Master I Droit des activités internationales et
européennes
Dirigé par M. Daniel Dormoy
Année 2013-2014
Analyse comparée des clauses de recours à
l'arbitrage
dans les traités bilatéraux
d'investissement liant
la France et les pays d'Afrique francophone
Sous la direction de M. Xavier Boucobza
Adèle Daudré-Vignier
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Monsieur le Professeur Xavier
Boucobza pour ses conseils lors de l'élaboration
de mon mémoire.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION 4
CHAPITRE 1: Le fondement du recours à l'arbitrage
dans les traités bilatéraux
d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone 7
SECTION 1 : MODALITES, CONDITIONS ET PROCEDURE D'OUVERTURE DU
RECOURS A L'ARBITRAGE 8
SECTION 2 : LES DIFFERENTS TYPES D'ARBITRAGE 15
CHAPITRE 2 : Les conséquences du recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux
d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone 22
SECTION 1 : LES EFFETS DU RECOURS A L'ARBITRAGE: LA SENTENCE
ARBITRALE 22
SECTION 2 : LES LIMITES DU RECOURS A L'ARBITRAGE DANS LES
TRAITES BILATERAUX D'INVESTISSEMENT 27
CONCLUSION 33
BIBLIOGRAPHIE 35
TABLE DES MATIERES 38
4
INTRODUCTION
Le continent africain, du fait du retard dans le
développement de son économie et de la richesse de ses ressources
naturelles territoriales, fait l'objet de nombreuses convoitises de la part des
différentes puissances mondiales.
En effet, l'industrie et la valeur ajoutée de l'Afrique
étant encore faibles, des flux d'investissements directs
étrangers viennent y améliorer la production de matériaux
ou délocalisent l'activité d'entreprises nationales sur place.
Par exemple, selon la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement, la République de Guinée accueillait, fin
2006, 489 millions d'euros de stock d'investissements directs
étrangers1.
La France présente des liens historiques avec le
continent africain. Après l'abandon, par la IVe République, de
l'empire colonial français, on a vu apparaître l'expression «
France-Afrique », à l'origine employée pour définir
la volonté de certains dirigeants africains de conserver
d'étroites relations avec la France après l'accession de leurs
pays, anciennes colonies françaises, à l'indépendance.
Cette expression a donc été utilisée pour qualifier
l'action néo-coloniale prêtée par la France en Afrique.
Elle désigne les relations personnelles, politiques, économiques
et militaires entre la France et ses anciennes colonies et certains autres pays
africains. Cette expression, bien qu'ayant acquis depuis lors une connotation
parfois négative, fait donc référence aux relations
particulières entre la France et le continent africain.
L'Etat français, désireux de conserver ce lien
existant avec les pays d'Afrique, a fait des investissements dans ce continent,
une priorité. La France est, au Sénégal, le premier
investisseur. Fin 2006, le Sénégal accueillait 750 millions
d'euros de stock d'investissements directs à l'étranger
français. De plus, de nombreux investisseurs individuels sont à
l'origine d'implantations nouvelles. Les entreprises à participation
française au Sénégal emploient une main d'oeuvre locale
à plus de 95% et le chiffre d'affaire des entreprises françaises
au Sénégal
1 Assemblée nationale n°1137, projet de
loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
République française er le Gouvernement de la République
de Guinée sur la promotion et la protection réciproques des
investissements, enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 1er octobre 2008, exposé des
motifs p.2.
5
représente le quart du produit intérieur
brut2. Par ailleurs, selon la Banque de France, le stock
d'investissements directs étrangers français en Guinée
s'élevait, fin 2005, à 17 milliards d'euros. Les entreprises
françaises comptaient, à cette date, une trentaine de filiales et
une quarantaine d'implantations locales créées par des
français3.
Mais les investisseurs français en Afrique ne
bénéficiaient d'aucune protection juridique complète et
cohérente contre les risques de nature politique qu'ils encourent
résultant de situations locales ou de décisions politiques ou
économiques arbitraires de l'Etat d'accueil. L'Etat français a
donc été amené à multiplier, depuis les
années 1970, les accords bilatéraux d'encouragement et de
protection réciproques des investissements, dits traités
bilatéraux d'investissement.
Un traité bilatéral d'investissement est un
accord signé entre deux Etats, par lequel ces derniers s'engagent
à favoriser et à développer les investissements des
individus ou entités privés possédant la
nationalité de l'autre Etat partie au traité, sur leur
territoire. Dans le préambule des traités, les Etats signataires
se disent « désireux de renforcer la coopération
économique entre les deux Etats et de créer des conditions
favorables pour les investissements » et « persuadés
que l'encouragement et la protection de ces investissements sont propres
à stimuler les transferts de capitaux et de technologie entre les deux
pays, dans l'intérêt de leur développement
économique ».
Cependant, malgré les dispositions prévues dans
ces traités, des différends peuvent surgir, relativement à
l'interprétation et à l'application du traité, ou à
la protection des investissements. Dans ces traités figurent des clauses
qui prévoient comme mode de règlement de ces différends,
le recours à l'arbitrage. L'étude ne portera que sur les litiges
liés au respect des dispositions du traité entre les
investisseurs et l'Etat étranger sur le territoire duquel
l'investissement est effectué. Sont ainsi exclus les différends
liés à l'application et à l'interprétation du
traité entre les deux Etats signataires, et les différends qui
relèveraient des relations contractuelles entre un Etat et un
investisseur, dits contrats d'Etat. Ne seront traitées que les clauses
de recours à l'arbitrage
2 Assemblée nationale n°1489, projet de
loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
république française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproques
des investissements, enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 25 février 2009, exposé des
motifs p.4.
3 Assemblée nationale n°1137, projet de
loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
République française er le Gouvernement de la République
de Guinée sur la promotion et la protection réciproques des
investissements, enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 1er octobre 2008, exposé des
motifs p.2.
6
applicable aux mesures jugées contraires aux
dispositions du traité bilatéral d'investissement, prises par
l'Etat à l'encontre de l'investisseur.
Il s'agira d'effectuer une analyse de ces clauses dans les
traités bilatéraux d'investissement liant la France et les pays
d'Afrique francophone. Tous les pays d'Afrique n'étant pas signataire de
traités bilatéraux avec la France, il convient d'établir
une liste des Etats concernés par cette étude. Par ordre
d'entrée en vigueur et de signature des traités bilatéraux
d'investissement : la République démocratique du Congo (Ex
Za
·re)4, la République de Guinée
Equatoriale5, la République fédérale du
Nigeria6, la République de Madagascar7, la
République de Djibouti8, la République des
Seychelles9, la République de Guinée10 et
la République du Sénégal11.
Les clauses prévoyant le recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux d'investissement liant la
France et les pays d'Afrique francophone répondent-elles à un
schéma unique ou disposent-elles de modalités propres à
chaque traité ? Par ailleurs, ce recours est il efficace en toutes
circonstances ou présente-t-il des limites ?
Pour y répondre, il convient d'effectuer une
comparaison des clauses de recours à l'arbitrage dans les traités
bilatéraux d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone, tant dans leur fondement (Chapitre 1) que dans
leurs conséquences (Chapitre 2).
4 Convention entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
du Zaïre sur la protection des investissements, signée à
Paris le 5 octobre 1972, entrée en vigueur le 1er mars
1975.
5 Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Guinée équatoriale sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements, signé à Paris le 3 mars
1982, entré en vigueur le 23 septembre 1983.
6 Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
fédérale du Nigeria sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements, signé à Paris le 27
février 1990, entré en vigueur le 19 aout 1991.
7 Accord entre le Gouvernement de la
République de Madagascar et le Gouvernement de la République
française sur l'encouragement et la protection réciproque des
investissements, signé à Saint Denis de La Réunion le 25
juillet 2003, entré en vigueur le 27 avril 2005.
8 Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Djibouti sur l'encouragement et la protection réciproque des
investissements, signé à Paris le 13 décembre 2007,
entré en vigueur le 25 février 2009.
9 Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
des Seychelles sur la promotion et la protection réciproque des
investissements, signé à Victoria le 29 mars 2007, entré
en vigueur le 5 mai 2009.
10 Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Guinée sur la promotion et la protection réciproques des
investissements, signé à Conakry le 10 juillet 2007, entré
en vigueur le 1er octobre 2008.
11 Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproque
des investissements, signé à Dakar le 10 juillet 2007,
entré en vigueur le 23 juillet 2010.
7
CHAPITRE 1
Le fondement du recours à l'arbitrage dans les
traités bilatéraux
d'investissement liant la France et les
pays d'Afrique francophone
Situé à la croisée du droit international
public et du droit international privé, le recours à l'arbitrage
est fréquent en matière de commerce international, parce qu'il
répond au besoin exprimé par les parties de disposer d'un mode de
règlement des différends éventuels rapide et discret.
Dans les traités bilatéraux d'investissement
liant la France et les pays d'Afrique francophone, il s'agit surtout de
garantir le respect, par les parties contractantes, des dispositions relatives
à la protection et à la promotion des investissements des
investisseurs privés sur leur territoire.
Ce recours à l'arbitrage est soumis à des
modalités, des conditions et une procédure d'ouverture stricts
(Section 1).
Une fois le recours à l'arbitrage admis, plusieurs
types d'arbitrage sont proposés par les Etats signataires aux parties au
litige afin de régler leur différend (Section
2).
8
Section 1
Modalités, conditions et procédure
d'ouverture du recours à l'arbitrage
La procédure d'ouverture du recours à
l'arbitrage est une procédure stricte soumise au respect de plusieurs
modalités et conditions : un consentement écrit (1), la
survenance d'un différend (2) et une tentative préalable de
conciliation (4). Par ailleurs, son champ d'application, tant matériel
que personnel, est strictement limité (3), et l'ouverture de cette
procédure peut se voir mise en danger (5).
