2-3 Les capacités des associations paysannes
Avec les résultats des diagnostics et l'annonce des
plans de développement, nous pouvons comprendre, dans de tels contextes,
que les associations paysannes sont des acteurs aptes à transformer
durablement la situation selon leur propres choix.
Pour gérer les projets en interne et collaborer avec
l'extérieur, nous allons nous intéresser aux différentes
« capacités » ou « capabilités » que
permettent ces associations locales, ainsi que les fédérations
d'associations, avec l'exemple de COACAP.
Afin de clarifier le concept que nous utilisons, nous pouvons
nous rapporter à la définition de « capabilité »
que proposait A. Sen (2000), qui correspond d'après lui à la
capacité pour une personne ou un groupe de choisir un style de vie qu'il
veut valoriser, parmi un ensemble de possibilités. Selon lui, ces
capabilités exercent une influence sur le changement social et sur la
production économique (A.Sen 2000 : 294, In Effantin,
2006 :89)26. L'auteur met en évidence
l'importance d'avoir le choix. Dans le cas des communautés q'eqchi', il
paraît difficile d'identifier un ensemble fini de capacités
nécessaires à l'autosuffisance des groupes d'agriculteurs,
étant donné la multiplicité des conditions qu'un groupe
doit rassembler pour mener ses projets et l'évolution de ses choix
d'action. Cependant, il est intéressant d'analyser les capacités
selon une problématique donnée pour avoir une vue d'ensemble.
C'est pourquoi nous allons nous intéresser aux différentes
capacités qui nous paraissent pertinentes par
26 EFFANTIN-TOUYER R., 2006, De la frontière
agraire à la frontière de la nature. Comment les migrants
réinventent leurs ressources et leurs territoires dans la Réserve
de Biosphère Maya (Guatemala). Thèse dirigée par HUBERT
B., INA, Paris : 221 p.
55
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
rapport à mon terrain, permettant à ces
associations d'agriculteurs de plus grands choix d'action par rapport au
développement local et aux possibilités d'évolution.
2-3-1 Les capacités stratégiques
Le concept de « groupe stratégique »
que nous pouvons emprunter à Evers et Schiel (1988)27 peut
très bien s'appliquer aux associations paysannes. En effet, ce
sociologue allemand définit les groupes stratégiques comme des
agrégats sociaux empiriques, à géométrie variable,
qui défendent des intérêts communs, en particulier par le
biais de l'action sociale et politique. Ces groupes se forment dans une
perspective pragmatique, proche des réalités. Pour lui, cela ne
signifie pas pour autant que les classifications sociales "classiques", telles
que le "genre", l'ethnicité, n'aient plus d'utilité. Les femmes
analysent les problèmes autrement que les hommes et cela est une
variable qui constitue des contraintes pour l'action. Mais pour Evers, le
groupe stratégique reste au niveau « macro ». J-P Olivier de
Sardan et T. Bierschenk (1994) proposent de rendre opératoire ce concept
au niveau de la société locale où il peut être
lié à l'observation des formes d'interaction directe entre
acteurs identifiables.
Les associations, en tant qu'acteurs reconnus,
acquièrent des capacités stratégiques auprès des
autres acteurs internes et externes aux communautés, telles que les
initiatives, l'adaptation, la coopération, la négociation, et la
communication :
? Capacité d'initiative :
Les groupes organisés peuvent plus facilement prendre
des initiatives, en cherchant des solutions aux problèmes
rencontrés, tels que celles exprimées dans les plans de
développement. Grâce à la participation des
différents membres des associations, les idées sont plus
nombreuses et plus structurées que lorsqu'elles sont prises
individuellement, et permettent de bénéficier au groupe
plutôt qu'à l'individu.
? Capacité d'adaptation institutionnelle:
Dans le contexte de changement permanent, les associations
sont un moyen de faire face à ces transformations et perturbations
internes et externes à la localité, par le biais de
débats, et prises de décisions collectives. Ainsi, certaines de
ces décisions amènent à plus d'adéquation avec des
variables de l'entourage externes environnemental mais aussi institutionnel :
Les associations communautaires et leur rattachement à la
fédération d'associations COACAP
27 In BIERSCHENK T. et OLIVIER DE SARDAN
J-P., 1994, « ECRIS : Enquête Collective Rapide d'Identification des
conflits et des groupes Stratégiques... », Bulletin de l'APAD,
N°7, Revues Apad (ed.) : 9 p.
