'explication et de compréhension de
l'oeuvre littéraire. Vu que la relation entre l'écrivain et/ou
l'éditeur et le mécène, celui qui lui offre les capitaux
de production peuvent se traduire dans l'oeuvre par le biais de l'éloge,
la défense de son idéologie, sa vulgarisation, etc. La
préface et les remerciements sont également des lieux
d'expression de ces sentiments de reconnaissance. Le mécène peut
être une source d'inspiration. Il nous intéresse car nous nous
attardons sur les conditions de production des oeuvres. Dans le cas que nous
évoquons, certains écrivains avouent que le mécène
a été la source d'inspiration ou a influencé d'une
manière particulière, au point d'être une
référence implicite. Nous pouvons affirmer que la
littérature entretient des rapports complexes avec l'argent et la
politique. Un travail d'analyse sociologique gagnerait en étudiant cette
relation tripartite politique-économie-culture.
166
57 Empereur romain né à Rome en 63 avant
Jésus christ et mort en l'an 14 après celui-ci.
167
3.3.2 Le secteur privé et assistance aux
écrivains
Dans le cas des écrivains tchadiens, il n'est pas
aisé de trouver en nombre suffisant ces bonnes volontés. La
radiodiffusion française, par ses concours de théâtres et
de nouvelles a participé à une éclosion de la
littérature tchadienne. Les lauréats de ces concours ont vu leurs
oeuvres publiées et diffusées dans le monde francophone. Nous
avons développé cet élément dans le premier
chapitre de la dernière partie de la présente thèse. Nous
y avons également fait allusion à la publication des oeuvres des
lauréats des différents concours au niveau national. À
vrai dire cette pratique se différencie du mécénat qui est
une aide accordée pour l'exercice, voir l'accomplissement de
l'activité d'écriture ou d'édition. Mais il est ingrat de
ne pas en parler, dans la mesure où la finalité de toutes ces
aides est de voir une oeuvre accomplie. Les oeuvres publiées dans le
cadre des concours n'auraient jamais vu le jour n'eut été
l'assistance financière des organisateurs de ce concours et de leurs
collaborateurs. Cet état de chose conditionne bel et bien la production
littéraire. Roland Barthes disait à cet effet que « nul
ne peut écrire sans prendre parti passionnément [...] sur tout ce
qui va ou ne va pas dans le monde» (Barthes, 1994 : 14).
L'association « Pour mieux connaître le Tchad
», fondée le 30 janvier 1992, par des intellectuels tchadiens et
français58 qui ont décidé d'oeuvrer pour faire
progresser et diffuser la connaissance scientifique et pratique au Tchad par la
publication des livres, et le cas échéant, de cassettes
vidéo et audio ainsi que par l'organisation des conférences et
d'expositions, est une institution non négligeable dans la production et
la diffusion de la littérature tchadienne. Plusieurs écrivains
tchadiens ont été publiés par cette association dont le
siège est à Pairs. (Institut National des Langues et
Civilisations Orientales). Elle a toujours presque fait éditer ses
oeuvres par L'Harmattan et Sépia en France59. Les titres et
la tendance autobiographique
58 Mme et MM Abdelkerim Chérif, Robert
Buijtenhuijs, Kadi Mahamat, Marie José Tubiana, Joseph Tubiana, Claude
Durant, Nicole Vial, etc.
59 En 1994, l'association publie chez L'Harmattan,
avec la signature de Joseph Tubiana, Claude Arditi et de Claude Pairault,
L'identité du Tchad. L'héritage des peuples et apports
extérieurs. En 1998, chez L'Harmattan, Pierre Toura Gaba publie
grâce à elle Non à Tombalbaye. La même
année chez Sépia, l'association publie Les Moments difficiles
de Zakaria Fadoul Khidir. Deux ans après, parait par son initiative
à titre posthume Le souffle de l'harmattan de Baba Moustapha
chez L'Harmattan et Sépia. En 2002, Joël Rim-Assbé Oulatar
signe Tchad, le poison et antidote par sa faveur. En 2006, deux ans
après la publication par Marie José et Tubiana des contes
Zaghawa., Z. F. Khidir signe chez Sépia Le chef, le forgeron et le
fakir
168
témoignent la volonté de connaître
l'histoire politique du Tchad. Ces oeuvres littéraires sont tous
à tendance autobiographique. L'association, à tendance marxiste,
se classe du côté de la basse classe, des victimes, des innocents,
pour dénoncer les exactions politiques et prôner l'unité.
Tous les livres qui répondent à cette préoccupation sont
financés. Les auteurs peuvent être fascinés par cette
philosophie avant d'écrire. Celle-ci est une des associations oeuvrant
dans le domaine de la production littéraire. Notre objectif n'est point
d'épuiser la liste des mécènes, mais de démontrer
que ceux-ci favorisent et conditionnent la production littéraire.
3.3.3 Le secteur privé et assistance aux
éditeurs
Le champ littéraire occupe une place de dominé
au sein du champ du pouvoir qui est un « espaces des rapports de force
entre les agents ou les institutions ayant en commun de posséder le
capital nécessaire pour occuper des positions dominantes dans les
différents champs (économique ou culturel notamment)»
(Bourdieu, 1998 : 353). Celui-ci, selon notre analyse
précédente, n'a pas pourvu au besoin des acteurs de la
production. Les éditeurs se sont tournés vers le secteur
privé.
Dans le domaine de la production, le Centre Al-Mouna, le CNAR
et le CEFOD reconnaissent avoir bénéficié des financements
privés, et extérieurs pour la publication de certains types de
textes. Les bailleurs imposent le domaine, le genre et le volume des oeuvres
qu'ils désirent financer. Ainsi, AL-Mouna est orienté vers
l'Histoire contemporaine du Tchad, le CNAR, vers la publication des oeuvres
scientifique et le CEFOD, vers le Droit, la Sociologie et l'Histoire. La seule
maison d'édition qui s'intéresse à la littérature,
les éditions Sao, par la voix de son directeur, reconnaît n'avoir
pas encore eu un financement conséquent pour la promotion de la culture
tchadienne. Les imprimeries existent et sont disposées à traiter
des textes de tout genre. Il suffit d'avoir peu de volonté et de moyen
pour que l'activité littéraire soit visible.