1. Le consentement écrit
Tout d'abord, le consentement doit être écrit
dans la convention bilatérale. Ce consentement est une offre
d'arbitrage, prenant, le plus souvent, la forme d'un article.
a. L'offre d'arbitrage
Le recours à l'arbitrage international est
conditionné, en tout premier lieu, par l'expression du consentement
écrit de l'Etat d'accueil. En effet, les investisseurs individuels ne
peuvent engager une procédure d'arbitrage international à
l'encontre de l'Etat dans lequel l'investissement a été
effectué qui a violé ses obligations internationales sur
l'investissement que si l'Etat d'accueil a donné son consentement
écrit au préalable12. Ce consentement est
exprimé, dans les traités bilatéraux d'investissement, par
les Etats signataires de l'accord dans une offre de recours à
l'arbitrage. C'est une clause insérée au traité
bilatéral, par laquelle les deux Etats signataires prévoient
qu'en cas de différend entre un investisseur privé ressortissant
de l'Etat d'une partie contractante et l'autre partie contractante, le
différend sera réglé par l'arbitrage. C'est l'expression,
par les parties, de leur volonté de se soumettre à l'arbitrage
comme mode de règlement des litiges, et à accepter la
compétence d'un arbitre.
12 Organisation Mondiale du Commerce -
Communication de la Communauté européenne et de ses Etats
membres, 10 septembre 2002.
9
b. La forme de l'offre d'arbitrage
L'offre de recours à l'arbitrage est le plus souvent un
article, nommé ou non, inséré dans le traité
bilatéral d'investissement. Dans l'accord bilatéral
d'investissement liant la République Française et la
République de Madagascar, cette offre est prévue à
l'article 7 Règlement des différends entre un investisseur et
une partie contractante. Ce titre est repris notamment par le
traité bilatéral d'investissement entre la France et le
Sénégal, ou l'accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Djibouti, à l'article 8.
L'expression écrite et préalable de ce
consentement à l'arbitrage dit offre d'arbitrage est la toute
première condition de ce recours à l'arbitrage.
Cependant, pour que cette offre soit saisie, il faut qu'un
fait litigieux surgisse après la conclusion du traité.
2. La survenance d'un différend
L'accord entre la France et le Sénégal sur la
promotion et la protection réciproque des investissements prévoit
que « Tout différend relatif aux investissements entre l'une
des parties contractantes et un investisseur de l'autre partie contractante
(É) est soumis à la demande de l'investisseur concerné
à l'arbitrage ». L'ouverture du recours à l'arbitrage
est donc conditionnée par l'existence d'un différend.
3. Le champ d'application de la clause
L'offre ainsi envisagée dispose d'un champ
d'application personnel et d'un champ d'application matériel
limités.
a. Champ d'application personnel de la clause
Le champ d'application personnel de la clause est
énoncé dans l'article relatif au règlement des
différends : il comprend un investisseur et une Partie contractante. En
ce qui concerne la Partie contractante, il n'y a aucune difficulté. Dans
le cadre des traités bilatéraux liant la France et les pays
d'Afrique francophone, cette partie pourra être la France si
l'investisseur étranger se rend en France pour effectuer son
investissement, ou le Sénégal, la République de Djibouti,
la
10
République de Guinée, Madagascar ou tout autre
pays d'Afrique francophone avec lequel la France a signé un
traité, si c'est un investisseur français qui se déplace
dans l'un ou l'autre de ces pays. Cependant, il est communément
accepté que si ces traités sont bilatéraux, ils ne
fonctionnent, en pratique, que dans un sens. En effet, ce sont très
majoritairement les investisseurs français qui se rendent en Afrique,
plutôt que l'inverse. Ainsi, dans ces traités, les parties au
différend seront, le plus fréquemment, l'investisseur
français d'une part et le pays d'Afrique francophone d'autre part.
La difficulté porte alors sur l'identité de la
partie privée. La définition du terme « investisseur »
est apportée dans chacun de ces traités. L'accord entre le
Gouvernement de la République française et le gouvernement de la
République de Guinée sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements énonce dans son article
1er relatif aux définitions et champ de l'accord que ce terme
désigne « les nationaux, c'est à dire les personnes
physiques possédant la nationalité de l'une des parties
contractantes et qui investissent sur le territoire de l'autre partie
contractante ». La partie privée doit être un
ressortissant de l'Etat avec lequel le Traité bilatéral
d'investissement est conclu. Mais prenons l'exemple d'une société
locale qui serait contrôlée par une société d'un
pays étranger. Le différend entre cette société et
le pays d'accueil sera-t-il soumis à l'arbitrage international
prévu par la clause insérée à l'accord ? L'article
poursuit « Le terme `investisseur' désigne les
sociétés ». Les sociétés, c'est toute
personne morale qui est soit constituée sur le territoire de l'une des
Parties contractantes, conformément à la législation de
celle ci et y possédant son siège social, soit qui est
contrôlée directement ou indirectement par des nationaux de l'une
des parties contractantes ou par des personnes morales possédant leur
siège social sur le territoire de l'une des parties contractantes et
constituées conformément à la législation de celle
ci.13 Ainsi, un différend survenu entre une
société locale contrôlée par une
société d'un pays étranger et un Etat partie pourra
être soumis à l'arbitrage prévu par le traité
bilatéral d'investissement.
b. Champ d'application matériel
Le champ d'application matériel de ce recours est,
quant à lui, donné tout au long du traité car il
correspond à l'essence même du texte. C'est la protection et la
promotion des investissements. Dès lors que la partie privée
considère que l'Etat d'accueil n'a pas respecté ses engagements
de
13 Article 1.2.b), Accord entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la
République de Guinée sur la promotion et la protection
réciproques des investissements, signé à Conakry, le 10
juillet 2007.
11
protection et de promotion de son investissement, elle pourra
engager à l'encontre de ce dernier, une procédure de
règlement des litiges. L'accord bilatéral entre la France et le
Sénégal prévoit à l'article 3, Encouragement et
admission des investissements que « Chacune des parties
contractantes encourage et admet, dans le cadre de sa législation et des
dispositions du présent Accord, les investissements effectués par
les investisseurs de l'autre Partie sur son territoire et dans sa zone maritime
». L'Etat partie qui manque à ses obligations issues de cette
disposition pourra alors voir sa responsabilité engagée. Les
mesures concrètes de cet engagement sont énumérées
dans le traité.
Tout d'abord, l'Etat assure, sur son territoire et dans sa
zone maritime, un traitement juste et équitable et ce
conformément aux principes du droit international. Il doit alors faire
en sorte que l'exercice du droit ainsi reconnu ne soit entravé ni en
droit, ni en fait. Les restrictions à l'achat et au transport de
matières, premières ou auxiliaires, sont des exemples d'entraves
à ce droit14.
Par ailleurs, chaque Partie contractante applique aux
investisseurs de l'autre Partie un traitement non moins favorable que celui
accordé à ses investisseurs ou le traitement accordé aux
investisseurs de la Nation la plus favorisée, si celui ci est plus
avantageux. Ce traitement concerne les investissements et les activités
liées aux investissements de la partie privée. Mais il ne
s'étend pas aux privilèges qu'une partie contractante accorde aux
investisseurs d'un Etat tiers, en vertu de sa participation à une zone
de libre échange, une union douanière, un marché commun ou
toute autre forme d'organisation économique
régionale15.
Puis, dans le cadre de la protection et de la
sécurité pleines et entières dont
bénéficient les investissements, la Partie contractante sur le
territoire duquel a lieu cet investissement s'engage à ne prendre aucune
mesure d'expropriation ou de nationalisation ou toutes autres mesures dont
l'effet est de déposséder la partie privée des
investissements lui appartenant. Il existe une exception d'utilité
publique, mais celle ci est conditionnée par le versement, en
contrepartie, d'une indemnité qualifiée de prompte et
adéquate16.
14 Article 4 Traitement juste et
équitable, Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République du
Sénégal sur la promotion et la protection réciproque des
investissements, signé à Dakar, le 26 juillet 2007.
15 Article 5, Traitement national et traitement
de la Nation la plus favorisée, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproque
des investissements, signé à Dakar, le 26 juillet 2007.
16 Article 6 Dépossession et
indemnisation, Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République du
Sénégal sur la promotion et la protection réciproque des
investissements, signé à Dakar, le 26 juillet 2007.
12
Enfin, la Partie contractante sur le territoire ou dans la
zone maritime de laquelle l'investissement a été effectué
accorde à l'investisseur un libre transfert des intérêts,
dividendes, bénéfices et autres revenus courants, des redevances
pouvant découler de droits incorporels, des versements effectués
pour le remboursement des emprunts régulièrement
contractés, du produit de la cession ou de la liquidation total ou
partiel de l'investissement, et des indemnités de dépossession ou
de perte éventuelles17.
Ainsi, dès lors qu'une de ces dispositions que les deux
Etats contractants se sont engagés à respecter fait
défaut, l'investisseur privé peut soumettre ce différend
à l'arbitrage international.
Mais l'ouverture du recours à l'arbitrage est soumise
à une condition préalable, la tentative de conciliation.
4. La condition préalable : la tentative de
conciliation
Avant d'avoir recours à l'arbitrage, les parties
doivent effectuer une tentative de conciliation. Si cette conciliation aboutit,
le litige prend fin, le recours à l'arbitrage est alors
éloigné. C'est seulement si cette tentative échoue que le
différend pourra être soumis, à la demande de
l'investisseur concerné, à l'arbitrage. Cette tentative
préalable de conciliation est prévue dans tous les traités
bilatéraux d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone, sans exception. Les modalités d'exercice de ce
règlement amiable sont identiques dans chaque traité. L'accord
entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République fédérale du Nigéria
sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements
énonce, en son article 8, « Tout différend relatif aux
investissements entre l'une des Parties contractantes et un investisseur de
l'autre Partie est, autant que possible, réglé à l'amiable
entre les deux parties concernées ». Cette obligation de
tentative de conciliation est reprise dans les mêmes termes dans chacun
des traités d'investissement entre la France et l'Afrique. Le
règlement amiable peut être demandé par l'une ou l'autre
des parties au différend. Un délai de six mois, à partir
du moment où le différend a été soulevé, est
fixé pour effectuer cette conciliation. Si, pendant ces six mois, le
différend n'a pas pu être réglé, il est alors soumis
à l'arbitrage18. Ce délai connaît de
légères variations selon les traités. Le texte de l'accord
bilatéral
17 Article 7 Libre transfert, Accord entre
le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de
la République du Sénégal sur la promotion et la protection
réciproque des investissements, signé à Dakar, le 26
juillet 2007.
18 Cf. Article 11, Accord entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la
République de Guinée équatoriale sur l'encouragement et la
protection réciproque des investissements, signé à Paris,
le 3 mars
13
entre la France et la République démocratique du
Congo évoque un « bref délai »19 et
dans l'accord liant la France à la République de Djibouti, le
délai est de neuf mois à partir du moment où le
différend a été soulevé20.
