La mise en oeuvre de la société de l'information au Cameroun: enjeux et perspectives au regard de l'évolution française et européenne( Télécharger le fichier original )par Yves Léopold KOUAHOU Université de Montpellier 1 - Docteur en droit privé option nouvelles technologies et droit 2010 |
CHAPITRE DEUXIEME : LES DROITS DE LA PERSONNALITE A L'EPREUVE DES TECHNOLOGIES NUMERIQUES.1149. A la difference de la revolution industrielle qui exigeait un transfert prealable de la technique pour etre operationnelle, l'im pact de la revolution informationnelle actuelle est immediatement visible. Il n'est plus besoin d'attendre que les techniques nouvelles s'ex portent1282 pour profiter des applications d'internet. 1150. Parallelement, ce sont développées des
pratiques qui ont contribués a fragiliser les 1282 A la différence d'autres techniques qui nécessitent un transfert réel de technologies, l'accès au réseau internet ne demande pas d'importants moyens matériels pour fonctionner. Il faut et il suffit de disposer de l'équipement informatique adéquat et des moyens financiers nécessaires pour pouvoir se connecter au réseau. 1283 LAFRANCE Jean Paul, « Critique de la société de l'information », CNRS éd°, Paris, 2009, p 110. exem ple tres facile d'obtenir des informations sur un individu sim plement en ta pant son nom sur un moteur de recherche et d'affiner la requête avec son age, son sexe et son origine geogra phique1284. Il se develo ppe egalement des moyens de plus en plus so phistiques de surveillance des individus qui permettre de tracer, d'identifier ou de localiser des personnes pour des raisons diverses. On en arrive a discerner les personnes en fonction de leurs revenus, de leur categorie socio professionnelle, de leur zone ou origine geogra phique, etc.... 1151. Si toutes ces informations sont, pour une grande part, assez parcellaires, les dangers peuvent survenir en cas de convergence des donnees individuelles. La protection s'inscrit alors dans une logique de preservation des droits de la personnalite dans le contexte numerique. En effet, la multiplication et la diversification des donnees collectees, la facilite avec laquelle elles peuvent être transmises d'un o perateur a un autre1285 (ou d'un pays a un autre) et les performances des equi pements d'analyse et de traitement des donnees em portent de nombreux risques de detournements, qui sont susce ptibles d'affecter les droits fondamentaux. 1152. Ces situations temoignent de l'ensemble du questionnement qui entoure la vie privee dans la societe de l'information. Cela nous amene ainsi a aborder la question de la protection de la vie privee avant d'etudier la question des donnees personnelles a travers l'extension conce ptuelle de la vie privee au numerique. Section première : une approche classique : le droit au respect de la vie privée.1153. La necessite de proteger la vie privee dans la societe de l'information a contribue a etendre celle-ci dans l'entre prise pour preserver les droits des salaries. 1284 Il est même possible, grâce à un logiciel nommé spock, de rechercher des individus à partir de mots clés et chaque profil apparaît sous forme de fiche avec photo et même une liste de ses proches. Voir sur www.spock.com/ 1285 Certaines de ces données ont acquis une forte valeur économique et sont au centre de grands enjeux financiers. De nombreux opérateurs économiques fondent aujourd'hui l'essentiel de leur activité sur la collecte et le traitement de ces données qui peuvent servir d'indicateurs de base pour développer certaines activités ou pour asseoir une suprématie sur le marché. Elles leurs permettent de mettre au point des démarches de marketing personnalisé pour tenter d'intéresser le plus grand nombre d'usagers. Paragraphe premier : La protection de la vie privée dans la société de l'information.1154. La vie privee est une notion difficile a cerner. Elle n'est nullement definie, meme si elle figure dans de nombreux codes et textes. Il est indeniable que la diversite de situation susceptible d'affecter le droit au respect de la vie privee rend plus aleatoire encore l'essai d'une definition globale. Axee sur le droit au secret, la protection de la vie privee couvre essentiellement deux series d'hypotheses. La premiere concerne les atteintes pouvant resulter des investigations dans la vie privee d'autrui (ce sont par exem ple, les fouilles, les ecoutes tele phoniques, les perquisitions, etc....). La seconde hypothese concerne la divulgation des informations obtenues par un systeme informatise quelconque et qui releveraient de la vie privee des personnes. 