Assia Djebar ou l'ancrage dans l'entre-deux: l'ici et tout l'ailleurs ou l'impossible retour dans "la disparition de la langue française " (2003 )( Télécharger le fichier original )par Arézki Bellalem Université A Mira de Béjaia Algérie - Magister 0000 |
L'Ecriture d'un impossible retour, texte ou prétexte ?Dans ce qui suit, nous essayons de revenir d'abord sur cette «ancrage dans l'entre-deux» qui se manifeste dans un double attachement aux deux «femmes/langues» qui transparaît dans le texte à la lumière d'une correspondance de Berkane à Marise d'une part, mais aussi dans cette liaison des plus ineffables avec Nadjia cette rescapée, d'autre part. Ensuite nous virons comment cet «ici» est montré et comment «tout l'ailleurs» est sublimé dans un attachement éperdu à une femme, d'où cet «impossible retour». Enfin, nous virons comment se déroule ce tissu de langue, d'amour et de solitude pour créer l'espace de l'écriture. Avant d'écrire la première lettre à Marise, Berkane écrit : «je t'écris, c'est tout, pour converser, et me sentir le temps d'une lettre, proche de toi [...]»8. De retour au pays, Berkane se sent pris par une solitude qui, quelques jours après son arrivée, le pousse à écrire des lettres à Marise. Mais des lettres qu'il n'envoie jamais. Souvent, la problématique de la langue de l'Autre est liée à l'activité de l'écriture. Chez Djebar, cette dernière est à même, le moyen de combler un certain vide dans son existence d'exilée loin de la terre natale. Ce vide qui incarne en soi une double perte : une perte irréversible de la langue maternelle, et une quête d'une langue autre comme moyen, de compenser par la littérature certaines frustrations dans la vie réelle. Prise dans un double exil, elle se voie de ce fait, exposée à ce que Esma Azzouz considère comme : « une constante altération du Moi »9, d'où la naissance de cette altérité qui nourrit constamment son écriture, en un mal incurable. Doublement déchiré, Berkane retrouve son pays pour perdre la France, il retrouve l'Ici pour perdre l'Ailleurs, sachant que les deux dimensions sont profondément ancrées en lui. Dans sa première lettre à Marise, il s'agit de l'expression de son double exil, en France il se sentait exilé et il rêvait de la terre natale, en Algérie encore, il se sentait perdu dans une Casbah, étrange, dont il ne reconnaît plus les rues. Cette image de Berkane nous renvoie à celle citée en intertexte (épigraphe), de Mathilde dans Le Retour au désert de Bernard - Marie Koltès. Ici, l'écriture devient une tentative de réappropriation de Soi déchiré entre un Ici et un Ailleurs. L'Ailleurs est symbolisé par Marise qu'il l'a quitté, l'Ici est symbolisé par l'enfance et les beaux moments à la Casbah. L'écriture est aussi dans ce sens, l'illusion d'un retour à Soi. Berkane écrit dans cette lettre à Marise : « Cette lettre parce que, bien sûr, tu me manques, mais aussi parce que je sens un trouble en moi [...] »10. A ce propos, nous comprenons que Berkane écrit à Marise par nostalgie du passé, des années écoulées ensemble en France. Mais également pour dire le choc de son retour qui fait renaître en lui, de plus bel, une interrogation de Marise : « que t'arrivera-t-il sur cette terre ? »11. Dans cette solitude et étrangeté, Berkane écrit en soliloque ces lettres comme pour retrouver cette complicité de tons, de langues, cet amour perdu. Le métissage des tons, des langues dans la fusion/confusion laisse Berkane en proie à un sentiment de flottement entre un passé et un présent, comme à la recherche d'un temps perdu dès qu'il s'interroge : « pourquoi s'entrecroisent en moi, chaque nuit, et le désir de toi et le plaisir de retrouver mes sons d'autrefois [...] »12. L'écriture, enfin, devient au coeur de la confusion entre l'expression de cette nostalgie et de cet attachement à son dialecte, elle devient aussi l'espace même de rencontre et lieu d'harmonie, par l'évocation de cette complicité, tant regrettée, dans l'amour avec Marise. Il écrit ainsi : «La nostalgie de ta voix, de nos propos, de nos dialogues, de la nuit, de ton corps que je ne caressai pas seulement de mes mains, te souviens-tu, mais avec mes mots aussi, avec mes lèvres et d'autres mots, brisés, proférés entre nos baisers [...]»13. Ainsi soit-il, ce soliloque en écriture devient pour Berkane cette activité pat laquelle il trouve le chemin vers Soi.
|
|