Cette partie dernière nous a permis de connaître
les écrivains de renom tant au niveau national qu'international par
forme d'expression. La popularité de ceux-ci tient de l'édition
et de la publication de leurs oeuvres dans une maison d'édition de
célébrité incontestée et la disponibilité et
à la consécration de ces textes au niveau local. Qui écrit
? Quelle place occupe-t-il dans la société ? Dans quel contexte
organisationnel se trouve-t-il ? Etc. sont là les questions qui nous ont
poussé à regrouper les écrivains et leurs oeuvres par
genres. Parlant des particularités des genres, Bourdieu reconnaît
que « la préférence est au roman par rapport
à
169
la poésie» (Bourdieu, 1998 : 89) Cela se
justifie dans le cas tchadien. Bref, nous avons classé les genres par
degré de visibilité et de préférence auprès
des consommateurs.
Après une étude historique, nous avons
recensé les instances d'édition et d'impression existant au
Tchad. De 1972, date de l'implantation de l'imprimerie scolaire à l'IPN,
le Tchad compte aujourd'hui (2010) sept imprimeries reconnues. Neuf centres ont
depuis longtemps édité des oeuvres, mais il faut
reconnaître qu'actuellement, seules les éditions Sao sont
indépendantes et spécialisées en production
littéraire. La fonction éditoriale peut se résumer par
trois verbes: choisir, fabriquer, distribuer. Ces trois opérations qui
forme un cycle qui constitue l'acte d'édition sont solidaires et,
« chacune dépendant des autres en même temps
qu'elle les conditionne.» (Escarpit 1968 :63).
À chacune de ces trois opérations
correspondent les trois
services essentiels de l'édition : Le service littéraire, le
service technique et le service commercial que nous avons
développé.
En dernier lieu, la question de financement nous permet de
déduire que l'insécurité politique du pays a
empêché les bailleurs de fonds d'investir dans le domaine de la
production littéraire au profit des auteurs, des imprimeurs et des
éditeurs. Le second métier où la profession sociale de
l'auteur est pour nous un autofinancement, d'où l'étude de la
formation professionnelle. Le danger de ce métier second, comme le
démontre Escarpit est qu'« il réserve l'exercice du
métier de l'écrivain à une seule catégorie
socioprofessionnelle» (Escarpit 1968 : 59), celle des
professeurs-écrivains par exemple. Mais, c'est grâce à ces
métiers divers que les écrivains tchadiens ont pu faire
éditer leurs oeuvres.
170
CONCLUSION GÉNÉRALE
171
Ce travail sur la littérature tchadienne tel que
mené s'inscrit dans une perspective nouvelle, celle de la sociologie de
la littérature qui s'intéresse aux contextes, processus et
acteurs de la production littéraire. Dubois (1978) a interrogé un
certain nombre de structures, notamment les sphères de production, les
fonctions de la littérature, les instances de production,
etc. et est arrivé à la
conclusion selon laquelle tout texte littéraire porte en lui les marques
de son inscription dans la société. Fandio saisit la
littérature comme le produit d'une société historique et
développe les rapports de classes assimilés à
l'institution littéraire qu'il définit comme « un
ensemble des paramètres humains et matériels qui concourent
à l'existence du livre littéraire» (Fandio, 2006 : 16).
Pour ceux-ci, les moyens techniques et les capacités intellectuelles et
morales des producteurs sont des paramètres importants dans le processus
de création. En leur consacrant une étude minutieuse, nous avons
trouvé ces éléments essentiels et «
déterminants pour l'avènement de la littérature
écrite » (Fandio, 2006 : 20).
La question de départ était de savoir ce qui a
retardé l'institutionnalisation de la littérature au Tchad et ce
qui est fait ou nécessite d'être fait pour corriger les erreurs du
passé. D'emblée, le contexte sociopolitique instable est
supposé être la cause du retard et la démocratie, celle du
sursaut. Les résultats de cette recherche confirment ce postulat. La
réussite de ce projet vient du fait que l'analyse est axée sur
les notions de champ, d'institution et de production littéraires
définies par P. Bourdieu, R. Escarpit et J. Dubois entre autres.
La connaissance des réalités sociopolitiques et
économiques du Tchad a été et reste indispensable pour
l'étude du fait littéraire. En effet, la succession non pacifique
au pouvoir a engendré une instabilité politique. Dans un tel
contexte, les champs économique, littéraire et culturel n'ont pas
pu être bien organisés. Cependant, la solarisation,
l'alphabétisation, l'ajustement structurel, l'avènement de la
démocratie et le boom pétrolier ont favorisé la
reconstruction de ces champs perturbés par les conflits armés.
L'étude des contextes de production a permis de justifier l'apport
d'autres disciplines dans le domaine littéraire pour faciliter la
compréhension des faits comme l'atteste Michel Vincent, parlant du roman
: « Le roman, carrefour de représentations ne peut non plus
bien se comprendre sans faire appel aux sciences humaines f...] dont les acquis
éclairent maints aspects du travail littéraire»
(Vincent, 1994 :3)
172
Aux termes de cette analyse, nous sommes arrivé
à quelques résultats qu'il est nécessaire de
présenter.
Le contexte politique est en perpétuelle mutation pour
être une source de recherche en littérature. Des rois, des
conquérants et des colonisateurs se sont partagé le Tchad avant
les indépendances. Ces derniers ont laissé comme legs la langue
française et la culture de l'écriture.
Parlant de la succession au pouvoir et son effet
littéraire, nous avons trouvé que le premier président du
Tchad, François Tombalbaye a lutté pour l'émancipation
politique et économique du pays. Mais il a aussi été
accusé de népotisme et de tribalisme. La dissolution du PPT-RDA a
précédé à un programme culturel : le MNRSC.
Plusieurs critiques et écrivains ont critiqué dans ce mouvement
unitaire l'imposition du yondo comme pratique nationale obligatoire, les
travaux forcés, l'emprisonnement des chrétiens et le changement
de nom.
Après la première république, cinq
dirigeants ont eu, chacun à son passif, quelques dérives qui
n'ont pas échappé à la loupe des écrivains.
