UNIVERSITE DE GOMA
UNIGOM
B.P : 204 GOMA FACULTE DE DROIT
ANALYSE DE LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE PENALE DE
L'ETAT
Mémoire rédigé et défendu en
vue de l'obtention du diplôme de licence en Droit
Par : MIKITI M'PANDA henry
Option : Droit Public
Département
: Droit International et relations
Internationales
Directeur : Prof. IVON MINGASHANG
Encadreur: C.T. KASAY DALMOND
Année académique : 2012-
2013
[j]
EPIGRAPHE
Etre responsable c'est subir soi même les
conséquences des ses actes. Tour savoir dans quelle mesure on
crée des dommages à autrui, il faut préalablement que le
droit des uns et des autres ait été défini. C'est pourquoi
la responsabilité ne peut se définir indépendamment de la
propriété.
T. SALIN, Libre-échange et protectionnisme,
Taris, T.U.F., 1991, T.13.
[ii]
A toute la famille M'panda ainsi qu'à toute
celle des scientifiques du monde, nous dédions ce
travail.
[iii]
REMERCIEMENTS
Nous tenons à adresser nos remerciements
à tous ceux qui, directement ou indirectement, nous ont aidés
à accomplir ce travail. Nous remercions toute l''université de
Goma ainsi que tout son corps académique qui ont mis à notre
disposition un enseignement de qualité tout au long de notre formation.
Nos remerciements particuliers s'adressent au Professeur Ivon Mingashang qui a
accepté de diriger ce mémoire ; aussi, nous remercions le Chef
des travaux Xasay Dalmond qui nous a encadré tout au long de
l'élaboration de ce travail. Nos remerciements particuliers s'adressent
également à nos parents qui ont consenti d'énormes
sacrifices pour que nous puissions étudier dans des meuilleures
conditions, notre père, M'panda Ngoy, notre mère, Xahambu
Maximila, nos chers soeurs et frères ; Xyalu M'panda, Xisumbule Xamango
syntyche, Xyomba M'panda, Fatuma M'panda. Nous remercions également nos
oncles paternels, Joachin M'panda Mwimba et Albert Munganga ainsi que leurs
femmes respectives, Joséphine M'panda et Fatuma Munganga. Nous adressons
également nos sincères remerciements à nos deux beaux
frères, Bandu Mirimo et Fataki Séverin, qui nous ont
particulièrement assistés tout au long de l'élaboration de
ce travail. Nous remercions également notre oncle maternel, Cosmas
Xamango, qui nous a également assisté dans l'accomplissement de
cette oeuvre.
Nous ne saurons pas ne pas remercier et rendre un
hommage à tous nos amis et camarades de lutte, notamment Xakule
Bembeleza, Erick Xapakasi, Akwipato Bazakwena, Benjamin Musemakweli, Mulamba
Lubungu, Mema Cimanuka, Ange Mulirirwa, Alain Musavuli ainsi que tous ceux qui,
à un titre ou un autre, ont contribué à la
réalisation de cet oeuvre.
MIXITI M'PANDA henry
[iv]
SIGLES ET ABREVIATION
A.F.D.I. : Annuaire Français de Droit
International
A.G.N.U.: Assemblée Générale des
Nations-Unies
A.J.I.L.: American Journal International Law
A.P.D. : Archives de Philosophie du Droit
Add. : Addenda
Aff. : Affaire
B.P. : Boite Postale
C.D.I. : Commission du Droit International
C.d.s. : Conseil de sécurité
C.I.J. : Cour Internationale de Justice
C.P.I. : Cour Pénale Internationale
C.P.J.I. : Cour Permanente de Justice Internationale
C.T. : Chef des Travaux
E.J.I.L.: European Journal of International Law
I.C.L.Q. : International and Comparative Law Quarterly
I.D.I.: Institut de Droit International
L.G.D.J. : Librairie Générale de Droit et des
Jurisprudences
Loc.cit : Article déjà cité
N.I.C.L.A.: New International Criminal Law-thesaures
Acroasium
N° : Numéro
O.N.U. : Organisation des Nations Unies
Op.cit. : Ouvragé déjà cité
P. : Page
Prof. : Professeur
R.B.D.I. : Revue Belge de Droit International
R.C.A.D.I. : Recueil des Cours de l'Académie de Droit
International de la Haye
[v]
R.G.D.I.P. : Revue générale de droit
international public
R.S.D.I.E. : Revue Suisse de Droit International et de Droit
européen
Réc. : Recueil
S.D.N. : Société des Nations
T.P.I.Y. : Tribunal International Pénal pour
l'ex-Yougoslavie
U.L.B.: Université Libre de Bruxelles
Vol. : Volume
[1]
INTRODUCTION
La question de la responsabilité est au coeur de tout
système juridique. En droit international, elle constitue un des
thèmes les plus importants et les plus débattus1. Une
question dans une autre est celle de l'existence, en droit international, d'une
responsabilité pénale des Etats. En effet, en droit
international, on a toujours débattu sur l'existence des faits illicites
des Etats qui seraient à classer dans une catégorie
différente de celle où sont classés tous les autres faits
internationalement illicites, faits qui ont été
dénommés « crimes internationaux des Etats
»2.
Voilà qui nous amène à nous interroger
aussi, en partant de cette notion de crime de l'Etat, sur la
pénalisation de la responsabilité de l'Etat dans l'ordre
juridique international.
L'analyse que nous entreprenons sur la responsabilité
internationale des Etats particulièrement sur la responsabilité
pénale n'est pas première, des nombreux développements ont
été réalisés tant dans la doctrine que dans la
jurisprudence mais aussi dans l'oeuvre de la codification de la C.D.I.
En effet la C.D.I. a eu, dans le cadre des ses travaux sur la
responsabilité internationale d'un Etat pour fait illicite, à
développer la question des crimes internationaux de l'Etat3
et de la responsabilité de l'Etat pour violation des règles du
jus cogens4. La question de la responsabilité internationale
pénale, en ce qui concerne l'imputabilité des faits illicites
à l'Etat, a également déjà fait l'objet des
développements importants, dans la jurisprudence, notamment par la Cour
Internationale de Justice et a amené à des divergences avec le
Tribunal International Pénal pour l'ex Yougoslavie, preuve de la
fragmentation du droit international à ce sujet5. Par
ailleurs, une importante doctrine s'est, depuis l'adoption du fameux article 19
qui introduit la notion des crimes internationaux de l'Etat dans le Projet en
première lecture et de l'article 40 qui introduit celle de
responsabilité pour violation d'une règle de jus cogens
1 O. QUIRICO, Réflexions sur le
système du droit international pénal : la responsabilité
« pénale »des Etats et des autres personnes morales par
rapport à celle des personnes physiques en droit international,
Thèse, Toulouse1, 2005, p1.
2PELLET, A., « vive le crime ! Remarques sur
les degrés de l'illicite en droit international », in C.D.I., le
droit international à l'aube du 19e
siècle-Réflexions des codificateurs, Nations Unies, New York,
1997, pp. 287-315
3 Art. 19 du projet d'article sur la
responsabilité des Etats adopté en première et
deuxième lecture in Ann. C.D.I 1976, p306.
4 J. CRAWFORD, Les articles de la C.D.I.sur la
responsabilité de l'Etat, Pédone, Paris, 2003, p.83.
5 CONFORTI, B., « unité et fragmentation
du droit international : glissez, mortels, n'appuyez pas ! »in
R.G.D.I.P., 2007, pp.5-18.