56
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
permettent une adaptation administrative, technique, et
financière au fonctionnement général institutionnel. En
effet, les documents contractuels, le vocabulaire institutionnel, ainsi que les
demandes chiffrées habituelles des institutions peuvent ainsi être
comprises, ou du moins communiquées de manière plus abordable aux
populations bénéficiaires des projets, via les associations. Au
Guatemala, les administrations fonctionnant essentiellement en espagnol. Les
personnes sachant lire et écrire sont donc souvent
privilégiées par rapport aux autres. Les associations permettent
dans ces cas aux groupes villageois, hispanophones ou non, de profiter de
certaines opportunités. Cela facilite l'insertion dans ce système
institutionnel global. Ceci ne signifie pas que les associations paysannes
adoptent les mêmes idées ou mêmes finalités que ce
dernier. Les groupes ont bien conscience que cette apparence leur permet
d'être acceptés dans cet ensemble et d'accéder à
divers avantages. Parmi ces avantages, le premier est leur visibilité
institutionnelle, qui leur permet de coopérer avec des groupes souvent
plus influents qu'eux au niveau des politiques régionales ou nationales.
C'est le cas de l'ONG ProPetén qui a pu collaborer avec ces associations
paysannes, grâce à leur visibilité.
? Capacité de partenariats :
Les associations paysannes ont les moyens de collaborer avec
divers acteurs publics ou privés. En créant des alliances, cela
leur permet de mettre en commun leurs efforts et compétences pour
arriver à réaliser leurs objectifs. Les leaders associatifs
participent à des réunions et rencontres au niveau
régional, ce qui facilite les possibilités de collaboration. Lors
de mon séjour de terrain dans la communauté de Poité
Centro, le président de l'association ainsi que deux autres personnes du
conseil administratif se sont absentés pendant deux jours, car ils ont
été invités pour participer à une réunion
régionale sur le thème du développement rural
organisée par l'ONG espagnole de coopération internationale,
Global Humanitaria. Dans cette réunion, ils ont fait la connaissance
d'autres acteurs de développement, dont des ONG nationales et
régionales qui proposaient des projets sur le thème du
développement rural. Ils ont aussi fait la connaissance d'autres leaders
communautaires ayant des préoccupations semblables aux leurs. Des
contacts ont été pris, et des alliances sont maintenant possibles
grâce à ces réunions d'échange, de rencontre et
d'information. Il en est de même avec le document de plans de
développement que nous avons élaboré : chaque
activité est reliée à plusieurs partenaires possibles, que
les leaders peuvent contacter, pour accéder à des
compétences spécifiques.
57
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
? Capacité de négociation :
Les groupes associatifs collaborant avec des partenaires
peuvent aussi négocier avec eux. En effet, les partenaires n'ayant pas
toujours les mêmes intérêts que les associations, certaines
démarches peuvent être incompatibles. Dans ces cas, les groupes
cherchent un accord commun, par le biais de la négociation. Chaque
groupe tente de conserver un maximum d'intérêts, et chacun fait
des concessions. Les négociations peuvent se formaliser par écrit
par la signature d'un accord ou d'une convention.
J'ai assisté à un phénomène de
négociation spontanée entre l'association de la Compuerta et
l'ONG ProPetén :
Lors du problème survenu à l'arrivée des
plants de mauvaise dimension dont nous avons parlé dans la
première partie, il a fallu décider des modalités pour
résoudre l'incident : il fallait convenir des dates d'arrivée de
nouveaux plans dans les normes attendues et des dates de la venue de
paysagistes spécialisés, pour venir regreffer les plans à
la bonne taille puisque la greffe n'avait pas pris. Le coordinateur de projet
de l'ONG a proposé de programmer cette activité deux mois plus
tard, à la fin du mois de novembre. Cette date convenait davantage
à l'ONG, car elle permettait de rester dans les temps du projet, de
garder une bonne entente avec le bailleur de fond et ne pas trop perturber
l'administration de l'ONG. Cependant, les membres de l'association ont
rapidement rejeté cette proposition car elle ne correspondait pas
à leurs contraintes personnelles de travail et au climat saisonnier. En
effet, les agriculteurs de la communauté ont une surcharge de travail
les mois de novembre et décembre, car ils récoltent le maïs
et les haricots plantés quelques mois plus tôt. Ils n'auraient
donc pas été disponibles pour gérer l'arrivée des
plants de cacao, qui est une seconde priorité par rapport à
l'alimentation familiale. De plus, le climat de la région est plus chaud
et sec entre janvier à avril, ce qui correspondent à
l'été. Les agriculteurs ont immédiatement pensé que
si les plants de cacao étaient arrivés à cette
période de l'année, ils n'auraient pas résisté
à la chaleur et au manque d'eau. Ils ont donc décidé de
repousser la date d'arrivée des plants en bonne et due forme au mois de
juin, c'est-à-dire huit mois plus tard. Ayant de bons arguments, ils ont
réussi à convaincre l'ONG qui était pourtant de ce fait
confrontée à plus de difficultés. Les leaders de
l'association ont aussi posé par écrit dans la même
journée cette condition pour poursuivre le projet et ont fait signer ce
contrat aux membres de l'association, ainsi qu'au coordinateur de projet de
ProPetén28.
