2. La Coopération décentralisée :
rencontre de deux territoires et de deux visions
2.1. La dimension « interculturelle » de la
coopération décentralisée
Il est étonnant de constater que les ouvrages et les
« guides » publiés par des organismes publics et
destinés à l'usage des élus, des collectivités
territoriales, des partenaires ainsi qu'à l'ensemble des intervenants de
la coopération décentralisée ne font nullement
référence à sa dimension interculturelle. Le « guide
de la coopération décentralisée : échanges,
partenariats internationaux des collectivités territoriales »
publié sous commande du Ministère des affaires
étrangères avec la participation de la Commission nationale de la
coopération décentralisée et de la Direction
générale de la coopération internationale et du
développement, dit en 4ème de couverture de l'ouvrage
: « Ce guide pratique à l'usage des collectivités
territoriales et de leurs partenaires, des préfectures et des postes
diplomatiques, contient une description de l'environnement institutionnel,
juridique, technique et financier s'appliquant à la coopération
décentralisée selon la conception française
17». Dans le traitement de la question de la coopération
à l'international, il ne fait aucune allusion aux enjeux relatifs
à la rencontre de deux territoires en termes de relations
interculturelles. Il est certain que nous ne sommes plus à
l'époque de Christophe Colomb mais tout se fait comme si confronter les
clivages culturels relevait du sens commun et de la capacité de «
débrouille » de chacun, et que la dimension interculturelle ne
jouait aucun rôle dans le succès, l'échec ou le bon
déroulement d'un partenariat. Il en va de même pour tous les
autres ouvrages de ce type que nous avons pu consulter dans le cadre de cette
étude.
Ces ouvrages se veulent « techniques », «
pratiques » et sont des « outils » pour développer des
partenariats en coopération décentralisée. Il s'agit d'un
véritable fondamentalisme de l'approche technocratique avec la bonne
maîtrise des outils de pilotage, la bonne planification, les bons
objectifs, le bon cadrage, les bonnes méthodes, la bonne logique
d'intervention, les bons partenaires, etc.... comme si tout cela était
suffisant pour garantir la
17 « Guide de la coopération
décentralisée, échanges et partenariats internationaux des
collectivités territoriales », La documentation Française,
2ème édition, 2006.
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réussite d'un projet à portée
internationale. Ces « guides » oublient presque le fait que la
coopération décentralisée met en relation des territoires
d'un bout à l'autre du monde et que la différence culturelle ne
se résume pas à une façon de s'habiller plus ou moins
colorée.
Il s'agit probablement d'une sorte de peur plutôt, peur
d'aborder le sujet de la différence culturelle, peur de s'inscrire dans
un discours idéologique mal placé sans le vouloir, peur de dire
« ce qu'il ne fallait pas », peur de rentrer dans ce terrain
glissant, on préfère donc éviter la question.
Chercher à comprendre le mode de fonctionnement de
l'Autre en termes culturels ne relève pas non plus d'un « guide
», il n'y a pas de modèle préfabriqué que l'on croit
applicable à n'importe quel contexte, comme c'est le cas des
modèles de gestion et d'organisation utilisés dans la gestion de
projets. Mais ces ouvrages pourraient au moins avertir sur la complexité
du questionnement, donner les grandes lignes de réflexion ou donner
quelques éléments d'interprétation pour préparer ce
terrain. On se réfugie systématiquement dans un discours
technocratique pour expliquer les dysfonctionnements d'un partenariat, on
préfère parler de « problème d'harmonisation des
cadres juridiques » plutôt que de « problème
d'harmonisation des ethnocentrismes ».
Des instances de rencontres comme les voyages des
délégations sont toujours prévus dans le cadre d'une
coopération. Toutefois, ils sont en général très
brefs et se font dans un contexte protocolaire. Ces déplacements
s'inscrivent toujours dans un « objectif » précis et
considérant que l'interculturalité n'est pas « quantifiable
», qu'elle ne peut pas être « accomplie » ou «
objectivement vérifiable » dans le programme d'activités. Le
résultat est qu'on ne parle pas de interculturalité, on parle de
« séances de cadrage » et ce n'est pas même chose.