[2]
dans le projet final, s'est développée, opposant
farouchement les tenants de la pénalisation du droit international
à ceux qui contestent cette thèse.6
En fait tout système juridique suppose que ses sujets
engagent leur responsabilité lorsqu'ils commettent des actes
répréhensibles ou qui portent atteinte aux intérêts
des autres membres du groupe. En effet comme l'a observé le professeur
P. REUTEUR « la responsabilité est au coeur du droit
»7. Dans le système international elle constitue
une partie essentielle de ce que l'on pourrait considérer comme
constitution de la communauté internationale8. En
fait comme l'a bien dit la C.I.J., la responsabilité est le «
corolaire important du droit »9. Dans l'ordre
juridique international caractérisé par l'égalité
souveraine des Etats, elle apparait comme le mécanisme régulateur
essentiel et nécessaire des rapports mutuels des sujets du droit
international. Le principe selon lequel tout comportement d'un Etat contraire
au droit international entraine sa responsabilité n'a pas besoin
d'être justifié ou déduit des autres principes, car «
il est expressément reconnu ou du moins clairement
présupposé par une pratique unanime ».10Elle
est une conséquence de l'existence d'un droit international et constitue
la matrice de ce qu'il convient d'appeler la « communauté
internationale ».
Comme on l'a déjà évoqué, la
responsabilité est l'un des thèmes les plus importants et ayant
été à l'origine des vives polémiques entre la
doctrine du droit international ; celle-ci a emmené la C.D.I. à
se pencher sur la question dans le cadre de ses travaux à partir des
années 50 et cela pour essayer de réaliser une théorie
générale du droit de la responsabilité internationale. Un
débat dans un autre, comme le dit QUIRICO, est celle de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat11A
l'origine de ce grand débat, qualifié de saga juridique
par A. PELLET12, il y a l'adoption en 1976 par la C.D.I.,dans
le cadre de ses travaux sur l'élaboration d'un projet d'articles sur la
responsabilité des Etats, du projet
6 Parmi les grands tenant de la pénalisation
nous avons notamment A. PELLET, « la responsabilité de l'Etat pour
la commission d'une infraction internationale », in H. ASCENSIO, E. DECAUX
et A. PELLET « dir. », Droit international pénal,
Pédone, Paris, 2012, pp. 607-630.Parmi les anti pénalistes nous
avons RONSENSTOCK, R., « An international criminal Responsability of
states ? » in EJIL, 1998 No 1,pp. 265-385, nous avons aussi BOWET,
D., « crimes of states and the 1996 report of the international Law
commission on state Responsibility »,in E.J.I.L.,1998 No1, pp. 163-173.
7REUTEUR, P., « trois observations sur la
codification de la responsabilité internationale des Etats pour fait
illicite », in le droit international au service de la paix, de la
justice et du développement, Mélanges Michel virally, Paris,
Pédone, 1991, p. 390.
8 Idem, p.391.
99 C.I.J., Affaire de la Barcelona traction, light
and power company, limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase,
arrêt du 5 Février 1970, Rec.1970, p.34.
10 .R. AGO, Troisième rapport sur la
responsabilité des Etats, C.D.I., 1971, Vol2, 1ère
partie, p 216.
11 O. QUIRICO, op. cit., p.17.
12 PELLET, A., loc. cit. , note 2, p3.
[3]
d'article 19 établissant une distinction entre deux
catégories de faits illicites des Etats eu égard à l'objet
de l'obligation violée13. Cet article qui sera au coeur des
vives polémiques va disparaitre dans la version finale adoptée en
2001, du moins dans ses énoncées, car toute sa substance va
être malignement conservée notamment par l'article 40 de la
version finale qui institue la responsabilité pour violation des
règles du jus cogens14. Ainsi comme l'a bien dit le
professeur A. PELLET « Vive le crime, l'existence de feu crime
international de l'Etat, qui, tel le phoenix, est né à nouveau
des cendres où l'on voulait l'enterrer »15. Et donc
le Projet, en particulier, et le droit international, en général,
continuent d'être hantés par le fantôme du crime. Il n'est
donc pas juridiquement admissible, il s'avère même logiquement
inacceptable, partant moralement insoutenable qu'on insinue qu'un débat
sur la responsabilité pénale de l'Etat dans l'ordre juridique
international est soit sans effet soit déjà tranché.
En effet l'article 19 consacré dans le projet de 1976,
reconduit en 1996 en première lecture lors de l'adoption de l'ensemble
du projet, et son succédant l'article 40, retenu dans le projet final de
2001, vont principalement focaliser nos analyses pour essayer de
répondre à la question de l'établissement ou non du
principe de la responsabilité pénale des Etats dans l'ordre
juridique international.
En fait, calé sur l'adage « societas
delinquere non potest », le droit international considérait
que la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée que
pour réparer un préjudice, cette vision, qu'on qualifierait de
civiliste16, n'est plus en vigueur depuis la fameuse «
révolution agoenne ou agoiste »17-
c'est-à-dire la mutation fondamentale que la commission a fait subir
à la notion traditionelle de la responsabilité de l'Etat sous
l'impulsion de R. AGO. En effet avant cette révolution le dommage
constitué le point focal de la responsabilité en droit
international. Tel n'est plus le cas depuis la nomination de R. AGO comme
rapporteur spécial de la C.D.I.en 1961 sur la question de la
responsabilité. Du coup en écartant le préjudice comme
fait générateur de la responsabilité de l'Etat, R. AGO et
la C.D.I. ont ouvert des brèches pour une responsabilité des
Etats du type pénal dans l'ordre juridique international. Cependant
cette innovation, qualifiée par L. HENNEBEL et H. TIGROUDJA
13 PELLET, A., loc. cit. , note 2, p4.
14 J. CRAWFORD, op. Cit. p.83.
15 PELLET, A., « le crime international de
l'Etat-un phoenix juridique », in the New international criminal
Law-thesaures Acroasium, 2011.International Law session.
16 A. PELLET, op. Cit. , note6, p1.
17 Idem, p. 2.
[4]
de la criminalisation du droit international de la
responsabilité des Etats18,bien qu'ayant des tendances
à la pénalisation du droit international, éprouverait
beaucoup des difficultés pour s'affirmer comme telle dans le droit
international suite à l'absence d'une hiérarchie
structurée. Toutefois l'émergence du concept de jus cogens
c'est-à-dire d'obligations erga omnes absolue- indivisibles-impliquant
la constitution d'un ordre public international, pourrait permettre
l'évolution du droit international de la responsabilité dans le
sens pénal19. En effet, Selon QUIRICO, «si en
raison de la nature volontariste et horizontale du droit international, on ne
saurait parler d'un droit pénal de l'ordre juridique international,
alors, plus radicalement, on ne pourrait même pas parler d'un droit
international public étant donné que le droit public nait, de
façon unilatérale, de l'autorité supérieure
»20. Il est donc clair que si en raison du volontarisme
qui caractérise le droit international on ne saurait parler d'un droit
pénal de responsabilité internationale, en raison de
l'objectivisme, par contre, on tenterait d'envisager une telle
hypothèse; en effet la notion de crime international de l'Etat ou son
succédant, la responsabilité pour violation du jus cogens
consacrant la notion de communauté internationale pourraient
emmener celle-ci à sévir, au nom de toute la communauté,
ses membres fautifs , comme le ferait, dans l'ordre juridique interne, l'Etat
au nom de la communauté nationale.
Notre point essentiel est l'analyse du sens que renferment le
mot crime et son succédant, la responsabilité pour violation des
règles impératives du droit international ; pourraient- ils
induire une quelconque pénalisation du droit international ? Cependant
nous devons maintenir à l'esprit que criminalisation ne signifie pas
forcément pénalisation, car pour passer de la première
à la seconde il faut l'existence d'un système plus ou moins
cohérent, c'est-à-dire qu'il faut des crimes bien établis
d'avance comme le fait l'article 19 bien que maladroitement, nullum crimen
sine lege21, des peines bien définies
préalablement, nulla poena sine lege et l'existence d'une
procédure claire, connue d'avance et équitable, nulla
judicium sine lege.
On remarquera, eu égard à ce qui
précède, qu'une notion de la responsabilité internationale
pénale de l'Etat, dans l'hypothèse où elle serait
envisageable, serait en elle-même contentieuse et devrait répondre
à des importantes questions systémiques qui se
18 L. HENNEBEL et H. TIGROUDJA, le
particularisme interaméricain des droit de l'homme : en l'honneur du
40eme anniversaire de la convention américaine des droits de
l'homme, Pédone, Paris, 2009, P.22.
