Juin 2013
Master d'anthropologie
Spécialité Professionnelle « Anthropologie
& Métiers du Développement
durable »
[TH T7 Mémoire de recherche appliquée
Associations Paysannes et Développement Durable:
entre discours et réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG
ProPetén en partenariat avec 3 associations Maya Q'eqchi' du Nord du
Guatemala.
Sandra B[NOTTI
Directeurs :
Madeleine Vernet-Lavastre Jean-Marc De Grave
Juin 2013
Master d'anthropologie
Spécialité Professionnelle « Anthropologie
& Métiers du Développement
durable »
[TH T7 Mémoire de recherche appliquée
Associations Paysannes et Développement Durable:
entre discours et réalités. Etude de cas: Projet de l'ONG
ProPetén en partenariat avec 3 associations Maya Q'eqchi' du nord du
Guatemala.
Sandra B[NOTTI
Directeurs :
Madeleine Vernet-Lavastre Jean-Marc De Grave
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont
celles de l'auteur et ne sauraient en aucun cas engager l'Université de
Provence, ni le directeur de mémoire.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Remerciements
Je souhaite en premier lieu remercier Madame Rosa Contreras,
Directrice de la Fondation ProPetén qui m'a donné
l'opportunité de réaliser mon stage dans les meilleures
conditions en m'accordant autonomie et confiance et en m'intégrant
à l'équipe de l'ONG.
Il en est de même pour l'ensemble de l'équipe de
ProPetén qui m'a soutenue et m'a permis d'enrichir mes connaissances
grâce aux spécialités de chacun. En particulier, un grand
merci à Carlos, avec qui j'ai partagé un bureau pendant ces
quelques mois et qui m'a appris énormément sur l'agronomie, et
à Oscar, avec qui j'ai pu débattre longuement sur la politique,
l'histoire et les problématiques culturelles au Guatemala.
Je tiens ensuite à remercier tout
particulièrement Francisco Xuc Sacul, Jorge Sacul Cuz, Manuel Enrique
Caal Saquij, et José Cho Tacaj, présidents et secrétaires
des trois associations d'agriculteurs maya q'eqchi' avec lesquelles j'ai
travaillé, ainsi que leurs familles respectives qui m'ont
chaleureusement accueillie plusieurs jours chacune, ce qui a facilité
mon travail de terrain dans leur village. Ils m'ont aussi beaucoup aidée
à la traduction du Q'eqchi'.
Enfin, je tiens à remercier ma directrice de
mémoire, Madeleine Vernet-Lavastre, ainsi que ma famille, et l'ensemble
des personnes qui m'ont appuyée dans la réalisation de ce
mémoire, pour leurs conseils, avis critiques et encouragements.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Sommaire
Introduction
|
.7
|
Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil
dans 3 organisations paysannes. Objectif
|
de renforcement des Organisations Paysannes pour un
Développement Durable
|
.11
|
1-1 Contexte du pays et de la région
|
11
|
1-2 Particularités et relations des acteurs principaux du
projet
|
15
|
1-3 Le projet du stage pour un développement sur base
communautaire
|
20
|
1-4 Ma place d'anthropologue dans ce contexte de médiation
institutionnelle
|
23
|
Deuxième Partie : Les associations paysannes comme
condition nécessaire au
|
.33
|
développement communautaire durable
|
2-1 Les associations paysannes
|
33
|
2-2 Les résultats obtenus des diagnostics et des plans de
développement
|
40
|
2-3 Les capacités des associations paysannes
|
..54
|
Troisième Partie : Des limites et
difficultés qui relativisent cette approche idéale
|
.67
|
3-1 Les difficultés liées aux discours du
développement : Décalage entre objectifs et
|
67
|
réalisations effectives
|
3-2 Les difficultés liées au contexte
socio-économique et politique
|
88
|
3-3 Les difficultés liées aux acteurs
|
.91
|
Conclusion
|
..104
|
Bibliographie
|
..106
|
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Table des abréviations
BID Banque Interaméricaine de
Développement
|
CIJ Cours Internationale de Justice
|
COACAP Coordination des associations de paysans
dans le sud du Petén et appui
au renforcement organisationnel et à la commercialisation
de leurs produits
|
CONAP Conseil National des Aires
Protégées
|
CR Communauté Rurale
|
FAO Organisation des Nations Unies pour