28 Voir Annexe 3 : Signature du contrat sur la date
de remise des nouveaux plans dans la norme.
58
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
? Capacité de communication :
D'après ce que j'ai pu remarquer sur le terrain, cette
capacité est la plus importante, car elle permet d'accéder aux
autres capacités indiquées ci-dessus. En effet, en communiquant
à travers plusieurs canaux tels que des acteurs médiateurs comme
la fédération COACAP, ou bien par le biais de réunions,
elles peuvent se mettre en contact avec des opérateurs
économiques et des autorités régionales pour
réduire le niveau qui sépare les acteurs. Les associations et les
fédérations d'associations, en tant qu'acteurs de la
société civile, ont le rôle primordial de médiateur.
Elles permettent l'interface de communication entre la population locale et les
institutions de développement. Cette médiation est à
double sens, car les associations reçoivent et donnent des informations
de chaque côté.
Schéma: L'association médiatrice
Elles peuvent ainsi se procurer les informations
nécessaires pour conquérir de nouveaux espaces de
négociation et d'action collectives.
Lorsqu'il n'y a pas d'association dans les villages, la
communication entre la population locale et l'extérieur se fait par le
biais des leaders communautaires. Néanmoins, le statut de ces derniers
est assez ambigu, car ils continuent à vivre dans leur groupe tout en
ayant des contacts fréquents avec l'extérieur. Ils
reçoivent alors un double contrôle permanant, venant d'un
côté des villageois et de l'autre de la société
ladina avec qui ils communiquent. Selon Henri Favre
(2011)29, ces leaders médiateurs sont « rapidement
absorbés soit par la communauté indienne dont ils sont issus,
soit par la société ladina à laquelle ils se sont
culturellement assimilés. Les uns cèdent aux pressions souvent
très fortes dont ils sont l'objet dans leur milieu d'origine pour qu'ils
se conforment aux coutumes et aux normes
29 FAVRE, H., 2011, Changement et
Continuité chez les Mayas du Mexique, L'Harmattan, Paris : 299
p.
59
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
traditionnelles. Ils réintègrent l'ordre
social qu'ils avaient pour mission de transformer du dedans.» (2011 :
276).
C'est pour cette raison que les personnes ayant réussi
à obtenir un poste dans des organismes de développement
extérieurs aux communautés travaillent finalement majoritairement
pour d'autres communautés que la leur, afin de ne pas être «
absorbés » par le contrôle communautaire. A la Compuerta, un
homme travaille ainsi comme promoteur pour un organisme de formation
consacré à l'appui communautaire. Il ne travaille pourtant pas
pour la Compuerta, mais dans des communautés voisines, et revient
maintenant seulement le dimanche dans sa communauté. De la même
façon, le fils du président de l'association de Poité
Centro, qui travaille actuellement dans une ONG de projets ruraux au nord de la
région, ne revient que pour quelques jours de vacances dans sa
communauté d'origine.
Parfois, cette « absorptions » des anciens leaders
mènent à des attitudes anti-indiennes qui se trouvent
habituellement chez les ladinos : Dans la communauté de San
Lucas Aguacate, un agriculteur m'a raconté que sa fille était
très reconnue des villageois car elle parlait bien espagnol et elle
avait réussi à faire parvenir quelques projets de santé.