19 O. QUIRICO, op. cit., p.17.
20 Idem, p.18.
21 A., PELLET, op. cit., note6, p7.
[5]
poseraient autour de son éventuelle
consécration. Notons que, tout au long de ce travail, nous essayerons de
répondre à quelques unes d'entre elles, notamment :
A) Quel est le sens de la criminalisation de la
responsabilité de l'Etat ou de la responsabilité pour violation
des règles du jus cogens par l'Etat consacrée par la C.D.I. dans
l'avant projet de 1976 repris dans celui de 1996 et synthétisé
dans le projet final de 2001?
B) Quel serait le régime juridique de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat, dans
l'hypothèse où elle serait envisageable, partant de la notion de
crime international de l'Etat ou de la violation d'une règle du jus
cogens ?
Voilà les grandes problématiques, bien sur avec
d'autres sous questions, qui retiendrons notre attention tout au long de cette
analyse.
Répondre provisoirement à des questions, aussi
fondamentales, dans une problématique de la responsabilité
pénale de l'Etat sur le plan international, que celles que nous nous
sommes ci-haut posées nous parait particulièrement
périlleux compte tenu, comme on l'a dit, du caractère
décentralisé et intersubjectif du droit international, ne
permettant pas d'envisager une quelconque responsabilité internationale
des Etats sur le plan pénal. Toutefois, suite à
l'émergence du concept de jus cogens, une évolution dans ce sens
serait possible. Ainsi pour répondre à la première
question de savoir quel est le sens du mot crime retenu dans le projet de 1976,
repris dans celui de 1996 et celui de la responsabilité pour violation
des règles du jus cogens dans le projet final de 2001 de la C.D.I. ; on
peut dire d'entrée de jeu que le terme crime international tirerait sa
matrice de l'émergence de la théorie du jus cogens. En effet ces
deux institutions seraient la consécration d'un autre degré, plus
grave ou lourde, de responsabilité internationale, degré
consacré notamment par les paragraphes 2 et 4 de l'article 19 de l'avant
projet de 1976, repris dans le Projet de 1996 et par l'article 40 adopté
dans le projet final, en dehors de la responsabilité minime pour
délit ; selon une certaine doctrine il ne s'agirait pas d'une
différence de degré mais bien d'une différence de
nature22. Par leur nature même, les délits mettraient
en cause les seuls intérêts des Etats concernés, alors que
les crimes toucheraient l'ensemble de la communauté internationale. A la
question de savoir quel est le régime juridique de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat partant de la
notion de crime international étatique ; pour répondre à
cette question, on tentera d'étudier la structure tant matérielle
que formelle de la notion du crime international
22PELLET, A., «can a state comit a crime
?Definitely yes» in E.J.I.L. n° 10, 1999,P.427.
[6]
de l'Etat ou de son succédant, violation de
l'obligation du jus cogens. En effet du point de vue matériel l'Etat
engagerait sa responsabilité internationale pour crimes
c'est-à-dire pour violation d'une obligation lui incombant envers toute
la communauté internationale dans son ensemble notamment pour agression,
atteinte à l'environnement, etc., obligations retenus par le projet
d'article 19 que la notion d'obligation du jus cogens synthétise dans
l'article 40 du projet final. Du point de vue formel, l'Etat encourait des
sanctions suis generis notamment les contre mesures sur base d'une
procédure bien établie et encadrée dans le projet de la
C.D.I.
Notre analyse s'appui sur une assise méthodologique
bien définie. En effet dans le cadre de ce travail nous allons nous
servir de la théorie analytique du droit23 couplée
à une approche objective du droit international24 .La
théorie du droit nous permettra de déterminer la place du
principe de responsabilité internationale pénale étatique
dans l'ordre juridique international, nous nous focaliserons pour ce faire sur
la notion du crime international et celle de la violation des règles du
jus cogens. L'approche objective quant à elle, nous permettra de
comprendre la notion du jus cogens et celle de communauté
internationale, matrice de la notion du crime international de l'Etat, dans un
droit international dominé par des tendances volontaristes.
L'analyse que nous entreprenons sur la question de
responsabilité
internationale pénale des Etats n'est pas sans
intérêt, en effet elle comporte un double intérêt, un
intérêt pratique et intérêt scientifique. Sur le plan
scientifique, la question de la responsabilisation de l'Etat, sujet principal
du droit international, surtout sur le plan pénal est d'un
intérêt scientifique, pédagogique crucial car, depuis
très longtemps, elle a fait couler beaucoup d'encres et des salives,
déchirant les internationalistes entre les pro et les anti
pénalistes du droit international ; et donc aussi petite que soit la
pierre apportée par cette analyse à l'édifice-droit
international de la responsabilité internationale pénale de
l'Etat-elle constitue une base des données importante pour tout
chercheur, tout étudiant ou praticien du droit s'intéressant
à la question de la pénalisation de la responsabilité des
Etats. Sur le plan pratique cette analyse n'en demeure pas moins
intéressante. En effet la scène internationale connait des
grandes turbulences, des graves violations des droits de l'homme se commettent
à large échelle à la charge des Etats ; donc il est
important de pouvoir clarifier une telle notion pour emmener chaque Etat
à être conséquent par rapport à ses agissements sur
la scène international, de sorte que lorsque des violations se
commettrons que l'on sache en quoi s'en
23 O. CORTEN, Méthodologie du droit
international public, Bruxelles, Ed. De U.L.B, 2009, p28.
24 Idem, p.48.
[7]
tenir tant pour indemniser les éventuelles victimes que
pour tirer toute les conséquences sur le plan juridictionnel d'une telle
responsabilité.
Néanmoins, on ne saurait pas au cours d'une
étude comme celle-ci, prétendre appréhender toutes les
thématiques relatives à la question de la pénalisation du
droit international. C'est ainsi que notre travail sera focalisé
exclusivement sur la responsabilité internationale pénale de
l'Etat pour fait illicite tout en ne négligeant pas les interactions
possibles que ce type de responsabilité pourrait avoir avec d'autres
types de responsabilité notamment la responsabilité
internationale pénale individuelle et la responsabilité
internationale pénale des Organisations internationales. Notre analyse,
par contre, s'appuie sur les règles primaires et les règles
secondaires du droit international, Nos matériaux ce sont les travaux de
la C.D.I. notamment l'avant projet de 1996 et le projet final de 2001 mais
aussi les différents rapports publié dans l'Annuaire de la C.D.I.
par les rapporteurs qui se sont succédés sur cette question.
Ainsi notre analyse sera articulée autour de deux
grands chapitres, subdivisés chacun en deux sections. En effet le
premier chapitre, intitulé le crime de l'Etat dans le Projet de la
C.D.I. : une consécration de la responsabilité internationale
pénale de l'Etat ?, essaye de dégager le sens que la C.D.I.
attendait accorder au mot crime ou à la violation de l'obligation de
règles de jus cogens et voir, en analysant les conséquences du
crime, si une telle signification pourrait induire une quelconque
responsabilité pénale. Dans le second chapitre,
intitulé le régime juridique de la responsabilité
internationale pénale de l'Etat partant de la théorie du crime
international, nous essayons, en analysant la structure de l'infraction de
l'Etat c'est-à-dire le crime ou la violation d'une règle du jus
cogens, de répondre à la question des faits infractionnels qu'on
peut imputer à l'Etat et cela en partant de l'article 19, nous analysons
aussi la question de la procédure et de la sanction dans le cadre de la
responsabilité internationale.
[8]
CHAPITRE I : LE CRIME DE L'ETAT DANS LE
PROJET DE LA C.D.I. : une consécration de la
responsabilité internationale pénale de l'Etat?
La responsabilité internationale est l'un des chapitres
les plus importants et les plus débattus en droit international. Elle a
notamment fait l'objet des développements importants par la C.D.I. dans
le cadre de ses travaux sur l'élaboration d'un projet d'articles sur la
responsabilité internationale de l'Etat. Celle-ci a, dans le cadre de
son projet adopté en première lecture en 1976 et sous l'impulsion
de son rapporteur spécial sur la question de la responsabilité-
R. AGO, consacré à travers son projet d'article 19 la «
responsabilité internationale de l'Etat pour crime
»(SECTION1), article qui a, du reste, été maintenu
jusque dans l'adoption du projet complet en première lecture en 1996.