1155. Ce pendant, il est toujours difficile de dresser une ty pologie exacte des com posantes de la vie privee. De plus, la jurisprudence ne fournit a cet egard que des indices qui, dans un ensemble donne, permettent de dresser les contours de la vie privee. Il convient donc d'envisager le dis positif general de protection de la vie privee avant de rendre com pte des difficultes a delimiter le contenu de la notion. A. Le dispositif général de protection de la vie privée.1156. La protection de la vie privee semble etre a l'aube de profondes mutations. De puis quelques annees, en effet, force est de constater que la diversite de situations a risque susce ptibles d'affecter la vie privee se sont multi pliees au fur et a mesure que se sont develo ppes les modes de communications modernes. Ce pendant, le souci de proteger la vie privee est l'une des preoccupations les plus anciennes de l'être humain. De puis 1604 qui marque l'annee d'a pparition des premieres expressions juris prudentielles de la protection de la vie privée a la premiere définition donnée par certains juges aux EtatsUnis en 18901286, la vie privée a toujours été la préoccu pation constante du législateur. 1157. Aujourd'hui, le droit au respect de la vie privée s'inscrit comme un droit fondamental de la personne reconnu par la plu part des lois et des conventions internationales (même si la plu part des applications législatives les plus récentes de protection de la vie privée concernent les dis positifs mettant en place des systemes informatisés d'ex ploitation de données personnelles). Cela nous amene a dévelo pper l'encadrement international de la vie privée avant de voir le cadre national camerounais de la protection. 1. Les sources internationales de la protection de la vie privée. 1158. La protection de la vie privée tire sa princi pale source dans le droit international marqué essentiellement par la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948, les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme du 16 décembre 1966 et au niveau africain par la charte des droits de l'homme et des peu ples du 27 juin 1981. 1.1 La declaration universelle des droits de l'homme du 10 decembre 1948. 1159. La déclaration de 1948 constitue le texte de référence en matière de protection des droits de l'homme au niveau international. Sa genese de trouve dans la seconde guerre mondiale avec les atrocités commises par le régime nazi qui ont révélé la faible conscience des Etats face a l'exigence d'universalité de la condition humaine. La nécessité s'est faite alors sentir d'affirmer l'existence et la protection internationale des droits inhérents a la personne humaine. 1286 La première définition de la vie privée aurait été donnée par les juges américains Werren et Brandeis en 1890 qui la définissait comme le droit pour un citoyen d'être laissé en paix. Cf, Louis D. BRANDEIS, « the right to privacy », Harvard Law Review, n° 4, 1890, p 193, cité dans Limore YAGIL « internet et les droits de la personne - nouveaux enjeux éthiques à l'âge de la mondialisation », Ed° du CERF, 2006, p 67. 