Le GROFAT a trouvé en Malloum la personne la mieux
indiquée pour gérer les nombreux projets de l'État. Mais
12 février 1979, suite à un incident qui oppose les
éléments de l'armée nationale à ceux de
Habré, le Tchad sera plongé dans un chaos sociopolitique.
Heureusement, avant l'accord de Lagos qui donne mandat à Goukouni de
diriger le pays (18 aout 1979), Lol Mahamat Choua a été
nommé par consensus président provisoire. De 1979 à 1982,
la gestion de Goukouni n'a pas réussi à intégrer les
factions rebelles dans l'armée nationale et leurs leaders le GUNT, comme
prévu. Habré se retire en province et revient revendiquer avec
succès le pouvoir le 07 juin 1982. Une paix morose et
éphémère a précédé une dictature. Le
tribalisme, la répression policière la redynamisation du parti
unique, la guerre à répétition, etc. en ces temps ont
été suffisamment critiqués par les écrivains. Le
1erdécembre 1990, Idriss Déby renverse Habré et
instaure une gestion démocratique du pouvoir. Les auteurs ont
critiqué à cette époque la répression, la gestion
ethnico-religieuse de la fonction publique, l'insécurité et la
dilapidation des biens publiques. Cependant, les résultats de
l'enquête dévoilent que la liberté d'expression est un
facteur émergent pour la littérature à cette
époque. C'est cette stabilité politique qui a favorisé la
mise sur pied d'une institution littéraire.
173
Aux dénouements de l'étude du contexte
socio-économique et culturel, il ressort que :
Au niveau social, il y a eu des crises parmi lesquelles la
guerre et ses conséquences, l'analphabétisme, l'illettrisme et la
corruption sont ciblés comme freins au développement de la
littérature. La guerre est toujours liée à la prise de
pouvoir au Tchad selon les sources documentaires consultées sur cette
lutte armée. Les écrivains n'ont pas cessé de
décrire ces guerres qui ont des conséquences néfastes sur
l'économie du pays et sur le système éducatif.
L'analphabétisme et l'illettrisme sont quelques-unes de leurs
conséquences, n'étant pas de nature à favoriser la
production et la consommation des oeuvres de l'esprit. La corruption est l'un
des virus qui ralentissent le système sociopolitique. Elle est une autre
conséquence des guerres civiles et des règnes claniques.
Au niveau économique, il a été question
de mesurer l'enjeu de l'économie tchadienne sur la production
littéraire. En 48 ans de production littéraire, une vingtaine
d'auteurs seulement ont pu produire chacun au maximum deux oeuvres
littéraires reconnues. Une raison probable de cette lenteur est que la
situation économique aléatoire a retardé la
création des instances de productions. Il a suffi que ce contexte de
précarité soit « renforcé » par une crise
économique inévitable pour que l'écriture d'oeuvres de
fiction soit retardée au profit de la recherche du pain quotidien.
L'exploitation du pétrole a remonté le niveau de
l'économie nationale et a permis aux acteurs du livre de s'installer.
D'une oeuvre en moyenne produite par an avant 2000, on est actuellement
à quatre oeuvres en moyenne par an.
Au niveau culturel, il y a des réalités comme la
diversité ethnique et la culture de l'oralité qui, au lieu
d'être une richesse pour la production littéraire écrite,
constituent des obstacles à celle-ci : La religion et les divisions
administratives ont favorisé une division linguistique et
idéologique. Le tribalisme et la discrimination ont
découlé de cette séparation. L'école et la
littérature ont intérêt à exploiter la
diversité pour asseoir une paix durable. La culture de l'oralité,
basée sur la transmission de bouche à oreille des informations ne
peut pas résoudre ce problème. Les informations se perdent au
cours du temps. Il est utile de les consigner sur papier pour leur sauvegarde.
La démocratie est enfin de compte un facteur non négligeable pour
la production et la consommation de la littérature. Elle lutte contre
les antagonistes ethniques et religieux, tout en accordant la liberté
d'expression qui a favorisé au Tchad la prolifération des
discours critiques, littéraires et la naissance d'une
société civile organisée.
174
Quelques conditions encourageantes ont mérité
d'être connues. Il s'agit des événements littéraires
(rencontres, festivals, concours, associations et prix), des apports des
expatriés et du niveau intellectuel acceptable des créateurs,
etc. qui ont revigoré le champ littéraire. Par contre les
difficultés liées aux langues nationales et
étrangères, aux religions révélées et aux
cultures hétéroclites constituent jusque-là des facteurs
défavorables à la production littéraire. En ce qui
concerne les difficultés linguistiques par exemple, la
sous-scolarisation est l'une des causes de la faible production
littéraire au Tchad, surtout que les langues d'écriture sont des
langues étrangères. À propos, la scolarisation de masse
est l'une des solutions à envisager. Salaka reconnaît à cet
effet que « les littératures émergeantes posent le
problème des rapports aux langues coloniales f...] La scolarisation a
pour objectif d'amener le scolarisé à la maîtrise d'une
langue qui n'est pas la langue maternelle» (Salaka, 2003 : 36).
Malheureusement, la volonté d'apprentissage du français est
minime chez certaines couches de la population tchadienne. Les milieux
populaires ne connaissent qu'un accès marginal aux livres, pire encore
à son écriture et à sa publication. La littérature
doit surmonter ces obstacles pour prôner une culture nationale
fondée sur les diversités linguistiques, religieuses et
culturelles, gages d'une richesse littéraire certaine.
Les facteurs littéraires et historiques sont des atouts
qui n'ont pas été oubliés dans cette analyse sociologique.
Les européens ont porté un regard moins innocent sur les
réalités sociopolitiques, économiques et culturelles des
ex-colonies. Andrée Clair, Louis Courtek, Germain Chambost, Baudouin
Chailley, Ivonne de Coppet et Michel Planchon, ayant, ayant vécu au
Tchad, ont produit des oeuvres qui résument leurs séjours
professionnels. Après eux, les jeunes écrivains tchadiens se sont
donnés pour les concours littéraires organisés par des
associations littéraires au niveau national et international. Deux
revues (Carrefour et Tchad et Culture) et un magazine
littéraire (Malt) ont mérité d'être
cités pour leur apport à la production de la
littérature.