Ayant été à la base d'une vive polémique non
seulement entre les Etats mais aussi dans la doctrine internationale, la C.D.I.
a jugé mieux d'abandonner cet article au nom de la cohésion
internationale, du moins dans sa terminologie, car sa substance avait
été malignement conservée notamment par l'article 40 du
projet final. Il est évident que cette consécration du crime
international ; bien que n'ayant pas été retenue, du moins dans
sa terminologie parce que la réalité qu'elle désignait est
bel et bien là, établit une importante distinction en droit
international entre les catégories des faits internationalement
illicites et par ricochet deux régimes juridiques distincts de
responsabilité en droit international et qui engendrent chacun des
conséquences propres(SECTION2), l'une qualifiée de mineur ou
d'ordinaire et l'autre pour crime, qualifié d'aggravée par
l'article 40 du projet final.
SECTION I : LA RESPONSABILITE INTERNATIONALE DE L'ETAT
POUR CRIME DANS LE PROJET DE LA C.D.I.
Nommé comme rapporteur spécial de la C.D.I. sur
la question de la responsabilité des Etats après le cubain F. V.
GARCIA AMADOR qui montrait déjà ses limites dans la direction
d'un projet aussi ambitieux comme celui sur la responsabilité
internationale de l'Etat, l'italien R. AGO qui était un esprit
supérieurement subtil va complètement bouleverser toute
l'approche du droit de la responsabilité internationale surtout en
innovant avec un nouveau paradigme de la définition de la
responsabilité internationale(§1), celui-ci va être à
la base des premières tendances pénalistes dans un droit qui
était, jusque là, d'essence civiliste25 et qui
aboutira à la consécration d'un double degré de
25 PELLET, A., loc.cit., note15, p.
322.
[9]
responsabilité en droit international( §2) l'un
qualifié de grave ou criminelle, et l'autre de mineur ou d'ordinaire.
§ 1 Nouvelle approche définitionnelle de la
responsabilité international de l'Etat : la perspective
pénaliste
Il nous parait particulièrement important que pour
comprendre la notion même
de crime international de l'Etat ou celle équivalent-
le changement n'est que de nom-de « violations graves d'une obligation
découlant d'une norme impérative du droit international
général »26, il faut se faire une idée
plus ou moins claire du système général de la
responsabilité internationale c'est-à-dire de sa
définition. Or celle-ci est sortie transformée de fond en comble
des travaux de la C.D.I. à la suite de ce qu'il n'est sans doute pas
exagéré d'appeler « révolution agoiste
»27.
Monsieur AGO et la C.D.I. ne fondent plus la question de la
responsabilité sur la réparation d'un quelconque dommage,
autrefois élément fondamental de la responsabilité, mais
plutôt sur un manquement à une obligation internationale.
§1.1 L'évacuation du dommage du champ de
la responsabilité internationale de l'Etat
Dans une conception classique du droit international, la
responsabilité consiste
dans une obligation de réparer le dommage28.
Ce dernier y tient une place importante. Il est l'une des conditions
d'engagement de la responsabilité à coté de la violation
par l'Etat d'une obligation lui incombant en vertu du droit international et du
lien de causalité entre le fait illicite et le
préjudice29. Sans le dommage il serrait, dans une conception
classique, impensable d'envisager une quelconque responsabilité de
l'Etat. Ceci n'est plus la réalité avec R. AGO qui
révolutionne fondamentalement la conception de la responsabilité
internationale toue entière. Désormais la responsabilité
ne saurait être réduite seulement à la réparation.
Pour Ago la conception traditionelle, qu'il récuse d'ailleurs s'oppose
à deux autres conceptions. L'une qu'il attribue à KELSEN et qui
consisterait à réduire la responsabilité non plus à
la réparation mais à la sanction, et l'autre, la sienne, qu'il
qualifie de médiane et qui consiste à additionner les
conséquences réparatrices et punitives de la
responsabilité30. Cette inclusion
26 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p9.
27 Ibidem.
28 J. CAMBACAU in J. CAMBACAU et S. SUK, Droit
international public, Domat-Monthchrétien, Paris, 1999, p.521.
29 DEHEMSS, J., « Chronique», in
A.F.D.I., 1985, p. 604.
30 AGO, R., « Le délit international
», inR.C.A.D.I, 1939.II, vol. 68,
pp.415-554(reproduit dans Roberto Ago, scritti Sulla responsabilita
internationale deli stati, Jovene, Publicazioni delle Facoltà di
Giurisprudenza, della università di Camerino, 1979, vol. I,
pp.141-269).
[10]
de la punition dans le droit de la responsabilité de
l'Etat constitue une grande innovation et va permettre les
développements qui conduiront à la consécration du crime
international.
En effet la révolution conceptuelle proposée par
AGO apparait dès le célèbre article premier du projet en
première lecture de 1976, article qui a été maintenu
jusque dans la version finale. Cet article dispose que : « tout fait
internationalement illicite de l'Etat engage sa responsabilité
internationale ».31Tout est clair, le dommage qui
était au coeur de l'analyse traditionelle de la responsabilité
est complètement évacué comme fait
générateur. Du coup, à travers cette nouvelle approche, se
trouve consacrée l'idée selon laquelle le droit international
n'est guère un réseau des normes intersubjectives
destinées d'abord, sinon exclusivement, à protéger la
coexistence des Etats dans leurs intérêt communs.32 On
peut envisager que cette idée est dans l'optique de
l'établissement d'une communauté internationale qui contrairement
à l'approche traditionelle, exclusivement, comme le dit le professeur
PELLET, « souverainiste », elle tient compte des affleurements du
« communautarisme » dans la sphère du droit international,
aussi modestes et timides que ceux-ci demeurent33. On ne saurait
douter qu'une telle approche contient des germes d'une pénalisation dans
l'ordre juridique international. Désormais, comme sur le plan interne
où l'Etat réprime toutes les infractions au nom de la
communauté, la communauté internationale peut, à
son tour aussi, sanctionner des manquements qu'elle considère comme
touchant à ses intérêts les plus fondamentaux.
Bien que contestée par certains Etats et par une
certaine doctrine qui continuaient à soutenir la thèse du dommage
comme fait générateur de la responsabilité et qui
comptaient rédiger un contre projet, la C.D.I. a tenu contre vents et
marées à l'exclusion du dommage dans le champ d'engagement de la
responsabilité, ce qui constituait sa grande innovation, si non celle de
tout le droit international.
Pour justifier l'exclusion du dommage, la C.D.I. donne
l'exemple des traités relatifs aux droits de l'homme et des conventions
internationales du travail en faisant valoir non sans raison que leur violation
n'entrainaient en général aucun préjudice
économique ni même moral pour les autres Etats parties mais
n'engageaient pas moins la responsabilité de
31 C.D.I., Comptes rendus analytiques de la Vingt
huitième session Ann. C.D.I. 1971, Vol II, 1ère
Partie, P. 213, par.19.
32 CAMBACAU, J., « Le droit international, bric
à brac ou système ? » in A.P.D., 1986,
pp.85-105.
33 A. PELLET., La codification du droit de la
responsabilité internationale : Tâtonnements et affrontements,
in L. BOISSON DES CHAZOURNES et V. GOWLLAND-DEBBAS « dir »,
L'ordre juridique international, un système en quête
d'équité et d'universalité, Liber Amicorum Georges
Abi-saad, la Haye, 2001, p. 287.