Si le différend n'a pas fait l'objet d'un
règlement amiable, le recours à l'arbitrage peut alors être
demandé. Les traités liant la France et les pays d'Afrique
francophone ne sont pas unanimes quant à la détermination des
parties pouvant être à l'origine de la demande. Dans l'accord
bilatéral d'investissement entre la France et le
Sénégal21, et celui entre la France et
Djibouti22, la demande d'ouverture de ce recours est
réservée à l'investisseur. Dans les traités entre
la France et la Guinée équatoriale23 ou la France et
le Nigéria24, la demande peut provenir de l'une ou l'autre
des parties contractantes. L'investisseur ou l'Etat d'accueil de
l'investissement pourront alors aspirer à voir le différend
soumis à l'arbitrage.
Cependant, l'ouverture de la procédure d'arbitrage peut
être mise en danger, et ce dans deux cas de figure évoqués
par ces traités.
5. La mise en danger de l'ouverture de la procédure
d'arbitrage
Tout d'abord, une condition supplémentaire peut
être posée. Il est une situation où le consentement
inconditionnel au recours à l'arbitrage est requis. Ensuite, il existe
un cas où l'arbitrage, bien que prévu par une clause, peut se
voir éloigné, c'est le cas lorsque la juridiction judiciaire ou
la juridiction administrative sont choisies.
1982 ; Article 8, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
fédérale du Nigeria sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements, signé à Paris, le 27
février 1990 ; Article 8, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproque
des investissements, signé à Dakar, le 26 juillet 2007 ; Article
7, Accord entre le Gouvernement de la République de Madagascar et le
Gouvernement de la République française sur l'encouragement et la
protection réciproque des investissements, signé à Saint
Denis de La Réunion, le 25 juillet 2003 ; Article 9, Accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République de Guinée sur la promotion et la protection
réciproques des investissements, signé à Conakry, le 10
juillet 2007.
19 Article 9, Convention entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la
République du Zaïre sur la protection des investissements,
signée à Paris, le 5 octobre 1972.
20 Article 8, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Djibouti sur l'encouragement et la protection réciproque des
investissements, signé à Paris, le 13 décembre 2007.
21 18 Article 8, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproque
des investissements, signé à Dakar, le 26 juillet 2007.
22 Article 8, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Djibouti sur l'encouragement et la protection réciproque des
investissements, signé à Paris, le 13 décembre 2007.
23 Article 11, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Guinée équatoriale sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements, signé à Paris, le 3 mars
1982.
24 Article 8, Accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
fédérale du Nigeria sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements, signé à Paris, le 27
février 1990.
a. 14
Le consentement inconditionnel au recours à
l'arbitrage.
Dans le cas où le différend est de nature
à engager la responsabilité pour les actions ou omissions de
collectivités publiques ou d'organismes dépendants de l'une des
deux parties contractantes, ladite collectivité publique ou ledit
organisme sont tenus de donner leur consentement de manière
inconditionnelle à l'arbitrage. Cette exigence est prévue dans le
traité bilatéral d'investissement entre la France et le
Sénégal25. Sans ce consentement inconditionnel, le
recours à l'arbitrage est alors remis en cause.
b. La saisine de la juridiction judiciaire ou administrative
compétente
Dans l'accord sur la protection et la promotion des
investissements entre la France et Les Seychelles, l'article 8 prévoit
que l'investisseur concerné peut, selon sa préférence,
soit saisir la juridiction judiciaire ou administrative compétente dans
le pays où l'investissement a été réalisé,
soit soumettre le différend à l'arbitrage. Cet article
précise que le choix de la procédure est définitif. La
clause de recours à l'arbitrage est prévue mais ce recours, si
l'investisseur saisit la juridiction judiciaire ou administrative
compétente, est écarté et ce de manière
définitive. Cette clause offre un véritable choix à
l'investisseur. Ces dispositions menacent en un sens le recours à
l'arbitrage, néanmoins elles sont très rares dans les
traités bilatéraux d'investissement entre la France et les pays
d'Afrique francophone et ne reflètent donc pas la réalité
du règlement des différends liés aux investissements.
Il ressort de cette analyse que, lorsqu'un différend
relatif aux investissements survient entre un investisseur d'un Etat partie au
traité et l'autre Etat partie, le recours à l'arbitrage ne va pas
de soi. Une procédure stricte est imposée aux parties qui
souhaiteraient y recourir et ce recours est soumis à de nombreuses
conditions. Malgré cela, le recours à l'arbitrage international
est la pratique la plus répandue dans le règlement des
différends liés aux investissements entre un investisseur d'un
Etat et l'Etat d'accueil.
Une fois le recours à l'arbitrage admis, plusieurs
types d'arbitrages possibles sont prévus par ces traités
bilatéraux d'investissements. Il convient désormais de les
étudier.
25 Article 8.c. Règlement des
différends entre un investisseur et une partie contractante, Accord
entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République du Sénégal sur la promotion
et la protection réciproque des investissements, signé à
Dakar, le 26 juillet 2007.
15
Section 2
Les différents types d'arbitrage
Lorsqu'un différend relatif à l'investissement
intervient entre l'investisseur d'une Partie au traité, et l'autre
Partie, Etat d'accueil de l'investissement, et que le règlement amiable
et éventuellement le choix de saisine d'une juridiction judiciaire ou
administrative par l'investisseur sont écartés, le recours
à l'arbitrage est alors envisagé. Différents types
d'arbitrage sont proposés par les traités liant la France et les
pays d'Afrique francophone : l'arbitrage du Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux investissements (1),
l'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international (2) et l'arbitrage de la Cour commune de justice et d'arbitrage
créée par le Traité de l'Organisation pour l'harmonisation
du droit des affaires en Afrique (3).
1. L'arbitrage du Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux investissements
L'arbitrage auquel il est le plus fréquemment fait
référence est l'arbitrage du Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI ou
le Centre). Ce Centre a été institué par la Convention
pour le règlement des différends relatifs aux investissements
entre Etats et ressortissants d'autres Etats26, elle même
élaborée par les Administrateurs de la Banque internationale pour
la reconstruction et le développement27. La Convention a
été ouverte à la signature le 18 mars 1965, signée
par la France le 22 décembre 1965 et est entrée en vigueur le 14
octobre 1966, suite à sa ratification par vingt pays. Au 1er
janvier 2014, la Convention avait été signée par tous les
pays de l'Afrique francophone, à l'exception de Djibouti et de la
Guinée équatoriale. Il convient d'effectuer une
présentation générale de cet arbitrage, puis de faire une
analyse du recours à cet arbitrage dans les traités
bilatéraux d'investissement entre la France et les pays d'Afrique
francophone.
26 Le texte de la Convention est disponible sur le
site web du CIRDI
www.worldbank.org/icsid/basicdoc.htm,
dernière consultation le 10 avril 2014.
27 La Banque internationale pour la reconstruction
et le développement (BIRD) a pour objectif de réduire la
pauvreté dans les pays à revenu intermédiaire et dans les
pays plus pauvres mais solvables par le biais de ses prêts et de ses
garanties, de ses instruments de gestion des risques et de ses services
d'analyse et de conseil. La BIRD, constituée en 1944 et première
institution du Groupe de la Banque mondiale, est structurée sur le
modèle d'une coopérative ; elle est dotée d'un capital qui
appartient à ses 188 pays membres et elle poursuit ses opérations
au profit de ces derniers.
16
a. Présentation générale de
l'arbitrage du CIRDI
Le Centre a pour objet, conformément à l'article
1er de la Convention, d' « offrir des moyens de
conciliation et d'arbitrage pour régler les différends relatifs
aux investissements, opposant des Etats contractants à des
ressortissants d'autres Etat contractants ».
La définition de l'expression « Ressortissant
d'un Etat contractant » est donnée par la Convention. Il
s'agit d'une personne physique ou morale qui possède la
nationalité d'un Etat contractant autre que l'Etat partie au
différend. Cette définition comporte l'exigence d'un
élément d'extranéité. Concernant les personnes
physiques, sont exclues celles qui possèdent la nationalité de
l'Etat contractant partie au différend. Le champ d'application de la
personnalité morale est plus large car il comprend également
toute personne morale qui possède la nationalité de l'Etat
contractant partie au différend à la date à laquelle les
parties ont consenti à soumettre le différend à la
conciliation ou à l'arbitrage, et que les parties sont convenues de
considérer comme ressortissant d'un autre Etat contractant en raison du
contrôle exercé sur elle par des intérêts
étrangers28.
Le consentement donné, par les Etats parties, au
recours à l'arbitrage, implique de fait une renonciation à
l'exercice de tout autre recours.
Le ressortissant d'un Etat contractant (l'investisseur) et, si
le traité bilatéral d'investissement l'autorise, un Etat
contractant qui désire entamer une procédure d'arbitrage, doit
adresser par écrit sa requête au secrétaire
général du Centre. Ce dernier envoie alors une copie à
l'autre partie. La requête doit contenir plusieurs éléments
: des informations sur l'objet du différend, l'identité des
parties et leur consentement à l'arbitrage. L'enregistrement de la
requête est notifié, par le secrétaire
général, aux parties29.
Le tribunal est composé soit d'un arbitre unique, soit
d'un nombre impair d'arbitres. Les parties fixent un accord sur le nombre des
arbitres et leur mode de nomination. A défaut, le tribunal est
composé de trois arbitres. Chaque partie nomme un arbitre et le
troisième est nommé par accord des parties. Si, dans un
délai de 90 jours ou dans un autre délai fixé par les
parties, le tribunal n'a pas été constitué, le
Président nomme, sur demande de l'une des parties, l'arbitre ou les
arbitres qui n'ont pas été désignés.
28 Cf. Article 25.2.b. de la Convention.
29 Cf. Chapitre IV Section 1 De la demande
d'arbitrage, de la Convention.