En ce qui concerne les concours au niveau international, six
textes bénéficiaires du prix de la meilleure nouvelle de langue
française et quatre ayant encaissé d'autres prix en nouvelle ont
été cités. Neuf pièces ont été
primées au CTI et trois à l'occasion d'autres concours de
théâtre. En poésie, cinq textes ont arraché des prix
de renommée internationale. En mise en scène, quatre
pièces ont eu des prix de mise en scène au niveau international.
Au niveau du pays, il est fait mention de trois recueils de poèmes, huit
pièces et huit nouvelles
175
primés. Ces auteurs récompensés se sont
inspirés des réalités politiques, historiques,
socio-économiques et culturelles du Tchad.
Dans cette logique, l'étude a démontré
que le niveau intellectuel des écrivains tchadiens est acceptable. Parmi
les quatorze dramaturges analysés, il y a deux docteurs en dramaturgie
et en économie, quatre professeurs de lycées, deux
administrateurs licenciés en droit, trois comédiens et trois
communicateurs. En nouvelle et autobiographie, il y a deux licenciés en
droit, un en anglais, un en télécommunication et deux titulaires
de BTS en bureautique et en communication.
Si les écrits des expatriés, les
évènements littéraires et les associations ont
été des atouts pour la production littéraire, il y a
cependant les multiplicités linguistiques, religieuses et culturelles
qui freinent l'épanouissement de la littérature.
Sur le plan politique, économique et socioculturel, le
multilinguisme constitue un obstacle. Un bon programme politique et
éducatif peut faire de sorte que la diversité linguistique soit
une richesse. Le bilinguisme arabe-français est mal géré
et chacune de ces deux langues représente, selon plusieurs personnes
enquêtées, l'islam ou le christianisme au point où les
locuteurs de l'une ne fournissent pas d'efforts pour apprendre l'autre. Le
phénomène n'étant pas de nature à encourager la
cohésion sociale et la consommation des oeuvres littéraires, un
effort d'apprentissage et de vulgarisation est un atout. Contrairement au
français utilisé par la moitié de la population nationale,
l'arabe littéraire n'est parlé que par 10% de la population
(selon le RGPH de 1993).
L'islam et le christianisme divisent le Tchad en groupes
religieux et ethniques géographiquement antagonistes. Leur pratique
crée un conflit social. Heureusement ils servent d'inspiration
littéraire. L'étude a démontré que les
littéraires ont une position très pointue contre
l'intolérance et estiment instaurer son contraire par
l'écriture.
Enfin, nous avons relevé le fait qu'il y a une
multitude de cultures qu'on peut vulgariser, d'où le concept de culture
nationale au service duquel la littérature doit être
employée. Il n'est pas facile d'envisager une unité culturelle.
Il suffit de délaisser les éléments culturels jugés
désuets par la majorité des cultures nationales et accepter ceux
considérés dignes de modèles par beaucoup des
concitoyens.
176
Les éléments qui ont retardé ou
favorisé la mise en exercice du processus de production et de diffusion
du livre littéraire tchadien dans tous ses genres sont désormais
connus. Ce processus, son environnement et ses instances, suivies de leurs
acteurs et de leurs moyens humains et techniques sont passé en revue.
Malgré les quelques difficultés énumérées,
il n'est pas impossible de redynamiser la chaîne du livre au Tchad. Les
écrivains y occupent une situation particulière.
Cette étude a pris en compte 28 auteurs de
renommée internationale (dont 51 de leurs oeuvres sont reconnues et lues
par les personnes enquêtées). Au niveau national, 11 dramaturges,
14 nouvellistes et 4 poètes qui s'efforcent pour reverdir le champ
littéraire tchadien ont également fait l'objet d'analyse dans ce
travail. Le total fait 57 auteurs étudiés. En effet, les auteurs
tchadiens sont soit des littéraires, juristes, économistes ou
agronomes enseignants au lycée ou à l'université, soit des
éditeurs, animateurs culturels, journalistes, comédiens, metteurs
en scène, soit encore des administrateurs civils. Leur formation et leur
profession, généralement en rapport avec la littérature,
font d'eux des formateurs.
Il existe un nombre suffisant d'éditeurs et
d'imprimeurs au niveau local. Seulement, tant que « les verres et les
tasses des salons ne sont pas remplacés par des livres pour permettre
aux enfants de lire dès le bas-âge» (Renaud
Dinguemnaial, entretien réalisé le 09/08/2010), tant que
« les lycées et les collèges ne sont pas dotés de
bibliothèques garnies »(Ngartora Maryengué Marius,
entretien réalisé le 29/04/2010) et tant que « les
étudiants ne sont pas formés avec de bonnes bibliothèques
» (La responsable du centre Al-Mouna, entretien du 27/07/2010), la
production et le marché du livre littéraire vont toujours
demeurer faibles. En conséquence, il serait difficile de s'installer en
tant qu'auteur, éditeur ou imprimeur et prétendre gagner de
l'argent en produisant ou en publiant des textes littéraires. Dès
lors, la discussion franchit les limites de la production pour la consommation,
une autre piste d'étude en sociologie de la littérature. Sur les
100 personnes enquêtées, les seules occasions indiquées
pour la lecture sont les études des oeuvres aux programmes (25%) et le
temps de vacances (25%). 25% d'enquêtés seulement
prétendent lire à tout temps, 20% autres quand le livre parait et
5% lors de voyages (annexe 1, question 6). Il y a là un problème
de réception ou d'habitude de lecteur.
177
L'analyse sociologique des écrivains a consisté
à les regrouper par genres littéraires. Dans toutes les formes
d'expression, le statut des écrivains, les textes phares et les
distinctions académiques et littéraires ont été
passés en revue. Ce travail a permis de connaître des talents :
Six dramaturges de renom : M. Naindouba, B Moustapha, K.
Lamko, P. Bebnoné, N. Djédanoum et N. N'Djékéry et
une dizaine de dramaturges (enseignants, éditeurs, comédiens,
metteurs en scène, journalistes, économistes, agents de
développement, etc.) qui oeuvrent au niveau local pour reverdir le champ
littéraire, dont les écrits ne bénéficient pas
d'une réelle visibilité, sont découverts. La
majorité de ceux-ci vivent à N'Djaména où ils
exercent la profession d'écrivain comme activité
seconde60.