[11]
leurs auteurs34. Désormais seul le fait
internationalement illicite peut engager la responsabilité de l'Etat. On
retrouve le même écho sur le plan jurisprudentiel ; en
l'occurrence la C.P.J.I. a, dans plusieurs affaires, eu à appliquer le
principe énoncé à l'article premier du Projet de la C.D.I.
sur la responsabilité des Etats35. La C.I.J. a elle aussi,
à diverses reprises, fait application du même principe, dans
l'affaire du détroit de Corfou36 , celle des activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci37, et
dans celle du projet Gabcikovo-Nagymaros38. Par ailleurs, la C.I.J.
a également fait mention de ce principe dans plusieurs de ses avis
consultatifs, notamment celui sur la réparation des dommages subis aux
services des Nations Unies39 et celui sur l'interprétation
des traités de paix conclus avec la Bulgarie, Hongrie et la
Roumanie(deuxième phase)40. Dans plusieurs affaires, des
tribunaux arbitraux ont, eux aussi, appliqué le principe de la
responsabilité objective en exclusion du dommage41.
Bref il ressort clairement de la pratique des Etats et de la
jurisprudence internationale que le dommage ne pourrait plus être pris en
compte dans l'établissement de la responsabilité sur le plan
international. Seul le fait internationalement illicite et seulement lui peut
engendrer une responsabilité de l'Etat qui en est l'auteur. Il reste
maintenant qu'il faut déterminer quels sont les éléments
constitutifs d'un fait internationalement illicite de l'Etat
c'est-à-dire les conditions qui sont nécessaires pour
l'engagement de la responsabilité de l'Etat.
34C.D.I., Rapport aux vingt- cinquième
sessions, A/CN.4/480/Add. 4, pp. 8-11, pars. 116-121.
35C.P.J.I., Aff. Des phosphates du Maroc,
Italie/France, exceptions préliminaires, 1938, Série A/B n°
74, p.28, V. aussi C.PJ.I., Aff. Vapeur Wimbledon, Grande Brétagne,
France, Italie, Japon/ Pologne/ Pologne, 1923, Série A n° 1, p. 30
; v aussi C.P.J.I., Aff. Usine de Chorzów, Allemagne/Pologne,
compétence, 1928, Série A n°9, p.21.
36 C.IJ. Détroit de Corfou, fond, (Royaume uni
c. Albanie)., Recueil 1949,p.23.
37 C.I.J., Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats unis
d'Amérique), fond, Recueil 1986, p.142, par.283 ; p149, par.292.
38 C.I.J., Projet Gabcikovo-Nagymaros
(Hongrie/Slovaquie),. Recueil 1997, p.38, par.47.
39 C.I.J., Réparation des dommages subis aux
services des Nations Unies, avis consultatif, Recueil 1949, p.184.
40C.I.J., Interprétation des traités de paix conclus
avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis
consultatif, Recueil 1950, p.221.
41Nations Unies, Rainbow Warrior
(Nouvelle-Zélande/France), Recueil des sentences arbitrales, Vol. xx,
p.217(1990).
[12]
§1.2. Les conditions d'engagement de la
responsabilité internationale : Eléments constitutifs du fait
internationalement illicite
L'article 2 du Projet de la C.D.I. sur la
responsabilité des Etats est assez clair quant à ce qui concerne
les conditions requises pour engager la responsabilité de l'Etat sur le
plan international. Cet article énonce deux éléments
constitutifs du fait internationalement illicite, celui-ci étant
considéré comme seule condition pour engager la
responsabilité de l'Etat sur le plan international, il s'agit :
premièrement, le comportement en question doit être
attribuable à l'Etat d'après le droit international,
deuxièmement , pour qu'une responsabilité naisse du fait de
l'Etat, ce comportement doit constituer une violation d'une obligation
juridique internationale qui était alors à charge de
l'Etat42. On a que deux conditions et seulement deux et qui
sont cumulatives pour pouvoir engager la responsabilité de l'Etat dans
l'ordre juridique international. La C.P.J.I. a, notamment dans l'affaire des
phosphates du Maroc, estimé que « la naissance d'une
responsabilité internationale est conditionnée à
l'existence d'un acte imputable à l'Etat et décrit comme
contraire aux droits conventionnels d'un autre Etat »43 .
Pour la C.I.J., qui s'est également référée
plusieurs fois à ces deux éléments pour établir la
responsabilité, notamment dans l'affaire relative au personnel
diplomatique et consulaire des Etats Unis à Téhéran
où elle souligne « que pour établir la
responsabilité de l'Iran tout d'abord elle doit déterminer dans
quelle mesure les comportements en question peuvent être
considérés comme juridiquement imputables à l'Etat.
Ensuite, elle doit rechercher s'ils sont compatibles ou non avec les
obligations incombant à l'Iran en vertu des traités en vigueur ou
de toute autre règle de droit international éventuellement
applicable ». Dans l'affaire du génocide, la Cour constate
dans un premier temps que « les massacres commis dans la région
de Srebrenica étaient constitutifs du crime de génocide au sens
de la convention de 1948 puis, en vue de rechercher si la responsabilité
internationale de la Serbie était susceptible d'être
engagée en liaison avec ces faits, elle s'est demandé en
outre « si les actes de génocide commis pourraient être
attribués au défendeur en application des règles du droit
international coutumier de la responsabilité internationale des Etats,
en précisant que cela revient à se demander si ces actes ont
été commis par des personnes ou des organes dont le comportement
est attribuable à l'Etat défendeur »44.
Dans
42 J. CRAWFORD, op. cit., p.75.
43 C.P.J.I., Aff. Phosphates du Maroc, op.cit.,
p.10.
44 C.I.J., arrêt, 26 Février 2007,
Application de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c.
Serbie-et-Monténégro), Fond, Rec., 2007, par.414.
[13]
l'affaire des activités armées sur le territoire
de la République Démocratique du Congo, la C.I.J. met aussi en
exergue ces deux éléments.45
Il faut noter que l'élément de l'attribution a
parfois été qualifié de subjectif et celui de la violation
d'objectif, mais il est clair que cette terminologie n'a pas été
retenue dans les articles de la C.D.I.46 Le fait qu'il y ait ou non
manquement à une règle peut dépendre de l'intention des
organes ou agents habilités de l'Etat ou de la connaissance qu'ils ont ;
en ce sens, déterminé l'existence ou l'inexistence d'une
violation peut être subjectif.
Le comportement attribuable à l'Etat peut consister en
une action ou une omission. Les cas dans lesquels la responsabilité
internationale d'un Etat a été invoquée sur la base d'une
omission sont aussi nombreux que ceux qui se fondent sur des faits
positifs47.
En effet pour qu'un comportement déterminé
puisse être qualifié de fait internationalement illicite, il doit
avant tout être un comportement attribuable à l'Etat. L'Etat est
une entité organisé réelle, une personne juridique ayant
pleine qualité pour agir d'après le droit international. Mais le
reconnaitre ne veut pas dire nier la vérité
élémentaire que l'Etat comme tel n'est pas capable d'agir. Un
fait de l'Etat met nécessairement en jeu une action ou une omission d'un
être humain ou d'un groupe : les Etats ne peuvent agir qu'au moyen et par
l'entremise de la personne de leurs agents et
représentants48. Donc il est important de déterminer
par quels organes les Etats engagent leur responsabilité sur le plan
international ; il faut noter que cette question ferra l'objet d'un examen plus
approfondi dans le second chapitre. Toutefois, nous devons signaler que
lorsqu'on parle de l'attribution d'un comportement à l'Etat, il s'agit
d'un Etat sujet de droit international.
La deuxième condition pour qu'il y ait fait
internationalement illicite de l'Etat est que le comportement attribuable
à l'Etat constitue une violation par cet Etat d'une obligation
internationale existant à sa charge, l'expression « violation
par l'Etat d'une obligation internationale existant à sa charge
»est établie depuis de longue date et s'applique aux
obligations tant conventionnelles que non conventionnelles.49
45 C.I.J., arrêt, 19 Décembre 2005,
Activités armées sur le territoire du Congo (République
Démocratique du Congo c. Ouganda), Rec. 2005, p.226, par.160.