17
Le tribunal ainsi constitué statue sur le
différend30. Si un accord a été conclu entre
les parties, il applique les règles de droit qui résultent de cet
accord. Sinon, il applique le droit de l'Etat contractant. Par « droit
de l'Etat contractant », le Centre entend les règles relatives
aux conflits de lois, ainsi que les principes de droit
international31. Les modalités relatives à la sentence
sont prévues par la Section 4 de la Convention. L'article 48
énonce que le tribunal statue à la majorité des voix de
tous ses membres et que la sentence est rendue par écrit avec
éventuellement jointes les opinions particulières ou dissidentes
des membres du tribunal. Le Secrétaire général envoie
alors aux parties les copies de la sentence.
b. Le recours à l'arbitrage CIRDI des
traités bilatéraux d'investissement liant la France et les pays
d'Afrique francophone
L'intégralité des Traités
bilatéraux d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone font référence à cet arbitrage CIRDI comme
mode de règlement des différends. Dans les accords entre la
France et la Guinée équatoriale, la République
démocratique du Congo, Madagascar, les Seychelles et le Nigeria, c'est
le seul arbitrage envisagé. Le traité bilatéral entre la
France et la Guinée équatoriale est intéressant en ce sens
qu'une clause d'arbitrage prévoit le recours à l'arbitrage CIRDI
mais la Guinée équatoriale n'est pas partie à la
Convention de Washington instituant cet arbitrage. Le Président de la
Délégation de Guinée équatoriale, Monsieur Luciano
Edjang Mbo32 a alors proposé à Monsieur
François Mitterrand, président de la République
française au moment de la conclusion du traité bilatéral,
qu'en l'attente de l'adhésion de la Guinée équatoriale
à la Convention signée à Washington le 18 mars 1965,
« Les parties contractantes conviennent que tout différend
relatif aux investissements entre l'une des Parties contractantes et un
national ou une société de l'autre partie contractante, sera
tranché définitivement suivant le règlement de
conciliation et d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale par un ou
plusieurs arbitres nommés conformément à ce
Règlement ». Cette proposition a été
acceptée par décret, le 20 décembre 198333.
30 Cf. Chapitre IV Section 2 De la constitution du
tribunal, de la Convention.
31 Cf. Chapitre IV Section 3 Des pouvoirs et des
fonctions du tribunal, de la Convention.
32 M. Luciano Edjang Mbo était commissaire
d'Etat du Ministère des Travaux publics, du Logement, de l'Urbanisme et
des Transports en Guinée équatoriale en 1982.
33 Décret n° 83-1118 du 20
décembre 1983 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la
République de Guinée équatoriale sur l'encouragement et la
protection réciproques des investissements, fait à Paris le 3
mars 1982.
18
Il est donc possible qu'un recours à l'arbitrage CIRDI
soit envisagé alors même que l'une des Parties contractantes n'a
pas signé la Convention. Il est donc indispensable de vérifier,
pour appliquer l'arbitrage CIRDI, que les Parties contractantes aient
adhéré à la Convention de Washington. L'adhésion de
la Partie contractante permettra à son ressortissant effectuant un
investissement à l'étranger de s'en prévaloir pour
effectuer une demande d'arbitrage CIRDI. C'est une adhésion
indirecte.
A côté de cet arbitrage du CIRDI, il existe un
second type d'arbitrage proposé dans les traités
bilatéraux d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone. En effet, dans certains de ces traités, il est prévu
que le différend peut être soumis à un tribunal arbitral ad
hoc constitué selon les règles d'arbitrage de la Commission des
Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI).
2. L'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le
droit commercial international
La CNUDCI a été instituée par
l'Assemblée générale des Nations Unies34 pour
promouvoir l'harmonisation et l'unification progressives du droit du commerce
international. Le Règlement d'arbitrage de la CNUDCI a été
adopté en 1976. Il est issu de délibérations et
consultations avec des organisations internationales intéressées
et des experts en arbitrage. Soucieux d'être au plus proche de
l'évolution de la pratique arbitrale, le Règlement a
été révisé en 2010. Le Règlement de 2010
s'applique aux conventions d'arbitrage conclues après le 15 aout 2010.
Les accords bilatéraux entre la France et l'Afrique francophone qui
proposent un recours à cet arbitrage sont les accords entre la France et
le Sénégal, entre la France et Djibouti et entre la France et la
République de Guinée. Or ces trois textes ont été
signés en 2007. Ils sont antérieurs à 2010, ils se voient
donc appliquer le Règlement d'arbitrage de la CNUDCI de 1976.
Selon l'article 3 du Règlement, la partie qui est
à l'initiative du recours à l'arbitrage communique à
l'autre partie une notification d'arbitrage. Celle ci contient plusieurs
éléments parmi lesquels figurent les noms et adresses des
parties, la nature générale du litige, l'objet de la demande et
une proposition quant au nombre d'arbitres35. Les parties peuvent
convenir ensemble de ce nombre (un ou trois). A défaut, il sera
nommé trois arbitres. Si les parties ont conjointement
décidé de nommer un seul arbitre, ils doivent s'entendre sur le
choix de l'arbitre.
34 Résolution 2205 (XXI section) de
l'Assemblée générale des Nations Unies, du 7
décembre 1966.
35 Cf. Article 3.3 du Règlement.
19
Si tel n'est pas le cas, c'est l'autorité de nomination
qui nomme l'arbitre unique. L'autorité a pour obligation de nommer un
arbitre indépendant et impartial. Si les parties ont
décidé de soumettre le différend à trois arbitres,
chaque partie en nomme un et les deux arbitres nommés choisissent le
troisième. Ce dernier a les fonctions d' « arbitre-président
» du tribunal36. Le règlement prévoit, le cas
échéant, les modalités de récusation ou de
remplacement de l'arbitre37. Si les parties ne parviennent pas
à désigner une autorité de nomination dans leur accord ou
si l'autorité de nomination désignée refuse d'agir ou
n'agit pas, le Règlement d'arbitrage de la CNUDCI de 1976 prévoit
qu'une partie peut demander au Secrétaire général de la
Cour permanente d'arbitrage de procéder à cette
désignation. La Cour permanente d'arbitrage est une organisation
intergouvernementale créée pour faciliter l'arbitrage et
répondre aux besoins de plus en plus pressants de la communauté
internationale en matière de règlement des différends.
Le tribunal se voit imposer, dans la procédure
d'arbitrage, de traiter les parties « sur un pied
d'égalité et que chaque partie ait toute possibilité de
faire valoir ses droits et proposer ses moyens ». Si cette obligation
est respectée, il procède à l'arbitrage comme il le juge
approprié38. La loi applicable est celle
désignée par les parties comme étant la loi applicable au
fond du litige. Si aucune loi n'a été désignée
préalablement par les parties, le tribunal arbitral utilise la
méthode de la règle du conflit de lois qu'il juge applicable en
l'espèce et retient alors la loi désignée par cette
méthode.
La sentence est rendue par écrit, à la
majorité quand les arbitres sont au nombre de trois39. Elle
peut être définitive, provisoire, interlocutoire ou partielle. La
sentence doit être motivée. L'exception à ce principe
résulterait de la volonté des parties. Elle est signée par
les arbitres et porte mention de la date et du lieu où elle a
été rendue40. Cependant, si les parties conviennent,
durant la procédure et avant que la sentence ne soit rendue, d'une
transaction ayant pour effet de mettre fin au litige, le tribunal met fin
à la procédure arbitrale par une ordonnance de clôture ou
par une sentence arbitrale rendue d'accord parties41.
36 Cf. Section II Composition d'un tribunal arbitral,
Article 5 Nombre d'arbitres, Article 6 Nomination des
arbitres.
37 Cf. Section II Composition d'un tribunal
arbitral, Article 9 à 12 Récusation d'arbitres, Article
13 Remplacement d'un arbitre.
38 Cf. Section III Procédure arbitrale, Article
15 Dispositions générales.
39 Cf. Section IV La sentence, Article 31
Décisions.
40 Cf. Section IV La sentence, Article 32 Forme et
effet de la sentence.
41 Cf. Section IV La sentence, Article 34
Transaction ou autres motifs de clôture de la
procédure.
20
Cet arbitrage est proposé dans la plupart des accords
bilatéraux d'investissements entre la France et l'Afrique. Mais il est
un troisième, et dernier, type d'arbitrage, plus rare, qui peut
être utilisé pour le règlement des différends entre
un investisseur et une partie contractante.
3. L'arbitrage de la Cour commune de justice et d'arbitrage
créée par le Traité de l'Organisation pour l'harmonisation
du droit des affaires en Afrique
Dans le traité d'investissement liant la France et le
Sénégal, l'article 8.c. prévoit que le différend
peut être soumis, à la demande de l'investisseur concerné,
« à l'arbitrage de la Cour commune de justice et d'arbitrage
créée par le Traité de l'Organisation pour l'harmonisation
du droit des affaires en Afrique du 17 octobre 1993 (OHADA), lorsque les
parties au différend relèvent de ce traité ».
L'objectif du traité OHADA est précisé
dans son préambule. Il s'agit d'arriver à une harmonisation du
droit des affaires en Afrique. En créant une unité africaine et
en établissant un courant de confiance en faveur des économies de
leur pays, les Etats signataires espèrent créer un nouveau
pôle de développement en Afrique. De plus, dans le
préambule, les Etats se disent désireux de promouvoir l'arbitrage
comme instrument de règlement des différends contractuels.
Les modalités relatives à l'arbitrage sont
énoncées dans le Titre 4 du traité.
L'arbitrage s'effectue, en vertu de l'article 21, en
application d'une clause compromissoire ou d'un compromis. Le recours à
l'arbitrage doit donc être au préalable prévu comme mode de
règlement des différends par les parties au contrat. En
l'espèce, les parties au contrat sont en quelques sortes la France et le
Sénégal. Ces pays, en prévoyant dans le traité
bilatéral d'investissement qui les lie, le recours à l'arbitrage
OHADA, ont prévu cette clause compromissoire.
Le champ d'application personnel de cet arbitrage
s'étend à toute partie à un contrat dont l'une des parties
au moins est un Etat partie au traité OHADA. Ainsi, l'une des parties
doit avoir son domicile ou sa résidence habituelle dans un des Etats
parties ou le contrat doit être exécuté ou doit être
à exécuter en tout ou partie sur le territoire d'un ou plusieurs
Etats parties, conditions essentielles pour pouvoir soumettre le
différend d'ordre contractuel à la procédure d'arbitrage
prévue par ce traité. L'article 8.c. précise que la
demande du recours à ce type d'arbitrage ne peut être
effectuée que par l'investisseur.
La Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, saisie du litige,
ne tranche pas le différend, mais nomme les arbitres, ou confirme leur
nomination si celle ci a été effectuée par les
parties42. Le différend peut être tranché par un
arbitre unique ou par trois arbitres. Les modalités relatives à
la nomination des arbitres sont les mêmes que celles applicables à
l'arbitrage du CIRDI, le droit international préférant adopter
une méthode unique en la matière. Cependant, dans le cas de
l'OHADA, la Cour établit une liste d'arbitres, mise à jour
annuellement, parmi lesquels les parties pourront choisir le ou les arbitres
qui règleront le litige. Les membres de la Cour ne peuvent pas
être inscrits sur cette liste, mais en cas de récusation d'un
arbitre par une partie, c'est la Cour qui statue43. Par ailleurs, la
présence d'une clause compromissoire écarte la compétence
des tribunaux des Etats parties. En effet, l'article 23 prévoit que le
tribunal d'un Etat qui sera saisi d'un litige, alors que les parties avaient
prévues de soumettre ce litige à l'arbitrage, devra se
déclarer incompétent. Enfin, en ce qui concerne la sentence
arbitrale, celle ci doit être soumise, avant signature par l'arbitre,
à la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage, qui peut émettre des
objections relativement à la forme.
Le recours à l'arbitrage fait l'objet d'un cadre strict
dans les traités bilatéraux d'investissement entre la France et
les pays d'Afrique francophone. Une fois ce cadre établi, les Etats,
selon les traités, proposent différents types d'arbitrage
auxquels il est possible de recourir pour régler un litige, ou imposent
aux parties au différend de se soumettre à un type unique
d'arbitrage. L'aspect bilatéral du traité établit une
confiance réciproque entre les parties qui ont communément choisi
ce mode de règlement des différends et, la plupart du temps, la
loi qui y est applicable. C'est la méthode de l'arbitrage,
méthode de recours à un tribunal en principe neutre, distinct des
juridictions étatiques, qui s'appliquera dès lors qu'un litige
surviendra. Mais ce choix n'est pas sans conséquences.
21
42 Cf. Article 21 du Traité relatif à
l'harmonisation en Afrique du droit des affaires.
43 Cf. Article 22 du Traité relatif à
l'harmonisation en Afrique du droit des affaires.
22
CHAPITRE 2
Les conséquences du recours à l'arbitrage
dans les traités bilatéraux
d'investissement liant la France
et les pays d'Afrique francophone
Les conséquences du recours à l'arbitrage
résident tout d'abord dans les effets de ce recours, c'est à dire
la sentence arbitrale (Section 1) ; mais ce recours a surtout
pour conséquence de présenter certaines limites (Section
2).
Section 1
Les effets du recours à l'arbitrage : la
sentence arbitrale
Les effets de la sentence arbitrale rendue dans le cadre des
clauses de recours à l'arbitrage présentes dans les
traités bilatéraux d'investissement varient en fonction du type
d'arbitrage auquel il est fait référence dans la clause :
arbitrage du CIRDI (1), de la CNUDCI (2), ou du traité de l'OHADA
(3).
1. Les effets de l'arbitrage du CIRDI
La sentence arbitrale dispose d'un effet obligatoire. Une fois
celle ci rendue, les parties ne sont plus autorisées à intervenir
dans la procédure arbitrale. Cependant, ce principe comporte des
exceptions.
a. L'effet obligatoire de la sentence
Dans le cadre de l'arbitrage du CIRDI, la sentence est
réputée avoir été rendue le jour de l'envoi, aux
parties, des copies certifiées conformes de la sentence. A partir du
jour du prononcé de la sentence, le tribunal dispose d'un délai
supplémentaire de quarante-cinq jours pour statuer sur les questions sur
lesquelles il aurait omis de se prononcer, et de corriger des
éventuelles erreurs matérielles contenues dans la
sentence44.
44 Cf. Chapitre IV Section 4 De la sentence,
Article 49 de la Convention.
23
Mais une fois la sentence rendue, celle ci est obligatoire et
ne peut faire l'objet d'aucun appel ni autre recours devant le tribunal
arbitral. Chaque partie doit impérativement donner effet à la
sentence. Les Etats contractants à la Convention sont tenus de
reconnaître son caractère obligatoire, et d'en assurer
l'exécution sur leur territoire, comme si le jugement provenait d'une de
leurs juridictions internes. Son exécution est régie par la loi
applicable à l'exécution des jugements de l'Etat sur le
territoire duquel on cherche à y procéder45.
Cependant, les parties peuvent tout de même intervenir
une fois le prononcé de la sentence effectué, et ce à
titre exceptionnel, dans quelques cas limitativement
énumérés par la Convention, dans sa cinquième
section.
b. L'intervention exceptionnelle des parties
après le prononcé de la sentence
Une demande en interprétation du sens ou de la
portée de la sentence peut être adressée au
secrétaire général, puis soumise au tribunal qui a
statué. Par ailleurs, une demande de révision de la sentence est
possible en cas de découverte d'un fait pouvant avoir une influence
décisive sur la sentence, et ce dans les quatre vingt dix jours suivant
la découverte du fait nouveau, ou dans les trois ans suivant la date de
la sentence. Enfin, l'annulation de la sentence peut être demandée
pour les motifs prévus à l'article 52 de la Convention : vice
dans la constitution du tribunal, excès de pouvoir manifeste du
tribunal, corruption d'un membre du tribunal, inobservation grave d'une
règle fondamentale de procédure, ou défaut de motifs. La
demande doit être effectuée dans un délai de cent vingt
jours suivant la date de la sentence, sauf pour la corruption pour laquelle le
délai court à partir de la découverte de la corruption.
Dans tous les cas, le délai maximum d'ouverture de la demande est de
trois ans suivant la date de la sentence. Un comité ad hoc est
nommé par le président pour annuler, si besoin, la sentence en
tout ou partie. Si la sentence est déclarée nulle, le
différend est soumis à un nouveau tribunal46.
Le tribunal ou le comité selon le cas peuvent, si les
circonstances l'exigent, décider de suspendre l'exécution de la
sentence, jusqu'à ce qu'ils se soient prononcés sur la demande en
interprétation, en révision ou en annulation.
45 Cf. Chapitre IV Section 6 De la reconnaissance
et de l'exécution de la sentence de la Convention.
46 Cf. Chapitre IV Section 5 De
l'interprétation, de la révision et de l'annulation de la
sentence de la Convention.
24
A l'exception de ces trois demandes, la sentence rendue par le
tribunal arbitral est absolument impérative, tant pour l'investisseur
que pour l'Etat dont il est le ressortissant, et l'Etat avec lequel et sur le
territoire duquel le différend a lieu. Cette sentence ne peut faire
l'objet d'aucun recours, ce qui est un élément primordial de la
procédure.
2. Les effets de l'arbitrage de la CNUDCI
Dans l'arbitrage de la CNUDCI, lorsque la sentence est rendue,
les parties doivent l'exécuter sans délai, la sentence
n'étant pas susceptible d'appel. Cette sentence ne sera publiée
qu'avec l'accord des deux parties47.
Cependant, alors qu'aucun recours n'est possible, les parties
peuvent, après le prononcé de la sentence, effectuer certaines
demandes48. Une demande d'interprétation est possible dans
les trente jours suivant la réception, par les parties, des copies de la
sentence signées par les arbitres. La demande d'interprétation
adressée au tribunal arbitral doit être notifiée à
l'autre partie au différend. Une fois la demande reçue, le
tribunal dispose de quarante cinq jours pour donner, par écrit, son
interprétation.
Dans les mêmes conditions, l'une des parties peut
demander au tribunal arbitral une rectification de la sentence. La
rectification peut porter sur toute erreur de calcul, erreur matérielle
ou typographique. Le tribunal dispose alors d'un délai de trente jours,
à partir de la communication de la sentence aux parties, pour effectuer
cette rectification.
Enfin, et dans les même conditions que la demande
d'interprétation ou de rectification, l'une des parties peut demander au
tribunal de rendre une sentence additionnelle sur des chefs de demande omis
dans la sentence alors qu'exposés au cours de la procédure
d'arbitrage. Sa sentence est complétée par le tribunal arbitral
dans un délai de soixante jours suivant la réception de la
demande, s'il considère que celle-ci est justifiée et que de
nouvelles audiences ou de nouvelles preuves ne sont pas nécessaires.
47 Cf. Section IV La sentence, Article 32 Forme
et effet de la sentence, Règlement d'arbitrage de la CNUDCI de
1976.
48 Cf. Article 35 Interprétation de la
sentence, 36 Rectification de la sentence et 37 Sentence
additionnelle, Règlement d'arbitrage de la CNUDCI de 1976.
25
3. Les effets de l'arbitrage prévu par le
traité de l'OHADA
Le traité OHADA insiste sur la portée
impérative des décisions rendues par le tribunal arbitral. En
effet, l'enjeu est de taille. Il ne s'agit pas seulement d'assurer le respect
d'un traité bilatéral conclu entre deux Etats parties, mais
plutôt de garantir l'harmonisation régionale du droit des
affaires.
Pour que les pays signataires d'Afrique puissent
bénéficier d'une unité dans les affaires, il est
impératif que ces derniers appliquent strictement les dispositions du
traité. En vertu de cela, les sentences rendues par l'arbitre ont,
après sa signature, « autorité définitive de la
chose jugée sur le territoire de chaque Etat partie ». Le
traité précise que ces décisions ont la même valeur
que celles rendues par les juridictions internes de l'Etat et doivent
être acceptées comme telles par l'Etat partie au différend
ou dont le ressortissant est partie au différend49.
Par ailleurs, la sentence peut faire l'objet d'une
exécution forcée, et ce en vertu d'une décision
d'exequatur rendue par la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage. Compte tenu
du caractère international des situations faisant l'objet d'un arbitrage
OHADA, il est impératif que les jugements rendus à
l'étranger aient force obligatoire et soient reconnus dans l'autre Etat.
Le traité prévoit néanmoins quatre motifs permettant
d'écarter ou de refuser l'exequatur. Ces motifs sont
énumérés en son article 25 : « L'exequatur peut
être refusé dans les cas suivants : si l'arbitre a statué
sans convention d'arbitrage ou sur une convention nulle ou expirée ; si
l'arbitre a statué sans se conformer à la mission qui lui avait
été conférée ; lorsque le principe de la
procédure contradictoire n'a pas été respecté ; si
la sentence est contraire à l'ordre public international ».