l'Alimentation et l'Agriculture
|
IDH Indice de Développement Humain
|
KFW Kreditanstalt für Wiederaufbau
(Établissement de crédit pour la
reconstruction)
|
MARP Méthode
Accéléré ou active de Recherche Participative
|
OMAL Observatoire des Multinationales en
Amérique Latine
|
ONG Organisation Non Gouvernementale
|
OP Organisation Paysanne
|
OPR Organisations Paysannes et Rurales
|
PDC Plan de Développement
Communautaire
|
PNUD Programme des Nations Unies pour le
Développement
|
SIGAP Système Guatémaltèque
des Aires Protégées
|
SMBC Société
Mésoaméricaine de Biologie de la Conservation
|
TDR Termes De Références
|
USAID United States Agency for International
Development
|
Introduction
« Dans les pays du Tiers Monde, les paysans ignorants
et paresseux n'existent pas, car ils
sont morts depuis longtemps. »
R. Chambers, 1983
Ce mémoire d'anthropologie appliquée s'inscrit
dans le cadre du Master Professionnel « Anthropologie et Métiers du
Développement Durable ». Au début de mon cursus
universitaire j'ai eu l'occasion de vivre une année au Mexique. Ce
séjour m'a permis de m'intéresser à des
problématiques spécifiques à cette région : les
mouvements indigènes, les enjeux ruraux face à la pression
agraire et le fort taux d'émigration. Ces problématiques avaient
déjà largement influencé le choix du sujet de mon
mémoire bibliographique de Master 1, Ceux qui restent : changement
social et développement rural des non migrant-e-s dans une perspective
de genre1. J'ai eu la possibilité de pouvoir retourner
sur le continent américain, dans la région d'Amérique
centrale pour mon stage de Master 2, au Guatemala. J'ai été
intégrée à l'équipe d'une ONG (Organisation Non
Gouvernementale) nationale guatémaltèque, la Fondation
ProPetén. Cette ONG se consacre principalement à la conservation
du patrimoine culturel et naturel dans une région de forêt
tropicale au nord du pays, le Petén. L'ONG coordonne plusieurs projets,
dont celui de production et de commercialisation de cacao, qui a
été initié il y a deux ans avec trois
communautés2 du groupe Maya Q'eqchi' au sud de la
région. Par le biais de mon stage, j'ai été
associée à ce projet.
Les missions qui m'ont été confiées par
l'équipe de l'ONG à travers les termes de référence
(TDR) consistaient en la réalisation de diagnostics communautaires
participatifs et de plans de développement avec les trois
communautés rurales concernées par le projet: La Compuerta,
Poité Centro et San Lucas Aguacate. Les documents de diagnostics
communautaires que j'ai réalisés de manière participative
permettent de dresser un état des lieux général, incluant
la situation politique, économique, organisationnelle,
géographique, sociale et culturelle des
1 Benotti S., 2012, Mémoire de recherche
bibliographique. Ceux qui restent : changement social et développement
rural des non migrant-e-s dans une perspective de genre. Dir.
VERNET-LAVASTRE M. et BOUJU J., Université de Provence : 78 p.
2 Le terme « communauté »
(comunidad) est utilisé en Amérique latine et
Amérique central pour désigner les villages
(pueblo). Tandis que le premier a un aspect plus marqué pour le
groupe culturel et le sentiment d'appartenance, le second se rapporte
plutôt à l'aspect géographique. Nous utiliserons alors les
deux termes le long de ce mémoire.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
groupes. Il s'agit aussi de mises en perspectives des
ressources et des carences matérielles et immatérielles
ressenties, justifiant les priorités d'action. Quant aux plans de
développement, je les ai réalisés à partir des
résultats des diagnostics. Ils permettent de décrire et de
planifier les activités choisies. L'élaboration de ces documents
était importante pour l'ONG : elle avait pour but de renforcer les
organisations paysannes et la participation locale des populations
concernées par ses projets. Ayant eu une fonction de médiation
entre plusieurs acteurs (associations d'agriculteurs et l'ONG ProPetén),
cet angle d'observation m'a permis une réflexion multidimensionnelle
portée sur les interactions entre les groupes d'acteurs.