46 J. CRAWFORD, op. cit., p. 98.
47 Ibidem.
48 Ibidem.
49 Ibidem.
[14]
Partant, il n'y a pas d'exception au principe
énoncé à l'article 2 selon lequel deux conditions doivent
être réunies pour qu'il y ait fait internationalement illicite- la
présence d'un comportement, attribuable à l'Etat d'après
le droit international et la violation, par ce comportement d'une obligation
internationale à sa charge. La question est de savoir si ces deux
conditions nécessaires sont aussi suffisantes. On a parfois dit que la
responsabilité internationale ne peut être engagée par le
comportement d'un Etat qui manque à ses obligations que s'il existe un
autre élément, en particulier celui du dommage causé
à un autre Etat.50 Mais la nécessité de tenir
compte de tels éléments dépend du contenu de l'obligation
primaire, et il n'y a pas de règle générale à cet
égard. Ainsi, l'obligation contractée par traité d'adopter
une loi uniforme est violée si cette loi n'est pas adoptée, et il
n'est pas nécessaire qu'un autre Etat partie argue d'un dommage
spécifique qu'il aurait subi par ce manquement. Pour être en
mesure de déterminer si une obligation particulière est
violée du seul fait que l'Etat responsable n'a pas agi ou pour qu'elle
le soit quelque autre événement doit se produire, il faut partir
du contenu et de l'interprétation de l'obligation primaire, et l'on ne
peut le faire dans l'abstrait.51
§2 Différents degrés de
responsabilité en droit international, crime ou responsabilité
aggravée et délit ou responsabilité ordinaire
Comme nous l'avons dit, en évacuant le dommage dans le
champs de la définition de la responsabilité internationale, AGO
rendait possible une distinction entre, d'une part, les violations «
ordinaires » du droit international qualifiées de délits,
celles qui, pour regrettables qu'elles soient, ne concernent que l'Etat ou les
Etats lésés de l'autre l'Etat ou les Etats responsables, et,
d'autre part, celles qui mettent en cause les intérêts majeurs ,
fondamentaux de la communauté internationale dans son ensemble, quand
bien même aucun Etat particulier n'est
lésé.52
Cette dernière catégorie de
responsabilité introduit une dose de pénalité dans l'ordre
juridique international. En effet comme en droit interne l'Etat incrimine les
violations aux intérêts les plus fondamentaux de la
communauté nationale, même si il n'y a pas ou plus de victime,
ceci est désormais possible en droit international. Mais cela paraitrait
simpliste de pouvoir réduire un régime pénal à une
simple distinction de régime de responsabilité en droit
international, car un système pénal cohérent doit faire
plus que cela c'est-à-dire mettre en place un système clairement
défini. Toutefois cette distinction a le grand mérite
d'affirmer
50 J. CRAWFORD, op. cit., p99.
51 Ibidem.
52 PELLET, A., loc. cit, note 15, p.26.
[15]
haut et fort que le droit international n'est pas, comme on
l'a toujours envisagé, un réseau d'intérêts
subjectifs des Etats mais qu'il tient compte d'un degré de
solidarité pour protéger les intérêts les plus
fondamentaux de ce qu'il faut qualifier de « communauté
internationale ».
En fait la distinction entre délits et crimes apparait
dans le projet de 1976 jusque à celui de 199653, mais cette
terminologie, ayant été à l'objet d'une vive
polémique de la part de certains Etats et d'une certaine doctrine, va
être écartée tout en conservant intelligemment la substance
qu'elle représentait.54 On devra donc toujours garder
à l'esprit que ce qu'on appelait jadis « crime » international
de l'Etat dans le projet de 1976 et 1996 renvoi à la même
réalité juridique que ce que l'article 40 du projet final
désigne par responsabilité découlant de la violation grave
d'une norme impérative du droit international
général.55
§2.1. Crime et délit, une distinction
qualitative
C'est le 6 Juillet 1976 que la C.D.I. a adopté,
à l'unanimité, conformément à la proposition de
AGO, le texte de l'article 19 de la première partie de son Projet
d'articles sur la responsabilité des Etats.56 Il y est
demeuré inchangé en 1996 lorsque la commission a approuvé,
sans opposition, l'ensemble du Projet en première lecture. Cet article
qui a fait couler beaucoup d'encres et de salives et suscité des
débats passionnés entre Etats et doctrinaires internationalistes
n'a pas été retenu dans le projet final mais a été
jalousement conservé, notamment sa substance, par l'article 40 du Projet
final adopté en 2001.
En effet les paragraphes 2 et 4 de l'article 19 disposent ce qui
suit :
« 2 le fait illicite qi résulte d'une
violation par un Etat d'une obligation si essentielle pour la sauvegarde
d'intérêts fondamentaux de la communauté internationale que
sa violation est reconnue comme un crime par cette communauté dans son
ensemble constitue un crime international »
« 4 Tout fait internationalement illicite qui n'est
pas un crime international conformément au paragraphe 2 constitue un
délit international ».57
53 R. AGO, Cinquième rapport sur la
responsabilité des Etats, in C.D.I., Annuaire 1976, Vol. II, 1ere
partie, pp.26-57, pars.72-155.
54 PELLET, A., loc.cit., note 15, p.26.
55 Ibidem.
56 C.D.I. Comptes rendus analytiques des vingt
huitième sessions, op.cit., P.256.
57 Le projet d'articles sur la responsabilité
des Etats adoptés en première lecture par la C.D.I. est reproduit
dans le rapport de la commission sur les travaux de sa 48ème
session, Ann. C.D.I. 1996, Vol. II, 2ème partie, A/51/10,
pp.148-172.
[16]
On constate donc la différence nette de deux
degrés de responsabilité qu'établit cette disposition dans
l'ordre juridique international, mais comme constate le Professeur PELLET,
il n'y a pas la qu'une simple différence de degrés, comme le
soutenait une certaine doctrine, mais bel et bien une différence de
nature c'set à dire de qualité : par leur qualité,
les délits mettent en cause les seuls intérêts des Etats
concernés, alors que les crimes atteignent la société
internationale des Etats dans son ensemble. Il est clair qu'entre la violation
« banale » d'une clause de traité de commerce et le
génocide il n'y a pas commune mesure.58Pour CRAWFORD, la
différence qualitative entre ces différents degrés des
violations en droit international ne saurait être remise en
cause59.
L'article 19 du Projet de 1996 et l'article 40 du Projet final
semblent dégager deux critères de différenciation entre
ces deux catégories de faits internationalement illicites. En effet le
crime international de l'Etat ou la responsabilité aggravée doit
s'agir des violations d'obligations découlant des normes
impératives du droit international général ; et
deuxièmement, les violations visées doivent avoir un
caractère grave, de par leur échelle ou leur
nature.60Dans ce sens il faut dire que la C.I.J. a eu, dans
l'affaire de la Barcelona traction, à indiquer « qu'une
distinction essentielle doit en particulier être établie entre les
obligations des Etats envers la communauté internationale dans son
ensemble et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat dans le cadre
de la protection diplomatique. Par leur nature même, les premiers
concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause, tous les Etats
peuvent être considérés comme ayant un intérêt
juridique à ce que ces droits soient protégés ; les
obligations dont il s'agit sont des obligations erga omnes
».61 La Cour entendait ainsi confronter la situation de
l'Etat lésé dans le contexte de la protection diplomatique avec
celle de tous les Etats en cas de violation d'une obligation envers la
communauté internationale dans son ensemble. Il est clairement
établit qu'il y a de par leur qualité les obligations qui sont
dû à toute la communauté internationale dans son ensemble
et que tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que ces
droits soient protégés et celles qui ne sont dues qu'à un
ou plusieurs Etats.62
La difficulté qui demeure cependant est celle de savoir
si le crime international de l'Etat ou la responsabilité pour violation
d'une règle impérative du droit international
58 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p.27.
59 J. CRAWFORD, op. cit., p. 200.
60 Ibidem.
6161C.I.J., Barcelona Traction, op.cit., p.32,
par.33. 62 J. CRAWFORD, op. cit., p.201.