Huit romanciers ont été repérés
par les enquêtes et ont fait l'objet d'une étude. Deux d'entre eux
vivent au pays où ils sont enseignants en économie et en
agronomie. Il s'agit des docteurs A. Haggar et Mouimou Djékoré.
Les autres, informaticiens, diplomates, docteurs en philosophie et dramaturgie,
etc. vivent à l'extérieur du pays (surtout en France). Là
aussi, l'écriture est une activité seconde pour eux.
Sept autobiographes s'arrachent la figure de star. Parmi eux,
seuls le docteur Z.F. Khidir, vice-recteur de l'université de
N'Djaména et Hinda Déby, l'épouse du président
vivent au pays. Les autres sont soit morts, soit en exil.
Quatre nouvellistes de renom et quatorze jeunes qui s'exercent
en nouvelle et répondent de temps en temps aux concours dudit genre au
niveau du Tchad sont répertoriés
Cinq poètes ont une renommée internationale. Au
niveau local, il y a de recueils inédits qui sont clamés par
leurs auteurs, mais les recueils publiés des quatre poètes
reverdissent le champ. Ceux-ci vivent à N'Djaména, au Tchad.
Des acteurs concernés par la production, l'étude
a été consacrée aux éditeurs et imprimeurs et
à leurs instances. C'est auprès de ces derniers que sont
collectées les
60 Escarpit (1968) avoue qu'il faut
considérer le second métier comme une solution acceptable mais
qui ne peut absolument pas résoudre le problème de
l'intégration du métier de lettres au système socio-
économique.
178
informations techniques sur la réalisation d'ouvrages.
L'annexe 4 réservé aux personnes ressources
enquêtées en donne quelques noms.
S'agissant des instances techniques, après une
étude historique et fonctionnelle de l'édition et de l'imprimerie
et quelques autres possibilités de publication comme l'internet (Open
Access, Creatives Commons), l'étude a pris en compte l'existence des
maisons d'édition en Europe et en Afrique, surtout celles qui ont ouvert
leurs portes aux auteurs tchadiens. Bourdette et Taboye (2003) confirment le
fait que la littérature tchadienne soit produite en majorité en
Europe. Sur une centaine de titres recensés, seuls Koulsy, Koundja, et
Moustapha ont produit quelques cinq oeuvres en Afrique, en dehors du Tchad. La
majorité d'écrivains, à défaut des instances
dynamiques au niveau national, ont choisi la France comme lieu
d'édition. Le directeur des éditions Sao reconnaît ce fait
et déclare:
Au départ, la littérature tchadienne
était l'apanage d'une poignée d'écrivains qui, par la
force des choses se sont retrouvés en Europe, surtout en France,
où les conditions de production sont enviables. Au Tchad,
l'instabilité politique et la crise sociale n'ont pas été
favorables pour la réalisation d'un tel rêve. Aujourd'hui, il faut
reconnaître que quelque chose a changé. Cette dernière
décennie, nous avons à notre actif vingt-quatre oeuvres dans la
collection littérature tchadienne. (Entretien avec L. Bao, le
26/04/ 2010, aux Éditions Sao)
L'étude sur les structures d'édition et
d'impression au Tchad a permis de confirmer l'hypothèse selon laquelle
les instances de production existent et méritent d'être
encouragées, financées pour être dynamiques. Il y a un
investissement humain et matériel appréciable : quatre maisons
d'éditions (AL-Mouna, SAO, CEFOD, CNAR) et six imprimeries tchadiennes
(IDT, AGB, GIT, Aubaine, Créative et IS). Selon les responsables de ces
instances, l'apport de l'État dans leurs activités est toujours
nul. Pourtant Escarpit, parlant du financement externe, qu'il développe
en terme de mécénat (ou entretien des acteurs du livre par une
personne ou une institution qui les protègent mais attendent d'eux, en
retour, la satisfaction du besoin culturel) reconnaît que « tout
au long des âges, le mécénat d'État s'est traduit
par l'octroi de pensions plus ou moins régulières ou par
l'attribution de fonctions officielles.» (Escarpit, 1968 :48). Ce
« refus » de financement de l'activité littéraire peut
faire l'objet d'une étude. C'est probablement ce manque d'attention de
l'activité littéraire qui pousse les auteurs vers les pays qui
accordent d'intérêt à la production, la consécration
et la légitimation des
179
oeuvres littéraires. Le mécénat, comme le
déclare Escarpit, « rend possible l'intégration de
l'écrivain a un cycle économique où il n'avait pas sa
place, et donc de lui permettre d'exister et de produire,» (Escarpit
1968 :48). Il est souvent mis à son actif une influence
généralement heureuse sur les lettres. A cet effet, un effort est
à faire dans ce domaine par l'État.
La littérature tchadienne, malgré son
immaturité est en voie de se constituer en champ autonome. Tous les
acteurs et les composantes de la chaine du livre sont en place. L'objectif
visé par eux est le degré d'autonomie de ce champ qui «
peut se mesurer à l'aune de l'élasticité et ou de
l'étroitesse de liens de dépendance qu'il entretient avec des
champs concurrents dont le champ politique », comme l'estime Pascal
Durand (Durand, in Fonkoua, 2001 : 12). Écrivains, éditeurs,
imprimeurs, diffuseurs, libraires, bibliothécaires, etc. (pris
individuellement ou collectivement, dans le champ littéraire ou en
rapport avec d'autres champs - politique, économique, religieux ou
culturel, etc.-) peuvent faire l'objet d'étude avec pour grille la
sociologie de la littérature ou avec une autre méthode
d'étude du fait littéraire. L'apprenant en sociologie de la
littérature peut s'intéresser à l'étude
comparée entre le champ littéraire et le champ politique ou
culturel, à la question de génération d'écrivains,
de diffusion ou de consommation, etc. de la littérature tchadienne
écrite d'expression française. Il faut noter que ces pistes sont
entre autres des possibilités d'élargissement du champ
littéraire.
Cette étude, il est vrai, a permis de collecter un certain
nombre d'informations jusqu'à la inédites, mais elle est pour ce
grand domaine de l'institution de la littérature, une ébauche
d'analyse qui vaut la peine d'être perpétuer.
GLOSSAIRE
180
181
Acteur du livre : Toute personne qui
contribue à la production ou la diffusion du livre.