1160. Euvre du canadien John Peters Humphrey et du frangais Rene CASSIN, la declaration tire sa princi pale source d'ins piration de la Declaration des droits de l'homme et du citoyen, issue de la Revolution frangaise de 1789. Bien qu'im portant dans la mesure ou il enonce les droits fondamentaux de la personne humaine, le texte de la declaration se limite a enoncer une sorte de morale universelle mais n'a pas une reelle portee juridique. En ce sens, il n'im plique pas d'engagement juridique precis et ne s'im pose pas aux Etats membres de l'ONU qui sont libres de le signer et de l'integrer dans leur ordre juridique interne1287. Quoi qu'il en soit, la declaration a servi de source d'ins piration a plusieurs Etats. C'est notamment le cas du Cameroun qui a affirme son attachement aux princi pes fondamentaux qu'elle enonce et reconnait le droit pour tout etre humain, sans distinction de race, de sexe, de religion, de croyance de posseder des droits inalienables et sacres1288. 1161. Toutefois, sur le plan de la vie privee pro prement dite, la declaration n'im pose pas une protection particuliere. Elle enumere sim plement a la communaute des Nations l'ensemble des droits civils et politiques fondamentaux dont la protection doit etre encadree. Il s'agit d'encadrer les immixtions dans la vie privee, la famille, le domicile, la corres pondance, l'atteinte a l'honneur et a la re putation1289. 1162. Cela nous amene a faire quelques observations. D'abord, le caractere general, im precis et redondant de la formulation qui semble faire une distinction entre la vie privee, la vie familiale, le domicile ou la corres pondance, ce qui est de nature a creer une confusion dans les es prits (la vie privee recou pe en grande partie l'ensemble des elements cites). On peut penser que les redacteurs de la declaration aient entendu par cette enumeration, assurer un large champ de protection a la vie privee par cette enumeration, dont la distinction semble parfois problematique1290. Ensuite, l'ex pression 2 immixtions arbitraires * nous semble tres imprecise dans la mesure ou elle ne delimite pas la portee et l'interêt de l'immixtion arbitraire pour fixer son domaine d'a pplication. Enfin, la declaration enonce sim plement des princi pes generaux sans reelles valeur juridique. Cela contribue a limiter quelque peu sa portee internationale et de ce fait, il n'est pas rare de voir des Etats signataires enfreindre les regles qu'ils ont signees. C'est 1287 L'Afrique du Sud par exemple a refusé de le signer au Palais de Chaillot à Paris le 10 décembre 1948 car le pays était à l'époque sous le régime de l'Apartheid et il était hors de question d'affirmer le droit à l'égalité sans distinction de naissance ou de race. 1288 Préambule de la Constitution camerounaise du 02 juin 1972 modifiée par la loi n° 96 - 06 du 18 janvier 1996. 1289 Au terme de l'article 12 de la déclaration, « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». 1290 Cf infra n° 1194 et suiv sur « la vie privée : son contenu diversifié ». ce caractere non contraignant qui a pousse a l'elaboration des pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme. 1.2 Les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme du 16 décembre 1966. 1163. Les pactes internationaux ont ete ado ptes par l'Assemblee generale des Nations Unies le 16 decembre 1966. Il s'agit princi palement du pacte relatif aux droits economiques, sociaux et culturels1291 et du pacte relatif aux droits civils et politiques (qui fera l'objet de notre develo ppement). 1164. Ces pactes, rediges par la Commission des droits de l'homme creee a cet effet par l'Assemblee generale des Nations unies qui souhaitait mettre en place des princi pes fondamentaux ayant force obligatoire pour les Etats, sont inspires de la declaration des droits de l'homme de 1948 a partir de laquelle ils em pruntent une grande partie de leurs dis positifs. Au final, on retrouve largement dans les pactes les regles de fond de la declaration de 1948, ce qui marque la continuite de ses dispositions. 