1-1-2 La migration agraire vers le Petén
Source: Grandia L., 2009
Le département du Petén connait un boum
démographique depuis quelques décennies. Il est principalement
peuplé de migrants indigènes Q'eqchi' venus des
départements d'Izabal et d'Alta Verapaz dans les années 1950,
rapidement suivis par les migrants ladinos originaires de la
région Ouest du Guatemala. La grande majorité des populations
Q'eqchi' a migré à la « recherche de terres » («
búsqueda de tierra »). Cependant, cette réponse
assez spontanée à la question de l'émigration dissimule en
fait dans beaucoup de cas la fuite face à la violence de la guerre
civile et à l'exploitation par les grands propriétaires
terriens.
En conséquence de l'augmentation soudaine de la
population (passée de 26 000 en 1964 à 638 296 habitants en
2011), de l'exploitation des terres à grande échelle, et de la
mauvaise gestion des ressources, la part de forêt au Petén s'est
considérablement réduite ces dernières
décennies.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Aujourd'hui, les populations Q'eqchi' de la région
vivent d'une agriculture familiale, le maïs et le frijol (haricot
noir) étant leurs principales productions vivrières.
1-1-3 Le Petén dans un contexte de
développement axé sur une politique de
conservation
Lorsque les migrants sont arrivés dans la
région, dans les années 1950, celle-ci était pratiquement
inhabitée depuis la conquête des espagnols (il y a plus de 400
ans, quand les Maya ont fui leurs cités). La faune et la flore ont donc
eu largement le temps de se réinstaller dans ce vaste territoire. Les
migrants sont arrivés dans des lieux qui permettaient un accès
libre aux ressources foncières et qui a permis aux pratiques agricoles
de se faire plus extensives que dans leurs régions d'origine. L'espace
n'était plus mesuré : chacun pouvait s'étendre au maximum
et exploiter les ressources sans limite. Pour les pionniers de ces terres, il
n'était pas question de penser leur agriculture sur le long terme car il
fallait d'abord penser à la survie de leur communauté naissante :
« Seules étaient sauvegardées les essences
végétales immédiatement utiles, présentes dans la
végétation spontanée : il s'agit principalement d'essences
fruitières ». (C. Maldidier, 2008 : 53)6.
Ce phénomène, ajouté à la
croissance démographique accélérée,
provoquèrent à cette période une forte
déforestation, toujours problématique aujourd'hui. Celle-ci se
fit rapidement remarquer par les organisations de conservation naturelles au
niveau national et international. Dans les années 1990, tandis que le
pays commençait à sortir de la guerre civile, le gouvernement
élu de Cerezo (1986-1990) a d'abord créé la Reserve de la
Biosphère Maya dans le nord du Petén, pour répondre aux
groupes de pression environnementalistes. Cette réserve était
aussi le premier grand projet de l'ONG ProPetén, en collaboration avec
le CONAP (Conseil National des Aires Protégées). Le CONAP est un
des acteurs de politique environnementale les plus importants du pays depuis sa
création en 1989 jusqu'à aujourd'hui. Il est responsable sur tout
le territoire national de tout ce qui concerne la gestion des ressources
naturelles, et c'est l'organe le plus important en termes de direction et
coordination du Système Guatémaltèque des Aires
Protégées (SIGAP). C'est souvent en passant par cet organe que
des fonds internationaux parviennent au Guatemala. Dans la région du
Petén, ces dernières années, le SIGAP subventionne des
projets concernant : la gestion du bois, le zonage des aires
protégées, la promotion politique des aires
protégées, la formation de personnel d'institutions
environnementales (ONG, organisations privées...), l'assessorat dans
6 MALDIDIER C., 2008, « Concessions
communautaire et viabilité de la gestion à long terme des
forêts dans la Réserve de la Biosphère Maya (Guatemala)
» in MERAL P., CASTELLANET C., LAPEYRE R., La gestion des ressources
naturelles. L'épreuve du temps, Éditions Karthala, Paris :
p.51-66
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
le maniement des ressources naturelles, l'assistance technique
des groupes organisés dans le contrôle des feux de forêts
(un des programmes de l'ONG ProPetén depuis 5 ans), l'accompagnement et
l'assessorat de la gestion de la faune sauvage.
D'importants moyens financiers et humains ont alors
été déployés durant plus de dix ans, sur l'ensemble
du Petén (Plus d'une centaine de million de dollars sur 12 ans
(1990-2002) mis à disposition par les bailleurs de fonds USAID
(Etats-Unis), BID (Amérique Latine) et KFW (Allemagne). Ce dernier a
été le principal financeur de ProPetén jusqu'en 2002. Les
bailleurs de fonds se sont répartis le territoire : les Allemands ont
financé la stabilisation des frontières agricoles dans la partie
Sud du Petén, l'USAID et le BID se sont concentrés sur l'aire
protégée du Nord et les Espagnols ont fait la promotion du
développement touristique. Les ONG, internationales et nationales, se
sont elles aussi installées dans la région et se sont
réparties activités et territoires. (C. Maldidier, 2008 : 52).
Aujourd'hui, des bailleurs de fonds Japonais et Chinois commencent aussi
à financer des projets de conservation naturelle et de production
durable des ressources dans cette région.
Les politiques environnementales au Guatemala et dans la
région du Petén en particulier, ont majoritairement
été influencées par les politiques internationales de
développement durable. Il y a d'abord eu une phase
préservationniste dans les années 1980-1990. Ce courant
préservationniste a entraîné la création de
plusieurs réserves fermées aux activités humaines, ou
ayant peu de droits d'accès, dans le but d'exercer un meilleur
contrôle sur la protection de la forêt tropicale tout en visant la
préservation de la biodiversité. Depuis les années 1990
jusqu'à aujourd'hui, les ONG internationales et nationales adoptent
progressivement une politique développementiste dans la région du
Petén, avec des programmes de gestion intégrée des
ressources naturelles par les populations locales, dans l'objectif de concilier
conservation et développement. Pour cela, de nombreux efforts sont faits
pour promouvoir la participation des groupes locaux et les organisations de
base au niveau des villages. Nous verrons dans le dernier chapitre de ce
mémoire en quoi cette participation est relative, dans un contexte de
développement où le modèle du type « top-down »
perdure parfois de manière consciente ou inconsciente malgré les
fortes critiques formulées à son égard.
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