J'ai alors décidé de centrer mon analyse sur les
interactions entre ces groupes, ainsi que sur les décalages ou
corrélations entre les discours du développement et la
réalité de terrain. Comme exemple central, je me suis
basée sur l'analyse du projet de production de cacao sur lequel j'ai
travaillé tout particulièrement, en me faucalisant sur les trois
associations paysannes avec lesquelles l'ONG ProPetén a entrepris ce
projet. Ces dernières années, ces associations communautaires se
sont multipliées, comme bien d'autres, dans les zones rurales
guatémaltèques. Elles sont, de tous les niveaux d'acteurs de
développement reconnus institutionnellement, les plus ancrées au
niveau local. J'ai trouvé très important de s'intéresser
de plus près aux personnes qui décident au quotidien de
l'utilisation des ressources pour l'agriculture, c'est-à-dire les
agriculteurs eux-mêmes ainsi que leurs familles. En effet, ce sont eux
les premiers concernés par la gestion concrète des projets
ruraux. Il est donc intéressant d'analyser leur place dans les processus
de prise de décision et d'organisation. Même si l'étude des
programmes agricoles et de leur durabilité au niveau global est utile et
nécessaire, elle n'a plus de sens si on n'étudie pas les
mécanismes locaux. Ce ne sont ni les interprètes de statistiques
internationales, ni les rédacteurs de rapports mondiaux qui participent
à la prise de décisions au quotidien sur les parcelles agricoles.
Certes, les personnes extérieures influencent les montages
économiques et politiques à l'intérieur desquels les
agriculteurs fonctionnent, mais les actions tangibles seront toujours celles
des agriculteurs.
Le renforcement de ces groupes locaux suscite aujourd'hui
l'enthousiasme des pourvoyeurs d'aides bilatérales et de la
société civile dont l'ONG ProPetén. Ceux-ci reconnaissent
l'utilité des associations locales en tant que vecteur de
développement durable. Les associations locales d'agriculteurs
remplissent de nombreuses fonctions, telles que la représentation des
intérêts de leurs membres, l'accès à plus de
services, ou plus largement, la défense de leurs causes dans le cadre
des actions de plaidoyer. Néanmoins, les organisations d'agriculteurs
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
rencontrent encore de nombreuses difficultés
liées au contexte global dans lequel elles s'insèrent. Elles sont
conscientes de leurs limites, comme le font remarquer G. Faure, J-F Leqoc et N.
Rodriguez (2011)3.
Cette place singulière des associations d'agriculteurs
et les processus qu'elle engendre m'ont permis de réfléchir sur
des angles de recherche appliquée à partir des interrogations
suivantes :
? Dans quelles mesures les associations d'agriculteurs
peuvent-elles contribuer au développement durable de leur
localité ?
? Comment leurs capacités d'influence sur les
orientations stratégiques individuelles et collectives se
manifestent?
? Ces stratégies d'acteurs s'inscrivent-elles
réellement dans une démarche de développement durable et
de participation ?
? Quelle est l'importance des discours véhiculés
par les institutions internationales dans la pratique?
Nous chercherons donc à répondre à ces
interrogations à travers l'analyse du contexte
guatémaltèque et des acteurs décrits ci-dessus en
particulier. Les résultats de ce mémoire proviennent à la
fois des activités réalisées pendant mon stage, de
l'ethnographie sur le terrain, et de l'étude de la bibliographie locale,
internationale, institutionnelle et de sciences sociales sur ce sujet.
Nous commencerons par exposer le contexte
général du projet de production de cacao, les
particularités de la région ainsi que le contexte relationnel
entre les acteurs principaux : l'ONG ProPetén et les trois associations
d'agriculteurs. Nous analyserons aussi les tâches qui m'ont
été confiées en tant que stagiaire et ma place
d'anthropologue dans ce contexte de médiation.
Nous nous demanderons ensuite dans quelle mesure les
associations paysannes sont nécessaires au développement
communautaire durable. Pour cela, nous nous baserons sur les
3 In FAURE G., LE COQ J-F. & RODRIGUEZ
N., 2011, « Émergence et diversité des trajectoires des
organisations de producteurs au Costa Rica », Économie rurale,
n°323, Société Française d'Économie rurale: p.
55-70.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
résultats obtenus des diagnostics et plans de
développement effectués, ainsi que sur l'examen des
différentes forces d'action, telle que la capacité
stratégique de ces associations.