1165. Les pactes sont des traites internationaux, en princi pe directement a pplicables dans leur ordre juridique interne. C'est ainsi que le pacte relatif aux droits civils et politiques dispose que « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales a son honneur et a sa réputation1292 3. A priori faite pour s'im poser dans tout Etat qui l'aura ratifie en vue d'assurer une protection internationale des droits fondamentaux, les pactes com portent une derogation qui laisse aux Etats la possibilite d'emettre des reserves sur des dispositions qui lui paraissent contradictoires avec des valeurs qu'il defend1293. L'action aura alors pour consequence de limiter l'a pplication du pacte aux dispositions qui auront ete acce ptees par l'Etat a l'exclusion de la reserve. C'est notamment ce qu'à fait la France qui a emis une reserve concernant l'article 27 du pacte international relatif aux droits civils et politiques affirmant un droit culturel pour les minorites ethniques, religieuses et linguistiques. 1291 Le pacte comprend 5 parties et 31 articles au total et concerne les droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, affirme le droit égal de l'homme et la femme, le droit au travail, le droit de conditions de travail justes et favorables, le droit de s'affilier à un syndicat, le droit de grève, droit à la sécurité sociale, l'accessibilité à une éducation complète gratuite, etc.... 1292 Article 17 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966. Cet énoncé du pacte est une reprise de l'article 1é de la Déclaration des droits de l'homme de 1948. 1293 Les réserves formulées permettront que lesdites dispositions ne lui soient pas applicables 1166. Le Cameroun, en tant que membre des Nations unies, a ratifié le pacte international relatif aux droits civils et politiques le 27 juin 1984. Celui-ci a été pris en com pte par l'ordre juridique national a partir du 27 se ptembre 1984. Ces textes constituent l'ossature de la protection de la vie privée au niveau mondial. Sur le plan africain aussi, il existe un texte qui fonde la protection des droits fondamentaux. C'est la charte africaine des droits de l'homme de 1981. 1.3 La charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981. 1167. La Charte Africaine des droits de l'homme et des peu ples, ado pt~e le 27 juin 1981 a Nairobi au Kenya, lors de la 18e Conference de l'Organisation de l'Unite Africaine1294 (OUA) et entrée en vigueur le 21 octobre 1986, est née de la volonte des Etats africains d'eliminer toutes formes de colonialisme de l'Afrique par la coordination et l'intensification de leur cooperation et leurs efforts afin d'offrir de meilleures conditions d'existence aux peu ples d'Afrique. 1168. La charte s'a ppuie notamment sur la Charte de l'O.U.A, sur la Charte des Nations Unies ainsi que sur la Declaration universelle des droits de l'homme tout en « tenant compte des vertus de leurs traditions historiques et des valeurs de civilisation africaine qui doivent inspirer et caractériser leurs réflexions sur la conception des droits de l'homme et des peuples1295 * Elle est divisée en deux (2) parties pour traiter des questions lides aux libertés fondamentales. Elle met en evidence des valeurs communes, presentees comme ins pirant les Etats membres de l'O.U.A, afin de garantir le respect des droits fondamentaux des individus. Ainsi, la premiere partie nonce les droits et les devoirs de l'homme et des peu ples en mettant l'accent a la fois sur les droits individuels et collectifs1296 et sur les droits des peu ples1297. La seconde partie, consacrée aux mesures de sauvegardes, prévoit la creation d'une Commission africaine des droits de l'homme et des peu ples (sans veritable pouvoir juridictionnel) qui peut recevoir des communications 1294 L'Organisation de l'Unité Africaine (O.U.A) a fonctionné de 1963 à 2002, date à laquelle elle a été dissoute et remplacée par l'Union Africaine (U.A). 1295 Préambule de la charte. 1296 Article 1 à 18 de la charte. 1297 Article 19 à 25 de la charte. emanant des Etats parties a la Charte, ainsi que de personnes individuelles ou de grou pes de personnes. 1169. Ce pendant, la charte ne com porte aucune reference a la protection de la vie privee. Celle-ci se borne a enumerer des droits inherents a la personne humaine qui peuvent faire partie de la vie privee1298. Les droits en question re pondent a l'exigence de menager au profit de la personne humaine une sphere dans laquelle elle doit pouvoir conduire son existence comme elle l'entend et ce, en se soustrayant de la curiosite d'autrui. Elle affirme ainsi que tout etre humain a droit au respect de sa vie et a l'integrite physique ou morale de sa personne1299 et reconnalt que chaque individu a droit au respect de la dignite inherente a la personne humaine et a la reconnaissance de sa personnalite juridique1300. 