Un jour elle a eu l'opportunité de partir en ville pour travailler en
tant que secrétaire :
Francisco (voisin du père de la secrétaire) :
- « Elle est Q'eqchi', mais elle a honte de parler
q'eqchi'. Quand elle est revenue (au village) avec le « bureau des femmes
» (une association), pour des projets pour les villages, et qu'elle
pouvait parler espagnol, cette femme q'eqchi' pouvait parler avec les autres
femmes (du village en q'eqchi'). Mais elle avait peur de parler. »
- « Et pourquoi avait-elle honte? »
Francisco:
- «Parce que cela montre qu'elle est Q'eqchi', et en
plus, elle a honte de parler en présence des collègues (de la
ville), parce que cela lui faisait sentir qu'elle n'était plus Q'eqchi'
parce qu'elle est dans la ville, elle travaille dans les bureaux, c'est pour
cela qu'elle a honte de parler. Mais..., il ne faut pas faire comme cela, nous
devons parler q'eqchi'. » 30
|
30 Traduction personnelle d'entretien de terrain:
Francisco: «Es Q'eqchi', pero tiene vergüenza de
hablar en q'eqchi'. Cuando regreso con la «oficina de mujeres», para
proyectos a las aldeas y podía castellano, entonces esa q'eqchi'
podía hablar con las otras mujeres. Pero tenía miedo de
hablar.»
Yo: -«Y por qué tienen
vergüenza?»
60
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Cet entretien montre comment les leaders locaux isolés,
c'est-à-dire n'appartenant pas à un groupe organisé,
peuvent être absorbés par la société ladina
jusqu'à l'extrême, en éprouvant le besoin de mieux
marquer la rupture avec leurs origines ethniques et s'assimiler pleinement
à la culture citadine ladina. Bien sûr, cette analyse
doit tenir compte de la situation de racisme qui est très pesante ; nous
l'expliquerons en troisième partie du mémoire.
Par ces exemples, nous pouvons alors penser que les
associations paysannes, du fait de la rotation régulière des
leaders et de l'aspect groupal, sont plus aptes à communiquer de
manière durable avec les deux parties sans être «
absorbées » comme le sont les individus isolés. Nous allons
analyser leurs moyens de communication au niveau interne et au niveau externe
:
- Communication interne :
Nous délimitons pour cette analyse la communication
interne au niveau du village et des interactions inter-villageoises de la
même zone géographique.
Ces interactions ont lieu ordinairement même lorsqu'il
n'y a pas d'association paysanne existante, mais les associations paysannes les
amplifient, les formalisent et les modifient en les rendant accessibles
à une plus grande proportion de la population. En effet, le fait que les
agriculteurs mènent isolément leurs expériences
respectives empêche le partage des idées, découvertes et
interprétations avec leurs collègues. L'échange entre
groupes permet de comparer les résultats, leurs capacités
techniques et leurs savoirs, et ainsi de renforcer l'aptitude à
gérer les changements par leur complémentarité. Les
groupes locaux sont non seulement des sources potentielles d'information et
d'expérience, mais également des collaborateurs possibles.
Le réseau local d'échange d'expérience
est souvent appelé communément en Amérique Centrale «
Campesino a campesino » (de paysan à paysan). C'est par ce
moyen informel que les trois associations communiquent, autant pour
l'organisation de fêtes traditionnelles communes que pour se
transférer des informations utiles dans le travail agricole. Par
exemple, à Poité Centro, le président de l'association a
essayé une technique d'engrais naturel par épandage
d'olotes secs (épis de maïs sans ses grains)
mélangés à des feuilles d'arbre coupées à la
machette. Il a constaté que l'effet était très
bénéfique sur la croissance des haricots. Il en a alors
parlé aux membres de son association, puis aux présidents des
deux autres associations
Francisco: -«Porque muestra que es q'eqchi', y
además, tiene vergüenza de hablar con los compañeros, porque
ella se siente como que ya no es q'eqchi' porque está en el pueblo
(ciudad), está trabajando en las oficinas, por eso tiene vergüenza
de hablar. Pero..., no hay que hacer así, tenemos que hablar
q'eqchi'.
61
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
qui ont eux-mêmes communiqué l'information
à leurs associés. La nouvelle s'est ainsi répandue
très rapidement dans les familles à travers les trois
villages.
Les paysans ne se font pas d'illusions sur les «
techniques miracles » décrites par les agronomes ou les
facilitateurs venant des ONG comme solutions aux problèmes
d'agriculture. Par contre, ils sont très intéressés pour
connaître les résultats des expériences menées par
leurs voisins agriculteurs, qui partagent avec eux des conditions de vie et de
travail. En communiquant de la sorte, ils peuvent collecter conjointement des
informations, engager des débats, expérimenter des techniques
utilisées par les voisins, avec plus de chances qu'elles leurs soit
utiles à eux aussi.