En dernier lieu, afin d'élargir notre
réflexion à un niveau plus global, nous proposons
d'étudier les contraintes et limites liées au
discours sur la participation et sur la notion de « localité
». Nous analyserons aussi les obstacles liés au contexte
général socio-économique et politique, auxquels les
associations locales ne peuvent pas toujours faire face.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
Première Partie : Le projet de l'ONG d'accueil
dans 3 organisations paysannes. Objectif de renforcement des Organisations
Paysannes pour un Développement Durable
1-1 Contexte du pays et de la région
1-1-1 Le Guatemala
La République du Guatemala est un pays
d'Amérique centrale qui occupe une superficie de 108,890 km2 et qui
compte 14,2 millions d'habitants. Il est frontalier du Mexique au Nord, du
Belize à l'Est et du Honduras et du Salvador au Sud. Le pays est
bordé par l'océan Pacifique à l'Ouest et par la mer des
Caraïbes sur la côte Est. L'Amérique centrale est
fréquemment victime de catastrophes
naturelles (éruptions volcaniques, séismes et
ouragans dans la région caribéenne) mais détient, de par
sa terre volcanique fertile et son climat favorable, un grand nombre de
ressources. Les ressources naturelles exploitées sont le nickel, le
cuivre, le zinc, le plomb et le bois. Le pétrole exploité depuis
1975 dans la région du Petén.
Le Guatemala est le pays le plus « indien »
d'Amérique et le seul pays d'Amérique centrale dont la population
est majoritairement indienne : environ 5 millions de personnes sur un total de
9 millions. Vingt-trois langues sont parlées en plus de l'espagnol au
Guatemala ; dans la région du Petén que nous allons
étudier, c'est la langue q'eqchi' qui domine.
Depuis la Conquête espagnole, une population se
distingue de la culture indienne et s'accroît, elle est
communément dénommée « ladina4
». Elle désigne les personnes dont la langue maternelle est
l'espagnol et qui pratiquent la culture hispanique : ce groupe peut inclure les
métis ainsi que les amérindiens assimilés. La dichotomie
indigène/ladino est employée dans toute sorte d'analyses
sociales au Guatemala, d'autant plus qu'elle a servi de base à la
4 Terme guatemaltèque s'utilisant aussi dans
les autres pays d'Amérique centrale.
Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
représentation d'une société
extrêmement inégalitaire et au développement d'une guerre
civile de trente-six ans (1960-1996) qui a laissé d'importants
traumatismes.
Les cultures autochtones sont toujours très
présentes au Guatemala, tout comme l'influence de la culture
occidentale. La religion catholique est présente dans tout le pays, mais
comme 70% de la population appartient à des groupes indigènes de
différentes ethnies, les rites catholiques se mêlent aux croyances
autochtones. De nombreuses Eglises s'étendent sur le territoire depuis
quelques années, notamment l'Eglise évangélique qui se
développe et augmente rapidement le nombre de ses fidèles.
Aujourd'hui, l'Indice de Développement Humain (IDH) du
pays est de 0,574 (PNUD 2011). La répartition des richesses est toujours
très inégale: 10% de la population détient 44% des
richesses5. Selon le rapport du PNUD (2006), 50,9% de la population
est en situation de pauvreté, dont 30,0% en zone urbaine et 70,5% en
zone rurale.
La violence, générée par les crimes
organisés, les narcotrafiquants, les inégalités et la
pauvreté est un des principaux problèmes que doivent affronter
les Guatémaltèques. Ce fut un thème central de la campagne
électorale durant laquelle le président actuel Otto Perez Molina
a promis une politique de "mano dura" (politique de main de fer) lors
de son élection en 2007. La présidence qui a gagné la
confiance d'une grande majorité de citoyens, est cependant
contestée dans les zones rurales, où la situation sociale reste
tendue. En effet, les communautés indigènes et agricoles estiment
que leurs revendications ne sont pas prises en compte et ont organisé
une marche sur la capitale, réunissant des milliers de personnes en mars
2012. Depuis quelques années, les mouvements et organisations
indigènes sont de plus en plus nombreux dans le pays.
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Benotti. Mémoire de recherche appliquée ETHT7:
Associations Paysannes et Développement Durable: entre discours et
réalités. (2013)
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