[17]
constituent des obligations erga omnes. A cette question, nous
constatons tout d'abord qu'il y existerait une étroite relation entre
ces deux notions. En effet, la doctrine a toujours soutenu que, la
responsabilité pour crime telle qu'elle ressort de l'article 19 du
Projet de la C.D.I. sur la responsabilité internationale des Etats et la
responsabilité pour violation d'une norme impérative du droit
international général tel qu'il ressort de l'article 40 du Projet
final de 2001, constituent bel et bien des violations d'obligations erga
omnes63. Il faut toutefois noter que la réciproque n'est pas
forcément exacte c'est-à-dire que toute violation d'une
obligation erga omnes n'est pas forcément une responsabilité pour
crime. On donne généralement pour exemple que les Etats riverains
sont tenus d'accorder à tous les navires le droit de passage en transit
dans les détroits servant à la navigation internationale ; il
s'agit là, assurément, d'une obligation erga omnes, mais son-non
respect n'est pas un type de responsabilité aggravée, elle n'est
pas dû envers la communauté internationale dans son
ensemble.64
Dans plusieurs affaires, la C.I.J. a réaffirmé
la notion d'obligation envers la communauté internationale, bien qu'elle
se soit montrée prudente dans son application. Dans l'affaire du Timor
oriental, elle a considéré « qu'il n' y avait rien
à redire à l'affirmation du Portugal selon laquelle le droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il s'est
développé à partir de la Charte et de la pratique de
l'organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga
omnes.65Elle prend la même position dans l'affaire de
l'application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide, en déclarant que «
les droits et les obligations consacrés dans la convention sont erga
omnes ».66 Par ailleurs, la notion d'obligation erga omnes
ne saurait être dissociée de celle de la reconnaissance de la
notion de norme impérative du droit international aux articles 53 et 64
de la convention de Vienne sur le droit des traités entre
Etats.67 Ces dispositions reconnaissent l'existence des
règles de fond si essentielles qu'aucune dérogation n'y est
possible, même au moyen d'un traité.
63 J. CRAWFORD, op.cit., p.202.
64 PELLET, A., loc.cit., p23.
65 C.I.J., Timor oriental (Portugal c. Australie),
Recueil 1995, p. 102, par. 29.
66C.I.J., Application de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie
Herzégovine c. Serbie et Monténégro), exceptions
préliminaires, Recueil, 1996, p. 616, par. 31.
67 Conventions de Vienne sur le droit des
traités, Nations Unies, Recueil des traités, Vol.1155, p.331.
[18]
§2. 2. Crimes internationaux et
responsabilité pour violation d'une norme impérative du droit
international : une même réalité juridique
Ayant été à la base d'une vive
polémique, la terminologie pénaliste adoptait par la C.D.I. sous
l'influence de AGO était finalement abandonné dans le Projet
final de 2001. On pourra lire et relire le Projet final, des centaines des
fois, nulle part on ne retrouvera plus le terme crime international. Cependant
on ne devrait pas se laisser abattre par cet état des choses parce que
lorsqu'on analyse bien les choses on se rend bien compte que la
réalité juridique que représentait le terme crime est plus
que jamais présente dans le Projet de la C.D.I. de 2001. On dirait
même que la terminologie pénaliste en sort plutôt
très renforcée.
D'après le dernier rapporteur de la C.D.I. sur la
question de la responsabilité internationale des Etats, le professeur
australien J. CRAWFORD, l'un des farouches opposant à la
pénalisation du droit international, « la première
partie du projet de la C.D.I. procède de l'idée que les faits
internationalement illicites d'un Etat forment une seule et même
catégorie et que les critères qui s'appliquent à ces
faits(en ce qui concerne notamment l'attribution et les circonstances excluant
l'illicéité) sont indifférents à toute distinction
entre responsabilité délictuelle et pénale
».68 Le dernier rapporteur de la C.D.I. sur la question de
la responsabilité se montre donc hostile à toute intrusion d'une
quelconque terminologie pénaliste. Le professeur PELLET, l' un des
fervents pénalistes du droit international, constate que «
cette attitude de CRAWFORD témoigne de l'incompréhension- ou de
refus de compréhension- du dernier rapporteur spécial de la
C.D.I. de la portée réelle qu'AGO et les rédacteurs du
Projet adopté en première lecture donnait au mot crime qui
n'avait, dans leur esprit, aucune connotation pénale
».69 La C.D.I. n'avait, selon le professeur PELLET, aucune
idée d'attacher à la distinction entre crimes et délits
des formes des responsabilités qui s'apparenteraient à celles
établies dans le système pénal classique.
Malgré les indications très claires en ce sens
données par la C.D.I. dans le commentaire du Projet d'article 19 de
1976, le professeur CRAWFORD n'en a pas moins maintenu fermement son opposition
au mot « crime » en se fondant, des fois à tort sur des
analogies avec le droit interne alors même qu'il reconnaissait
expressément que « l'idée qu'en
68CRAWFORD, J., BODEAU, P., PEEL, J., « La
seconde lecture du projet d'articles sur la responsabilité des Etats de
la commission du Droit International » in R.G.D.P., 2000, p.931.
69 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p. 34.
[19]
droit international la responsabilité n'est ni
civile ni pénale mais simplement internationale n'est guère
contestée ».70
Eu égard à ce qui précède, il
était difficile que la commission n'adhère pas à
l'opposition de son rapporteur à l'insertion du crime dans le Projet,
fut- elle fondée sur un argument discutable.
On ne saurait ne pas reconnaitre le mérite de l'article
19, en tout cas de la substance qu'elle représentait. Cet article
établit une importante distinction entre deux catégories des
faits internationalement illicites et donc nier une telle existence
équivaudrait presque à nier l'existence d'un ordre juridique
international.
Comme est dit dans les commentaires de l'ancien article 19,
plusieurs conventions utilisent le mot « crime » pour désigner
les atteintes les plus graves à l'ordre juridique international : le
génocide, l'apartheid, l'agression, le crime contre l'humanité,
etc.71Et, aussi critiqué qu'il ait pu être, le mot est
devenu d'usage courant dans la littérature internationale. Par ailleurs
l'article 19 avait pour mérite de stigmatiser les comportements qu'il
désignait, ceux qui portaient, en effet, les atteintes les plus graves
« aux intérêts de la communauté internationale dans
son ensemble.72
Cependant plusieurs critiques avaient été
adressées à la formulation de l'article 19, la première
est que, selon certains auteurs, cet article introduit dangereusement un
concept pénaliste en droit international. La deuxième avait
été adressée au paragraphe 4 de l'article 19 du Projet sur
la responsabilité des Etats qui introduisait en droit international le
concept de délit, un concept qui dans certains ordres juridiques
internes a des connotations pénales alors que la C.D.I., dans son
entendement, la considérer comme une sorte de responsabilité
intersubjective .Pour résoudre ce problème on a proposé de
renoncer au mot délit(en supprimant le paragraphe 4 de l'ancien article
19) tout en conservant le terme « crime » qui était
intrinsèquement moins critiquable.73 Mais la C.D.I. sous
l'influence de son rapporteur spécial, J. CRAWFORD, a du adopter la
solution la plus radicale : on ne parlera ni de crime ni de délit.
70J CRAWFORD, Premier rapport sur la responsabilité des
Etats, in A/CN.4/490 Add.3, par.81. 71 C.D.I., Ann. 1976, Vol. II,
2ème partie, p. 110, par. 59.
72PELLET, A., loc. cit. , note 15, p. 36 .