1170. Toutefois, malgre quelques lacunes, la charte constitue un a pport fondamental au develo ppement des droits nationaux africains. Ces dispositions generales traduisent une veritable revolution juridique dans la conception meme des droits de l'homme. En effet, tout en prenant en com pte le princi pe de l'universalite des droits de l'homme, ce texte presente des s pecificites qui renvoient a des particularites du continent africain. Il s'agit d'abord de proteger la vie privee et pas seulement de la << respecter » a travers une simple non-ingerence. Cela im plique des obligations positives de chaque Etat, notamment par la determination d'un cadre juridique protecteur qui vise tous les acteurs potentiels, acteurs publics mais aussi acteurs prives. 1171. Cette charte a ensuite donne naissance a deux (2) protocoles im portants pour la promotion et le respect des droits de l'homme. Il s'agit du protocole portant creation d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peu ples ado ptee a Ouagadougou au Burkina Faso en juin 1998 et du protocole de Maputo au Mozambique et relatif aux droits des femmes du 11 juillet 20031301 (ce protocole rentrera en vigueur quand au moins 15 pays l'auront ratifie). 1298 Cf. en ce sens, article 2 et suivant de la charte. Cf infra n° 1194 et suiv sur « la vie privée : son contenu diversifié ». 1299 Article 4 de la charte. 1300 Article 5 de la charte 1301 Ce Protocole exige des gouvernements africains d'éliminer toutes les formes de discrimination et de violence à l'égard des femmes en Afrique et de mettre en oeuvre une politique d'égalité entre hommes et femmes. Il les contraint à intégrer à leurs décisions politiques, à leur législation, à leurs plans de développement, à leurs actions, la notion de discrimination fondée sur le sexe; ils sont également tenus de veiller au bien-être général des femmes. Ce Protocole vient en complément de la Charte africaine, pour promouvoir les droits fondamentaux des femmes en Afrique et veiller à la protection de ces droits. Parmi ses dispositions figurent le droit à la vie, le droit à l'intégrité physique et à la sécurité des personnes, le droit de participer à la vie politique et aux processus de décision, le droit à l'héritage, le droit à la sécurité alimentaire et à un logement décent, la protection des femmes contre les pratiques traditionnelles dangereuses et la protection lors des situations de conflit armé. Sont également prévues des dispositions concernant l'accès à la justice et une protection égale devant la loi pour les femmes. Les Etats parties au Protocole se sont également engagés à indiquer, dans leurs rapports périodiques à la Commission africaine, les mesures législatives et autres entreprises par eux pour permettre la pleine réalisation des droits reconnus dans le Protocole. La mise en application du Protocole se fera sous la surveillance de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. 1172. La charte est aujourd'hui ratifiée par tous les pays africains a l'exce ption du Maroc13°2. Le Cameroun l'a signé le 23 juillet 1987 et l'a ensuite ratifié le 2° juin 1989. 1173. Ce pendant, quelle que soit l'am pleur de la charte, les droits proclamés restent dé pourvus de sens, a défaut de mécanismes garantissant une application effective au sein de chaque Etat partie. En outre, leur application se trouve confrontée a l'obstacle de souveraineté nationale susceptible de priver d'effectivité les droits reconnus. Cela conduit nécessairement a la mise en place d'un cadre national de protection. 2. L'insuffisance de la protection de la vie privée par le droit national 1174. La protection de la vie privée au Cameroun demeure largement encadrée sur le plan civil par le code civil frangais. Toutefois, sur le plan pénal, les atteintes sont sanctionnées par le code pénal camerounais, même si les sanctions peuvent s'avérer insuffisantes. 