John rawls et la question de la justice: une lecture de theorie de la justice( Télécharger le fichier original )par Israel Jacob Barouk MEKOUL Université de Yaoundé I Ecole normale superieure de Yaoundé - DIPES II 2014 |
CHAPITRE VI : LA PERTINENCE DES PRINCIPES RAWLSIENSDE LA JUSTICE Examiner la pertinence d'un principe, c'est se demander en quoi il est efficace. Rawls lui-même, désireux de léguer à la postérité, une philosophie politique pratique, soulignait déjà que, pour que la justice ait effet, il ne suffit pas que les acteurs se placent dans une situation équitable au départ ; il y faut ajouter, la coordination de leurs actions, la stabilité de celles-ci et des institutions devant les aménager et enfin, l'efficacité qui se rassure que les positions prises permettront de réaliser les buts fixés. Un tel programme relève finalement que, un discours est efficace lorsqu'il est visible sur le terrain par une prise de conscience des acteurs sociaux et par les résultats qui sont obtenus. Tout discours n'est valable que s'il apporte des changements notoires. Cette idée d'efficacité était déjà entretenue d'une façon diffuse et larvée par Socrate qui, se faisant le champion du dieu, soulignait qu'il avait reçu mandat de lui de transformer la vie de ses concitoyens, dusse-t-il mettre sa vie en danger209. Ainsi, le discours philosophique reste un « discours sur le quotidien210 » ; ce qui l'expose à la vérification de son efficacité, de son impact dans l'évolution et le changement des moeurs des individus. A travers la politique de l'équilibre régional, illustrée dans le cas de l'Ecole Normale Supérieure de Maroua en 2008, c'est la traduction de l'intérêt porté à la réalisation de la justice sociale. Ce qui justifie l'efficacité du principe de juste égalité des chances. En effet, la politique d'équilibre régional traduit l'idée de facilitation d'accès à la fonction publique des catégories sociales supposées les plus défavorisées. Cet intérêt pour les couches défavorisées, justifiant l'efficacité du principe de la juste égalité des chances peut être observée sur la réduction des inégalités sociales. Il restera alors de relever les efforts qu'il reste à fournir. 97 209 Platon, Apologie de Socrate, Flammarion, section XVII. 210 Emprunt fait à l'ouvrage d'Ebénezer Njoh-Mouellé. 98 1. L'APPRECIATION DES RESULTATS SUR LE TERRAIN L'efficacité justement du principe de juste égalité des chances est visible dans le souci des politiques de rétablir des conditions justes d'accès aux positions sociales, en neutralisant les différences d'origine sociale, religieuses ou ethniques. Pour mieux le comprendre, nous allons examiner la juste égalité des chances qui se manifeste dans l'accès aux concours administratifs et les résultats sur le terrain. 1.1. : LA JUSTE EGALITE DES CHANCES ET L'ACCES AUX
CONCOURS Si nous combinons les deux volets du principe, à savoir la juste égalité des chances et la priorité aux moins représentatifs dans les concours administratifs, cela conduit à donner plus de chances à ceux qui en ont le moins. Les motivations de l'équilibre régional ont été expliqué (chapitre cinquième). Il a été question de prendre en compte les retards observés dans l'accès des couches défavorisés aux emplois organisés par la fonction publique camerounaise. En effet, la notion de juste égalité des chances, part du constat que la structure de base dans tout le pays n'est pas organisée de la même manière. Ce retard structurel a donc un impact sur l'équilibre des forces représentatives au sein de l'administration. Ainsi, tenir compte des plus défavorisés ne relève plus de l'égalité mais de la juste égalité. Car, l'égalité en elle-même est contraire à des préférences dues au relèvement des couches fragiles. La juste égalité des chance permet ainsi de contourner cet handicap en ouvrant les concours administratifs et en octroyant un quota de préférence à ces zones dont le nombre d'autochtones ayant accédé à la fonction publique est faible. Le fait d'adopter la règle de l'équilibre régional et de lui donner une consécration permet de rendre compte de l'efficacité de la théorie de John Rawls. Ainsi, on augmente non seulement des fonctionnaires, mais on accentue la construction des infrastructures scolaires et sanitaires. Si on se réfère aux statistiques de l'Unicef, illustrant l'état de scolarisation dans l'éducation de base au Cameroun, on peut observer ceci :