73 Ibidem.
[20]
Mais faut- il pour autant dire que la réalité
juridique que représentait l'article
19 a disparue ? ou que le droit international de la
responsabilité est redevenu un corps des règles formant un
régime unique qui serait de nature civile que pénale ? Nous ne
pensons pas, car on a fait que remplacer les mots par leur définition
à partir du Projet de 1996 jusqu'à celui final de 2001. Comme le
dit le professeur PELLET, « la C.D.I., dans sa solution, a banni les
le crime mais conservée la chose qu'il représentait
».74
Il faut cependant signaler que certains membres de la C.D.I.
qui étaient hostiles à la pénalisation du droit
international voulait purement et simplement bannir la distinction
traditionelle, chose qui, pour les tenants de la criminalisation, et même
pour le droit international lui-même, était inacceptable, ces
derniers, comme nous d'ailleurs estimant que s'était inacceptable de
mettre dans un même sac la violation d'un traité bilatérale
de commerce et un génocide ou un crime contre l'humanité. Il
fallait donc un consensus au sein de la C.D.I., ce à quoi n'arrivait
guère les membres de la C.D.I., celle-ci décidait alors que :
a)sans préjudice des vues de quiconque parmi les
membres de la commission, le projet d'article 19 serait laissé de
coté pour le moment pendant que la commission poursuivait l'examen
d'autres aspects de la première partie du Projet ;
b) il faudrait examiner si les questions soulevées
par le Projet d'article 19 ne pourraient être résolus par un
développement systématique, dans le Projet d'articles, de notions
telles que les obligations erga omnes, les normes impératives (jus
cogens) et une éventuelle catégorie regroupant les violations les
plus graves d'obligations internationales » .75 En
remettant à plus tard l'examen de la notion de « crime », la
C.D.I. avait commis, selon notre avis, une grande erreur parce que
créant un déséquilibre dans la première partie du
Projet par rapport à la deuxième qui traitait des
conséquences. Ce n'est que la dernière année de son mandat
que le rapporteur spécial abordait encore à nouveau, dans son
quatrième rapport, la question des crimes internationaux de l'Etat.
Entre temps, la commission avait adopté l'essentiel de son projet sans
se préoccuper d'une quelconque influence d'un régime de
responsabilité propre aux violations graves du droit international sur
la cohérence de tout le Projet. Il est vrai qu'en
74 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p36.
75C.D.I., Rapport de la C.D.I. sur les travaux de
sa cinquantième session, 1998, Assemblée générale,
Documents officiel.
75 C.D.I., Ann. 1976, Vol. II, 2ème
partie, p. 110, par. 59.
75 PELLET, A., loc. cit. , note 15, p. 36.
75 Ibidem.
75 Ibidem.
75C.D.I., Rapport de la 55ème
Session, supplément n°10(A/53/10), par.331.
[21]
2000, le Professeur CRAWFORD a ouvert la voie à une
solution, en s'interrogeant sur la question de savoir si « des
conséquences supplémentaires à celles s'attachant
normalement à un fait internationalement illicite peuvent être
rattachées à la catégorie des violations graves,
flagrantes et systématique des obligations dues à la
communauté internationale dans son ensemble ».A cette
question, il répondait par l'affirmative en considérant que
,«si on laisse de coté la terminologie controversée des
crimes, les conséquences tirées des crimes par les articles 52 et
53 du Projet adopté en première lecture sont
généralement acceptable »76. Cette position
de CRAWFORD était une conversion partielle et déguisée du
concept « crime », le mot excepté, et, sur cette base, le
comité de rédaction a adopté en 2000, à titre
provisoire, les projets d'articles 41 et 42, formant le chapitre III de la
deuxième partie du projet sur le « contenu de la
responsabilité internationale des Etats » et se substituant aux
anciens articles 51 et 53 du Projet de 1996.77
Le mot crime y était soigneusement évité.
Mais ce chapitre devait s'appliquer « à la
responsabilité internationale découlant d'un fait
internationalement illicite qui constitue une violation grave par un Etat d'une
obligation envers la communauté internationale dans son ensemble et qui
appelle des réactions spécifiques de la part de tous les membres
de celle-ci ». Et la mention expresse des normes impératives
du droit international général dans la nouvelle rédaction
du chapitre III de la deuxième partie du Projet n'est pas sans
avantages. Aussi discuté qu'elle ait pu être dans le passé,
la notion du jus cogens est, maintenant, très généralement
acceptée.78 Cependant il y a un problème qui subsiste
parce que le Projet d'articles définitivement adopté par la
C.D.I. ne définit pas ce qu'il faut entendre par « norme
impérative du droit international ».79
Du coup on se rabat implicitement sur la définition
figurant à l'article 53 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit
des traités entre Etats, mais ceci avec beaucoup des risques et des
fluctuations car, il faut le rappeler, les règles du jus cogens
étaient conçues pour s'appliquer dans le domaine relatif
uniquement.80
Mais quoi qu'il en soit, le Projet de 2001 va certainement
dans la bonne direction, en se débarrassant du mot crime il prive
d'arguments ceux qui s'appuyaient sur lui
76 J. CRAWFORD, Troisième rapport sur la
responsabilité des Etats, A/CN.4/507/Add.4,par.407.
77 C.D.I., Rapport sur les travaux de sa
52ème Session, l'Assemblée générale,
Documents officiels, 55ème Session, supplément
n°10(A/55/10), pp.110-126.
78 PELLET, A., loc.cit., note 15, p.41.
79 Ibidem.
80 Ibidem.
[22]
pour nier la dualité, indispensable en droit
international, de régimes de responsabilité, selon que le fait
internationalement illicite atteint ou non les intérêts de toute
la communauté internationale dans son ensemble ; et préserve la
révolution de AGO, qui fait admettre que la responsabilité
internationale ne saurait être la résultante d'un préjudice
causé par un fait internationalement illicite, mais bien de ce fait
lui-même, objectivisant, par là même, le système de
la responsabilité internationale.
On devra noter par ailleurs, que le projet de 2001, tout en
prenant note de l'existence de deux catégories de violations, encadre,
celles découlant des normes impératives du droit international
général dans les limites étroites qui doivent être
approuvées : elles découlent du degré d'intégration
et de solidarité, fort timide, qui caractérise la
société internationale.81C'est pour cette raison que
la C.D.I. n'a pas soumis à un régime « aggravé »
de responsabilité toutes les violations d'obligations découlant
de règles du jus cogens. Seuls tombent sous le coup du chapitre III de
la deuxième partie les violations graves de ces obligations et au
paragraphe 2 de l'article 41 de préciser que : « La violation
d'une telle obligation est grave si elle dénote que l'Etat responsable
s'est abstenu de manière flagrante et systématique
d'exécuter l'obligation ». En effet il est clair que tout acte
de torture est moralement et juridiquement condamnable et constitue la
violation d'une norme impérative comme l'a reconnu le Tribunal
Pénal International pour l'ex-Yougoslavie dans l'affaire Furndziza bien
qu'il soit susceptible d'engager la responsabilité pénale de
l'individu 82 ; il reste qu'un acte isolé de torture ne menace en rien
l'ordre juridique international, contrairement à l'utilisation
systématique et massive de la torture. Ainsi on ne saurait tenir pour
criminel un Etat qui, par l'entremise de son commissariat de police, commet un
acte isolé de torture aussi regrettable que celui-ci demeure.
Bref comme celle de « crime international de l'Etat, dont
elle ne se distingue que par le nom(ou l'absence d'une dénomination
particulière), la notion de violation grave d'une obligation
découlant d'une norme impérative du droit international
général, reflète l'idée qu'il existe des
intérêts fondamentaux de la communauté » qu'il faut
sauvegarder de manière spéciale. C'est ce que tentaient de faire
les articles 19 et 51 à 53 du Projet de la C.D.I. de 1996, c'est aussi
l'objectif poursuivi par les articles 40 et 41 de celui de
2001.83Les uns
81 PELLET, A., loc. cit. , note 15, P.41.
82 T.PI.Y., Le jugement de la chambre de
première instance du T.P.I.Y. du 10 Décembre 1998, IT-95-17/1-T,
pars 151-157, cité par PELLET, A., loc.cit., note 15, p.45.
83PELLET, A., loc. cit. note 15, p. 44.
[23]
comme les autres consacrent de manière très
prudente les avancées limitées mais réconfortantes du
sentiment « communautaire et de solidarité internationale
».
Avec ou sans nom, décidément, « vive le
crime ! »84Comme le dit le professeur PELLET, on croyait
enterrer le crime mais il est ressorti de ses cendres, tel un phoenix juridique
!85
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