Analyse sociologique : Une étude du
fait littéraire par une démarche sociologique. Dans le
présent travail, les enquêtes extensive et intensive menées
sont des techniques de collecte des informations en sociologie, entendons la
science qui étudie les faits de société.
Auteur : Producteur d'un texte écrit. Le
mot « auteur » garantit la valeur juridique et concerne les rapports
de propriétés, les droits d'auteurs. Le mot s'applique
aujourd'hui à toute sorte de publication et se distingue de «
écrivain » qui ne concerne que la littérature seule.
Bibliographie : Ensemble de la production livresque d'une
époque.
Chaine du livre : Processus qui va de
l'écrivain au lecteur en passant par l'éditeur, l'imprimeur, le
libraire, le bibliothécaire et bien d'autres acteurs du livre.
Champ littéraire : Réseau, ou
configuration de relations objectives entre les positions. P. Bourdieu classe
les classes sociales en champs politique, économique, culturel,
littéraire, etc. A l'intérieur de ces domaines qui s'influencent
et réclament, chacun, son autonomie, se trouvent les acteurs. Il a ses
codes, ses valeurs et ses propres lois.
Création littéraire :
Activité productrice de lettres, ensemble des produits oraux et
écrits de cette activité. La littérature est
création littéraire, en ce sens qu'elle invente des idées,
des images, des personnages voire de mondes nouveaux.
Écriture : Terme qui renvoie à
la littérature écrite, à l'action d'écrire des
oeuvres littéraires. L'écriture est pour Barthes « une
fonctions chargée d'exprimer le rapport entre la création et la
société.
Écrivain : Producteur d'un texte
littéraire. Le terme reçoit une autre appellation en fonction des
genres littéraires. On parlera de dramaturge pour l'auteur de
pièces de théâtre, nouvelliste (nouvelle), romancier
(roman), autobiographe (autobiographie), poète (poésie), etc.
À l'époque moderne, il désigne « l'auteur d'une
oeuvre littéraire reconnue.» (Aron et al, 2002 :164).
Fait littéraire : La littéraire
est un fait social et historique. Elle a une existence matérielle qui
peut être un objet de savoir et de mémoire. Par ailleurs, elle est
également création des faits présentés comme vrais
ou comme imaginaires, et ceux-ci ont leur propre histoire.
Formes d'expression : Genres dans lesquels
les écrivains produisent.
Institution littéraire : Notion qui
recouvre bien plus que le concept de la vie littéraire. Selon Viala,
« les institutions de la vie littéraire » ce sont les lois et
les cadres sociaux de cette praxis, lesquels englobent à la fois les
structures de production, de distribution du texte
182
littéraire et les différentes instances de
légitimation qui existent dans la société. Le Dictionnaire
international des termes littéraires définit l'institution comme
un ensemble des structures organisées tendant à se
perpétuer dans chaque secteur de l'activité sociale.
Littérature nationale : Ensemble de
traits thématiques et linguistiques qui permettent de rattacher un
corpus d'oeuvres et de pratiques à un groupe ou une communauté
historiquement et politiquement constituée.
Livre littéraire : Après moult
définitions du mot livre, Escarpit affirme qu' « il a
pour but la multiplication de la parole en même temps que sa
conservation» (Escarpit, 1968 : 18). Selon lui, le livre est
« le mode de circulation le plus commode et le plus efficace de la
pensée et de l'art» (Escarpit, 1972 : 58) Le livre est
littéraire quand il « n'est pas un outil mais une fin en
soi» (Escarpit, 1968: 21)
Genres littéraires : cadres
littéraires légués par la tradition et qui ont l'avantage
de bien mettre en valeur une inspiration dominante déterminée.
Prix littéraire: Récompenses au
niveau international et national des producteurs des textes littéraires
de qualité excellente. Cette reconnaissance dans le cas d'espèce
a stimulé la créativité littéraire.
Production littéraire : Ensemble des
oeuvres ou des ouvrages produits par un groupe (finalité ou produit) ;
processus de réalisation d'oeuvres littéraires. Elle suit un
schéma régulier presque connu de tous : un créateur
appelé auteur propose un texte, fruit de son imagination ou de son
expérience sociale à un éditeur qui en juge la
qualité en fonction des attentes d'un public consommateur appelé
lecteur et le met sur le marché pour le bénéfice et le
plaisir de celui-ci. Elle est le fait d'une population d'écrivains.
Sociologie de la littérature : Branche
de la sociologie qui s'intéresse aux faits littéraires, en
essayant de les lier aux contextes sociopolitique, économique et
culturel du milieu de l'écrivain. Etudier les rapports que la
littérature entretient avec les instances de production et de
légitimation est une de ses préoccupations. Elle applique les
méthodes de la sociologie à la production, à la diffusion,
à l'institution littéraire, aux groupes professionnels tels
qu'écrivains, professeurs ou critiques, en un mot à tout ce qui,
dans la littérature, n'est pas le texte lui-même. Elle est
considérée comme une des méthodes des sciences de la
littérature, méthode critique tournée vers le texte, et
vers la signification de celui-ci.
Visibilité : Connaissance, dans ce
travail, des faits littéraires par les lecteurs, surtout ceux qui ont
été enquêtés. Opposé de l'appellation
nihiliste de « vacuité ».
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Paris, PUF
VINCENT, Michel, 1994, Le monde romanesque de Tchicaya U
Tamsi, Paris,
Éditions du Sud
VUVU, Colt, Un regard sur l'Islam, Éditions
Sénevé, apnm
WIEDER, Catherine, 1988, Éléments de
psychanalyse pour le texte littéraire,
Paris, Dunod, Bordas
Annexe 1: Exploitation du questionnaire
Adresses
Filière et profession : 15 enseignants, 10
élèves et 75 étudiants.
Âge : entre 21 et 48 ans.
Sexe : Masculin : 80, Féminin : 20.
Faculté et école : FLSH de
N'Djaména
Département : de Lettres et d'Anglais et 3
lycées.
Questions/ Réponses
1- Qu'est-ce que la littérature ?