2.1 Le recours au code civil français pour protéger la vie privée. 1175. L'influence du code civil se manifeste a travers l'a pplication de ces dispositions de protection pour encadrer la vie privée au Cameroun. Parmi les éléments essentiels de la protection, figure le princi pe posé par l'article 9 du code civil selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Malgré cette position clairement affirmée, on peut tout de même regretter qu'aucune définition de la notion de vie privée ne soit donnée par le code. Cette absence de définition est d'ailleurs a l'origine d'un débat récurrent en doctrine et en jurisprudence et concernant la différence qu'il ya entre la vie privée et l'intimité de la vie privée sanctionnée a l'alinéa 2 de l'article 913°3 ? La question est ici de savoir si la vie privée est un tout dans lequel on trouve une partie qui est l'intimité. 1302 Le Maroc s'est retiré de l'organisation africaine en 1984 pour protester contre l'admission en son sein de la République arabe Sahraouie, qui lui dispute la souveraineté sur le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole sous contrôle marocain depuis 1975. 1303 Selon l'alinéa 2 de l'article 9, « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée, ces mesures peuvent, s'il y urgence, être ordonnées en référé » A cette question, la jurisprudence a pporte une reponse fluctuante qui peut varier en fonction des circonstances de chaque espece. Ainsi tantot, elle se refere a l'intimite de la vie privee dans un dessein restrictif13°4, tantot elle se fonde sur la vie privee sans autre precision pour caracteriser une atteinte13°5. 1176. A cote de l'article 9, l'article 1382 du même code civil presente egalement un interêt pour la protection de la vie privee, puisqu'il contient le princi pe de res ponsabilite civile delictuelle, selon lequel toute faute engage la res ponsabilite de son auteur. Ce texte presente l'avantage de permettre a une personne d'agir, en dehors de toute relation contractuelle13°6. 1177. Il peut arriver que de nombreuses decisions fassent reference a la fois aux articles 9 et 1382 du code civil. Toutefois, par un arrêt rendu le °5 novembre 1996, la Cour de cassation frangaise a admis que l'article 9 du code civil etait autonome par rapport a l'article 1382 dans la mesure ou « la seule constatation de l'atteinte a la vie privee ouvre droit a reparation1307 *. Ainsi, une action en reparation d'une atteinte a la vie privee fondee uniquement sur l'article 1382 pourrait être irrecevable dans la mesure ou l'action sur ce fondement suppose « la preuve de faits distincts de ceux invoques au soutien de l'action fond~e sur l'article 9 du code civil130E*. 1178. Quoi qu'il en soit, en instituant que des mesures peuvent être prises pour em pêcher ou faire cesser une atteinte, le legislateur entend permettre une reparation juste et pro portionnelle du dommage qu'une atteinte pourra causer a la vie privee13°9. Certaines mesures peuvent être de veritables contraintes et leur caractere dissuasif peut contribuer a eviter d'autres atteintes. Ainsi, le sequestre, la saisie, la suppression de certains passages ou la publication d'un encart sont assimilables a une vraie censure et ne se justifient que si les descriptions ou divulgations incriminees revêtent un caractere intolerable com pte tenu de leur gravite131°. 1304 L'intimité sera alors considérée comme ce qui touche directement et personnellement la vie privée et personnelle de la personne, c'est par exemple le cas dans une décision rendue à propos de la publication de renseignements relatifs aux revenus d'une personne. Voir, Cass, 1ere ch. civ, 20 octobre 1993, Bull civ, I, n° 295. 1305 Cass, 1ere ch. Civ, 13 avril 1988, Bull civ, I, n° 98. 1306 Il donne même l'opportunité à une personne morale de pouvoir réparer une atteinte qui serait portée à sa vie privée 1307 Cass, 1ere civ, 5 novembre 1996, n° 94-14.798, D 1997, jur, p 403, note Laulom. 