Cette propagation de techniques par la communication peut nous
faire penser à la théorie du diffusionnisme de Franz Boas
(1858-1942), qui montre que les techniques et traits culturels se diffusent
géographiquement par une succession d'emprunts et de contact d'un groupe
à l'autre.
- Communication externe :
Au Guatemala, la communication externe des villages avec les
institutions privées et publiques de la région, voir du pays,
passe presque inévitablement par les associations paysannes et les
fédérations auxquelles elles sont ralliées. Ces
dernières sont un moyen pour les ONG nationales ou internationales de
court-circuiter le maillon de l'administration municipale qui n'a pratiquement
aucune information sur les villages.
Par contre, la bonne communication externe est
conditionnée par une communication non pas seulement verticale
(interne-externe) mais aussi horizontale à (interne-interne et
externe-externe). Le manque de communication entre les différents
acteurs de développement de la région peut parfois freiner les
communautés dans leur démarche. Par exemple, différentes
ONG travaillent sur les mêmes problématiques, mais ne se donnent
pas toujours les informations, à cause de la concurrence. Pour le plan
de développement, il a été difficile de trouver un
partenaire travaillant sur la fabrication de savons, alors qu'en fait, j'ai su
à la fin de mon séjour qu'au moins trois ONG du
département ont déjà travaillé sur ce genre de
projet ; l'ONG ProPetén n'était pas au courant de leur existence.
Le manque de collaboration entre les acteurs externes accentue les
difficultés pour les associations villageoises, pour qui les
informations sont invisibles si elles ne sont pas diffusées au niveau
externe.
Pour pallier à cette difficulté, il est donc
plus pratique pour les associations de passer par les
fédérations, qui leur permettent d'élargir leur
réseau de relations et de diversifier leurs
62
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
alliances. Grâce aux contacts de la
fédération COACAP, les associations paysannes ont par exemple pu
vendre leurs produits dans une exposition régionale l'année
dernière.
Les associations paysannes et des fédérations
possèdent un autre avantage, qui est leur expérience de
collaboration avec différents agents de développement.
Grâce à cela, elles ont pu peu à peu comprendre le langage
spécifique « du développement » et l'appliquer à
leur avantage pour satisfaire leurs demandes et intérêts. J'ai pu
remarquer cela lorsque lors d'une réunion, certains paysans disaient
vouloir développer des activités pour la seguridad
alimentaria (sécurité alimentaire), ou proyecto
productivo (des projets productifs), qui sont des termes utilisés
principalement par les développeurs des ONG.
Pour les « professionnels du développement »,
la communication avec les organisations paysannes est privilégiée
car pour eux, cela permet de faciliter et d'accélérer la conduite
de projets, ainsi que d'obtenir des meilleurs résultats en terme
d'équité et de pérennisation31. Nous voyons
donc qu'ils ont une conception plutôt « fonctionnelle » ou
« instrumentale » de cette communication. Nous insisterons sur ce
point dans la dernière partie du mémoire.
? Capacité de plaidoyer :
Grâce à leur capacité de communication,
les agriculteurs peuvent exercer une pression sur les organismes de
développement, ainsi que sur les politiques. Ils peuvent défendre
leurs droits grâce à l'accès qu'ils ont à
l'information, par les associations paysannes et les fédérations.
Dans le cas de notre étude, les droits les plus revendiqués sont
l'accès à la terre, et l'accès aux services de base (eau,
éléctricité).
Selon Esman et Uphoff (1983), « L'étude
d'expériences de développement rural montre que ce sont les
structures d'organisation rurale à niveau multiples qui ont produits les
résultats les plus prometteurs. Ces structures sont basées sur de
petits groupes locaux, qui présentent l'avantage d'être plus
solidaires, regroupés ou fédérés au sein
d'associations plus importantes, dont l'avantage réside, quant à
elles, dans leur taille » (1999 : 336)32
Les fédérations d'associations, plus visibles et
plus compétentes au niveau administratif, sont capables de
négocier avec des organismes publics ou des groupes
d'intérêts concurrents. Elles peuvent se réunir, et mettre
en commun les demandes et besoins des différentes associations, pour
ensuite les communiquer à des organismes ayant du pouvoir au niveau
national. Dans le domaine du droit indigène par exemple, qui a un poids
politique important au Guatemala, un
31 Entretiens avec l'agronome et le coordinateur de
projet de l'ONG ProPetén
32 In SCOONES I., THOMPSON J., 1999,
La Reconnaissance du Savoir Rural. Savoir des populations, recherche
agricole et vulgarisation. CTA-Karthala, Paris : 471 p.