Réponses :
a- ensemble des oeuvres (écrites et orales) prises du
point de vue d'un pays, d'une époque, d'un milieu ou du genre dans
lequel elles s'inscrivent et auxquels on reconnait une finalité
esthétique (65%) ;
b- expression de la vision du monde d'un petit d'un peuple
(20%) ;
c- forme de représentation à travers
l'imaginaire d'un créateur pour un meilleur avenir de la
société (5%) ;
d- domaines des lettres (5%);
e- livres traitant des thèmes littéraires
(5%).
2- Avez-vous entendu parler de la littérature
tchadienne? Oui : 100%
3- Connaissez-vous quelques auteurs tchadiens ?
Réponse : oui : 100 %
4- Combien d'oeuvres avez-vous lues ? Réponse
: entre 1 et 3en moyenne par personne enquêtée
5- Lesquelles ? Réponse: 30 oeuvres parmi
lesquelles Au Tchad sous les étoiles de B. Seid, La
descentes aux enfers de N'Djékéry, L'Etudiant de Soweto
de M. Naindouba et Ndo Kela de K. Lamko sont respectivement
citées à 70%, 55%, 40% et 20%.
6- À quelle occasion lisez-vous une oeuvre
littéraire ? Réponse : étude des textes : 25%,
vacances : 25%, disponibilité du livre : 20%, tous les jours : 10%, pour
la culture : 10%, heures de pose : 5%, voyage : 5%.
7- Pourquoi n'écrivez-vous pas de livres ?
Réponse : par manque de temps : 30%, d'argent : 25%, d'inspiration
: 10%, d'édition : 15%, de sécurité : 10% et 10% des
enquêtés sont restés avec des manuscrits en mains.
8- Avez-vous déjà acheté quelques
oeuvres tchadiennes ?oui 95%, non : 5 %.
II
9- Lesquelles ? Réponse : 19 oeuvres sont de
temps en temps achetées par les enquêtés, parmi lesquelles
Au Tchad sous les étoiles de B. Seid, L'Etudiant de Soweto
de M. Naindouba La Descente aux enfers de N.
N'Djékéry, et Ndo Kela de K. Lamko occupent les
premières place avec respectivement 70%, 30% 35% et 5%.
10- Quel genre littéraire vous fascine plus?
Réponse: roman: 25%, autobiographie: 20 % poésie 10%,
théâtre 30%, conte 10% et autres : 5 %
11- Avez-vous entendu parler d'une oeuvre censurée au
Tchad? Oui : 20%, non : 80%.
12- La ou lesquelles ? Réponse : Pour un
Baril de pétrole de M. Naindouba : 10%, Deurkas de Moyoro
Beassoum : 5% et Prisonnier de Tombalbaye d'A. Bangui : 5%.
13- Citez quelques oeuvres qui ont eu un prix
littéraire ou une consécration quelconque. Réponse :
15 oeuvres écrites par Koulsy, Naindouba, N'Djékéry,
Moustapha, Nimrod et Nocky, primées par RFI, la fondation Louise
Labé et celle de la Vocation en France.
14- Selon vous quels, sont les obstacles à la
production d'oeuvres au Tchad ? Réponses :
a- contextes politiques : dictature, démocratie mal
gérée, taxes élevées, guerre,
insécurité, censure, manque d'encouragement, de maison
d'édition, de politique du livre, de liberté d'expression, etc.
;
b- contextes sociaux : analphabétisme,
pauvreté, tradition, charges familiales, habitude de lecture,
chômage, baisse de niveau, manque d'intérêt pour la lecture
et de politique de vente conséquente ;
c- contextes économiques : manque de moyens financiers
et matériels pour la production, cherté du livre, faible pouvoir
d'achat, problème d'électricité.
15- Qu'est-ce qui selon vous favorise la production des
oeuvres au Tchad ? Réponses :
a- événements politiques : dictature,
démocratie, événements (guerre, insécurité,
exil, conflits, multipartisme), création des maisons d'édition,
liberté d'expression, etc. ;
b- événements littéraires : colloques,
séminaires, festivals, concours, forums, conférences,
activités des centres culturelles ;
c- les associations : (ASET, CCF, CEFOD, SBL, ADELIT, «
Pour mieux connaître le Tchad, mutuelles scolaires, cercles des
écrivains en herbe), revues Carrefour, Tchad et Culture et
MALT.
16- Quelques 6 dramaturges de renom suivis de leurs 12
pièces : Naindouba (Etudiant de Soweto), Moustapha (Le
Commandant Chaka, Achta..., Maître des Djinns), Koulsy
III
(Ndo Kela, Mon fils de mon père, Tout bas, si bas,
Comme de flèches), Bebnoné (Kaltouma, Mbang
Gaourang), Nocky (Illusion, Aubade) et N'Djékéry
(Goudangou)
17- Quelques 8 romanciers de renom suivis de leurs 10
oeuvres représentatives : Haggar (Le Mendiant de l'espoir, Le
prix du rêve, Hadjar Marfa-ine), Nimrod (Les Jambes
d'Alice), Moustapha (Le Souffle de l'harmattan), Koulsy
(Phalène de colline), N'Djékéry (Sang de
kola), Koundja (Al Istifack), Moustapha (Souffle de l'harmattan),
Tedambe (République à vendre) et Mouimou (Candidat
au paradis refoulé).
18- Quelques 7 autobiographes de renom suivi de leurs 9
oeuvres représentatives : Zakaria (Loin de moi-même, Les
Moments difficiles), Bangui (Prisonnier..., Les Ombres des
Kôh), Abakar (Un Tchadien à l'aventure) Kosnaye
(Tribulation d'un jeune tchadien), Seid (L'enfant du Tchad),
Kotoko (Le Destin...) et Hinda (La main...)
19- Quelques 4 nouvellistes de renom suivis de leurs 10
oeuvres représentatives ; N'Djékéry (La
Descente.., La Carte..., Les Trouvailles), Moustapha (La Couture de
Paris, Sortilèges), Koulsy (Regard dans une larme, Aurore, Un
cadavre sur l'épaule), Naindouba (La Double détresse, La
Lèpre).
