2.4.1 La théorie de
l'engagement
2.4.1.1 Justification
théorique
Selon cette théorie, « Seuls les actes nous
engagent. Nous ne sommes donc pas engagés par nos idées, ou par
nos sentiments, mais par nos conduites effectives ». De
fait, si nous tergiversons souvent avant de prendre une décision, pesant
patiemment le pour et le contre, une fois la décision prise et
transformée en une conduite effective, nous aurons toujours tendance
à ne plus la remettre en cause et à rationaliser cet acte,
à le justifier même si l'on a parfois au fond de nous le sentiment
diffus de s'être trompé ou d'avoir été
trompé : « l'individu rationalise ses comportements en
adoptant après coup des idées susceptibles de les
justifier. » L'individu finit ainsi par être
intimement persuadé du bien-fondé de sa nouvelle opinion
(BEAUVOIS et JOULE). On appelle "escalade
d'engagement" « cette tendance que manifestent les gens
à s'accrocher à une décision initiale même
lorsqu'elle est clairement remise en question par les
faits. » Et si le monde de l'entreprise semble souvent
fonctionner en dépit du bon sens, c'est sans doute parce que nul n'osera
jamais avouer ouvertement que telle ou telle directive était une
véritable idiotie :
Les persévérations, même les
plus dysfonctionnelles, s'expliqueraient par le souci ou le besoin qu'aurait
l'individu d'affirmer le caractère rationnel de sa première
décision. Ainsi, continuer à investir sur une filiale qui
s'avère être un canard boiteux aurait pour fonction d'attester du
bien-fondé de la première décision. Tout se passe comme si
le sujet préférait s'enfoncer plutôt que de
reconnaître une erreur initiale d'analyse, de jugement ou
d'appréciation.
Il existe cependant une stratégie dans la prise des
décisions qui amènent les individus à se sentir libre dans
une situation où il est contraint de prendre une décision, dans
certaines expériences où les chercheurs opposent une situation
de libre choix (fort sentiment de liberté) à une situation de
contrainte (faible sentiment de liberté) on constate qu'il n'y a que
très peu de différence - lorsqu'il y en a - pour ce qui est des
comportements réalisés.
Pourquoi un sujet libre se comporte-t-il exactement comme un
sujet contraint ? Le mystère est presque entier. Le manipulateur a
beau rappelé sans cesse au consommateur qu'il est libre d'acheter ou non
ses merveilleux produits, celui-ci sait très bien ce que le manipulateur
attend de lui. Et, curieusement, il s'y plie. « Il faut donc
admettre qu'il existe dans de telles situations des déterminants plus
puissants, et ces déterminants sont à rechercher dans la relation
de pouvoir qui lie le manipulateur et les sujets. »
Ce sentiment de liberté, notent
BEAUVOIS et JOULE (idem), joue un rôle
primordial dans les phénomènes de persévération des
décisions : l'individu qui a pris sa décision sous la
contrainte se sentira nettement moins engagé par son acte que celui qui
l'a prise "librement". Un phénomène qu'intègrent
très bien les nouvelles formes de management : « on
utilise la technique de décision pour amener les travailleurs à
décider, en toute liberté, d'émettre des comportements qui
de toutes façons étaient requis ». Sachant
qu'ils remettront beaucoup plus difficilement en cause cette décision
(qu'ils ont prise "librement") que si elle leur avait été
imposée par leur hiérarchie.
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