Pourtant, ce sont ces échanges, ces visites officielles
des délégations d'élus et de fonctionnaires locaux, dans
un sens ou dans l'autre du partenariat, qui déterminent sensiblement le
bon fonctionnement d'un partenariat. C'est dans les moments de rencontre et de
partage que les rapports de confiance et de complicité se tissent entre
les acteurs de la coopération. La mise en oeuvre de projets
élaborés de façon conjointe produit une complicité
et une sensibilisation affective et culturelle aux enjeux de
développement de la commune en question. Les stages de formation
professionnelle, les échanges éducatifs, les « chantiers
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populations », les instances de concertation, etc., sont
des facteurs de communication interculturelle dans le cadre de la
coopération décentralisée. C'est dans ces moments
privilégiés que la volonté et la disposition à
apprendre et à appréhender la réalité de l'Autre
sont plus présentes. Pourquoi donc ne pas donner une place plus
conséquente à ces instances ?
Par ailleurs, nous pensons que pour mieux garantir le
succès d'un projet dans le cadre de la coopération
décentralisée le niveau d'altérité du porteur du
projet est quasiment plus important que son degré de qualification
technique.
De façon générale, le discours humaniste
sur la rencontre culturelle est fortement rattaché à une
conception du politiquement correct et fait l'objet d'une approche
humaniste-idéaliste, parfois naïve. Les conflits qui sont survenus
lors de la rencontre entre sociétés de cultures
différentes, les rapports de domination issus de l'histoire coloniale et
des guerres, la persévérance des ethnocentrismes et de la
xénophobie, le caractère extrêmement controversé des
mouvements migratoires Sud-Nord, le mépris ainsi que la violence
symbolique, économique et politique exercés par le Nord, font
partie de la toile de fond de la coopération décentralisée
Nord-Sud.
La persistance des représentations sociales et
historiques est réciproque et cela se manifeste dans les contextes de
confrontation culturelle dû à l'ignorance mutuelle. En effet, dans
le cadre de la coopération franco-africaine notamment les
représentations léguées par la colonisation et celles
construites par les médias sont très présentes d'un
côté comme de l'autre: modernité, facilité
financière, abondance de ressources pour les français; de la
chaleur humaine, le bonheur de la simplicité pour les africains.
Dans le cas du Bénin et de la France, les
béninois se montrent en général assez enthousiastes face
à l'intérêt que portent les français aux
problématiques locales. Ils voient une démarche altruiste et des
signes d'amitié dans la volonté française d'aider et de
participer à améliorer les conditions de vie sur place.
L'ouverture et l'intérêt sincère que manifestent les
français pour la culture et le mode de vie des béninois sont
également très bien perçus spécialement chez les
populations qui se sentent délaissées et ignorées par les
pouvoir publics centraux ou locaux.
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Ils attendent également des flux financiers
conséquents, l'envoi de matériel et éventuellement la
possibilité, même lointaine, de quitter le Bénin pour la
France.
De leur côté, les français attendent de
voir chez les africains le bonheur de la simplicité d'une
société dépourvue des ennuis des sociétés
industrialisées, la générosité et
l'hospitalité spontanée propres aux pauvres qui n'ont rien, de
retrouver les valeurs disparues en France comme l'engagement citoyen dans la
lutte pour la justice sociale, l'auto-organisation, le respect des anciens, la
joie de vivre, etc.
Suite à la confrontation culturelle, ces
premières images idéalisées laissent rapidement la place
à la déception et au désenchantement. En effet, pour les
français les africains deviennent soudainement des gens qui manquent de
rigueur dans la gestion des projets, insouciants, qui n'ont aucun sens de la
ponctualité et qu'il faut « booster » en permanence. A leur
tour, les africains trouverons que finalement les partenaires du Nord ne
déboursent pas autant d'argent que l'on s'y attendait, qu'ils sont moins
attentifs à leurs besoins et qu'ils sont plus soucieux des papiers que
des aspects pratiques.
Cette dynamique des représentations collectives sur
l'Autre opère fortement dans les rapports sociaux. Les
stéréotypes positifs et négatifs fonctionnent comme grille
d'interprétation dans les rencontres interculturelles, en particulier
dans le cas Nord-Sud. C'est à ces instants-là que se
révèle la complexité des décalages culturels et de
la rencontre interculturelle. Les acteurs de la coopération
décentralisée qui deviennent de véritables « ponts
» culturels sont censés appréhender ces enjeux et les
considérer dans toutes les étapes de la mise en oeuvre des
projets.
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