L'ordre public international est donc retenu comme motif permettant de refuser
l'exequatur. Mais le traité ne définit pas cette notion. Or le
doyen Batiffol considère que « tous les essais de définition
de cette notion ont naturellement échoué »50. La
définition n'existe pas, mais la doctrine retient communément que
l'ordre public international réunit l'ensemble des principes et des
valeurs que le for tient absolument à défendre. Ce sont les
valeurs sociales, économiques, politiques et morales qui fondent la
société du for et font partie de sa législation. Il
ressort de cette définition dont la largeur des critères permet
un champ d'application vaste, que les Etats définissent dans leur droit
interne cet ordre public international, et qu'en vertu de celui ci, ils
disposent d'une marge nationale d'appréciation pour accepter ou non
l'exequatur.
49 Cf. Article 25 du Traité relatif à
l'harmonisation en Afrique du droit des affaires.
50 Henri Batiffol, Aspects philosophiques du droit
international privé, Dalloz, édition 2002, p.159.
26
L'imprécision de ce motif prévu par le
traité OHADA fait déjà apparaître un premier danger
pour la sécurité juridique.
Il ressort de l'analyse de ces trois types d'arbitrage
prévus dans les traités bilatéraux d'investissement liant
la France et les pays d'Afrique francophone que les sentences rendues par les
tribunaux arbitraux ne sont, d'une part, susceptibles d'aucun recours et ont,
d'autre part, force obligatoire dans l'ordre interne de l'Etat partie au
différend et de l'Etat dont le ressortissant, l'investisseur, est partie
au différend. Une fois la sentence rendue, celle ci s'impose sans que,
en principe, aucune marge de manoeuvre ne soit possible à son
encontre.
Mais ce mode de règlement des différends
liés au respect des traités bilatéraux d'investissement a
fait l'objet de vives critiques. En effet, on s'est interrogé sur le
fait de savoir si les arbitres ne favorisaient pas, en pratique, les
intérêts des investisseurs privés sur ceux de l'Etat
contractant, et sur les conséquences néfastes de cet
éventuel favoritisme qui résident entre autre, dans un risque
d'insécurité juridique.
27
Section 2
Les limites du recours à l'arbitrage dans les
traités bilatéraux
d'investissement
Le recours à l'arbitrage dans les traités
bilatéraux d'investissement n'est pas sans défaut. En effet,
certains auteurs s'accordent à dire qu'il existe de nombreuses
tentatives abusives ou frauduleuses d'exercice de la compétence
arbitrale dans les arbitrages d'investissement51 (1). Cependant, les
limites du recours à l'arbitrage dans les traités
bilatéraux d'investissement ne sont pas uniquement liées au
comportement des investisseurs, mais sont également liées au
fonctionnement même de ce mode de règlement des différends
(2).
1. Les tentatives abusives ou frauduleuses d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages d'investissement : les limites
liées au comportement des investisseurs
Deux auteurs se sont penché sur ce problème, en
ont dressé une présentation et ont ensuite proposé des
pistes pour dissuader ces pratiques abusives de l'arbitrage.
a. Présentation du problème
Dans une note rédigée dans le cadre d'une
journée d'étude sur les nécessités de
réformer l'arbitrage d'investissement, Antoine Garapon, magistrat,
docteur en droit, secrétaire général de l'Institut des
hautes études sur la Justice, ancien juge pour enfants et auteur de plus
de trente ouvrages consacrés au droit et à la justice, et Hamid
Gharavi, avocat associé au Cabinet Salans à Paris et nommé
membre de la Cour d'arbitrage International de Londres, s'interrogent sur les
recours abusifs à l'arbitrage.
En effet dans cette note, ils présentent l'arbitrage
relatif aux investissements initiés sur la base de traités
bilatéraux sur la promotion et la protection des investissements comme
un procédé ayant « offert aux investisseurs la
possibilité de régler leurs différends relatifs aux
investissements avec les Etats hôtes devant une juridiction arbitrale
internationale au regard du droit
51 Journée d'étude du 27 mars 2013 :
faut-il réformer l'arbitrage d'investissement ? Dossier d'orientation
Ð Note n°2 : Les tentatives abusives ou frauduleuse d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages d'investissements, Antoine
Garapon et Hamid Gharavi.
28
international, et cela en l'absence de clause
compromissoire stipulée dans un contrat, dès lors qu'ils se
situent dans le champ d'application de l'un de ces TBI
»52. Sont rappelés, ensuite, les conditions
permettant d'engager une telle procédure.
L'avantage que présente cette possibilité de
recours à l'arbitrage pour les investisseurs privés est
indéniable. Le rôle de l'individu ou de l'entité
privée (personne physique ou morale) sur la scène internationale
est en principe un rôle indirect. En effet, cet individu ou cette
entité dispose d'une nationalité qui lui est propre, il est donc
le ressortissant d'un Etat membre. Sur la scène internationale, en
principe, l'individu agit indirectement, par le biais de l'Etat membre dont il
est le ressortissant, ou par le biais d'un contrat qui le lie à un autre
Etat membre.
Dans ce cas de figure, l'individu peut agir directement contre
un Etat membre sur le territoire duquel il a effectué son
investissement, sans qu'une relation contractuelle n'ait été
engagée, et sans passer par le biais de l'Etat membre dont il est le
ressortissant. L'action est directement possible, dès lors que l'Etat
dans lequel il a effectué son investissement est signataire d'un
traité de protection et de promotion des investissements avec l'Etat
dont l'investisseur est le ressortissant, et que les dispositions de ce
traité bilatéral ont été violées. L'avantage
qui ressort de l'aspect direct de cette voie de recours est la
possibilité d'être jugé par une juridiction neutre et
internationale, distincte des juridictions étatiques.
Certains investisseurs, pour pouvoir bénéficier
d'un jugement rendu par cette juridiction neutre et internationale qu'est la
juridiction arbitrale, ont tenté, par des moyens abusifs ou frauduleux
de tomber dans le champ d'application des traités bilatéraux
d'investissement, alors même que les conditions d'accès à
cet arbitrage n'étaient pas remplies ou qui ont, par des moyens
frauduleux, tenté de contourner ces conditions. Antoine Garapon et Hamid
Gharavi donnent, dans leur note, un exemple : certains investisseurs ont
souhaité se voir appliquer les dispositions d'un traité
bilatéral d'investissement alors qu'ils n'avaient pas la
nationalité de l'un des Etats avec lequel l'Etat hôte avait
signé un tel traité. Pour ce faire, une fois que le
différend avec l'Etat hôte avait surgi, ils ont restructuré
leur investissement en le transférant sous le contrôle d'une
société du même groupe ayant la nationalité de l'un
des Etats avec lequel l'Etat hôte avait signé ce traité.
La jurisprudence arbitrale est souvent maintenue
secrète, ainsi il est difficile de savoir si de tels contournements ont
déjà été effectués dans le recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux
52 Journée d'étude du 27 mars 2013 :
faut-il réformer l'arbitrage d'investissement ? Dossier d'orientation
Ð Note n°2 : Les tentatives abusives ou frauduleuse d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages d'investissements, Antoine
Garapon et Hamid Gharavi, p.23, Les arbitrages abusifs.
29
d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone, mais il s'agit d'une dérive qu'il est important d'analyser,
et à laquelle il faut apporter des remèdes pour que l'existence
du recours à l'arbitrage dans les traités bilatéraux
d'investissements garde son sens primaire de protection et de promotion des
investissements.
Les deux auteurs de cette note proposent alors des «
pistes pour dissuader les arbitrages abusifs ».
b. Les pistes proposées pour dissuader les
arbitrages abusifs
Quatre pistes sont envisagées par les deux analystes
pour pallier à cette dérive que constitue l'usage abusif ou
frauduleux de l'arbitrage international d'investissement53.
Tout d'abord, les auteurs considèrent que trop peu de
documents sont demandés pour enregistrer une requête d'arbitrage.
Selon eux, exiger plus de documents lors de l'enregistrement de la
requête auprès du CIRDI ou pour le dépôt d'une
requête d'arbitrage permettrait de filtrer les requêtes et de
dissuader les arbitrages abusifs. Par ailleurs, ils considèrent que les
documents requis constituent uniquement des renseignements et non des preuves,
pourtant nécessaires pour permettre de statuer sur l'effectivité
du lien entre l'investissement et le traité bilatéral. Ils
estiment que des pièces telle que la copie du titre de créance ou
la preuve de l'investissement du demandeur devraient être obligatoires au
moment du dépôt de la requête.
Dans cette piste sont déjà envisagées des
exceptions, parmi lesquelles figure l'hypothèse de l'expropriation ou
d'un autre manquement imputable à l'Etat qui aurait placé
l'investisseur dans l'incapacité de produire ces documents. Dans ces cas
là, l'exigence de documents supplémentaires serait
écartée.
La seconde proposition est celle d'une prolongation des
délais. Le Règlement d'Arbitrage CIRDI prévoit une
procédure accélérée pour la soumission des
déclinatoires et moyens préliminaires. Le déclinatoire est
le moyen par lequel une partie considère que le différend ou
toute demande accessoire ne ressortit pas à la compétence du
CIRDI. Ce déclinatoire doit être déposé
auprès du Secrétaire général. Pour tomber dans le
champ d'application de la procédure accélérée, les
Etats disposent d'un délai maximum de trente jours suivant la
constitution du Tribunal arbitral pour
53 Journée d'étude du 27 mars 2013 :
faut-il réformer l'arbitrage d'investissement ? Dossier d'orientation
Ð Note n°2 : Les tentatives abusives ou frauduleuse d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages d'investissements, Antoine
Garapon et Hamid Gharavi, pp. 27 à 30, Les arbitrages abusifs.
30
soulever un déclinatoire ou invoquer un moyen relatif
à une demande dénuée de fondement juridique54.
Ce délai est jugé par les deux auteurs comme étant trop
court et ne permettant pas ainsi de donner aux Etats une véritable
opportunité de se prévaloir de la procédure
accélérée. La procédure de l'arbitrage
accélérée est indispensable car elle rend possible la
rapidité du déroulement de l'arbitrage, précieuse aux
Etats. Allonger le délai prévu par le Règlement
d'arbitrage CIRDI permettrait, selon les auteurs, d'alléger les
contraintes et les cadences des Etats.