63
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
groupe de femmes de la communauté de San Lucas Aguacate
milite activement pour ses droits et participe régulièrement
à des réunions en ville. Cela ne permet pas toujours d'engager un
réel changement social et économique dans les villages, mais y
contribue petit à petit.
Le mouvement le plus connu par rapport à la
capacité de plaidoyer des organisations paysannes est la Via
Campesina : Ce mouvement international rassemble des millions de
paysans de 70 pays, et elle défend l'agriculture durable de petite
échelle comme moyen de promouvoir la justice sociale et la
dignité. Par ce mouvement mondial, les voix des paysans et leur
participation aux décisions ont pu obtenir une reconnaissance, et se
sont imposées dans les débats sur l'alimentation et
l'agriculture. De grandes institutions telles que la FAO ou le Conseil des
Droits de l'Homme de l'ONU connaissent les exigences de ce mouvement et en
tiennent compte. C'est aussi ce même mouvement qui a lancé
l'idée de la « souveraineté alimentaire » au Sommet
Mondial de l'Alimentation en 1996. La Via Campesina est une structure
décentralisée au sein de 9 régions coordonnées.
Elle est financée par les contributions de ses membres, des dons
privés et par le soutien de certaines ONG, fondations et
autorités locales ou nationales.
A travers cet exemple de mobilisation mondiale, nous
comprenons bien que la capacité de plaidoyer est possible depuis les
organisations et associations de base, par le biais d'alliances et de
coordination. De ce point de vue, l'orientation vers la construction d'un
pouvoir paysan, capable de peser sur la définition et la mise en oeuvre
de politiques concernant le monde rural, est possible à long terme. Le
renforcement durable des structures et de la mise en réseau des
associations paysannes paraît pour cela indispensable.
2-3-2: une durabilité recherchée par
les associations d'agriculteurs du projet cacao Dans le cas
particulier de ces communautés de migrants, les anciens qui sont
arrivés dans cette zone il y a quarante ans se préoccupent
beaucoup de pouvoir y rester. L'autosuffisance et la sécurité
économique sont les objectifs que les agriculteurs expriment
régulièrement, et qui se reflètent à travers les
projets qu'ils entreprennent. Une des principales craintes qui motive leurs
projets est la menace de l'émigration des jeunes. En effet, à
leur tour, par manque de terre et de moyens sûrs de subsistance, ils vont
chercher du travail dans d'autres régions, mais aussi dans d'autres pays
: le Belize, le Mexique, et les Etats-Unis. A travers les associations
paysannes, les agriculteurs cherchent des solutions pour une autosuffisance qui
soit durable, pour que les générations futures puissent vivre de
leurs récoltes. Ainsi, les trois
64
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
aspects de ce qui est appelée «
développement durable » par les institutions, c'est-à-dire
l'aspect économique, social, et environnemental, sont pris en compte par
ces groupes locaux, dans l'objectif d'une pérennisation des moyens de
leur autosuffisance alimentaire et économique. Cette importance n'est
donc pas seulement culturelle pour les agriculteurs Maya Q'eqchi', comme nous
en avons fait part avec la perception de la nature dans la culture Maya, mais
c'est aussi une stratégie de cohésion sociale.
Tout d'abord, écologiquement, il est important pour les
associations paysannes du Petén de ne pas épuiser leurs
ressources car elles leurs sont vitales, notamment le bois de la forêt
qui est utilisé pour la cuisine et pour la construction des maisons.
Là où sont coupés des arbres, d'autres sont alors
replantés. Ensuite, économiquement, les associations cherchent
à développer des activités locales de production pour
assurer leur autonomie et celle des générations futures. Puis,
socialement, les groupes d'agriculteurs organisés sont d'une grande
importance pour les villageois car ils permettent une répartition
équitable des ressources et du pouvoir, afin de satisfaire les besoins
essentiels de tous les membres des associations et de leur famille. Enfin, ces
associations ont aussi l'avantage d'être plus adaptables que des
individus isolés n'ayant pas beaucoup de contacts avec
l'extérieur. Les communautés rurales peuvent être capables
de s'adapter aux changements incessants des conditions dans lesquelles
évoluent l'agriculture et la demande extérieure, comme nous le
prouve le projet de commercialisation de cacao avec l'ONG ProPetén.
Elles peuvent aussi avoir plus de ressort dans leurs recherches actives de
solutions par rapport aux changements climatiques : par exemple, en testant de
nouvelles productions agricoles et en prenant moins de risques individuels.
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