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Source : http://www.unicef.org/french/infobycountry/cameroon statistics.html Ce tableau de l'UNICEF montre les écarts existant dans la fréquentation des classes en milieu urbain et rural. C'est face à un tel écart que les politiques s'organisent pour donner la possibilité aux populations vivant dans les zones reculées des moyens d'amélioration des conditions de vie (électricité, bitumage et reprofilage des routes), l'affectation des enseignants et leur dotation en matériel de travail. Cette politique garantit non seulement la stabilité des institutions, mais permet la paix sociale. L'adjonction juste égalité des chances et équilibre régional a sans doute un impact visible sur le terrain. Il nous revient de relever certains faits attestant encore de cette efficacité sur le terrain. 1.2. : D'AUTRES RESULTATS SUR LE TERRAIN A travers l'exemple de l'Ecole Normale Supérieure de Maroua, nous avons eu la preuve matérielle, de la pertinence des principes rawlsiens de la justice. Ainsi, l'amélioration des conditions de vie des populations et surtout des couches défavorisées peut être visible à travers de nombreuses réalisations. En effet, de nombreux domaines comme celui de la santé, de l'éducation connaissent des améliorations quantitatives et qualitatives. C'est ce qui ressort des chiffres donnés par le Président de la République, lors de son allocution à l'occasion de la célébration du Cinquantenaire de la Réunification à Buéa. « Construire la nation camerounaise, c'était permettre à chacun de recevoir une éducation assurant l'égalité des chances. Au moment de l'indépendance et de la réunification, c'est-à-dire, après soixante dix ans d'occupation étrangère, 3% des Camerounais étaient scolarisés ; il n'y avait pas une seule université. 100 Aujourd'hui, notre taux de scolarisation, selon l'UNICEF, est de 90%. Nous avons construit 15123 écoles primaires, 2413 collèges et lycées. Et aujourd'hui nous avons bâti huit universités d'Etat réparties à travers le territoire national. Construire la nation camerounaise, c'était donner à tous l'accès aux services de santé. Au moment de l'indépendance et de la réunification, on comptait au total 555 formations sanitaires. A ce jour, nous disposons de 2260 formations sanitaires publiques dont 4 hôpitaux généraux, 3 hôpitaux centraux, 14 hôpitaux régionaux, 164 hôpitaux de district, 155 centres médicaux d'arrondissement et 1920 centres de santé intégrés. Je note en passant que l'espérance de vie qui était de 40 ans en 1960 est passée à 52 ans actuellement. Construire la nation camerounaise, c'était désenclaver le pays et l'ouvrir vers l'extérieur. A l'indépendance et à la réunification, notre réseau routier comportait 621 km de voies bitumées. Aujourd'hui, le peuple camerounais dispose de 250 000 km de routes dont près de 5200 km bitumées, de 21 aéroports dont 4 internationaux, d'un port fluvial et de trois ports maritimes. Le port de Douala est le plus important de la CEMAC. » Ce qu'on retient de ce fragment du Discours de Buéa, c'est l'intérêt à l'amélioration des conditions de vie des populations. Cette amélioration passe par l'augmentation d'infrastructures basiques. L'effet induit, c'est la garantie du bien-être de l'homme. Ainsi, pour que la liberté s'exprime, pour que les citoyens puissent jouir de leurs droits et assumer leurs devoirs, le cadre de vie et les conditions d'existence sont nécessaires. Ils constituent même d'ailleurs la priorité. Les résultats présentés matérialisent les efforts des structures de bases à tenir compte des couches défavorisées. Comme on peut s'en rendre compte, c'est l'Etat qui a vocation à assurer la stabilité de ses institutions et la sécurité sociale. A la lecture de ces résultats, il ressort que, pour atteindre le stade de société bien ordonnée et décente211 dans l'entendement de John Rawls, des efforts doivent être fournis. Précisons néanmoins qu'une société bien ordonnée est un type de société qui favorise le bien de ses membres. Dans une telle société, tout le monde accepte les principes de la 211 Rawls exprime lorsqu'il définit l'idée normative de la décence: « un peuple décent doit honorer les lois de la paix; son système juridique doit respecter les droits de l'homme et imposer des devoirs et obligations à toutes les personnes se trouvant sur son territoire. Son système juridique doit se conformer à une idée de la justice visant le bien commun qui prenne en compte ce qu'elle tient pour les intérêts fondamentaux de toutes les personnes de la société...» John Rawls, Paix et démocratie, p. 76. 101 justice avec les institutions de base qui y satisfont. Dans l'esprit de Rawls, les Etats africains et certains Etats occidentaux ne constituent pas des sociétés ordonnées212. Elles ne font pas encore l'expérience du triptyque des sociétés démocratiques modernes : démocratie, droits de l'homme et état de droit. Même si de nombreux Etats africains ne peuvent pas encore rentrer dans la catégorie de société bien ordonnée, il reste que, pour le faire, ils doivent fournir des efforts. 