Cette proposition est intéressante en ce sens qu'il est
extrêmement important de prendre en compte les aspects pratiques de ce
recours à l'arbitrage, parmi lesquels figurent les délais et la
longueur des procédures. Cependant, dans cette note, un premier
défaut apparaît : les auteurs ne s'intéressent qu'à
l'arbitrage CIRDI qui n'est pourtant pas le seul proposé aux parties au
différend dans les traités bilatéraux d'investissement.
Par ailleurs, les auteurs semblent considérer qu'allonger le
délai prévu pour recourir à la procédure
accélérée relative aux déclinatoires de
compétence est un remède en soi aux dérives vues
précédemment. Pourtant, si d'un point de vue pratique, l'impact
que le changement de délai aurait sur la lourdeur des procédures
est indéniable, son efficacité sur la détection des
arbitrages abusifs n'est pas établie.
La troisième piste consisterait à faciliter
l'obtention de Security for Costs. Le Security for Costs est un concept
juridique du Common Law qui répond au principe suivant lequel dans une
procédure judicaire, le perdant doit payer les frais de justice de la
partie gagnante. Lorsqu'un défendeur a des raisons de craindre que ses
frais juridiques ne seront pas payés par le demandeur s'il gagne, il
peut demander au tribunal l'obtention de Security for Costs. L'encouragement de
l'obtention des Security for Costs apparaît indispensable. Cela
permettrait aux Etats victimes d'arbitrages abusifs ou frauduleux
d'éviter de consacrer des sommes considérables pour leur
défense sans pour autant pouvoir recouvrir les montants alloués
par la sentence finale en raison de l'insolvabilité des demandeurs.
Selon les auteurs, si la jurisprudence arbitrale est favorable à la
possibilité d'apporter cette garantie dans les arbitrages fondés
sur les traités bilatéraux d'investissement, aucun Tribunal
arbitral n'en a jamais octroyée.
Enfin, la dernière piste pour limiter les arbitrages
abusifs serait, pour les Etats, de développer la pratique du certificat
d'investissement. Emis par l'Etat hôte, il constituerait alors une
condition
54 Cf. Chapitre V Article 41 Déclinatoires
et moyens préliminaires, de la Convention.
31
préalable à l'application du traité
bilatéral d'investissement. L'Etat hôte pourrait ainsi approuver
ou non les investissements sur son territoire. Cette pratique semble tout
à fait pertinente en ce sens qu'elle établirait un lien de
confiance entre l'investisseur et l'Etat hôte. Reste à voir si
elle ne serait pas trop difficile à mettre en place d'un point de vue
administratif.
Ces pistes, bien qu'étant encore à l'état
de propositions, constituent des éléments importants de
réflexion favorisant l'évolution de la pratique de l'arbitrage
d'investissement et permettant ainsi de limiter ses dérives.
Cependant, il existe d'autres limites du recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux d'investissement,
liées au fonctionnement même de ce mode de règlements des
différends.
2. Les limites liées au fonctionnement même de
l'arbitrage comme mode de règlement des différends
L'investissement direct étranger est
considéré comme un outil déterminant de l'essor des pays
en développement et du soutien de la croissance économique des
pays développés. Les Etats, pour attirer les investisseurs
étrangers, ont donc adopté des politiques de promotion et de
protection des investissements étrangers. Dans les traités
bilatéraux de protection et de promotion des investissements,
l'arbitrage est souvent prévu comme étant le mode de
règlement des différends. Cependant, dans la pratique, il est
apparu que ce mode de règlement des différends comporte des
limites de divers ordres : il lui est reproché d'être rendu en
faveur des investisseurs étrangers, et de manquer de caractère
démocratique.
a. Un arbitrage rendu en faveur des investisseurs
étrangers
Le corps de ces traités bilatéraux vise la
protection et la promotion des investissements des parties privées sur
le territoire d'un Etat hôte, autre que l'Etat dont il a la
nationalité. Ces traités ont donc pour objectif la protection
d'un seul, l'investisseur. C'est l'essence même du traité. Un
certain nombre d'obligations standard sont à la charge des Etats
signataires. Ces obligations figurent dans les traités et ont
été énumérées précédemment. A
ceci s'ajoute un accès facile et direct à l'arbitrage
international.
Cependant, lorsqu'un différend survient et que le
recours à l'arbitrage est engagé, les parties se retrouvent, en
principe, sur un pied d'égalité. L'arbitre doit statuer sur le
différend relatif au respect des dispositions du traité, et sur
ces seules dispositions. Mais l'arbitrage permet ici de
32
juger la responsabilité de l'Etat en dehors de son
ordre juridique. Et ce droit substantiel appliqué lors de l'arbitrage
international n'est constitué que par les engagements pris par l'Etat
dans l'accord. Ce droit est donc nécessairement en faveur des
investisseurs étrangers. L'analyse du Tribunal porte exclusivement sur
la possible violation par l'Etat hôte des obligations issues des
dispositions du traité. Il existe donc un déséquilibre
entre la relation existant entre l'Etat hôte et l'investisseur et le fait
que la responsabilité du seul Etat hôte puisse être
engagée. Le déséquilibre porte sur l'aspect
unilatéral de cette relation.
b. La mise en cause du contenu démocratique du
mécanisme d'arbitrage.
Le contenu démocratique du mécanisme d'arbitrage
a provoqué une vive inquiétude chez certaines figures politiques.
Axelle Lemaire, secrétaire nationale du Parti socialiste aux droits de
l'Homme et secrétaire d'Etat chargée du Numérique a ainsi
mis en doute la légitimité du rôle dévolu aux
arbitres. Selon elle « Il est demandé à des personnes
privées, sans légitimité démocratique aucune, de se
prononcer sur des mesures de politique nationale prises à l'instigation
de gouvernement démocratiquement élus (...) En outre, il est
reproché aux arbitres de ne manifester qu'un intérêt
très relatif pour les politiques publiques menées par les Etats,
favorisant ainsi, intentionnellement ou non, les intérêts des
investissements privés È55. Pour certains, il
s'agit là d'une faille poussant à l'abus de droit des
investisseurs étrangers, mais, si la bonne foi des investisseurs ne peut
pas être remise en cause aussi aisément, on peut tout de
même considérer que cette remarque soulève la
véritable question de l'impartialité des juges dans les sentences
arbitrales. Le système traduit en effet le manque d'intérêt
réel de l'arbitre pour la situation de l'Etat hôte, alors pourtant
que ce dernier existe pour la situation de l'investisseur.
Ainsi, l'arbitrage peut présenter des limites
liées à la fois à d'éventuelles pratiques abusives
de l'auteur de l'ouverture de la procédure, et à son
fonctionnement. Les solutions semblent trop souvent être rendues en
faveur des investisseurs et, même si tel n'est pas le cas, c'est sa
situation, et elle seule qui est protégée. Ce recours, pourtant
formé sur un accord réciproque présente des effets
unilatéraux. Les sentences arbitrales n'étant que peu souvent
publiées, il est difficile d'illustrer ce propos, cependant, les vives
critiques formulées par les auteurs sur le sujet rendent
indéniables les limites de cette procédure.
55 Axelle Lemaire, Le nouveau visage de l'arbitrage
entre Etat et investisseur étranger : Le Chapitre 11 de l'Alena, in
Revue de l'arbitrage, Paris, n°1, 2001, pp. 70 à 81.
33
CONCLUSION
Les traités bilatéraux d'investissement sont des
procédés indispensables dans la pratique du commerce
international. Ces traités ont pour objet à la fois de
protéger les propres investisseurs de l'Etat qui conclut ce
traité et qui vont investir à l'étranger, et d'attirer les
investisseurs sur le territoire d'un Etat étranger. En effet,
l'investisseur étranger, même si la possibilité qui lui est
offerte de procéder à cet investissement à
l'étranger est une chance pour le développement de son
activité, a besoin de garanties lui permettant de ne pas voir son
investissement menacé par des mesures étatiques néfastes
éventuellement prises par l'Etat d'accueil. En effet, le changement de
législation par l'Etat d'accueil, relativement au régime fiscal
et douanier, ou la nationalisation de l'entreprise étrangère
installée sur son territoire, par exemple, sont des mesures qui auraient
probablement un effet négatif sur l'investissement. Ces traités
bilatéraux de protection des investissements sont donc
nécessaires pour l'investisseur.
En cas de litige survenant entre l'investisseur et l'Etat
hôte relativement à la protection de l'investissement, il
paraît compréhensible que l'investisseur ne souhaite pas voir ce
différend soumis aux juridictions étatiques du pays d'accueil. En
effet, si ce dernier a pris des mesures contraires aux dispositions du
traité bilatéral, l'investisseur peut légitimement
craindre que les juridictions de cet Etat manquent d'impartialité et
statuent en faveur de l'Etat hôte, afin de voir la mesure
envisagée par le Gouvernement de cet Etat réalisée. Si une
telle solution des juridictions étatiques de l'Etat d'accueil serait
très grave car elle irait parfaitement à l'encontre des principes
d'indépendance et d'impartialité qui régissent, en tout
état de cause, la fonction du juge, il est tout de même normal que
l'investisseur craigne une telle situation. De la même manière,
l'Etat hôte ne souhaitera pas voir le litige soumis aux juridictions
internes de l'investisseur. L'offre d'arbitrage apparaît alors comme une
solution efficace en principe car ce procédé est emprunt d'une
parfaite neutralité, et est issu d'un accord bilatéral.
L'arbitrage devient la garantie de la protection de son investissement pour
l'investisseur et une garantie de la neutralité pour l'Etat d'accueil.
Ce recours ne présente, d'un point de vue juridique, aucun
problème, car issu de la volonté réciproque des parties au
traité bilatéral d'investissement. Si les Etats signataires
conviennent conjointement de ce mode de règlement des différends,
le fondement juridique est établi.
34
Cependant, si le fondement juridique de ce mode de
règlement des différends est établi, c'est sa
légitimité qui semble faire défaut.
Le problème soulevé par les auteurs ayant
formulé de vives critiques sur cet arbitrage d'investissement, est un
problème de légitimité de cette pratique. Ces derniers ont
soulevé des points graves relatifs au risque que fait peser ce mode de
règlement des différends sur les principes démocratiques,
mais également sur les intentions de l'investisseur qui, sachant ce
régime protégé, abuserait de ce système et
remettrait ainsi indirectement en cause l'essence même de ce mode de
règlement des litiges à savoir la neutralité et la
volonté réciproque d'y recourir.