20- Quelques 5 poètes de renom suivi de leurs 10
recueils représentatifs : Nimrod (Pierre poussière,
Silence de chemin, Passage à l'infini), Mougnan (Rythme du
Silence, Des Mots à dire), Nocky (Nyamirambo),
Nébardoum Derlemari (Cris sonore) et Koulsy (Terre bois ton
sang, Danse du lab)
21- Quelques 6 structures africaines ayant
édité des oeuvres tchadiennes : CLÉ, NÉA,
P.A., Fugier, Kuljaama et Nathan
22- Quelques 15 structures européennes qui ont
édité des oeuvres tchadiennes parmi lesquelles :
L'Harmattan, Orphée, Actes Sud, Lansman et Sépia.
23- Quelques 4 maisons d'éditions :
AL-Mouna (80%), SAO (70%), CEFOD (55%), CNAR (5%) et 3 imprimeries
tchadiennes : IDT (50%), AGB (10%) et Aubaine (5%) existent.
IV
Annexe 2 : Protocole d'entretien (aux responsables des
maisons d'édition)
I. Historique
Historique de la Maison : création, objectifs,
financements
Ligne éditoriale ....
II. Vision
Quels sont les domaines concernés par l'édition
?1- .2- 3 -
Quels sont les livres phares déjà
édités? En quelle année ?
Combien de titres ont paru de la création à ce
jour ?
Quelle est la place la littérature tchadienne dans cette
édition?
Quelques titres
Enregistrez-vous des écrivains tchadiens avec des
manuscrits ? Oui... ; Non
Combien : /an ; /mois ; /jour
III. Fonctionnement
Comment fonctionnent vos éditions ?
Personnel et interaction .
Enregistrement des textes ..
Traitement des textes .
Lecture
Impression .
Avez-vous vu quelques-uns de vos livres censurés ? Non .
Oui ..
Lesquels ?
IV. Perspectives
Quels rapports entretenez-vous avec les instances locales du
livre ?
Éditions, imprimeries,
Commissions de lecture,
Librairie,
Bibliothèques .
Universités
Quels sont vos projets pour la littérature tchadienne ?
Avez-vous des représentations en province ? Non Oui
Où ?
Quels est l'apport de l'Etat dans vos actions ? % ; Nul
V
Annexe 3 : Protocole d'entretien (aux responsables
d'imprimeries)
I- Historique
Historique de la structure : création, objectifs,
financements
Ligne particulière d'impression (code de refus ou
d'acceptation des textes)
II- Vision
Quels sont les domaines concernés par l'impression ? 1
:...2 :...3 :...
Quels sont les livres phares déjà imprimés?
En quelle année ?
Combien de titres ont paru de la création à ce
jour ?
Quelle est la place la littérature tchadienne dans cette
publication?
Quelques titres...
Enregistrez-vous des éditeurs littéraires avec des
manuscrits ?
Combien /an ; /mois ; /jour
III- Fonctionnement
Comment fonctionne votre imprimerie ?
Personnel et interaction.......
Enregistrement des textes
Traitement des textes
Lecture...
Impression
Avez-vous vu quelques-uns de vos impressions censurés
?
Lesquels ?
IV- Perspectives
Quels rapports entretenez-vous avec les instances locales du
livre ?
Editions, imprimeries,...
Commissions de lecture
Librairie
bibliothèques
Universités...
Quels sont vos projets pour la littérature tchadienne ?
Non.... Oui.... Lesquels....
Avez-vous des représentations en province ? Non....
Oui.... Où ?
Quel est l'apport de l'État dans vos actions ? %, Nul...
VI
Annexe 4 : Liste des personnes ressources
enquêtées
N°
|
Nom et prénoms
|
Fonction/Profession
|
Occasion/lieu
|
Date
|
1
|
...
|
Responsable Imprimerie/ISSED
|
Entretien/ISSED
|
30/04/10
|
2
|
...
|
Directrice Al-Mouna
|
Entretien/AlMouna
|
27/07/10
|
3
|
...
|
Directeur commercial/GIT
|
Entretien/GIT
|
02/08/10
|
4
|
...
|
Responsable Imprimerie scolaire
|
Entretien/ISSED
|
30/04/10
|
5
|
...
|
Éditeur au CEFOD
|
Entretien/CEFOD
|
10/08/10
|
6
|
Abakar Mahamat Mabrouk
|
Inspecteur/CNC
|
Entretien/CNC
|
30/05/10
|
7
|
Abdias Koumagueyeng
|
Directeur Adjoint/BUDRA
|
Entretien/BUDRA
|
20/07/10
|
8
|
Ahmat Goni Bichara
|
Directeur Général AGB
|
Entretien/ AGB
|
31/07/10
|
9
|
Ahmet Bello
|
Directeur du Livre
|
Entretien/CLAC
|
03/08/10
|
10
|
Armelle Riche
|
Directrice
commerciale/L'Harmattan
|
Exposé/CCF
|
22/11/09
|
11
|
Denis Pryen
|
Directeur de L'Harmattan
|
Fête-Livre/ CCF61
|
23/11/09
|
12
|
Ernest Baiyabé Gong-ya
|
Coordonnateur national/CLAC
|
Entretien/CLAC
|
29/04/10
|
13
|
Félix Asguet Mah
|
Enseignant-chercheur
|
Enquête / FLSH
|
24/11/09
|
14
|
Félix Moulkogué Boulo
|
Inspecteur/CNC
|
Entretien au CNC
|
24/05/09
|
15
|
Mahamat Hamdo
|
Éditeur au CNAR
|
Entretien/CNAR
|
02/08/10
|
16
|
Marius Ngartora Maryengué
|
Directeur de la librairie la
Source
|
Entretien/La Source
|
29/04/10
|
17
|
Neldhy Santigal Tindé
|
Chef du Service
littéraire/BUDRA
|
Entretien/BUDRA
|
29/04/10
|
18
|
Ngarmadji Ndoryam
|
Directeur du Livre/Adjoint
|
Entretien/CLAC
|
03/08/10
|
19
|
Renaud Dinguemnaial
|
Secrétaire Général/ASET
|
Entretien/FAO
|
09/08/10
|
20
|
Riminan Nguemadjita
|
Géographe-Bibliothécaire/CLE
|
Enquête
extensive/CLE
|
24/11/09
|
21
|
Sylvain Darma
|
Éditeur/Al-Mouna
|
Entretien/AlMouna
|
29/05/10
|
61 Confrère sigles au
début de la thèse entre le Résumé et la table
d'illustration.