2-3-3 Des capacités financières encore
limitées
Les trois associations du projet ont été
légalisées en 2012, et donc reconnues par les
municipalités. Chacune d'entre elle a pu ouvrir un compte à la
banque pour déposer les cotisations de leurs membres, grâce
à cette existence légale du statut d'association. Cet argent leur
permet principalement de s'entraider localement, de préparer les
fêtes traditionnelles et aussi d'entretenir les locaux, comme je l'ai vu
à La Compuerta, où l'argent cotisé va permettre de refaire
le toit abîmé de la maison associative.
Pour les projets plus coûteux, les associations peuvent
faire appel aux ONG, qui sont de véritables intermédiaires
financiers entre les villages et les bailleurs de fonds nationaux et
65
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
internationaux. De même, elles peuvent multiplier les
partenariats publics et privés pour pouvoir financer leurs projets.
Cependant, les associations paysannes ne peuvent pas prendre
en main financièrement les projets tels que le projet de production de
cacao, car elles ne disposent pas de l'autonomie financière suffisante.
Les bailleurs de fonds sont plus confiants grâce au statut légal
des groupes locaux qui leur confèrent une certaine
légitimité. Il devient alors plus simple pour ces derniers
d'accéder aux financements. Néanmoins, cela les placent dans une
situation de dépendance vis-à-vis des institutions d'apports
financiers (et parfois techniques) externes. Ceci reste un problème pour
les associations, car elles rencontrent toujours cet obstacle financier pour
développer leurs projets. Cette question financière paraît
cruciale, car comme l'explique Omar Bessaoud dans son étude sur les
organisations paysannes au Maghreb, elle conditionne souvent les
possibilités d'action et constitue un indice sérieux pour leur
durabilité (Bessaoud O., 2008 :16)33. Elle peut aussi
largement diminuer l'autonomie politique des associations paysannes,
particulièrement lorsqu'elles sont mono financées par une
institution, car cette dernière acquiert alors plus de pouvoir sur le
projet financé.
Nous verrons dans la troisième partie que ce
problème financier n'est pas le seul que rencontrent les associations
paysannes, et que d'autres freins restreignent les possibilités de cet
« idéal » de développement local durable.
Au cours de cette deuxième partie, nous avons pu
comprendre en quoi la gestion communautaire par les associations paysannes
pouvait être une solution au développement durable local. En
effet, cette gestion favorise une meilleure identification des besoins
particuliers aux villages. Ensuite, les associations permettent une
réelle capacité stratégique, dont la communication, car
elles s'articulent dans deux types de niveaux (local et global), et deux «
systèmes de sens ». » (Olivier de Sardan, 1995 : 141).
Grâce à cette place médiatrice, elles peuvent
développer un réseau avec différents groupes d'acteurs
pour atteindre des objectifs communs. Cela leur permet aussi d'argumenter leur
position et faire des propositions dans des instances de décisions
à des niveaux extérieurs aux villages. Leur poids politique se
trouve renforcé, ce qui permet une meilleure cohésion et une
meilleure liaison entre les différents niveaux décisionnels.
33 BESSAOUD O., 2008, « Les organisations
rurales au Maghreb », Économie rurale 303-304-305,
Société Française d'Économie rurale : 15 p.
66
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Nous allons comprendre certaines limites et contraintes
auxquelles sont confrontées les associations paysannes et le
fonctionnement général du développement rural au
Guatemala, ce qui nous fera relativiser l'approche idéale des
associations paysannes.
67
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Troisième Partie : Des limites et
difficultés qui relativisent cette approche idéale
Aujourd'hui, pratiquement toutes les formes d'organisations
rurales et agricoles sont confrontées à des problèmes
souvent liés au manque de ressources et de capacités
(financières, matérielles, humaines), qui limitent leurs champs
d'action. Les problèmes principaux résultent aussi de la forte
dépendance vis-à-vis des structures extérieures, des
difficultés liées aux discours du développement, ainsi
qu'à des problématiques socioculturelles, économiques et
politiques qui surplombent les associations paysannes. Nous dans aborderons
dans cette partie ces limites à prendre en compte pour une approche plus
relative de la question du développement rural au Guatemala.
3-1 Les difficultés liées aux discours du
développement : Décalage entre objectifs et réalisations
effectives
Aujourd'hui, la plupart des ONG ont développé
autour de leurs principes et de leurs modes d'intervention un discours
relativement homogène. Yves Guillermou synthétise ce discours par
quatre caractéristiques principales :
« a) leur statut d'associations sans but lucratif et
non gouvernementales garantit le caractère « indépendant
» et « désintéressé » de leur action ; b)
leur activité s'organise autour des besoins prioritaires de la
population, et notamment des couches les plus défavorisées ; c)
les actions concrètes sont définies à partir du terrain,
sur la base d'un dialogue réel avec la population, et leur mise en
oeuvre repose sur la participation consciente et volontaire de celle?ci ; d) en
tant qu'intervenant extérieur, l'ONG ne constitue pas une structure
propre et durable, mais un relais entre la population et les structures
d'encadrement existantes.(Yves Guillermou, 2003 : 124)34
De tels principes conduisent généralement la
majorité des ONG qui travaillent sur des projets ruraux à
définir leur rôle principal en termes d'« appui aux
initiatives paysannes ». Nous pouvons bien reconnaître dans ces
quatre caractéristiques les principes de l'ONG ProPetén. Ce type
de discours est attendu et apprécié par plusieurs acteurs. En
effet, comme le fait remarquer Y. Guillermou, ces caractéristiques
rencontrent généralement un écho favorable
34 GUILLERMOU Y., 2003 « ONG et dynamiques
politiques en Afrique », Journal des anthropologues, n°
9495, Association française de anthropologues : p. 123-143
68
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
auprès des autorités politiques du Sud, mais
aussi des bailleurs de fonds et de l'opinion publique du Nord. On voit souvent
ces caractéristiques apparaître au Guatemala à travers les
appels d'offre des bailleurs de fonds, tels que l'Union Européenne (UE)
ou la Banque interaméricaine de développement (BID). D'ailleurs,
certaines de ces caractéristiques sont plus ou moins précises
selon les époques et selon les courants de pensée du
développement international. Par exemple, cette dernière
décennie a été marquée par la composante «
genre » dans les institutions de développement rural au Guatemala.
Dans quasiment tous les projets, cette composante doit apparaître pour
les bailleurs de fonds. Pour obtenir le budget dont elles ont besoin, les ONG
parviennent à faire correspondre leurs projets aux
caractéristiques demandées par les institutions donatrices.
Cependant, ces discours peuvent quelquefois se transformer, lors de la
concrétisation de ces projets sur le terrain. En effet, la traduction
effective au niveau des populations concernées peut s'avérer
aléatoire, ce qui conduit fréquemment à des
décalages entre les objectifs que se fixent les ONG et leurs
capacités de réalisation.
Afin de mieux comprendre ces décalages, nous allons
nous intéresser à la logique de développement «
top-down » qui peine encore à s'atténuer. Puis, nous verrons
en quoi la question de la participation est un point crucial du discours actuel
et ses discordances. Enfin, nous verrons en quoi les trop grandes
différences de pensée traditionnelle et institutionnelle peuvent
constituer des blocages pour la réalisation de l' « idéal de
développement ».
|