Par ailleurs, la réciprocité semble elle aussi
menacée. Les traités bilatéraux d'investissement liant la
France et les pays d'Afrique francophone sont en principe réciproques.
Cela signifie qu'ils protègent tant les investissements venus de ces
pays d'Afrique vers la France, que de la France vers ces pays d'Afrique. Mais
dans la pratique, on remarque qu'économiquement, l'investissement entre
ces pays ne s'effectue que dans un sens. En effet, si de nombreux investisseurs
français développent leur activité dans les pays d'Afrique
ou s'y rendent pour exploiter les ressources naturelles, l'inverse n'est pas
vrai.
La raison d'être politique de ces traités est
donc remise en cause du point de vue de leur légitimité : un
traité bilatéral peut-il légitimement avoir pour vocation
de protéger une seule des parties à ce traité (en
l'espèce protection d'un partie indirecte au traité, à
savoir l'investisseur français) ?
Même si les pays d'Afrique voient un
intérêt à ce traité en ce sens qu'il leur permet
d'attirer les investisseurs étrangers sur leur territoire, cet
intérêt n'est qu'indirect, ils ne bénéficient
qu'indirectement de ce traité qui est alors détourné de sa
vocation principale : le traité, pour les Etats africains, ne serait
plus un traité de protection de leurs investisseurs à
l'étranger, mais un simple traité permettant l'attraction sur
leur territoire des investisseurs français.
Si les fondements juridiques de ce recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux d'investissement liant la
France et les pays d'Afrique francophone ne sont pas à remettre en
cause, c'est la légitimité de la raison d'être de ces
traités qu'il conviendrait d'analyser. Les critiques formulées
par les auteurs et relatées dans cet exposé sont une
ébauche du soulèvement de ce problème.
35
BIBLIOGRAPHIE
Documents officiels :
1. Documents internationaux - Traités
bilatéraux
- Convention entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République du Zaïre sur
la protection des investissements, signée à Paris le 5
octobre 1972, entrée en vigueur le 1er mars 1975, in
Décret n°75-858 du 8 septembre 1975 portant publication de la
convention entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République du Zaïre sur la protection des
investissements signée le 5 octobre 1972, JORF du 16 septembre 1975,
p.9507.
- Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Guinée
équatoriale sur l'encouragement et la protection réciproque des
investissements, signé à Paris le 3 mars 1982, entré
en vigueur le 23 septembre 1983, in Décret n°83-118 du 20
décembre 1983 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de
la République française et le Gouvernement de la
République de Guinée équatoriale sur l'encouragement et la
protection réciproques des investissements (ensemble un échange
de lettres), fait à Paris le 3 mars 1982, JORF du 23 décembre
1983, p.3701.
- Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République
fédérale du Nigeria sur l'encouragement et la protection
réciproque des investissements, signé à Paris le 27
février 1990, entré en vigueur le 19 aout 1991, in Loi
n°91-142 du 15 mai 1991 autorisant l'approbation d'un accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République fédérale du Nigéria sur l'encouragement
et la protection réciproques des investissements, JORF du 22 mai
1991.
- Accord entre le Gouvernement la République
française et le Gouvernement de la République de Madagascar sur
l'encouragement et la protection réciproque des investissements,
signé à Saint Denis de La Réunion le 25 juillet 2003,
entré en vigueur le 27 avril 2005, in Loi n°2005-110 du 11
février 2005 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement
de la République française et le Gouvernement de la
République de Madagascar sur l'encouragement et la protection
réciproques des investissements, JORF n°36 du 12 février
2005, p.2390.
- Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Djibouti sur
l'encouragement et la protection réciproque des investissements,
signé à Paris le 13 décembre 2007, entré en vigueur
le 25 février 2009, in Loi n°2009-1794 du 31 décembre 2009
autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
de Djibouti sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements, JORF n°0002 du 3 janvier 2010, p.122.
- Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République des Seychelles sur
la promotion et la protection réciproque des investissements,
signé à Victoria le 29 mars 2007, entré en vigueur le 5
mai 2009, in Loi n°2010-205 autorisant l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République des Seychelles sur la promotion et la protection
réciproques des investissements, JORF n°0052 du 3 mars 2010,
p.4308.
- Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Guinée
sur la promotion et la protection réciproques des investissements,
signé à Conakry le 10 juillet 2007, entré en vigueur le
1er octobre 2008, in Loi n°2009-413 du 16 avril 2009 autorisant
l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Guinée
sur la promotion et la protection réciproques des investissements, JOFR
n°0090 du 17 avril 2009, p.6626.
36
- Accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République du
Sénégal sur la promotion et la protection réciproque des
investissements, signé à Dakar le 10 juillet 2007,
entré en vigueur le 23 juillet 2010, in Décret n°2010-866 du
23 juillet 2010 portant publication de l'accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproques
des investissements, JOFR n°0171 du 27 juillet 2010 p.13839.
- Actes des organisations
internationales
- Organisation Mondiale du Commerce - Groupe de
travail des liens entre commerce et investissement - Communication de la
Communauté européenne et de ses Etats membres, 10 septembre
2002.
- Banque internationale pour la reconstruction et le
développement - Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissement - Convention pour le
règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats
et ressortissants d'autres Etats, signée par la France le 22
décembre 1965, entrée en vigueur le 14 octobre 1966,
signée, au 1er janvier 2014, par tous les pays d'Afrique
francophone.
- Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international - Règlement d'arbitrage adopté en 1976 et
révisé en 2010.
- Traité de l'Organisation pour l'harmonisation du
droit des affaires en Afrique, adopté le 17 octobre 1993 - Arbitrage
de la Cour commune de justice et d'arbitrage.
2. Documents nationaux
- Assemblée nationale n°1137, projet de loi
autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
République française er le Gouvernement de la République
de Guinée sur la promotion et la protection réciproques des
investissements, enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 1er octobre 2008.
- Assemblée nationale n°1489, projet de loi
autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la
république française et le Gouvernement de la République
du Sénégal sur la promotion et la protection réciproques
des investissements, enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale le 25 février 2009.
Ouvrages :
1. Ouvrages juridiques généraux
- C. KESSEDJIAN, Droit du commerce international,
P.U.F, édition 2013.
- J.B. RACINE, F. SIIRIAINEN, Droit du commerce
international, Cours Dalloz, édition 2011.
2. Ouvrages spécialisés, thèse
- S. MANCIAUX, Investissements étrangers et
arbitrage entre Etats et ressortissants d'autres Etats, Litec,
édition 2004.
Articles de communication lors de colloques :
- Journée d'étude du 27 mars 2013
: faut-il réformer l'arbitrage d'investissement ?
A. GARAPON et H. GHARAVI, Dossier d'orientation - Note
n°2 : Les tentatives abusives ou frauduleuse d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages d'investissements, pp. 23
à 30, « Les arbitrages abusifs ».
37
Articles juridiques :
- H. BATIFFOL, « Aspects philosophiques
du droit international privé », Dalloz, édition 2002,
p.159.
- A. LEMAIRE, « Le nouveau visage de l'arbitrage entre
Etat et investisseur étranger : Le Chapitre 11 de l'Alena »,
in Revue de l'arbitrage, Paris, n°1, 2001, pp. 70 à 81.
- W. BEN HAMIDA, "L'arbitrage Etat investisseur
étranger: regards sur les traités et projets
récents", J.D.I., 2004, p. 422.
- M. FORTEAU, « Les conventions bilatérales de
promotion et de protection des investissements conclues par la France »,
in P. DAILLER, Droit de l'économie internationale, Pedone, 2004,
p.755.
- E. GAILLARD, « L'arbitrage sur le fondement des
Traités bilatéraux d'investissement », Revue
d'arbitrage, 2003, p.853.
38
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 4
CHAPITRE 1 : Le fondement du recours à
l'arbitrage dans les traités bilatéraux
d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone 7
Section 1 : Modalités, conditions et
procédure d'ouverture du recours à l'arbitrage 8
1. Le consentement écrit 8
a. L'offre d'arbitrage 8
b. La forme de l'offre d'arbitrage 9
2. La survenance d'un différend 9
3. Le champ d'application de la clause 9
a. Champ d'application personnel de la clause 9
b. Champ d'application matériel 10
4. La condition préalable : la tentative de conciliation
12
5. La mise en danger de l'ouverture de la procédure
d'arbitrage 13
a. Le consentement inconditionnel au recours à
l'arbitrage 14
b. La saisine de la juridiction judiciaire ou administrative
compétente 14
Section 2 : Les différents types d'arbitrage
15
1. L'arbitrage du Centre international pour le
règlement des différends relatifs aux investissements 15
a. Présentation générale de l'arbitrage du
CIRDI 16
b. Le recours à l'arbitrage CIRDI des traités
bilatéraux d'investissement liant la France et les
pays d'Afrique francophone 17
2. L'arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le droit
commercial international 18
3. L'arbitrage de la Cour commune de justice et d'arbitrage
créée par le Traité de l'Organisation pour
l'harmonisation du droit des affaires en Afrique 20
CHAPITRE 2 : Les conséquences du recours
à l'arbitrage dans les traités bilatéraux
d'investissement liant la France et les pays d'Afrique
francophone 22
Section 1 : Les effets du recours à l'arbitrage :
la sentence arbitrale 22
1. Les effets de l'arbitrage du CIRDI 22
a. L'effet obligatoire de la sentence 22
b. L'intervention exceptionnelle des parties après le
prononcé de la sentence 23
2. Les effets de l'arbitrage de la CNUDCI 24
3. Les effets de l'arbitrage prévu par le traité de
l'OHADA 25
Section 2 : Les limites du recours à l'arbitrage
dans les traités bilatéraux d'investissement 27
1. Les tentatives abusives ou frauduleuses d'exercice de la
compétence arbitrale dans les arbitrages
d'investissement : les limites liées au comportement des
investisseurs 27
a. Présentation du problème 27
b. Les pistes proposées pour dissuader les arbitrages
abusifs 29
2. Les limites liées au fonctionnement même de
l'arbitrage comme mode de règlement des différends 31
a. Un arbitrage rendu en faveur des investisseurs
étrangers 31
b. La mise en cause du contenu démocratique du
mécanisme d'arbitrage 32
CONCLUSION 33
BIBLIOGRAPHIE 35