1308 Cour d'Appel de Versailles, Ch civ reunis, 26 janvier 2006, J-C G et autres/ fait d'hiver CF, n° 04/0 7033. 1309 Au termes de l'article 9 alinéa 2, « les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé ». 1310 La publication d'un encart procède souvent d'un droit de réponse qui permet à une personne de répondre, par la même voie que l'article incriminée et dans les conditions définies par la loi, à une allégation qui a été portée contre lui. Ainsi, l'article 53 de la loi de 1990 sur la communication sociale au Cameroun fait obligation au directeur de publication «d'insérer dans les quarante-huit heures suivant sa réception la réponse de toute personne nommée ou désignée dans la publication » 1179. La mesure de publication est ordonnee par le juge lorsqu'il estime que l'atteinte est suffisamment grave et reclame une reparation com plementaire. La publication est tantot pergue comme une reparation qui convient a l'atteinte a la vie privee: « la demande de publication n'est nullement disproportionnee aux atteintes a la vie privee et au droit a l'image commise...et apparalt, outre les dommages-interets, comme une modalite de reparation particulierement adapt~e *1311, tantot comme une mesure non justifiee « les dommages interets rappeles assurent une reparation suffisante du prejudicie effectivement subi de sorte que la publication demand~e n'est ni justifiee par la nature de l'atteinte ni opportune en raison de l'anciennete des faits1312>. 1180. Au Cameroun, malgre l'influence du systeme juridique frangais et nos profondes recherches, nous n'avons pas pu rentrer en possession des decisions de jurisprudence concernant la protection de la vie privee. Cela est du en partie a l'absence d'une politique de communication des decisions de justice par la Cour su prême et par l'absence de mediatisation de telles affaires. 1181. Dans tous les cas, le droit au respect de la vie privee est bien encadre par le code penal camerounais qui fixe des sanctions en cas d'atteinte ou de violations. 2.2 L'encadrement insuffisant du code penal camerounais. 1182. Le code penal camerounais issu d'une loi n° 67/LF/1 du 12 juin 1967 consacre dans un cha pitre 2 relatif aux attentes a la liberte et a la paix des personnes, une section 3 intitulee des attentes a la tranquillité des personnes. Sans faire une quelconque allusion a la notion de vie privee, cette section encadre des elements qui peuvent entrer dans sa com position1313. Ainsi, le droit au respect de la vie privee peut être affecte s'il ya une violation du domicile1314, une violation du secret de corres pondance1315, un 1311 CA Paris, 14e ch., Sect. A, 6 mars 2002, Juris-Data n° 2002-173312 ; Comm, com élect juillet - Août 2 003, page 37, éd° Juris-Classeur, note A LEPAGE 1312 CA Toulouse, 3e ch., 1ere sect. 25 mai 2004, Juris-Data n°2004 -247730 ; Com m. com élect. Janv.2005, p 45 et suiv, note A LEPAGE 1313 Cf. supra n° 1194 et suiv sur « la vie privée : son contenu diversifié ». 1314 Article 299 du code pénal camerounais 1315 Article 300 du code pénal op cit chantage1316, une denonciation calomnieuse1317, une diffamation1318 ou une injure a la personne1319. 1183. A premiere vu, une observation doit être faite ici en ce qui concerne le secret des corres pondances. Si les atteintes de violation du domicile1320, de chantage, de calomnie ou de diffamation peuvent être caracterisees quel que soit le support de diffusion, la princi pale difficulte reside dans la materialite de la violation du secret de corres pondances aujourd'hui1321. Cette derniere notion n'est pas des plus aisees : a pprehender notamment par la jurisprudence penale et sociale, puisqu'evolutive. On ne peut pas alors manquer de relever l'insuffisance des dispositions du code penal camerounais dans l'encadrement contextuelle de la corres pondance pour prendre en com pte son caractere electronique. 