212 Bipungu Victor-David MBUYI, « La multiculturalité de la Société des peuples : éthique et géopolitique d'une utopie réaliste. Le cas de l'Afrique », Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université de Montréal en vue de l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph. D.) en Philosophie, Février 2013 102 2 : LES EFFORTS QU'INSPIRENT LES PRINCIPES RAWLSIENS DE LA JUSTICE En fondant sa théorie politique, John Rawls voulait qu'elle remplace la doctrine utilitariste et toutes les formes de doctrine morale. Au chapitre V de notre mémoire, nous avons montré ce que les structures de base font pour tendre vers plus de justice sociale. Mais, la tâche étant inachevée, des défis s'imposent pour être relevés. C'est pour relever ces défis, que nous trouvons judicieux de souligner l'intérêt qu'il y a à s'approprier les principes rawlsiens de la justice, tout en dégageant les conditions d'intégration dans la société bien ordonnée. 2.1. : L'INTERET DES PRINCIPES DE LA JUSTICE DE JOHN RAWLS POUR INTEGRER LA SOCIETE DES PEUPLES Une société bien ordonnée est un type de société qui favorise le bien de ses membres. Dans une telle société, tout le monde accepte les principes de la justice avec les institutions de base qui y satisfont. Dans The Law of People, publié en 1993, Rawls relance son idée d'un nouvel universalisme, mais cette fois-ci un universalisme dit en portée, lequel tient compte de la diversité des peuples. D'où la distinction entre, d'une part, les sociétés libérales et celles hiérarchiques décentes, considérées comme des sociétés bien ordonnées, et d'autre part, les autres dites hors-la-loi, entravées et des absolutismes bienveillants. Mais seules les sociétés bien ordonnées, c'est-à-dire libérales et hiérarchiques décentes, constituent selon lui le cadre pertinent pour la coopération équitable entre peuples ou mieux pour former la Société des peuples. Elles sont les seules à être représentées dans la position originelle supérieure comme des membres égaux. C'est ce qu'il convient de traduire par l'expression « modélisation limitée de l'égalité », qui fonde la limitation de l'universalisme égalitaire de Rawls. 103 C'est pourquoi, nous estimons qu'il il y a un défi à sortir de la liste des « peuples non libéraux et non décents 213». Pour que cela soit dans l'ordre des possibilités, il faut intégrer certaines conditions. 2.2 : LES CONDITIONS D'INTEGRATION DANS LA « SOCIETE BIEN ORDONNEE » Le défi, nous venons de le voir, c'est de sortir de la liste des Etats « non décents ». Pour cela, il serait heureux d'instaurer une politique de protection sociale capable de créer un sentiment d'appartenance à une même entité nationale et ainsi participer à la consolidation de la croissance. En plus de ce qui a été fait, il faudrait : - Substituer au système actuel d'insertion sociale responsable du chômage endémique, une politique d'intégration pour permettre à tous les citoyens camerounais d'apporter leur contribution à l'oeuvre de construction nationale ; - Entreprendre le désenclavement de toutes les régions à travers le bitumage des routes pour faciliter les déplacements des camerounais particulièrement ceux des zones rurales, et l'écoulement de leurs produits vers les marchés des différentes centres urbains ; -Revaloriser le pouvoir d'achat des camerounais par le relèvement du SMIG actuel dont, le montant de 28 216 FCFA n'honore pas notre pays, et d'autre part rétablir les salaires des personnels civils de la Fonction Publique à leur niveau de novembre 1992 tout en prenant soin de les arrimer au coût réel de la vie ; - Etendre les infrastructures d'approvisionnement en eau et en électricité à toutes les localités du Cameroun, particulièrement dans les zones rurales ; -Engager la refondation du système éducatif camerounais en vue de son adaptation aussi bien aux réalités de notre environnement (aux grandes zones écologiques) qu'aux exigences et enjeux du monde moderne. Ce qui permettra de mettre définitivement fin au curieux phénomène de diplômés non qualifiés qui n'a cessé de compromettre les chances d'accès de nombreux jeunes à l'emploi. 213 Bipungu Victor-David MBUYI, op. cit., p. 16 104 Par ailleurs, grâce à la rationalisation de l'appareil de prélèvement fiscal (la majorité des niches fiscales dans tous les secteurs même non structurés alimentent le trésor public), l'Etat dispose désormais des bases et suffisamment de moyens pour l'élaboration et la promotion d'un système de sécurité sociale moderne pour tous les camerounais. Le système de sécurité sociale ainsi innové pourrait permettre à l'Etat de garantir à tous ses citoyens (les personnes du 3e âge, en situation de chômage ou en extrême précarité) la majorité des droits fondamentaux, de manière à assurer une redistribution équitable des fruits de la croissance. Ces efforts, qui devraient permettre à l' Etat d'occuper une place dans la liste des Etats rawlsiens, montrent que, les principes rawlsiens de la justice, certes critiquables, contribuent néanmoins à la responsabilisation des Etats et des structures de bases de faible ampleur ; et, c'est en cela que son apport à la postérité philosophique est indéniable. 105 |
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