PREMIERE PARTIE : DES BOURGADES DE LA
VALLEE DEVENUES DES VILLES FONTALIERES
UCAD - Département de géographie, Mémoire de
maîtrise de Géographie présenté par M. Barka BA 2010
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« Les relations transfrontalières entre deux
villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
Sénégal »
CHAPITRE I: LES MATAM : DES TRAJECTOIRES PRESQUE
DIFFERENTES
Erigée en commune en 1952, Matam Sénégal
fut fondée vers le XVIe siècle par un pêcheur
originaire de l'actuel département de Bakel. Pendant la période
coloniale, la ville fut une importante escale fluviale vers laquelle
aboutissaient les routes commerciales de la région. C'est ainsi que la
ville s'est étendue et ses quartiers sont rangés les uns
après les autres parallèlement au fleuve. La création de
la ville voisine est très récente par rapport à celle de
Matam Sénégal. La ville mauritanienne était,
jusqu'à une date récente une aire de jeux des ASC de Matam
Sénégal.
I. A la genèse des « Matams » :
Selon la tradition orale la ville de Matam
Sénégal aurait été fondée au XVIe
siècle par un migrant venu de Koukani situé dans l'actuel
département de Bakel. Ce pêcheur qui voyageait par le fleuve,
portait le nom de Farba Boubou Gaye. Celui-ci serait installé dans
l'actuel quartier de Soubalo. L'arrivée de nouvelles familles va par la
suite donner naissance au village de Matam, appelé à l'origine
Sinthiou Boubou. Au cours de son évolution la ville a connu une histoire
très riche et mouvementée. Les événements qui ont
le plus marqué l'histoire de la commune sont la conquête coloniale
et la pénétration commerciale des français qui se sont
traduites au XVIIe siècle par l'arrivée de la
compagnie du Ngalam.
La construction du fort en 1857 a permis l'extension de la
ville et le développement d'un commerce florissant. Ce commerce
développé le long du fleuve surtout entre les chefs toucouleurs
et maures, faisait de Matam un gros marché aux esclaves. Certaines
traditions situent d'ailleurs l'origine du nom de la ville en rapport avec le
marché des esclaves qui existait sur le lieu « matama » pour
dire empoigner sans doute des esclaves en fuite12.
Par contre KANE (A.F) soutient dans sa thèse «
c'est d'ailleurs de cette activité commerciale que la ville a
tiré son nom. En effet il s'y vendait beaucoup de produits et selon la
légende ceux-ci pouvaient s'obtenir à crédit. Toutefois ce
dernier n'était pas toujours honoré. Les vendeurs
exigèrent à la fin le paiement au comptant, en toucouleur «
matama ».
12Profil environnemental de la ville de Matam,
page11
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Il fallait avoir en main le prix de la marchandise pour
pouvoir l'acquérir. Le « matama » qui désigne l'action
de serrer quelque chose dans la main, donne à la ville son nom :
Matam13.»
L'histoire de la ville est aussi marquée par la
cohabitation entre maures, harratins et les beïdanes ; les nombreuses
querelles pour la maitrise et le partage des terres du oualo ; la
résistance anti coloniale dès le XIXe siècle
marquée par la prise de la ville sous la direction du commandant Paul
Holle et la construction d'un tour fortin en 185714 .
Ce fortin a permis d'établir dans le fleuve une
sécurité totale pour le commerce en même temps de
préparer l'ouverture du Soudan à la pénétration
coloniale15. L'installation des français dans la ville sera
suivie par la création des maisons de commerce européennes dont
Devès Chaumet, V.Q Petersen etc.
Au XVIIIe siècle, l'islam est
implanté dans tout le Fouta et au XIXe siècle, le
djihad d'El hadji Oumar tentant de conquérir le Fouta se heurte aux
troupes françaises de Faidherbe en 1857 à Médine. C'est
ainsi qu'il reprend la route vers l'Est et emmenant avec lui des milliers de
foutanké pour un exode définitif appelé « fergo
oumarien » qui a créé une profonde saignée
démographique16.
L'échec de la résistance face à la
conquête entraine un profond bouleversement de la société
toucouleur. Cette pénétration française a eu comme
conséquence l'émancipation des captifs et l'implantation d'une
administration coloniale. Ainsi les grandes familles qui traditionnellement
assuraient l'exercice du pouvoir voient leur influence s'effriter face à
l'implantation d'un nouveau système social basé sur une
économie moderne et non plus sur la division traditionnelle de la
société.
Quant à la ville mauritanienne, sa création est
très récente par rapport à celle de Matam
Sénégal. Durant la période coloniale, elle fut une petite
située sur la route Kaédi Mbout. Matam Réo est une ville
qui, il y'a trente ans n'existait sur aucune carte géographique. Sa
création a commencé par l'implantation d'un poste de police.
Matam Réo ou Matam Mauritanie est beaucoup plus un poste qu'un village
fondé en 1969 à la suite du
13 Kane(A.F) ; 1976-1977 : Matam et sa région,
thèse de doctorat de 3e cycle, Université de Dakar,
363pages.
14 Yves J.S cité par Tamboura, 2007
15 O MVS : étude socio-économique du
fleuve Sénégal, le milieu urbain et les relations villes
campagnes, page8
16 Profil environnemental de la ville de Matam,
page11, Mars 2007
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villes jumelles du fleuve Sénégal : Matam Réo et Matam
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désir de R.I.M d'affirmer sa présence dans ses
limites territoriales en créant en face de chaque ville
sénégalaise une ville mauritanienne17.
Avant 1977 la rive droite de Matam était occupée
par les habitants de Matam Sénégal. En effet cette marge
frontalière fut le terrain de football des associations sportives et
culturelles de Matam Sénégal. Les trois ASC (Reveil,
Inter-scolaire et Etoile d'or) disposaient chacune une aire de jeu à
Matam Réo. A partir de 1977 et 1978 la Mauritanie a commencé
à prendre possession de ces terrains et à limiter les
déplacements des jeunes venant de l'autre rive du fleuve. En 1964 la RIM
avait demandé à tous ceux qui avaient besoin de terres de
cultures de rejoindre la rive droite du fleuve Sénégal. Ainsi les
nouveaux venus se sont installés près du fleuve sur les terrains
que les jeunes sénégalais occupaient en période hivernale.
Matam Réo est créée par des sénégalais de
Matam. C'est ainsi que cette ville formée à partir de la ville
sénégalaise a gardé le nom de la ville mère.
Les premiers habitants de Matam Réo originaires du
Sénégal ont été enrichis par les populations venus
des autres régions de la Mauritanie. Cette population s'est reconvertie
ensuite dans les activités du fleuve et de la fonction commerciale de la
ville.
Après la construction des barrages de Diama et de
Manantali ; des harratins sont venus s'installer dans cette marge Sud de la
Mauritanie pour profiter du différentiel provoqué par la
frontière. L'implantation des villes mauritaniennes sur le long du
fleuve a souvent répondu à un souci d'adaptation au contexte
géopolitique. En effet, pour la Mauritanie devenue indépendante,
l'occupation des terrains situés sur la rive droite lui permettrait de
marquer son territoire. Ainsi elle a commencé à interdire aux
sénégalais de cultiver sur ses terres et à limiter le
mouvement du bétail venant de l'autre rive. Malgré cette
volonté de la RIM, ce voisinage a créé un fort lien entre
les villes mauritaniennes et sénégalaises.
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