1184. Dans tous les cas, lorsqu'une atteinte a la tranquillite est caracterisee, la personne qui en est victime peut intenter une action penale en vue de la faire re parer. Ainsi, par exem ple, l'atteinte a la reputation d'autrui, antichambre de la diffamation, ouvre la voie : une action penale, même si elle est presentee sous une forme deguisee ou dubitative ou par voie d'insinuation1322 et quel que soit le mode de violation (voie de presse ecrite, de radio, de television ou par toute autre forme permanente, comme le tele phonique ou internet). Cette action est aussi de nature a justifier l'attribution de dommages-interêts determines en fonction du prejudice moral et parfois aussi materiel comme la perte d'une clientele. Mais, a cote de celle-ci, la publication du jugement de condamnation, l'insertion dans un ouvrage d'un encart rectificatif1323, offrent souvent la plus satisfaisante des reparations 1316 Article 303 du code pénal, op cit. 1317 Article 304 du code pénal, op cit 1318 Article 305 du code pénal, op cit 1319 Article 307 du code pénal, op cit 1320 Encore faut-il définir ce que l'on entend par domicile par rapport à un véhicule personnel. 1321 Le développement des modes de communications modernes fait que la protection des correspondances ne se limite plus à garantir simplement le secret des lettres papiers mais qu'elle suppose de garantir plus largement toutes les formes de communication, qu'elles soient téléphoniques ou électroniques. Une difficulté supplémentaire consiste à définir la notion même de correspondance par rapport à la relation salarié - employeur au sein de l'entreprise. 1322 Voir Cass Civ. 1ere, 27 sept 2005, D 2005, IR 2482 ; Cpr. Cass crim. 14 février 2006 ; D 2006, IR 886, décidant que pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire. 1323 Cf. TGI Paris, réf., 22 nov. 1973, et TGI Paris 22 mai 1974, D 1975, 168, note R LINDON ; RTD civ 1975, 524, obs. R NERSON, où, à propos d'un ouvrage qui mettait en cause le comportement de M. Lip, fut relevée par le juge des référés une « atteinte intolérable à la personne », justifiant que soit immédiatement ordonnée l'insertion d'un encart rectificatif dans tous les exemplaires déjà imprimés. (sans prejudice du droit de re ponse1324 et du devoir de rectification et sans que le demandeur soit oblige d'a pporter la preuve d'une perte financiere). Face a une intrusion des medias dans la vie privee, il est donc possible d'introduire une action a condition d'etablir le caractere diffamatoire de l'information. La loi ne com porte aucun critere permettant d'a pprecier le caractere diffamatoire d'un propos. C'est le juge qui a pprecie si le propos est susceptible de porter atteinte a la reputation et a l'honorabilite du demandeur. 1185. Ces develo ppements sur la diffamation nous amene a nous arreter quelques instants sur une notion qui lui est voisine. Il s'agit de l'action en divulgation de secret ou encore action en violation de confidentialite. Cette action constitue une garantie de la protection de la vie privee dans la mesure ou elle permet une reparation de la divulgation, ou de l'utilisation non autorisee, d'une information qui n'a pas encore ete rendue publique mais qui aura ete confiee a autrui dans des circonstances im posant une obligation de discretion de sa part. D'origine doctrinale, cette action s'est develo ppee pour proteger les secrets du monde des affaires, puis la jurisprudence l'a etendue a la vie privee car elle permet de prevenir la divulgation de faits veridiques sans tenir com pte de l'existence d'un prejudice cause a la reputation. La portee de cette action en divulgation de secret est limitee par le fait qu'une relation de confiance est necessaire entre les parties, meme s'il ne s'agit pas d'une relation formelle et preexistante1325. 1186. Toutefois, cette action en divulgation de secret est assez peu utilisee dans la pratique. Les victimes lui prefèrent la diffamation pour laquelle il n'est pas necessaire d'a pporter la preuve d'un dommage puisque la simple publication d'une information sans le consentement de la victime suffit a la qualifier de diffamatoire. Cela etant, pour mieux com prendre la protection de la vie privee, nous pensons qu'il est necessaire de preciser le contenu de la notion. |
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